Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, chargée du numérique. Madame la sénatrice, Mme la garde des sceaux vous prie de bien vouloir excuser son absence, les contraintes de son agenda ne lui permettant pas d’être parmi nous ce matin.

Vous avez bien voulu appeler son attention sur les conséquences qu’aurait la création des tribunaux départementaux dans le cadre de la réflexion sur la justice du XXIe siècle, et plus particulièrement sur la disparition du tribunal de grande instance de Castres, dans le département du Tarn. Vous vous faites ainsi l’écho des professionnels de justice de la région, qui souhaitent le maintien de cette juridiction.

Il me semble important de rappeler le contexte et la méthode. Conformément aux engagements pris par Mme la ministre de la justice, à la suite des préconisations du rapport Daël, et contrairement aux orientations du gouvernement précédent, plusieurs juridictions ont été rouvertes : les TGI de Tulle, Saint-Gaudens et Saumur fonctionneront en septembre prochain. Des chambres détachées ont aussi été créées, là où cela s’avérait nécessaire. La démarche de la Chancellerie est ainsi de renforcer la justice de proximité, au plus près des besoins des citoyens.

C’est dans cet objectif que Mme la garde des sceaux a engagé une réflexion sur l’organisation judiciaire de première instance, laquelle, après le débat national des 10 et 11 janvier dernier à la maison de l’UNESCO à Paris, s’est poursuivie dans l’ensemble des juridictions. Toutes ont répondu, et l’ensemble des professions du droit a été consulté. Les contributions sont très nombreuses, et l’analyse des services de la Chancellerie sera prochainement communiquée.

Vous le voyez, il s’agit d’une consultation de très grande ampleur, réalisée sur l’ensemble du territoire national, la méthode consistant à analyser les besoins locaux.

Mme la ministre annoncera prochainement, conformément au calendrier qu’elle avait fixé, les premières mesures de la réforme judiciaire.

Je peux d’ores et déjà vous confirmer, comme Mme Taubira l’a fait devant le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers, ainsi qu’auprès de tous les parlementaires qui l’interpellent sur ce sujet important, qu’aucun tribunal de grande instance ne sera supprimé.

La réforme judiciaire permettra à la justice d’être au plus près des besoins de droit et le Gouvernement sait combien ils sont importants dans votre région.

Nous mesurons tout l’attachement que vous-même et vos concitoyens portez au maintien du service public de la justice sur votre territoire. Soyez assurée de l’attention que Mme Taubira porte à la situation de la région Midi-Pyrénées, et plus particulièrement au département du Tarn.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.

Mme Jacqueline Alquier. Votre réponse témoigne de l’attention que vous portez à la situation du Tarn et aux réflexions qui ont pu être menées. Nous souhaitons être entendus, dans la mesure où nous avons déjà interpellé plusieurs fois le Gouvernement sur ce sujet.

Mme la présidente. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante, en raison du retard que nous avons pris au cours des réponses aux questions orales.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures quarante, sous la présidence de Mme Christiane Demontès.)

PRÉSIDENCE DE Mme Christiane Demontès

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Débat : « Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? » 

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, le débat sur la question : « Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? » (rapport d’information n° 388).

La parole est à M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective.

M. Joël Bourdin, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis toujours très heureux lorsque les travaux de la délégation sénatoriale à la prospective parviennent jusqu’à la séance publique et y suscitent un débat tel que celui qui s’ouvre.

Ces occasions nous permettent de prendre un peu de hauteur, ou plutôt de recul, en réfléchissant ensemble à un horizon qui n’est pas celui du court terme. Tel est l’exercice auquel nous nous apprêtons à nous livrer, sur un sujet particulièrement difficile : la pauvreté.

Dans la mesure où aucun organe équivalent n’existe à l’Assemblée nationale, vous ignorez peut-être, madame la secrétaire d’État, que la délégation sénatoriale à la prospective a pour vocation de déceler les évolutions économiques et sociales pour les porter à la connaissance du Sénat. Ses membres ont aussi pour tâche, si ces transformations ne leur paraissent pas aller dans le bon sens, de susciter les textes de loi, les infléchissements de politique et les actions positives propres à en corriger la trajectoire à moyen ou à long terme.

Le phénomène de la pauvreté, qui est l’objet de ce débat, n’est malheureusement pas nouveau, même dans nos pays riches ; mais ce qui a poussé Yannick Vaugrenard à écrire son rapport d’information, c’est le constat que la pauvreté devient héréditaire : elle se transmet de génération en génération, comme le ferait une malédiction.

Pour trouver les moyens de briser cet enchaînement tragique, M. Vaugrenard a entrepris un travail très approfondi, faisant preuve, sur ce sujet sensible, d’une grande détermination et d’une implication personnelle que je salue.

Bien évidemment, il n’a pas la prétention d’avoir entièrement exploré ce domaine qui apparaît sans limite mais, pour avoir suivi de près ses travaux, je sais combien il s’est attaché à consolider sa réflexion.

Conformément à notre processus de maturation interne à la délégation, nous avons achevé notre réflexion, avec la présentation d’un rapport, par un atelier de prospective, ce qui nous permet de rassembler les parties prenantes et de les faire dialoguer entre elles, et avec nous, bien sûr.

Je dois dire que celui que nous avons tenu en février dernier à cette occasion était particulièrement fructueux, ne serait-ce que parce qu’il a permis de donner la parole, ce qui n’est pas si fréquent, aux personnes en situation de pauvreté elles-mêmes et aux associations caritatives qui s’impliquent activement à leurs côtés, et dont je veux souligner le dévouement.

Avant de laisser la parole à notre rapporteur, je voudrais indiquer enfin, car sa modestie le conduira à le taire, que son rapport a fait l’objet d’une large couverture de presse qui s’est étendue jusqu’en Tunisie, ce qui veut dire qu’à l’étranger aussi on lit les rapports du Sénat quand ils sont bons !

En souhaitant que notre débat d’aujourd’hui soit constructif, pragmatique et porteur d’espoirs pour les millions de nos concitoyens qui vivent dans la précarité, je vous remercie, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, de votre présence et de votre écoute. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous dire combien je me réjouis de la tenue de ce débat, qui fait suite au rapport que j’ai présenté en février dernier à la délégation à la prospective sous le titre Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !

C’est en effet animé par la conviction qu’il n’était plus possible d’accepter l’inexorable progression de la pauvreté et de l’exclusion que j’ai proposé à la délégation d’engager un travail sur ce thème.

Je veux ici remercier le président de la délégation, Joël Bourdin, qui a soutenu cette proposition, et les deux administrateurs qui m’ont accompagné avec disponibilité et grande efficacité.

« Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue », écrivait Simone de Beauvoir. Nous ne pouvons plus nous mettre la tête dans le sable et ignorer la triste réalité : la France, certes, est un pays riche. Et pourtant plus de 14 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie médian, soit 977 euros par mois ; la pauvreté touche près de 9 millions de personnes et près de 4 millions de ménages.

Plus déstabilisant, plus choquant encore, un enfant sur cinq est pauvre ; dans les zones urbaines sensibles, c’est même le cas d’un enfant sur deux.

Nous devons nous rendre à l’évidence : le système, tel qu’il est actuellement conçu, ne protège plus contre l’exclusion. Et je ne vois pas que l’on puisse se résigner à ce « raz-de-marée de la misère », un raz-de-marée d’autant plus dramatique qu’il est devenu très silencieux.

Peut-être jugez-vous que le fait de conduire une démarche prospective sur le thème de la pauvreté était une entreprise originale, singulière, voire téméraire. Je pense très modestement qu’elle a eu le mérite de nous mettre dans l’inconfort et de nous obliger à reconsidérer un certain nombre de principes. C’était un vaste projet et il a été mené avec toute l’humilité que je devais à l’étude d’un sujet qui marque la vie de millions d’hommes, de femmes, mais aussi d’enfants.

Le rapport, dont la délégation a adopté les préconisations, doit beaucoup à l’écoute et à l’échange, notamment avec les associations, dont je veux saluer le formidable travail ainsi que l’engagement quotidien.

Plus de quarante auditions ont été menées. Elles ont été complétées par deux déplacements, l’un à Bruxelles, pour examiner la situation au niveau tant de l’Union européenne que de la Belgique, l’autre dans la Loire-Atlantique, un département investi dans l’action et l’innovation, et dont les initiatives méritaient d’être observées.

Toutes ces rencontres, que ce soit au Sénat ou sur le terrain, particulièrement à l’occasion de deux maraudes de nuit avec les équipes du SAMU social de Paris, ont été pour moi riches d’enseignements : j’ai pu m’entretenir avec des élus, des personnalités, des universitaires, des responsables administratifs et associatifs, sans oublier, bien sûr, des personnes en situation de pauvreté. Toutes et tous ont contribué, par leur expertise et leur expérience, à nourrir la réflexion et à nous aider à dégager des pistes d’amélioration.

Pour se projeter dans l’avenir, il faut partir du présent. Tel est le préalable à toute démarche prospective. Après les quelques données que j’ai déjà citées, j’irai plus loin dans l’analyse chiffrée pour démontrer l’impérieuse nécessité d’une prise de conscience collective.

Loin de diminuer, la pauvreté est un phénomène aux multiples visages, qui se durcit, se transforme et s’étend à de nouvelles populations. Si elle touche les jeunes, les familles, les chômeurs et les habitants des banlieues des grandes villes, elle frappe également les personnes âgées, les mères isolées avec souvent un seul enfant, les travailleurs précaires et de plus en plus les populations des territoires ruraux. Plusieurs facteurs m’ont apparu comme particulièrement marquants.

Le premier d’entre eux, ainsi que l’a souligné le président de la délégation, est la banalisation de l’hérédité de la pauvreté. Déjà, en 2008, la mission commune d’information sénatoriale sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion faisait ce constat à la fois inadmissible et insupportable : « Trop souvent, on naît pauvre, on le reste, on ne le devient que plus rarement. »

J’ai déjà évoqué les enfants pauvres, qui sont 3 millions dans notre pays. Les jeunes de moins de vingt-cinq ans ne sont pas mieux lotis : ils représentent 42 % de la population pauvre alors qu’ils ne forment que 30 % de la population totale.

Si des enfants sont pauvres, c’est parce qu’ils vivent dans des familles pauvres, lesquelles sont de plus en plus souvent monoparentales. Il s’est produit, au cours de ces dernières années, un changement notable dans la constitution sociale des ménages pauvres en France : désormais, le nombre de personnes pauvres vivant dans des familles monoparentales est bien supérieur au nombre de pauvres vivant dans des familles nombreuses.

À la tête de ces familles monoparentales on trouve essentiellement des femmes, dans neuf cas sur dix. Celles-ci subissent une double précarisation, parce qu’elles occupent très souvent des emplois sous-qualifiés, qu’elles subissent des temps partiels contraints, morcelés et peu rémunérés, mais aussi en raison des versements irréguliers, aléatoires, voire totalement inexistants, de la pension alimentaire.

J’évoquerai également le coût du logement. Alors que celui-ci a connu, en dix ans, une augmentation sans précédent, avec un doublement du prix d’achat, dans le même temps, les dispositifs censés atténuer les difficultés de logement, à l’instar des aides personnalisées au logement, ont été fragilisés.

Par ailleurs, ne nous voilons pas la face : pauvreté et inégalités sont indissolublement liées. Les deux dernières décennies ont en effet été marquées par une augmentation à fois des inégalités de revenus et du nombre de pauvres.

Ainsi, dans notre pays, les 10 % les plus riches accaparent la moitié de la fortune nationale quand les 50 % les moins fortunés ne s’en partagent que 7 %. Entre 2008 et 2011, le pouvoir d’achat des 10 % les plus pauvres a reculé de 3,4 % tandis que celui des 5 % les plus riches augmentait de 3,5 %.

Par conséquent, la lutte contre la pauvreté ne peut s’exonérer d’une réflexion sur les inégalités, d’autant que celles-ci ne sont pas uniquement financières.

À ce stade, je voudrais souligner, pour le déplorer, un point essentiel : c’est notamment en France que l’origine familiale et sociale des élèves pèse le plus lourdement sur leur réussite scolaire.

Aujourd’hui, dans notre pays, sept enfants d’ouvriers sur dix sont ouvriers et sept enfants de cadres sur dix sont cadres.

L’impact déterminant de l’origine familiale et sociale dans la réussite scolaire a été pointé par l’OCDE, lors de sa dernière enquête triennale PISA, menée en 2012, ce qui l’a amenée à conclure : « En France, lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui moins de chances de réussir qu’en 2003. »

M. Alain Fouché. C’est vrai !