Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 26.

Mme Esther Benbassa. À l’instar de nos collègues du groupe socialiste et républicain, nous souhaitons, par cet amendement de suppression et ceux qui suivront, marquer notre profond désaccord tant avec l’esprit qu’avec la lettre de cette proposition de loi.

Permettez-moi de faire une première remarque sur le timing.

Examinée, et probablement adoptée, à quelques semaines des débats sur le projet de loi sur l’asile et l’immigration, cette proposition de loi ne fera pas l’objet d’un avis du Conseil d’État ni d’une étude d’impact. Elle permettra en revanche de placer rapidement en rétention nombre de demandeurs d’asile.

Priver de liberté des personnes en situation régulière sur le territoire français est, mes chers collègues, contraire à nos principes fondateurs et viole, sans nul doute, l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme.

Comme l’observe Amnesty International, dont nous partageons les préoccupations, le texte cherche à « sauver » le règlement Dublin en le renforçant, alors que ce dernier se révèle depuis des années vain, inéquitable et inefficace.

De surcroît, la proposition de loi porte gravement atteinte au droit d’asile lui-même et au respect des obligations internationales de la France à cet égard. Elle vise en effet à placer en rétention des personnes dont les empreintes apparaîtraient dans le fichier EURODAC avant même qu’elles n’aient pu enregistrer leur demande d’asile, bafouant ainsi un droit fondamental.

Peut-on, sans sourciller, voter un texte d’une telle nature ? Nous ne le pensons pas, bien entendu. Nous ne sommes d’ailleurs pas totalement isolés puisque, en dehors des ONG internationalement reconnues et des très nombreuses associations qui dénoncent les dérives de ce texte, le Défenseur des droits lui-même n’a pas eu de mots assez forts pour dire sa préoccupation à l’égard de cette proposition de loi qui « tend à faire prendre à l’histoire de la rétention administrative des étrangers un tournant sans précédent ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis de la commission sur les deux amendements identiques nos 1 rectifié bis et 26 est évidemment défavorable.

Permettez-moi de rappeler brièvement les choses. Voter ces deux amendements identiques reviendrait à empêcher ni plus ni moins l’État français de faire respecter les accords de Dublin. Nous avons évoqué, lors de la discussion générale, ce qu’il en était et les enjeux de ce texte. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a émis, je le répète, un avis défavorable.

Ce texte apporte une réponse limitée à un problème urgent, comme nous l’avons déjà dit. Par ailleurs, il respecte les accords de Dublin III. Enfin, il réitère ou renforce un certain nombre de garanties à l’égard de ceux qui bénéficient du statut Dublin.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat. Sur ces deux amendements identiques, comme sur d’autres amendements, je partagerai l’avis de la commission.

En effet, si l’on peut penser qu’il est nécessaire de procéder à une refonte du droit d’asile au niveau européen, on le sait, le paquet Asile ne sera pas adopté immédiatement. Il serait totalement impossible que notre pays n’ait plus le droit d’éloigner de manière unilatérale un certain nombre de personnes déboutées du droit d’asile en Allemagne, par exemple. Je l’ai rappelé, en Europe, quelque 500 000 personnes ont été déboutées du droit d’asile. Si, demain, ces personnes venaient en France et que nous ne puissions plus les éloigner, cela conduirait à une situation catastrophique.

Mme Robert s’est inquiétée du fait que l’on ne puisse plus placer aujourd’hui les étrangers dans les centres de rétention administrative ; je veux la rassurer : nous allons ouvrir 200 places d’ici à la fin du mois et 200 supplémentaires d’ici à la fin de l’année. Son vœu est donc satisfait.

En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je pourrais presque entendre ce que dit M. le ministre d’État à propos d’une personne déboutée ayant eu la possibilité de voir sa demande d’asile examinée en Allemagne. Aussi est-il important de travailler à la reconnaissance d’une telle décision au niveau européen. Pour ce faire, il importe que les diverses agences chargées du droit d’asile dans les différents pays convergent. D’ailleurs, même dans le cas que je viens d’évoquer, on peut considérer qu’une nouvelle demande est légitime si de nouveaux éléments concernant la situation de la personne ou celle du pays ont évolué.

En revanche, je ne puis accepter que l’on ne fasse pas de différence entre une personne dont la demande d’asile est examinée en Allemagne et une autre qui est arrivée en Italie ou en Grèce. Cette personne est aujourd’hui enregistrée non pas comme ayant déposé une première demande d’asile, mais parce que c’est dans ce pays qu’elle est entrée sur le territoire de l’Union européenne. Pourquoi cela ? Parce que FRONTEX fonctionne et enregistre la plupart des personnes qui entrent sur le territoire de l’Union européenne.

Si nous voulons être du côté de ceux qui veulent une politique de l’asile solidaire et l’affirmer, nous ne pouvons pas aujourd’hui adopter la posture consistant à dire que, comme FRONTEX enregistre tous les demandeurs en Grèce et en Italie – et peut-être demain en Espagne, parce que le flux commence à augmenter aussi dans ce pays –, il revient à ces pays d’étudier toutes les demandes d’asile, et que nous allons leur renvoyer les personnes concernées. C’est profondément anti-européen. C’est la raison pour laquelle nous maintenons cet amendement de suppression.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié bis et 26.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 56 :

Nombre de votants 335
Nombre de suffrages exprimés 314
Pour l’adoption 93
Contre 221

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 19 rectifié, présenté par Mme Costes, M. A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme N. Delattre, MM. Gold et Guérini et Mmes Jouve et Laborde, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première phrase

Après le mot :

intéressé

insérer les mots :

tel qu’établi au deuxième alinéa de l’article L. 744-6 du même code

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. L’article 1er de la proposition de loi prévoit que l’étranger est placé en rétention « sur la base d’une évaluation individuelle prenant en compte l’état de vulnérabilité de l’intéressé ». Or aucune définition de la vulnérabilité ne figure dans l’article, ce qui laisse une grande marge d’appréciation à l’administration.

Dans le cas précis de la procédure que nous examinons aujourd’hui, laquelle vise à placer en rétention administrative des personnes demandant l’asile à partir d’un simple faisceau d’indices, il m’a paru nécessaire que la vulnérabilité soit strictement prise en compte par l’autorité administrative chargée de la décision de placement.

L’article 744-6 du CESEDA, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, décrit l’évaluation de la vulnérabilité des demandeurs d’asile par les agents de l’OFPRA, afin de leur donner des soins spécifiques notamment. Le texte vise précisément « les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines ».

Il me semble que ces critères sont sensiblement les mêmes que ceux qui devraient s’imposer aux services administratifs au moment de la décision de placement. C’est pourquoi il m’a semblé raisonnable de faire référence à l’article susmentionné.

Je souhaiterais que l’on m’indique où figure la définition de la vulnérabilité des personnes concernées par le placement en rétention avant qu’une décision de transfert ne soit prise contre elles.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’objet de cet amendement déposé par notre collègue Josiane Costes est de préciser le critère de « vulnérabilité » à prendre en compte avant le placement en rétention d’un « dubliné ». Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable. Nous partageons l’objectif poursuivi par notre collègue, mais la commission pense qu’une confusion est possible.

En effet, l’amendement vise l’article L. 744-6 du CESEDA, qui concerne l’examen de la vulnérabilité dans les lieux d’hébergement des demandeurs d’asile. Or nous n’analysons pas la vulnérabilité de la même manière dans un centre de rétention administrative et dans un lieu d’hébergement, tout simplement parce que les risques encourus par les personnes ne sont pas les mêmes.

Pour la rétention, l’examen de la vulnérabilité est décrit à l’article L. 553-6 du CESEDA, que nous avons enrichi avec l’alinéa 21 de l’article 1er de la proposition de loi.

De mon point de vue, il me semble préférable de suivre la rédaction de la commission pour éviter toute confusion et garantir la protection des personnes vulnérables en cas de placement en rétention.

Je le redis, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. Comme vient de le dire le rapporteur, cette garantie existe déjà. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Madame Costes, l’amendement n° 19 rectifié est-il maintenu ?

Mme Josiane Costes. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 19 rectifié est retiré.

L’amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Requier, Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme N. Delattre, MM. Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et M. Menonville, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première phrase

Remplacer le mot :

proportionnel

par le mot :

proportionné

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Favorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville et Requier, est ainsi libellé :

Alinéa 4, seconde phrase

Après le mot :

établi

insérer les mots :

dès la notification de la décision de transfert et

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. La solution médiane et raisonnable que nous proposons ici permettrait au Gouvernement de continuer à agir comme il l’a fait jusqu’à présent, avant la décision de la Cour de justice de l’Union européenne.

L’objet de cet amendement est simplement de faire en sorte que ne soient pas placés en rétention administrative des demandeurs d’asile sans que ceux-ci aient la certitude qu’ils feront l’objet d’une procédure de transfert, ce qui est une nouveauté introduite par la proposition de loi.

En effet, le texte proposé par nos collègues de l’Assemblée nationale comporte le risque de placer en rétention des personnes éligibles à une protection internationale. Sommes-nous prêts à prendre ce risque ? Il me semble que nous devrions d’abord être en mesure de l’évaluer. Or tel n’est pas le cas aujourd’hui.

Notre rapporteur a reconnu, d’une part, qu’il était difficile d’élaborer des statistiques nationales consolidées pour fixer une estimation raisonnable du nombre de « dublinés » susceptibles d’être ainsi mis en rétention, critère par critère, et, d’autre part, que les capacités d’accueil actuelles des centres de rétention administrative ne suffiraient pas.

Par ailleurs, le placement en rétention administrative et les procédures de transfert sous escorte ont un coût foncier et d’encadrement non négligeable, a fortiori si l’administration choisit de placer en rétention des demandeurs d’asile dès leur demande, et ce jusqu’à la réalisation du transfert.

Dans les cas où l’État responsable se montre peu coopératif, ce qui reste trop fréquent selon le rapport, les durées de rétention pourraient être très longues.

Je ne sous-estime pas les difficultés auxquelles font face les forces de l’ordre, mais je crains qu’une possibilité de rétention encore plus précoce ne conduise ces personnes à choisir un peu plus la clandestinité.

Là encore, il ne s’agit pas d’entêtement : j’attends d’être convaincue plutôt que persuadée… Sur un sujet aussi grave, nous ne devrions pas nous contenter de conduire une politique au doigt mouillé.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.

Dans son avis du 19 juillet 2017, le Conseil d’État a rappelé que le droit français n’autorise pas à placer en rétention un migrant sous statut Dublin avant la décision de transfert. Mais l’État souhaite pouvoir le faire – c’est l’un des objets principaux du texte adopté par nos collègues députés, que nous comprenons bien, eu égard à la situation que nous connaissons. Il s’agit là de prévenir tout risque de fuite.

Si cette possibilité est ouverte, il n’en demeure pas moins que la durée totale de la rétention ne pourra pas dépasser quarante-cinq jours.

Je rappelle également à la Haute Assemblée – c’est important – que cette possibilité est autorisée par le règlement Dublin III.

Le règlement prévoit également des délais de procédure raccourcis : trente jours pour transmettre la requête à l’autre « État Dublin » - contre soixante à quatre-vingt-dix jours en l’absence de rétention -, ce dernier disposant alors de quinze jours pour répondre, contre un délai de soixante jours si la personne n’est pas placée.

En conséquence, l’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat. L’avis est également défavorable.

Cet amendement tend à limiter le placement en rétention à l’étranger ou au demandeur d’asile qui s’est vu notifier une décision de transfert et de l’interdire pendant la phase de détermination de l’État responsable.

Sur ce point, la proposition de loi ne fait que mettre en œuvre les dispositions de l’article 28 du règlement Dublin. En effet, pour garantir l’efficacité des transferts, le droit européen permet de placer en rétention l’ensemble des étrangers faisant l’objet d’une procédure Dublin, quelle que soit l’étape de la procédure.

Notre législation nécessitait d’être précisée quant aux modalités de mise en œuvre de ces dispositions de manière à pouvoir les appliquer pleinement, et c’est ce que nous allons pouvoir faire avec l’adoption de ce texte.

C’est pourquoi le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Madame Costes, l’amendement n° 5 rectifié est-il maintenu ?

Mme Josiane Costes. Oui, je le maintiens, madame la présidente.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. C’est le cœur du sujet : soit on revient à la situation précédente, soit on aggrave totalement la situation. C’est là qu’intervient la rupture : on enfermerait des personnes sans avoir de décision. Du reste, je vous remercie, madame la sénatrice, d’avoir permis cette analyse, même si vous faites un peu dans la dentelle, alors que nous avons dit, pour notre part, que cette situation serait inacceptable.

Je ne comprends pas, monsieur le ministre d’État : nous savons que certains États peuvent être responsables, mais sont totalement défaillants, et que l’on ne peut pas leur renvoyer les personnes. Avec les dispositions que vous proposez, n’importe quel « dubliné », même vers un pays totalement défaillant et vers lequel on ne peut le renvoyer, serait privé de liberté. Croyez-vous vraiment, compte tenu de ce que disait précédemment notre collègue Sylvie Robert à propos de la surcharge des centres de rétention administrative, qu’il soit indispensable de priver de liberté des personnes que l’on ne pourra pas en définitive éloigner ?

La renégociation des accords de Dublin tient bien au fait que ceux-ci ne fonctionnent pas. Ce n’est donc pas la peine de s’acharner à priver des personnes de liberté pour essayer de faire fonctionner un système qui, notoirement, ne marche pas. Si l’on veut « dubliner » une personne vers la Grèce, elle sera, avec le système proposé, enfermée jusqu’au moment où l’on constatera que l’on ne peut l’y renvoyer. C’est totalement inutile et indigne. On ne saurait agir ainsi. Il faut tout de même proposer des dispositions qui tiennent compte de la réalité de la situation en Europe : il y a des défaillances et on ne peut pas faire comme si tout allait bien.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, nous parlons de sujets extrêmement lourds. Or, depuis ce matin, on parle de « dubliner » : je « dubline », tu « dublines », nous « dublinons »… Faisons attention au vocabulaire que nous employons ! Il s’agit de personnes, de demandeurs d’asile, d’individus, qu’on les mette en rétention ou pas, selon les règles qui seront appliquées. Dans cet hémicycle, alors que les débats sont retransmis, nous devons marquer un peu de respect. Même si le texte alourdit sensiblement les dispositifs, sur ce sujet important, on devrait utiliser un vocabulaire approprié. Conjuguer le verbe « dubliner » n’est pas en soi le parfait exemple !

En ce qui concerne l’amendement, je comprends bien ce qui a été dit, mais je ne partage pas la position de son auteur ; je ne le voterai donc pas. En attendant, arrêtons de « dubliner » dans cet hémicycle !

M. Jean-Yves Leconte. Ce n’est pas dans l’hémicycle qu’il faut arrêter de « dubliner », c’est en France !

Mme Nathalie Goulet. Et ailleurs !

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas nous qui avons inventé ce terme !

Le groupe CRCE soutient l’amendement de Mme Costes pour les raisons qui ont déjà été évoquées par notre collègue Jean-Yves Leconte.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Requier, Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme Costes, MM. Guérini et Gold, Mmes Jouve et Laborde et M. Menonville, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Rédiger ainsi cet alinéa :

« b) Si l’étranger, débouté de sa demande d’asile, n’a pas épuisé ses voies de recours devant les juridictions de l’État membre responsable ;

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. Cet amendement vise à prendre en considération les voies de recours qui existent devant les juridictions de l’État responsable dans l’évaluation du risque de fuite d’un demandeur d’asile en vue d’une procédure de transfert.

En France, par exemple, près de 17 % des décisions de refus d’octroi d’une protection de l’OFPRA ont été annulées par la Cour nationale du droit d’asile en 2017.

On peut considérer que le risque non négligeable de fuite est établi dès lors que le demandeur d’asile perd l’espoir d’une acceptation de sa demande. Tel n’est pas le cas des personnes ayant introduit un recours contre une décision de refus.

Cet amendement vise également à protéger l’autorité de la chose jugée des décisions juridictionnelles de nos partenaires européens, une notion importante dans un État de droit, à laquelle beaucoup d’entre nous sont attachés. Il tend aussi à ne pas exposer des personnes qui se verront in fine accorder l’asile à des mesures de rétention administrative, et de limiter celles-ci aux cas les plus évidents, conformément à l’esprit de l’article 28 du règlement Dublin III.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission comprend bien l’objectif des auteurs de l’amendement, mais ne partage pas la finalité de celui-ci. L’avis est donc défavorable.

Je signale à la Haute Assemblée que l’adoption de cet amendement interdirait le placement en rétention en France d’un migrant sous statut Dublin débouté du droit d’asile, mais n’ayant pas épuisé les voies de recours devant la juridiction de l’État membre responsable de l’analyse.

L’objectif du règlement Dublin III, je le rappelle, est de faire en sorte qu’un seul État membre soit responsable de la demande d’asile. Dès lors, un demandeur d’asile ayant déposé une demande dans un État, par exemple en Allemagne, doit y rester même si sa demande d’asile est rejetée en première instance. D’ailleurs, s’il se rend dans un autre pays, par exemple en France, après avoir été débouté en Allemagne, il se sait dans l’illégalité et pourrait donc être tenté de fuir le territoire national.

Enfin, la proposition de loi ne prive pas l’étranger de recours sur le dépôt de sa demande d’asile. Dans l’exemple que j’ai pris, le recours doit être examiné non par la France, mais par l’Allemagne.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat. Il est également défavorable.

En effet, l’épuisement des voies de recours n’a aucun lien avec la définition du risque non négligeable de fuite. Ce critère ne figure pas au nombre de ceux qui sont exigés par les règlements Dublin pour déterminer l’État membre responsable du traitement de la demande d’asile.

En outre, les voies et délais de recours contre la décision de refus d’octroi d’une protection internationale relèvent des dispositions de la directive Procédure et sont sans effet sur l’application du règlement Dublin.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. On peut débattre de l’alinéa 6, mais, quelle que soit la formulation adoptée, il est étrange de considérer que, sous prétexte qu’une personne a été déboutée, définitivement ou non, elle présente un « risque non négligeable de fuite ». Dans tous les cas, cet alinéa est étonnant…

Que les voies de recours aient été ou non épuisées, c’est une autre question ; par principe, nous voterons l’amendement, mais, en toute hypothèse, nous ne pouvons pas accepter cette définition du risque de fuite.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme la présidente. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Requier, Arnell et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mmes Costes et N. Delattre, MM. Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et M. Menonville, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Josiane Costes.

Mme Josiane Costes. La liste des critères initialement retenus pour établir le risque non négligeable de fuite a été étoffée lors de l’examen de la proposition de loi par l’Assemblée nationale. Parmi les critères prévus figure le fait pour le demandeur d’asile de s’être soustrait à des mesures d’éloignement de droit commun.

Le rapport de M. Buffet montre que l’application de la procédure de transfert permise par le règlement Dublin est progressivement montée en puissance pour concerner 15 %, puis 30 % des demandeurs d’asile sur notre sol.

Par souci d’efficience administrative plus que d’efficacité, nous considérons que, dans l’intérêt des demandeurs d’asile, des forces de l’ordre chargées d’appliquer ces mesures et, une fois encore, des contribuables, l’autorité administrative devrait s’astreindre à ne pas multiplier les fondements d’expulsion d’un demandeur d’asile et s’employer à utiliser les procédures qui lui sont propres : le transfert vers l’État responsable, quand la France ne l’est pas, et les autres mesures de droit commun applicables une fois que la décision définitive de rejet a été prononcée, quand la France l’est.

Nous craignons que la reconnaissance de la non-soumission à une autre mesure d’éloignement comme indice de l’existence d’un risque non négligeable de fuite en vue de la mise en œuvre d’une procédure de transfert ne conduise, dans le premier cas, à disperser inefficacement l’action du Gouvernement. Pour paraphraser Montesquieu, prenons garde que les actes administratifs inutiles n’affaiblissent les actes administratifs nécessaires…

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement a pour objet de supprimer toute possibilité de placement en rétention d’un migrant sous statut Dublin qui se serait lui-même soustrait à l’exécution d’une mesure d’éloignement.

Nous y sommes évidemment défavorables, car une même personne peut se voir imposer une obligation de quitter le territoire français, une OQTF, s’y soustraire puis déposer une demande d’asile, alors qu’un autre État est responsable de l’examen de cette demande. La loi doit évidemment prévoir de tels cas de figure. Nous savons tous combien l’imagination peut être grande…

Enfin, la notion de mesure d’éloignement doit être conservée : elle est suffisamment large pour englober à la fois les OQTF et les mesures d’ordre public, comme les interdictions de circulation sur le territoire national et les expulsions pour motif d’ordre public.