M. Charles Revet. C’est peu !

Mme Fabienne Keller. C’est effectivement très faible.

Composé d’une juxtaposition de près de 300 dispositions – les corapporteurs l’ont souligné –, sans ligne idéologique claire, réécrit en séance publique en fonction des difficultés entre les composantes de la majorité à l’Assemblée nationale et, surtout, dépourvu de véritable mesure structurelle, le projet de loi n’aura malheureusement que très peu d’effet sur la croissance et l’activité économique.

En réalité, monsieur le ministre, à l’instar du reste du Gouvernement, vous comptez sur un retour de la croissance grâce à des facteurs extérieurs, comme l’amélioration de la conjoncture économique dans la zone euro, le plan de relance de l’investissement de la Commission européenne ou la facilitation de l’accès aux capitaux par la Banque centrale européenne. Mais, de ce jeu risqué, la France pourrait bien sortir perdante, notamment sur la création d’emplois, un sujet dont nous, élus locaux, connaissons bien le caractère prioritaire.

Certes, quelques mesures du projet de loi sont positives. Malheureusement, elles sont trop cosmétiques et relèvent parfois uniquement de l’affichage pour rassurer les autorités européennes.

Il s’agit de faire gagner du temps à la France, qui est pressée de se réformer par son partenaire allemand, par la Commission européenne, par le FMI, par la Cour des comptes ou encore par le Haut Conseil des finances publiques.

Le calendrier dans lequel s’inscrit l’examen de ce projet de loi n’est pas anodin. La Commission européenne avait indiqué qu’elle évaluerait « la situation de la France, suite à l’adoption du budget 2015 et la spécification du programme des réformes structurelles » au début du mois de mars.

Les nombreux articles du projet de loi demandant au Parlement d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance prouvent que ce texte a été inscrit à l’ordre du jour dans la précipitation, toujours au nom de ce fameux objectif d’affichage à l’égard de Bruxelles. Cela s’effectue au détriment du Parlement, qui se trouve dessaisi dans des domaines pourtant aussi primordiaux que l’urbanisme, le droit des sociétés, le droit de la concurrence, le droit des contrats publics, ou les pouvoirs de l’inspection du travail.

M. Charles Revet. C’est une mainmise de l’État !

Mme Fabienne Keller. Pour 2015, Bruxelles laisse à la France un délai de trois mois, jusqu’au 10 juin, pour présenter des mesures, notamment des réformes structurelles, garantissant que le déficit public baissera de 0,5 %. Cela représente un effort d’environ 4 milliards d’euros.

La lecture de la presse nous fait comprendre que ces 4 milliards d’euros d’économies résulteront d’abord de la diminution de la charge de la dette, les taux continuant de baisser sur le long terme. Ainsi, le crédit inscrit pour les charges d’intérêt sera finalement réalisé de manière bien inférieure au résultat escompté. Les économies seront également permises par des recettes plus élevées que celles qui étaient prévues, en raison de la régularisation des comptes détenus à l’étranger. Voilà deux mesures qui n’ont rien de structurel. Or, je me permets de vous le rappeler, ce sont bien des économies de structure que la Commission européenne attend !

Au-delà de ces dispositions immédiates, la nouvelle trajectoire budgétaire proposée par Bruxelles revient à demander un effort d’environ 30 milliards d’euros en plus des 50 milliards d’économies déjà programmées par le Gouvernement entre 2015 et 2017, soit un total de 80 milliards d’euros.

Monsieur le ministre, alors que la France ne cesse de repousser ses objectifs et se trouve en situation de décrochage, vous avez critiqué le 2 mars dernier l’effort demandé à la France, en le jugeant « procyclique » et en estimant qu’il détruirait la croissance et le retour au plein-emploi. Ces propos laissent une nouvelle fois présager que le Gouvernement ne réalisera pas l’intégralité de l’effort demandé.

Certes, monsieur le ministre, on ne peut pas vous donner complètement tort. Il convient effectivement de faire preuve de vigilance : le risque que les économies budgétaires aient un effet récessif sur notre économie est réel. Cependant, vous savez également que la France ne retrouvera pas une croissance durablement créatrice d’emplois sans efforts dans deux grands domaines : les finances publiques et les réformes structurelles, notamment sur le marché de l’emploi, le droit des sociétés… (M. Michel Vergoz s’exclame.)

La nouvelle trajectoire budgétaire et les mesures devaient théoriquement être annoncées par le Gouvernement au mois d’avril, au moment de la présentation à Bruxelles de son programme de stabilité et de son programme national de réformes. Pourtant, pour la première fois depuis la mise en place de ces programmes en 2011, le Gouvernement n’a pas souhaité inscrire un débat sur le sujet à l’ordre du jour du Parlement. Mais peut-être craignait-il le vote qui aurait normalement dû avoir lieu à l’Assemblée nationale, suite à l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution sur ce projet de loi…

Monsieur le ministre, dans la lignée des propos du président de la commission spéciale, M. Vincent Capo-Canellas, permettez-moi de vous faire part de notre inquiétude. On pourrait parler de mépris du Parlement, et singulièrement du Sénat !

M. Roland Courteau. Il ne faut pas exagérer !

Mme Fabienne Keller. En commission spéciale, nous avons examiné des amendements du Gouvernement dont l’objet répétitif se composait exactement des mots suivants : « Rétablissement du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale ». Voilà un exposé des motifs pour le moins léger…

Pourtant, le 28 août dernier, vous aviez affirmé : « C’est le moment de passer à l’étape deux de la modernisation du marché du travail, parce que cela n’a pas d’impact déflationniste et peut restaurer la confiance. » Nous sommes d’accord !

Vous ajoutiez : « Rehausser et simplifier les seuils sociaux permettrait de lever un obstacle traumatisant pour beaucoup de petits patrons sans pour autant changer la vie des salariés. » Notre collègue corapporteur Catherine Deroche vous a parfaitement entendu.

Et vous poursuiviez en ces termes : « Nous pourrions autoriser les entreprises et les branches dans le cadre d’accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunération. C’est déjà possible pour les entreprises en difficulté. Pourquoi ne pas étendre à toutes les entreprises, à condition qu’il y ait un accord majoritaire avec les salariés ? »

Vous disiez encore : « Ensuite, nous pourrions autoriser les entreprises et les branches, dans le cadre d’accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunérations. C’est déjà possible depuis la loi de juillet 2013, mais sur un mode défensif pour les entreprises en difficulté. Pourquoi ne pas étendre ce dispositif à toutes les entreprises, à la condition explicite qu’il y ait un accord majoritaire avec les salariés ? »

Mme Annie David. Et pourquoi ne pas revenir au temps de l’esclavage ?

Mme Fabienne Keller. Force est de le constater, aucune des réformes structurelles que vous envisagiez voilà six mois seulement ne figure dans le projet de loi portant votre nom.

Qu’en est-il donc de votre volonté, affirmée à la même période, d’« ouvrir une nouvelle phase du quinquennat, comme Schröder a su le faire en Allemagne entre 2003 et 2005 ? » Voilà quelques jours, vous annonciez vous-même vouloir aller plus loin. Le groupe UMP et les centristes étaient en accord avec cette loi « Macron II ».

Je me permets d’ailleurs de vous l’indiquer, c’est précisément ce que vous proposent le Sénat et ses trois corapporteurs, qui ont beaucoup travaillé le sujet sur le fond !

Leur travail mérite d’être considéré, d’autant plus qu’il va dans le sens de vos annonces, dont celle sur la simplification de la vie des entreprises, en remontant les seuils sociaux de 11 salariés à 21 salariés et de 51 salariés à 101 salariés. Cette disposition figure ainsi dans le texte de la commission spéciale, tout comme l’aménagement et la simplification du compte pénibilité. En fait, monsieur le ministre, le vote de ces mesures permettrait de mettre en œuvre la loi « Macron II », à laquelle votre propre gouvernement fait blocage.

Le groupe UMP, pour sa part, prend ses responsabilités. Il s’attachera à vous montrer qu’il est possible d’aller plus loin en matière de soutien à la croissance et à l’activité économique, en proposant des mesures beaucoup plus structurelles.

Tels sont l’objet du rapport et l’ambition du texte de la commission spéciale. Les positions que les trois corapporteurs de ce projet de loi défendront dans les jours et les semaines à venir n’ont d’autre objectif que de libérer les forces créatrices d’emplois dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays peut s’enorgueillir de disposer d’un modèle de droit qui s’exporte, en raison notamment de la qualité de la sécurisation juridique des actes produits.

Dès lors, fort logiquement, nous ne pouvons pas accepter qu’une réforme des professions réglementées fasse peser des risques sérieux sur la qualité de ces actes et l’accès des Français à la justice.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. François Bonhomme. Les mesures proposées par le Gouvernement, qui s’est affranchi de toute véritable concertation avec les acteurs concernés, ont suscité une véritable levée de boucliers, alors même que les professions réglementées s’entendent sur la nécessité de moderniser leurs pratiques et leur offre.

En réalité, la logique économique à laquelle le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale obéit méconnaît la spécificité de l’activité juridique. Monsieur le ministre, votre projet de loi risque par conséquent de contribuer à la détérioration de la situation de l’emploi, au détriment de la sécurisation des actes juridiques.

Pourtant, le 2 février dernier, vous déclariez à l’Assemblée nationale : « En revanche, je n’accepte pas comme argument des chiffres que, d’une manière scandaleuse, certains professionnels ont pu mettre en avant, sans aucun fondement, sans aucune preuve et sans aucun sérieux. […] Prétendre que cette réforme de la libre installation et des tarifs conduira à la suppression de plusieurs dizaines de milliers d’emplois ne vise qu’un objectif, celui d’agiter les peurs des salariés et des plus fragiles qui travaillent dans ces offices. »

Or les études les plus fines et les plus sérieuses, à commencer par celle qui a été menée par le cabinet Ernst and Young, démontrent que l’introduction en 2016 des nouvelles dispositions tarifaires prévues par ce texte devrait provoquer une forte baisse, de 10 % à 20 %, du chiffre d’affaires de la profession, et cela s’accompagnerait d’une chute de la marge jusqu’à 26 %. Dans le cas d’une baisse des tarifs de 20 %, le nombre de collaborateurs non notaires pourrait également baisser considérablement, jusqu’à 9 500 personnes entre 2015 et 2020.

Par ailleurs, alors que le Gouvernement a annoncé le 13 mars dernier un grand plan en faveur des territoires ruraux – je crois même savoir qu’une ministre en est chargée, malgré le quasi-anonymat dans lequel elle demeure (Sourires sur les travées de l'UMP.) –, vous créez de véritables déserts ou des zones blanches juridiques, avec des conséquences encore difficilement estimables en termes d’emploi.

Vous mettez à mal le maillage territorial actuel de l’accès au droit, dont je rappelle qu’il a été patiemment construit au fil des décennies, voire des siècles.

Le groupe UMP, grâce au travail scrupuleux et bien inspiré de notre collègue François Pillet, qui a été salué de toutes parts, a adopté une position équilibrée, en réécrivant le texte. La rédaction que nous proposons apporte des réponses pragmatiques tout en confortant le rôle des professions réglementées et en précisant les dispositions relatives à la réforme des juridictions.

Plusieurs dispositions risquaient de nuire à la sécurité des actes juridiques. Comme l’a rappelé M. le corapporteur, nous avons souhaité les corriger sur trois points majeurs.

D’abord, la compétence relative à la tarification des actes – cela a été l’un des points les plus discutés à l’Assemblée nationale – doit revenir au ministère de la justice, et non relever du code du commerce. En effet, les prestations juridiques ne peuvent pas être considérées comme des prestations commerciales et figurer dans le code du commerce.

Le Gouvernement est bien revenu à l’Assemblée nationale sur les dispositions créant un corridor tarifaire, mais pour les remplacer par un système trop complexe de remises sur les tarifs. Le fait que ces remises portaient seulement sur les actes moyens mettait en péril l’équilibre des études intermédiaires. Nous avons donc fait évoluer le dispositif, afin d’autoriser ces dernières sur des tarifs supérieurs à un certain plancher, sans plafond et en supprimant la fixité des remises.

Ensuite, l’extension du périmètre d’activité des experts-comptables risquait de nuire à l’équilibre des professions du droit. Monsieur le ministre, vous aviez choisi de remettre en cause la « théorie de l’accessoire » et l’équilibre résultant de la jurisprudence. Le groupe UMP entend faire respecter la règle existante du double accessoire, en rendant plus claire l’exclusion des prestations juridiques des actes des experts-comptables. Cela réduira les contentieux et garantira la qualité de conseils apportés aux clients dans les deux disciplines : chiffre et droit.

Enfin, à propos de l’interprofessionnalité, il nous est apparu essentiel de trouver un équilibre entre les différents domaines d’activités, en ayant comme exigence la nécessité de garantir l’indépendance des professions et l’exercice de leurs droits.

J’évoquais tout à l’heure certaines dispositions qui risquaient de mettre en péril l’accès des Français au droit et le maillage territorial. À nos yeux, les quatre propositions ambitieuses soumises par la commission spéciale vont dans un sens tout à fait favorable.

Premièrement, notre crainte était que le dispositif relatif à la postulation des avocats ne remette en cause le maillage territorial résultant de la carte judiciaire en vigueur et ne crée de véritables déserts juridiques, en incitant à des regroupements d’avocats auprès des barreaux situés au siège des cours d’appel. C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire de faire en sorte que la mesure soit expérimentée à l’échelle de deux cours d’appel, puis fasse l’objet d’une évaluation avant d’être généralisée, le cas échéant.

Deuxièmement, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale revient sur le principe de liberté d’installation des notaires, principe inscrit dans la loi, l’installation devant répondre à des critères cartographiques établis par les ministères de l’économie et de la justice, sur proposition de l’Autorité de la concurrence.

En réalité, cette liberté d’installation serait contrôlée et non garantie. De ce fait, le rapporteur a eu raison de donner compétence au seul ministre de la justice pour établir la carte délimitant les zones où l’installation de nouveaux offices est libre, l’Autorité de la concurrence n’ayant plus qu’un pouvoir d’avis, ce qui est plus conforme à ses attributions.

Le dispositif proposé par l’Assemblée nationale pour la carte d’installation distinguait seulement deux types de zones. Or, comme l’a rappelé François Pillet, cette distinction laisse de côté un troisième type de zones : celles où l’on ne constate pas de défaut de proximité ou d’offre de services. C’est donc le ministre de la justice qui détiendrait seul le pouvoir d’appréciation à réguler ou non l’implantation d’un office dans ce type de zones.

Par ailleurs, l’obligation d’indemnisation des concurrents répondant à une obligation constitutionnelle, il est pertinent que l’ensemble de la profession participe à l’installation de nouveaux offices et que cette obligation d’indemnisation soit prise en charge par le fonds de péréquation professionnelle.

Troisièmement, ce fonds de péréquation doit rester interne à la profession des notaires. Nous entendons donc supprimer son caractère interprofessionnel. L’affectation du fonds de péréquation à l’aide juridictionnelle nous a semblé relativement incongrue : cette création de « taxe » masquée risquait de nuire gravement à l’activité des études et ne présentait aucune cohérence en termes d’affectation.

Quatrièmement, il nous est apparu important de préciser les compétences de ces tribunaux de commerce pour connaître des procédures collectives, à l’exclusion des dispositifs et procédures de prévention des difficultés des entreprises pour les procédures impliquant des entreprises de plus de 250 salariés. Afin d’assurer un maillage territorial de plus grande proximité, nous ne pouvions pas accepter qu’il y ait moins d’un tribunal dans le ressort de chaque cour d’appel.

Monsieur le ministre, les représentants des professions réglementées nous ont indiqué être satisfaits des propositions formulées par la commission spéciale.

Je terminerai donc par une exhortation et même par une supplique : de grâce, prenez en compte le travail constructif mené au sein de la Haute Assemblée ! Peut-être même sera-t-il profitable à votre image et à la volonté que vous affichez. Il s’agit d’un travail constructif, avec un même objectif : moderniser le service rendu à tous les Français et ce, sur l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviendrai de manière synthétique sur l’ensemble des points qui ont été abordés, sans toutefois anticiper sur les débats que nous aurons lors de l’examen des articles.

D’abord, sur la philosophie générale du texte, j’ai du mal à comprendre que l’on puisse juger un texte en fonction des inspirations qui lui sont prêtées ou du parcours professionnel antérieur d’un membre du gouvernement ; cela cadre mal avec l’état d’esprit dans lequel nous avons tous indiqué vouloir travailler.

Pour ma part, j’ai effectivement participé à la commission animée par Jacques Attali. Je suppose que chacun d’entre vous a eu une vie professionnelle riche, et que ces expériences vous inspirent aujourd’hui. Il n’y a aucune malice ou intention cachée. Le rapport Attali a été plusieurs fois évoqué comme une sorte d’ombre portée sur le projet de loi. Or ce texte est d’abord et avant tout celui du Gouvernement ! Et, contrairement au soupçon que M. le sénateur Jacques Mézard a laissé planer, il n’y a pas non plus de dessein secret au profit d’un certain Fiducial.

On peut sans doute reprocher beaucoup de choses à ce projet de loi, mais certainement pas d’avoir été conçu sous la pression de quelque lobby que ce soit.

Mme Éliane Assassi. Ce n’était pas nécessaire…

M. Emmanuel Macron, ministre. Rendons au moins à ce gouvernement la grâce de s’être affranchi de tous les lobbies existants. D’ailleurs, c’est peut-être ce qui a valu à certains d’être plus vocaux que d’autres.

Je vous rassure, aucun cabinet, si grand soit-il, n’a inspiré les propositions de ce texte. Nous avons simplement essayé de regarder concrètement ce qui fonctionnait ou non. Ainsi que je pourrai vous le démontrer point par point, nous améliorons le réel.

Je récuse également une caricature qui nous est adressée, celle d’une prétendue influence bruxelloise. Comme j’ai pu le souligner à plusieurs reprises, ce n’est pas parce que certains à Bruxelles partagent nos analyses et soutiennent notre réforme que cette dernière serait par essence mauvaise, ni qu’elle vaudrait quitus pour d’autres mesures que nous n’oserions pas prendre. Qui dit dynamique européenne ne dit pas forcément inspiration bruxelloise ou volonté de s’affranchir de quelque obligation que ce soit !

Des discussions se sont tenues entre mon collègue chargé des relations avec le Parlement et M. le président du Sénat. Le programme national de réformes et le programme de stabilité seront présentés aux commissions parlementaires compétentes le 22 avril prochain. Compte tenu des délais, le débat en séance ne pourra pas se tenir avant le 30 avril, date de la transmission à la Commission européenne, mais il aura lieu au début du mois de mai.

Ainsi que je l’indiquais dans mon propos introductif, ce projet de loi a deux objectifs : une plus grande justice et une plus grande efficacité.

Plusieurs orateurs se sont interrogés sur l’efficacité des mesures proposées. Il me paraîtrait inapproprié de comparer l’effet du texte à celui de la baisse du pétrole, ou même de mettre les chiffres en parallèle. Les effets d’une baisse conjoncturelle de tel ou tel indicateur sont nécessairement tout aussi conjoncturels et se dissipent aussi vite qu’ils étaient apparus. Or le projet de loi engage des réformes en profondeur dont les effets se feront sentir progressivement. Nous pourrons les observer non pas sur les trois premières années, mais de manière dynamique dans la durée.

Ainsi, la réforme des prud’hommes mettra du temps à entrer dans les pratiques et à produire tous ses effets sur les créations d’emplois. De même, parmi les réformes en matière de numérique, d’investissement, de simplicité et d’accès au droit ou encore d’ouverture du secteur des transports, certaines auront des répercussions rapides, mais leurs pleins effets se feront sentir à l’horizon de trois ans à cinq ans. C’est le propre de ce qu’on appelle les réformes structurelles. Ne perdons pas de vue dans nos raisonnements le caractère progressif de ces effets dans le temps.

Précisément, la forme de myopie qui consiste à observer les effets d’une mesure le lendemain ou l’année suivante et non dans la durée a empêché un certain nombre de réformes d’être menées.

Quand d’autres pays ont demandé voilà dix ans de s’affranchir de certaines règles budgétaires pour mener des réformes structurelles, l’erreur française a été de solliciter les mêmes facilités sur le plan budgétaire sans pour autant mettre en œuvre les mêmes réformes ! Nous sommes aujourd’hui dans une situation éminemment contrainte, parce que, au cours de la décennie, nous nous sommes à deux reprises dispensés des efforts budgétaires sans mener les réformes structurelles. Aujourd’hui, il faut mener les deux de front, ce qui constitue une difficulté particulière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Je veux d’abord lever un malentendu sur les transports. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, l’ouverture du secteur des transports par autocar ne vise pas à créer un secteur public, qui peut d’ailleurs exister ; il peut y avoir des conventions avec les collectivités territoriales. Le dispositif envisagé concerne bien la possibilité d’ouvrir des lignes privées. À cet égard, les modifications introduites par la commission spéciale viendront immanquablement réduire la portée de la mesure, en termes tant de créations d’emplois que d’accès aux territoires.

Notre proposition ne s’oppose pas au rail. Comme cela a été rappelé, le secteur ferroviaire n’a pas attendu cette réforme pour rencontrer des difficultés. D’ailleurs, nous les connaissons bien, et nous nous attelons à y répondre. Vous pouvez compter sur mon implication en faveur de cette filière essentielle de notre économie.

Au demeurant, la SNCF compte également s’engager sur le transport par autocar. À l’instar de M. Jean Desessard, je crois qu’il faut envisager la complémentarité des modes de transport, et non une concurrence mécanique. Cette complémentarité est le cœur de la multimodalité et de l’intermodalité, dimensions parfois insuffisamment prises en compte.

Pour améliorer l’aménagement du territoire, il faut mieux articuler mieux les différents modes de transport. Si je considère que le « Charles-de-Gaulle Express » est un bon projet, c’est précisément parce qu’il s’inscrit dans une logique d’intermodalité et de complémentarité entre le rail, le transport aérien et le transport individuel. Les différents éléments doivent être considérés dans une perspective large ; c’est le choix que nous faisons avec ce texte.

Toujours à propos des transports, je réitère mes regrets quant à la réforme du permis de conduire. Nous apporterons des compléments sur l’étude d’impact, grâce aux opérateurs publics que nous avions engagés dans l’opération et qui avaient fait acte de candidature sur l’externalisation du code comme sur l’examen pratique. Mais les éléments sont bien connus ; c’est même ce constat qui avait inspiré notre démarche : le délai moyen d’attente est de 98 jours, voire 200 jours dans certains territoires. C’est malheureusement la situation que subissent nombre de nos concitoyens. Je vous apporterai les indications complémentaires nécessaires. Je comprends votre volonté de transparence, et je la partage.

Le sujet des professions juridiques a été longuement soulevé. Mettons-nous d’accord sur les termes : il faut bien en convenir, « concerter », ce n’est pas « contenter » ! Moi et ma collègue garde des sceaux avons mené une large concertation. Nous avons reçu de nombreuses personnes, conjointement ou individuellement. J’admets toutefois que nous n’avons pas « contenté » : en l’occurrence, cela aurait signifié faire le choix de l’immobilisme.

Rien dans cette réforme ne remet en cause la sécurité des actes juridiques et l’accès à la justice. Nous en débattrons article par article. Mais je vous assure que nous avons été très vigilants à cet égard.

Je voudrais à présent revenir sur plusieurs points récurrents dans les interventions des différents orateurs.

Tout d’abord, ce texte ne met aucunement les professions du droit dans la main de l’Autorité de la concurrence.

Il faut avoir le souci de la précision : si l’Autorité de la concurrence est chargée de rassembler des éléments objectifs sur la base desquels la décision s’organise ensuite, elle ne se substitue en rien au Gouvernement, en particulier au garde des sceaux. Elle se contente d’établir une cartographie objective permettant d’identifier les zones dans lesquelles il manque des officiers publics ministériels : celles qui présentent un manque relatif – dans ce cas, une discussion peut s’engager, même si le droit de veto du garde des sceaux est préservé – et celles qui comptent suffisamment de professionnels.

L’Autorité de la concurrence ne prend pas de décision ; elle rend un avis indicatif.

M. Charles Revet. Cela reviendra au même !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il existe d’ores et déjà des formes de « déserts juridiques ». Dans ces zones, nous pouvons accepter le principe d’une liberté d’installation relative. Au contraire, dans d’autres zones, l’équilibre des professionnels en place sur les territoires justifie une régulation par le Gouvernement. Je conteste donc le reproche selon lequel l’Autorité de la concurrence aurait un « pouvoir rampant » sur ces professions. Elle objective simplement un échange contradictoire qui doit avoir lieu.

Je veux également lever toute ambiguïté sur les interprofessions : les règles posées dans le texte ne permettent pas leur financiarisation. En particulier, la possibilité pour les professions du chiffre la possibilité de revenir sur les séparations structurantes établies par le passé n’est pas ouverte. La séparation entre le métier de commissaire aux comptes et celui d’expert-comptable a été implicitement ou explicitement mentionnée, et à juste titre. Nous ne revenons pas sur cette séparation.

La première forme d’interprofession proposée, l’interprofession d’exercice, n’est ouverte qu’aux professionnels du droit, et non à ceux du chiffre. De surcroît, elle est plus stricte que le droit existant ; elle est réservée aux professionnels du droit qui détiennent l’intégralité du capital. Ne l’oublions pas, certains professionnels du droit anglo-saxons opèrent aujourd’hui en France, via des filiales dont le capital est majoritairement détenu par des acteurs financiers.