9

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe communiste républicain et citoyen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Jean-Vincent Placé, dont le mandat de sénateur a cessé.

Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

10

Rapport au Parlement relatif aux conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur le rapport au Parlement relatif aux conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population.

La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, comme le Gouvernement s’y était engagé au titre de l’article 7 de la loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, un rapport sur les conditions d’emploi des armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population.

Les attentats qui ont frappé la France en 2015 et la menace terroriste particulièrement forte qui continue de s’exercer, tant à l’extérieur de nos frontières que directement sur notre territoire, appelaient en effet, au-delà des mesures exceptionnelles décidées par le Président de la République, l’engagement d’une réflexion de fond sur cette situation nouvelle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la première opération conduite par nos armées, en nombre de militaires engagés, se déroule aujourd’hui sur le territoire national. Il y a là un fait majeur qui marque une inflexion forte dans le positionnement de nos armées. En raison de la nature même de la menace, sur laquelle je reviendrai, cette situation nous paraît malheureusement avoir vocation à s’inscrire dans la durée.

L’histoire peut nous aider à penser la singularité du moment que nous vivons : telle est la première finalité de ce rapport. Il faut du reste constater que c’est la première fois, dans l’histoire de la Ve République, qu’un tel débat portant sur l’intervention des armées sur notre propre territoire se tient au Parlement.

Depuis la Révolution française, exception faite des missions de sécurité civile qui sont régulières et d’une autre nature, les armées ont été employées sur le territoire national par les gouvernements successifs dans deux types de situations : d’une part, pour exercer des missions de maintien de l’ordre, au XIXe siècle en particulier, lorsqu’il s’agissait de défendre les institutions ou l’ordre social, et jusqu’à la guerre d’Algérie ; d’autre part, pour assurer la défense du territoire au sens strict.

Si la défense du territoire a toujours relevé des armées dans son principe, il n’en est pas de même du maintien de l’ordre. En la matière, l’implication des armées est allée en s’amenuisant, avec l’apparition et le développement de forces spécialisées à cette fin, au fur et à mesure qu’était consolidée la responsabilité spécifique de ces forces.

S’agissant de la défense du territoire, cette fonction des armées a toujours existé, y compris depuis la Seconde Guerre mondiale. Même si elle est inscrite dans le principe même des forces armées, elle a bien sûr évolué en s’adaptant à la nature de la menace extérieure, fût-elle appuyée par des relais présents sur notre sol.

La fin de la guerre froide, qui a conduit à la disparition, sans précédent dans notre histoire, du risque d’invasion de notre pays, a fait du même coup tomber en désuétude le concept de défense opérationnelle du territoire qui avait cours depuis l’émergence de la menace organisée par les plans militaires de l’ex-Pacte de Varsovie.

Pour autant, tous les Livres blancs sur la défense, depuis le premier d’entre eux, en 1972, ont souligné avec netteté le rôle des armées, leur mission première dans la défense et la protection de notre territoire et de sa population.

Jusqu’au début de l’année 2015, cette fonction de protection s’est traduite au premier chef par les missions permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime qui relèvent du Premier ministre, ainsi que par une contribution, d’ailleurs relativement modeste en termes d’effectifs, au plan gouvernemental Vigipirate.

Je n’oublie pas – j’y ai fait allusion au début de mon propos – les missions de service public et de secours à la population qui sollicitent très régulièrement nos armées, tout comme la contribution spécifique de celles-ci à la sécurisation des grands événements qui rythment la vie de notre pays.

C’est cette répartition des missions que l’année 2015 est venue ébranler. L’offensive terroriste sans précédent dont la France a fait l’objet, avec deux séries d’attentats majeurs, a transformé la donne.

Les objectifs des terroristes, leurs modes d’entraînement et d’action comme les niveaux de violence atteints par eux remettent en question les catégories de pensée qui prévalaient jusque-là : devant une menace d’un genre nouveau et d’une virulence inédite, il ne s’agit pas simplement, pour nos armées, d’apporter un concours supplémentaire, ponctuel, marginal et épisodique aux forces de sécurité intérieure. Nous sommes bel et bien entrés dans une ère nouvelle, qu’il nous appartient de caractériser.

Anticipant des dangers de ce type, les Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et de 2013 avaient déjà décrit une continuité possible entre menace extérieure et danger à l’intérieur du territoire, et donc entre défense et sécurité nationale.

Les scénarios les plus exigeants en termes d’organisation des forces, tant en 2008 qu’en 2013, étaient ceux qui sollicitaient nos forces à la fois à l’extérieur de nos frontières et sur le territoire.

C'est la raison pour laquelle ces documents, approuvés en conseil de défense, puis traduits en lois de programmation et enfin en contrats opérationnels assignés aux forces, ont prévu, outre nos dispositions permanentes sur mer et dans les airs, un contrat opérationnel d’engagement de 10 000 soldats, en 2008 et en 2013.

Il s’agissait, pour les armées, de concrétiser l’éventualité d’une contribution majeure à la sécurité sur le territoire, et cela pour une durée qui n’avait pas été précisée, ni en 2008 ni en 2013 : était alors envisagée une crise majeure, mais ponctuelle, combinée avec une crise extérieure. L’enjeu était bien d’envisager une réponse cohérente devant l’affirmation de risques susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nos frontières.

Il est clair aujourd’hui que nos concitoyens ne comprendraient pas que les années, engagées régulièrement depuis la fin de la guerre froide dans des opérations internationales au nom de leur sécurité et des responsabilités de la France, ne s’investissent pas dans une mission de protection rapprochée au plus près, alors que le danger, à la fois extérieur et intérieur, les menace désormais très directement.

En janvier 2015, ce contrat de protection a été activé par le Président de la République au travers de la mobilisation et du déploiement, en quelques jours, de 10 000 militaires dans le cadre de l’opération Sentinelle. Cet engagement quasiment immédiat a mis en lumière, une nouvelle fois, le grand professionnalisme de nos armées, dont nous devons être fiers.

Après analyse des premiers retours d’expérience, le Président de la République a décidé, lors d’un conseil de défense et de sécurité nationale, la rénovation de ce contrat de protection, entérinée par la représentation nationale dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire votée en juillet 2015.

Cette loi décrit ce nouveau contrat des armées sur le territoire national, avec une capacité permanente de mobilisation de 7 000 hommes dans la durée, pouvant être portée jusqu’à 10 000 hommes pour un mois. Cet effectif maximal a été de nouveau engagé après la nuit du 13 au 14 novembre 2015, avec une efficacité remarquable. Depuis lors, nos soldats sont déployés à un haut niveau aux côtés des forces de sécurité intérieure, elles-mêmes très sollicitées.

S’agissant de l’emploi des armées sur le territoire national, il convient de noter que la France agit en mettant en œuvre des principes et des moyens comparables à ceux déployés par les pays occidentaux confrontés à des situations analogues. En effet, lors de situations de crise, la plupart des pays occidentaux confient à leurs armées des missions de protection et de soutien, menées sous le contrôle de l’autorité civile, mais sous commandement militaire.

Il s’agit souvent de renforts déployés à titre temporaire. Ainsi, le Royaume-Uni envisage l’emploi de militaires, à hauteur de 10 000 hommes, en appui des forces de sécurité intérieure pour protéger des sites sensibles contre une menace terroriste dans le cadre du plan Temperer, conçu à la suite des attentats de Paris de janvier 2015.

En matière de lutte contre la menace terroriste sur le territoire national, certains pays ont, comme la France, fait le choix de dispositifs durables pour l’emploi de leurs forces armées. C’est le cas de l’Italie, qui mobilise plus de 6 000 militaires dans des missions de contrôle du territoire national et de prévention du terrorisme, ainsi que dans des missions de lutte contre la criminalité organisée visant les mafias, en complément des forces de sécurité intérieure.

Je n’évoque pas le cas de la Belgique, mais j’ajoute que, au-delà de la lutte contre la menace terroriste, certains pays ont recours à leurs armées pour des opérations de contrôle du territoire et d’aide aux réfugiés. C’est actuellement le cas de l’Allemagne, où 9 000 soldats sont engagés quotidiennement dans des missions particulièrement délicates.

Sur cette base, le rapport qui est soumis au Parlement revient en détail sur la menace, telle qu’elle se présente désormais à nous.

Cette menace terroriste d’inspiration djihadiste a évolué, vous le savez – nous en avons souvent débattu dans cet hémicycle –, d’une manière très significative. Les groupes terroristes ont maintenant recours à des modes d’action militarisés et professionnalisés, de type commando, y compris à grande échelle, comme en attestent tragiquement les attaques du 13 novembre 2015. Les terroristes ne s’en cachent pas, ils veulent porter la guerre chez nous.

Parce qu’elle vise une multitude de cibles potentielles, l’ennemi étant la société dans son ensemble, cette menace est à la fois diffuse et omniprésente. Elle agit à l’extérieur comme à l’intérieur de nos frontières, avec des connexions établies entre les deux espaces.

Susceptible de monter brusquement en intensité, elle ne présente aucune limite dans sa volonté de marquer durablement les esprits par la terreur et vise explicitement à reproduire sur le territoire national de véritables actions de guerre.

Au-delà même de ce que nous avons vécu, soyons pleinement conscients que les scénarios d’attaques sont multiples, aujourd’hui sur terre, demain dans nos eaux sous juridiction nationale ou dans les airs, sur des cibles que chacun peut imaginer et qui nécessitent un renforcement très significatif de nos dispositifs.

Cette menace s’exerce également, au même moment, dans les champs immatériels, dont le cyberespace, ce qui exige de notre part, en retour, la définition d’une réponse ne négligeant aucun aspect de cette nouvelle forme de guerre.

Devant la militarisation de la menace, selon les traits que je viens de rappeler, les armées professionnelles présentent un ensemble de spécificités qui leur permettent d’apporter une contribution importante, s’intégrant pleinement à une manœuvre de sécurité intérieure profondément renouvelée. Ce renouvellement touche d’ailleurs les forces de sécurité intérieure, comme on le voit dans les inflexions importantes qu’apporte en ce moment même mon collègue Bernard Cazeneuve au dispositif spécifique et aux modes d’action du ministère de l’intérieur.

Pour les armées, je rappelle d’abord que les capacités uniques détenues par l’armée de l’air et la marine en font les intervenants de premier rang dans leur milieu, et ce en permanence, avec des moyens importants.

Dans le domaine terrestre, la première vertu de nos forces est la connaissance qu’elles ont acquise de l’ennemi sur les théâtres extérieurs. Elles mesurent donc au moins en partie la menace, même si elles ne se trouvent pas, sur le territoire national, en situation de conflit armé, comme c’est le cas à l’extérieur. Leur équipement, en particulier leur armement et leurs moyens de protection, ainsi que leur forte visibilité, leur confère une vertu à la fois dissuasive et rassurante, qui est complémentaire de celle des forces de sécurité intérieure.

L’apport des armées s’appuie également sur des capacités éprouvées de planification, qui leur permettent d’intégrer, combiner et harmoniser de nombreuses aptitudes issues des différents milieux – terre, air, mer –, auquel j’ajoute bien sûr le milieu cyber.

Leur mode de fonctionnement et d’organisation centralisé et hiérarchisé, avec notamment la capacité de projeter leurs efforts en pleine autonomie logistique, permet en outre de traduire sans délai une volonté politique forte.

Cette réactivité doit beaucoup au statut de nos militaires et exige d’eux une disponibilité de tous les instants ; l’acceptation de contraintes fortes est également facilitée par une chaîne de commandement rigoureuse. Cette dernière s’ajoute à la capacité d’intervention de la force armée, dans toutes ses dimensions.

Enfin, les armées se caractérisent par la mise en œuvre de moyens spécialisés rares, comme les moyens de protection et d’intervention en milieu nucléaire, radiologique, biologique ou chimique, ou milieu NRBC, ou encore la capacité de chirurgie de guerre détenue par le SSA, le service de santé des armées, ou encore, exceptionnellement, certains moyens des forces spéciales.

L’ensemble de ces spécificités permet à nos armées d’agir en complément des forces de sécurité intérieure. Elles réalisent alors des opérations de plein exercice, qui leur sont confiées, après décision du Président de la République, chef des armées, par les autorités en charge de la sécurité intérieure, c'est-à-dire par le ministre de l’intérieur. Il m’appartient, en tant que ministre de la défense, ainsi qu’aux chefs d’état-major sur mes instructions, de les y préparer et de veiller à leur mise à disposition pour leurs capacités propres.

C’est bien le nouveau contexte des menaces militarisées et la prise en compte de ces spécificités qui nous a conduits à dépasser la logique d’un engagement terrestre des armées limité à une contribution temporaire de quelques centaines de soldats, dans le cadre du plan gouvernemental Vigipirate.

L’enjeu est aussi d’optimiser l’action d’une ressource rare, rompue aux combats comme à la gestion de crises dans les opérations extérieures, pour qu’elle réponde au mieux aux impératifs posés par l’affirmation de la menace terroriste dans toutes ses dimensions, notamment sur le territoire national. Il nous faut donc, dans cette perspective, nous appuyer sur ses spécificités, en très étroite coordination avec les forces de police et de gendarmerie.

Ainsi, la posture de protection du territoire national et de ses approches devient beaucoup plus structurante. Dans le contexte que chacun garde à l’esprit, nous devons repositionner cette fonction, tout en préservant soigneusement l’efficacité de nos capacités dans ces deux autres grandes missions de notre stratégie générale de défense et de sécurité nationale que sont la dissuasion nucléaire et l’intervention extérieure.

Je veux en témoigner devant vous, la fonction « protection rénovée » constitue donc un engagement à part entière de l’ensemble des armées et des services du ministère de la défense, en complément des autres forces et services de l’État.

Cette fonction se déclinera désormais en quatre postures de milieu, qui sont définies par un ensemble de dispositions prises pour protéger le pays face aux agressions, même limitées, contre son territoire, sa population ou ses intérêts.

Il s’agit d’abord des postures permanentes de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne, dont le fonctionnement a fait ses preuves, mais qui continuent d’être rénovées et renforcées. Il s’agit de les adapter, elles aussi, aux évolutions que je viens de retracer.

La défense maritime du territoire, renforcée et orientée vers la menace terroriste, répond au défi de surveiller 19 000 kilomètres de côtes, dont 5 800 en métropole, ainsi que nos ports d’intérêt prioritaire, et cela au travers d’un dispositif organisé en couches successives, du littoral à la haute mer. Environ 1 400 « sentinelles des mers » y contribuent quotidiennement en métropole, avec les sémaphores, navires et aéronefs de surveillance et d’intervention.

La mission de sûreté aérienne a pour objet, quant à elle, de garantir notre souveraineté dans l’espace aérien national, où 11 000 aéronefs transitent quotidiennement, et d’intervenir contre toute menace aérienne. Près de 1 000 militaires y participent chaque jour, ce qui assure une capacité d’intervention en moins de quinze minutes en tout point de notre espace aérien. Ce délai peut bien entendu être raccourci – il l’a déjà été –, en fonction de l’analyse des menaces.

À la suite des attentats de 2015, la contribution à la fonction de protection dans son volet terrestre fait l’objet d’une posture entièrement nouvelle. Elle doit permettre aux armées d’apporter leur capacité d’intervention terrestre ou aéroterrestre dans le cadre du dispositif global de sécurité intérieure : c’est la posture de protection terrestre.

Cette posture repose sur deux axes. Tout d’abord, l’optimisation de l’emploi des forces engagées dans le cadre du nouveau contrat de protection ; il s’agit aujourd’hui de l’opération Sentinelle, mais ce contrat peut revêtir d’autres formes et dénominations. Ensuite, la réorientation d’une partie de la préparation opérationnelle des forces terrestres, au profit de la sécurité intérieure sur le territoire national. Je suis en mesure de vous annoncer que ce volet particulier de préparation fera très prochainement l’objet d’un exercice entre les armées et les forces de la gendarmerie.

Enfin, la posture permanente de cyberdéfense s’appuie sur une organisation dédiée et intégrée à la chaîne des opérations, qui lui permet de détecter et d’agir au plus tôt face aux menaces propres à ce milieu, qui viseraient les installations et moyens de la défense. Sous l’autorité de l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, qui dépend du Premier ministre, nos moyens doivent aussi pouvoir appuyer l’action cyberdéfensive plus large de l’appareil d’État.

Au-delà de ces quatre postures, la fonction de protection rénovée mobilise deux capacités permanentes.

Il s’agit, d’une part, de la capacité permanente de réponse sanitaire, assurée par le service de santé des armées, capacité qui a été confirmée par la mobilisation exemplaire de ce service au lendemain du 13 novembre 2015. Au-delà de sa participation au service public hospitalier, le ministère de la défense est en mesure, le cas échéant, de mettre ses capacités et compétences sanitaires propres à la disposition de la Nation ; on l’a vu par exemple pour la médecine et chirurgie de guerre lors de certains attentats, ou la lutte contre une agression de type NBC, c'est-à-dire nucléaire, biologique et chimique.

Il s’agit, d’autre part, et enfin, de la capacité permanente de soutien pétrolier des armées et des forces de sécurité intérieure, mise en œuvre par le service des essences des armées.

Sur ces bases renouvelées, et c’est singulièrement nouveau, la fonction globale de protection rénovée, telle que je viens de la définir, voit ses missions organisées autour de six contributions principales : sécurité sur le territoire national et lutte contre le terrorisme à l’intérieur du territoire, en lien étroit avec la défense hors de nos frontières ; contribution à la lutte contre le crime organisé – je pense notamment à la lutte contre l’orpaillage illégal dans le cadre de l’opération Harpie ; défense des intérêts économiques et des accès aux ressources stratégiques ; sauvegarde maritime ; sûreté aérienne ; enfin, sécurité civile dans le cadre de sinistres et catastrophes de toute nature.

En revanche, en accord avec le ministre de l’intérieur, le Gouvernement a fait le choix d’exclure expressément de cette posture, premièrement, les actions relevant du domaine judiciaire, hors réquisition spécifique de l’autorité judiciaire ; deuxièmement, les opérations de maintien et de rétablissement de l’ordre public, de type contrôle de manifestations, de foules ou d’émeutes sur la voie publique, en dehors des états d’exception prévus par la Constitution et la loi, c'est-à-dire en dehors de l’état de siège.

Je veux insister sur un point : la réalisation de l’ensemble de ces missions n’appelle pas d’évolution de notre cadre juridique, au-delà de l’adaptation au texte retenu sur la légitime défense dans le projet de loi améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, s’agissant de ce qu’on nomme communément le « périple meurtrier ». Dans ce nouveau contexte, l’emploi des armées sur le territoire national peut, à notre sens, s’effectuer à cadre constitutionnel et législatif constant.

Dans le prolongement des éléments que je viens de vous indiquer, ce rapport pose également les grands principes qui doivent encadrer le recours des armées sur le territoire national, pour garantir leur pleine efficacité, mais aussi leur juste utilité.

En premier lieu, l’engagement de plusieurs milliers de militaires ou de capacités interarmées d’importance équivalente dans de telles opérations relève directement du chef de l’État, chef des armées, dans le cadre des conseils de défense et de sécurité nationale, comme pour les interventions extérieures.

Ce sont par ailleurs les mêmes soldats, marins et aviateurs qui font face à une même menace, présentant des caractéristiques militaires sur le territoire national comme sur les théâtres d’opérations extérieures.

En réfléchissant à ces enjeux nouveaux, nous avons totalement écarté l’idée de créer des unités militaires spécialisées pour le territoire national. C’est bien une même armée qui se trouve engagée dans l’Adrar des Ifoghas, dans les rues de nos grandes villes ou sur nos axes de communication sensibles, en particulier parce qu’il y a, je le répète, une continuité de la menace et parce que l’action des armées, complémentaire de celle des forces de sécurité intérieure, ne doit pas se confondre avec elles. Il y a là un principe fort que j’ai fixé à nos armées, lesquelles constituent donc un réservoir unique à la disposition du Gouvernement.

L’action militaire sur le territoire national est enfin nécessairement encadrée par une demande du ministre de l’intérieur, localement de l’autorité préfectorale, réquisition qui suit un dialogue que, tous, nous souhaitons étroit avec l’autorité militaire.

Au niveau déconcentré, l’autorité civile responsable de la manœuvre doit être régulièrement informée des modes d’action retenus, comme de la manière dont ses réquisitions sont accomplies.

Au niveau central, l’articulation entre les chaînes de commandement civile et militaire est réalisée dans une instance commune de coordination, qui associe régulièrement les ministres de l’intérieur et de la défense.

Nous devons aussi nous assurer de la bonne connaissance de l’environnement dans lequel les militaires évoluent, afin de mieux anticiper les risques et menaces auxquels ils sont susceptibles d’être confrontés. Les armées peuvent en outre proposer au ministère de l’intérieur, en fonction de la nature des missions – contrôle de zones, de frontières, ou d’axes de communication, par exemple –, des capacités spécifiques de surveillance et d’observation à cette fin. Pour autant, ces informations à buts opérationnels ne se confondent pas avec le renseignement à des fins judiciaires, qui ne relève pas des armées, comme je l’ai indiqué voilà un instant.

Un an après le déclenchement de l’opération Sentinelle, le développement de l’interopérabilité avec les forces de sécurité intérieure et les autres acteurs, comme l’adaptation des modes d’action aux évolutions de la menace, doit donc se poursuivre.

Cette réflexion intègre un volet capacitaire. C’est ainsi que le rapport qui vous a été remis indique que certaines capacités devront être renforcées, pour compléter celles qui sont actuellement mises en œuvre sur le territoire national et qui, pour l’essentiel, sont communes avec les capacités employées pour les opérations extérieures.

Il s’agit d’abord de capacités dont disposent les armées et qui sont peu ou pas utilisées sur notre territoire. Je pense notamment aux capteurs d’observation et de surveillance que je viens de citer, qui peuvent être mis en œuvre si nécessaire sur réquisition du ministère de l’intérieur.

En outre, certaines capacités devront être renforcées, afin d’optimiser la contribution des armées à la protection du territoire national et de ses approches.

Je pense notamment au développement des moyens de mobilité terrestre. Il en va de même de tout le secteur des communications et transmissions, qui font et feront l’objet d’actions d’urgence. Les moyens de planification et d’échange d’information avec les autres acteurs étatiques doivent également être développés, afin de parfaire l’interopérabilité entre les armées et les acteurs de la sécurité intérieure.

Je pense également aux drones, dont la montée en puissance est inscrite dans la loi de programmation militaire, en particulier les drones tactiques, mais aussi, à terme, les drones MALE, comme le montre déjà l’emploi des drones Harfang dans les bulles aériennes de protection de certains grands événements. Les réflexions en cours doivent intégrer la possibilité de les impliquer davantage dans des missions sur le territoire national et ses approches.

Le renforcement de la surveillance de nos approches maritimes en métropole et outremer doit s’accompagner enfin d’un effort s’agissant de nos moyens de détection et d’intervention, qu’il s’agisse de radars côtiers, de systèmes de détection à très basse altitude, de systèmes de protection à l’égard de drones ou de patrouilleurs de surveillance et d’intervention pour nos vastes espaces marins.

Comme l’a amplement démontré l’expérience de l’opération Sentinelle, nous devons enfin avoir une attention toute particulière sur les conditions d’exécution. Je pense en particulier au soutien des hommes et des femmes ainsi engagés. Je suis conscient, ici, des difficultés qui persistent, notamment en matière d’hébergement. Les premiers déploiements opérés en urgence au début de l’année 2015 se sont déroulés dans des conditions parfois délicates.

Des mesures ont été prises, dès le printemps dernier, pour faire face à cette situation inédite et pour la corriger lorsque c’était nécessaire. Nous avons ainsi mobilisé tous les lieux d’hébergement possibles du ministère, y compris l’îlot Saint-Germain et le Val-de-Grâce, pour rapprocher nos militaires déployés de leurs zones d’intervention.

La politique immobilière décidée en ce sens a bénéficié de mesures financières qui ont permis – j’ai pu, comme certains d’entre vous d'ailleurs, le vérifier – d’améliorer significativement les conditions d’hébergement, en particulier en Île-de-France. Des efforts restent cependant à accomplir, et le ministère s’y consacre avec beaucoup de détermination.

La condition du personnel engagé dans cette opération mérite également une attention particulière. L’exceptionnelle mobilisation de nos militaires sur le théâtre national, comme d’ailleurs en opérations extérieures, s’est traduite, pour beaucoup de nos soldats, par une absence de leur foyer très importante en 2015.

Conscient du caractère exceptionnel de cette situation, qui se répercute sur les familles, j’ai décidé d’octroyer le bénéfice de l’indemnité pour sujétion spéciale d’alerte opérationnelle aux militaires déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle, ainsi qu’aux militaires participant au dispositif Cuirasse de protection des sites militaires sensibles.

Ces dispositions indemnitaires seront maintenues et la condition des personnels sera améliorée, dans le cadre du plan annoncé par le Président de la République lors de ses vœux aux armées.

Je l’ai dit en évoquant les principes structurant l’emploi des armées sur le territoire national : il n’existe qu’une seule et unique armée, agissant à l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières.

Je rappelle, à cet égard, que 70 000 militaires ont déjà été engagés dans Sentinelle en 2015, certains jusqu’à six fois, avec une moyenne de plus de 7 500 soldats chaque jour depuis le début de l’opération.

L’annulation par le Président de la République de 18 750 déflations, décision concrétisée par l’actualisation de la loi de programmation militaire votée en juillet 2015, va permettre de réaliser 11 000 recrutements supplémentaires d’ici à la fin de l’année 2016, au bénéfice de la force opérationnelle terrestre.

Ces jeunes soldats, une fois formés et opérationnels, contribueront à alléger la mobilisation de nos effectifs, particulièrement intense depuis l’activation du contrat opérationnel de protection dans son intégralité, le 13 novembre dernier.

En outre, à la suite de l’annonce du Président de la République devant le Congrès, le 16 novembre dernier, quelque 10 000 postes supplémentaires seront sauvegardés sur les années 2017 à 2019, afin notamment de renforcer nos effectifs opérationnels, et ainsi de rendre soutenable dans la durée ce niveau d’engagement de nos forces, qui est tout à fait exceptionnel.

La contribution des armées à la fonction stratégique de protection s’accompagne, très logiquement, d’une rénovation en profondeur de la politique de nos réserves. Pour la première fois, en 2015, le nombre des réservistes militaires a connu une augmentation, cela grâce à une volonté forte de tous les acteurs concernés.

J’ai eu l’occasion de l’annoncer la semaine dernière, lors des assises de la réserve : dès 2018, ce sont 40 000 réservistes opérationnels qui contribueront aux missions de protection, avec 1 000 réservistes engagés par jour, au lieu des 400 à 450 qui le sont aujourd’hui.

Bénéficiant d’un budget accru inscrit dans la loi de programmation militaire actualisée, offrant des parcours plus attractifs, la réserve viendra notamment compléter les effectifs d’active dans des domaines déficitaires ou sensibles tels que la cyberdéfense.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l’essentiel des réflexions portées par ce rapport que je considère comme important.

En 2015, ce sont près de 11 000 soldats, marins et aviateurs qui auront été engagés quotidiennement dans ces missions de protection, de sûreté et de sauvegarde, alors que le territoire national est devenu le premier théâtre de nos engagements opérationnels et que la menace reste particulièrement préoccupante.

En ce moment même, ils sont autant à veiller sur nous, et vous me permettrez de leur redire, à l’occasion de ce débat, notre reconnaissance pour l’engagement qui est le leur. C’est un engagement difficile, qui réclame sang-froid, endurance, abnégation, courage aussi, toutes qualités qu’ils ont eu l’occasion de démontrer à maintes reprises, au cours de cette première année émaillée d’interventions parfois musclées, mais en gardant toujours le contrôle de la situation et de leur puissance de feu.

C’est en tout cas, aujourd’hui plus que jamais, un engagement essentiel, pour lequel je fais pleine confiance à nos armées.

Le Président de la République a rappelé l’impérieux devoir du Gouvernement d’assurer la protection de la Nation et de nos concitoyens. Je veux dire devant vous que la défense, avec ce cadre structurellement renouvelé, continuera à jouer tout son rôle dans cette mission vitale pour le territoire national et pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – M. Jacques Gautier applaudit également.)