M. Michel Magras. Cet amendement vise à adapter à la situation de Saint-Barthélemy les dispositions du code général des collectivités territoriales applicables aux services d’incendie et de secours, les SDIS.

Alors que la commune de Saint-Barthélemy est, depuis 2007, une collectivité d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution, elle est restée rattachée au SDIS de la Guadeloupe. Il s’agit là d’une situation à corriger, à un double titre.

En premier lieu, d’un point de vue pratique, lorsque l’organisation d’une opération de secours est requise en urgence, il va sans dire que cette situation constitue un obstacle, la Guadeloupe étant éloignée de 250 kilomètres par la mer.

En second lieu, d’un point de vue administratif, la gestion du centre de secours de Saint-Barthélemy est assurée par le SDIS de la Guadeloupe dans le cadre d’une convention avec la collectivité. Ainsi, un service d’une collectivité relevant de l’article 74 de la Constitution se trouve géré par une collectivité régie par l’article 73.

C'est pourquoi, afin d’assurer une organisation et une gestion plus pragmatiques du centre de secours, le conseil territorial a mis fin à cette convention bilatérale par une délibération de mai 2015 et créé dans le même temps un service territorial d’incendie et de secours.

Il s’agit donc d’un service de la collectivité, alors que, dans le droit commun, les services d’incendie et de secours sont des établissements publics. Un tel choix est plus adapté à la taille de la collectivité. Il évite notamment la création d’un conseil d’administration, exorbitante pour un si petit territoire. Nous proposons de substituer un service territorial à l’établissement public prévu par le droit commun.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Cet amendement, qui vise à créer un service territorial d’incendie et de secours à Saint-Barthélemy, paraît pertinent au regard de la problématique territoriale.

Aux termes de l’article L.O. 6214-3 du code général des collectivités territoriales, la collectivité de Saint-Barthélemy est compétente pour la création et l’organisation des services et des établissements publics de la collectivité. Toutefois, la sécurité civile étant une compétence régalienne, le législateur doit définir le contenu de cette compétence, d’où le présent amendement.

L’avis de la commission est plutôt favorable, mais nous souhaiterions entendre celui du Gouvernement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ericka Bareigts, ministre. Avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 20 rectifié ter.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 34 sexies.

L'amendement n° 211, présenté par MM. Karam, Mohamed Soilihi et S. Larcher, Mme Claireaux, MM. Patient, Cornano, Antiste, Desplan, J. Gillot, Vergoz, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l'article 34 sexies

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À compter du 1er janvier 2018, la rémunération des ministres du culte catholique en Guyane agréés par le représentant de l’État en Guyane cesse d’être imputée sur le budget de la collectivité territoriale de Guyane. Elle ne saurait être imputée sur le budget de l’État ou sur celui de toute autre collectivité.

La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Madame la ministre, mes chers collègues, je vous demande de prêter une attention particulière à cet amendement, au nom du principe de laïcité dont vous êtes les garants. Il s’agit de réparer une véritable injustice historique.

La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État ne s’applique pas sur l’ensemble du territoire français. Si son application a été étendue à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion à partir de 1911, elle ne s’applique toujours pas en Guyane, qui reste placée sous le régime de l’ordonnance royale du 27 août 1828.

De ce fait, seul le culte catholique est reconnu en Guyane. Les ministres du culte catholique sont des salariés de la collectivité territoriale de Guyane. L’évêque a un statut d’agent de catégorie A, et les vingt-neuf prêtres sont des agents de catégorie B. Le budget de la collectivité doit supporter, à ce titre, une dépense d’environ 1 million d’euros par an.

Par ailleurs, les décrets-lois de 1939, dits décrets Mandel, sont également appliqués, pour permettre à toutes les sensibilités religieuses de bénéficier d’une aide publique.

Cette situation a été remise en cause à plusieurs reprises. En mai 2015, le président du conseil général de l’époque, Alain Tien-Liong, décidait de ne plus verser le salaire des prêtres, avant d’y être contraint par la justice administrative.

Le climat est désormais favorable au changement. D’un côté, la collectivité territoriale de Guyane a envoyé un signal positif en réamorçant le paiement des salaires ; de l’autre, monseigneur Lafont, évêque de Guyane, a admis qu’il était temps de mettre un terme à ce privilège, considérant que « le temps est venu pour que l’Église prenne en charge sa vie tout entière en Guyane ».

Toutefois, afin de permettre l’organisation de la transition entre ces deux régimes, il est proposé de ne faire entrer cette disposition en vigueur qu’au 1er janvier 2018.

Pour Jean Jaurès, « la loi de séparation, c’est la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison ». Je vous invite donc à éclairer un peu plus la Guyane en adoptant cet amendement. C’est aussi cela, l’égalité réelle : établir certains pans du droit dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Il s’agit – je ne le conteste absolument pas – d’un sujet essentiel. Vous comprendrez que je m’étonne qu’il n’ait pas fait l’objet d’un amendement à l’Assemblée nationale. Mme Berthelot, par exemple, aurait pu en déposer un… (Rires.)

Sur le fond, si la fin de la rémunération des seuls représentants du culte catholique par la collectivité publique apparaît, de prime abord, plus conforme au principe de séparation des Églises et de l’État, je ne suis pas en mesure d’en apprécier les conséquences concrètes. Quid de la retraite des prêtres, par exemple ? Il me semble que la prise d’une telle décision devrait être précédée d’un examen plus approfondi.

C’est pourquoi je demande, en l’état, le retrait de l’amendement. Sinon, je serai contraint d’émettre, au nom de la commission, un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ericka Bareigts, ministre. Monsieur le sénateur, j’ai bien entendu votre demande. Il y a quelques années, j’avais déjà pu échanger avec le président du conseil général de l’époque sur cette question, sensible s’il en est. Le sujet étant plus politique que juridique, je m’en remettrai à la sagesse du Sénat.

D’un point de vue juridique, la loi du 9 décembre 1905 de séparation des églises et de l’État n’est pas applicable en Guyane, laquelle demeure régie, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, par l’ordonnance royale du 27 août 1828.

Par ailleurs, depuis la loi de finances du 13 avril 1900, le clergé catholique en Guyane est rémunéré sur les fonds publics. Cette rémunération a conservé un caractère de dépense obligatoire lors de la création de la collectivité unique.

Enfin, les régimes particuliers peuvent être maintenus au regard de la jurisprudence du Conseil d’État, qui autorise le maintien des règles particulières relatives à l’organisation des cultes antérieures à l’adoption de la Constitution du 4 octobre 1958.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.

M. Philippe Bonnecarrère. Je ne voterai pas l’amendement. La statue de Portalis nous rappelle que l’on ne doit toucher à la loi que d’une main tremblante : cela vaut particulièrement pour celle de 1905. Outre l’exception concordataire, il existe un certain nombre de dérogations, introduites dans des conditions juridiques assez bien connues. Certaines concernent les collectivités d’outre-mer.

Ce sujet est trop important, trop délicat, trop sensible dans notre société pour être traité à l’occasion de l’examen de ce projet de loi. Les esprits ont beaucoup évolué sur cette question, et nous avons de nombreux débats sur la constitution d’un islam de France. À cet égard, le concordat est l’une des options possibles.

De grâce, ne prenons pas une décision hâtive, sur la base de principes qui, par ailleurs, ont déjà intégré un certain nombre de contraintes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour explication de vote.

Mme Jacky Deromedi. Si cet amendement était adopté, l’État ne pourrait plus subventionner en Guyane les aumôneries scolaires, pénitentiaires et hospitalières, alors qu’il peut le faire en métropole, en vertu même de la loi de séparation des Églises et de l’État. On aurait donc en Guyane un régime plus strict qu’en métropole.

Sur le fond, la situation finira par être réglée dans les prochains mois, car l’évêché de Guyane a compris que le régime de rémunération des ministres du culte catholique par la collectivité unique ne pourrait persister. Il est donc en train de mettre en place un système du denier du culte, comme en France métropolitaine, et demande simplement un délai.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Labazée, pour explication de vote.

M. Georges Labazée. Je ne comprends pas comment une ordonnance royale de 1828 peut l’emporter sur la loi de la République ! J’aimerais que l’on nous éclaire sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam, pour explication de vote.

M. Antoine Karam. Je suis issu d’une famille profondément catholique et j’ai même été enfant de chœur, mais je défends néanmoins le principe républicain de laïcité.

J’ai présenté une proposition de loi il y a plus d’un an. On m’a alors invité à déposer des amendements sur d’autres textes à venir, tel le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, que nous avons examiné voilà quelques semaines.

Je pense qu’il faut en finir et régler une fois pour toutes ce problème, sauf à ce que l’État rémunère les prêtres, comme en Alsace. La collectivité territoriale de Guyane ne peut continuer à assumer cette charge ! Le président de l’assemblée territoriale de Guyane, M. Rodolphe Alexandre, a déposé une question prioritaire de constitutionnalité sur ce sujet et m’a donné son accord pour que je m’exprime comme je le fais ce matin.

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.

M. Thani Mohamed Soilihi. Il faut avancer : ce n’est pas parce que le sujet est sensible que notre assemblée ne doit rien faire. Mon groupe votera cet amendement. La commission mixte paritaire permettra, le cas échéant, d’y revenir.

Mme la présidente. La parole est à M. Félix Desplan, pour explication de vote.

M. Félix Desplan. À mon avis, il n’y aurait pas de sacrilège à donner satisfaction à M. Karam. Ce serait tout au plus un péché véniel… (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.

M. Yannick Vaugrenard. Le fait que nos collègues députés n’aient pas jugé utile de déposer un tel amendement n’est pas un argument. Il arrive fréquemment au Sénat de se démarquer de l’Assemblée nationale, et c’est heureux ! Certains voudraient la supprimer ou réduire son rôle, mais la vocation de la Haute Assemblée est bien, jusqu’à preuve du contraire, de légiférer.

Par ailleurs, la proposition de M. Karam va dans le bon sens, car elle relève à l’évidence de la même philosophie que la loi de 1905, qui était une loi d’apaisement. Élu de la Loire-Atlantique, comme Aristide Briand, j’ai pris le temps de me pencher dans le détail sur les débats de l’époque.

Nous ne devons pas avoir la main tremblante : la même logique doit s’appliquer sur l’ensemble du territoire national, en métropole comme en Guyane. Il semble d’ailleurs que l’ensemble de la communauté guyanaise, y compris l’évêque, soit favorable à cette évolution. Nous devons avoir le courage de trancher : nous sommes une assemblée politique, et non une simple assemblée de juristes !

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Évelyne Didier. Pour ma part, je découvre ce sujet. Adopter la proposition de M. Karam semble relever de l’évidence. Notre groupe votera donc cet amendement. Il reviendra ensuite au Gouvernement et au Parlement de définir les modalités d’une évolution acceptée par l’Église catholique. La situation actuelle paraît surréaliste. Il est nécessaire de la normaliser en ménageant une transition sereine.

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.

Mme Aline Archimbaud. Mme Deromedi a demandé du temps. Or l’amendement prévoit une entrée en vigueur le 1er janvier 2018 : cela laisse toute l’année 2017 pour préparer la mise en œuvre de la mesure.

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient, pour explication de vote.

M. Georges Patient. En ma qualité de Guyanais, je suis favorable à ce que la collectivité territoriale de Guyane cesse de rémunérer le clergé catholique. Cependant, je ne comprends pas pourquoi il est précisé, dans le texte de cet amendement, que cette rémunération « ne saurait être imputée sur le budget de l’État ». On sait bien pourtant que, en Alsace-Moselle, le clergé catholique continue d’être rémunéré par l’État.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Tous les arguments avancés par les uns et les autres ont leur pertinence et leur légitimité.

Oui, nous sommes une assemblée politique, appelée en tant que telle à trancher, mais notre rôle est aussi de défendre le travail du Sénat sur le fond.

Une proposition de loi portant sur cette question a été déposée en mars 2015 par M. Karam et les membres du groupe socialiste et républicain. Comment pourrions-nous aujourd’hui nous prononcer sur un sujet aussi sensible et important au détour de l’examen d’un amendement, sans avoir procédé à la moindre audition ni à la moindre étude des conséquences d’une telle évolution ? (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme Éliane Assassi. C’est un amendement d’appel !

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Précisément : nous ne pouvons trancher une question essentielle en adoptant un simple amendement d’appel, sans disposer de réponses à l’ensemble de nos interrogations ! Je le répète, une proposition de loi a été déposée, dont l’examen permettrait d’approfondir la réflexion. Pourquoi le groupe socialiste ne l’a-t-il pas inscrite à l’ordre du jour depuis mars 2015 ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 211.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 89 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l’adoption 156
Contre 185

Le Sénat n’a pas adopté.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Articles additionnels après l'article 34 sexies
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique
Article 35

Articles additionnels après l'article 34 sexies (suite)

M. le président. L’amendement n° 239, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’article 34 sexies

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après le premier alinéa du V de l’article 4 de la loi n° 2010–2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :

« Le risque que l'une des maladies radio-induites susmentionnées soit attribuable aux essais nucléaires peut être considéré comme négligeable lorsque, au regard de la nature de la maladie et des conditions de l’exposition du demandeur, la probabilité d’une imputabilité de cette maladie aux essais nucléaires, appréciée par le comité au regard de la méthode qu’il détermine, est inférieure à 0,3 %.

« Le comité peut prendre en considération tout autre élément de nature à ouvrir le droit à une indemnisation, notamment l’incertitude liée à la sensibilité de chaque individu aux radiations et à la qualité des relevés dosimétriques.

« En cas d'absence ou d'insuffisance de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, le risque attribuable aux essais nucléaires ne peut être regardé comme négligeable lorsque, au regard des conditions concrètes d’exposition de la victime, des mesures de surveillance auraient été nécessaires.

« La documentation relative aux méthodes retenues par le comité, y compris pour l’appréciation du risque négligeable, est tenue à la disposition des demandeurs et rendue publique sur le site internet du comité. »

II. – Lorsqu’une demande d’indemnisation fondée sur les dispositions du I de l’article 4 de la loi n° 2010–2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l’objet d’une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l’entrée en vigueur de la présente loi et sous réserve que la première décision de rejet n'ait pas donné lieu à une décision juridictionnelle irrévocable dans le cadre des procédures mentionnées à l’article R. 312-14-2 du code de justice administrative antérieurement à son entrée en vigueur, le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s’il estime que l’entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l’abrogation de la précédente décision. Il en informe l’intéressé, ou ses ayants droit s’il est décédé, qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l’actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur, ou ses ayants droit s’il est décédé, peuvent également présenter une nouvelle demande d’indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Ericka Bareigts, ministre. Nous abordons, avec cet amendement, un sujet extrêmement douloureux pour la Polynésie française, qui depuis longtemps fait l’objet d’un travail important et mobilise nombre de personnes, dont vous, madame Tetuanui.

Nous souhaitons apporter une première réponse au problème de l’indemnisation des victimes d’essais nucléaires. Cet amendement a pour objet la modification du régime d’indemnisation des victimes d’essais nucléaires dans un sens favorable aux demandeurs. Il vise ainsi à honorer l’engagement pris par le Président de la République d’améliorer ce régime, afin de le rendre plus équitable.

En effet, le nombre d’indemnisations accordées apparaît aujourd’hui très faible, trop faible. Il est inférieur à ce qui avait été anticipé lors de l’examen de la loi du 5 janvier 2010.

Le Gouvernement avait initialement prévu d’apporter ces modifications par décret. Après avis du Conseil d’État, il est apparu que seule une loi pouvait définir les règles s’imposant à une autorité administrative indépendante pour apprécier les dossiers qui lui sont soumis.

L’amendement reprend les dispositions que le Gouvernement avait préparées, puis débattues avec les élus polynésiens et les associations de victimes. Son objet est donc connu, puisque sa teneur a été transmise aux représentants de la Polynésie française et aux associations. Il s’agit de diviser par trois le seuil en deçà duquel la probabilité qu’une maladie ait une origine radio-induite peut être considérée comme négligeable. Le seuil sera ainsi fixé à 0,3 %. Au-delà de ce seuil, le droit à indemnisation sera ouvert. Le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN, devrait donc pouvoir indemniser un plus grand nombre de victimes.

En outre, l’amendement ouvre la possibilité, au-delà de ces méthodes de calcul, de prendre en considération des éléments liés à la sensibilité de chaque individu et à la qualité des relevés dosimétriques.

Toujours en pleine conformité avec ce qui avait été présenté aux Polynésiens et aux associations de victimes, l’amendement précise que le risque ne pourra être considéré comme négligeable dans certains cas où des mesures font défaut alors qu’elles étaient nécessaires. Le dispositif de cet amendement reprend ainsi les avancées dégagées par la jurisprudence du Conseil d’État.

L’amendement précise aussi comment le CIVEN pourra réexaminer les dossiers ayant fait l’objet d’une décision de rejet dans le cadre du droit antérieur et qui pourraient donner lieu à une indemnisation à la faveur de la présente modification. De la même manière, il détermine comment les demandeurs ayant précédemment vu leur dossier rejeté pourront demander son réexamen à la faveur des nouvelles dispositions.

Enfin, afin d’accroître la transparence du processus, l’amendement tend à prévoir que la documentation relative aux méthodes retenues pour l’indemnisation sera rendue publique sur le site internet du CIVEN.

Les modifications apportées par cet amendement ont fait l’objet d’échanges avec les représentants de la Polynésie française et les associations de victimes depuis juillet 2016, date à laquelle la ministre de la santé et des affaires sociales leur a présenté les contours des changements envisagés.

Le Gouvernement a voulu ancrer le processus dans le dialogue et l’écoute. Il a d’ailleurs pris en compte plusieurs remarques des Polynésiens, qui ont permis d’enrichir le texte. Une étape importante sera donc franchie aujourd’hui, je l’espère, au bénéfice des demandeurs d’indemnisation. Nous avons tout lieu de nous féliciter du travail réalisé avec les représentants de la Polynésie française.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Je ferai tout d’abord une remarque de forme. Nous avons, tout au long de l’examen de ce texte, fait preuve de pragmatisme, n’hésitant pas, le cas échéant, à faire évoluer nos positions pour prendre en compte les arguments avancés par les uns et les autres. Avec cet amendement déposé plus que tardivement, c’est à notre grandeur d’âme que vous en appelez, madame la ministre ! Cela étant, je fais miens vos propos sur l’importance et la gravité du sujet.

N’ayant pas eu le temps d’expertiser autant que de besoin le dispositif, nous souhaiterions obtenir de votre part des éclaircissements sur quelques points. Par exemple, à quoi correspond ce seuil de 0,3 % ? Appartient-il vraiment au législateur de le fixer ? Le dispositif proposé n’emporte-t-il pas une rupture d’égalité entre les personnes qui ont reçu une décision définitive et celles qui verront leur situation réexaminée à l’aune du nouveau critère ? Enfin, sur quel fondement juridique – la loi antérieure, ou cette nouvelle disposition – le juge devra-t-il examiner les recours pendants devant les juridictions judiciaires ?

Conscients de l’ampleur de ce douloureux problème, nous émettons, malgré ces interrogations, un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Ericka Bareigts, ministre. Les personnes dont le dossier a déjà fait l’objet d’une décision pourront obtenir qu’il soit revu au regard du nouveau seuil de 0,3 %. L’ancien seuil, fixé à 1 %, excluait énormément de malades. Il a été décidé d’un commun accord, après discussion, de le ramener à 0,3 %, ce qui permettra de donner une réponse favorable à davantage de demandes d’indemnisation. Comme je l’ai indiqué, c’est l’avis du Conseil d’État qui nous a amenés à décider de fixer le seuil par la loi.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de votre grandeur d’âme ! Cet amendement a fait l’objet d’un travail très long, d’une très grande technicité. Je vous fais grâce des détails, mais un benchmarking scientifique a fait ressortir que le seuil de 1 % n’était pas satisfaisant. Il a fallu croiser beaucoup d’éléments scientifiques et techniques, mais aussi entendre les témoignages des victimes et inscrire notre réflexion dans la réalité des situations. Nous ne voulions pas prendre de décisions « hors sol », surtout sur un tel sujet. Pragmatisme, approche scientifique et exigence technique fondent l’élaboration d’un texte visant à permettre, autant que possible, d’apporter une réponse à des situations extrêmement douloureuses et injustes.

M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour explication de vote.

Mme Lana Tetuanui. Permettez-moi, madame la ministre, de vous faire part de ma stupéfaction de découvrir, ce matin seulement, cet amendement gouvernemental portant sur un sujet aussi sensible, qui a fait l’objet de tant de réunions ! Je me retrouve au pied du mur…

Si j’ai bien compris, madame la ministre, il s’agit avant tout d’assurer la sécurité juridique, afin d’éviter toute contestation devant les juridictions. Dans cette seule perspective, et compte tenu des explications orales que vous m’avez apportées ce matin, je donne mon accord sur le principe.

Sur le fond, conformément à l’avis donné par le Gouvernement de la Polynésie française et les associations concernées, je réitère mes réserves, s’agissant notamment de la notion de risque négligeable et du pourcentage retenu. Vous connaissez, madame la ministre, les déclarations que j’ai faites sur ce sujet qui me tient à cœur. Je le dis tout haut et tout fort, en pesant mes mots : nous, Polynésiens, sommes les enfants de la bombe ! Quel prix n’avons-nous pas payé !

Ce sujet explosif, qui mobilise toutes les sensibilités politiques dans mon pays, vous me demandez aujourd’hui d’en porter le poids sur mes frêles épaules… Ce poids, je veux bien l’assumer, pour faire avancer nos revendications. Mes pensées vont, à cet instant, aux victimes des essais nucléaires, à celles qui les ont payés de leur vie et à celles qui continuent à se battre, en souffrant des effets de la radioactivité. Madame la ministre, le combat n’est pas terminé. Chacun assumera ses responsabilités.