M. Charles Revet. Il y a du travail à faire !

M. Jean Desessard, rapporteur. Le professeur Sicard considère que cette situation est sans doute liée à l’origine parlementaire du texte, qui n’a pas bénéficié du plein appui des administrations.

Pour ma part, je considère que c’est non pas l’inertie de l’administration qui est en cause, mais le refus du législateur de passer à l’acte. En effet, la législation actuelle entretient le flou, car l’aide médicalisée à la fin de vie n’est pas assumée légalement, ce qui nuit à la publicité des dispositions de la loi Leonetti.

C’est pourquoi, mes chers collègues, pour faire connaître ces dispositions, il faudra, à terme, voter la présente proposition de loi. Il est temps pour nous de prendre position et de passer à l’acte !

Le malade en fin de vie, s’il est en mesure de s’exprimer, peut demander la fin des traitements qui le maintiennent en vie. Dans plusieurs cas, comme celui des patients sous dialyse ou sous assistance respiratoire, cela entraînera la mort à brève échéance. Dans d’autres cas, comme celui des patients en coma végétatif, l’absence de traitement ne changera que peu l’état de santé du malade. C’est la fin de la nutrition et, surtout, celle de l’hydratation qui entraîneront le décès.

L’augmentation progressive des traitements antidouleur jusqu’au point de donner la mort est déjà possible dans le cadre de la loi Leonetti. Néanmoins, la sédation profonde ou terminale n’est pas possible à la demande du patient. Sur ce point, dans l’ensemble des rapports qui ont été remis, une évolution de la loi est préconisée ou admise : on respecterait la volonté de la personne, sans pour autant donner une mort immédiate.

Mais, dès lors qu’on accepte de faire advenir le décès, pourquoi refuser que celui-ci soit immédiat, par un acte volontaire ? L’argument que j’ai le plus souvent entendu serait la violence de l’acte pour les familles et les personnels chargés de l’injection létale. Pour ces derniers, donner la mort signifierait de surcroît la perte d’un repère fondateur de leur mission de soignants.

Il m’apparaît cependant que la position des professionnels de santé varie considérablement d’un pays à l’autre. Au Québec, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et le Collège des médecins du Québec ont sollicité le passage d’une loi sur l’aide médicale à mourir.

L’essentiel est, me semble-t-il, d’admettre une clause de conscience pour l’ensemble des professionnels, sur le modèle de ce qui est prévu pour l’avortement. Cela figure, si je me souviens bien, dans la proposition de loi.

Si la volonté de la personne est claire et libre de toute influence, les professionnels de santé qui sont prêts à le faire devraient pouvoir lui procurer l’assistance qu’elle souhaite pour une mort immédiate et sans douleur.

Reste le cas des personnes qui ne sont pas en fin de vie mais se trouvent réduites à une situation physique qu’elles jugent intolérables. Le seul point de vue qui me paraît fondamental est celui du malade lui-même, qui est, à mes yeux, l’unique personne capable de juger de la dignité de sa vie. La proposition de loi dispose que, dans certains cas précis, ces personnes peuvent également bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.

La situation de fin de vie est complexe et soulève de nombreuses questions. Néanmoins, le débat est aujourd’hui bien engagé au sein de la société et le législateur se doit d’apporter une réponse. Les personnes auditionnées, dans leur très grande majorité, m’ont indiqué qu’il fallait faire évoluer la loi. J’estime que, dans la proposition de loi soumise à notre examen, le sujet est abordé avec lucidité et franchise, mais avec un cadre d’application strict. Je me félicite donc de l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui de débattre de cette question.

Le renvoi à la commission n’est pas un rejet de cette proposition de loi ; il marque la volonté de construire ensemble un texte clair, qui corresponde à la situation et aux interrogations d’aujourd’hui.

Je souhaite que ce débat ait lieu avec toutes et tous et que, en tout état de cause, nous adoptions un texte de loi avant la fin de l’année 2014. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de me réjouir de l’état d’esprit qui prévaut manifestement au moment où nous abordons ce débat.

Celui-ci exige à la fois de la responsabilité et de la gravité. Je ne crois pas qu’il y ait place pour des surenchères, même si nous pouvons avoir parfois, à titre individuel ou collectif, des positions, des attentes, des propositions différentes, y compris lorsque nous convenons que la loi doit évoluer.

Le respect qui doit entourer nos échanges est le meilleur atout du succès de ce débat, qui s’engage d’ailleurs dans un contexte difficile, certaines affaires venant rappeler l’extrême sensibilité que peuvent aujourd’hui susciter ces questions en France.

Avant d’aborder la présente proposition de loi, je voudrais rappeler ce qui nous conduit à nous interroger sur l’état de notre législation.

Bien sûr, ces interrogations sont liées à l’évolution de notre rapport à la mort.

La fin de la vie est encore la vie. Elle peut arriver à tout âge, même si l’on meurt de plus en plus âgé. À tout âge, la mort est un moment à part entière de l’existence humaine. Elle peut être une période d’extrême solitude, de peur, d’angoisse profonde, mais elle peut aussi se révéler un moment de proximité, de fraternité intense et d’amour vécu en famille, avec les siens, aux côtés de ses proches.

En tout cas, chacun doit pouvoir « vivre sa mort » dans le respect dû à sa personne et à ses convictions ; je souhaite que nous partagions la volonté qu’il en soit ainsi.

La fin de vie nous concerne évidemment toutes et tous, individuellement. Un jour ou l’autre, chacun d’entre nous sera confronté à sa propre finitude, mais il est également confronté à la disparition de ses proches, qu’il s’agisse d’un parent, d’un enfant, d’un ami. La question de la fin de vie relève de l’intime, et, dans le même temps, dit beaucoup de la manière dont une société appréhende la mort. Les conditions dans lesquelles se déroulent les derniers instants, les rites qui accompagnent ensuite le défunt, sont l’expression d’attentes, de valeurs, de besoins aussi.

Chaque société pose un regard sur la mort, un regard qui lui est propre et reste lié aux normes qu’elle produit, aux limites qu’elle pose et à l’état de sa conscience collective. Ce regard n’est pas figé. Il a évolué à travers l’histoire, avec les mutations des contraintes sociales, des attentes de la collectivité.

Comme vient de le rappeler Jean Desessard, le professeur Didier Sicard pose un regard assez désespérant sur notre société en affirmant dans son rapport intitulé Penser solidairement la fin de vie, en introduction, que l’on meurt mal en France aujourd’hui. Notre société a toujours tendance à cacher la mort ; elle l’a surtout institutionnalisée puisque plus des deux tiers de nos concitoyens meurent en établissement. Elle l’a médicalisée alors que les Français sont en attente d’humanité : nous espérons tous que, au moment ultime, nous bénéficierons de bienveillance et de compassion.

Mais la demande d’humanité est aussi une demande de reconnaissance : celle ou celui qui va mourir doit rester jusqu’à la dernière seconde une personne à part entière, et quel que soit l’état dans lequel il se trouve à ce moment.

L’institutionnalisation et la médicalisation de la mort rendent plus difficiles l’expression de la liberté, l’aspiration à l’autonomie et l’exigence absolue de dignité.

Les valeurs collectives de liberté et de dignité : voilà ce qu’il nous revient de concilier.

Je le disais, les conditions de la mort ont été et sont encore largement déterminées socialement. D’une certaine façon, nous assistons à un tournant de l’histoire sociale, car les sociétés contemporaines sont les premières dans lesquelles où se manifeste la volonté de voir prise en compte l’expression de la liberté individuelle à l’heure de la mort.

À cet égard, il est important de récuser toute comparaison avec les pratiques qui ont pu exister en d’autres temps, par exemple dans l’Antiquité. La mort de Socrate n’était que très peu l’expression d’une liberté individuelle : c’était la pression sociale qui amenait l’individu à faire le geste ultime. On a observé et on observe encore aujourd'hui ce phénomène dans des sociétés africaines ou asiatiques très différentes. La pression collective amène l’individu à considérer que le moment est venu pour lui de ne plus peser sur la société parce que, n’étant plus en état de travailler, ne contribuant plus à l’équilibre social, il n’est plus qu’un fardeau.

Une telle conception est exactement l’inverse de celle qui tend à émerger aujourd’hui : loin d’être considérée comme un fardeau, la personne parvenue à un certain stade de sa vie, quel que soit son âge, doit pouvoir exprimer une liberté totalement émancipée de la pression collective, la liberté de choisir si la vie, malgré la souffrance, peut encore être vécue dignement, la liberté de choisir si la douleur – y compris la douleur psychologique – et la dégradation inexorable du corps doivent être abrégées, la liberté de choisir si une maladie grave, qui nous condamne, peut atteindre de quelque manière que ce soit notre dignité.

À l’évidence, nous n’apporterons pas tous, individuellement, la même réponse à ces questions.

M. Roland Courteau. C’est sûr !

Mme Marisol Touraine, ministre. Il ne s’agit pas d’imposer systématiquement une réponse identique. En revanche, il faut se demander dans quel cadre et dans quelles conditions l’expression de cette volonté et cette aspiration à la dignité peuvent être entendues.

Au fond, choisir les conditions de notre fin de vie, c’est peut-être l’ultime liberté dont nous disposerons.

La loi de 2005 a constitué une première étape en la matière. Elle s’est inscrite dans le large mouvement de démocratie sanitaire, engagé en 2002 par le gouvernement de Lionel Jospin, et qui est venu consacrer les droits des malades. Toutefois, cette loi s’est distinguée de ce mouvement.

Elle a été une avancée parce qu’elle proscrit l’acharnement thérapeutique et confère à un patient le droit de refuser d’être soigné lorsqu’il estime que les traitements ne sont plus utiles. Elle brise aussi le monopole de la décision de poursuivre les soins, qui était autrefois celui du médecin, et qui est désormais partagé avec le malade et sa famille. Elle encourage, enfin, le développement des soins palliatifs, car la fin de vie nécessite une prise en charge globale pour soulager les douleurs physiques, mais aussi tenir compte de la souffrance psychologique, sociale et spirituelle du malade et de ses proches. On sait bien que les approches palliatives répondent aux besoins aussi bien du malade que de ceux qui l’accompagnent et qui ont besoin, dans ces moments, d’être soutenus.

Je me réjouis que les deux intervenants précédents aient insisté sur la nécessité de ne pas opposer la réflexion sur le développement des soins palliatifs et celle qui porte sur la fin de vie. Je le dis tant à ceux qui manifestent des convictions fortes en faveur de la reconnaissance de la liberté en fin de vie qu’à ceux qui défendent les soins palliatifs. Ces derniers ne doivent pas percevoir la demande qui s’exprime par ailleurs comme la volonté de remettre en cause le mouvement qu’ils soutiennent, à l’évidence appelé à se poursuivre et à s’amplifier, en particulier pour ceux qui meurent ou souhaitent mourir chez eux. En effet, il ne peut pas y avoir de mort douce ou sereine chez soi sans le développement de soins palliatifs à domicile.

Toutefois, la loi Leonetti ne porte pas sur les droits des malades. Ce texte est avant tout destiné aux médecins, dont elle a encadré les pratiques et les choix jusque-là confrontés à un vide juridique.

Aujourd’hui, si la législation est appelée à évoluer, il convient d’agir en plaçant le patient – je devrais même dire la personne – au cœur de notre démarche et de nos réflexions. (M. Jean-Pierre Godefroy acquiesce.)

Par ailleurs, j’adhère à ce constat, précédemment dressé : la législation actuelle ne répond pas à toutes les situations. (Marques d’approbation sur les travées socialistes.) C’est pourquoi je suis convaincue que notre corpus législatif doit évoluer, afin de mieux prendre en compte les attentes de nos concitoyens, que les précédents orateurs et moi-même avons déjà rappelées : d’une part, disposer d’une plus grande maîtrise de sa fin de vie et, de l’autre, avoir l’assurance de terminer ses jours en accord avec sa conception de la dignité.

À cet égard, plusieurs cas de figure doivent être distingués.

Je souligne d’emblée que le cas de Vincent Lambert est extrêmement particulier.

M. Yvon Collin. Mais tous les cas sont particuliers !

Mme Marisol Touraine, ministre. Je me suis interdit toute instrumentalisation de cette affaire douloureuse, qui constitue au surplus une affaire privée, portée devant la justice. Les juges apporteront une réponse à la famille de Vincent Lambert, à lui-même et à ceux qui l’entourent, notamment aux personnels médicaux qui le prennent en charge.

Au-delà de la réponse apportée à la famille, dans la diversité de ses composantes, que nous enseigne, aujourd’hui, le cas de ce jeune homme ?

Tout d’abord, on constate que notre législation présente des lacunes, ou en tout cas des zones d’ombre qui méritent sans doute d’être éclaircies. Ensuite, on observe qu’il est essentiel de recueillir la volonté du patient : c’est l’enjeu majeur des directives anticipées. Enfin et surtout, on voit que ce cas ne reflète pas l’ensemble des situations auxquelles une réponse peut ou doit être apportée. En refusant de prendre en compte certaines réalités, nous prenons le risque de rester confrontés à l’hypocrisie.

Sur un tel sujet, chacun s’est forgé ses propres convictions, sans doute indissociables du parcours de vie qui l’a construit, des valeurs auxquelles il croit, de ses conceptions de la vie et de la mort. Pour autant, le débat ne peut s’articuler uniquement sur des conceptions, des histoires et des expériences individuelles. Il s’agit d’élaborer un cadre collectif qui soit à la fois socialement légitime et juridiquement sécurisé. Dans le cadre ainsi construit devra pouvoir s’inscrire l’expression de la volonté individuelle, en s’assurant bien entendu que c’est bien celle-ci qui s’exprime et qu’elle ne subit aucune pression.

Sur un sujet aussi sensible, la précipitation serait regrettable. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a souhaité prendre le temps de la réflexion, de l’écoute et de la concertation.

Différentes étapes ont rythmé les débats qui se sont déroulés au cours des dix-huit mois écoulés.

Dès le mois de juillet 2012 a ainsi été confiée au professeur Sicard une mission de réflexion sur cette question, afin que toutes les opinions soient entendues, dans leur pluralité. Son rapport a été remis en décembre 2012. Le Président de la République a alors décidé de saisir le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, en le chargeant de se prononcer sur trois points : premièrement, les directives anticipées ; deuxièmement, les modalités et les conditions permettant à un malade conscient et autonome, atteint d’une maladie grave et incurable, d’être accompagné et assisté dans sa volonté de mettre lui-même un terme à sa vie ; troisièmement, les moyens de rendre plus dignes les derniers moments d’une personne dont les traitements ont été interrompus.

Le CCNE a rendu son avis le 1er juillet 2013. Ses conclusions ont mis en lumière toute la complexité des enjeux soulevés.

Un constat unanime a été dressé quant aux insuffisances de la loi actuelle et au trop faible recours aux soins palliatifs, malgré le déploiement dont ils ont fait l’objet ces dernières années. Par son avis, le CCNE reconnaît également que, s’ils sont fondamentaux, les soins palliatifs ne permettent pas de répondre à toutes les situations de souffrance rencontrées.

M. Jean Desessard, rapporteur. Absolument !

M. Roland Courteau. C’est bien vrai !

Mme Marisol Touraine, ministre. Enfin, il préconise la tenue d’un débat de société sur la fin de vie.

Telle est la démarche qui a ensuite été mise en œuvre.

À l’automne 2013, le CCNE a organisé de façon tout à fait remarquable une conférence de citoyens. Un panel de dix-huit citoyens, constitué par un institut de sondage, a auditionné des personnalités au cours de quatre week-ends, et cela de manière indépendante.

Le 16 décembre dernier, la conférence de citoyens a remis les conclusions de ses travaux et s’est montrée favorable à la légalisation d’une assistance au suicide. Je dois dire ici que les termes dans lesquels s’est exprimée cette conférence de citoyens se distinguent à la fois par leur profondeur et par leur simplicité.

Mme Marisol Touraine, ministre. D’ici à mars prochain, nous attendons un dernier rapport du CCNE. Ce document portera non sur le fond du sujet, mais sur la méthode suivie jusqu’à présent.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le chef de l’État tient à ce que ce débat puisse se poursuivre dans les meilleures conditions et de manière apaisée. Il l’a rappelé lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier : il souhaite que soit rendue possible une assistance médicalisée, de telle sorte que chacun puisse terminer sa vie dans la dignité. Pour autant, il n’a pas défini a priori le contenu de cette disposition, qui ne doit pas nécessairement se traduire en termes médicaux.

Le Président de la République m’a chargée de conduire la concertation préalable à l’élaboration d’un projet de loi. J’entendrai donc, au cours des semaines à venir, les grandes familles de pensée, mais aussi les familles politiques, sans oublier les représentants du monde de la santé, auxquels s’ajouteront des chercheurs et des penseurs : ce sujet est, bien sûr, tout sauf technique ; il est avant tout éthique.

Je souhaite que ces consultations soient menées sans polémique et dans un esprit de rassemblement. (M. Jean-Pierre Godefroy opine.) Cela étant, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, l’immobilisme ne semble pas être une bonne option, et je tiens à ce que nous puissions présenter un projet de loi autour de l’été. Je ne ferai pas pour autant peser sur nos travaux le couperet d’un quelconque calendrier ou agenda prédéfini !

Nous prendrons ensuite le temps nécessaire à la discussion, dans chacune des deux chambres du Parlement. Nos débats seront éclairés par les différents rapports remis, par les avis et par les concertations. Rien ne sera laissé de côté ou passé sous silence. À mon sens, il s’agit là d’une responsabilité que nous devons assumer vis-à-vis des Français. Des millions de familles sont concernées.

Je comprends que les sénateurs du groupe écologiste aient souhaité engager, aujourd’hui, cette discussion, et je les remercie de nouveau d’avoir soulevé cette question dans des termes qui dénotent une grande responsabilité.

Toutefois, compte tenu des travaux engagés, une telle proposition de loi me semble prématurée. C’est pourquoi je souscris à la motion de renvoi en commission qui a été déposée. Le caractère responsable et exigeant, je dirai même la haute tenue du débat que nous consacrons aujourd’hui à cette question nous permet d’espérer le meilleur. (Applaudissements.)

M. Jean Desessard, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en préambule, je me permettrai une remarque de forme.

Si nos collègues du groupe écologiste ont déposé le présent texte, c’était pour que son examen aille à son terme. Une motion de renvoi en commission a été déposée et sera, selon toute vraisemblance, adoptée. Cette procédure, fût-elle utilisée avec l’accord des auteurs de cette proposition de loi, est contraire à l’idée que nous nous faisons des niches parlementaires. Pour notre part, nous considérons qu’il s’agit là d’un contournement de la procédure législative, qui affaiblit le Sénat.

M. Yvon Collin. Ça, c’est vrai !

Mme Laurence Cohen. Je le dis en toute franchise : il eût été plus judicieux de demander la tenue d’un débat. Cela étant, je n’irai pas plus loin dans mes explications sur cette question de méthode. Ma collègue Éliane Assassi exposera plus en détail notre position sur ce point, en s’exprimant contre la motion de renvoi en commission.

J’en viens au débat de fond.

Au sein du groupe CRC, nous sommes unanimes à reconnaître la nécessité qu’il y a aujourd’hui à renforcer le droit existant, à savoir la loi Leonetti, encore trop méconnue des équipes médicales comme des patients.

Il apparaît tout d’abord que nos concitoyens restent inégaux face à l’accès aux soins palliatifs. En 2012, Édouard Ferrand, chercheur en éthique médicale et responsable de l’unité mobile de soins palliatifs à l’hôpital Foch de Suresnes, a analysé 1 500 dossiers de patients décédés dans l’ensemble des services d’un centre hospitalier universitaire parisien entre 2005 et 2009. Ses travaux l’ont conduit à cette conclusion : malgré l’adoption, sept ans auparavant, de cette loi sur la fin de vie, 74 % des patients décédés dans cet établissement qui auraient dû bénéficier de soins palliatifs n’y ont pas eu accès. Ces soins n’ont été décidés que dans 39 % des cas, et seulement 25 % des patients en ont bénéficié dans les faits.

Pis, cette étude révèle que les soins palliatifs ne sont dispensés que dans les derniers instants : en moyenne, ils ne seraient proposés que dans les deux derniers jours de vie.

Mes chers collègues, cette inégalité est également territoriale. Selon l’Observatoire national de la fin de vie, l’ONFV, cinq régions concentrent les deux tiers des lits d’unités de soins palliatifs.

Les membres du groupe CRC, qu’ils soient ou non favorables à l’instauration dans notre droit national d’une disposition légalisant l’euthanasie, sont persuadés qu’il faut enfin rendre pleinement effectif le droit existant. Or on en est loin ! Comment pourrait-il en être autrement quand – toujours selon l’ONFV – seulement 2,5 % des médecins sont formés aux soins palliatifs et aux techniques d’accompagnement des proches qui y sont associées ? Et il faudrait encore étendre ce constat aux équipes médicales tout entières !

En commission, il a été beaucoup question des moyens humains et financiers nécessaires pour mener à bien ce chantier. Curieusement, une certaine unanimité s’est dégagée, au-delà des clivages politiques. Cette situation n’a pas manqué de m’étonner.

En effet, nous nous sommes sentis bien seuls lors du vote de l’ONDAM – objectif national des dépenses nationales d’assurance maladie – pour 2014, dont le niveau était historiquement bas, et par conséquent dangereusement insuffisant pour répondre aux besoins d’un hôpital du XXIe siècle.

Je n’oublie pas non plus le vote négatif du Sénat – exception faite des sénateurs des groupes CRC et écologiste – sur la proposition de loi que j’ai défendue et tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures ou les regroupements de services et d’établissements de santé.

Aussi, je me réjouis de cette nouvelle prise de conscience. Elle devrait nous permettre de voter un ONDAM plus ambitieux pour 2015, et de répondre ainsi aux exigences de soins de qualité tout au long de l’existence, de la naissance à la fin de vie.

Madame la ministre, nous souhaiterions vous interroger sur les moyens que vous entendez mettre en œuvre pour que, enfin, la loi Leonetti soit mieux connue, mieux respectée et réellement appliquée. Pourquoi les décrets d’application n’ont-ils pas été pris ?

Outre la question de la formation des médecins, les membres de la Haute Assemblée partagent une exigence commune : que les professionnels de santé, qui interviennent au quotidien dans un contexte difficile, bénéficient d’une véritable sécurité juridique. Là encore, c’est loin d’être le cas. L’étude que j’ai déjà citée met en lumière le fait que la personne de confiance censée recevoir la volonté du patient n’a été consultée que dans 6 % des cas.

Et que dire des dossiers incomplets ! Dans seulement un quart des cas, les dossiers médicaux font explicitement mention des décisions de limiter ou d’arrêter le traitement prescrit. Cette situation tient, elle aussi, à un défaut de formation des professionnels de santé. Elle est également liée au déficit de personnel dont souffrent nos hôpitaux. Cette situation conduit à reléguer au second plan les démarches administratives quand bien même celles-ci sont indispensables pour garantir les droits des patients et ceux de leurs proches, et pour sécuriser les équipes médicales.

J’en viens à la question fondamentale, placée au cœur du présent texte, à savoir l’inscription dans la loi d’un droit à bénéficier d’une assistance médicalisée à mourir.

Les sénateurs du groupe CRC ont beaucoup travaillé sur cette question, sous l’impulsion de notre collègue et camarade Guy Fischer. Si, en la matière, notre position n’est pas unanime, une très large majorité d’entre nous est, comme en 2011, favorable à l’adoption d’une telle réforme.

Cette mesure revient à sacraliser par la loi l’idée que nul n’est mieux placé que soi-même pour décider de ce que doit être sa fin de vie. C’est reconnaître la liberté individuelle et le respect absolu de la volonté de chacune et de chacun, dès lors que cette volonté ne s’impose pas aux autres. C’est reconnaître le même droit pour toutes et tous à décider, y compris de sa fin de vie. C’est admettre que sa propre humanité, sa propre vie n’appartiennent à personne d’autre qu’à soi-même.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Laurence Cohen. Il s’agit de réduire autant que possible des souffrances psychiques et physiques. Mais il s’agit également de reconnaître – et j’insiste sur ce point – que l’autre, notre proche, est toujours, tant que la loi en juge ainsi, une personne capable, dotée de discernement et d’un libre arbitre qu’il convient de respecter.

Oui, la fin de vie a une dimension philosophique, elle relève de l’histoire personnelle, de l’intime. Mais nous sommes ici pour élaborer des lois qui s’appliquent à tous.

Il est important de rappeler que plusieurs propositions de loi ont été déposées par des groupes de diverses sensibilités. Il aurait sans doute été plus efficace et plus pertinent de privilégier une proposition commune. Cela nous aurait peut-être permis d’aller plus loin dans cet accompagnement.

Notre groupe entend s’inscrire dans cette démarche commune, appelée à nous rassembler. Je me réjouis ainsi, comme l’ensemble de mon groupe, des propos tenus par Mme la ministre et qui font appel à cet esprit de responsabilité. C’est cet esprit qui doit nous amener à mettre en avant ce que nous partageons ici, au Sénat, au-delà de nos divergences politiques. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2005, je suis profondément convaincu de la nécessité de légiférer sur l’assistance médicalisée pour mourir.

Cette question revient régulièrement devant notre assemblée, depuis le vote de la loi Leonetti. Le débat que nous avions eu à l’occasion de son examen avait été particulièrement frustrant. Les groupes socialiste, CRC et Union centriste avaient quitté l’hémicycle avant la fin des débats pour protester contre l’impossibilité de faire adopter le moindre amendement, y compris ceux qui avaient été votés le matin même en commission !

J’ai toujours souhaité que ce débat, si sensible, qui met en jeu nos convictions les plus intimes, dépasse les clivages habituels. C’est pourquoi nous avons préféré travailler sur ces questions en commun, avec les membres d’autres groupes. Cela nous a permis de faire adopter en commission des affaires sociales, il y a trois ans, un texte synthétisant les propositions de loi respectivement déposées par notre collègue communiste Guy Fischer, par notre collègue de l’UMP Alain Fouché et par moi-même ainsi qu’un certain nombre de mes collègues socialistes et écologistes.

Aujourd’hui, pas moins de sept propositions de loi relatives à l’assistance médicalisée pour mourir sont enregistrées au Sénat, rassemblant au total les signatures de quelque 105 d’entre nous. Il est donc temps de sortir de l’immobilisme !

Dans la Comédie humaine, Balzac demandait : « Les souffrances les plus vives, ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié ? »

Ce sujet est délicat. Légiférer sur l’assistance pour mourir, c’est légiférer sur ce qui nous échappe le plus : la mort. Nous ne pouvons pas voter une loi sur la mort, mais nous pouvons faire au mieux pour respecter les individus dans ce moment de l’existence.

Ma détermination à voir une loi adoptée sur cette question n’est guidée que par la place primordiale qui doit être réservée à l’autonomie de la volonté et à la liberté de conscience des individus. Notre rôle de législateur est de permettre aux patients d’être accompagnés dans leur choix, selon leur volonté.

Je suis intimement convaincu qu’il faut faire de la personne concernée le centre de gravité de tout le dispositif. Dans ces moments qui sont la fin de son existence, la considération la plus grande doit lui être accordée. Le droit des êtres humains sur la fin de leur propre vie devrait être absolu. La vie n’appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux procureurs, ni aux juges, ni aux hommes de religion,…