M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le point de départ de ma réflexion est cette phrase du préambule de la Constitution de 1946, elle-même héritée de la Révolution française : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »

Cette phrase nous rappelle que notre tradition républicaine et nos obligations conventionnelles nous contraignent à prévoir non seulement des procédures de traitement des demandes d’asile conformes aux principes de l’État de droit, mais également les aspects matériels de l’accueil des demandeurs : une allocation financière, un logement, un accès aux soins et à l’éducation pour les enfants.

Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, le Gouvernement a prévu un effort budgétaire en ce sens, comme le rappelait il y a quelques jours encore le Président de la République à Calais. Il l’a lui-même indiqué : il s’agit de garantir le respect du principe de dignité de la personne, tout en maintenant l’ordre public.

Dans un contexte marqué également par les surenchères médiatiques, nos collègues députés du groupe Les Constructifs ont choisi d’ouvrir le débat, avant l’examen du futur projet de loi relatif à l’immigration et à l’asile, sur une question très précise : le sort réservé aux demandeurs d’asile dont on suspecte, à partir d’une liste de critères à définir, qu’ils présentent un risque non négligeable de fuite en vue d’une procédure de transfert vers un autre État membre de l’Union européenne responsable de leur demande d’asile, conformément à la règle européenne selon laquelle la demande doit être formulée dans le premier pays européen où entrent les personnes considérées.

Il est vrai que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne à l’origine de cette proposition de loi ne nous obligeait qu’à mieux définir ce risque non négligeable de fuite en fixant des critères objectifs.

Il faut cependant également insister sur le fait que le texte qui nous est soumis aujourd’hui nous contraint à réfléchir sur un deuxième point : la pertinence d’élargir la possibilité de placer en rétention administrative des « dublinés » avant même que leur soit notifiée la décision de leur transfert.

Si l’on réfléchit à droit européen constant, il est clair que les personnes dont la prise en charge relève d’autres États membres doivent in fine faire l’objet d’un transfert vers ces États, a fortiori lorsqu’une décision définitive leur ouvre droit à l’asile, ou contraint l’État responsable à organiser leur retour.

Cependant, le placement en rétention administrative de demandeurs d’asile sans que l’on soit certain qu’ils feront l’objet d’une procédure de transfert nous conduit à réfléchir à l’importance que nous accordons au principe de dignité humaine.

Le débat est comparable à celui qui avait agité le Conseil d’État il y a quelques années et qui mettait aussi face à face le respect de l’ordre public, d’une part, et celui de la dignité de la personne humaine, d’autre part.

À l’époque, le Conseil d’État avait jugé qu’il était stérile de vouloir les opposer, dès lors que la dignité était une composante de l’ordre public.

C’est également la position de la grande majorité de mon groupe, dont la volonté est non pas de s’opposer à la mise en œuvre des procédures de transfert prévues par le règlement Dublin III, mais de s’assurer qu’ici et là le respect de l’ordre public ne soit pas réduit à son interprétation la plus restrictive, qui n’intégrerait pas la notion de dignité humaine.

Les amendements déposés par mes collègues vont d’ailleurs dans ce sens, en particulier ceux qui tendent à garantir que seront placées en centre de rétention uniquement les personnes qui feront effectivement l’objet d’un transfert, et à protéger les personnes les plus vulnérables, telles que les enfants.

L’effectivité du droit au recours est aussi un sujet de préoccupation classique au sein de mon groupe.

Le débat portera également sur les critères retenus pour établir le risque non négligeable de fuite, dès lors qu’aucune étude d’impact ne permet d’évaluer le nombre de personnes concernées par la mesure, selon le critère retenu.

À ce titre, la plupart des membres de mon groupe regrettent que ces dispositions ne soient pas discutées avec les autres mesures du projet de loi à venir.

Nous avons enfin tous à l’esprit qu’il incombe aujourd’hui au Gouvernement de négocier les nouveaux contours du règlement Dublin, même si la tâche s’annonce difficile.

Nous sommes favorables à l’élaboration d’un système plus coopératif, où les États membres ne remplissant pas leur devoir d’accueil de demandeurs d’asile devraient verser des compensations financières aux États les plus accueillants.

Compte tenu de la pression géographique inégale que subissent certains États de l’Union, il paraît en outre nécessaire de revoir le principe de responsabilité, en introduisant, par exemple, une meilleure prise en compte du critère des liens effectifs entre le demandeur d’asile et l’État membre.

En conclusion, je veux réaffirmer notre soutien au Gouvernement dans les négociations qu’il conduit au niveau européen.

En revanche, la position de mon groupe sur ce texte est plus partagée, et dépendra grandement du sort réservé aux amendements qui seront défendus par Josiane Costes. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, deux décisions de justice, l’une européenne et l’autre nationale, ont révélé la fragilité juridique des procédures Dublin. Cette proposition de loi vient définir les conditions de placement en rétention de certains demandeurs d’asile, lequel, comme nous le rappelait François-Noël Buffet, reste l’exception.

Il s’agit, d’abord, d’un texte technique.

Je veux souligner le travail effectué par l’Assemblée nationale, qui est parvenue à une solution équilibrée. Ce texte, en effet, permet de tirer les conséquences des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation, en précisant les critères objectifs au vu desquels doit s’apprécier le risque non négligeable de fuite. Il garantit également l’efficacité de l’action en permettant le placement en rétention dès la phase de détermination de l’État responsable tout en préservant, enfin, les droits fondamentaux, avec l’introduction, par voie d’amendements de mes collègues députés du groupe La République En Marche, des notions d’individualisation, de proportionnalité, de vulnérabilité et de l’obligation d’information des demandeurs d’asile sur leurs droits et obligations.

Au Sénat, la commission des lois a souhaité compléter le dispositif en ajoutant un douzième critère pour caractériser le risque non négligeable de fuite : le refus de se conformer à l’obligation de donner ses empreintes digitales. Elle propose également de réduire le délai de recours contre une décision de transfert. Enfin, s’agissant des assignations à résidence, elle souhaite, d’une part, faciliter l’organisation de visites domiciliaires pour s’assurer de la présence d’un étranger assigné à résidence et, d’autre part, sécuriser les assignations à résidence des étrangers faisant l’objet d’une interdiction judiciaire.

Cette proposition de loi a donc été enrichie dans un souci d’équilibre mesuré.

Il ne s’agit pas ici de renégocier le règlement Dublin, ni le régime du droit d’asile et encore moins les conditions d’entrée et de séjour des étrangers, mais ce texte revêt bien une dimension politique, particulièrement à l’approche de la refondation de notre politique d’immigration et d’asile sur laquelle travaille le Gouvernement.

Nous conviendrons certainement ici que le phénomène majeur de ce siècle est la crise migratoire, que celle-ci cristallise des désastres humanitaires et des risques sécuritaires, que la moitié des réfugiés arrivés en Europe ces trois dernières années sont le résultat des guerres, sans doute ratées, de l’Occident.

Nous conviendrons certainement aussi que l’Europe, y compris la France, faillit en n’accueillant pas dignement des hommes, des femmes et des enfants qu’elle doit protéger, mais qu’elle ne peut accueillir toute la misère du monde, ne l’oublions pas.

Nous conviendrons sans doute enfin que, partout en Europe, nos concitoyens sont choqués de l’absence de maîtrise des déplacements et des installations sur notre sol. Les images de la jungle de Calais et de Lampedusa ou les agressions de Cologne font le miel des extrêmes, et conduisent aux succès électoraux que l’on connaît, en Autriche, au Bundestag en Allemagne, peut-être également en Grande-Bretagne, avec le Brexit, mais aussi lors de scrutins locaux ou nationaux en France.

Ce texte, technique, par conséquent concret et opérationnel, pose deux questions de vérité.

Au-delà des incantations, des déclarations de principe, voulons-nous doter notre pays de politiques d’éloignement efficaces, des moyens de réguler les flux sur notre territoire pour accueillir dignement celles et ceux qui ont droit à notre protection ? Approuver ce texte, c’est répondre oui.

Ces dispositifs de régulation relèvent de la compétence des États membres de l’Union européenne. Approuver ce texte, c’est donc, c’est la seconde réponse, refuser de renoncer à notre souveraineté nationale.

Le groupe La République En Marche soutiendra cette proposition de loi. (M. Julien Bargeton applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen », tel est le titre trompeur du texte qui nous réunit aujourd’hui. « Proposition de loi visant à la banalisation de l’enfermement des étrangers » ou « proposition de loi visant à affaiblir un peu plus le droit d’asile » : voilà des intitulés qui auraient reflété le véritable contenu de ce texte.

En effet, les artifices rhétoriques n’y changeront rien, l’objectif de cette proposition de loi, déposée opportunément par les députés Les Constructifs à quelques mois de l’examen du projet de loi sur l’asile et l’immigration, est uniquement d’augmenter le nombre de placements en rétention pour accroître celui des reconduites à la frontière.

C’est un retour à une politique du chiffre, donc, et au tout-répressif en matière de politique migratoire.

Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, dois-je, en cette circonstance, vous répéter ce que les défenseurs des droits fondamentaux nous rappellent depuis des mois : la gestion répressive des migrations et le non-respect du droit d’asile ne donnent jamais les résultats que l’on prétend en attendre. D’autres parmi vos prédécesseurs, monsieur le ministre d’État, s’y sont essayés, sans grand succès.

Nous opposera-t-on que toutes ces voix, ces presque cinq cents associations, ces avocats, ces magistrats, ces citoyens, dénonçant une politique d’une dureté sans précédent, mentent, probablement sous l’influence de terribles groupuscules d’extrême gauche ? Dérisoire réponse ! Que dira-t-on alors du Défenseur des droits, qui considère que cette proposition de loi « constitue un tournant politique déplorable en termes de respect des droits et des libertés fondamentales » ? Encore un gauchiste ?

Le sujet est grave : il s’agit de priver de liberté des demandeurs d’asile juste pour se donner le temps de déterminer l’État européen par lequel ils sont arrivés en premier et où ils ont laissé leurs empreintes. Il s’agit de priver de liberté des demandeurs d’asile contre lesquels aucune mesure d’éloignement n’a été prise.

Comme le rappelle la CIMADE, aucune régression de cette ampleur n’avait jamais été envisagée par le législateur. La rétention n’a pas été pensée pour enfermer les gens à titre préventif, pour les avoir sous la main et pour faire le tri entre bons réfugiés et mauvais migrants. Elle devrait uniquement permettre à l’administration – dans un délai raisonnable et dans le respect des droits fondamentaux – d’exécuter une mesure d’éloignement du territoire.

Tout, dans cette proposition de loi, qui est dans la droite ligne des positions du Gouvernement, vient heurter les principes fondamentaux du droit autant que nos convictions.

Les demandeurs d’asile, même placés en procédure Dublin, sont en situation régulière. Et l’on voterait, sans sourciller, la possibilité de les priver de liberté ?

S’ériger contre pareille mesure, mes chers collègues, c’est défendre des valeurs, mais c’est aussi, et peut-être avant tout, défendre la Constitution !

« Humanité et fermeté », tel est le nouveau slogan lancé par le Président Macron et repris à l’envi par les membres du Gouvernement. Sur la fermeté, pas de doute possible, les promesses sont tenues. Quant à l’humanité, on en attend encore des preuves.

On n’en trouvera certainement pas dans un texte consacrant la possibilité d’enfermer les familles avec enfants mineurs, placés en procédure Dublin, alors même que la France a été condamnée six fois par la Cour européenne des droits de l’homme pour cette pratique. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’opposera évidemment avec force à cette proposition de loi inique.

Ses membres ne cesseront pas de dénoncer, chaque fois que l’occasion leur en sera donnée, une politique migratoire dont ils ont observé les effets dramatiques à Paris, à Calais, à Ouistreham, à Briançon, à Menton et ailleurs.

Comme plusieurs personnalités, pourtant proches de M. Macron, l’ont écrit dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, nous ne nous résignons pas à vivre « dans un pays où l’on arrache leurs couvertures à des migrants à Calais. Où l’on lacère leurs toiles de tente à Paris. Où l’on peut se perdre, pieds et mains gelés, sur les pentes enneigées de la frontière franco-italienne. Où des circulaires cherchent à organiser le recensement administratif dans les centres d’hébergement d’urgence. » Comment pourrions-nous accepter que « des Érythréens, des Soudanais ou des Syriens, humiliés dans leur pays, torturés en Libye, exploités par des passeurs criminels, terrorisés en Méditerranée et entrés en Europe par la Grèce ou l’Italie [puissent] bientôt être privés de liberté en France ? » (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le droit d’asile est le sombre miroir des crises migratoires et des mouvements de réfugiés. J’ai consulté, en préparant cette intervention, des travaux universitaires avançant le chiffre de 64 millions de réfugiés à travers le monde, l’Asie arrivant devant l’Afrique et celle-ci devant l’Europe, dans une approche strictement quantitative.

Dans notre pays, le cap des 100 000 demandes d’asile a été franchi en 2017, ce qui a marqué les esprits.

Ces mouvements puissants conduisent à s’interroger sur les États-nations, leur souveraineté, comme sur la notion de citoyenneté. Le sujet est donc complexe ; il renvoie à des questions éthiques ou philosophiques perturbantes.

Le droit d’asile, nous le savons, est une règle internationale qui est concrétisée dans la convention de Genève et qui bénéficie d’une protection constitutionnelle dans notre pays. Le Sénat sera toujours le défenseur des libertés individuelles, comme des traditions républicaines, pour reprendre une formule utilisée par l’un des orateurs précédents.

Ce que nous examinons aujourd’hui, ce n’est pas la réforme du droit français de l’asile, que M. le ministre d’État nous annonce pour dans quelques semaines, entre principe d’humanité et principe de réalité. Nous abordons aujourd’hui une première étape, officiellement strictement technique, en examinant des compléments relevant du règlement Dublin III.

Comme cela a été rappelé, il s’agit de tirer les conséquences de plusieurs décisions de justice qui ont mis en exergue les faiblesses de notre système juridique ou les insuffisances de la loi de 2015, sur lesquelles je n’insisterai pas, afin de ne pas être discourtois.

Avant d’exprimer, monsieur le ministre d’État, le soutien du groupe Union Centriste à cette proposition de loi, en écho à votre propre approbation, je voudrais émettre une réserve générale, pour aujourd’hui comme pour demain.

Je ne crois pas beaucoup à l’efficacité et à la pertinence d’une législation française du droit d’asile, ni aujourd’hui ni demain. L’enjeu et la solution sont européens. Ce sujet est typique de ce que le Président de la République a appelé, dans son discours de la Sorbonne, « l’européanisation de la souveraineté de la France ». Dans le cadre de la combinaison des moyens nationaux et européens, nous devons raisonner à partir d’une souveraineté partagée.

Le vrai problème, c’est le blocage des négociations européennes autour du règlement Dublin III, dont je crains qu’il ne soit durable, comme nous avons pu le mesurer en rencontrant la Direction générale « migration et affaires intérieures », ou, avec la commission des affaires européennes, au cours d’autres entretiens avec les commissaires européens.

D’une certaine manière, il est même excessif d’évoquer un droit européen de l’asile. La réalité, mes chers collègues, c’est que les traités ne donnent pas compétence à l’Union européenne en matière de droit d’asile. C’est tout le paradoxe ! Ce domaine relève strictement de la souveraineté des États et des législations nationales. Les accords qui sont intervenus sont multilatéraux, en dehors du traité de l’Union européenne, à l’exemple des accords de Schengen, qui réunissent, vous le savez, quatre pays qui ne font pas partie de l’Union européenne. Le règlement Dublin III est, quant à lui, issu des accords de Tampere, de 1999.

Notre déception est donc considérable s’agissant du blocage de toute négociation sur ce terrain, avec les problèmes que chacun de vous connaît quant à la position des pays de l’ex-Europe de l’Est, voire de pays traditionnellement proches du nôtre, qui ne partagent pas tout à fait nos appréciations et, en particulier, ne sont pas prêts à renoncer à leur propre dispositif. La reconnaissance mutuelle des décisions prises en matière de droit d’asile, seule manière de répondre à la problématique des migrants secondaires, tout à fait caractéristique du règlement Dublin III, ne semble pas possible en l’état. Je voulais insister sur cette dimension européenne, en amont des discussions que nous aurons sur le futur texte.

Techniquement, les propositions qui nous sont faites correspondent effectivement aux enjeux.

La première réponse apportée dans la proposition de loi consiste à préciser les critères permettant de placer un demandeur en rétention, alors que l’autorisation de transfert n’a pas encore été obtenue, c’est-à-dire pendant la période de demande, à condition que celle-ci soit limitée dans le temps. Cette mesure correspond à la position exprimée par le Conseil d’État.

La deuxième réponse figurant dans la proposition de loi porte sur un meilleur contrôle de l’assignation à résidence, afin de permettre aux préfectures de moins utiliser la rétention, qui est lourde et exigeante en nombre de places disponibles, comme l’a illustré un drame récent. Il s’agit ici de répondre aux préoccupations du Conseil constitutionnel.

La troisième réponse, probablement la plus importante, consiste à définir de manière plus objective les critères permettant de penser qu’il peut exister un risque de fuite, de manière à pouvoir de nouveau utiliser le mécanisme de rétention avant de procéder à l’expulsion effective une fois obtenu l’accord du pays responsable. C’est la réponse à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne et à celui de la Cour de cassation de septembre 2017.

Enfin, les dispositions que nous examinons – c’est important pour mon groupe – ne sont pas destinées à inverser la jurisprudence. Il ne s’agit pas d’aller à l’encontre de décisions de justice, lesquelles ont simplement tiré les conséquences d’insuffisances rédactionnelles de nos dispositions. Il s’agit de compléter ces dernières et non de contredire les décisions de nos plus hautes juridictions.

En conclusion, mon groupe approuve le texte proposé. Notre pays doit se doter de moyens techniques légaux proportionnels permettant de mettre fin aux situations irrégulières et le texte qui nous est soumis en fait partie.

Cela étant, le sujet reste ouvert en particulier sur le plan européen – c’est notre principal point de déception –, mais également sur le plan national.

Ce texte doit être examiné sans moralisation, sans débat sur le bien ou le mal, mais, simplement, à partir du constat que notre pays ne sait pas aujourd’hui « écarter » – la formule n’est pas élégante – les personnes qui ne relèvent pas du droit d’asile, mais, parallèlement, n’intègre pas correctement celles qui en relèvent et que nous devons protéger. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre d’État, vous êtes assurément membre d’un gouvernement de rupture.

Rupture, lorsque le 12 décembre dernier, une circulaire remet en cause la tradition et les principes de l’accueil inconditionnel.

Rupture, lorsque vous défendez une proposition de loi qui prévoit l’enfermement de demandeurs d’asile dont le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précise qu’ils sont régulièrement sur le territoire. Pis encore, ce texte n’exclut pas l’enfermement de mineurs dans les mêmes conditions, et il prévoit que les demandeurs d’asile puissent être enfermés sans avoir de décision d’éloignement.

Permettez-moi de citer un extrait du blog de Sylvie Goulard, votre ancienne collègue : « La France s’enorgueillit d’être la “patrie des droits de l’homme”, mais la situation finirait par donner raison à Robert Badinter, quand il interroge, grinçant : “Peut-être la France n’est-elle finalement que la patrie de la déclaration des droits de l’homme”. »

Par ailleurs, la méthode adoptée pose question. Plutôt que d’introduire les dispositions prévues dans cette proposition de loi dans le prochain projet de loi, elles arrivent avant et seules. Cela présente deux avantages : le premier est qu’il n’y aura pas d’étude d’impact ; le second est que le texte ne passera pas devant le Conseil d’État.

Premier point, pas d’étude d’impact : il est certain qu’un éloignement vers l’Allemagne, par exemple de Strasbourg à Kehl, est compté comme « plus un » dans les chiffres. Et si la personne éloignée a l’élégance de revenir deux jours après et qu’elle est reprise, cela sera compté comme « plus deux », ce qui est encore mieux !

Les témoignages des agents de la police aux frontières, la PAF, qui indiquent que beaucoup de personnes éloignées reviennent, devraient nous conduire à nous interroger sur le sens de cette mesure. À part servir la politique du chiffre, à quoi sert-elle ? Les centres de rétention administrative, les CRA, qui sont déjà surchargés, le seront encore plus. Dans les circonstances actuelles, n’y a-t-il pas des objectifs plus efficaces, plus utiles et plus dignes à confier aux fonctionnaires de la police et des préfectures ?

Second point, pas de passage devant le Conseil d’État. Il n’y aura donc pas d’analyse de la cohérence de ce texte, en particulier d’une privation de liberté non proportionnée et totalement en rupture avec nos traditions, avec nos obligations constitutionnelles et conventionnelles. Le droit d’asile est attaqué frontalement dès lors qu’une personne peut être enfermée et privée de liberté parce qu’elle demande l’asile.

La multiplication des situations juridiquement inextricables conduira à un embouteillage des recours. C’est pourtant à cause de ces obligations conventionnelles que le dispositif législatif précédent a dû être invalidé. Celui que vous nous proposez aujourd’hui est beaucoup moins protecteur.

La commission des lois a reçu l’auteur de la proposition de loi, M. Warsmann. Tout patelin, il nous a indiqué qu’il ne prétendait pas faire une grande loi, mais qu’il voulait seulement réformer le système actuel pour qu’il fonctionne. Mais ce n’est pas possible ! Le système Dublin ne peut plus fonctionner.

Le règlement Dublin a été mis en place avec le système de prise d’empreintes EURODAC en raison de l’instauration de la liberté de circulation dans l’espace Schengen. Comme l’a dit le rapporteur, il visait à empêcher une personne de déposer plusieurs demandes d’asile et d’« emboliser » les systèmes.

Cela a plus ou moins bien fonctionné tant que le nombre de demandeurs d’asile dans l’espace européen n’excédait pas les 300 000 par an. Depuis 2014, les choses sont bien différentes. Nous avons eu un peu plus de 400 000 demandeurs d’asile en 2013, plus de 600 000 en 2014, plus d’1,4 million en 2015 et un peu plus d’1,2 million en 2016. Avec une population d’un demi-milliard d’habitants, l’Union européenne n’arrive pas à faire face à cette inflation.

Comparée au Liban, à la Turquie ou à la Jordanie, nous devons malheureusement le constater, l’Europe n’a pas fait preuve de résilience face à ce défi. Elle s’est montrée très fragile, car incapable d’accueillir les demandeurs d’asile à la hauteur de ce que font ses voisins et à la hauteur de son devoir.

Il me semble que, aujourd’hui, la première responsabilité des femmes et des hommes politiques est de construire cette résilience des opinions publiques européennes. Sans cela, l’Europe sera toujours plus faible face à ses voisins.

Entre 2014 et 2017, il y a eu sept fois plus de « dublinés » parmi les demandeurs d’asile en France. Ils représentent actuellement un peu moins 40 % des demandeurs d’asile, d’abord en provenance d’Allemagne où ils se sont vu débouter après une première demande d’asile, puis, de plus en plus depuis quelques mois, en provenance d’Italie où ils ont été « eurodaqués » après être arrivés par la Libye. La proposition de loi que nous examinons prévoit que ces personnes qui n’ont pas fait de demande d’asile en Italie puissent se voir refuser la possibilité de demander l’asile en France alors qu’elles ont parfois besoin de protection.

Nous ne pouvons pas durablement accepter que notre pays se retranche derrière une situation géographique plus facile que celle de la Grèce, de l’Italie ou de l’Espagne pour réaffirmer les principes de Dublin. Ces derniers ne fonctionnent pas, et à terme nous risquons de déstabiliser ces pays et de détruire complètement le système Schengen.

Depuis 2015, la Grèce et l’Italie ont accepté que l’ensemble des personnes entrant dans l’Union européenne passent dans les hotspot où FRONTEX les enregistre dans EURODAC. Cette sécurité que nous avons obtenue, nous la fragilisons si ces deux pays doivent porter seuls toute la demande d’asile de l’Union européenne.

L’absence de solidarité remettra en cause l’espace Schengen. Schengen est pourtant une solution, comme, plus généralement, la coopération entre des pays européens qui font face aux mêmes défis. Cela suppose de cesser de nous renvoyer les responsabilités les uns aux autres ; de dédramatiser le choix du pays de première analyse de la demande en donnant la liberté d’installation dans l’Union européenne à toute personne protégée dès lors qu’elle obtient le statut de réfugié et pas simplement après cinq ans ; et, enfin, de faire converger les systèmes d’asile en créant une agence européenne de l’asile, mais aussi en faisant converger les systèmes de recours. Ce dernier point est absolument indispensable.

En tout état de cause, monsieur le ministre d’État, il semble nécessaire, de manière transitoire, de donner aux préfets des instructions différenciées, pour que, suivant le parcours précédent des « dublinés », ceux-ci puissent rapidement voir leur demande d’asile traitée en France, en particulier lorsqu’ils n’ont pas déposé de demande d’asile dans un autre pays de l’Union européenne.

Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, rendre hommage à Angela Merkel, mais en même temps agir comme Viktor Orbán relève d’une duplicité qui pèsera lourdement sur la crédibilité de la France pour refonder l’Union européenne. Nous refusons une refondation de l’Europe qui remettrait en cause les valeurs et les principes qui sont au cœur de la construction européenne depuis ses débuts.

Se battre pour l’attractivité de la France est essentiel, mais il faut aussi assumer les conséquences de cette politique. Si nous sommes plus attractifs en matière d’asile, nous aurons plus de demandes. Il me semble qu’il vaut mieux être attractif et assumer les conséquences de son attractivité que se refermer sur soi-même. C’était aussi le sens de la campagne que vous avez menée avec le Président de la République l’année dernière, monsieur le ministre d’État, et je crois qu’il ne faut pas vous dérober à cette responsabilité.

De plus, en tant que maire de Lyon, vous savez bien que votre ville, celle que vous aimez, ne serait pas la même sans l’apport de tous les réfugiés, en particulier de ceux qui ont réussi à survivre au génocide arménien et l’ont fui.

Un discours positif, pédagogique, visant à améliorer la résilience de l’opinion publique sur la question de l’asile est indispensable. Vous ne pouvez pas vous y dérober. Il n’est pas trop tard pour corriger la trajectoire du Gouvernement, tant les espoirs étaient importants l’année dernière.

Il reste que, dans l’état actuel des choses, le groupe socialiste et républicain est totalement opposé à cette proposition de loi, inutile compte tenu du fonctionnement actuel de la procédure Dublin, mais d’abord complètement indigne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)