Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quatre-vingts ans, un peu plus même, le 1er septembre 1937, la presse française annonçait fièrement la création prochaine de la Société nationale des chemins de fer français, la SNCF. Créée par un décret-loi du Front populaire et effectivement mise en place en janvier 1938, cette société fusionnait les activités et le personnel de l’État, les grandes compagnies ferroviaires privées et les réseaux d’Alsace-Lorraine administrés par l’État. L’aventure ferroviaire tricolore entrait dans une nouvelle ère de son histoire.

« La convention assurer une heureuse conciliation entre l’autorité de l’État et le maintien nécessaire des souples méthodes de gestion […] d’un grand service industriel et commercial », expliquait Camille Chautemps, chef du gouvernement, à LÉcho de Paris. Aujourd’hui, la convention semble définitivement remise en question. Le groupe est durablement endetté, la qualité de service fortement discutée et le grand public s’exaspère des grèves et de retards à répétition.

D’abord, le groupe ferroviaire est aujourd’hui dans une situation financière catastrophique. Si la SNCF a présenté d’excellents résultats en 2017, avec une hausse de 4,2 % de son chiffre d’affaires, à 33,5 milliards d’euros, et un bénéfice net de 1,33 milliard d’euros, la dette est abyssale : 46,6 milliards d’euros pour SNCF Réseau et 7,9 milliards d’euros pour SNCF Mobilités. Pour beaucoup d’analystes, cette dette constituerait même un risque pour le contribuable. Madame la ministre, comme vous l’avez dit, nous ne pouvons pas ignorer cet état de fait.

Ensuite, la situation de ce groupe ferroviaire n’est plus tenable. Le rapport Spinetta, remis au Gouvernement mi-février, tire la sonnette d’alarme sur des réformes nécessaires : fin du statut de cheminot et de ses avantages – garantie à vie de l’emploi, retraite anticipée, facilités de circulation, etc. – ; évolution du statut de la SNCF vers celui d’une société anonyme ; renforcement, enfin, des moyens de l’AFITF, dont un Angevin, Christophe Béchu, prendra prochainement la présidence, après un avis favorable de notre commission donné hier soir.

Surtout, la SNCF devra affronter demain l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs. Inutile de rappeler ce qu’un manque de préparation à l’ouverture à la concurrence signifierait pour ce secteur et pour la qualité du service, cela a déjà été fait lors d’un récent débat sur le secteur du fret ferroviaire. Nous sommes prévenus !

Le calendrier politique fait que l’examen de cette proposition de loi intervient quelques semaines avant le projet du Gouvernement. Devant l’urgence de la situation, il est essentiel que chacun prenne ses responsabilités pour débloquer la situation et envisager l’avenir du rail français. Pour s’adapter et ne pas disparaître, la SNCF devra irrémédiablement changer.

Alors, madame la ministre, mes chers collègues, pour paraphraser l’un des anciens présidents de la SNCF, Louis Armand, où en est le chemin de fer français ? Ce débat doit être l’occasion de poser de nouveaux jalons en prévision du projet de loi du Gouvernement.

La proposition de loi nous semble intéressante, perfectible. Il nous paraît ainsi nécessaire de prendre en compte le besoin de maintenir les petites lignes au nom de la vitalité de nos territoires.

En commission, sur proposition du rapporteur, notre collègue Jean-François Longeot, et avec un large soutien politique, nous avons introduit un nouveau mécanisme liant des contrats de lignes de TGV et des petites lignes. À l’avenir, cela doit être la norme. Oui à l’ouverture à la concurrence de nos lignes ! Oui, en même temps, à la continuité de nos politiques d’aménagement du territoire !

Notre groupe, vous le verrez, a d’ailleurs proposé un certain nombre d’amendements pour compléter cette proposition de loi. Ces amendements s’inscrivent dans une triple approche : protéger les territoires en introduisant dans la loi les dérogations autorisées par le règlement européen et en sollicitant l’avis de la Conférence nationale des territoires sur cette ouverture à la concurrence ; assurer une transition transparente et respectueuse de tous en privilégiant des politiques d’open data – le rapporteur en a parlé – et en programmant des points d’étape avec les représentants locaux ; enfin, saisir l’opportunité de réformer le régime ferroviaire en ne forçant pas les nouveaux entrants à reproduire les mécanismes aujourd’hui défaillants.

Tels sont, loin des caricatures, les trois piliers sur lesquels fonder la réforme du secteur ferroviaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Éric Gold. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, à la veille de l’examen du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, nous nous réunissons aujourd’hui pour débattre de l’ouverture à la concurrence du deuxième plus grand réseau ferré d’Europe, après celui de l’Allemagne.

Le Gouvernement propose de recourir aux ordonnances pour transposer le quatrième paquet ferroviaire et réformer la SNCF. La présente proposition de loi intervient donc à point nommé, car elle vient illustrer les vertus du bicamérisme, que le groupe du RDSE ne cessera de défendre, la qualité du travail sénatorial et la nécessité de garantir en toutes circonstances les pouvoirs du Parlement.

Une réforme aussi majeure que celle du transport ferroviaire mérite cette discussion de fond, qui intéresse nos concitoyens non seulement en tant qu’usagers, mais aussi en tant que contribuables. Nous saluons ainsi l’initiative conjointe de notre collègue Hervé Maurey et de Louis Nègre, ancien sénateur.

Mes chers collègues, il est bien question de réformer. D’une part, la France doit se mettre en conformité avec ses engagements européens ; dans ce domaine, mieux vaut anticiper que réagir aux événements. D’autre part, la SNCF est confrontée à une dette importante et croissante – elle accumule 2 milliards d’euros par an de déficit – ainsi qu’à une stagnation de la part modale du ferroviaire depuis 2010.

Nous préparons l’ouverture à la concurrence dans un contexte particulier : l’État stratège est totalement absent depuis plus de trente ans en ce qui concerne l’aménagement du territoire, que ce soit en matière de choix de dessertes ou de financement des infrastructures. Les inquiétudes des agents, des usagers, des territoires et des parlementaires que nous sommes sont donc pleinement justifiées. Des directives sont données, mais la feuille de route n’est pas toujours lisible. La priorité accordée par le passé au financement des lignes à grande vitesse a conduit à ce que des lignes moins importantes, qui structurent pourtant le territoire de la République, soient délaissées. Les défauts d’entretien font peser aujourd’hui de réelles menaces sur certaines dessertes.

Avec 13 milliards d’euros de dépenses publiques allouées chaque année au ferroviaire, nos collectivités territoriales et nos concitoyens sont en droit d’exiger un service complet et de qualité. Or le taux de retard demeure élevé par rapport aux autres pays européens.

Certes, la SNCF n’a pas vocation à être bénéficiaire, puisqu’elle remplit une mission de service public vitale pour l’accès de tous aux transports, la réduction des gaz à effet de serre et le maillage territorial. J’y suis particulièrement sensible, comme tous les membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Toutefois, j’ai la conviction qu’un tel service peut aller de pair avec une gouvernance efficace et des finances assainies.

L’achèvement de l’ouverture à la concurrence constitue l’occasion pour la France d’apporter les améliorations qui s’imposent à la gouvernance de notre système ferroviaire. Le législateur déterminera les modalités de cette libéralisation, mais nous pensons que ce débat aurait dû avoir lieu avant 2018, dernière année avant l’échéance fixée par le droit européen.

En l’état actuel, deux positions semblent se dessiner quant aux modalités de l’entrée des nouveaux opérateurs sur le marché des LGV : d’un côté, l’open access, permettant à toute entreprise d’accéder au réseau sans appel d’offres ; de l’autre, un système de franchises qui régulerait cet accès afin de ne pas remettre en cause la péréquation existant entre les lignes rentables et les lignes déficitaires, au détriment de l’aménagement du territoire. Les deux options comportent leurs avantages et leurs inconvénients. C’est la raison pour laquelle nos voisins européens ont procédé à une combinaison des deux.

Le rapport Abraham de 2011 évoquait de multiples possibilités entre les deux extrêmes. Les auteurs de la proposition de loi font le pari de la concurrence pour le marché pour certaines liaisons à côté des lignes en open access. Le Gouvernement semble préférer ce dernier, tout en envisageant d’imposer des obligations de service public, comme le propose le rapport Spinetta, qui évoque une taxe de péréquation afin d’éviter l’écrémage que les élus ruraux craignent à juste titre.

Mes chers collègues, il est extrêmement difficile d’anticiper les effets de la mise en concurrence ou d’établir des comparaisons au niveau européen tant les marchés diffèrent, la part modale du ferroviaire en Allemagne ou en Italie restant, pour le moment, inférieure à celle de la France. Si la concurrence peut être bénéfique en matière de qualité de service, nous nous interrogeons sur ses effets à l’égard des prix et de la préservation des lignes peu rentables. Élu d’une zone géographique où le mot « enclavement » a du sens, je ne peux que saluer cette volonté de maintenir les lignes secondaires et d’inciter les entreprises à les desservir.

La coordination de l’offre de transports sur l’ensemble de nos territoires doit également être assurée. L’usager doit rester au centre de l’organisation des dessertes sans pâtir de la multiplication des opérateurs. À cet égard, je salue la proposition de création par le texte d’un système commun d’information des voyageurs et de vente de billets.

Nombreux sont les points qui restent à trancher et qu’une proposition de loi ne peut avoir l’ambition de résoudre : avenir du statut du cheminot, du groupe ferroviaire intégré ; avenir des infrastructures et des financements, ou encore de la dette de SNCF Réseau. Cependant, l’aperçu de la réforme proposée par le projet de loi ne semble pas non plus régler cette question. La présente proposition de loi constitue un prélude à un débat éclairé au sein de la Haute Assemblée, alors que le champ d’habilitation proposé par le Gouvernement demeure à ce stade imprécis. Ainsi, nous ne disposons pas de tous les éléments, notamment du plus essentiel de tous : l’issue des concertations avec l’ensemble des parties prenantes. Or cette réforme historique ne peut faire l’économie d’un dialogue fondamental.

Le groupe du RDSE, tout en reconnaissant la qualité de la proposition de loi, s’abstiendra toutefois sur ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cornu, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gérard Cornu. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe les Républicains se réjouit de l’inscription à l’ordre du jour de la Haute Assemblée de la proposition de loi relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Ce texte est le fruit d’un important travail de fond mené pendant plusieurs mois en 2017 par le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Hervé Maurey, et notre ancien collègue, Louis Nègre. Je les félicite pour la grande qualité de leur travail, qui s’inscrit dans une tradition sénatoriale qui compte des noms prestigieux comme ceux de François Gerbaud ou d’Hubert Haenel. Le ferroviaire et cette grande et belle entreprise qu’est la SNCF ont toujours fait l’objet d’un grand intérêt au Sénat.

La proposition de loi a pour objet de définir un cadre juridique adapté à la réforme ferroviaire, sans en anticiper les échéances. À l’origine, cette initiative visait à permettre aux parties prenantes de se préparer en amont, alors que l’insuffisante préparation de la libéralisation du fret ferroviaire a eu, nous le savons tous, des conséquences négatives. Elle va surtout nous permettre d’avoir un vrai débat au Sénat sur notre système ferroviaire, un débat que le projet de loi d’habilitation du Gouvernement n’autorisera pas.

En dépit de réelles réussites et de profondes transformations opérées ces dernières années, la SNCF fait face à des difficultés structurelles importantes : infrastructures vieillissantes, exploitation complexe, qualité de service insatisfaisante ou modèle économique déséquilibré.

Au-delà des moyens financiers nécessaires pour maintenir ce patrimoine ferroviaire, le moderniser, nous devons avoir une vision pour notre entreprise publique. Compte tenu de l’ouverture prochaine du marché du transport ferroviaire de voyageurs à la concurrence et face à l’attente légitime de nos concitoyens, la SNCF doit impérativement se réinventer. Elle doit continuer de remplir la mission de service public qui lui est confiée et, plus généralement, faciliter la mobilité de tous les Français. J’y insiste, de tous les Français ! J’ai d’ailleurs déposé un amendement visant à préserver les dessertes directes des villes moyennes par des services de TGV ; je présenterai également un amendement tendant à renforcer le pouvoir de l’ARAFER dans l’obligation de transparence pour la transmission de données.

Dans le cadre de cette réforme, les efforts devront être partagés. En effet, l’État doit prendre sa part de responsabilité afin d’assurer la viabilité économique du système ferroviaire. Trop souvent, par le passé, l’État a fait supporter à la SNCF l’insuffisance des financements publics, ce qui a provoqué un endettement colossal de cette entreprise publique.

Cette reprise de la dette sera un point crucial lors de l’ouverture à la concurrence. Aussi, madame la ministre, nous aimerions vous entendre sur ce sujet très important.

L’ouverture à la concurrence peut être l’occasion d’optimiser le système de transport ferroviaire de voyageurs en s’inspirant de la réussite d’une telle réforme dans d’autres pays européens. Cette proposition de loi est donc une véritable occasion à saisir pour le Gouvernement. Elle présente deux avantages : légiférer plus rapidement et permettre un véritable débat parlementaire.

Pour toutes ses raisons, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe La République En Marche.

M. Frédéric Marchand. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Victor Hugo a un jour déclaré : « Je suis réconcilié avec le chemin de fer, c’est décidément très beau. »

S’il est une ambition que nous partageons tous dans cet hémicycle, c’est bien de parvenir à cette réconciliation et de pouvoir, collectivement, écrire l’avenir de notre chemin de fer. Car, oui, le chemin de fer est une partie intégrante de l’histoire de notre pays ! Il a apporté une contribution éclatante à l’aménagement de notre territoire national, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Notre imaginaire collectif y est à jamais associé grâce à Émile Zola, à Jean Renoir ou à cette image inoubliable de Jean Gabin dans La Bête humaine, sans oublier Claude Monet et ses versions de la gare Saint-Lazare. Le rail, les gares, le train, voilà bien ce qui forge notre ADN collectif, voilà le ciment de notre grand roman national !

Avec près de 29 000 kilomètres de lignes exploitées – sans intégrer les 2 800 kilomètres de ligne à grande vitesse – et près de 3 000 gares, notre réseau ferroviaire se classe en deuxième position en Europe. Pourtant, mes chers collègues, nous partageons sur ces travées le même constat : notre système ferroviaire est malade, encalminé, et il est essentiel qu’il se réinvente et se régénère pour être un acteur du formidable chantier des mobilités du quotidien qui s’ouvre devant nous.

Madame la ministre, vous avez fait de la lutte contre « l’assignation à résidence » une priorité. Nous partageons tous, ici, cette volonté, qui doit être un marqueur fort de ce quinquennat. Ce combat est celui de tous les acteurs de la mobilité et, au premier rang d’entre eux, du service public ferroviaire, à la seule condition qu’il soit à la hauteur du rendez-vous.

Tel est bien là l’objectif premier que poursuit le Gouvernement avec le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire, présenté le 15 mars dernier. Cela nous donne l’occasion de mettre un terme au débat qui agite une partie des élus de notre assemblée quant à la confiscation du débat parlementaire qui en serait la conséquence.

N’ayons pas la mémoire courte, mes chers collègues. Rappelons que de grandes réformes sociales, porteuses de progrès, ont emprunté le même chemin. La sécurité sociale en 1945, ou bien encore le temps de travail, l’établissement de l’âge de la retraite à soixante ans, la cinquième semaine de congés payés en 1982 en sont quelques exemples patents, mais il y en a d’autres.

Nous aurons un véritable débat, sans tabou aucun, sur l’avenir de notre service public ferroviaire, sans éluder aucune question, ce qui a été trop souvent le cas toutes ces dernières années. Le débat aura lieu, et je ne doute pas un seul instant que le Parlement saura faire entendre sa voix.

Dans ce contexte, nous pouvons donc nous interroger légitimement sur l’opportunité de l’examen de cette proposition de loi articulée autour de l’ouverture à la concurrence et qui laisse de côté bien des sujets essentiels pour l’avenir de notre service public ferroviaire. L’inscription rapide de ce texte à notre agenda peut être sujette, dans le contexte du moment, à bien des interprétations, mais je préfère m’en tenir au fond et ne pas entrer dans telle ou telle polémique stérile.

Sur le fond, soyons clairs, nous ne rejoignons pas forcément la position des auteurs de la proposition de loi, qui souhaitent accorder « des droits exclusifs aux entreprises ferroviaires pour l’exploitation des services de transport ferroviaire à grande vitesse, en contrepartie de la réalisation d’obligations de service public définies en fonction des besoins d’aménagement du territoire ». Comment imaginer qu’un cadre aussi contraignant garantisse un service de qualité aux usagers et un aménagement équilibré du territoire ferroviaire sans proposer des contreparties financières qui devraient être versées à un moment ou à un autre ? Qui plus est, sa faisabilité nécessiterait une mise en œuvre de moyens humains et financiers qu’il semble bien impossible de mobiliser. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder l’exemple britannique.

Nous partageons la volonté de mise en œuvre d’un modèle, d’un cercle vertueux, qui sera profitable aux usagers, aux entreprises ferroviaires, à l’État, aux collectivités territoriales et à l’aménagement du territoire. Le libre accès, ou open access, est une réponse qui peut paraître, de prime abord, déstabilisante, mais elle est surtout dynamisante. Chacun convient en effet de la nécessité d’instiller un aiguillon pour stimuler les exploitants et leur éviter de s’endormir sur leurs droits exclusifs.

Le libre accès relève d’un espace d’initiative et de liberté commerciale. Encore convient-il de le mettre en œuvre dans le cadre d’une refonte de la politique tarifaire des péages et d’un rôle conforté, voire accru, du régulateur qu’est l’ARAFER. En effet, nous parlons ici non de dérégulation sauvage, mais de prévisibilité tarifaire encadrée, qui permettra notamment aux opérateurs d’être des acteurs clés de la révolution et d’irriguer tout ou partie du territoire national à l’instar d’autres pays et du succès remporté sur des lignes pourtant condamnées si rien n’était fait.

Plus de trains qui roulent, plus de gares desservies, c’est à coup sûr renforcer l’offre des mobilités dans le pays, dans un cadre tarifaire supportable pour tous.

Le cadre tarifaire est une constante dans notre histoire nationale. Je ne résiste donc pas au plaisir de partager avec vous, mes chers collègues, ces mots d’Alphonse Allais : « Les tarifs des chemins de fer sont aménagés d’une manière imbécile. On devrait faire payer des suppléments pour les retours… puisque les gens sont forcés de revenir. » (Sourires.)

Au regard du formidable débat qui nous attend et de la concertation que vous avez initiée avec toutes les parties prenantes, madame la ministre, cette proposition de loi est comme ce voyageur sur le quai qui regarde partir le train qu’il vient de manquer. Nous avons en effet devant nous un défi immense.

Le débat sur l’avenir du service public ferroviaire, nous l’aurons. Nous y aborderons tous les points : la transformation souhaitée de l’EPIC, la gouvernance de la SNCF, le calendrier souhaitable de l’ouverture à la concurrence, ses conséquences sur le matériel, le devenir de nos gares, sans oublier la question du statut des cheminots et la nécessité que nous avons de travailler à son devenir avec les femmes et les hommes qui font notre système public ferroviaire.

Au final, parce que l’avenir de notre service public ferroviaire ne se résume pas à la seule question de l’ouverture à la concurrence, le groupe La République En Marche votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Guillaume Gontard. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, l’histoire du rail français fait partie intégrante de l’histoire de France. Il s’agit d’un patrimoine national, de ceux qui font la grandeur de notre pays, de ceux auxquels les Français sont particulièrement attachés.

De fait, notre système ferroviaire a toujours compté parmi les meilleurs au monde. Par son maillage extrêmement dense, il est un facteur essentiel d’égalité entre les citoyens et d’unité territoriale. Il assure tant la vitalité des territoires français que la cohésion du pays. Alors que la fracture territoriale et la transition écologique comptent parmi les défis majeurs du siècle, il est primordial de préserver notre réseau et notre excellence ferroviaires.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, dans la même veine que le projet d’ordonnances gouvernementales que nous examinerons demain, constitue un retour en arrière malvenu. En effet, il y a près de quatre-vingts ans, la SNCF a été créée pour pallier les difficultés d’investissements et d’organisation du secteur ferroviaire.

En 1937, pour mettre un terme à la myriade inopérante de petites compagnies privées, le Front populaire a décidé de les unifier en une seule compagnie nationale. Cette décision historique a conféré à la puissance publique un rôle essentiel de stratège qui permettra à la SNCF non seulement d’atteindre l’excellence, notamment avec la création du TGV, mais aussi d’achever le maillage du territoire et d’assurer une nécessaire péréquation entre les lignes rentables économiquement et les lignes rentables socialement.

Aujourd’hui, c’est tout cela que menace l’ouverture à la concurrence imposée par la délétère idéologie néolibérale de l’Union européenne. Non contente de répondre aux exigences de Bruxelles, cette proposition de loi fait du zèle. J’en veux pour preuve la privatisation des gares dont ce texte porte les germes, privatisation qui affaiblira, sans qu’il soit permis d’en douter, la densité du réseau.

Plus largement, selon une logique libérale bien connue de privatisation des profits et de socialisation des pertes, c’est tout le réseau secondaire qui restera à la charge du contribuable et est, à terme, menacé de disparition progressive. Une telle perspective est plus qu’alarmante quand on examine les nombreuses enquêtes d’opinion en France, aux États-Unis ou en Autriche, qui établissent une corrélation irréfutable entre l’éloignement d’une gare et le vote en faveur de l’extrême droite ou des populistes. Supprimer une gare, supprimer une ligne, c’est renforcer ce sentiment d’abandon qui mine la concorde nationale. Ainsi, on s’achemine plus vers le catastrophique modèle britannique de privatisation totale du système ferroviaire – sur laquelle veut revenir une grande majorité de la population de Grande-Bretagne – que vers les modèles japonais ou allemand, souvent pris en exemple d’une ouverture à la concurrence réussie. À y regarder de plus près, il faut souligner que, dans les deux cas, la puissance publique a conservé un rôle essentiel de stratège.

Au Japon, après un investissement public massif dans le réseau, la compagnie nationale a été divisée en six compagnies régionales. La dette a été répartie intelligemment entre l’État et les compagnies rentables. Le désengagement de l’État est tout à fait relatif, puisqu’il exerce toujours un strict contrôle sur les tarifs des billets et subventionne les compagnies déficitaires qui ont en charge les territoires les moins densément peuplés. Une réglementation claire et exigeante a été mise en place en cas de fermeture de ligne. De fait, la concurrence est limitée aux seules lignes extrêmement rentables de la mégalopole japonaise.

En Allemagne, l’ouverture à la concurrence s’est accompagnée de la prise en charge par l’État des 35 milliards de dette de la Deutsche Bahn et de 50 milliards d’investissements supplémentaires pour la rénovation du réseau. La Deutsche Bahn est restée une compagnie publique assurant une mission de service public.

On le voit, ces deux pays ont assumé la reprise de la dette ferroviaire et des investissements massifs dans leur réseau avant la mise en concurrence. Or ni cette proposition de loi ni le futur projet gouvernemental n’envisagent cela. Ils ne répondent donc pas aux deux problèmes structurels de la SNCF : sa dette colossale et la vétusté de son réseau, qui sont l’une et l’autre fruits de la stratégie du tout-TGV, lequel a trop longtemps mobilisé des financements massifs et obéré les besoins du réseau du quotidien.

Pour remédier à ces problèmes, notre groupe, en prenant toute sa place dans le débat, vous proposera des solutions concrètes, telle la renationalisation des autoroutes ou la mise en œuvre d’une écotaxe afin de dégager des ressources pérennes pour la SNCF. En effet, comme toujours, nous abordons ce débat à l’envers. À rebours d’un enjeu comptable, nous affirmons un enjeu de service public ; une mission de service public de proximité, assurée par des agents dévoués, qui ne sauraient être les épouvantails des difficultés de la SNCF et qui doivent, contrairement aux attaques pernicieuses que contient cette proposition de loi, être confortés dans leur statut. Loin d’être des privilèges, leurs acquis sociaux devraient être la norme pour toute travailleuse et tout travailleur de ce pays. En cette journée de célébration de l’héroïsme français, on rappellera opportunément que la convention collective des cheminots doit beaucoup à leur engagement fondamental dans la Résistance.

Pour conclure, je voudrais dire que la réflexion sur l’avenir de la SNCF doit partir des besoins et non des moyens : du besoin de mobilité de tous nos territoires, nous l’avons dit, et du besoin impérieux de transition écologique. Si l’on excepte le matériel vétuste, le ferroviaire est de très loin le mode de transport le moins émetteur de gaz à effet de serre. Deux ans après la signature de l’accord de Paris, comment peut-on encore envisager de remplacer des trains par des cars ? Comment peut-on encore envisager de remplacer des trains de fret par des poids lourds sur nos routes, conséquence systématique de la libéralisation du rail ?

Vous l’aurez compris, de notre point de vue, cette proposition de loi n’apporte aucune solution aux problèmes actuels du rail français. Pis, elle risquerait de les aggraver ! Sans surprise, le groupe CRCE ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)