Mme Isabelle Debré. C’est petit !

M. Alain Gournac. Le trait est gros !

Mme Marie-Christine Blandin. Des propriétaires d’une certaine marque de montre s’indignent-ils ?

M. Jean-Louis Carrère. Ils ont été touchés !

Mme Marie-Christine Blandin. Des exemples récents ont montré que la frontière est mince entre l’information et les intérêts des actionnaires envers leurs annonceurs.

Seules des règles strictes peuvent éloigner les risques de dépendance des rédactions, de comportements zélés ou d’autocensure.

Nous éprouvons donc beaucoup de regrets et peu de satisfaction. Nous avions la possibilité de mettre en place des dispositions ambitieuses pour garantir la qualité de l’information. Certains ont pourtant pensé, ce matin, qu’il était urgent d’attendre pour ne fâcher personne.

Alors que la démocratie vacille et que le peuple n’a plus confiance, gardons-nous de ne brandir en France qu’un sabre de bois, qui fera rire les éditeurs de presse, ou plutôt ceux qui, à un moment donné de la courbe de leurs bénéfices, se sont servis de la presse comme d’une marchandise parmi d’autres. Le groupe écologiste réserve donc son vote final et se prononcera en fonction de l’évolution des avancées permises par ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. Hervé Poher et Mme Françoise Laborde applaudissent également.)

M. Alain Gournac. Plus c’est gros, plus ça passe !

Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.

Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, en ce moment même se tient en Turquie le procès de Can Dündar et Erdem Gül, journalistes au sein du journal progressiste et laïc Cumhuriyet. Ces deux journalistes d’investigation risquent la prison à perpétuité. Pour quelle raison ? Simplement pour avoir publié une enquête sur la livraison d’armes par les services de renseignement turc à des rebelles islamistes en Syrie au début de l’année 2014.

Plus que jamais, cette affaire, qui fait grand bruit en Turquie et qui est devenue l’un des symboles de la répression de la liberté de la presse par le régime de Recep Tayyip Erdogan, doit nous rappeler l’importance de médias libres et indépendants.

C’est l’objet de la proposition de loi examinée en séance aujourd’hui que de renforcer la garantie des principes constitutionnels qui fondent une liberté et une indépendance effectives des médias.

En effet, il faut bien le dire, la confiance du public dans ses moyens d’information s’érode depuis plusieurs années. Les raisons de cette défiance sont protéiformes, ainsi que l’explique l’Observatoire de la déontologie de l’information : les journalistes, moins soucieux d’une certaine éthique, sont considérés comme « trop proches du pouvoir ou des puissances d’argent ». Le phénomène est loin d’être nouveau. Rappelons-nous Albert Camus, défenseur acharné d’une morale professionnelle pour tous les journalistes, qui militait pour « couper les liens incestueux entre notre profession et les puissances d’argent ».

De ce point de vue, l’année 2015 est venue éclairer d’une lumière nouvelle le vœu que formait l’auteur de L’Homme révolté en 1939. En effet, jamais la concentration des médias entre les mains de quelques industriels, dont les autres activités ont peu à voir avec l’information et la communication, n’avait été aussi visible et importante. De Libération au Parisien–Aujourd’hui en France en passant par L’Obs, L’Express ou BFM TV–RMC, on peut égrener les noms de médias regroupés entre les mains d’une poignée d’hommes d’affaires.

L’un de ces exemples s’est peut-être avéré plus symbolique que d’autres tant il a parlé à notre imaginaire collectif : j’ai en tête la reprise en main de la ligne éditoriale de Canal+ par Vincent Bolloré, qui s’est accompagnée de la censure de documentaires de l’émission Spécial Investigation. Les questions suscitées par ce sujet ont animé les auditions de notre commission.

Une démocratie ne peut que sortir renforcée d’une loi visant à consolider l’indépendance et le pluralisme de ses médias. En effet, si ce combat est avant tout celui des rédactions et des journalistes, il peut aussi nécessiter l’engagement de la représentation nationale.

Ce texte peut permettre de faire évoluer la législation en vigueur eu égard à certaines pratiques devenues caduques et favoriser l’émergence d’autres pratiques en rapport avec une certaine actualité.

Je pense notamment à la jurisprudence relative au délit de recel de violation du secret de l’instruction, dans les cas où l’intérêt général est en jeu : ce délit est tombé en désuétude à mesure que les tribunaux prononçaient régulièrement la relaxe des journalistes. Je pense également aux dispositions visant à élargir le statut de lanceur d’alerte en matière d’environnement et de santé publique, domaines où l’importance de leurs révélations n’est plus à démontrer.

Il est d’ailleurs regrettable que, sur ces deux points, la commission des lois comme la commission de la culture aient décidé de faire marche arrière. Voilà un bien mauvais signal envoyé, d’une part, aux journalistes d’investigation et, d’autre part, aux lanceurs d’alerte, alors même que l’actualité de ce début de semaine et les révélations qui ont suivi la publication des « Panama papers » par Le Monde confirment à quel point nous avons besoin d’eux et, par conséquent, de protéger leur statut et leurs enquêtes.

Je regrette également les reculs de notre commission sur l’article 1er. Il paraissait tout à fait légitime de généraliser à tous les journalistes le droit d’opposition, protection dont bénéficiaient jusqu’alors les seuls journalistes de l’audiovisuel public.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Nous l’avons fait !

Mme Mireille Jouve. Notre commission a toutefois jugé bon de supprimer la notion d’« intime conviction professionnelle », qui venait établir dans la pratique ce droit d’opposition. Or cette conviction, loin d’être une humeur du moment, devait être formée dans le respect d’une charte déontologique dont chaque entreprise de presse devra se doter. Par ailleurs, cette notion existe de longue date pour les journalistes de l’audiovisuel public ; sa transposition dans la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle n’avait d’ailleurs rencontré aucune opposition.

Concernant cette charte déontologique, je forme également le vœu qu’elle permette l’inscription d’un code de bonne conduite sur l’emploi des journalistes et les conditions de leur rémunération, à un moment où les conditions de travail ne cessent de se dégrader et la part des pigistes d’augmenter. C’est d’ailleurs pourquoi certains de mes collègues et moi-même proposerons une rédaction collégiale de cette charte de déontologie.

Enfin, je proposerai également de rétablir le dispositif de retrait des aides publiques en cas de manquement aux obligations de transparence de l’actionnariat ou de violations des obligations de droit d’opposition des journalistes. Le principe me paraît suffisamment important pour être maintenu et je ne suis pas convaincue par l’argument selon lequel ce dispositif de sanction serait plus lourd pour les entreprises les plus fragiles. Il le sera, avant tout, pour celles qui ne respectent pas certains devoirs qui semblent pourtant essentiels.

Mes chers collègues, le groupe du RDSE se prononcera diversement sur ce sujet. Je conclurai, pour ma part, par cette citation d’Albert Camus qui n’a pas fini de nous faire réfléchir : « un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas ». (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mmes Corinne Bouchoux et Élisabeth Doineau ainsi que M. Bernard Lalande applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la liberté, de l’indépendance et du pluralisme de la presse : qui oserait prétendre qu’il ne s’agit pas là d’une question centrale pour notre démocratie mais aussi, en ce moment, de l’un de ses maillons faibles ?

Notre démocratie ne se porte pas bien ; or les questions de la libre information, de son indépendance vis-à-vis des puissances d’argent et de son pluralisme réel, et non seulement de la pluralité des canaux d’informations, sont au cœur de cette crise démocratique.

« Donner à toutes les intelligences libres les moyens de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde » : ce principe, ce droit fondamental énoncé par Jean Jaurès dans l’éditorial du numéro fondateur de L’Humanité est-il aujourd’hui assuré à tous nos concitoyens ? Loin de là !

Nous attendions donc sur ce sujet essentiel une loi importante. Le quinquennat en cours aura au contraire été marqué par des mouvements redoublés de contrôle et de concentration dans tous les grands moyens d’information, par une précarisation croissante d’une grande part des journalistes et par une instabilité économique toujours plus grave dans un secteur à la recherche d’un nouveau modèle d’équilibre.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue en quelque sorte un rattrapage de ce manquement à l’initiative législative attendue. Elle a le mérite d’avancer, enfin, sur ces terrains essentiels mais ses limites sont elles aussi avérées.

Le présent texte laisse de côté deux questions majeures.

Premièrement, il ignore la précarisation croissante du métier, sur laquelle tous les syndicats de journalistes ont tenu à insister auprès de nous. Ce phénomène menace la qualité et le libre exercice professionnel du métier de journaliste.

Deuxièmement, il ne traite pas de l’étouffement du pluralisme par la concentration financière et multimédia qui ne cesse de se renforcer. Auditionné par notre commission de la culture, le président du CSA l’a pourtant reconnu : « Les lois anti-concentration sont dépassées. »

À cet égard, nous proposerons, à travers nos amendements, des dispositions essentielles. Mais, au-delà, il faut d’urgence entreprendre un chantier législatif d’ampleur.

Je le sais, on nous opposera l’imperfection de nos amendements. Mais qui peut le plus peut le moins ! Les dispositions que nous avançons constitueraient un premier pas dans la bonne direction et une incitation à poursuivre.

Parallèlement, on nous objecte qu’en encadrant la mainmise de MM. Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Drahi, Bergé, Lagardère, Niel, Pigasse, Pinault, ou encore du Crédit mutuel, l’on risquerait d’ouvrir la porte au capital étranger anglo-saxon, et de lui donner la maîtrise de nos moyens d’information.

Permettez-nous de penser que la protection du CAC 40 ne nous apportera pas la meilleure des garanties !

À ce titre, Hubert Beuve-Méry savait faire la différence entre une « industrie de presse » et une « presse d’industrie ». C’est vers la seconde, vers ce que l’on appellerait aujourd’hui « une presse d’argent », que nous avançons aujourd’hui à grands pas. Beuve-Méry disait à son propos : « Il suffit que l’information n’aille pas porter quelque préjudice à des intérêts très matériels et très précis, ou, à l’occasion, qu’elle les serve efficacement. »

Les exemples sont, hélas ! nombreux. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer les exemples les plus récents, le film Merci Patron !, l’émission Les Guignols de l’info, ou encore un reportage à charge consacré au Crédit mutuel par la chaîne Canal+. À l’inverse, on peut mentionner les préventions de M. de Tavernost, de M6, lequel ne supporte pas que l’on dise du mal de ses clients à l’antenne. On le vérifie ainsi, ces problèmes sont bien là !

Dans le même temps, chacun le sait, des titres majeurs du pluralisme comme L’Humanité, Politis ou Mediapart (M. Alain Gournac s’esclaffe. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.),…

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. On sait bien que ces titres ne reflètent pas vos opinions !

M. Cédric Perrin. En effet, nous les lisons rarement !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Eh bien, vous devriez les lire plus souvent !

M. Pierre Laurent. … mènent un combat quotidien acharné pour assurer leur survie et en restant indépendants.

M. François Bonhomme. Modèles de pluralisme !

M. Alain Gournac. Pluralisme un peu spécial…

M. Pierre Laurent. La présente proposition de loi s’emploie avant tout à offrir de nouvelles garanties d’indépendance aux journalistes et aux équipes rédactionnelles.

Nous soutenons plusieurs de ces avancées, notamment celle, très importante, qui est relative à la protection des sources. Nous souhaitons que ce texte soit renforcé dans ce domaine, mais aussi en vue de protéger les lanceurs d’alerte.

Nous saluons l’instauration d’un droit de retrait des journalistes, qui peut être invoqué quand on cherche à leur imposer un contenu aux antipodes des principes déontologiques et de leurs convictions professionnelles. Encore faudra-t-il que ce droit ne soit pas bafoué, dans les faits, par la pression exercée sur chaque journaliste, par des conditions de travail de plus en plus précaires.

Nous proposons également de développer entièrement les intentions de transparence, en exigeant la pleine publicité des mouvements d’actionnaires dans la propriété des médias, sans aucun seuil.

Sur le front de la déontologie, nous appuyons certaines avancées contenues dans cette proposition de loi, mais nous entendons les renforcer clairement, les garantir par la référence aux chartes qui unissent la très grande majorité de la profession. Faute de quoi, nous risquons de voir fleurir dans les rédactions des « chartes maison » au rabais, au gré des rapports de force inégaux entre actionnaires et journalistes. Nous veillerons donc à introduire une référence claire à la charte des droits et devoirs de Munich et à la charte d’éthique professionnelle adossée à la convention collective.

Pour les mêmes raisons, nous proposons, à travers plusieurs amendements, de renforcer et de garantir le poids et les droits des équipes rédactionnelles.

Nous préférons ce chemin à celui qui a été choisi au sujet du CSA. En effet, nous mettons en doute l’article relatif au rôle de cette instance. Ces dispositions partaient semble-t-il d’une bonne intention. Mais elles risquent d’aboutir à l’inverse du but visé : non pas la garantie de l’indépendance mais le contrôle des rédactions et des médias, auquel le CSA précise lui-même qu’il n’est pas candidat !

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous souhaitons travailler à enrichir les garanties apportées par cette proposition de loi, lesquelles, dans plusieurs domaines clefs, nous paraissent encore trop homéopathiques.

Notre vote dépendra également du sort réservé aux intentions affichées pour le présent texte par la majorité sénatoriale.

Au cours de nos débats, nous avons parfois le sentiment que la voix des grands actionnaires souffle manifestement dans les nuques.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Pas du tout, c’est la voix du bon sens !

M. Pierre Laurent. Il est clair que, pour notre part, nous ne voterions pas une proposition de loi privée de ses quelques avancées, un simple texte d’affichage vidé de son sens.

M. David Assouline. Bien sûr !

M. Pierre Laurent. Nous resterons donc actifs et vigilants, tout au long des discussions, pour rendre possible le vote de dispositions plus nécessaires que jamais à la liberté, à l’indépendance et au pluralisme des médias. Voilà pourquoi, en l’état du présent texte, nous réservons notre vote ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Corinne Bouchoux et Marie-Christine Blandin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux. (Mme Patricia Morhet-Richaud et M. Michel Houel applaudissent.)

M. Alain Gournac. Ah, enfin !

M. Jean-Pierre Leleux. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, pour paraphraser l’un de mes maîtres à chanter, Jacques Brel, je dirai que la « quête » vers l’indépendance, cette « inaccessible étoile », est non seulement légitime mais tout à fait louable, et que nous la suivons tous.

Même si cette quête reste un « impossible rêve », nous devons tenter ensemble de l’atteindre.

M. Jean-Claude Carle, vice-président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Comme c’est bien dit ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Leleux. Toutefois, on peut s’interroger quant à la précipitation avec laquelle sont débattues les dispositions soumises, aujourd’hui, à notre examen. À ce titre, on peut regretter que la procédure accélérée soit devenue, ces derniers temps, un moyen habituel de légiférer.

Devant l’Assemblée nationale, Patrick Bloche, rapporteur de la proposition de loi relative à la liberté, à l’indépendance et au pluralisme des médias, a assuré que ces dispositions relevaient de l’urgence. Il a invoqué le souci de protéger les journalistes des risques de censure qu’engendrerait une concentration grandissante des médias.

Son propos faisait suite à la déprogrammation d’une émission d’investigation, à la demande de la direction de Canal+. Aussi ce texte a-t-il peu à peu reçu le surnom de « proposition de loi anti-Bolloré ».

Au reste, cette affaire a fait grand bruit à l’automne dernier. Le CSA est intervenu et l’émission en question a été reprise par France Télévisions. Dans une certaine mesure, elle prouve qu’une forme de régulation s’impose lorsque l’indépendance des médias subit une transgression, et que cette régulation peut être assurée presque naturellement.

Pour ma part, notamment à la suite de débats qui m’ont parfois mis un peu mal à l’aise, je décèle dans ce texte de loi un esprit de défiance et de suspicion à l’égard des rédactions de presse, des directeurs de journaux et de chaînes. D’ailleurs, lors des auditions menées par la commission, nos interlocuteurs nous ont affirmé les percevoir ainsi.

En revanche, les professionnels sont dans l’attente d’autres mesures qui les aideraient à faire face à la crise économique subie par le secteur depuis le développement du numérique, qui, elles, justifieraient l’urgence. Mais le texte qui nous parvient de l’Assemblée nationale imposait de nombreuses contraintes supplémentaires aux entreprises, notamment l’obligation de consultation annuelle du comité d’entreprise quant au respect du droit d’opposition des journalistes ou l’adaptation des conventions conclues par le CSA avec les éditeurs de services.

Notre commission de la culture a sensiblement modifié cette proposition de loi, sur l’initiative de son rapporteur, Catherine Morin-Desailly, dont je tiens à saluer la rigueur, source d’un travail de qualité, et la qualité d’écoute.

M. Jean-Claude Carle, vice-président de la commission de la culture. Très bien !

M. Jean-Pierre Leleux. Nous avons maintenu l’extension du droit d’opposition aux journalistes de presse écrite tout en veillant à la constitutionnalité de cette disposition, en supprimant la notion trop subjective d’« intime conviction professionnelle » figurant à l’article 1er. À l’instar de Mme la rapporteur, j’estime qu’il faudra maintenir cette suppression lors du vote en séance publique.

Nous avons évité un risque juridique, des complications pour le juge et une représentation vexatoire des liens de travail dans les sociétés de presse.

Cet article 1er érigeait clairement les journalistes en contre-pouvoir éditorial. Ceux-ci étaient à même de désavouer leur hiérarchie, alors qu’ils disposent déjà d’un statut protecteur et que la responsabilité civile et pénale du directeur de la publication est engagée.

Pour garantir cette liberté de conscience, il est certainement plus utile de généraliser les chartes déontologiques au sein des sociétés, comme l’a prévu l’Assemblée nationale après l’intervention des élus du groupe Les Républicains.

De même, la version initiale de cette proposition de loi permettait une ingérence excessive et injustifiée du CSA et des comités d’éthique au sein des rédactions. Le CSA devenait une sorte d’arbitre, voire de censeur des relations entre les journalistes et leurs employeurs.

En conséquence, notre commission a pris une sage décision : refuser d’étendre exagérément les pouvoirs du CSA, tout en lui reconnaissant une mission de veille quant au pluralisme, à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes.

La même sagesse a motivé l’examen des articles portant sur les obligations d’information des sociétés en matière de transparence du capital. Nous avons choisi de relever le pourcentage déclenchant les obligations à un niveau plus adapté à la conjoncture.

De surcroît, la création d’une nouvelle sanction pour les manquements constatés mettant en cause le soutien financier apporté aux entreprises les plus fragiles était, à nos yeux, disproportionnée. Elle ne figure donc plus dans la rédaction adoptée en commission.

Enfin, je signale les modifications apportées à l’article 1er ter, relatif à la protection des sources des journalistes. En effet, il faut préserver un équilibre entre la liberté d’information, que nous appelons tous de nos vœux, et les intérêts majeurs de notre société, en l’occurrence le secret de l’instruction.

Parallèlement, nous avons maintenu les dispositions en faveur de la publication des annonces légales, ainsi que certaines avancées. Je songe notamment à l’incitation fiscale à investir dans les entreprises de presse, votée en 2015. Non seulement ces mesures ont peu à voir avec l’indépendance et la transparence des médias, mais elles présentent un intérêt pour les entreprises.

Il est urgent de répondre aux défis majeurs qu’affrontent la presse et le secteur audiovisuel, en butte à la baisse des ventes au numéro, à l’érosion et au vieillissement des publics, à la chute des recettes publicitaires et aux difficultés d’adaptation numérique. Ces défis sont multiples. Le principal d’entre eux est d’assurer la survie de nos entreprises face à l’essor des géants internationaux.

À mon sens, la concentration des médias en Europe n’est pas nécessairement une menace pour l’indépendance des journalistes. Bien au contraire, elle constitue une nécessité économique.

De nombreux rapports se sont succédé, proposant des mesures destinées à contrer les difficultés subies par les médias et l’audiovisuel. On souhaiterait que ce chantier de réformes soit engagé. D’importantes initiatives doivent être prises.

En conclusion, mes chers collègues, les membres de notre groupe voteront cette proposition de loi dans la mesure où elle conservera la valeur ajoutée apportée en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – MM. Jean-Claude Luche et Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, « renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias » : quel beau titre pour une proposition de loi !

Comment expliquer qu’un tel texte puisse susciter une opposition très large de la part des éditeurs de presse et des syndicats de journalistes ?

Nous sommes convaincus de l’importance des enjeux en présence, comme des valeurs d’indépendance et de pluralisme des médias. Dans une France marquée par l’esprit des Lumières, l’indépendance de la presse est solidement ancrée dans les consciences.

J’admets volontiers que l’on n’est jamais assez exigeant, jamais assez vigilant à cet égard, même si je ne perçois pas de remise en cause.

Quelques incidents récents, qui viennent d’être rappelés, ont été mis en avant. Tel ou tel reportage n’aurait pu être diffusé. Mais ces faits ont donné lieu à de vifs débats dans la société française : c’est là la preuve que les principes d’indépendance et de pluralisme des médias sont bien vivants, qu’ils sont spontanément perçus comme légitimes.

Aussi est-il probablement excessif de nous proposer d’examiner ce texte selon la procédure accélérée. Cette initiative pour partie désordonnée ajoute au législateur des contraintes peu en phase avec l’évolution des médias.

M. Leleux l’a indiqué il y a quelques instants : en la matière, le risque principal est d’ordre économique, au regard de la faiblesse de la surface financière ou des résultats de nombreuses entreprises du secteur. En 2016, l’économie des médias me semble plus en danger que leur indépendance.

Si je puis faire un clin d’œil à M. Pierre Laurent, en la matière, la dissociation entre « liberté formelle » et « liberté réelle » ne doit pas être sous-estimée. La liberté ne sera réelle que lorsque l’équilibre économique des médias français sera de nouveau assuré.

Cette interrogation économique se double d’une remise en cause technologique, marquée par l’émergence du numérique et l’arrivée de nouveaux concurrents issus de cette sphère. Ces derniers, qui sont le plus souvent des acteurs internationaux, deviennent des médias de plein exercice. Madame la rapporteur, ce phénomène est l’un de ceux qui, dans votre travail, vous ont servi de guide.

L’entreprise de presse audiovisuelle ou écrite n’a besoin ni d’instabilité ni de complexité. La faiblesse structurelle de cette proposition de loi découle du fait qu’elle s’éloigne de cette notion d’entreprise, voire qu’elle commet des contresens. Je songe au rôle qui aurait pu être confié aux comités d’entreprise, si l’on en était resté aux termes initiaux.

En outre, la volonté d’ériger le CSA en juge, en arbitre sur ce terrain déontologique, alors qu’il est lui-même acteur, par sa compétence de désignation, ne semble pas s’appuyer sur une réflexion aboutie.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Voilà !

M. Philippe Bonnecarrère. Dans le calendrier très étroit offert par la procédure accélérée, il était illusoire, pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de travailler sur l’ensemble du cadre économique d’exercice des médias. De même, il serait inapproprié ou hâtif de vouloir modifier les équilibres de la loi de 1881.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Tout à fait !

M. Philippe Bonnecarrère. La commission s’est efforcée de faire simple et efficace, en anticipant de possibles conciliations, d’une part, entre les journalistes et les éditeurs de presse et, d’autre part, entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Il est permis d’observer que la présente proposition de loi ne traite pas de la définition du « journaliste professionnel », laquelle, curieusement, reste double : se combinent celle des articles L. 7511–3 à L. 7511–5 du code du travail et celle introduite, par la loi du 4 janvier 2010, à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881.

J’approuve les amendements présentés par Mme la rapporteur et retenus par la commission.

Un important pas en avant est proposé vers les journalistes, avec les chartes de déontologie. Parallèlement, les conditions d’adoption de ces documents restent ouvertes. Ainsi, les entreprises de presse bénéficieront d’une certaine souplesse et la responsabilité du directeur de publication ne sera pas dissoute. Tel est l’objet de l’article 1er, qui généralise le droit de tout journaliste à refuser toute pression ou à ne pas divulguer ses sources, tout en étendant la charte déontologique à tous les médias, avec une date d’adoption réaliste.

J’approuve également la clarification de l’article 1er bis, grâce auquel la vocation des comités d’entreprise est bien stabilisée.

Nous débattrons des lanceurs d’alerte. Le choix a été fait de renvoyer ce sujet à un texte généraliste adéquat pour ne pas le tronçonner. Sur les différentes travées de cet hémicycle, nous exprimons tous à ce propos les mêmes préoccupations. Mais il faut éviter d’inscrire dans cette proposition de loi de sérieuses contradictions !

Le CSA recouvrerait son rôle de régulateur, et les comités de déontologie se verraient proposer une définition plus adaptée, notamment quant aux conditions de saisine énoncées à l’article 7.

M. le rapporteur pour avis a développé l’enjeu de la protection des sources. Pour l’essentiel, la commission des lois semble soucieuse de préserver le secret des sources autant qu’il est possible, sans modifier les équilibres trouvés au fil du temps par la Cour européenne des droits de l’homme.

Une rédaction plus brève de ces dispositions a pu être interprétée comme un retour en arrière. Certains s’en sont émus. Mais ce choix s’appuie avant tout sur un souci de pertinence juridique au regard d’une jurisprudence bien assise, du point de vue soit du droit à l’information et de l’indépendance des journalistes, soit de la protection de la vie privée ou de la présomption d’innocence.

L’article 1er ter pose bien le principe de la protection des sources des journalistes. Il précise qui a droit à cette protection du secret des sources et définit ce qu’est une atteinte à celui-ci, en fixant de manière limitative des exceptions au principe.

Mes chers collègues, permettez-moi de conclure en indiquant que notre commission a très fermement insisté sur l’importance de maintenir l’article 11 ter dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Le pluralisme de la presse hebdomadaire, qui assure un maillage essentiel dans nos départements, serait largement mis en cause si l’accès aux annonces légales n’était pas rouvert à celle-ci, notamment pour les ventes dites « commerciales ». Au demeurant, cet enjeu ne se limite pas à la presse hebdomadaire. La presse quotidienne, qu’elle soit régionale ou nationale, s’y montre également attentive ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)