M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui, sur l’initiative d’Esther Benbassa, pour aborder le délicat sujet des violences sexuelles et de la nécessité d’aider les victimes à en parler.

Je voudrais remercier le groupe écologiste de nous permettre d’avoir ce débat difficile mais ô combien utile.

En effet, même s’il est difficile d’avoir des chiffres fiables et représentatifs, une femme sur cinq et un homme sur quatorze interrogés dans le cadre de consultations médicales déclarent avoir déjà subi des violences sexuelles.

En se fondant sur les seuls dépôts de plainte, on peut estimer que près de 260 000 personnes seraient chaque année victimes de viols ou tentatives, dont plus de 125 000 filles et 32 000 garçons de moins de 18 ans, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes. Dans 81 % des cas, les victimes sont des mineurs. Dans 94 % des situations, les agresseurs sont des proches de la victime. Au moins 68 % des victimes ont subi un viol, et 40 % rapportent une situation d’inceste. Tandis que nous débattons, une, voire plusieurs personnes, seront agressées sexuellement dans notre pays.

Huit victimes sur dix déclarent que les faits se sont déroulés lorsqu’elles étaient encore mineures. Une sur deux avait moins de 11 ans, une sur cinq moins de 6 ans. Dans 96 % des cas, l’agresseur est un homme. Un enfant victime sur deux est agressé par un membre de sa famille. Dans un cas sur quatre, l’agresseur est lui-même mineur. Je rappelle que, à l’âge adulte, un viol sur deux serait un viol conjugal. Seulement 18 % des viols de personnes majeures seraient le fait d’un inconnu.

Ces agressions sont lourdes de conséquences pour les victimes, dont elles affectent la santé mentale et physique. Un rapport a montré qu’il en est ainsi dans 96 % des cas lorsque l’agression a été subie dans l’enfance. Ce rapport dresse une longue liste des pathologies somatiques associées aux violences sexuelles. En touchant à l’âme des victimes, les agresseurs font aussi des ravages dans leur corps. Plusieurs études scientifiques ont montré qu’avoir subi de tels faits serait un facteur de risque, parfois plusieurs décennies après, de développer des maladies cardiovasculaires, pulmonaires, endocrines, auto-immunes, neurologiques, des problèmes de sommeil et de douleurs chroniques, voire des atteintes épigénétiques pouvant être transmises à la descendance des victimes.

Les conséquences sont encore plus graves quand l’agression était incestueuse : plus la victime est jeune au moment des faits, plus l’agresseur est proche d’elle, plus il a d’autorité sur elle, et plus l’impact sur sa qualité de vie et le risque qu’elle tente de se suicider sont importants, nous disent les professionnels.

L’abus reste un secret absolu très longtemps, parfois toute une vie. En gardant le silence, la victime se fait, malgré elle, l’alliée de l’abuseur, puisque la seule chose que celui-ci redoute, c’est d’être dénoncé. Le fait de devenir ainsi, bien involontairement, son alliée, renforce le mépris que la victime a d’elle-même et son sentiment de culpabilité.

Pourtant, une personne sexuellement abusée n’est jamais coupable ni responsable. Mais parler est pour elle très difficile, et peu de victimes portent plainte. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’aider à améliorer la prise en charge et l’accompagnement des victimes.

Seules 4 % des victimes agressées dans l’enfance disent avoir été prises en charge par l’aide sociale à l’enfance, tandis que 70 % de ceux qui ont porté plainte pour des faits commis alors qu’ils étaient mineurs n’auraient jamais été protégés et que 70 % de l’ensemble des victimes se sont senties insuffisamment ou pas du tout reconnues comme telles.

C’est pourquoi la prise en charge médicale doit être améliorée, afin qu’elle soit plus rapide et mieux adaptée à l’état de stress post-traumatique des victimes.

Ces enseignements figurent au programme des épreuves classantes nationales d’accès à l’internat, mais de nombreux étudiants interrogés semblent l’ignorer. En effet, alors que 30 % d’entre eux ont été confrontés aux violences sexuelles lors de leurs stages en hôpital, moins d’un sur cinq indique avoir déjà reçu un cours ou une formation sur ce sujet, à l’issue de la réforme menée en 2012-2013. À ce jour, ces troubles restent mal diagnostiqués par les médecins. Ils sont souvent mis sur le compte de troubles de la personnalité, d’une dépression, voire d’une psychose.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, avoir subi des violences sexuelles est le facteur de risque principal d’en subir à nouveau… C’est pourquoi il faut libérer la parole. Un important travail d’information est d’ores et déjà mené auprès des personnes sexuellement violentées, notamment par les associations, qui sont très présentes et dont je tiens à souligner l’extraordinaire travail.

Idéalement, il faudrait réussir à créer, dans chaque ville moyenne, une consultation spécialisée en psycho-traumatismes associée à un réseau de professionnels formés et informés. Beaucoup de médecins généralistes hésitent à interroger leurs patients lorsqu’ils ont un doute. Or beaucoup de victimes ont envie d’être devinées et disent que, si on leur avait demandé si elles avaient subi des violences sexuelles, elles en auraient parlé beaucoup plus tôt.

Mme Michelle Meunier. Exactement !

Mme Patricia Morhet-Richaud. Je suis convaincue que, pour combattre ce fléau, il ne faut pas opposer ceux qui sont chargés du sujet et ceux qui ne le seraient pas. Il y a urgence à sensibiliser tous les professionnels qui sont en contact avec les enfants, notamment dans les structures d’accueil des jeunes enfants.

Face à cette problématique, le personnel doit être en éveil. Il doit être familiarisé à sa détection. Il doit bénéficier d’une formation adaptée et d’une protection lui garantissant qu’il ne sera pas poursuivi ou stigmatisé s’il dénonce des violences sexuelles. Chacun doit prendre conscience que ne pas agir relève de la non-assistance à personne en danger.

Dans le même esprit, des campagnes de sensibilisation doivent être organisées au sein de l’éducation nationale et les personnels, y compris les enseignants, doivent être en éveil sur ce sujet.

Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons endiguer ce fléau et aider les victimes à parler ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Esther Benbassa d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Le sujet est grave et complexe : il touche à l’humain, à son intimité, à ses souffrances les plus terribles. Ce débat doit être consensuel. Il nous faut agir ensemble contre ce fléau qui frappe aussi bien des femmes et des hommes que des enfants. Nous devons faire front dans l’intérêt de nos concitoyens.

Dans notre pays, une femme sur cinq et un homme sur quatorze déclarent avoir subi des violences sexuelles. Dans 94 % des cas, les agresseurs sont des proches, parfois même des membres de la famille, hélas !

Mme Laurence Rossignol, ministre. C’est même très souvent le cas !

Mme Nicole Duranton. Très peu de victimes portent plainte, par honte, par crainte, par pudeur, par peur de détruire la cellule familiale.

À la lumière de ces chiffres alarmants, on comprend très bien quel est l’enjeu majeur de la lutte contre les violences sexuelles : comment faciliter et accompagner la parole des victimes ? Comment l’encourager ?

Si le Parlement renforce les protections à l’endroit des victimes de violences sexuelles en matière de prescription, nous devons également nous pencher sur les dispositifs nécessaires à la libération de la parole. L’impunité et le silence ne doivent jamais être la règle.

Notre pays doit nécessairement renforcer tous les dispositifs de prévention au bénéfice des personnes les plus exposées, expliquer où se situent les limites de l’acceptable, diffuser un message de tolérance zéro à l’égard des actes odieux et encourager la parole. Sortir du silence permettra aux victimes de mieux se reconstruire.

L’accompagnement des victimes et de leurs familles doit être renforcé pour éviter tout enfermement et, surtout, toute culpabilisation.

La justice doit avoir les moyens de remplir pleinement son rôle et de sanctionner, au nom de la société, ces actes odieux.

Il faut commencer par faire de la pédagogie en milieu scolaire, et ce dès le cours préparatoire. C’est un bon moyen de prévenir l’installation d’un silence souvent dévastateur.

Les violences sexuelles sont traumatisantes. Certaines et certains n’en parlent que difficilement, seulement avec l’aide d’un thérapeute. D’autres n’y arrivent jamais.

Les violences sexuelles sont celles qui, potentiellement, affectent le plus fortement le psychisme. Plus l’agression touche le corps, plus elle vise l’intimité, plus elle est humiliante, plus elle est dévastatrice pour la victime.

La force physique, quant à elle, n’est pas nécessairement employée dans les violences sexuelles : c’est la raison pour laquelle il n’en résulte pas toujours des traumatismes physiques.

Les atteintes à la santé génésique, à la santé mentale et au bien-être social comptent parmi les conséquences les plus courantes de la violence sexuelle.

Une étude française portant sur des adolescentes conclut également à l’existence d’un lien entre le fait d’avoir été violée et l’apparition de troubles du sommeil, de symptômes de dépression, de plaintes somatiques, la consommation importante de tabac et certains troubles du comportement courant, comme le fait d’avoir une attitude agressive. Ces manifestations sont propres à chaque victime et varient avec le temps.

C’est pourquoi la victime doit être aidée et accompagnée de façon très personnalisée. Il me paraît essentiel que nous débattions de l’importance des approches individuelles.

Les soins et le soutien psychologique, par l’intermédiaire de conseils, d’une thérapie et de groupes de soutien, se révèlent utiles après des agressions sexuelles, surtout lorsque le processus de rétablissement est compliqué.

Certains faits montrent qu’un programme de courte durée, alliant thérapies cognitive et comportementale, suivi peu après l’agression peut contribuer à une atténuation plus rapide du traumatisme psychologique subi. En effet, les victimes de violences sexuelles se sentent souvent responsables de ce qui leur arrive, et il est démontré qu’il est important, pour leur rétablissement, de traiter ce sujet en psychothérapie.

Pour faire face à ce fléau dramatique, des actions concrètes doivent être mises en place. Nous devons en être les garants.

Les questions relatives à la violence sexuelle doivent être en partie traitées lors de la formation de tout le personnel des services de santé, y compris les psychiatres et les conseillers sociopsychologiques. À mon sens, les travailleurs de la santé seraient ainsi mieux sensibilisés à ce problème. Mieux informés, ils seraient mieux à même de détecter les cas de violences sexuelles et de les signaler.

Les campagnes de prévention sont également essentielles. Nous avons tous ici en tête des campagnes violentes et très réalistes sur la sécurité routière. Dans d’autres pays, la télévision est utilisée efficacement pour alerter le grand public sur les violences sexuelles.

À mes yeux, il est nécessaire d’accorder davantage d’attention à la prévention primaire de la violence sexuelle. Celle-ci est d’ailleurs beaucoup trop souvent négligée au profit des services aux victimes. Nous pourrions renforcer la prévention primaire par le biais de programmes diffusés dans les écoles, en mettant l’accent sur les violences sexuelles dans le cadre de la promotion de l’égalité des sexes.

Il faut également améliorer la formation des policiers et des gendarmes, qui sont souvent les premiers interlocuteurs de la victime souhaitant dénoncer son agresseur.

Si l’on n’a pas reçu une formation adaptée, il est difficile d’adopter le bon comportement pour ne pas brusquer ou inquiéter une victime déjà très fragilisée. Nos policiers et nos gendarmes se dévouent pour protéger nos concitoyens. Leur apporter ce type de formation va directement dans le sens de l’amélioration du service rendu à la population.

La violence sexuelle est un problème de santé publique courant et grave, qui affecte des milliers de personnes chaque année en France. Elle est dictée par de nombreux facteurs qui agissent dans différents contextes économiques, sociaux et culturels. L’inégalité des sexes est au cœur de la violence sexuelle dirigée contre les femmes, mais il ne faut pas non plus négliger la violence sexuelle dirigée contre les hommes : elle existe elle aussi, et est sûrement encore moins dénoncée.

Mes chers collègues, notre débat prouve que, sur ce sujet si grave, la représentation nationale est totalement mobilisée. Elle ne recule pas et refuse de céder du terrain à la criminalité sexuelle. Nous devons nous engager ensemble, et fermement, pour mettre fin aux violences sexuelles et faire baisser les chiffres effrayants qui ont été cités. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures quarante-trois.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens moi aussi à remercier le groupe écologiste, notamment Esther Benbassa, d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Le sujet est difficile et grave. S’il nous faut, bien entendu, l’aborder avec beaucoup d’humanité, c’est aussi en tant que législateur que nous devons l’appréhender, pour améliorer la prise en charge des victimes, pour mettre fin à ces violences.

Nous devons donc étudier les obstacles sociaux et juridiques qui font qu’aujourd’hui, dans notre société, les victimes, adultes comme enfants, ont tant de mal à dénoncer leurs harceleurs et leurs agresseurs.

Quelques langues se sont déliées récemment pour rompre avec la loi du silence et du tabou. Je pense notamment aux collaboratrices parlementaires et élues ayant fait l’objet de harcèlement sexuel ou d’agressions sexuelles. Je songe aussi à l’animatrice Flavie Flament, qui a témoigné du viol dont elle a été victime. Toutefois, au regard de la réalité, rares encore, trop rares sont les victimes qui dénoncent leurs agresseurs, osent parler.

Permettez-moi de faire un « focus » sur le viol, forme la plus extrême de ces violences, en reprenant les chiffres des ministères de l’intérieur et de la justice.

En France, chaque année, 84 000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol. Moins de 10 % de ces femmes déposent plainte, et seule une plainte sur dix aboutit à une condamnation. Au total, 51 % des femmes victimes de viol ou de tentative de viol ne font aucune démarche, ni auprès des forces de police ou de la gendarmerie, ni auprès de médecins, psychiatres et psychologues, ni auprès des services sociaux, associations ou numéros d’appel.

Ce sont là des chiffres, hélas ! relativement constants, qui ne diminuent pas au fil des années, malgré les politiques publiques déployées jusqu’à présent, notamment par vous, madame la ministre. Ce débat est donc bienvenu pour nous permettre de réfléchir ensemble aux mesures urgentes qu’il faut prendre, par le législateur comme par l’État.

On ne peut analyser ces violences qui gangrènent notre société sans insister sur le caractère « genré » de ce fléau : la très grande majorité des victimes sont des femmes. Malgré les luttes menées par les féministes et les progressistes, le patriarcat est un système de domination qui continue d’imposer sa loi.

Je tiens à dénoncer un premier obstacle qui empêche les femmes victimes de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle de parler, ou d’ailleurs de toute forme de violence : la honte, la culpabilité de ne pas avoir réagi et de devoir affronter incompréhension et jugement réprobateur.

L’expertise en matière de mémoire traumatique de Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue, peut nous être utile. Les victimes de violences sexuelles, majeures ou mineures, sont en état de sidération, ce qui empêche toute action. Je pense bien sûr ici au cas de Jacqueline Sauvage, dans lequel cette dimension n’a été que trop peu prise en compte.

Les travaux de Muriel Salmona démontrent également que les violences sexuelles accroissent fortement les risques de détresse psychologique et d’apparition de symptômes liés à un état de stress post-traumatique.

Avec la torture et les situations de massacre, les violences sexuelles font partie des violences les plus traumatisantes. Muriel Salmona préconise la mise en place d’un plan Marshall en santé publique pour former les professionnels de la santé et créer des centres de soins pluridisciplinaires de prise en charge des victimes de violences sexuelles. Je soutiens totalement cette demande.

Il faut en finir avec la présomption de responsabilité des victimes,…

Mme Laurence Cohen. … avec le fameux « elle l’a bien cherché », « elle n’a pas vraiment dit non », qui pèse systématiquement sur les femmes. Il faut inverser la culpabilité et mettre un terme à cette forme de tolérance sociale des agressions sexuelles. Pour reprendre le slogan de l’association Osez le féminisme !, « la honte doit changer de camp ».

Le second obstacle est le traitement que la justice réserve aux violences faites aux femmes, et singulièrement aux violences sexuelles.

Comment ne pas dénoncer la longueur des procédures judiciaires ? Comment ne pas s’indigner que la parole des femmes soit remise en cause et que les faits soient le plus souvent minimisés ? Comment ne pas constater la défaillance du service public de la justice ?

Une femme ne peut pas se reconstruire si la justice n’a pas condamné son agresseur, si la justice ne lui a pas reconnu le statut de victime.

Un travail remarquable et édifiant a été accompli par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, notamment par Marilyn Baldeck, que la délégation sénatoriale aux droits des femmes a reçue.

C’est un véritable parcours de la combattante qu’une femme victime de harcèlement ou d’agression sexuelle a à affronter. Le documentaire d’Olivier Pighetti, Harcèlement sexuel : le fléau silencieux, en donne un aperçu très émouvant, mais aussi révoltant.

Je tiens à souligner que les harceleurs et agresseurs se retrouvent dans tous les milieux sociaux professionnels, en zone urbaine comme en zone rurale.

Mme Laurence Cohen. Bien sûr, il faut encore améliorer et amplifier le travail mené auprès des agresseurs, dans un souci de prévention.

Madame la ministre, au-delà des campagnes de sensibilisation menées par des associations telles que le Collectif féministe contre le viol, qui a créé un numéro vert d’aide aux victimes, pourquoi ne pas lancer, à l’exemple de la campagne de lutte contre le harcèlement dans les transports, qui a rencontré un fort écho, une grande campagne nationale, à la fois pour rappeler que le viol est un crime et pour aider les victimes à porter plainte, à se reconstruire ?

Je souhaiterais que vous puissiez dresser un premier bilan de la mise en place de référents « violences sexuelles » dans les services d’urgences des hôpitaux et nous préciser ce qu’entend faire le Gouvernement pour améliorer l’accueil, la protection et l’accompagnement des victimes par les unités médico-judiciaires.

La formation des personnels de la police, de la justice et de la santé, ainsi que des travailleurs sociaux, me paraît devoir être l’un des axes essentiels. Certes, un article de la loi du 4 août 2014 porte sur cette question, mais peut-être présente-t-il un caractère trop général et manque-t-il un « focus » spécifique sur le viol et les agressions sexuelles.

Tout cela plaide, une nouvelle fois, en faveur de l’élaboration d’une loi-cadre pour les femmes, comme le demande avec force le Collectif national pour les droits des femmes, et pour la création d’observatoires départementaux des violences faites aux femmes, à l’instar du dispositif qui a été mis en place en Seine-Saint-Denis, notamment, sous l’impulsion d’Ernestine Ronai.

De même, il serait utile que le Gouvernement suive un certain nombre de recommandations issues de l’avis rendu public en octobre dernier par la commission « violences de genre » du Haut Conseil à l’égalité des femmes et des hommes, dont je suis membre.

En premier lieu, il faut assurer une prise en charge à 100 % des soins visant à traiter les conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles.

En deuxième lieu, il faut renforcer les dispositifs des articles 222-22 et suivants du code pénal, portant sur la définition des agressions sexuelles, du viol et des éléments constitutifs permettant de qualifier ces actes.

En troisième lieu, comme l’ont souligné plusieurs de mes collègues, il paraît nécessaire de revoir les délais de prescription en matière pénale. À titre personnel, je plaide pour un réel allongement des délais de prescription, voire pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs.

Enfin, exigeons collectivement que l’on cesse de correctionnaliser les viols sous prétexte, prétendument, de désengorger les cours d’assises et d’éviter les délais trop longs. Le viol n’est pas un délit et ne doit donc pas être requalifié en agression sexuelle : c’est un crime, qui doit être jugé en cour d’assises.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est très important !

Mme Laurence Cohen. Tout cela exige bien entendu que des moyens soient accordés à la justice, au ministère des droits des femmes et aux associations de terrain. À cet égard, je ne peux que regretter la baisse des dépenses publiques intervenue au cours de ce quinquennat.

Mes chers collègues, en juillet 2014, la France a ratifié la convention dite d’Istanbul, dont les dispositions sont plus favorables aux femmes que celles du droit français. Il me semble urgent de les transposer dans notre droit.

Le silence, la peur, la honte, le tabou ne doivent plus régner. Mais, on l’a vu tout au long de ce débat, pour les victimes, parler ne relève pas d’une simple injonction. Il faut absolument passer à la vitesse supérieure, notamment en matière de politiques publiques. L’État doit se donner les moyens de débarrasser la société des violences sexuelles et, plus largement, de toutes les violences faites aux femmes. C’est la condition à remplir pour conquérir l’égalité entre les femmes et les hommes. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », disait Lénine ! (Sourires et applaudissements sur la plupart des travées.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes. Monsieur le président, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je remercie Mme Benbassa et le groupe écologiste d’avoir pris l’initiative de ce débat et je salue la qualité des propos tenus par l’ensemble des intervenantes.

Ce débat me donne l’occasion de vous exposer, le plus précisément possible, les actions que le Gouvernement a engagées pour lutter contre les violences sexuelles, quelle qu’en soit la nature, et pour mieux rendre justice aux victimes, les protéger et les soigner, quels que soient leur âge ou leur sexe.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres, car ils ont déjà été donnés à plusieurs reprises, sinon pour souligner la persistance d’une forme d’impunité pour les agresseurs. En effet, seules 10 % des victimes de viol portent plainte. De plus, lorsque des procédures judiciaires sont engagées, de nombreuses plaintes sont classées sans suite ou aboutissent à des non-lieux, quand des viols ne sont pas déqualifiés en agressions sexuelles. Au total, seulement 1 % des viols font l’objet d’une condamnation.

J’insisterai également sur l’importance des violences sexuelles commises sur des mineurs. Plus de la moitié des femmes victimes de viol ou de tentative de viol ont été agressées avant 18 ans, dont 40 % avant 15 ans ; pour ce qui concerne les hommes, les trois quarts des victimes étaient mineures au moment des faits et près des deux tiers avaient moins de 15 ans. En 2015, la moitié des victimes de violences sexuelles enregistrées par la police et la gendarmerie avaient moins de 15 ans.

À ce jour, nous ne disposons d’aucune évaluation précise du nombre d’enfants victimes de violences sexuelles en France. En 2010, le Conseil de l’Europe avançait qu’un enfant sur cinq sur notre continent était victime de ces violences entendues au sens large : viols, tentatives de viol, agressions sexuelles, exposition à la pornographie, exploitation sexuelle et prostitution.

Ces chiffres l’attestent, nous avons affaire à un phénomène de masse, certainement toujours sous-estimé pour ce qui concerne les plus jeunes. La loi du silence et le règne du déni contribuent à en minorer encore l’ampleur, voire à le rendre invisible. L’absence de données fiables sur les violences sexuelles commises sur des hommes majeurs, qu’elles relèvent d’agressions homophobes ou qu’elles s’exercent en milieu carcéral, illustre bien la réalité de cette omerta. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.)

Cette chape de plomb nous confronte à un double écueil : la difficulté pour les victimes de dénoncer leurs agresseurs ; la difficulté pour les professionnels de détecter ce type de violences, donc d’apporter les réponses adaptées en termes médico-judiciaires.

La réalité et la gravité des conséquences des violences sexuelles sur la santé physique et mentale des victimes sont aujourd’hui mieux connues. Sans aide ni protection, les victimes sont condamnées à survivre avec des symptômes post-traumatiques. Tout au long de leur vie, elles présenteront des troubles physiques et psychologiques, qui les amèneront parfois à adopter des conduites à risques.

Libérer et recueillir la parole des victimes est donc un préalable à une prise en charge efficace. Là est l’enjeu majeur.

Les sentiments de honte, de culpabilité, d’humiliation que ressentent toutes les victimes de violences sexuelles et qui sont entretenus par l’adhésion majoritaire de la société aux fausses représentations sur le viol font évidemment obstacle à la révélation et à la dénonciation. « C’est pas si grave », « elle était consentante », « elle l’a bien cherché »… À chaque fois que l’on évoque le viol d’une femme, les premières questions sont : où se trouvait-elle ? Comment était-elle habillée ? Comment cela a-t-il pu lui arriver ? De tels propos reflètent la « culture du viol ».

Mme Esther Benbassa. Exactement !

Mme Laurence Rossignol, ministre. À cet égard, dans l’expression « se faire violer », la forme pronominale réfléchie implique une participation de la victime à la commission du viol. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.) Les mots ont un sens : il faut dire qu’une femme a été violée, afin de restituer la réalité des faits que cache l’emploi de la forme réfléchie.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Il est d’autant plus difficile de libérer la parole que, contrairement aux idées reçues, les viols et les agressions sexuelles se produisent majoritairement au sein du couple ou de la famille, au domicile de la victime, à son travail ou dans les institutions qu’elle fréquente. Cela a été rappelé, dans 90 % des cas, les violences sexuelles sont commises par une personne connue de la victime : le conjoint ou l’ex-conjoint pour près de 50 % des viols perpétrés sur des femmes adultes, un membre de la famille pour plus de la moitié des viols sur mineur.

Pour les jeunes victimes, parler et être crues est un véritable défi. Outre la difficulté de reconnaître une agression sexuelle, de mettre des mots sur des actes insensés, d’identifier un interlocuteur ou une interlocutrice à qui s’ouvrir, le poids du tabou de la violence sexuelle dans la sphère familiale pèse très lourdement sur la parole de ces enfants.

Comme l’écrit de manière poignante Laurent Boyer dans Tous les frères font comme ça, livre où il révèle l’inceste dont il a été victime entre 6 et 9 ans : « D’abord, c’est la peur de ne pas être cru qui nous fait nous taire. Ensuite c’est la crainte de faire mal à cette famille que l’on risque de faire voler en éclats. Et enfin c’est la honte de n’avoir finalement rien osé dire. Cette même honte qui nous fait nous sentir coupables, monstrueux et sales. »

Comment dire l’indicible ? Comment penser l’impensable ? Il est urgent de donner à toutes les victimes, et tout particulièrement aux plus jeunes d’entre elles, les moyens de signaler les violences qu’elles ont subies, et aux professionnels les outils pour recueillir leur parole de manière appropriée et respectueuse.

Les quatrième et cinquième plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes ont permis d’avancer.

À cet égard, madame Cohen, je précise que le budget consacré aux droits des femmes n’a pas subi de baisse au cours du quinquennat : il a même augmenté de 50 % et connaîtra encore une hausse de 8 % cette année.