Mme la présidente. Nos collègues Georges Patient et François Marc, qui étaient également inscrits dans la discussion générale, ont subi des retards d’avion et ne peuvent être présents aujourd'hui.

La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Madame la présidente – je suis heureux de vous saluer dans les fonctions qui sont aujourd'hui les vôtres –, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie, tout d'abord, de bien vouloir excuser mon absence de ce matin. Le conseil des ministres ayant, de manière inhabituelle, été fixé au jeudi matin, je n’ai pas eu le plaisir d’être à vos côtés. Toutefois, Christian Eckert vous a écouté avec beaucoup d’attention et il tiendra, je le sais, à apporter sa contribution à vos travaux.

Je le dis sans malice, le débat d’aujourd'hui est un débat utile, comme l’était d’ailleurs le débat d’hier. Quelle que soit sa majorité, la Haute Assemblée fait toujours preuve d’esprit critique, et c’est nécessaire dans une démocratie, mais elle a également le sens de la proposition et de l’attitude raisonnables, dans un contexte qui n’est évidemment pas simple.

La situation de la France n’était déjà pas simple il y a deux ans et demi. Chacun le sait, la question du déficit, de la dépense publique, de l’évolution du prélèvement obligatoire et des impôts ne s’est pas posée uniquement à compter de mai 2012 ! La difficulté existe depuis longtemps, elle s’est manifestée tout particulièrement au cours des dernières années, à la suite d’une crise financière et bancaire, certes internationale, certes européenne, mais, en l’occurrence, subie également par la France.

La situation a entraîné une augmentation tout à fait imposante de l’endettement. M. Bouvard, notamment, connaît bien ce sujet pour l’avoir suivi déjà depuis l’Assemblée nationale. Les emprunts considérables des années 2009 et 2010, fixés pour une durée de cinq à six ans et qui parviendront à échéance en 2014, 2015 et 2016, rendent nécessaire une gestion particulièrement méticuleuse de notre dette pour éviter que le poids des remboursements – au sens strict, ceux-ci n’en sont pas, car nous remboursons pour nous endetter de nouveau – ne pèse trop significativement sur l’évolution des finances publiques. Le contexte est donc difficile.

Comment Christian Eckert et moi-même, en concertation avec le Premier ministre et le Président de la République, avons-nous voulu concevoir ce budget ?

Pardon de le dire ainsi, en contradiction avec certaines de vos critiques, mesdames, messieurs les sénateurs, mais il s’agit avant tout d’un budget de vérité, tenant compte de la situation actuelle. Nous avons même voulu, au cœur de l’été, mener une opération « vérité », laquelle a conduit le Gouvernement à revoir dès le mois d’août dernier le niveau du déficit prévu pour 2014. En effet, nous ne souhaitions pas courir, de décimale en décimale, derrière un déficit public dont nul n’ignore qu’il sera cette année bien supérieur à celui qui avait été annoncé.

Le déficit 2014 de la France est désormais attendu à 4,4 % de PIB. Le chiffre est élevé, mais il n’est pas contesté. Je puis aujourd'hui vous le garantir, dans la mesure où un engagement de cette nature est possible, sachant que le déficit des finances publiques n’inclut pas uniquement celui de l’État, mais comprend aussi celui de la sécurité sociale, dont la régulation est possible, et le « financement » – qu’il ne faut jamais appeler « déficit » –, des collectivités locales, qui vient soutenir l’investissement, mais qui n’est évidemment pas à la main de l’État, même si le Gouvernement peut chercher – vous en êtes témoins ici et vous le critiquez parfois – à influer sur le niveau des dépenses.

Oui, cette année, nous tiendrons le déficit au niveau qui a été annoncé au mois d’août dernier, grâce à notre volonté de prendre en compte, au plus près de la vérité, la situation économique de notre pays en 2014.

J’ai, dès le mois d’août dernier, annoncé que nous ne dépasserions pas 0,4 % de croissance. Les derniers chiffres sont finalement un peu meilleurs. Il est d'ailleurs agréable, de temps en temps, de constater que la situation économique de la France est plus enviable que celle de l’Allemagne…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !

M. Michel Sapin, ministre. En effet, le PIB français a progressé de 0,3 % au cours du troisième trimestre, soit trois fois plus que l’Allemagne, preuve que la difficulté est commune à beaucoup d’autres pays.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez l’occasion cette année de vous interroger point par point sur le financement de tous les services publics. Toutefois, au fond, qu’est-ce qu’un budget, au-delà du financement de telle ou telle action publique, si ce n’est d’abord et avant tout une arme économique au service de notre pays ? En quoi ce projet de loi de finances favorisera-t-il une croissance supérieure à celle que nous connaissons actuellement ? Permettez-moi d’apporter quelques éléments de réponse à cette question légitime que beaucoup d’entre vous se posent.

Partons de la situation française, qui doit être replacée dans le contexte européen. Notre pays – est-ce un bien, est-ce un mal ? – est exactement dans la moyenne de la zone euro : même niveau de croissance – trop peu élevée –, même niveau d’inflation – trop faible – et quasiment même niveau de chômage, puisque nous sommes fort heureusement un peu en dessous de la moyenne – trop forte !

En 2008, nous avons fait face à une crise financière et bancaire, qui venait en grande partie de l’extérieur, mais qui a frappé davantage le continent européen qu’elle n’a touché le pays où elle est née, à savoir les États-Unis. En effet, en raison des fragilités inhérentes à l’Europe et à la France dans ces secteurs, le choc a été pour nous très puissant. Puis, nous avons dû affronter une deuxième perturbation, une sorte de contrecoup, si je puis dire : la crise de la dette publique, en particulier celle de certains États de la zone euro.

Fallait-il accepter que la zone euro régresse, que l’euro soit mis en cause et que, éventuellement, au bout du compte, toutes les avancées de la construction européenne soient réduites à zéro ? Nous avons réagi au cours des années 2011, 2012 et 2013 en « serrant les boulons » sur le plan budgétaire pour éviter que la catastrophe des dettes publiques de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal et de l’Irlande n’emporte avec elle la totalité de la zone euro.

Nous connaissons maintenant une troisième phase. Il ne s’agit pas d’une période de récession, comme celle qui a touché la France en 2008, ou comme celle que certains pays ont traversée en 2011, 2012 ou 2013, contrairement à nous, car nous sommes passés juste à côté. Certains d’entre vous l’ont dit, notamment M. le rapporteur général, nous courrons le risque d’une situation appelée, peut-être un peu facilement d'ailleurs, « à la japonaise » : croissance et inflation beaucoup trop faibles, chômage beaucoup trop fort, le tout pendant beaucoup trop longtemps.

Traverser une crise quand elle dure un an ou dix-huit mois, c’est toujours douloureux. Mais vivre pendant deux, trois ans – nous y sommes –, voire quatre ou cinq ans si l’on ne fait rien, avec une croissance et une inflation très faibles, c’est insupportable ! D’autant que le tissu économique lui-même est déjà extrêmement meurtri, ainsi que le tissu social frappé par le chômage.

Comment nous attaquons-nous à cette difficulté ? Tout d’abord, en inscrivant dans la continuité un certain nombre de nos décisions.

Premièrement, nous voulons faire en sorte que nos entreprises retrouvent, par le biais des baisses cumulées, année après année, les capacités d’investissement et d’emplois qui étaient les leurs avant la crise, soit en 2007.

Vous avez tous en tête le chiffre gigantesque de 41 milliards d’euros de diminutions de cotisations pesant sur les entreprises en quatre ans, soit un peu plus de 10 milliards d’euros par an. Jamais un effort de cette nature n’a été consenti au cours des dernières années. Cette année, la baisse sera d’un peu plus de 10 milliards d’euros avec le CICE. Elle s’élèvera à 12 milliards d’euros l’année prochaine, et ainsi jusqu’en 2017.

Comment le Gouvernement a-t-il calculé que les aides devaient s’élever à 41 milliards d’euros ? Ce chiffre n’est pas tombé du ciel, il n’a pas été trouvé « au doigt mouillé ». Il s’agit très exactement du nombre de milliards d’euros manquant entre les marges des entreprises de 2007 et celles de 2013, voire de 2012, si je voulais polémiquer un peu ! Une telle chute en cinq ans est l’effet non seulement de la crise, mais également des hausses d’impôts décidées bien avant 2012. Nous rendons cette marge aux entreprises, afin qu’elles retrouvent leurs capacités d’investissement et d’emplois.

Ces mesures seront mises en place dans la continuité. Il y a eu le CICE, mais il y aura aussi bientôt les baisses de cotisations sociales votées avant l’été. Ces dispositifs doivent être financés d’une façon ou d’une autre. L’année prochaine, nous injecterons 12 milliards d’euros. Ce ne sera pas une chose aisée ! J’aimerais que cela soit plus dit, plus reconnu, plus commenté, plus pris en compte et que les contreparties de la part des entreprises soient plus visibles, car celles-ci ont aujourd'hui obtenu plus de sécurité.

À la continuité dans la mise en œuvre de la politique choisie en faveur des entreprises, qui leur offre à la fois visibilité, anticipation et sécurité, s’ajoute la continuité dans la mise en place du pacte de responsabilité et de solidarité. Nous avions pris l’engagement de diminuer un peu en 2014, davantage en 2015, l’impôt sur le revenu, en particulier pour les plus modestes. Promesse tenue ! La baisse pour les contribuables se chiffrera à un peu plus de 3 milliards d’euros l’année prochaine. Plus de 9 millions de ménages seront concernés. Pour tout cela aussi, il convient de trouver des financements.

Deuxièmement, pour faire face à la situation de faible croissance, il est indispensable de ne pas compenser par des prélèvements obligatoires supplémentaires, primo les baisses de cotisations ou de charges, secundo la petite diminution du déficit public. Vous le savez, celui-ci atteindra 4,4 % du PIB en 2014. Nous envisageons de le réduire à 4,3 %, voire plus à la faveur de l’émergence d’une situation nouvelle.

Il nous sera ainsi possible de financer les priorités que sont la recherche, l’éducation ou la défense. En effet, dans le contexte actuel, il est plus que jamais indispensable de maintenir l’effort de 31,4 milliards d’euros annuels prévu dans la loi de programmation militaire. Nous respecterons cet engagement. Rien de tout cela ne sera financé par des augmentations d’impôts.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Très bien !

M. Michel Sapin, ministre. Vous allez me dire : « Enfin ! »

M. Philippe Dallier. Ou plutôt : « Heureusement ! »

M. Michel Sapin, ministre. Oui, mais par rapport à 2010 et à 2011 ; pas uniquement par rapport à 2012 et à 2013 ! Vous le savez, si l’on examine le passé de façon équitable, les responsabilités sont partagées : 30 milliards d’euros de hausses d’impôts pour les uns, 30 milliards d’euros pour les autres !

Quoi qu’il en soit, il fallait s’arrêter là. D’ailleurs, s’il suffisait de conjuguer un taux de prélèvements obligatoires très élevé et une dépense publique très élevée pour obtenir une croissance très élevée, nous serions les champions d’Europe !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous sommes d’accord ! (Sourires.)

M. Michel Sapin, ministre. Aujourd'hui, nous vous proposons une autre manière de faire, fondée sur la maîtrise de la dépense publique. Certains affirment que la dépense ne diminue pas. Ils ont tort : elle baisse pour l’État ! C’est même un des tout premiers budgets où la dépense publique, en euros qui tintent dans la poche, sera inférieure, à la fin de l’année prochaine, à la dépense de cette année. Elle diminuera de plus de 3 milliards d’euros.

Tel n’est pas l’effort qui est demandé aux collectivités locales ni à la sécurité sociale, et c’est bien normal. Nous connaissons tous les contraintes qui sont celles des collectivités, et même vous mieux que d’autres, mesdames, messieurs les sénateurs. Certains d’entre vous ont avancé des propositions pour que ces contraintes s’inscrivent dans le temps, afin d’être intégrées plus facilement. Toutefois, que voulez-vous ? Quand on réclame à chacun des acteurs publics des efforts, on ne va pas exonérer – personne parmi vous, ou presque, ne le demande, d'ailleurs – ceux qui sont responsables de plus de 25 % de la dépense publique, c'est-à-dire les collectivités locales.

Chacun doit faire des efforts dans le sens de la maîtrise ou de la diminution de la dépense, mais de la manière la plus intelligente et la plus fine possible. Certaines diminutions sont dommageables pour la croissance, notamment s’il s’agit d’investissements ; d’autres ne le sont pas. Quelles qu’aient été nos responsabilités – président de conseil général, président de conseil régional, maire, président de communauté de communes, etc. –, nous savons tous que des économies sont également possibles dans les collectivités territoriales, pourvu qu’elles s’inscrivent dans le temps.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et que l’on n’en demande pas de nouvelles tous les jours !

M. Michel Sapin, ministre. Par conséquent, la variable d’ajustement, c’est 50 milliards d’euros d’économies, dont 21 milliards d’euros dès l’année prochaine. J’en connais beaucoup, y compris parmi vous, qui disent : « Il faut faire plus ». Nous faisons déjà beaucoup. Nous faisons même déjà tellement que, sauf erreur de ma part, monsieur le rapporteur général, la majorité sénatoriale ne dit pas comment faire plus d’économies. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Rétablissement du jour de carence, glissement vieillesse technicité, aide médicale d’État…

M. Philippe Dallier. Regardez le solde !

M. Michel Sapin, ministre. Ses membres proposent éventuellement de faire des économies pour dépenser plus ailleurs (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.), mais, au total, ils n’arrivent pas à me démontrer qu’ils proposent des économies au niveau que j’entends parfois évoquer hors de cet hémicycle, sans d'ailleurs que soient jamais cités les chapitres où trouver précisément ces fameuses économies.

Se gaussant presque des 50 milliards d'euros d’économies que nous vous proposons – jamais réalisées au cours des dernières années –, ils nous disent qu’il faut faire 100, 110 ou 120 milliards d'euros d’économies, soit passer du simple au double. J’attends de voir si les propositions du Sénat vont du simple au double en termes d’économies, tout en épargnant les collectivités territoriales, bien entendu… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Bref, il faut agir de cette façon parce que c’est le seul moyen de faire en sorte que la France réussisse – c’est le rôle du Gouvernement, tout d’abord, et le vôtre, ensuite, en tant que représentants du peuple. Nous prenons nos responsabilités,…

M. Thierry Foucaud. À la demande de Bruxelles !

M. Michel Sapin, ministre. … en proposant de faire en sorte que nos entreprises aient les moyens d’investir, que nos déficits continuent à diminuer, même si c’est à un rythme moindre que celui qui était prévu. Nous pensons en effet que, dans la situation actuelle, il faut continuer à diminuer les déficits, même si on ne peut pas le faire au même rythme que celui qui était prévu auparavant, sinon cela pèsera considérablement sur l’ensemble de la croissance.

Nous devons prendre nos responsabilités aussi en termes de maîtrise des dépenses.

Nous devons enfin prendre nos responsabilités – nous avons déjà commencé à le faire – en termes de réformes structurelles. Ce sujet, qui est connexe au précédent, viendra d'ailleurs devant vous dans quelques semaines ou dans quelques mois, et nous pourrons en débattre ensemble. Nous verrons, là aussi, quels sont ceux qui prennent leurs responsabilités en acceptant la mise en œuvre de ces réformes structurelles et quels sont ceux qui les réclament sans pour autant les adopter. Ce sera un moment de vérité, une fois encore, pour les uns comme pour les autres.

J’en viens à la question européenne, un sujet que vous avez été nombreux à aborder, et à juste titre, mesdames, messieurs les sénateurs.

J’ai souligné que la France devait prendre ses responsabilités, et nous vous proposons qu’elle le fasse au travers de l’examen et du vote de ce texte. Mais nous devons aussi le faire à l'échelle européenne. En effet, l’Europe, ce n’est pas une entité anonyme, c'est chacun des pays qui la composent. Face au risque de déflation, diront certains, ou de très faible croissance et de très faible inflation pendant trop longtemps, diront d’autres, nous devons aussi, au niveau européen, prendre nos responsabilités.

Nous ne pouvons pas avoir la même monnaie sans chercher à coordonner nos politiques,…

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Bien sûr !

M. Michel Sapin, ministre. … et à faire en sorte qu’elles soient cohérentes, afin de peser sur la situation de la première zone économique du monde.

Je reviens de Brisbane – cela fait chic de le dire ainsi, mais c’est loin, il faut beaucoup de temps pour y aller, beaucoup de temps pour en revenir et je n’y suis pas resté longtemps… (Sourires.)

À Brisbane, de quoi parlaient les leaders des vingt plus grands pays du monde, des pays comme l’Inde, le Brésil et la Chine, et non plus seulement les pays du G8 ? Ils parlaient de croissance plus forte, en pensant d’abord et avant tout à la zone euro. Ils nous disaient, d’une manière plus polie que celle que je vais utiliser : « Que faites-vous donc chez vous ? Que faites-vous dans cette zone euro qui, aujourd'hui, est à la traîne du monde ? N’y a-t-il pas une responsabilité à prendre ? N’y a-t-il pas quelque chose à faire, des corrections à apporter à la politique que, d’une manière générale, ensemble, vous portez au niveau de la zone euro ? »

La réponse est oui ! Nous devons apporter des corrections. Je ne dis pas que nous devons inverser toutes nos politiques, ni qu’il faut renverser la table. Il ne s’agit pas de créer de nouveau du déficit, en stimulant la demande à grand renfort de dépenses publiques. Nous avons connu cela dans les années 2008, 2009, 2010. La période actuelle exige que nous continuions à faire preuve de sérieux budgétaire, mais à un rythme compatible avec la croissance. Tel est le sujet dont nous débattons au niveau européen.

Aussi, il y a ceux qui ont le logiciel d’hier, celui qui était adapté aux années 2010, 2011, 2012. Ce logiciel était nécessaire à un moment où il fallait resserrer tous les budgets, parce que, sinon, on risquait l’éclatement de la zone euro. Mais aujourd'hui, faut-il appliquer ce logiciel exactement de la même manière, avec le même contenu, les mêmes hiérarchies, les mêmes dates, les mêmes contraintes ? La réponse est non. L’intelligence, c’est d’adapter les logiciels. Il ne s’agit pas d’en changer ; il faut adapter le logiciel à la situation actuelle.

La bonne réponse, que nous avons pu aborder ensemble, hier après-midi, au cours d’un débat extrêmement bienvenu sur ces sujets, et dont je remercie votre collègue Richard Yung d’avoir pris l’initiative, c’est celle de l’investissement.

Il faut défendre l’investissement – public, mais pas seulement. Quand vous défendez l’investissement public dans les collectivités territoriales, vous avez raison, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous pensons qu’il est possible, même si ce n’est pas simple, de mettre en œuvre une maîtrise des dépenses dans les collectivités territoriales, sans pour autant mettre en cause le niveau de l’investissement de ces dernières.

Nous ne vous proposons en aucune manière de diminuer l’effort d’investissement, nous le maintenons. Lorsque nous mettons en place le CICE, nous engageons une réforme qui permet d’encourager les entreprises à investir, en leur redonnant les moyens de le faire. C’est à la fois de l’investissement public et de l’investissement privé. De grâce, n’entrons pas dans une guerre entre investissement public et investissement privé !

Dans le monde d’aujourd'hui, et quels que soient les pays concernés – c’est vrai en Allemagne comme en France – il faut un peu d’investissement public pour provoquer beaucoup d’investissement privé. Il faut marier l’un avec l’autre au travers de dispositifs qui peuvent être différents.

Monsieur Gattolin, permettez-moi d’évoquer la question dite « de la transition énergétique », qui, j’en suis persuadé, est l’un des domaines où l’investissement est le plus décisif, parce qu’il permet d’obtenir très rapidement des résultats.

Être dans la transition énergétique, cela veut dire favoriser le transport local, l’augmentation de l’efficacité énergétique de son bâtiment, de sa maison d’habitation, de son appartement. C’est donc s’occuper de domaines où la stimulation de la demande, de l’activité, du travail est immédiate sur l’ensemble du territoire. La transition énergétique, voilà l’un des grands domaines où l’investissement est absolument nécessaire.

C’est d'ailleurs pourquoi le crédit d’impôt pour la transition énergétique, ainsi qu’il s’appelle désormais, vous en avez parlé, est bienvenu, parce qu’il permettra de stimuler l’investissement privé au service de l’activité sur l’ensemble de nos territoires. Bref, l’investissement est nécessaire, encore et toujours, l’investissement des collectivités territoriales, de l’État et au niveau européen, bien entendu, au travers des 300 milliards d'euros de projets promis par M. Juncker.

Tels sont les éléments que je voulais à ce stade apporter au débat qui nous rassemble, et qui est le vôtre. Quelle que soit l’orientation des uns ou des autres, que ce soit au sein du groupe communiste, du groupe UMP, du groupe UDI-UC et, bien sûr, des groupes de la majorité, nous avons tous la volonté de faire réussir notre pays, de le sortir de la situation qu’il connaît actuellement.

Je terminerai en exprimant une conviction, qui va au-delà de nos débats, au-delà des critiques qui sont indispensables à la vie de notre démocratie.

Nous connaissons la situation. Nous savons quel est le risque. Nul d’entre nous ne peut dire le contraire. En 2007, on pouvait dire : « Je n’étais pas sûr qu’il allait y avoir une crise financière ». Aujourd’hui, nous connaissons parfaitement le risque : trop faible croissance, trop faible inflation pendant trop longtemps. Et nous connaissons les outils à utiliser.

Il n’y a plus qu’une chose à faire, c’est de passer à la décision, que ce soit au travers du budget que nous vous proposons aujourd'hui, ou au niveau européen. J’espère que nous verrons se traduire cette décision au cours des semaines, peut-être même des jours qui viennent. Lundi prochain, déjà, la Commission européenne formulera un certain nombre de propositions, et les chefs d’État et de gouvernement auront, les 18 et 19 décembre, à porter, ensemble, ces projets globaux de la Commission, donc de l’Europe.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons la capacité de décider et nous décidons. À vous maintenant d’agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Je voudrais remercier l’ensemble des intervenants de la qualité de leurs propos, apporter un certain nombre de précisions et contribuer aux débats qui vont se poursuivre pendant plusieurs jours encore. Nous avons d'ailleurs déjà eu l’occasion de discuter ensemble de ces sujets, notamment à l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques.

Si j’évoque ce projet de loi de programmation des finances publiques, monsieur le rapporteur général, c’est parce que, à cette occasion, vous aviez supprimé les tableaux de trajectoire. Cela nous avait semblé un peu curieux, mais il nous avait été dit alors : « Soyez patients, lors de l’examen du projet de loi de finances, vous aurez toutes les informations. » Je reste donc quelque peu sur ma faim. En effet, je ne vois toujours ni trajectoire ni solde pour 2015 – peut-être les aurons-nous avant Noël… – et je les vois encore moins pour 2016-2017. Je suis donc quelque peu surpris.

Bien sûr, je lis la presse et je vous ai attentivement écoutés, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale. Or j’ai entendu davantage un réquisitoire contre le passé qu’un programme pour l’avenir.

Tout le monde semble s’accorder – vous en avez parlé, monsieur le rapporteur général, ainsi que Mme Des Esgaulx – sur l’utilité de l’écotaxe. Toutefois, pourquoi n’avez-vous pas proposé son retour sous cette forme ou sous une autre ? Vous avez le droit d’amendement. Sa suspension, avez-vous dit, est une catastrophe. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire hier soir à l’occasion d’un autre débat ici même, je n’ai pas vu beaucoup de sénateurs UMP se dresser devant les manifestants ; j’ai même vu de nombreux députés UMP prendre la tête des protestations contre l’écotaxe.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ici, nous sommes au Sénat !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il faut, à un moment donné, être cohérent. Vous avez la possibilité, au travers de ce projet de loi de finances, d’inscrire vos propositions, sinon dans le marbre, du moins dans la loi. Cela dit, j’en ai entendu formuler quelques-unes, même si je regrette que des propos systématiques et récurrents ne soient pas traduits dans les faits.

Je voudrais évoquer tout d'abord la fiscalité locale, en particulier les baisses des dotations aux collectivités territoriales, qui sont et seront, je l’imagine, un point central de nos échanges.

J’ai déjà souligné, ici même et ailleurs, l’hétérogénéité des situations, notamment en fonction des critères géographiques. On ne peut pas parler des Hauts-de-Seine comme on parlerait de la Creuse ou du Nord-Pas-de-Calais comme des Alpes-Maritimes. Les situations, les réalités locales laissent apparaître, en termes de bases fiscales, des disparités énormes.

M. Michel Bouvard. C’est indéniable !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Néanmoins, j’insiste aussi sur l’hétérogénéité des différentes strates de collectivités territoriales : les régions, les départements, le bloc communal ne sont pas de même nature et n’ont pas les mêmes structurations financières, notamment au regard de leur dépendance vis-à-vis des dotations de l’État.

Chacun sait ici que les régions ont très peu de fiscalité autonome et qu’elles sont très dépendantes des dotations d’État. Chacun connaît ici la situation des départements qui ont, eux aussi, une autonomie fiscale assez modeste et qui sont confrontés à l’effet de ciseaux des allocations individuelles de solidarité, que personne ne conteste ni à gauche ni à droite.

Il faut éviter de raisonner en termes de moyenne, mais, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, les dotations représentent quelque 28 % des recettes des collectivités territoriales ; quelque 60 % des recettes des collectivités territoriales proviennent de la fiscalité, et cette dernière – toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire à taux d’imposition constants – progresse tous les ans, pour deux raisons.

La première raison tient à ce qu’on appelle les variations physiques. Bien souvent, l’assiette, comme le ministre, s’élargit. (Exclamations amusées.)