M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement traite de deux questions : les données personnelles dans le cadre du secret des affaires et l’exploitation de ces données à des fins de profilage commercial.

D’une part, compte tenu de la définition du secret des affaires, il est évident que des données personnelles en tant que telles ne peuvent pas être considérées comme des informations susceptibles d’être protégées par le secret des affaires au bénéfice de l’entreprise. Le considérant 35 de la directive précise bien que le secret des affaires ne peut pas conduire à porter atteinte à la protection des données personnelles.

D’autre part, le RGPD définit le profilage à partir des données personnelles et interdit de fonder des décisions sur la base exclusive d’un traitement de données de ce type, sauf lorsque ces traitements sont nécessaires à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat – cela vise en particulier le crédit et l’assurance –, sous le contrôle des autorités compétentes.

Dans ces conditions, je ne saisis pas très bien l’objectif recherché au travers de l’amendement : soit le traitement de données est conforme au RGPD, soit il ne l’est pas, mais dans tous les cas cela n’a pas grand-chose à voir avec la question du secret des affaires. En tout état de cause, le texte prévoit que le secret n’est pas opposable aux autorités administratives dans leurs missions de contrôle, ce qui s’appliquera notamment à la CNIL.

L’avis est par conséquent défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le profilage est défini dans le RGPD comme une forme de traitement automatisé de données à caractère personnel qui consiste à utiliser ces données pour évaluer le profil de personnes physiques en matière de goûts, d’intérêts personnels, de santé, etc. Ces profilages peuvent être utilisés dans différents domaines, par exemple en matière de crédits, de mutuelles, de location de véhicules. Mais de telles pratiques sont rigoureusement encadrées, comme l’a dit M. le rapporteur, par l’article 22 du RGPD, qui interdit toute décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé ou sur des données sensibles. Ces garanties sont d’ailleurs retranscrites dans le projet de loi que je vous présenterai demain.

En outre, la directive du 8 juin 2016 relative au secret des affaires prévoit elle-même l’articulation entre droit au respect de la vie privée et familiale, droit à la protection des données à caractère personnel et secret des affaires. Il en résulte que le secret des affaires peut couvrir les données à caractère personnel, mais uniquement si les droits de la personne concernée relatifs à ces données ne sont pas affectés. Autrement dit, le secret des affaires n’est pas opposable si les exigences du RGPD, telles que le droit à l’information, le droit d’accès, le droit de rectification, d’effacement, de limitation, etc., ne sont pas respectées pas l’entité utilisant une technique de profilage.

L’interdiction prévue dans l’amendement apparaît donc contraire à la directive et disproportionnée. L’avis est par conséquent défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je remercie Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur de leurs explications, qui permettent de préciser une partie du champ de la protection des données personnelles. Mais, avec cet amendement, nous souhaitons aller un peu plus loin.

Le débat sur la valeur commerciale du traitement des données personnelles n’a jamais été tranché. Considérer que ce type de traitement et ce type de données ont de la valeur, qu’ils font partie, ou non, d’un environnement commercial, cela relève d’un choix de société.

Cet amendement vise à trancher ce débat. Nous considérons, pour notre part, que les données personnelles et leur traitement ne doivent pas avoir de valeur commerciale et ne peuvent pas être englobés dans le secret des affaires.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 46 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 48 rectifié, présenté par MM. Leconte, Jacques Bigot et Kanner, Mme de la Gontrie, MM. Durain, Sueur, Assouline et Courteau, Mmes Taillé-Polian, Lienemann et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Ne sont pas protégés au titre du secret des affaires les mécanismes de nature fiscale élaborés par une entreprise.

La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Dans le prolongement du précédent amendement, nous souhaitons exclure du champ de la définition du secret des affaires les informations fiscales de l’entreprise. Celles-ci ne peuvent être considérées comme un savoir-faire à protéger au titre du secret des affaires. Pour qualifier les savoir-faire à protéger, la directive évoque tout à la fois la recherche et le développement, les investissements dans la production et l’utilisation du capital intellectuel, tout ce qu’on caractérise sous le mot d’« innovation ».

Les esprits cyniques feront sans doute observer que les montages fiscaux de certaines entreprises traduisent une réelle capacité d’innovation. Quelle créativité, parfois ! Pour autant, il va de soi qu’ils ne constituent pas un savoir-faire à protéger au titre du secret des affaires. Nous jugeons indispensable de l’écrire explicitement dans notre droit.

Enfin, je soulignerai que nous avons entendu l’observation du rapporteur sur le caractère trop imprécis de la notion d’optimisation fiscale. C’est pourquoi nous proposons d’exclure du champ du secret des affaires l’ensemble des mécanismes fiscaux mis en œuvre par une entreprise.

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 11

Insérer sept alinéas ainsi rédigés :

« … - Ne peuvent être protégées au titre du secret des affaires d’une entreprise notamment les informations relatives à :

« 1° L’impact environnemental et sanitaire de son activité ainsi que celles de ses sous-traitants et filiales ;

« 2° Les conditions de travail de ses salariés, sa politique de recrutement, de licenciement, de rémunération ainsi que celles de ses sous-traitants et filiales ;

« 3° Les relations entretenues par une personne avec ses sous-traitants et filiales ;

« 4° Les informations de nature fiscale relatives à l’optimisation fiscale, à l’existence de montages fiscaux ;

« 5° Les informations de toute nature qui permettent d’établir l’existence d’une fraude fiscale ou sociale, d’une évasion fiscale, de la commission d’infractions pénales, et de financement du terrorisme ;

« 6° Les informations permettant la prévention de la concurrence déloyale.

La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Dans le même esprit que nos précédents amendements, nous proposons que soient exclues de la protection au titre du secret des affaires les informations suivantes : l’impact environnemental de l’activité de l’entreprise, les conditions de travail de ses salariés, ses relations avec ses sous-traitants et ses filiales, les montages fiscaux – cela vient d’être évoqué – qu’elle peut avoir mis en œuvre, ainsi que toutes informations permettant la prévention de la concurrence déloyale.

Les entreprises ont besoin de pouvoir protéger les secrets les plus importants relatifs à leur politique commerciale ou à leur politique de recherche – c’est absolument incontestable. La vie des entreprises, du marché et de notre économie a besoin d’un minimum de secret. De même, il existe en France et en Europe des lois qui protègent le consommateur, par exemple sa sécurité et sa santé.

Il ne s’agit pas de se battre contre l’entreprise, ni d’avoir une position caricaturale, mais bien de trouver un juste point d’équilibre. Aussi, la définition du secret qui nous est proposée n’est pas, selon nous, acceptable. Le secret a besoin d’être encadré. Les précisions que nous apportons trouvent leurs origines dans l’actualité – il ne s’agit ni d’une vue de l’esprit ni d’une attitude dogmatique –, avec la multiplication de pratiques de management agressif, le recours excessif, voire illégal, aux contrats précaires, la pollution de sites protégés, la sous-traitance inhumaine, la sous-traitance en cascade, qui permettent à de nombreuses entreprises d’échapper, dans de trop nombreux cas, à la plupart de leurs obligations.

Les débats que nous avons eus sur la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères à l’égard de leurs filiales et sous-traitants ont montré, si besoin était, l’ampleur des dégâts et la responsabilité des entreprises donneuses d’ordres. Nous pensons bien sûr, ici, aux travailleurs détachés ou aux révélations de certaines pratiques fiscales dites « dommageables ».

On nous rétorquera que ces dispositions sont déjà couvertes par le droit positif. Nous répondons qu’il en est de même du secret des affaires. Cela ne nous empêche pourtant pas de légiférer aujourd’hui.

Enfin, notre amendement s’inscrit dans un mouvement de fond, de réflexion, sur le droit des affaires, après l’émergence de la régulation et de nouveaux concepts, comme la conformité ou la responsabilité sociétale de l’entreprise, qui sont aujourd’hui des notions phare pour promouvoir l’éthique des affaires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. L’amendement n° 48 tendait à soustraire les mécanismes d’optimisation fiscale de la protection du secret des affaires. Depuis la réunion, ce matin, de la commission des lois, cet amendement a été rectifié pour mentionner les mécanismes de nature fiscale élaborés par une entreprise, de sorte qu’on ne comprend plus très bien ce qui est visé. Qu’est-ce qu’un mécanisme de nature fiscale ? La rédaction, à mon sens, n’est pas très claire, alors même qu’elle ne l’était déjà pas ce matin…

Sur le fond, soit il s’agit d’optimisation fiscale licite, auquel cas, même si j’entends bien ce que vous avez dit, ma chère collègue, il n’y a malheureusement pas lieu de ne pas appliquer le secret, soit il s’agit d’évasion fiscale, ce qui est illicite, et là nous sommes dans le cas de la possible révélation par un lanceur d’alerte, car il s’agit de révéler une activité illégale. Sur ce point, nous sommes tous d’accord.

En tout état de cause, le secret des affaires n’est pas opposable à l’administration fiscale, laquelle peut d’ores et déjà procéder à tous les contrôles nécessaires et vérifier que ce qui est pratiqué est licite ou non.

Le débat sur l’optimisation fiscale est, dans ce cas, à mon avis, d’ordre purement philosophique puisqu’il fait vivre des tas d’avocats sur la place de Paris et ailleurs.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est bien le problème !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Dans le même esprit, l’amendement n° 7 vise à soustraire de la protection du secret des affaires toute une série d’informations dans les domaines les plus variés, ce qui affaiblirait, à notre sens, singulièrement la protection des entreprises françaises et, surtout, ne serait guère conforme à la directive.

Sur un certain nombre de points, cet amendement est satisfait, car le secret des affaires n’est opposable ni aux autorités administratives ou juridictionnelles dans leurs missions de contrôle ou de sanction ni aux lanceurs d’alerte qui divulguent des activités illégales ou des comportements répréhensibles : informations sanitaires ou environnementales, optimisation fiscale, fraude fiscale, infraction pénale…

L’avis est donc défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pour ce qui concerne l’amendement n° 48 rectifié, relatif à l’exclusion des mécanismes de nature fiscale élaborés par une entreprise, nous avons déjà vu qu’une information sera qualifiée de secret des affaires si elle réunit les trois critères qui sont précisés par la directive et que nous avons déjà évoqués.

Cette directive ne prévoit pas la possibilité d’exclure par principe certains types d’informations de nature fiscale par exemple, ainsi que vous le proposez. En revanche, comme l’a relevé M. le rapporteur, un lanceur d’alerte qui signale un mécanisme d’optimisation fiscale pourra se prévaloir de la dérogation qui est prévue dans la proposition de loi et que la directive institue à son profit, si le montage financier révélé peut être qualifié de comportement répréhensible. Ce sera le cas s’il porte atteinte à l’intérêt général. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point. Je suis donc défavorable à cet amendement.

L’avis est également défavorable sur l’amendement n° 7. Les auteurs de cet amendement expriment la crainte que, compte tenu de la protection accordée au secret des affaires, l’accès à certaines informations d’intérêt général ne soit plus possible, notamment dans le domaine de l’environnement, de la fiscalité, du droit du travail, de la lutte contre les fraudes, de la corruption.

Je voudrais ici rassurer : il ne sera évidemment pas possible pour une entreprise de s’opposer aux enquêtes administratives ou judiciaires dont elle pourrait faire l’objet. Il ne saurait, là non plus, être question d’empêcher de révéler des fraudes fiscales, des manquements au droit du travail ou des actes de corruption sous quelque forme que ce soit. Cela est énoncé tout à fait clairement à l’article L. 151-6 du code de commerce.

De plus, pourront être révélées les informations qui sont couvertes par le secret des affaires, lorsque cette révélation est faite dans le cadre de l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression et de communication ou encore dans le cadre d’un droit d’alerte.

Je voudrais d’ailleurs répondre en ce sens à Mme la sénatrice Lienemann, qui observait, au tout début de l’examen de l’article 1er, qu’au fond cette proposition de loi faisait de la liberté d’expression une exception et du secret des affaires le principe. Je rappelle que ce texte s’inscrit dans le cadre général de notre Constitution, laquelle porte à son plus haut point juridique la liberté d’expression, qui est donc la liberté première. Bien sûr, nous traitons ici d’un point singulier, mais tout cela s’inscrit dans un cadre constitutionnel.

Je terminerai en disant que, telle que vous la proposez, la modification de l’article L. 151-1 sur la définition du secret des affaires ne me semble ni conforme à la directive ni nécessaire pour répondre aux préoccupations des auteurs de cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le rapporteur, c’est une erreur majeure de considérer comme deux choses totalement différentes l’optimisation fiscale et l’évasion fiscale. On le sait, il y a une zone grise dans laquelle s’infiltrent un certain nombre de conseillers et de cabinets fiscaux en inventant des mécanismes qui vont parfois au-delà de la légalité.

Lors d’auditions devant le Parlement britannique, le cabinet PwC, PricewaterhouseCoopers, a déclaré qu’il considérait que ses clients étaient à peu près tranquilles quand il y avait 25 % de chances que leurs dispositifs rentrent dans la légalité. En effet, un certain nombre de choses sont en bordure, dans la zone grise. On ne peut donc pas considérer que ce sont deux choses totalement séparées. Cela étant, nous avons tout de même pris en compte vos remarques en commission, d’où notre tentative de trouver une formulation plus adaptée.

Vous dites également que l’administration fiscale a les moyens. Elle dispose certes des moyens légaux du contrôle, mais elle ne contrôle que 50 000 contribuables par an. Ce n’est donc pas un secret que de dire que certains y échappent ; et si d’autres finissent par être inquiétés, c’est peut-être grâce aux lanceurs d’alerte.

M. Éric Bocquet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la garde des sceaux, nous étions précédemment du même côté pour défendre le retour à la notion de « valeur commerciale » dans le texte, parce qu’elle correspond à la définition contenue dans la directive. Or, là, vous nous donnez une explication comme si la définition des informations protégées au titre du secret des affaires était toujours celle de la directive, alors que le rapporteur l’a étendue à tout ce qui a une valeur économique.

Le problème vient du fait que le rapporteur a surtransposé la directive et que, malheureusement, le Sénat a confirmé ce choix. Or certaines informations qui ont une valeur économique méritent d’être exclues de la protection du secret d’affaires et des savoir-faire. Il s’agit non seulement de la fraude fiscale – tout le monde est d’accord pour la condamner –, mais aussi – j’irai plus loin – de savoir-faire en matière d’optimisation fiscale, ce qui n’est pas illégal.

La question est de savoir si l’optimisation fiscale est un savoir-faire qui doit rester protégé et secret ou si, au contraire, bien qu’elle ne soit pas illégale, il ne faudrait pas, pour des raisons d’intérêt général, ne pas la protéger, afin que le législateur puisse adapter les lois au mieux et au plus près de l’intérêt général, selon la manière dont sont exploitées les différences de législations entre États. Pour cette raison d’intérêt général, il me semble important d’exclure tout le savoir-faire en matière de mécanismes fiscaux de la protection du secret d’affaires.

Bien entendu, ce savoir-faire a une valeur économique, et nous ne le confondons pas avec de la fraude fiscale, mais il est important que les responsables politiques, qui ont vocation à décider comment on lève l’impôt, soient informés de toutes les failles et des décalages qui peuvent exister d’un État à l’autre, de manière à « optimiser » au mieux leur dispositif.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis très étonnée par le cynisme de notre rapporteur, qui nous explique que soit c’est illégal – c’est de la fraude, et il y a déjà des lois –, soit c’est légal, et c’est de l’optimisation fiscale…

Il n’aura échappé à personne que nous sommes à une époque où les puissances publiques, en France, en Europe, voire aux États-Unis ou dans d’autres pays, s’interrogent sur la façon d’établir leur législation afin que la fameuse optimisation fiscale ne prenne pas l’ampleur gigantesque qu’elle a aujourd’hui, ce qui les prive de moyens légitimes. C’est un bras de fer !

Pour remporter ce rapport de force face à des entreprises devenues tellement puissantes qu’elles s’exonèrent des dispositifs législatifs ou fiscaux au sein desquels elles trouvent toujours des failles, il faut avoir des éléments de pression. L’un des moyens de pression, c’est la transparence : c’est la capacité, par la puissance publique, par les lanceurs d’alerte, par les salariés et par d’autres voix, de savoir de ce qu’il serait légitime de ne pas cacher.

S’agissant des mécanismes fiscaux, il existe un point central : les prix de transfert.

Les salariés devraient être en droit – c’est d’ailleurs le cas en Allemagne – de connaître l’établissement des prix de transfert. Je vous rappelle qu’une entreprise comme Colgate peut, par les prix de transfert, rapatrier en Suisse 90 % des profits qu’elle fait en France. Et après, on explique aux salariés qu’il faut qu’ils fassent des efforts, parce que leur entreprise n’est pas rentable ! Évidemment, on l’a dépouillée de sa rentabilité par les mécanismes de prix de transfert…

L’exonération de ce genre de mécanisme du secret des affaires est essentielle en vue de la bataille qui s’opère partout dans le monde pour aboutir à une juste fiscalité de ces grandes entreprises. Croyez-moi, ce ne sont pas les PME qui utilisent, pour une large part, ce type de mécanisme !

Madame la garde des sceaux, j’ai bien entendu votre argument, mais il ne vous aura pas échappé que la transposition d’une directive n’est pas soumise au Conseil constitutionnel français. Au passage, je le regrette. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe bénéficie, elle, de ce droit. Quand nous avons ratifié le traité de Maastricht, nous avons inscrit dans notre droit le fait que toute loi européenne s’imposait ipso facto en France et qu’on la transposait sans en contester le principe. Cela n’a pas été le cas en Allemagne ! Cela en dit d’ailleurs long sur le rapport de force que ce pays peut instituer dans les négociations européennes.

Je tiens aussi à dire – nous aurons l’occasion de le voir lors de l’examen des amendements – qu’une partie de la directive…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. … s’exonère du principe du contradictoire, lequel permet de garantir un procès équitable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 48 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 6, présenté par MM. Bocquet, Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 151-1-…- Toute obligation de confidentialité faisant obstacle au signalement ou à la révélation d’un crime, d’un délit, d’une menace ou d’un préjudice graves pour l’intérêt général, est nulle.

La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Bien que nécessaire, une protection des secrets de fabrication, de l’innovation et de la propriété intellectuelle ne doit pas avoir pour conséquence d’apposer le sceau de la confidentialité sur tout type d’informations.

Nous pensons que le texte de la proposition de loi, tel qu’il est rédigé, remet en cause l’intérêt général et le droit des citoyens à l’information. Il s’agit d’une inversion de nos principes républicains : le secret devient la règle et les libertés l’exception.

De fait, en l’état, cette loi permettra de verrouiller l’information à la fois sur les pratiques et sur les produits commercialisés par les entreprises. Or de nombreux scandales sanitaires ou industriels récents démontrent la nécessité d’une transparence.

Les entreprises ont aussi des responsabilités et doivent respecter le droit public à l’information, le droit de demander des comptes tel qu’énoncé par l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Par cet amendement, nous souhaitons que la définition du secret des affaires pose le principe de la nullité des obligations de confidentialité dès lors qu’elles viseraient à faire obstacle à une révélation essentielle pour l’intérêt général.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Mon cher collègue, je vais peut-être vous redonner le sourire : je considère que votre amendement est parfaitement satisfait par le texte. Je ne sais pas si vous allez partager mon enthousiasme, mais le secret des affaires n’est pas opposable aux lanceurs d’alerte dans le cadre du droit d’alerte prévu par la directive et dans le cadre de la loi Sapin II.

Votre amendement étant déjà satisfait, je vous invite à le retirer ; à défaut, l’avis sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je partage l’enthousiasme de M. le rapporteur, et j’émets donc un avis identique au sien.

M. le président. Monsieur Ouzoulias, l’amendement n° 6 est-il maintenu ?

M. Pierre Ouzoulias. Je vais vous expliquer pour quelles raisons je maintiens cet amendement.

Dans quel contexte débattons-nous ? Plusieurs scandales, qui ont éclaté récemment, ont montré, de façon systématique, que les agences nationales ou européennes chargées de veiller à la non-toxicologie des produits ne pouvaient pas réaliser de façon convenable leur travail, car elles n’avaient pas, le plus souvent, accès à la nature des produits mis sur le marché, ce qui entrave la bonne protection de la santé des citoyens et des citoyennes d’Europe.

La réalité du moment, avant même cette directive, c’est une obstruction générale des grands groupes, notamment phytosanitaires, à l’accès à des informations sur lesquelles même les chercheurs ne peuvent pas réaliser d’études. En tant que membre de l’OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, j’assiste régulièrement à des auditions pendant lesquelles les chercheurs publics nous disent qu’ils sont aujourd’hui malheureusement entravés dans leur travail de recherche par des groupes qui leur opposent de façon systématique le secret des affaires sur des informations qui touchent pourtant à notre santé.

Je crains très sincèrement que le texte tel que vous voulez que nous le votions ne contribue à réaffirmer cette obstruction générale des grands groupes. Nous n’allons donc pas dans le bon sens. Si la directive européenne devait aujourd’hui être de nouveau discutée au Parlement européen, elle ne le serait pas dans les mêmes termes, car entre-temps sont survenus un grand nombre de scandales, qui montrent bien qu’elle est inopérante.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 49, présenté par Mme Lienemann, MM. Jacques Bigot, Leconte et Kanner, Mme de la Gontrie, MM. Durain, Sueur, Assouline et Courteau, Mme Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 18

Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :

« 3° L’exercice du droit des travailleurs ou des représentants des travailleurs à l’information et à la consultation, conformément au droit et pratiques nationales.

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cet amendement du groupe socialiste et républicain vise à reprendre une disposition de la directive selon laquelle l’obtention d’un secret d’affaires est considérée comme licite lorsqu’il est obtenu lors de l’exercice du droit des travailleurs ou des représentants des travailleurs à l’information et à la consultation, conformément au droit de l’Union et aux droits nationaux et pratiques nationales. Sans cette précision, les représentants des salariés risqueraient régulièrement d’être mis en cause, notamment lors de la recherche d’un repreneur pour un établissement que l’entreprise mère souhaiterait fermer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. J’aimerais que Mme Lienemann partage le même enthousiasme que celui dont j’ai fait preuve pour l’amendement de M. Ouzoulias, car son amendement est parfaitement satisfait par les alinéas 35 et 36 du texte, auxquels je la renvoie et qui prévoient clairement une exception au secret des affaires pour l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés et de leurs représentants.

Je sollicite donc le retrait de cet amendement, qui est, à mon sens, déjà satisfait par le texte de la commission ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.