M. le président. La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, mesdames, messieurs les sénateurs, M. le ministre de l’économie et des finances a évoqué la philosophie du programme de stabilité que nous vous présentons. La déclaration du Gouvernement a été approuvée tout à l’heure par l’Assemblée nationale. Nous sommes heureux de vous présenter le projet de programme qui a été adopté mercredi dernier en Conseil des ministres.

La trajectoire a été revue par rapport à la loi de programmation des finances publiques que vous aviez examinée l’année dernière, parce que les nouvelles sont bonnes. Nous allons sans doute débattre de ce point : quand le bébé est beau, il y a plusieurs pères ! (Sourires.)

L’été dernier, j’avais présenté devant les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat les premières mesures d’économies, à hauteur de 5 milliards à 6 milliards d’euros, à la suite du rapport de la Cour des comptes. M. le ministre de l’économie et des finances et moi-même nous étions alors engagés à ramener, pour la première fois depuis dix ans, le déficit public en dessous de la barre des 3 % du PIB.

Nous pouvons tous aujourd’hui constater que cet objectif a été atteint : le déficit pour 2017 devrait s’élever à 2,6 % du PIB. Une incertitude demeure quant à la requalification par le comptable européen de la recapitalisation d’Areva, mais, quoi qu’il arrive, le déficit public pour 2017 s’établira, au pire, à 2,8 %. Nous prévoyons, dans le cadre du programme de stabilité que nous vous présentons, qu’il passe à 2,3 % l’année prochaine. Nous pouvons même imaginer atteindre l’équilibre budgétaire, voire un léger excédent de 0,3 %, d’ici à la fin du quinquennat : c’est un fait politique extrêmement important. Le chemin est encore long pour y parvenir, mais nous mettrions ainsi fin à quarante ans de vie politique où le Parlement a dû, malheureusement, adopter des budgets qui n’étaient pas en équilibre.

Pour atteindre cet objectif, la réunion de plusieurs circonstances est nécessaire : sur le plan international, une croissance porteuse ; la mise en œuvre, pour assurer à la France plus de croissance et de recettes, de réformes nationales, que nous présenterons à la Commission européenne en même temps que le programme de stabilité ; la poursuite de la baisse des dépenses publiques. Sur ce dernier point, le plus important, nous regrettons de ne pas en être encore à 0 % d’augmentation en volume, mais nous prolongerons les efforts en ce sens, conformément au discours de politique générale du Premier ministre. Le taux d’augmentation de la dépense publique passera de 1,7 % en 2017 à 0,7 % en 2018, pour s’établir à 0,3 % à la fin du quinquennat. Ce taux se trouvera ainsi divisé par deux, par trois, puis par quatre, alors même que la population de notre pays continue de croître et que des besoins supplémentaires doivent être satisfaits. La Haute Assemblée est parfois traversée par ces demandes, notamment en matière d’infrastructures.

À qui revient le mérite de ce bon chiffre de 2,6 % de déficit ?

Imaginons un instant que François Hollande se soit représenté et ait été réélu.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Non, pitié ! Quel cauchemar !

M. Gérald Darmanin, ministre. J’avoue qu’il y faut de l’imagination, monsieur le rapporteur général ! Quoi qu’il en soit de ce scénario de politique-fiction, les députés socialistes…

M. Bruno Sido. Ce qu’il en reste !

M. Gérald Darmanin, ministre. … affirment grosso modo que le Gouvernement n’a fait que poursuivre le travail accompli avant les élections de 2017.

Pourtant, le projet d’économies que j’ai présenté l’année dernière avait soulevé des contestations politiques, portant notamment sur la baisse des dotations aux collectivités territoriales, la réduction des aides personnalisées au logement ou le décalage du dégel budgétaire pour les armées. Je ne reviendrai pas ici dans le détail sur le décret d’avance que j’ai alors présenté devant vos commissions, mais je tiens à remercier M. le rapporteur général de la commission des finances et la majorité sénatoriale de l’avoir courageusement adopté, prenant acte, tout en relevant des différences de points de vue, de l’insincérité soulignée par le rapport de la Cour des comptes…

Les économies permises par ce décret d’avance sont de l’ordre de 5 milliards d’euros, soit grosso modo 0,25 point de PIB. Si ces économies n’avaient pas été faites, conformément à la position de l’ancienne majorité, selon qui les comptes étaient sincères et seule la croissance revenue à partir du début de l’année 2017 explique la baisse du déficit public, celui-ci s’établirait aujourd’hui à 2,85 % du PIB, au lieu de 2,6 %. Dès lors, nous serions en train de nous demander non pas si l’on atteindra, dans quatre ans, l’équilibre des comptes publics, ce qui n’est pas arrivé depuis quarante ans, si les ajustements structurels entrepris sont excessifs ou insuffisants, si le taux de prélèvements obligatoires a légèrement augmenté ou diminué par rapport à celui que nous avons constaté l’été dernier, mais si le déficit public est bien passé, ou non, sous la barre des 3 %. En effet, compte tenu de ce chiffre de 2,85 % et du 0,2 point d’incertitude lié au traitement de la recapitalisation d’Areva par le comptable européen, qui n’a pas rendu ses éléments définitifs, nous ne serions pas certains d’avoir franchi ce seuil et d’être ainsi sortis de la procédure pour déficit excessif.

Je crois que la décision difficile que nous avons prise l’été dernier de réaliser ces économies a été salutaire. Nous sommes encore loin, avec 2,6 % de déficit public, d’avoir atteint notre objectif d’assainir les finances publiques, et il nous faut donc continuer ce travail, mais ces mesures courageuses ont permis de renforcer la voix de la France en Europe et de sortir de la procédure pour déficit excessif : il fallait mettre fin à une situation qui était un sujet de honte pour tous les patriotes.

J’en viens à la baisse de la dépense publique. Lors du débat budgétaire de l’automne dernier, les sénateurs ont souligné que les collectivités locales avaient consenti beaucoup d’efforts…

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Gérald Darmanin, ministre. … pour réduire les dépenses publiques, et contribué à cette réduction plus qu’à raison de leur poids dans les comptes publics.

M. Bruno Sido. C’est encore vrai !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est tout à fait vrai.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Dont acte !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est tellement vrai que, sous le gouvernement précédent, un plan d’économies très important avait été proposé. Si, à un milliard d’euros près, les collectivités locales ont respecté ce plan, cela n’a pas été le cas de l’État, ce qui explique la situation politique dans laquelle nous nous trouvons.

Nous avons tiré la conséquence de ce constat. Nous pensons que l’État doit réaliser plus d’efforts que les collectivités locales, ce qui n’exclut pas que celles-ci poursuivent les leurs. Nous avons choisi de jouer non sur les investissements, et donc sur les dotations, mais sur un contrat avec les collectivités locales dont le budget de fonctionnement est supérieur à 60 millions d’euros – elles représentent moins de 1 % de l’ensemble –, prévoyant que leurs dépenses de fonctionnement ne progressent pas de plus de 1,2 % par an. Certaines villes en difficulté ou relevant de la politique de la ville pourront toutefois déroger à cette règle.

Au regard de cette référence de 1,2 %, qui ne concerne donc que les dépenses de fonctionnement, hors investissements, l’État a-t-il fait plus d’efforts que les plus grosses collectivités territoriales ? La réponse est oui, trois fois oui, puisque, en 2018, la dépense de l’État augmentera de 0,7 % en volume, toutes dépenses confondues. Que l’État accomplisse à peu près deux fois plus d’efforts que les collectivités locales n’est pas un motif particulier de fierté ; ce n’est que justice !

Je remarque d’ailleurs que, sur les travées de droite de la Haute Assemblée, ainsi que sur certaines travées de gauche, on nous avait promis la censure par le Conseil constitutionnel de dispositions qui figuraient pourtant dans le rapport Malvy, notamment la suppression de la taxe d’habitation, au nom du principe de l’autonomie financière des collectivités territoriales. Or il n’en a rien été. Le mérite en revient à l’ensemble du Gouvernement et à tous ceux qui ont travaillé sur ce budget, en particulier M. le rapporteur général et la commission des finances du Sénat, mais Bruno Le Maire et moi-même sommes assez fiers que, pour la première fois depuis dix ans, les dispositions les plus importantes du budget n’aient pas été censurées, hormis la disposition relative à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises de la métropole de Lyon. La loi de finances, la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de programmation des finances publiques ont été en intégralité validées par le Conseil constitutionnel.

Il est extrêmement important que l’État soit au rendez-vous en matière d’efforts de réduction de la dépense publique. Faut-il pour autant s’arrêter là ? La réponse est non. La trajectoire de réduction de la dépense publique est appelée à s’accélérer à la fin du quinquennat, parce que nous considérons que les réformes doivent se poursuivre. Après celles concernant le travail et le logement, d’autres seront inscrites dans le projet de loi de finances pour 2019. Dans quelques jours, le comité d’experts « Action publique 2022 », au sein duquel la majorité sénatoriale est représentée, rendra ses propositions relatives à la dépense publique et aux services publics. Celles que nous retiendrons trouveront une traduction dans le projet de loi de finances pour 2019, au travers des grandes politiques publiques que nous choisirons de mettre en place.

M. le ministre de l’économie et des finances a souligné à quel point nous avions eu raison de faire le pari du courage en réduisant le déficit public. Depuis dix ans, notre pays n’était pas à la hauteur de ses engagements européens en termes de dépenses et de déficit publics.

Notre objectif, c’est que, dès 2018, la dette baisse. Dans la loi de programmation des finances publiques dont vous avez débattu à l’automne dernier, il était prévu qu’elle ne reflue qu’à partir de 2020. Les bons chiffres et les réformes engagées nous laissent penser que nous pourrons la réduire dès cette année. C’est très important, car cela nous permettra de donner confiance aux investisseurs.

À cet égard, il faut se préparer à la poursuite du relèvement des taux d’intérêt. Aujourd’hui, ils restent légèrement inférieurs à ce qui était prévu dans le projet de loi de finances, mais s’ils augmentaient davantage, nous aurions un problème budgétaire. Il faut donc solder une partie de la dette.

Par ailleurs, la question de la dette de la SNCF se posera. J’imagine, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, que vous comptez nous interroger à ce sujet ; nous vous répondrons bien volontiers.

Enfin, la baisse des impôts ne peut être durable que si la dépense et la dette publiques baissent.

M. Bruno Sido. C’est clair !

M. Gérald Darmanin, ministre. Le taux des prélèvements obligatoires a connu des vicissitudes statistiques qui méritent que l’on s’y arrête quelques instants.

Le comptable – c’est notre juge de paix, il n’est pas question de le contester – inclut désormais la redevance audiovisuelle dans les prélèvements obligatoires, ce qui n’était pas le cas auparavant. Cela a entraîné une augmentation du taux de ceux-ci de 0,2 %. La taxe de 3 % sur les dividendes a elle aussi été considérée comme un prélèvement obligatoire, ce que l’on peut comprendre. Ce qui est moins compréhensible, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, c’est que son remboursement aux entreprises n’ait pas été déduit du total des prélèvements obligatoires…

M. Gérald Darmanin, ministre. … et ait été traité comme une dépense publique supplémentaire. En 2017, nous avons donc perdu, à ce titre, sur les deux tableaux.

Par ailleurs, nous avons eu des recettes supplémentaires. Un regain de croissance amène un surcroît de recettes fiscales, de l’ordre de 1,5 %.

L’augmentation du taux des prélèvements obligatoires en 2017 est donc due à la fois à la croissance et à l’élasticité des recettes fiscales, au traitement statistique de certains postes et au fait que nous n’avons pas réduit les impôts en 2017, puisque nous n’avons pas présenté de collectif budgétaire cette année-là.

Comme l’a indiqué M. le ministre de l’économie et des finances, en 2018, le taux des prélèvements obligatoires commencera à baisser dans le cadre général qu’il a évoqué. Nous comptons bien tenir la promesse du Président de la République de le réduire d’un point d’ici au terme du programme de stabilité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, telle est la situation des comptes publics. Ils ne sont pas rétablis, mais ils sont en voie de rétablissement. Comme dans toute course de fond, il faut se réjouir de l’étape franchie, mais ne pas se démobiliser : le chemin est encore long ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Nous allons procéder au débat.

Dans le débat, la parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de programme de stabilité pour 2018-2022, qui doit être transmis à la Commission européenne avant le 30 avril, est un document important, qui s’accompagne d’un programme national de réformes.

Compte tenu de l’importance que revêt ce document, notamment au regard du processus européen de surveillance et de coordination des politiques économiques et budgétaires, je ne peux que me féliciter qu’il fasse l’objet d’un débat en séance publique ce soir. Même si ce débat ne sera pas suivi d’un vote au Sénat, sa tenue répond à un souhait de la commission des finances.

En ce qui concerne tout d’abord le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement, on peut le qualifier de raisonnable. Il est porté par une reprise plus vigoureuse qu’escompté depuis le printemps 2017, avec une croissance de 2,0 % du PIB.

Dans ce contexte porteur, le présent projet de programme de stabilité est marqué par une révision à la hausse de la prévision de croissance. Cela concerne 2018, avec un niveau légèrement inférieur à la moyenne des estimations, mais aussi 2019, l’hypothèse retenue s’établissant ainsi dans la fourchette haute des estimations disponibles. Enfin, sur la période 2020-2022, il est fait l’hypothèse d’une croissance stable. On peut donc considérer que le Gouvernement retient un scénario intermédiaire entre celui du FMI et celui du consensus des économistes.

L’hypothèse d’élasticité des prélèvements obligatoires par rapport au PIB est également essentielle, puisque le déficit public y est davantage sensible qu’à la croissance. Tandis que le Gouvernement avait fait preuve de prudence dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, en retenant une hypothèse d’élasticité unitaire, le présent projet de programme de stabilité est construit selon une élasticité révisée à la hausse, à hauteur de 0,1 point.

Si cette prévision est plausible, l’élasticité resterait toutefois supérieure à l’unité pendant trois exercices consécutifs, ce qui ne s’est produit qu’à une seule reprise au cours des vingt-cinq dernières années, entre 1999 et 2001. Il s’agit donc là d’un pari.

Messieurs les ministres, vous avez évoqué la question du rythme de remontée des taux d’intérêt, également tout à fait décisive pour les finances publiques. Je constate que, en la matière, le Gouvernement fait preuve d’une grande prudence –peut-être excessive –, puisqu’il retient l’hypothèse d’une remontée des taux d’intérêt deux fois plus rapide que celle qu’ont anticipée les différents organismes de conjoncture ou la majorité de nos partenaires européens. Si l’on retenait le scénario de remontée des taux inspiré du Consensus Forecasts, la charge des intérêts pour l’État serait inférieure de 8 milliards d’euros en 2022. N’y a-t-il pas là une forme de « réserve de précaution », qui devrait vous permettre, si finalement les taux d’intérêt remontaient comme l’anticipent les autres pays, d’absorber d’éventuels dérapages constatés sur les dépenses pilotables ?

S’il apparaît donc raisonnable, le cadrage macroéconomique retenu par le Gouvernement sur la période 2018-2022 reste soumis à des aléas importants. M. Le Maire en a évoqué un certain nombre.

À l’échelon international, tout d’abord, les orientations de la politique commerciale américaine sont susceptibles de peser sur la croissance mondiale en déclenchant une spirale protectionniste. Les risques financiers liés à une correction sur les marchés d’actions – j’espère que cela n’ira pas jusqu’à un krach boursier – et à une remontée non contrôlée des taux d’intérêt sont également préoccupants.

À l’échelon européen, ensuite, outre les incertitudes sur la position des économies de la zone euro dans le cycle et le rythme de croissance, des risques politiques existent, liés en particulier au Brexit ou à la situation politique en Italie.

À l’échelon national, enfin, des événements exceptionnels pourraient peser sur la croissance. Il faut aussi considérer l’hypothèse que l’appareil productif français ne parvienne pas à répondre à la hausse de la demande. En outre, l’inquiétude grandit en ce qui concerne la dynamique du crédit aux entreprises non financières et aux ménages.

Les simulations issues des deux scénarios macroéconomiques construits par la commission des finances, alternatifs à celui du Gouvernement – l’un est plus optimiste, l’autre plus pessimiste –, confirment le caractère central des hypothèses macroéconomiques sous-jacentes au présent projet de programme de stabilité.

J’en viens à l’analyse de l’exécution budgétaire. Cela a été souligné et nous pouvons nous en réjouir, il paraît désormais acquis que la France sortira du volet correctif du pacte de stabilité dès cette année, le doute concernant l’exercice 2019 étant en grande partie levé grâce à l’amélioration de la conjoncture.

Plus globalement, l’amélioration du contexte macroéconomique devrait permettre un redressement accéléré de la situation des finances publiques au cours du quinquennat.

Il convient cependant de s’interroger sur la pérennité de ce redressement, dès lors que le retour à un déficit nominal inférieur à 3 % tient à la reprise économique et au dynamisme des prélèvements obligatoires, davantage qu’à un effort structurel en dépense. En l’absence de « bonne nouvelle » en recettes, ce déficit se serait établi à 3,4 % du PIB en 2017, les différentes mesures de redressement décidées par le Gouvernement étant insuffisantes pour le contenir.

Bien que l’effet des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires, hors mesures exceptionnelles, soit neutre en 2017, la part des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale progresse encore de 0,8 point sous l’effet du dynamisme des recettes, pour atteindre 45,4 % du PIB. J’ai bien entendu, cela étant, les remarques du Gouvernement concernant la redevance audiovisuelle et un certain nombre de retraitements.

Le présent projet de programme de stabilité maintient toutefois l’objectif initial du Gouvernement de baisse de 1 point de la part des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale d’ici à 2022. Avec un taux de prélèvements obligatoires de 44,3 % en 2022, cela resterait malheureusement insuffisant pour revenir sur la hausse observée au cours du précédent quinquennat ; je me tourne, à cet instant, vers le côté gauche de l’hémicycle…

Autre constat, il apparaît que l’amélioration du déficit structurel, qui s’est réduit de 0,5 point l’an dernier, a été essentiellement due aux effets d’élasticités.

J’ignore quelle a été la teneur du débat à l’Assemblée nationale, mais cela ne sera pas sans poser au Gouvernement une difficulté politique au regard de la règle de la « cagnotte » qui a été introduite dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques et que la Haute Assemblée n’avait pas validée. Cette règle permet en effet de dépenser jusqu’à la moitié des « bons résultats » constatés en exécution sur le solde structurel. À l’époque, nous avions émis les plus grandes réserves à ce sujet, considérant que, s’il devait y avoir de meilleurs résultats en exécution sur le solde structurel, cela devait se traduire soit par des baisses de prélèvements obligatoires, soit par une réduction du déficit, mais en aucun cas par des dépenses supplémentaires. Je crains, monsieur le ministre, que vous ne vous trouviez piégé par cette règle de la cagnotte.

Parallèlement, l’effort structurel en dépense se révèle négatif, pour la première fois depuis 2012. En outre, l’année 2018 est marquée par un objectif de maîtrise de la dépense moins ambitieux. En effet, lors du débat d’orientation des finances publiques pour 2018, M. Le Maire avait affirmé que les dépenses de l’État ne progresseraient pas du tout en volume. Aujourd’hui, il évoque une croissance de la dépense publique de 0,7 %. Le Gouvernement est donc quelque peu revenu sur son objectif initial d’une stabilité totale de la dépense publique.

Les économies à réaliser en 2018 s’élèvent à seulement 11 milliards d’euros, soit près de deux fois moins que prévu dans le scénario du débat d’orientation des finances publiques. Il semble donc que le Gouvernement profite de l’indéniable reprise économique en Europe, en particulier en France, pour renoncer à une partie de ses efforts de maîtrise de la dépense. Peut-être le débat nous éclairera-t-il sur ce point.

La nouvelle trajectoire 2018-2022 proposée au travers du présent projet de programme de stabilité doit s’inscrire dans le respect de nos engagements européens, alors que, même si les choses vont mieux, la France se trouve dans une situation atypique par rapport à ses partenaires européens, notamment au regard de son niveau de déficit et de dette publics.

La réduction annuelle du déficit structurel prévue par le Gouvernement est très inférieure aux prescriptions du pacte de stabilité. Elle pourrait même déboucher, à l’horizon 2019, sur l’ouverture d’une procédure pour « déviation significative ». Messieurs les ministres, la France devra-t-elle donc encore espérer une interprétation suffisamment « constructive » des règles européennes pour y échapper ?

Au-delà, nous attendons un effort de redressement. Le Gouvernement évoque la mise en œuvre d’un programme d’économies d’une ampleur inédite. Nous aurions aimé, à cet égard, pouvoir disposer des premières conclusions du comité « Action publique 2022 ». Cela aurait permis de mieux documenter les efforts d’économies envisagés. En tout cas, il faut une stratégie crédible de maîtrise de la dépense. À ce sujet, nous ne pourrons pas faire l’économie d’un débat sur la masse salariale de la fonction publique et les dépenses de retraite, ces deux postes représentant à eux seuls près de la moitié de la dépense publique en France.

J’achèverai mon propos en relevant que le projet de programme de stabilité – c’est la principale surprise qu’il comporte – ne tient en aucune manière compte de deux annonces récentes du Président de la République, confirmées dimanche soir par celui-ci à la télévision, pourtant susceptibles de bouleverser la trajectoire budgétaire, dans la mesure où elles représentent à elles deux un coût de près de 60 milliards d’euros.

M. Bruno Sido. Rien que cela !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit, en premier lieu, de la suppression totale de la taxe d’habitation, qui reste à financer à hauteur de 10 milliards à 14 milliards d’euros. Le Président de la République venant d’exclure toute création d’un nouvel impôt, cela signifie que cette somme viendra alourdir la dépense publique. Elle n’est pas comptabilisée dans ce projet de programme de stabilité.

En second lieu, la reprise progressive, au moins partielle, de la dette de SNCF Réseau à partir du 1er janvier 2020 pourrait représenter jusqu’à 46,6 milliards d’euros. Voilà un enjeu qui pèsera très lourdement sur nos finances publiques. Cette reprise sera sans doute analysée comme une dépense. Le surcoût temporaire lié à l’opération de reprise pourrait être particulièrement complexe à intégrer à la trajectoire budgétaire.

On peut en conclusion regretter que ces dépenses majeures, qui représentent près de 60 milliards d’euros, n’aient pas été intégrées à un projet de programme portant sur les années 2018 à 2022. Sans doute le Gouvernement pourra-t-il nous répondre sur ces deux sujets de la suppression de la taxe d’habitation et de la reprise de la dette de la SNCF. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs généraux, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du projet de programme de stabilité pour 2018-2022, avant sa transmission à la Commission européenne, qui doit intervenir au plus tard le 30 avril prochain.

Nous avons souhaité ce débat, car il s’agit non pas d’un simple document prévisionnel, mais des engagements européens de notre pays. Je pense d’ailleurs qu’il faudrait lier cet exercice de projection de nos finances publiques à l’arrêté des comptes de l’année passée, toutes administrations publiques confondues, afin de tirer toutes les conséquences de l’exécution budgétaire. Nous en reparlerons sans doute avec le Gouvernement dans le cadre de notre réflexion sur l’amélioration de nos procédures budgétaires.

J’en viens au programme de stabilité, désormais quinquennal.

La situation économique de notre pays s’améliore, c’est indéniable : l’environnement international est « porteur », la demande intérieure est « dynamique », la progression de l’investissement des entreprises est « historique ». Cette situation exceptionnelle vous oblige, messieurs les ministres : elle vous oblige à réformer, mais elle vous oblige aussi à répartir avec équité les fruits de cette croissance, à la fois pour redresser nos finances publiques et pour financer nos priorités nationales.

Les réformes fiscales que vous avez vous-même engagées, la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière, la création du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, la disparition progressive de la taxe d’habitation viennent à peine d’entrer en vigueur ou n’interviendront progressivement qu’à compter de l’automne. Ce ne sont donc pas ces réformes qui expliquent notre dynamisme économique au cours de l’année écoulée. L’amélioration économique résulte autant du contexte international et de la reprise dans la zone euro – le taux de croissance, s’établissant à 2,5 %, a atteint son plus haut niveau depuis dix ans – que des mesures prises par le précédent gouvernement, qui ont permis à notre pays de retrouver un chemin de croissance.

Ce ne sont pas non plus les mesures budgétaires que vous avez prises depuis six mois, comme la baisse du nombre des contrats aidés ou des subventions au logement social, qui entrent en vigueur cette année, qui peuvent expliquer le redressement de nos finances publiques. Nous ferons plus tard le bilan de ces mesures pour savoir si elles contribuent réellement à augmenter notre potentiel de croissance et nous attendons de voir ce que pourra donner le processus « Action publique 2022 » en termes d’amélioration de l’action publique à moyen terme.

Vous ne pouvez donc pas revendiquer le mérite exclusif du passage de notre déficit public sous la barre des 3 % du PIB en 2017. Nous nous en réjouissons tous, mais la vérité est que notre déficit, qui atteignait 5 % du PIB en 2012, a été progressivement réduit depuis cinq ans, malgré un contexte économique bien moins porteur qu’aujourd’hui, jusqu’à atteindre déjà 3,4 % à la fin de l’année 2016. Les mesures en dépenses décidées depuis l’audit alarmiste de la Cour des comptes se sont limitées à 0,2 point de PIB, ce qui correspond à une procédure de régulation classique. En 2017, le passage du déficit public sous la barre des 3 % est entièrement dû à l’amélioration de notre croissance économique et, dans une certaine mesure, à la hausse, en fin d’année, des prélèvements sur les grandes entreprises.

Mes interrogations concernent l’avenir et portent sur trois sujets principaux.

Votre stratégie fiscale est le premier de ces sujets. Après le fort ressaut du taux des prélèvements obligatoires cette année, à 45,4 % du PIB, vous envisagez une baisse finalement modeste sur le quinquennat, puisque ce taux resterait pratiquement inchangé entre 2016 et 2022 – il passerait de 44,6 % à 44,3 % du PIB –, alors même que la baisse de l’impôt sur les sociétés se poursuivrait, de même que la baisse des charges pour les entreprises. Entendez-vous réellement autant alléger la pression fiscale des ménages que celle des entreprises et des patrimoines les plus importants ? Je ne vois nulle part trace de la manière dont vous escomptez financer la perte de recettes de 10 milliards à 14 milliards d’euros liée à la suppression progressive de la taxe d’habitation. Par ailleurs, d’autres prélèvements pèseront fortement sur les ménages, y compris les plus modestes, notamment au titre de la CSG et de la montée en charge de la fiscalité écologique.

L’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, a démontré que les mesures nouvelles pour les ménages que vous avez fait adopter profiteront largement aux 2 % de ménages les mieux lotis au regard de la distribution des revenus, qui détiennent l’essentiel du capital mobilier. Cette stratégie sera-t-elle poursuivie ? Pouvez-vous nous donner des éléments sur le caractère redistributif de la politique fiscale que vous menez ? Comment comptez-vous mettre en place une réelle évaluation de ses résultats, à l’instar de ce qui a été fait par le passé pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ?

La répartition des efforts en dépense entre les administrations publiques constitue le deuxième sujet. Votre trajectoire implique un fort ralentissement de la dépense locale, par une pression sur la masse salariale, les effectifs et les dépenses de fonctionnement. Il conviendra de voir si la contractualisation qui se met en place le permet, sans entraver la libre administration locale.

Votre trajectoire suppose également une progression modérée des dépenses de sécurité sociale. Hormis l’effet de la croissance économique, comment entendez-vous redresser les comptes sociaux dans un contexte de vieillissement de la population et d’accroissement des besoins en santé ?

Pour les années 2019 à 2022, le Haut Conseil des finances publiques considère que le scénario de croissance retenu est optimiste. Nous ne sommes pas à l’abri de nouveaux ralentissements, et des précautions s’imposent.

La dette est le troisième et dernier sujet. Selon vos estimations, elle devrait passer sous les 90 % du PIB en fin de période. Cependant, le projet de programme de stabilité ne dit rien de la reprise progressive de la dette de la SNCF à compter de 2020, pourtant annoncée par le Président de la République. Entendez-vous mettre à jour vos estimations avant la transmission de ce document à Bruxelles ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)