compte rendu intégral

Présidence de M. Claude Bérit-Débat

vice-président

Secrétaires :

M. François Fortassin,

Mme Colette Mélot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 2 mars 2016, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant respectivement sur l’absence d’indemnité compensatrice de congé payé en cas de rupture du contrat de travail provoquée par la faute lourde du salarié (n° 2015-523 QPC) ; sur le gel administratif des avoirs (n° 2015-524 QPC) ; sur la validation des évaluations de valeur locative par comparaison avec un local détruit ou restructuré (n° 2015-525 QPC).

Acte est donné de ces communications.

3

situation financière des départements

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation financière des départements, organisé à la demande du groupe Les Républicains.

La parole est à M. Benoît Huré, orateur du groupe auteur de la demande.

M. Benoît Huré, au nom du groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, nous le savons tous désormais, la situation financière et budgétaire des conseils départementaux est devenue si difficile que c’est la question même de leur survie qui est posée.

En préalable à mon intervention, je veux rappeler quelques chiffres.

Les conseils départementaux sont l’un des tout premiers investisseurs publics en France. Durant la seule année 2014, ils ont investi 11,3 milliards d’euros, pour une dette cumulée de 33 milliards d’euros ; toutes proportions gardées, c’est un chiffre dont on se prend à rêver pour notre pays ! Au cours de cette même année, ils ont engagé 59 milliards d’euros de dépenses de fonctionnement, dont plus de 50 % concernent la solidarité. Toutes les actions et missions des conseils départementaux sont mises en œuvre par 294 000 agents.

Avec les lois de décentralisation, l’État a transféré aux départements la gestion des collèges, des routes et, naturellement, la mise en œuvre des politiques sociales. Depuis 2002, à la faveur de différents textes législatifs sur la dépendance, le handicap et le RSA, les dépenses à la charge des départements ont considérablement augmenté, car les ayants droit ont été mieux aidés, tout en devenant de plus en plus nombreux.

Si les départements ont été chargés d’appliquer toutes ces politiques de solidarité par l’État, c’est parce que celles-ci supposaient des réponses de proximité, adaptées aux réalités locales. Les conseils généraux ont donc dû recruter et former des équipes de terrain, qui représentent souvent de 40 % à 50 % de leurs effectifs actuels.

La situation financière difficile, voire désespérée pour une quarantaine d’entre eux, est due au fait que l’État a « oublié » année après année de rembourser un pourcentage de plus en plus élevé du montant des allocations prescrites par lui et versées par les départements. La situation est devenue de moins en moins supportable à partir de 2013 ; elle est désormais intenable. Les raisons en sont le vieillissement accéléré de la population conjugué à une meilleure prise en charge de la dépendance, mais, surtout, l’explosion du nombre de bénéficiaires du RSA : si la hausse est, en moyenne, de 9,1 % en France, elle peut atteindre 20 % dans certains départements, notamment industriels, voire 25,5 % dans les Ardennes, département que j’ai l’honneur de présider. Au point que, pour l’année 2014, les sommes non remboursées aux départements, appelées « reste à charge », ou RAC, ont atteint le chiffre de 7,2 milliards d’euros, pour arriver à 8,1 milliards d’euros en 2015.

S’est ajoutée parallèlement, pour les départements comme pour toutes les autres collectivités territoriales, au titre de l’effort de redressement des comptes de la Nation, une diminution cumulée de 30 % de leurs dotations à compter de 2014 jusqu’en 2017, qui représentera au total 4 milliards d’euros.

Par ailleurs, il faut le savoir, les mécanismes de remboursement des allocations individuelles de solidarité, ou AIS, par l’État aux départements répondent à une logique quelque peu ubuesque : plus un département compte de bénéficiaires du RSA et d’ayants droit à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, moins il est compensé. En France métropolitaine, le reste à charge ramené à l’habitant par département, c'est-à-dire la non-compensation, varie de 77 euros à 217 euros et atteint des sommes encore plus élevées dans les départements ultramarins.

Forte de telles constatations et en s’appuyant sur un travail conduit par des experts, dont le cabinet Klopfer, l’ADF – l’Assemblée des départements de France – a, dès le printemps 2015, et dans une démarche toujours unitaire, alerté et rencontré les ministres concernés, le Président de la République et, à plusieurs reprises, le Premier ministre. Sur la base de ces expertises, validées à la fois par l’ADF et par le Gouvernement, à défaut d’une meilleure compensation des dépenses liées à ces allocations, dix départements étaient annoncés en déséquilibre budgétaire avant la fin de l’année 2015. Entre trente et quarante départements le seront en 2016, et les autres finiront par tomber en 2018. Voilà qui a fait dire à certains esprits chagrins ou lucides que la disparition des départements, faute d’avoir été obtenue par la loi, surviendrait par asphyxie financière…

À la suite de différentes réunions de travail entre l’ADF et le Gouvernement, dans le cadre d’un dialogue certes âpre, mais toujours constructif, des perspectives de solutions pérennes ont été proposées par le Premier ministre le 25 février dernier.

On semble avoir enfin pris la mesure que le conseil départemental représente la seule collectivité capable de mettre en œuvre sur le terrain auprès des usagers l’un des aspects fondamentaux de notre pacte républicain issu du Conseil national de la Résistance : la solidarité nationale à l’égard des plus fragiles d’entre nous. Il est d’ailleurs à noter que, dans le cadre des débats préparatoires à la loi NOTRe, aucune autre collectivité n’a revendiqué l’exercice de cette grande et nécessaire mission de cohésion.

Lors de notre dernière rencontre, le 25 février, sans attendre les conclusions de la mission Sirugue, compte tenu de l’urgence de la situation, M. le Premier ministre a, dans un premier temps, annoncé une prise en charge par l’État du financement du RSA dans le cadre d’une réforme globale des allocations de solidarité. La mise en œuvre sera effective avec la loi de finances pour 2017. Le Premier ministre a rejoint l’ADF sur un certain nombre de points essentiels.

Premièrement, la prise en charge du RSA par l’État sera financée non par les recettes dynamiques des départements, en l’occurrence les droits de mutation à titre onéreux, ou DMTO, et ce qu’il reste de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE – les départements les conservent –, mais sans doute par un prélèvement sur leur dotation globale de fonctionnement, la DGF, qui prendra en compte la situation de chacun, ainsi que, a précisé M. le Premier ministre, l’efficacité de leurs politiques d’insertion.

Deuxièmement, le principe de la clause de retour à meilleure fortune est acquis. Les départements qui parviendront à faire baisser leur nombre d’allocataires du RSA verront alors leurs prélèvements diminuer d’autant.

Troisièmement, une aide d’urgence pour les départements les plus en difficulté pour l’exercice budgétaire 2016 est actée. Elle pourrait se chiffrer à 250 millions d’euros.

Le chemin à parcourir reste long et difficile. Des points cruciaux doivent encore être négociés : le calendrier de la réforme et l’année de référence, qui, pour l’ADF, ne peut pas être postérieure à 2014. Ce n’est pas un caprice, monsieur le ministre ; il s’agit de la dernière année où les départements ont pu faire face !

En résumé, les récentes évolutions pour les conseils départementaux sont un rayon de soleil dans un ciel qui reste très assombri. C’est au vu des résultats des négociations sur les modalités de mise en œuvre des propositions du Premier ministre que nous pourrons dire : « Non seulement nous avons été écoutés, mais, en plus, nous avons enfin été compris ! »

Pour illustrer mon propos, je me permettrai de donner quelques chiffres concernant mon département. Ils permettent de mesurer plus clairement les enjeux.

Les Ardennes, ce sont 280 000 habitants, 450 millions d’euros de budget, un levier fiscal qui représente 500 000 euros par point de fiscalité pour le seul foncier bâti et des investissements contraints aux côtés de l’État qui représentent 242 millions d’euros en quinze ans. Nous cofinançons actuellement avec l’État l’achèvement, dans sa partie française, de la liaison autoroutière non concédée Rotterdam-Marseille.

En trois ans, l’État aura baissé nos dotations – comme celles de toutes les autres collectivités – de plus de 9 millions d’euros, soit 18 % de notre fiscalité, mais il aura aussi oublié de nous rembourser 106 millions d’euros d’allocations de solidarité…

M. Benoît Huré. À partir de cet exemple concret et vécu de manière plus ou moins forte dans d’autres départements, on doit comprendre que c’est bien de leur avenir et de celui de notre pays qu’il est question.

Qui, à la place des départements, pourra demain mettre en œuvre les politiques de solidarité sociale et territoriale, sans même parler de l’entretien et de la modernisation de tous les réseaux qui leur ont été confiés et qui sont vitaux pour l’avenir des territoires ?

Vous devez également le savoir, au-delà de l’incapacité pour les départements à financer le RSA, plusieurs d’entre eux connaissent aussi les plus grandes difficultés pour verser des allocations liées à la dépendance.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, c’est bien plus qu’une béquille dont les conseils départementaux ont besoin pour continuer d’exercer leurs missions, d’intérêt national autant que local ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme c’est malheureusement trop souvent le cas, il faut que les choses aillent mal pour qu’on en parle. Or, ainsi que mon collègue Huré vient de le rappeler, les choses vont très mal pour les départements, qui ont pourtant été confirmés voilà moins d’un an dans leur rôle central d’acteur de la cohésion sociale et territoriale. On s’intéresse aux départements lorsqu’ils disent qu’ils ne pourront plus payer le RSA !

Ce débat, qui a le mérite de poser publiquement le problème de la situation financière des départements, arrive à un moment crucial, celui où le décrochage des finances départementales risque de paralyser leur action et de mettre des millions de nos concitoyens dans la souffrance. Ces concitoyens, ce sont ceux qui attendent le RSA pour vivre, ceux qui ont besoin de l’APA ou de la prestation de compensation du handicap. Ce sont les plus fragiles d’entre nous, vis-à-vis desquels notre devoir de solidarité est total.

En 2015, dix départements étaient en très grande difficulté. Ils seront une quarantaine cette année. À terme, ce sont tous les départements qui se trouveront dans l’impasse budgétaire si aucune décision n’est prise. Pourtant, les alertes ont été lancées et les départements ont maintes fois averti que leur situation se dégradait rapidement. Les clignotants sont passés de l’orange au rouge en peu de temps. On en connaît les causes : baisse des dotations de l’État ; morosité du marché de l’immobilier, qui s’accompagne d’une baisse des droits de mutation pour les départements ; pertes de recettes de CVAE, d’un côté, et dépenses qui augmentent toujours plus vite que les recettes, de l’autre. À cet égard, la liste est longue. J’évoquerai notamment la question de la prise en charge des mineurs isolés étrangers de plus en plus nombreux,…

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Jean-Claude Luche. … l’abondement des MDPH, nécessaire du fait de la non-revalorisation de la participation de l’État, la prise en charge des mesures statutaires concernant le personnel signées par Mme Lebranchu avant de quitter son ministère, le transfert du coût de la maintenance des outils informatiques des collèges et, enfin, des besoins de solidarité grandissant en période de crise économique et sociale.

Les départements ont dû supporter des transferts de charges qui n’ont pas été accompagnés des moyens correspondants. Il en résulte un transfert de fiscalité de l’État vers les départements difficilement supportable, mais nous n’avons pas d’autre choix que de subir cette situation.

Pourtant, les départements ont courbé l’échine pour laisser passer l’orage, continuant à assurer une gestion dont la rigueur a rarement été démentie. Ils ont tenu bon ! J’en veux pour preuve mon département de l’Aveyron, qui a réussi à maintenir le cap, en dépit d’une participation de l’État en baisse de plus de 62 millions d’euros en six ans, soit l’équivalent d’une année d’investissement. D’autres sont moins bien lotis ou doivent faire face à des augmentations de charges insupportables.

L’éclaircie n’est pas venue, et il a fallu se résoudre, pour la très grande majorité des départements, à s’endetter ou à limiter les investissements. Ce sont les seules dépenses qui baissent dans les budgets des départements : 3 % en 2015. L’année 2016 sera bien pire !

Les conséquences sur l’activité de nos territoires sont dramatiques. Moins de routes sont construites, moins de travaux sont engagés dans les collèges et les aides aux acteurs territoriaux pour les équipements sont minorées. Au bout du compte, ce sont moins d’emplois. C’est aussi une dynamique brisée dans de nombreux cantons.

Monsieur le ministre, les départements ont besoin de mesures d’urgence. À plus long terme, ils ont également besoin de savoir clairement comment se financera la solidarité. Sur quels acteurs reposera-t-elle et sur quelle assiette fiscale sera-t-elle assise ? Aujourd’hui, c’est l’ensemble des missions de solidarité qui se trouve menacé. Qu’en est-il, par exemple, d’une réflexion sur le coût du reste à charge pour l’APA dans les départements qui, comme le mien, doivent gérer le vieillissement de leur population ?

Les solutions qu’avait promises le Président de la République concernant un mode de financement pérenne pour la dépendance, notamment, n’arrivent pas. Or il s’agit d’un sujet majeur dans nos départements, particulièrement dans les plus ruraux d’entre eux.

L’ADF, d’une seule voix, a fait des propositions. Certaines, en particulier en ce qui concerne le RSA, ont été acceptées jeudi dernier par le Gouvernement. Encore faut-il les affiner, comme mon collègue Huré l’a rappelé. Cependant, elles arrivent bien tard !

Les départements peuvent entendre qu’il est nécessaire de participer à l’effort de la nation. Ils ont la culture de la solidarité. Néanmoins, cette solidarité ne doit plus être à sens unique. Aujourd’hui, ils ont besoin qu’on les entende ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen se félicitent de l’organisation du débat sur la situation financière des départements. En effet, si toutes les collectivités locales subissent les conséquences désastreuses des mesures d’austérité pour assurer le financement du prétendu pacte de confiance et de responsabilité, les départements, par les compétences sociales qui leur ont été confiées, se trouvent dans une situation particulièrement alarmante. Ils sont confrontés à une triple contrainte.

La première est de faire face à la crise économique et sociale, ce qui les conduit à une progression de leurs dépenses bien plus rapide que celle de leurs recettes.

Au total, l’ensemble de leurs dépenses sociales représente annuellement plus de 35 milliards d’euros, dont près de la moitié concernent les seules allocations individuelles de solidarité, le RSA, l’APA et la PCH, dont bénéficient plus de 3 millions de nos concitoyens sans emploi, en perte d’autonomie ou en situation de handicap. Ces dépenses ont progressé ces dernières années dans chaque département dans une fourchette qui se situe entre 5 % et 10 %, soit bien au-delà de l’inflation.

La deuxième contrainte est l’insuffisante compensation de ces dépenses obligatoires par l’État.

Si, au moment de leur transfert ou de leur instauration, ces allocations ont fait l’objet d’un transfert de ressources équivalent aux dépenses, avec le temps, le fossé n’a cessé de se creuser entre des dépenses particulièrement dynamiques et des recettes totalement atones. Aujourd’hui, l’État ne compense qu’à peine la moitié de ces dépenses, laissant à la charge des départements et de leurs contribuables un montant qui dépasse les 8 milliards d’euros. C’est devenu intenable !

La dernière contrainte, le coup de grâce pourrait-on dire, est les ponctions opérées sur les dotations de fonctionnement de l’État pour financer en particulier ce fameux CICE.

En cumulé, de 2013 à 2017, c’est un montant de près de 10 milliards d’euros qui manque cruellement à l’autofinancement et donc au financement des investissements réalisés par les départements. À tel point qu’on assiste à une véritable absurdité. D’un côté, le CICE, qui était censé créer, selon M. Gattaz, 1 million d’emplois n’en a créé aucun et s’est pour l’essentiel évaporé dans la poche des actionnaires des grands groupes.

M. Christian Favier. De l’autre, l’investissement local, qui représente le carburant principal des secteurs du bâtiment et des travaux publics, n’a cessé de reculer ces deux dernières années – 6 % en 2014 et autant en 2015 –, contribuant ainsi à détruire des milliers d’emplois.

En 2015, pour la seule région d’Île-de-France, le nombre de salariés dans les entreprises du bâtiment et des travaux publics a diminué de 2 % ; dans l’intérim lié à ce secteur, les effectifs ont chuté de plus de 13 %.

Voilà le résultat de choix purement idéologiques et irresponsables qui fragilisent les collectivités locales pour uniquement renforcer les capacités financières des grands groupes ! Tout cela mène tout droit à l’échec et à l’impasse. Il y a donc urgence à inverser cette logique inefficace et suicidaire.

Pour les départements, pour l’équilibre de leurs finances et afin d’éviter le recours à des hausses de fiscalité douloureuses pour nos concitoyens, il convient d’engager d’urgence trois mesures.

Premièrement, il faut décider d’un moratoire sur les baisses de dotations. Arrêtons cela immédiatement, évaluons l’impact de cette austérité et si, comme nous en sommes persuadés, cette évaluation conclut à l’absurdité de la démarche, rétablissons les dotations supprimées indûment aux collectivités locales !

Deuxièmement, il convient de compenser de manière intégrale et pérenne les charges relevant de la solidarité nationale. Cette compensation est vitale pour les départements. Elle doit leur permettre d’assumer leurs compétences au bon niveau sans les contraindre aux choix mortifères qu’ils sont souvent malheureusement amenés à prendre.

La dernière mesure, qui s’inscrit dans la même démarche que la précédente, est la reprise par l’État du financement du RSA. En ce domaine, la plus-value de la gestion décentralisée est nulle, l’action des départements se limitant de fait à honorer chaque mois le titre de recettes émis par la CAF.

Pis, ce financement départemental d’une allocation de solidarité nationale conduit certains à la tentation de revenir sur le caractère national, universel, du droit à l’allocation pour nos concitoyens les plus fragilisés. Nous savons tous que l’idée a cheminé de départementaliser l’allocation du RSA, ce qui serait une véritable catastrophe pour nos concitoyens en termes d’égalité. Il y a donc urgence à ce que l’État, qui fort légitimement décide du montant du RSA et de ses critères d’éligibilité, puisse en assurer enfin le financement total.

Des discussions sont engagées depuis des mois entre le Gouvernement et l’Assemblée des départements de France. En fin de semaine dernière, pour la première fois, le Premier ministre s’est engagé à proposer le retour à l’État de la gestion du RSA. C’est une première avancée appréciable à mettre à l’actif de la mobilisation des départements et des populations. Dans le Val-de-Marne, département que je connais bien, plus de 27 000 habitants se sont en effet exprimés par pétition pour obtenir de l’État les moyens financiers permettant au département d’exercer ses missions.

Il reste que le compte n’y est toujours pas et que le dialogue entre l’État et les départements doit se poursuivre pour obtenir un transfert très rapide de cette dépense et la prise en compte, comme référence, du dernier compte administratif adopté, c'est-à-dire celui de l’année 2014. Nous ne pouvons pas attendre 2017 ! Dès cette année, une loi de finances rectificative devrait être décidée. Un collègue a rappelé que plus de quarante départements en 2016 auront les plus grandes difficultés à boucler leur budget. Pour le Val-de-Marne, l’enjeu s’élève à 40 millions d’euros, qui sont indispensables à l’équilibre de son budget en 2016.

Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat et les propositions qu’au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen je tenais à formuler. J’insiste sur leur caractère urgent.

Notre pays va mal, nos concitoyens, nos territoires souffrent. Ils ont besoin à leurs côtés de collectivités locales et de services publics à l’écoute, efficaces et réactifs. Laisser croire qu’on améliorera la situation en diminuant leurs ressources, notamment leurs recettes de fonctionnement – certains cabinets spécialisés prévoient une baisse de 0,3 % en 2016 et de 0,4 % en 2017 –, relève au mieux de la supercherie, au pire de la malhonnêteté intellectuelle.

Oui, la France a besoin de ses départements ! Pour cela, elle doit leur donner les moyens d’exercer au mieux leurs missions. C’est, je le répète, une question d’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Benoît Huré et René-Paul Savary applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac.

M. Thierry Carcenac. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, pourquoi avons-nous un tel débat aujourd'hui ? La situation se serait-elle subitement dégradée ? Est-ce l’incidence de la contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques ? Je ne le pense pas.

La dégradation de la situation financière des départements est plus profonde. Son origine est connue : elle résulte de la prise en charge de la solidarité nationale par les départements à un moment où le financement local s’est alourdi. Elle s’est aggravée depuis 2004 avec la loi de décentralisation, qui a amplifié les transferts de compétences et de solidarité, avec des financements improbables.

En 2005, nous avons assisté à la refonte de la DGF des départements, dans une période de faible croissance, puis à la baisse des dotations de l’État. Je rappelle qu’actuellement nous percevons en DGF garantie par habitant, depuis 2009, 74,02 euros.

En 2010 a eu lieu la réforme de la taxe professionnelle, qui s’est accompagnée d’une nouvelle répartition des impôts directs locaux, ne laissant subsister aux départements qu’un seul impôt : la taxe foncière sur les propriétés bâties, fusionnée avec la part régionale basée sur une valeur locative d’un autre siècle.

Il a fallu agrémenter le tout de mesures ponctuelles de péréquation verticale, puis horizontale. Avec des dépenses en hausse – 8 % en moyenne par an pour le RSA – et des ressources inadaptées, ce fut le temps des rapports d’information qui ont reconnu l’effet de ciseaux, entre des ressources qui ne cessent de baisser et des dépenses qui ne cessent de croître. Ce fut le rapport sur la maîtrise des dépenses locales du 20 mai 2010 dit « Carrez-Thénault », qui précisait – déjà ! - que la situation des départements ne serait pas résolue sans arbitrage au niveau national. Je citerai également les rapports de la Cour des comptes, les rapports annuels de l’Observatoire des finances locales, le rapport de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur l’évolution des finances locales à l’horizon 2017, les rapports de l’ODAS, l’Observatoire national de l’action sociale, ou ceux de la DARES, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques. Tous ces rapports ont tiré la sonnette d’alarme. On ne peut pas dire qu’il y a aujourd'hui un effet de surprise, d’autant que l’État – la DGFIP et la DGCL – dispose des comptes administratifs des départements.

Quelles furent alors les solutions ? Des mesures conjoncturelles ! Trois gouvernements s’y sont essayés : Fillon, Ayrault, Valls. Comme en 2013, les mesures étaient insuffisantes, après un rapport partagé entre le Gouvernement, l’ADF et la Cour des comptes, la loi de finances pour 2014 a prévu le transfert d’une part des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties et a offert la possibilité aux assemblées départementales de majorer de 0,7 point les taux liés aux DMTO, qui peuvent ainsi évoluer de 3,8 % à 4,5 %. La totalité des départements s’y sont résolus, y compris Paris depuis le 1er janvier 2016.

Ces dispositions étaient accompagnées d’un dispositif de compensation péréqué et d’un fonds de solidarité sur les DMTO sur flux et sur stock. Mais, après un an, rien n’a suffi : la situation stabilisée s’est à nouveau dégradée, et tous les indicateurs des nombreux départements – une quarantaine – sont dans le rouge : endettement qui s’allonge et épargne nette en très forte chute depuis cinq ans. Cela fait que des départements n’ont plus de marge brute et que la marge fiscale n’existe plus pour certains.

Dès lors, la position du Premier ministre sur la prise en charge par l’État du financement du RSA, allocation universelle de solidarité reposant sur la solidarité nationale, et non plus par les seuls départements, s’impose. Nous en prenons acte avec satisfaction ; c’est la deuxième décision d’envergure après celle du gouvernement Ayrault. Mais de nombreuses questions se posent…

En tant que président de la commission consultative sur l’évaluation des charges, je confirme qu’il ne s’agit nullement d’une recentralisation, puisque l’action des départements est confirmée, notamment dans leur rôle d’insertion et de suivi des bénéficiaires, et que reprendre département par département le financement du RSA ne résoudrait pas le problème.

Dès lors, sur quelles bases refonder cette prise en charge nationale ? L’année de référence, celle du dernier accord conclu avec le gouvernement Ayrault, est 2014. Je rappelle que Gaston Defferre avait remboursé sur une période de dix ans la dette de l’État en matière sociale contractée à l’égard des départements lors de la première décentralisation…

Quelles ressources affecter ? Comme je l’indiquais, une reprise à « l’euro l’euro » auprès de chaque département est impossible et ne ferait qu’aggraver la situation des départements, déjà fortement dégradée. Certains évoquent des ressources dynamiques qui ne devraient pas être transférées : DMTO, CVAE. Nous en connaissons toutefois les limites.

Restent les critères objectifs à retenir.

Tous les départements ne sont pas dans la même situation. Il me semble que les revenus des habitants et le reste à charge par habitant des trois allocations individuelles de solidarité pourraient être judicieusement retenus.

L’approche du Gouvernement est très positive, et il faut la concrétiser rapidement. Le Premier ministre a envisagé la mise en œuvre de mécanismes d’incitation financière visant à renforcer les dispositifs d’insertion. Cela n’est pas nouveau : lors de la mise en œuvre du RMI, nous avions connu cela. D’autres éléments sont également importants en termes d’évaluation, notamment le retour à meilleure fortune et la bonification de la DGF.