Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, le 5 décembre dernier, nous nous réunissons à nouveau pour l’examen de ce projet de loi ratifiant des ordonnances prises sur le fondement de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

L’article 1er, qui ratifie l’ordonnance permettant la reconnaissance de la profession de physicien médical, a été adopté conforme par les deux assemblées. Cette ordonnance a fait l’objet d’un consensus dans le milieu médical, ainsi qu’au Parlement. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Cependant, l’article 2, dans lequel se trouvent les dispositions sur l’accès partiel à certaines activités médicales et paramédicales, concentre aujourd’hui tous les débats et nous amène à nous réunir pour un examen en nouvelle lecture.

Plusieurs arguments, parfaitement relayés par notre rapporteur Corinne Imbert, ont été avancés par les professionnels de santé.

Notamment, les infirmiers et les kinésithérapeutes s’inquiètent. Le Syndicat national des professionnels infirmiers a également souligné la confusion qui pourrait exister dans l’esprit du public, qui ne sera pas toujours en mesure de reconnaître clairement le champ de compétences des infirmiers ; c’est une réalité. Sans compter le risque de désorganisation des soins dans les établissements sanitaires et médico-sociaux. Les conséquences et l’effet de cette mesure n’ont pas été clairement évalués, tant quantitativement que qualitativement. La Fédération française des praticiens de santé a également souligné ce point.

Comme lors de l’examen de l’ordonnance relative au fonctionnement des ordres des professions de santé, une impréparation et un manque de concertation avec les organisations professionnelles sont à déplorer. Pour le groupe du RDSE, c’est un vrai problème ; nous souhaitons rappeler ici notre attachement au dialogue et au débat.

Par ailleurs, dans les territoires connaissant une désertification médicale, sujet d’inquiétude pour les élus et les citoyens – l’attractivité pour les professionnels y est faible –, une telle mesure pourrait contraindre les établissements ou les collectivités à recruter des professionnels concernés par l’exercice partiel.

Élue d’un territoire particulièrement sous-doté, je salue toute mesure qui permettrait de pallier les inégalités territoriales. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des patients et de la qualité des soins. La France ne peut se satisfaire d’un système de soins au rabais. Je pense que cette mesure risque de renforcer encore les inégalités territoriales.

Des risques sur l’organisation et la sécurité des soins ont été évoqués sur ce texte. Madame la ministre, vous avez rappelé que la directive prévoyait trois conditions nécessaires à la délivrance de l’autorisation d’exercice partiel. Les députés ont jugé que les garanties apportées étaient suffisantes. Ce n’est pas le cas de la commission des affaires sociales du Sénat, dont les arguments, que je partage pour la très grande majorité, n’ont pas pu trouver un écho favorable auprès du Gouvernement et de nos collègues de l’Assemblée nationale.

À ce sujet, je souhaiterais évoquer ici la publication, le 2 novembre dernier, du décret encadrant la mise en œuvre de l’exercice partiel, alors même que la commission mixte paritaire ne s’était pas encore réunie. Si ce décret apporte certaines garanties, nous aurions apprécié un peu plus de respect pour le débat parlementaire. Ce n’est pas la compétence du petit morceau d’exercice partiel qui est remise en cause ; c’est plutôt le champ de compétences qui pose problème.

Le Sénat, dans sa majorité, ne partage pas l’avis du Gouvernement sur ce projet de loi. Les arguments avancés sont sérieux et méritent qu’on s’y attarde. Il s’agit de l’avenir de notre système de santé, autant que des relations que nous entretenons avec les organisations professionnelles. Si nous ne remettons pas en question la compétence des professionnels dans leur activité, nous craignons l’arrivée de praticiens formés à l’exécution d’une seule partie des actes.

Certes, il s’agit d’une directive dont la transposition aurait dû être faite voilà plus de deux ans ; je vous ai bien entendue, madame la ministre. Mais, précisément, elle a fait l’objet de fortes dissensions et ne peut pas être acceptée en l’état. Nous ne sommes pas prêts à nous asseoir sur nos exigences et celles de nos concitoyens, notamment en matière de santé.

Le RDSE réaffirme par ma voix son attachement à l’Europe. Oui, nous avons besoin de l’Europe ! Oui, nous en respectons les règles ! Mais nous souhaitons une Europe qui tire vers le haut, une Europe qui harmonise, une Europe « qui protège », pour reprendre les termes du Président de la République – il était question de la protection de nos frontières et de notre économie. Nous aurions aimé qu’il en soit de même pour notre système de santé et que l’ambition soit d’en préserver la qualité.

Madame la ministre, je vous remercie de votre écoute à l’égard des inquiétudes exprimées. Je salue également votre volonté d’encadrer cette mesure d’un maximum de garanties. Toutefois, nos inquiétudes restent entières s’agissant de l’organisation de notre système de soins, de l’équité sociale et de l’équité territoriale.

Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE votera pour le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales, qui rétablit la suppression de l’exercice partiel.

Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier.

M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur les trois projets de loi de ratification que nous avons examinés le 11 octobre dernier, un seul point de désaccord demeure à l’issue de la commission mixte paritaire du 5 décembre. Comme cela a déjà été souligné, le désaccord concerne le troisième projet de loi.

Les dispositions portant sur la reconnaissance de la profession de physicien médical, la mise en place d’une carte professionnelle européenne et le mécanisme d’alerte à l’échelle européenne ont été adoptées conformes par les deux chambres. Seule la question de l’accès partiel aux professions de santé continue de diviser.

À l’Assemblée nationale, des raisons juridiques ont été avancées pour procéder sans plus attendre à la transposition de cette directive, afin d’éviter d’exposer la France à une procédure pour défaut de transposition devant la Cour de justice de l’Union européenne.

J’en profite pour rappeler que des garanties existent pour contenir les risques et inquiétudes, à travers les trois conditions cumulatives posées par ladite directive européenne.

D’abord, le professionnel doit être pleinement qualifié pour exercer dans son État d’origine l’activité pour laquelle il sollicite un accès partiel.

Ensuite, si les distorsions entre l’activité professionnelle exercée dans le pays d’origine et la profession qui pourrait lui correspondre en France sont importantes, il sera imposé des formations complémentaires au demandeur, afin qu’il se mette au niveau requis. Il y va évidemment de la sécurité et la protection des patients.

Enfin, l’activité sollicitée en accès partiel doit pouvoir être objectivement séparée des autres activités relevant de la profession correspondante en France.

Si l’une de ces trois conditions n’est pas remplie, alors l’autorisation d’exercice partiel ne pourra évidemment pas être délivrée.

Néanmoins, comme nous le rappelions déjà en première lecture, la transposition de cette directive européenne suscite – cela a été dit et redit – l’inquiétude des professionnels de santé, en particulier au regard du risque de fragmentation des professions de santé, voire de mise en cause de la qualité et de la sécurité des soins.

C’est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales du Sénat est revenue à sa rédaction de première lecture, en écartant les dispositions sur l’accès partiel.

Comme en première lecture, notre groupe s’abstiendra sur la rédaction proposée par la commission des affaires sociales du Sénat, car, selon nous, elle expose fortement la France à une procédure pour défaut de transposition devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cela a été dit, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, le Sénat examine en nouvelle lecture le projet de loi ratifiant deux ordonnances, l’une relative à la profession de physicien médical et l’autre à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé.

Ces ordonnances ont été prises sur le fondement de l’article 216 de la loi de modernisation de notre système de santé que notre groupe a combattu dans cet hémicycle, faut-il le redire ici ?

La première ordonnance, qui vise à reconnaître la profession de physicien médical comme profession de santé, est reconnue unanimement comme une avancée pour les professionnels concernés ; nous partageons tout à fait cette reconnaissance. C’est une avancée, en effet, qui ne doit cependant pas occulter la nécessité d’augmenter les recrutements dans les services de radiothérapie : malgré le doublement des effectifs, leur nombre reste insuffisant au regard des besoins.

La seconde ordonnance transpose en droit français une directive européenne, comme vous l’avez souligné, madame la ministre, sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, qui introduit en droit national notamment la reconnaissance de l’accès partiel aux professions médicales et paramédicales.

L’accès partiel aux professions de santé permettrait à des professionnels de santé venant de pays européens d’exercer en France sans avoir toutes les qualifications exigées par l’État français. Autrement dit, certains soins infirmiers ou de rééducation pourront être réalisés par des praticiens qui ne disposent pas du titre, par exemple, d’infirmier, de kinésithérapeute ou d’orthophoniste. Ils exerceront alors sous le titre qu’ils ont obtenu dans leur pays d’origine.

Vous le savez, les syndicats et les ordres de santé s’étaient opposés à la quasi-unanimité à l’avis du Haut Conseil des professions paramédicales qui, de fait, ouvre la voie à une segmentation des professions de santé.

Depuis le vote en première lecture par l’Assemblée nationale, en juillet dernier, le décret qui détaille les conditions de l’accès partiel a été publié, mais les mesures qui encadrent la reconnaissance de l’accès partiel paraissent bien faibles, ce qui continue d’inquiéter les professionnels de santé.

La transposition laisse craindre l’instauration d’une médecine à deux vitesses, qui aurait des conséquences majeures sur l’organisation et la cohérence de notre système de santé.

En effet, dans la mesure où la formation initiale et les compétences des métiers de santé sont différentes d’un pays à l’autre, l’ordonnance pourrait avoir des conséquences importantes sur la qualité et la sécurité des soins dispensés aux patients.

L’accès partiel laisse donc craindre un système de santé au rabais, avec une dégradation de la qualité des soins, puisque le niveau d’exigence en termes de formation et de qualification sera abaissé pour certaines professions de santé.

Aussi sommes-nous satisfaits de la suppression par la commission des affaires sociales de cet accès partiel aux activités médicales ou paramédicales, comme l’a rappelé notre rapporteur Corinne Imbert. Depuis le début, force est de constater que nous partageons tous les mêmes inquiétudes et que chacun ici s’accorde à reconnaître le bien-fondé du travail de la commission.

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera ce projet de loi de ratification tel que modifié par le Sénat. Il est véritablement important, madame la ministre – j’ai bien écouté vos propos –, que le Gouvernement prenne en compte le travail du Sénat et de la commission des affaires sociales. Nous avons travaillé ensemble, dans un souci constructif, pour faire en sorte que notre système de santé soit le meilleur possible.

Je ne remets pas en cause votre bonne foi quand vous parlez d’engagements, de garde-fous et d’évaluation des nouveaux dispositifs. Quoi qu’il en soit, je n’approuve absolument pas cette sorte de fuite en avant qui vous pousse à prendre des décisions malgré les dangers sur lesquels nous attirons votre attention dans cet hémicycle. Il ne s’agit aucunement de vous faire un procès d’intention, nous relayons seulement les craintes et les attentes des professionnels de santé. De ce point de vue, il serait regrettable que le travail réalisé par la commission des affaires sociales soit passé par pertes et profits, et que soit impossible tout retour en arrière sur cet accès partiel.

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, beaucoup d’arguments ont déjà été développés. Il s’agit, en effet, de la troisième séance publique consacrée aux ordonnances prises sur le fondement de la loi de modernisation de notre système de santé.

À l’issue de la navette parlementaire, il ne reste qu’un projet de loi en discussion. C’est celui-ci que nous examinons aujourd’hui ; il vise à ratifier les ordonnances relatives à la profession de physicien médical et à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé.

Force est de constater, ou plutôt de regretter, que l’Assemblée nationale et le Sénat ne trouveront pas d’accord sur ce texte. Qu’il me soit d’ailleurs permis de m’interroger sur la pertinence d’une nouvelle lecture en pareille situation. Mais je ne vais pas trop anticiper sur les discussions de procédure que nous aurons sans aucun doute dans quelques mois !

La disposition en cause est l’accès partiel aux professions de santé, sur laquelle je concentrerai mon propos.

Le groupe Union Centriste, auquel j’appartiens, soutiendra, sur ce sujet, la position adoptée en première lecture, qui est également celle défendue par notre collègue rapporteur Corinne Imbert, dont je salue le travail.

Nous sommes en effet défavorables à l’application de l’accès partiel, ouvert par cette ordonnance et la directive qu’elle transpose, aux professionnels ne pouvant bénéficier de la procédure de reconnaissance automatique.

Les États membres de l’Union européenne ont œuvré à l’uniformisation des diplômes et des conditions requises pour l’accès aux professions de médecin, de chirurgien-dentiste, de sage-femme, de pharmacien, d’infirmier de soins généraux. Cela permet à ces professionnels de s’installer dans toute l’Union européenne et garantit aux patients d’être pris en charge dans des conditions de sécurité satisfaisantes.

La question de la sécurité est justement l’une des raisons de notre opposition à l’accès partiel. En dépit de ses difficultés, notre système de santé est organisé et solide. Nos professionnels font des efforts pour en améliorer la cohérence et offrir aux patients une prise en charge coordonnée autour d’un parcours de soins.

L’arrivée de professionnels qui ne seraient pas pleinement compétents dans la spécialité pratiquée en France risquerait de créer un déséquilibre, dont les premières victimes seraient les patients eux-mêmes. Les craintes exprimées à ce sujet par les représentants de ces professions, même si elles ne doivent pas justifier à elles seules la position de notre assemblée, méritent en revanche d’être écoutées. C’est ce qu’a fait notre rapporteur.

De même, il ne me semble pas satisfaisant de souhaiter l’accès partiel aux professions de santé au regard des difficultés d’accès aux soins que nous rencontrons dans certains territoires. Il me semble plutôt nécessaire de poursuivre dans la voie de l’uniformisation pour élever le niveau général de compétence des professionnels de santé au sein de l’Union européenne.

Quant à l’accès aux soins, attendons les conclusions des travaux engagés par le Gouvernement, auxquels participe ma collègue Élisabeth Doineau.

Face à la position du Sénat, la rapporteur à l’Assemblée nationale n’oppose que le risque de condamnation encouru par la France si elle ne transpose pas ces dispositions. Il est vrai qu’un risque existe et que nous devons le prendre en compte. Mais cela ne doit pas nous conduire à faire l’économie d’une réflexion approfondie sur la transposition la plus adaptée à mettre en œuvre. C’est ce qu’a fait l’Allemagne, en n’appliquant pas l’accès partiel aux professions de santé.

L’Européenne convaincue que je suis comprend la nécessité d’appliquer au mieux les directives européennes. Mais je sais également qu’avec l’Allemagne, la France est en position de rouvrir le débat si la cohérence du système de santé est en jeu. C’est pourquoi nous soutiendrons la position défendue par la commission des affaires sociales.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer une nouvelle fois sur le projet de loi de ratification d’ordonnances rédigées en application de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, votée sur l’initiative de la précédente ministre de la santé que nous avions, à l’époque, soutenue dans sa démarche. L’attitude de mon groupe s’inscrit aujourd’hui dans le prolongement de ce positionnement.

La première ordonnance, qui porte sur la reconnaissance de la profession de physicien médical, a fait l’objet d’une approbation unanime. La discussion concerne aujourd’hui la deuxième ordonnance, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé. Elle transpose, en droit interne, trois dispositifs mis en place par une directive européenne de 2013 : la carte professionnelle européenne, le mécanisme d’alerte et l’accès partiel.

Les deux premiers dispositifs ne sont guère contestés. Ils constituent des avancées importantes en matière de coopération entre États membres.

La carte professionnelle facilite la reconnaissance des qualifications professionnelles dans un autre pays de l’Union européenne par voie électronique. Cette nouvelle procédure est plus commode et transparente que les procédures classiques de reconnaissance des qualifications.

Le mécanisme d’alerte favorise la diffusion, à l’échelle européenne, de signalements de professionnels de santé qui n’auraient pas le droit d’exercer dans leur État d’origine. C’est un indéniable progrès pour la sécurité des patients dans l’Union européenne.

Supprimé par le Sénat, puis rétabli par l’Assemblée nationale, l’accès partiel aux professions de santé suscite davantage d’interrogations et d’inquiétudes, comme nous le constatons depuis de début de cette discussion.

Accorder l’accès partiel aux professions médicales et paramédicales revient à conférer à un professionnel de santé étranger le droit de s’installer en France pour y pratiquer, de manière partielle, une activité.

Trois remarques préalables me paraissent devoir être formulées.

D’abord, madame la ministre, la saisine de la Commission européenne, que vous avez évoquée, en vue d’obtenir une cartographie des professions de santé dans l’Union européenne permettra d’identifier les professionnels susceptibles de demander une reconnaissance d’accès partiel. Il s’agit d’une bonne disposition.

Ensuite, je veux rappeler que l’accès partiel ne sera pas applicable aux professionnels qui remplissent les conditions requises pour bénéficier de la reconnaissance automatique de leurs qualifications professionnelles : les médecins, les infirmiers, les dentistes, les sages-femmes et les pharmaciens. Il paraît peu fondé à mon sens de penser que la mise en place de ce dispositif déstabiliserait l’ensemble de notre système de santé.

Enfin, si la question du défaut de transposition ne doit pas être déterminante, elle n’en reste pas moins importante. La directive européenne, modifiant une directive de 2005, a été signée en 2013 pour une entrée en vigueur en 2014. La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé prévoyait sa transcription par une ordonnance. Elle aurait dû figurer dans notre droit interne depuis le 18 janvier 2016. Nous tardons. À cet égard, le 7 décembre dernier, la Commission européenne a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours contre la France en raison du manquement à l’obligation de notifier la transposition complète de la directive, avec une demande d’astreinte journalière de plus de 53 000 euros d’après les chiffres dont je dispose – j’espère qu’ils correspondent à ceux que vous avez cités.

Mes chers collègues, la finalité même de la construction européenne est de permettre la libre circulation des hommes. Elle a pour corollaire la liberté d’installation.

Rien ne devrait, en principe, nourrir notre opposition à la présente ordonnance puisqu’il s’agit d’autoriser l’exercice de professions médicales et paramédicales par des ressortissants de l’Union européenne, sous réserve, bien entendu, du contrôle des compétences. C’est à ce titre que nombre de professions médicales bénéficient d’ores et déjà d’un régime de reconnaissance automatique des diplômes.

Le manque de formation des professionnels concernés a été mis en avant. Cette objection paraît peu justifiée lorsque, dans le même temps, il est affirmé que, parmi les conditions sine qua non de l’autorisation, figure l’exigence de vérification des qualifications.

On a également laissé entendre que la délimitation entre les pratiques serait difficile à caractériser. Pourtant, il est explicitement précisé, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, madame la ministre, que l’autorisation ne peut intéresser que des activités objectivement séparables.

Enfin, une garantie forte est apportée : l’examen au cas par cas permettra toujours de distinguer ce qui peut, le cas échéant, porter atteinte à l’intérêt général en matière de santé publique. Vous nous avez assurés, madame la ministre, de votre vigilance quant aux conditions de déploiement de l’accès partiel au sein de notre système de santé. Une raison impérieuse d’intérêt général tirée du risque encouru en matière de qualité et de sécurité des prises en charge devra être invoquée chaque fois que les circonstances l’exigeront. Le succès du dispositif et la confiance des Français en leur système de santé en dépendent.

Dans ce cadre, ces ordonnances, peu contraignantes, ne doivent pas susciter d’inquiétudes. La directive laisse à chaque pays un large pouvoir d’appréciation. Pourquoi, dès lors, courir le risque d’une sanction de l’Union européenne par un inopportun refus de ratification ?

L’idée que nous nous faisons d’une Europe ouverte à la libre circulation des hommes, conjuguée à notre attachement à la qualité de notre système de santé, invite à suivre la proposition du Gouvernement, en application de la directive et de la loi de modernisation du système de santé mise en œuvre par le gouvernement précédent. Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas d’accord avec la version du projet de loi issue des travaux de la commission des affaires sociales.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, nous sommes aujourd’hui de nouveau saisis de l’examen de deux ordonnances à la suite du « non-choix » de notre assemblée à l’automne dernier.

En décembre 2017, l’échec de la commission mixte paritaire a conduit la France à un défaut de transposition d’une directive européenne en droit français. C’est une situation des plus graves sur laquelle nous sommes appelés à statuer rapidement.

La Commission européenne a en effet saisi, le 7 décembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours en manquement contre la France. La Commission a même demandé qu’une astreinte journalière de 53 287 euros nous soit infligée pour retard dans la transposition du droit européen en matière de reconnaissance des qualifications.

En première lecture, soulevant une inquiétude des professionnels de santé, nos collègues de la commission des affaires sociales ont proposé la suppression « sèche » de cette mesure d’accès partiel aux professions de santé. Je me dois de vous dire que le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’interroge également sur la pertinence et les conditions de mise en œuvre de ce dispositif, et surtout sur ses conséquences.

Si le dispositif d’accès partiel manque d’évaluation préalable et nourrit de fortes appréhensions, il reste que cette question relève d’une dérogation à un mécanisme déjà fort complexe. À ce jour, les professionnels de santé étrangers bénéficient déjà d’une reconnaissance automatique de leurs titres de formation, et cet outil d’accès partiel s’adresse aux praticiens ne trouvant pas d’équivalent dans leur pays d’accueil. Ce dispositif s’inscrira, enfin, dans le cadre d’une étude au cas par cas, avec de strictes conditions cumulatives sur la qualification dans le pays d’origine ou la séparation objective des activités.

Mes chers collègues, notre groupe juge qu’une solution intermédiaire est aujourd’hui envisageable. Nous ne pouvons pas nous résoudre à transposer une directive par seule obligation légale : il convient tout de même d’y réfléchir ! Il faut que la transposition se fasse dans le cadre d’un dialogue apaisé avec les professionnels de santé et leurs représentants. N’oublions pas que la qualité du secteur médical et, bien évidemment, la santé des Français doivent seules guider nos décisions.

C’est la raison pour laquelle nous soutenons l’amendement déposé par Mme la rapporteur, notre collègue Corinne Imbert, visant à ratifier les dispositions relatives à la reconnaissance des qualifications professionnelles, à l’exception de celles mettant en place l’accès partiel à l’exercice d’une profession médicale ou paramédicale en France.

L’Allemagne offre en effet un exemple à suivre sur cette question de l’accès partiel. Elle exclut a priori des professions de santé de ce dispositif : médecins, infirmiers responsables de soins généraux, praticiens de l’art dentaire, sages-femmes et pharmaciens. Cette position n’est pas sans danger, puisque Berlin s’expose à des risques de recours pour mesures discriminatoires, mais elle offre une solution intermédiaire et temporaire à la problématique d’une transposition d’une mesure insuffisamment discutée avec les professionnels de la santé.

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, refuser « de manière sèche » l’adoption des mesures de transposition de la directive européenne, c’était faire un pas de plus vers le recours en manquement. Agissons avec raison et sachons trouver un compromis entre respect des obligations européennes et écoute des professionnels français de la santé. (M. Michel Canevet applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, après l’échec de la commission mixte paritaire, nous examinons, en nouvelle lecture, le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2017-48 du 19 janvier 2017 relative à la profession de physicien médical et l’ordonnance n° 2017-50 du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé. Ce texte aborde des sujets totalement distincts à travers deux articles.

Le premier est relatif à la reconnaissance de la profession de physicien médical comme profession de santé. Il s’agit de mieux définir la responsabilité de ces professionnels dans la prise en charge du patient au sein de l’équipe de soins, et de reconnaître leur rôle dans la qualité et la sécurité de cette prise en charge. Nous soutenons cette avancée qui répond à une attente forte des professionnels concernés, et à une double exigence de sécurité et de qualité des prises en charge des patients.

Cette double exigence, nous regrettons de ne pas la retrouver à l’article 2, relatif à l’accès partiel des ressortissants européens aux professions médicales et paramédicales.

Comme je l’avais précisé en première lecture, nous ne remettons pas en cause la totalité de cette ordonnance de transposition. Nous approuvons la mise en place d’une carte professionnelle européenne ou encore l’instauration d’un mécanisme d’alerte à l’échelle communautaire dont l’objectif est de garantir la sécurité des patients.

En revanche, la mise en place d’un accès partiel qui permettrait aux professionnels de santé européens d’exercer en France, sous certaines conditions, et seulement pour une partie du champ d’exercice, ne nous satisfait pas.

De nombreuses questions restent sans réponse. Quelles professions seront concernées ? Quel est le nombre de professionnels susceptibles de venir dans notre pays ? Quelles seront les conséquences sur l’organisation de notre système de soins ?

Comment ne pas voir que ce dispositif fera le jeu de certaines plateformes ? Comment ne pas comprendre que cela signera une nouvelle étape dans le démembrement de plusieurs professions et ouvrira largement la voie à la banalisation de soins low cost ?

Nous pensons donc qu’il existe un risque majeur pour l’organisation de notre système de santé et pour la qualité des soins aux patients.

Il faut bien mesurer les effets de ce texte. Les infirmiers français sont, aujourd’hui, obligés de détenir toutes les compétences inscrites au référentiel du diplôme d’État. À défaut, ils peuvent faire l’objet d’une procédure de contrôle de l’insuffisance professionnelle entraînant une suspension, voire une interdiction d’exercer comme infirmier. Pourquoi les titulaires de diplômes étrangers échapperaient-ils à ce contrôle ? Dans ce contexte, quel sens aura la volonté d’intégrer la profession d’infirmier dans le processus licence-master-doctorat, ou LMD ?

Nous sommes convaincus que cet accès partiel aux professions de santé va à l’encontre tant de l’élévation de la qualification des professionnels médicaux et paramédicaux que du développement des coopérations interprofessionnelles.

Enfin, nous ne pouvons pas nous contenter d’un argument juridique sur cette question. La sécurité des patients doit être notre seule priorité.

Aujourd’hui, quatorze pays européens n’ont pas transposé cette directive. Madame la ministre, nous vous avions demandé de retourner vers l’Union européenne et de négocier. Vous faites le choix d’imposer la transposition de cette directive sans tenir compte de l’avis unanime des professions de santé.

Une fois de plus, nos concitoyens auront le sentiment de « subir l’Europe ». Faire vivre le projet européen comme une somme de contraintes ne fera qu’encourager les eurosceptiques, ce que je déplore.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains suivra l’avis de notre collègue Corinne Imbert, dont je tiens à saluer le travail approfondi sur ce texte, et votera le texte de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)