M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité de Rome de 1957, qui visait à poser « les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens », a consacré la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux.

Cela signifiait notamment qu’un prestataire de services établi dans un pays de l’Union européenne avait le droit de détacher temporairement des travailleurs dans un autre pays membre pour y accomplir une mission complexe. Si ce droit offrait un plus grand choix de prestataires et pouvait répondre à une éventuelle pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs bien précis, il n’en reste pas moins qu’il a aussi ouvert la voie à l’optimisation sociale, au dumping social.

Le 17 février 1894, devant la Chambre des députés, Jean Jaurès déclarait : « Ce que nous ne voulons pas, c’est que le capitalisme international aille chercher la main-d’œuvre sur les marchés où elle est le plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle et sans réglementation sur le marché français et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas. » Ce que Jean Jaurès redoutait il y a cent vingt ans s’est malheureusement produit ! Nos salariés ont été confrontés à la concurrence déloyale de prestataires issus de pays dans lesquels les règles de protection des travailleurs sont beaucoup moins exigeantes, et certains employeurs y ont vu l’occasion de disposer d’une main-d’œuvre à bon marché !

Avec la crise économique, le mouvement s’est amplifié. Selon l’excellent rapport de notre collègue Éric Bocquet intitulé « Le travailleur détaché, un salarié low cost ? », le nombre de travailleurs détachés a augmenté de 45 % depuis 2004.

Pour mettre un terme aux dérives et au dumping social, la directive européenne de 1996 relative au détachement de travailleurs, devait « concilier l’exercice de la liberté de fournir des services transfrontaliers et la protection appropriée des droits des travailleurs détachés temporairement à l’étranger à cet effet ». Elle établissait ainsi un socle de conditions de travail et d’emploi, imposé au prestataire de services dans le pays d’accueil pour garantir une protection minimale des travailleurs.

La Cour de justice de l’Union européenne a toutefois quelque peu ébranlé cet édifice protecteur. Selon la jurisprudence qui ressort de quatre arrêts rendus par la Cour entre 2007 et 2008, les droits fondamentaux sont susceptibles de subir des restrictions et des limitations. La Cour a ainsi privilégié les libertés économiques garanties par les traités et privé la directive Détachement des moyens d’atteindre son objectif de protection des salariés détachés.

Le constat est sans appel : les principes édictés par la directive de 1996 sont quotidiennement bafoués par des entreprises sans scrupules, au point que certains ont parlé de l’émergence d’un « nouvel esclave moderne » !

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Françoise Laborde. Les travailleurs parlent rarement la langue du pays dans lequel ils sont détachés, ignorent leurs droits et sont parfois contraints de dormir dans des hangars et sur une simple paillasse. Certaines entreprises n’hésitent pas à facturer à leurs salariés les frais d’hébergement et de nourriture pour compenser les salaires versés en France !

M. Alain Néri. Très juste !

Mme Françoise Laborde. Plusieurs bilans effectués par la Commission européenne et les services de contrôle nationaux ont régulièrement dénoncé les détournements de la directive et les très nombreux cas de fraude. En 2012, on estimait ainsi à 300 000 ou 350 000 le nombre de travailleurs détachés en France, alors que 170 000 d’entre eux étaient officiellement déclarés. S’ils représentent moins de 2 % de la population active, force est de constater que leur forte concentration, en particulier dans les métiers du bâtiment, de l’agriculture et des transports, met en péril nos entreprises, notamment les plus petites, déjà fortement affectées par la crise économique.

La législation européenne en la matière est devenue insuffisante, voire inefficace. Pis, elle est devenue un véritable outil de concurrence déloyale qui déstabilise des pans entiers de l’économie française. L’absence de dispositions concrètes en matière de contrôle participe pleinement à l’explosion de la fraude au détachement.

Ces abus ont conduit la Commission européenne à présenter, en mars 2012, une proposition de directive d’exécution. Je tiens, à ce titre, à saluer l’engagement du gouvernement français, qui a enfin permis de trouver un compromis lors de la réunion du Conseil des ministres « emploi, politique sociale, santé et consommateurs » du 9 décembre 2013. Le texte initial n’était en effet pas acceptable et constituait véritablement une régression pour notre pays. La détermination dont a fait preuve Michel Sapin a permis aux États membres de s’entendre sur un accord globalement satisfaisant pour la France.

Aujourd’hui, il nous est proposé de transposer cette directive d’exécution, adoptée le 16 avril dernier par le Parlement européen. Il s’agit de mettre en place les outils nécessaires pour prévenir et sanctionner le dumping social, notamment en impliquant la responsabilité du donneur d’ordre et du maître d’ouvrage. Nous ne pouvons que saluer l’initiative de nos collègues socialistes de l’Assemblée nationale.

Cette proposition de loi devrait en effet permettre d’endiguer les fraudes, de donner aux corps de contrôle un ensemble de règles visant à la fois à améliorer leur information quant aux situations observables sur le terrain et à orienter leurs contrôles, et de renforcer le caractère dissuasif des sanctions encourues par les contrevenants. Je pense notamment à la possibilité de poursuivre un donneur d’ordre pour les fraudes relevant d’un de ses sous-traitants, au renforcement des pénalités pour les infractions de travail illégal commises en bande organisée, ou encore à la mise en place d’une liste noire sur internet, où figureront les entreprises qui auront été condamnées à une amende de plus de 15 000 euros pour travail illégal. Sur ce point, nous vous proposerons d’ailleurs que l’inscription sur cette liste noire se fasse quel que soit le montant de l’amende.

Les modifications apportées tant par l’Assemblée nationale que par notre commission des affaires sociales vont dans le bon sens et nous y souscrivons pleinement.

Pour autant, comme l’a rappelé la rapporteur, dont je salue l’excellent travail, cette proposition de loi ne suffira pas, à elle seule, à lutter contre les abus liés au détachement des travailleurs. Il faudra envisager l’instauration d’une véritable harmonisation sociale et mettre fin à la dichotomie qui existe entre les règles relatives à la sécurité sociale et celles qui portent sur le droit du travail en cas de détachement. En France, nous devrons également renforcer la coopération entre les différents agents de contrôle, améliorer la réponse pénale et utiliser davantage les sanctions administratives.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du RDSE apporteront leur soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi « visant à lutter contre les fraudes et les abus constatés lors des détachements de travailleurs et la concurrence déloyale ». Je retiens là le titre que vous avez fort pertinemment, madame la rapporteur, fait adopter par la commission des affaires sociales, car il réaffirme l’essence même de ce texte au moment où l’emploi est la première des préoccupations de nos concitoyens.

Permettez-moi, d’ailleurs, de saluer la qualité du travail que vous avez réalisé sur ce texte, dont les dispositions peuvent paraître très techniques alors qu’elles sont éminemment politiques.

Permettez-moi aussi de remercier chaleureusement notre collègue Éric Bocquet, auteur d’un rapport d’information sur les normes européennes en matière de détachement des travailleurs et d’une proposition de résolution adoptée par le Sénat le 16 octobre 2013. Ses travaux permettent de nous éclairer sur la situation exacte des travailleurs détachés et sur les décisions qu’il convient de prendre pour que soit respectée la dignité de leurs conditions de travail.

Nous refusons « l’Europe de la compétition des travailleurs, de la guerre civile des droits sociaux, l’Europe où la pauvreté des uns fait le malheur des autres, [une Europe qui] serait inéluctablement vouée à s’abîmer dans le rejet de nos peuples et dans les pires errements populistes ». Ainsi s’exprimait Gilles Savary, rapporteur de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, le 18 février 2014, lors de son examen en séance publique.

Ces propos sont essentiels quand il s’agit de transposer la directive n° 96/71/CE, dont l’application a été largement contournée depuis, les orateurs précédents l’ont tous dit. C’est ce qui a conduit la Commission européenne à proposer une directive d’exécution de la directive de 1996, pour en préciser les modalités d’application. Cette directive a été adoptée par le Parlement européen le 16 avril dernier, après des discussions animées et malgré de fortes oppositions de la part de certains États membres. Ces discussions se sont conclues par un accord politique obtenu au Conseil des ministres le 9 décembre 2013, grâce, en particulier, à la détermination du gouvernement français, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.

Quelle est en effet la situation actuelle, à laquelle il convient de remédier ? Les travailleurs détachés, salariés ou non, exécutent leur travail pendant une période limitée sur le territoire d’un État membre autre que celui de leur lieu de travail habituel. Les règles du droit du travail sont celles du pays d’accueil : elles sont regroupées au sein de ce que l’on dénomme le « noyau dur », dont il a déjà été suffisamment question cet après-midi pour que je n’aie pas à y revenir.

J’aimerais mettre l’accent sur une disposition qui, bien que légale, est source de distorsions : le travailleur détaché reste affilié au régime de sécurité sociale de son pays d’origine si le détachement dure moins de deux ans. Ainsi, pour une entreprise, à salaire équivalent, le coût d’un travailleur détaché dans notre pays peut être inférieur d’au moins 30% à celui d’un travailleur exerçant normalement en France.

Force est de constater que le texte que nous examinons aujourd’hui n’apporte pas de solution à ce problème fondamental.

Nous devons prendre acte du fait que le nombre de travailleurs détachés a considérablement augmenté ces dernières années : officiellement, en France, il est passé de 38 000 et 170 000 entre 2006 et 2012. Mais il semble que ce nombre se situe en réalité à ce jour entre 220 000 et 300 000, l’importance de la fourchette faisant clairement apparaître la difficulté qu’ont les pouvoirs publics à appréhender le véritable chiffre.

Cette explosion quantitative du nombre de détachements s’est accompagnée d’une hausse importante des abus et fraudes, comme vous l’avez vous-même relevé, madame la rapporteur, ainsi que beaucoup d’autres intervenants. Parmi les infractions les plus fréquentes, on peut citer : un taux de déclaration moyen très modeste, compris entre 33 % et 50% ; des entreprises prestataires qui ne sont que des coquilles vides ; le non-respect du salaire minimum du pays d’accueil, infraction parfois doublée d’un délit au regard du droit de travail. Ces infractions reposent généralement sur des montages juridiques très complexes, qui rendent la réalisation des contrôles particulièrement difficile.

Il n’est pas question de stigmatiser le principe du détachement, d’autant que, rappelons-le, environ 300 000 Français travaillent à l’étranger et que la France est, derrière l’Allemagne et la Pologne, le troisième pays de l’Union pour l’envoi de travailleurs détachés.

Néanmoins, pour les entreprises et les travailleurs détachés, nous nous devons de proposer des mesures efficaces. Du reste, cette exigence est exprimée unanimement par les organisations syndicales, les organisations patronales, les organisations professionnelles et les inspecteurs du travail.

Les dispositions prévues par cette proposition de loi s’inscrivent dans un triptyque simple : dissuasion en amont, contrôle et vigilance lors de la prestation, sanction en aval.

Le teste qui nous est soumis comporte quatre grands types de mesures.

La mesure phare est l’institution de la responsabilisation solidaire du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage.

S’y ajoute un alourdissement des sanctions.

Vient ensuite la possibilité pour les organisations syndicales d’ester en justice afin de permettre la poursuite d’infractions constatées sans que cela relève d’un souhait des intéressés. Certains s’interrogent sur la validité et l’applicabilité d’une telle mesure. Or de semblables dispositions existent déjà dans le code du travail, en particulier lorsqu’il est question de discrimination ou de harcèlement au travail. Quoi qu'il en soit, cette disposition est importante parce que de nombreux travailleurs hésitent à porter plainte personnellement.

Enfin, figurent des dispositions catégorielles, concernant notamment le BTP et le cabotage routier des marchandises ; notre collège Éric Bocquet a beaucoup travaillé sur ces questions.

Le débat fort intéressant que nous avons eu en commission des affaires sociales a permis de mettre au jour une volonté partagée de lutter contre les abus et les fraudes concernant les travailleurs détachés.

Vous avez beaucoup insisté, madame la rapporteur, sur la nécessité de simplifier les règles en matière de déclaration, de détachement et de solidarité financière, arguant que la simplicité prête nettement moins prise aux détournements. Vous avez d’ailleurs proposé à la commission une réécriture de l’article 1er qui va, me semble-t-il, dans le sens d’une telle simplification.

Vous avez aussi souligné que cette proposition de loi, si importante soit-elle, ne suffirait pas à lutter contre les abus liés au détachement de travailleurs. Nous partageons tous cette analyse, conscients que nous sommes de la nécessité absolue de faire avancer l’harmonisation sociale au niveau européen et de mettre ainsi fin à la dichotomie entre les règles relatives aux différences en matière de protection sociale et celles qui portent sur le droit du travail en cas de détachement. On a évoqué, par exemple, la différence de charges patronales entre la France et la Pologne dans le BTP.

Ce sujet est absolument central et doit donner lieu à des débats dans le cadre de la campagne électorale des élections européennes.

Monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je veux souligner la qualité de nos échanges sur cette proposition de loi. Certes, le sujet est loin d’être clos, mais cela n’empêchera pas le groupe socialiste de voter sans hésitation en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’emploi reste à l’évidence, et sans doute encore pour longtemps, la première préoccupation des Français.

Or l’Europe, il faut le reconnaître, n’est pas toujours perçue par nos concitoyens comme une alliée sur le front de l’emploi. J’avais d’ailleurs, le 13 janvier 2013, interrogé votre prédécesseur, monsieur le ministre, sur la problématique des travailleurs détachés et, plus largement, sur l’avenir d’une Europe sociale, source de progrès, de développement et d’emploi pour tous.

On l’a rappelé, la directive du 16 décembre 1996, au départ conçue comme protectrice des différents marchés du travail européens, est devenue un outil d’optimisation du profit et de dumping social au détriment de la protection des travailleurs. Ce constat se retrouve d’ailleurs dans deux résolutions européennes, l’une adoptée par l’Assemblée nationale le 11 juillet 2013, l’autre par notre assemblée le 16 octobre dernier.

Ces deux textes invitaient également le Gouvernement à faire preuve de fermeté lors des négociations à Bruxelles, notamment en ce qui concerne le renforcement de la marge de manœuvre des États membres dans les procédures de contrôle. Il faut le dire, Michel Sapin et Thierry Repentin ont défendu avec pugnacité cette position devant les États membres, ce qui a conduit à un accord le 9 décembre 2013.

Le Parlement européen, à la suite de cet accord, a voté le projet de directive d’exécution sur les travailleurs détachés, afin que soient renforcés les contrôles et la responsabilisation des entreprises donneuses d’ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants. L’accord doit maintenant être formellement approuvé par le Conseil des ministres.

Il s’agit, mes chers collègues, d’un signal fort : L’Europe n’accepte pas la fraude ou l’abus des règles applicables au détriment des travailleurs détachés !

Par conséquent, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui est le fruit d’une volonté politique portée jusqu’à Bruxelles : celle de renforcer la protection juridique des travailleurs détachés, qui sont de plus en plus fréquemment les victimes de dévoiements de la procédure de détachement des travailleurs.

Je le disais, la directive du 16 décembre 1996 avait pour objet d’encadrer le détachement de travailleurs dans le cadre de prestations de services. Elle dispose notamment qu’une entreprise peut détacher provisoirement ses salariés dans un autre État membre de l’Union européenne, que l’employeur doit alors se conformer aux conditions de travail de l’État membre, tels le respect du temps de travail ou encore le salaire minimum, mais que, en revanche, les cotisations sociales sont versées dans le pays d’origine et calculées selon les règles nationales.

Cette réglementation a, en pratique, été largement détournée, créant des situations inacceptables de dumping social. Notre excellent collègue Éric Bocquet avait d’ailleurs mis en exergue l’« émergence d’un salarié low cost, à bas coût, risquant de créer des tensions sur le marché du travail ». En effet, pourquoi recruter un salarié français quand on peut disposer d’un salarié venant d’un autre État membre et ainsi économiser 30 % sur la masse salariale ?

De nombreuses sociétés d’intérim ont d’ailleurs choisi de s’implanter dans les pays où les cotisations sociales sont faibles ou qui n’appliquent aucun salaire minimum.

Les entreprises qui sous-traitent ont aussi leur part de responsabilité ; elles ne peuvent ignorer totalement la situation des travailleurs détachés au sein de leur entreprise. On sait également que certains secteurs sont plus touchés que d’autres, comme ceux du bâtiment ou des transports.

En France comme partout en Europe, le nombre de travailleurs détachés ne cesse d’augmenter. L’insuffisance des dispositions de la directive de 1996 explique cette explosion de pratiques pernicieuses, consistant à contourner sciemment la législation à des fins d’optimisation des bénéfices. Notre collègue Anne Emery-Dumas, rapporteur, a parfaitement mis en relief la complexité des situations frauduleuses pouvant être liées aux règles de détachement ou constitutives de travail illégal, les deux types d’infraction pouvant d’ailleurs coexister.

Cette proposition de loi a donc pour objet, selon l’exposé des motifs, de lutter contre « les fraudes et détournements massifs qui consistent à utiliser le négoce de main-d’œuvre bon marché comme argument de concurrence », en vue de mettre fin à l’émergence de cet esclavage moderne.

Elle prévoit la responsabilisation de manière solidaire du donneur d’ordre et du maître d’ouvrage, mesure centrale qui a. pour corollaires un renforcement des contrôles et une accentuation des sanctions financières.

Il faut souligner que, dans un souci de simplification, la commission des affaires sociales du Sénat a retenu un dispositif unique de solidarité financière applicable au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage, en cas de non-paiement du salaire minimum à un salarié d’un sous-traitant, qu’il soit détaché ou non. Son champ d’application a été logiquement étendu aux entreprises de travail temporaire.

Ce texte prévoit également la possibilité d’ester en justice pour les syndicats de salariés, afin de pouvoir faire constater les infractions sans que les intéressés, pour des raisons que l’on devine, aient l’obligation de leur donner un mandat ad hoc.

Enfin, des dispositions spécifiques pour les secteurs les plus touchés, tels que le bâtiment et les transports, sont prévues.

En résumé, cette proposition de loi est, comme le faisait justement remarquer Anne Emery-Dumas, la traduction de la volonté conjointe du Gouvernement et du Parlement de « construire une Europe sociale à la hauteur des attentes de nos concitoyens, dans laquelle le primat accordé à la concurrence ne doit plus se faire au détriment de la protection des droits des travailleurs ».

C’est pourquoi, mes chers collègues, cette proposition de loi, bien qu’importante, ne constitue à ce stade qu’une étape sur le chemin ambitieux que nous entendons suivre pour construire une Europe sociale forte et solidaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Roland Ries.

M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par les députés socialistes et qui vise à « lutter contre le dumping et la concurrence déloyale » est, selon moi, une formidable invitation à nous emparer d’un sujet d’une actualité brûlante, à savoir le détachement des travailleurs au sein de l’Union européenne, qui s’est développé de façon exponentielle.

Ce sujet est aussi délicat que brûlant dans la mesure où cette possibilité, aujourd’hui transformée en une véritable mise en concurrence généralisée des travailleurs et des différents modèles sociaux, nourrit d’une certaine manière la méfiance, voire le rejet qu’inspire l’Union européenne à une frange croissante de la population. Le détachement illustre également, hélas, les impasses de l’Union en dévoyant un principe noble, celui de la libre circulation des personnes, nécessaire à l’émergence d’une véritable conscience européenne.

L’actualité du sujet se mesure au fait que, loin d’être une abstraction pour nos concitoyens, le principe du détachement dans un pays tiers de travailleurs qui continuent à être affiliés au régime de protection sociale de leur pays d’origine fait chaque jour sentir ses effets.

Cette disposition européenne s’applique avec une intensité particulière dans les zones frontalières, telle ma région, l’Alsace.

C’est précisément pour faire état des inquiétudes de nos concitoyens à cet égard que, le 18 décembre 2012, dans cet hémicycle, j’avais interpellé le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, sur le contexte de distorsions de concurrence avec leurs voisins européens dont souffrent les producteurs de fruits et légumes français, et plus particulièrement les producteurs frontaliers.

Parmi les éléments de réponse du ministre figurait déjà en bonne place la question de la directive européenne de 1996 relative au détachement des travailleurs et de son processus de révision, ou plutôt d’application. Il m’avait en effet indiqué que la France soutenait la refonte de cette directive afin de remettre un peu d’ordre dans le marché unique européen.

Un an plus tard, le 9 décembre 2013, lors de négociations au Conseil de l’Union européenne sur la proposition de directive d’application de ce texte, Michel Sapin, alors ministre du travail, a obtenu des avancées importantes. Ces dernières visaient à faire en sorte que les États membres restent libres de déterminer les documents pouvant être exigés auprès des entreprises dans le cadre des contrôles sur la liste des mesures de contrôle nationales et que, dans le secteur de la construction, la responsabilité des contractants soit conjointe, solidaire et obligatoire.

Depuis, la proposition de directive d’application a été adoptée en session plénière, le 16 avril dernier, par le Parlement européen de Strasbourg. Je crois pouvoir dire que ce vote a constitué une première victoire politique contre le dumping social. Nous sortons en effet du seul principe d’« espace de concurrence libre et non faussée » pour entrer dans le domaine de la protection des acquis sociaux des travailleurs. Ce vote était donc porteur d’une autre vision de l’Europe, une Europe du progrès social, avec la perspective d’une révision complète du texte de 1996, au lieu d’une simple directive d’application de ce texte, telle qu’elle est proposée aujourd’hui.

Cet accord obtenu par Michel Sapin à la fin de l’année 2013, puis confirmé par le Parlement européen, représente un premier pas important. Il témoigne, à mon sens, de la détermination du gouvernement français à mener la lutte contre le dumping social, qui passe notamment, nous le savons, par une plus grande harmonisation sociale et fiscale de nos modèles nationaux, que nous appelons depuis longtemps – trop longtemps, dirai-je ! – de nos vœux.

Il importe, en effet, de mettre un terme à ce mouvement mortifère de divergence sociale et fiscale entre les États membres de l’Union européenne. Cette réalité d’aujourd’hui mine la croyance en l’Europe elle-même. J’ai, pour ma part, toujours milité en faveur d’une Europe des peuples, une Europe pensée comme un espace de coopération, plutôt que de concurrence débridée dans une zone de libre-échange généralisé où le marché est le seul régulateur.

Comme l’ensemble des sociaux-démocrates du continent européen, je pense que le marché est évidemment un moteur de développement, mais qu’il est aveugle et qu’il doit impérativement être régulé par les lois nationales et les directives européennes. C’est le fond même de la pensée économique des socialistes et des sociaux-démocrates.

Je salue d’ailleurs l’inscription à l’ordre du jour de la séance du 20 mai prochain, à la demande de la commission des affaires européennes du Sénat, d’un débat sur les perspectives de la construction européenne : il nous offrira une nouvelle occasion de préciser notre vision d’une Europe progressiste.

Pour l’heure, il nous appartient de nous prononcer sur la présente proposition de loi. Comme le résume très bien Mme Emery-Dumas dans son rapport, ce texte poursuit quatre objectifs majeurs : assurer une transposition extrêmement rapide de certaines dispositions de la directive tout juste adoptée ; mettre en œuvre certaines préconisations de la résolution européenne de l’Assemblée nationale, telle que la liste noire des personnes condamnées pour travail illégal à une amende supérieure à 15 000 euros, seuil sur lequel on peut d’ailleurs s’interroger ; renforcer l’arsenal juridique pour lutter contre le travail illégal ; répondre aux enjeux liés au cabotage routier. Sur ce dernier point, par exemple, les véhicules de moins de 3,5 tonnes seront soumis aux mêmes règles de cabotage que les poids lourds, afin de mettre un terme à une concurrence déloyale qui porte atteinte aux entreprises françaises de transport.

L’adoption de cette proposition de loi sera donc un nouveau signe fort de l’action collective que nous pouvons mener ensemble contre le dumping social. C’est en effet une action coordonnée des parlementaires au niveau national et au niveau européen, avec l’appui ferme du Gouvernement au Conseil de l’Union européenne, qui doit nous permettre aujourd’hui de muscler notre arsenal législatif et, par là même, de protéger notre modèle social national.

Selon le fabuliste Ésope, la langue est à la fois la meilleure et la pire des choses. Je dirai qu’il en va de même pour la concurrence : elle est la meilleure des choses si elle permet la croissance et le développement, mais la pire des choses si elle aboutit à la surexploitation des travailleurs pour emporter des marchés. C’est ce dumping social qu’il nous faut combattre.

Nous soutenons ce texte qui va dans le bon sens, même s’il reste encore bien du chemin à parcourir pour parvenir à l’harmonisation fiscale et sociale et protéger ainsi efficacement et durablement les salariés de nos entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)