Mme Catherine Troendlé. Cette réforme pose des problèmes organisationnels et financiers parfois insolubles.

Comment faire venir des animateurs pour une heure quand la gare est à plus de trente minutes de l’école ? Comment dispenser des activités capables de susciter l’enthousiasme des enfants quand vous n’avez pas d’associations pour s’en charger ? Face à ces mécontentements, le devoir d’un ministre de la République était d’écouter, de prendre en compte les inquiétudes et d’y répondre en donnant du temps.

Mme Catherine Troendlé. Depuis des mois, élus locaux et parlementaires de tous bords vous interpellent, monsieur le ministre, pour que vous ajourniez cette réforme. Ils vous demandent de la suspendre et de prendre le temps d’une concertation qui prenne véritablement en compte l’intérêt de l’élève, tout en satisfaisant aux impératifs de tous les acteurs.

En décrétant, le 24 janvier dernier, la grande réforme des rythmes scolaires dans la précipitation, vous avez laissé le soin aux acteurs locaux de s’accorder pour intégrer les heures d’enseignement périscolaires.

L’organisation du temps scolaire de nos enfants résulte donc d’un compromis entre des municipalités soumises à des contraintes budgétaires, des enseignants, des chefs d’établissements plus ou moins écoutés sur l’organisation d’ateliers et des associations diverses, disponibles pour utiliser ce temps périscolaire. Force est de constater, quelques mois après cette rentrée scolaire, que, dans nombre de cas, ce compromis entre adultes est bien éloigné de l’intérêt des enfants.

La proposition de loi que je présente au nom du groupe UMP résulte du fait que la réforme des rythmes scolaires a été mal engagée, qu’elle pose de réels problèmes organisationnels et qu’elle n’est pas financée.

Monsieur le ministre, nous n’avons pas l’assurance que le fonds étatique mis à la disposition des communes sera pérennisé après 2015. De nombreuses communes font état des difficultés à financer et à mettre en œuvre cette réforme. C’est la raison pour laquelle moins de 25 % d’entre elles l’ont mise en application à la rentrée 2013. Devant les difficultés rencontrées, certaines communes ont même fait marche arrière. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Françoise Cartron. Deux seulement !

M. Jean-François Husson. Non, beaucoup plus. Et même des communes de gauche !

Mme Catherine Troendlé. Il reste 20 000 communes qui doivent mettre en œuvre cette réforme à la rentrée de 2014. Le groupe UMP du Sénat a pris la mesure des difficultés rencontrées par les maires. Il a écouté les craintes des parents d’élèves et les inquiétudes des professionnels. C’est dans un esprit d’apaisement et avec la volonté de trouver une issue à la crise actuelle que nous déposons cette proposition de loi, monsieur le ministre. Elle vise à permettre à chaque commune de s’organiser afin de proposer aux enfants et aux familles l’organisation la plus favorable à l’acquisition par tous du socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini par l’éducation nationale.

Ce texte n’impose pas une organisation hebdomadaire. Il s’appuie sur la responsabilité et la liberté des acteurs de terrain que sont les maires. Il tend à rejeter une organisation du temps scolaire imposée par la rue de Grenelle et prenant peu en compte les différences qui existent entre les communes rurales, périurbaines ou urbaines. En effet, les besoins des élèves, les attentes des parents, les demandes des enseignants et les activités périscolaires pouvant être dispensées ne sont pas les mêmes selon les académies.

Notre proposition de loi repose sur trois principes. Le premier est celui de la liberté de choix des maires concernant l’aménagement du temps scolaire. Le deuxième est celui d’une concertation obligatoire avec les acteurs locaux – enseignants, parents, associations –, afin de mieux prendre en compte les possibilités offertes sur le terrain pour l’instauration d’activités périscolaires.

M. Jacques Chiron. Vous mélangez tout !

Mme Catherine Troendlé. Le troisième est celui d’une compensation intégrale par l’État des charges supplémentaires résultant de l’application d’une telle réforme pour les communes.

Cette proposition de loi apporte la souplesse nécessaire aux maires. Elle permet de donner plus de temps aux communes qui ne pourraient pas mettre en œuvre cette réforme dans les meilleures conditions à la rentrée 2014. Elle permet, enfin, d’assurer le financement de cette réforme sans faire appel à des contribuables locaux qui doutent de son utilité pour améliorer la performance des élèves.

Cette proposition de loi s’appuie sur le sens de la responsabilité et l’expérience des acteurs de terrain. Rappelons que l’alinéa 2 de l’article 72 de la Constitution dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. »

Au-delà de la question des rythmes scolaires, cette proposition de loi s’inscrit dans l’idée d’une territorialisation des politiques éducatives, si chère à Alain Savary et si nécessaire.

Les maires sont aujourd’hui tiraillés entre le devoir d’appliquer une réforme qui, issue d’un décret, n’a pas la force symbolique de la loi, et les mécontentements légitimes et de plus en plus véhéments de leurs concitoyens. Le vote de cette proposition de loi répondrait, par conséquent, aux demandes qu’ils expriment depuis des mois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est malheureusement devenu banal de pointer les performances médiocres de notre système scolaire. Les enquêtes internationales comme PIRLS et PISA, encore contestées il y a peu au nom de la préservation du modèle français, sont désormais incontournables.

Pour répondre à la crise de l’école, fallait-il, monsieur le ministre, commencer par les rythmes scolaires ? Fallait-il concentrer le débat public sur l’organisation d’activités périscolaires sous la responsabilité des communes ? Fallait-il mobiliser tant d’énergie pour une modification très partielle du temps scolaire, qui laisse de côté à la fois le second degré et les vacances ? Je ne le pense pas.

Quel bénéfice tirer d’une réforme qui ne module pas le temps scolaire en fonction de l’âge des enfants et des contraintes locales ou géographiques ? Quel bienfait pédagogique espérer d’une réforme administrative qui ne touche pas aux pratiques des enseignants ?

Changer des cases horaires ne suffira pas, vous en conviendrez, à améliorer les compétences en mathématiques et en français des écoliers.

Nous pouvons nous accorder sur la nécessité d’une réorganisation globale et concertée du temps scolaire. J’ai critiqué en son temps la semaine de quatre jours et le paradoxe français qui conjugue l’année la plus courte et la journée la plus chargée. Ce constat ne nous oblige en rien à accepter une réforme, aussi bien intentionnée soit-elle. La réforme lancée par le Gouvernement est un cas d’école, qui illustre parfaitement le mode de fonctionnement pyramidal et rigide du ministère de l’éducation nationale.

Aucune évaluation préalable des effets potentiels de la réforme n’a été menée. Aucune estimation de son impact sur les performances scolaires n’est disponible. Aucune enquête n’a été menée auprès des maires pour les associer à la conception de la réforme.

Le décret du 26 janvier 2013 impose un cadre unique qui s’applique de façon presque uniforme sur tout le territoire. Cependant, ce texte est interprété de façon très diverse par les DASEN, les directeurs académiques des services de l'éducation nationale, qui ne suivent pas toujours l’évolution des déclarations du Gouvernement. Sur le terrain, il n’est pas rare de voir certains DASEN ou inspecteurs de circonscription retenir des interprétations très restrictives des textes, ou imposer des obligations supplémentaires, par exemple en termes de transmission anticipée des projets éducatifs.

Les maires n’appréhendent que très difficilement leurs marges de manœuvre en ce qui concerne les possibilités de dérogation, telles que le recours au samedi matin ou l’écriture des projets éducatifs territoriaux. Certains DASEN poussent à l’adoption d’un modèle d’organisation unique dans tout leur département.

Monsieur le ministre, je me permettrai de vous en donner deux exemples, tirés de la situation de mon département.

Premièrement, quatre communes de montagne souhaitent conserver les huit mercredis du deuxième trimestre pour que les enfants puissent pratiquer le ski. Cette discipline permettra peut-être à certains d’entre eux d’être les champions de demain, à d’autres d’en faire leur métier. Tous les acteurs – les enseignants, les parents, les élus – se sont accordés pour faire leur rentrée une semaine plus tôt en août afin de rattraper ces huit mercredis. À l’heure actuelle, ils se sont vu refuser ce projet. Tout comme moi, ils vous ont alerté, monsieur le ministre.

Deuxièmement, trois communes, qui ont mutualisé leurs moyens, souhaitent que le temps périscolaire soit organisé autour de deux séances d’une heure et demie. Ce temps pourrait être prolongé dans le cadre associatif. Là encore, les acteurs locaux sont tous d’accord, mais ils se voient opposer des raisons d’organisation administrative. De ce fait, ces trois communes seraient contraintes de faire de la simple garderie. Où est donc l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est dans toutes les bouches ?

De plus, les possibilités de recrutement d’animateurs, l’évolution du taux d’encadrement des activités périscolaires ou encore les contributions des caisses d’allocations familiales demeurent incertaines. Des réponses ambiguës, voire contradictoires, leur ont été adressées selon les temps et selon les interlocuteurs. Le défaut d’articulation entre les services sociaux et l’éducation nationale n’a pas contribué à clarifier la situation.

C’est pourquoi peu de maires se sont engagés dès 2013. Pour l’année scolaire 2013-2014, quelque 3 991 communes, sur 23 000 environ disposant d’une école, sont passées aux nouveaux rythmes. Cela représente 1,3 million d’élèves, soit 22,2 % de l’effectif total du secteur public. Seules 35 des 150 communes les plus importantes ont choisi d’appliquer la réforme dès 2013.

L’organisation des temps scolaires relève du caractère propre des établissements privés, dont 6 % seulement sont passés aux nouveaux rythmes cette année. Faut-il donc donner moins de pouvoir et de responsabilité au maire sur l’école publique que n’en dispose un chef d’établissement d’une école privée ?

Les réticences de la plupart des maires à l’égard de la réforme ne viennent pas de leur prétendue indifférence au bien-être des élèves. Le président de l’Association des maires ruraux l’a confirmé lors d’une audition : tous les maires savent que la transmission du savoir est le meilleur investissement que la nation puisse faire. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, c’est qu’ils ne peuvent pas. Leurs réticences sonnent plutôt comme une protestation contre le refus du ministère de les traiter comme des partenaires éducatifs responsables et autonomes. Surtout, elles reflètent d’importantes difficultés matérielles et financières, qui attendent une réponse.

D’après l’enquête réalisée à l’automne 2013 par l’association des maires de France, ou AMF, 77 % des communes passées aux nouveaux rythmes s’inquiètent du financement de la réforme. Il s’agit de l’une des faiblesses structurelles essentielles de la réforme. Son financement est à la fois insuffisant, incertain, et éphémère.

La loi de refondation de l’école de la République a institué un fonds d’amorçage en faveur des communes mettant en œuvre la réforme des rythmes scolaires à la rentrée 2013. Trois questions au moins se posent sur les aides d’amorçage : le mode de calcul de leur montant, le bouclage de leur financement jusqu’en 2015, leur pérennisation au-delà.

Le montant des aides n’a fait l’objet d’aucune estimation préalable du coût prévisionnel des activités périscolaires complémentaires. Il n’a fait l’objet d’aucune enquête d’intention auprès des maires. Il ne tient pas compte du coût du transport scolaire. Le montant des aides a été calculé par répartition d’une enveloppe globale, fixée à l’avance et ne reposant sur aucune justification. C’est pourquoi les aides sont forfaitaires et ne constituent pas une compensation des surcoûts supportés par les communes.

Dès lors, il n’est pas surprenant de constater dans de nombreuses communes des coûts de mise en œuvre dépassant largement le montant maximal des aides octroyées par le fonds d’amorçage et par les caisses d’allocations familiales, ou CAF.

Malgré un sous-dimensionnement du fonds, qui ne permet pas une compensation adéquate pour les communes, le financement de la réforme demeure incertain. Pour 2014, quelque 102,7 millions d’euros ont été inscrits dans la loi de finances, dont 62 millions d’euros issus de la Caisse nationale des allocations familiales, ou CNAF. Cette contribution exceptionnelle de la CNAF, qui n’avait été aucunement prévue à l’origine, s’ajoute aux aides qu’elle verse directement aux communes pour soutenir l’accueil périscolaire. Il ne s’agit en rien d’un financement pérenne du fonds d’amorçage, qui a vocation à être supporté par l’État.

Pour 2015, le financement est entièrement ouvert. Il faudra trouver 286 millions d’euros pour cette seule année, alors même que le budget de l’éducation nationale absorbe déjà de nombreuses créations de postes d’enseignants.

Si la réforme est maintenue en l’état, ce problème de financement deviendra d’autant plus pressant que les aides seront définitivement pérennisées au-delà de 2015. C’est ce que demande très légitimement l’AMF, puisque les coûts de la réforme ne sont pas transitoires, mais représentent au contraire des charges permanentes.

S’il n’y avait pas de pérennisation des aides, les communes devraient trouver des ressources nouvelles après 2015 pour maintenir la qualité des activités scolaires. Elles seraient confrontées à un dilemme : soit demander une contribution financière aux parents, soit augmenter la fiscalité locale.

Pour apporter rapidement une réponse souple aux difficultés des communes, il faut remettre à plat la réforme dans son principe. Il est temps de passer de la contrainte au libre choix, de la circulaire au contrat, au dialogue et au partenariat. La proposition de loi déposée par M. Jean-Claude Gaudin et les membres du groupe UMP, qui est soumise à notre examen, offre une solution souple et pragmatique pour sortir de l’ornière.

Elle renforce les pouvoirs du maire, qui sont aujourd’hui purement dérogatoires aux décisions d’organisation de la journée et de la semaine scolaire prises par le DASEN. À cette fin, elle complète l’article L. 521-3 du code de l’éducation pour donner aux maires la liberté d’organiser le temps scolaire des écoles maternelles et élémentaires publiques.

Des limites au pouvoir du maire sont posées afin de garantir le respect des programmes et du calendrier scolaire annuel, fixé par le ministre de l’éducation nationale. Ces garde-fous sont nécessaires pour maintenir un cadre pédagogique commun à toutes les écoles.

La proposition de loi prévoit également une consultation préalable des conseils d’écoles, des professeurs des écoles, des représentants des parents d’élèves, du DASEN et des inspecteurs de l’éducation nationale, les IEN, concernés. Il s’agit ainsi d’impulser un changement de méthode. Il faut privilégier les coopérations horizontales entre tous les acteurs et l’adaptation la plus fine aux circonstances locales.

Enfin, la proposition de loi pose le principe d’une compensation intégrale par l’État des charges imposées aux communes par toute modification des rythmes scolaires par voie réglementaire.

On pourrait objecter que cette initiative parlementaire intervient trop tôt et qu’il vaut mieux attendre les conclusions et les recommandations de la mission commune d’information du Sénat sur ce sujet. Je pense au contraire que la proposition de loi est déposée juste à temps pour sortir de l’ornière – je dis bien de l’ornière, et non de l’impasse, car il n’est pas question de faire demi-tour ; il faut au contraire avancer !

Même si elle n’a pas achevé ses travaux, la mission a commencé à travailler dès le mois de novembre dernier. Les auditions se sont succédé à un rythme rapide. Je veux saluer la présidente, Mme Catherine Troendlé, et la rapporteur, Mme Françoise Cartron, pour leur travail rigoureux et transparent.

M. Jacques-Bernard Magner. C’est un bon point !

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Grâce à elles, nous disposons d’ores et déjà d’une excellente vision des difficultés qui se posent dans l’organisation matérielle et le financement de la réforme.

Il n’est pas possible, à mon sens, de tarder davantage, en raison des contraintes cumulées des calendriers du Parlement, de l’école et des collectivités. Compte tenu des délais de la procédure parlementaire, si nous voulons faire œuvre utile pour la rentrée 2014, nous devons en débattre dès maintenant.

Il faut redonner du souffle et de l’espoir aux maires. Mes chers collègues, vous me permettrez de donner la parole à Lu Xun, le grand intellectuel moderniste chinois (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) : « L’espoir est comme un chemin dans la montagne ; au début, il n’y a rien ; puis, un homme passe et voilà le chemin ! » Soyez cet homme, monsieur le ministre !

M. Vincent Peillon, ministre. C’est le montagnard qui parle ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Vous l’aurez compris, je suis favorable à l’adoption de la présente proposition de loi. Malheureusement, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ne m’a pas suivi et ne l’a pas adoptée. C’est donc sur le texte initial de ses auteurs que nous nous prononcerons, en application de l’article 42 de la Constitution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu moins d’un an, au terme de débats constructifs et d’une grande qualité, la Haute Assemblée a adopté le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

Malgré des approches divergentes, qui ont fait que la gauche s’est unie en faveur de ce texte et que la droite ne l’a pas voté, je considère qu’un même constat a été partagé sur toutes les travées du Sénat : il faut refonder l’école de notre République. L’objectif est également commun, à savoir retrouver, au travers de cette refondation, une espérance.

L’étude PISA de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui a été publiée à la fin de l’année dernière, n’a pas manqué de nous rappeler cette nécessité de refondation de l’école, en soulignant la dégradation de notre système éducatif et l’accroissement sans précédent des inégalités scolaires en France. Nous sommes ainsi aujourd’hui le pays de l’OCDE dans lequel les inégalités scolaires sont les plus importantes et la corrélation entre les inégalités sociales et scolaires la plus forte.

En conséquence, notre pays perd inévitablement en compétitivité économique et met en danger, comme l’ont montré des événements récents, sa cohésion sociale et civique. C’est pourquoi la refondation de l’école de la République est une nécessité que j’ai souhaitée, même si je n’y suis pas parvenu jusqu’à présent, voir reconnue par tous.

Vous avez souhaité, madame Troendlé, que nous menions ce débat dans la sérénité. C’est aussi mon vœu le plus profond.

Nous débattons là de sujets qui ne nous concernent pas directement. Après tout, c’est bien l’égoïsme des générations les plus âgées qui a créé la situation dans laquelle nous sommes, en termes tant de chômage des jeunes et de transferts divers que d’école. Ces sujets concernent les nouvelles générations, donc l’avenir de notre pays. Lorsque nous dépassons nos clivages politiques, la République doit pouvoir nous rassembler.

Dans notre histoire commune, la République s’est construite autour et par son école.

La refondation que nous avons engagée porte d’abord sur l’essentiel, en donnant la priorité à l’école élémentaire. C’est absolument indispensable ! Les chiffres indiquent en effet que, à la fin de la classe de troisième, c’est-à-dire au terme de la période de scolarité obligatoire, un grand nombre d’élèves sont incapables de maîtriser notre langue. Ce pourcentage a augmenté de 5 % depuis 2007, et de 13 % dans les zones d’éducation prioritaire. Et moins d’un enfant sur deux, à la fin de la troisième, maîtrise les apprentissages fondamentaux.

En même temps que le déclin scolaire, on observe un accroissement des inégalités. L’école est le lieu où l’on comprend que l’exigence de justice et celle de performance vont de pair. Or, en cette matière, notre pays est à la fois le plus inégalitaire et le moins performant. Les deux éléments n’auraient pas de lien ? Si, ils en ont un !

Les pays qui réussissent le mieux et qui améliorent leurs performances scolaires – tels étaient les termes de la promesse républicaine à sa grande époque – sont ceux qui sont capables de limiter les inégalités entre les enfants.

Alors même qu’augmente le nombre des élèves en difficulté, nos élites régressent. Même en mathématiques, nous commençons à rencontrer des difficultés, et ce malgré l’existence de la grande école française de mathématiques.

Cette priorité donnée au primaire n’a pas commencé avec la réforme des rythmes scolaires. Je suis obligé, si nous voulons maintenir la sérénité des débats, de vous rappeler en quoi consiste cette refondation et comment elle est mise en œuvre.

Elle comprend tout d’abord, et c’est son élément principal, la remise en place d’une formation des enseignants. En 2008, la réforme de la semaine de quatre jours a été décidée sans aucune concertation,…

M. Vincent Peillon, ministre. … du jour au lendemain, créant ainsi une exception française : cette année scolaire trop courte que vous avez évoquée et qui compte 144 jours de classe. Triste exception française ! Grâce à la réforme que nous mettons en place, nous sommes revenus à 180 jours.

En même temps, la formation continue des enseignants avait été réduite comme peau de chagrin. Quant à leur formation initiale, elle avait été supprimée. Nous l’avons rétablie : sur les 54 000 postes qui ont été créés, 27 000 sont consacrés à la formation initiale des enseignants. Celle-ci comprend l’année de stage, celle-là même qu’avaient suivie ceux d’entre nous qui ont été professeurs et qui permet une entrée progressive dans le métier.

Nous faisons également aboutir un projet de formation professionnalisante des enseignants, laquelle existait autrefois pour le primaire, avec les écoles normales d’instituteurs et les écoles d’application, et donnait de bons résultats. Cette formation n’a jamais existé, en revanche, pour le secondaire, et elle avait été supprimée pour le primaire.

Dans un grand colloque qui s’est tenu l’année dernière en France, l’OCDE a salué la volonté de remettre en place une formation des enseignants. Tous ceux qui s’intéressent à ces sujets savent, en effet, que cette réforme est prioritaire.

« L’effet maître », c'est-à-dire la rencontre entre un professeur et un élève, est un moment décisif de la formation, et nos professeurs, quel que soit leur niveau d’enseignement, doivent y être formés. Ce travail est très difficile, parce qu’il va à l’encontre de mauvaises habitudes que nous avons pu prendre.

Professionnaliser les concours, permettre cette entrée progressive dans le métier, notamment au travers des emplois d’avenir professeur, qui peuvent être occupés par des étudiants à partir de la deuxième année d’université, prévoir des masters qui s’inscrivent dans une continuité avec le métier d’enseignant, au lieu de séparer l’apprentissage de la discipline et la formation professionnelle : toutes ces décisions, nous les avons prises dans le cadre de l’autonomie des universités, en créant les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE.

Quant aux programmes scolaires, notamment pour le primaire, nous y travaillons aussi depuis le début. Aussi, pourquoi dites-vous que nous avons commencé par réformer les rythmes scolaires ? Que je sache, les ESPE existent dans toutes les académies de France ! En revanche, quatre communes sur cinq n’ont pas adopté les nouveaux rythmes. Ce que vous dites de notre action n’est donc pas juste !

Il est nécessaire, également, de refondre les programmes. De nouveaux programmes, que chacun a pu juger, avaient été mis en place en 2008, sans concertation et, pour une part, sans réflexion. Or ils n’ont pas eu de traduction concrète et leurs résultats ne sont pas bons.

J’ai voulu, pour ma part, qu’une large concertation de tous soit menée, dans la transparence. En effet, comment une nation comme la nôtre pourrait-elle avancer sur l’essentiel, c’est-à-dire sur le socle commun de connaissances, de compétences, de culture, mais aussi sur les programmes et les curriculums, sans associer les parlementaires et sans réunir une commission pluraliste, que j’ai voulu confier à une personnalité connue pour son parcours pédagogique et ses engagements aux côtés de l’actuelle majorité ? C’est ainsi que nous pourrons sortir l’école des joutes politiciennes qui lui ont fait tant de mal jusqu’à présent.

Ce conseil national existe, et vous y siégez, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition. Il s’est mis au travail afin de proposer de nouveaux programmes dans les quatre ans, y compris au travers de la consultation des enseignants. Nous l’avons déjà fait pour le primaire – les résultats ont été excellents ! – et pour l’éducation prioritaire.

Ce conseil vous associera à ses travaux, comme il y associe un certain nombre de personnalités qualifiées, ainsi que le Conseil économique, social et environnemental.

Avant même les nouveaux rythmes scolaires, nous avons mis en place l’accueil des enfants âgés moins de trois ans dans les zones difficiles, ainsi que le dispositif innovant « plus de maîtres que de classes » pour apprendre à lire, écrire et compter. Car tel est bien mon objectif. À cet égard, trop de confusion a été semée du fait de polémiques qui n’étaient pas à la hauteur du travail que nous avons engagé.

Je pourrais citer les mesures que nous avons prises pour l’éducation prioritaire, pour le métier d’enseignant et, avec votre aide, pour la pérennisation des contrats des personnels qui accompagnent les enfants en situation de handicap, mais aussi contre le harcèlement ou pour la sécurité dans les établissements. La refondation n’a donc pas commencé par les rythmes scolaires !

Au moment de la réforme des rythmes, je me suis tourné vers certains adultes pour leur demander s’ils voulaient contribuer à cet effort. C’est là que la chose est devenue difficile.

J’ai entendu vos arguments. Dans le fond, ajouter une demi-journée de classe, cela relève de la responsabilité de l’éducation nationale. Vous dites avoir des hésitations sur la justification de cette demi-journée. N’en ayez pas ! Vous ne trouverez aucun chronobiologiste, aucun professeur – et voilà deux ans de cela, aucun député ou aucun sénateur... – pour nier que l’allongement de douze à quinze heures favorisera l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul au cours préparatoire, et ce d’autant plus que cette demi-journée est ajoutée le matin, c’est-à-dire au moment où les enfants sont les plus vigilants. C’est une bonne mesure !