Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la réforme du baccalauréat.

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Politique industrielle et avenir de notre industrie

Débat organisé à la demande d’une mission d’information

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission d’information sur Alstom et la stratégie industrielle du pays, sur la politique industrielle et l’avenir de notre industrie.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que les auteurs du débat disposent d’un temps de parole de huit minutes ; puis, le Gouvernement bénéficiera de la même durée pour lui apporter une réponse.

La parole est à M. le président de la mission d’information auteur de la demande.

M. Alain Chatillon, président de la mission dinformation sur Alstom et la stratégie industrielle du pays. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui rappeler combien notre industrie est un élément fort pour notre pays.

À l’occasion du droit de tirage du parti socialiste et républicain, et grâce à Martial Bourquin que j’ai le plaisir de retrouver, puisque nous avions déjà assuré une première mission en 2011 sur la réindustrialisation, nous avons effectué un travail important tant sur Alstom que sur le redéploiement de notre industrie. Pour cette mission d’information, nous avons effectué une dizaine de voyages en Europe et mené cinquante auditions. Notre objectif était de savoir comment l’État, les parlementaires, les élus et les industriels pouvaient améliorer la situation actuelle.

Laissez-moi vous citer deux chiffres. Dans les années quatre-vingt, nous avions 5,4 millions d’emplois dans l’industrie ; nous n’en avons plus que 2,4 millions. Nous avons perdu plusieurs grands secteurs ! Que faut-il faire ?

L’Allemagne a quatre fois plus d’entreprises de taille intermédiaire que nous. Pourquoi ? Comment se fait-il que nous perdions dans beaucoup de domaines ? Il y a deux raisons majeures à cela : la digitalisation et une concurrence exacerbée au niveau international.

Comment se fait-il que la France, qui était le premier pays exportateur, avec près de 11 milliards d’euros d’excédent de la balance commerciale voilà dix ans dans l’agroalimentaire, se retrouve aujourd’hui, avec seulement 8 milliards d’euros d’excédent, à la troisième place, après l’Allemagne et l’Italie ?

Nous avons analysé les problèmes qui sont les nôtres. À l’occasion de la mission sur Alstom, nous avons vu les limites de l’action de l’État sur les entreprises. Loin de moi l’idée de dire qu’il ne fallait pas rapprocher les groupes Alstom et Siemens. Le premier groupe chinois représente 30 % du marché mondial, le groupe américain concurrent 17 %, quand l’alliance d’Alstom et Siemens ne représente que 12,5 % de ce marché ! En revanche, nous n’approuvons pas les conditions dans lesquelles cet accord a été passé ; ce sujet sera abordé ultérieurement, lors des questions.

Pour ce qui concerne la réindustrialisation, nous avons voulu savoir pourquoi nous avions perdu tous les secteurs importants. Regardez l’équipement d’une cuisine aujourd’hui : il n’y a plus un seul appareil français ! Et c’est la même chose dans bien des domaines… Il faut accompagner nos entreprises sur la voie de la digitalisation et les soutenir face à cette concurrence exacerbée.

Je veux dire aux parlementaires et aux Européens que nous devons faire en sorte d’être mieux défendus. On ne peut pas demander à nos industriels de s’adapter aux lois et aux règlements de notre pays et, dans le même temps, laisser des industriels étrangers, européens ou non, vendre en France des produits concurrents qui ne répondent pas à ces normes ! C’est absolument inadmissible, et il convient de prendre des mesures importantes à cet égard.

Voilà l’essentiel de ce que je voulais dire en introduction. Pendant six mois, nous avons travaillé avec une vingtaine de sénateurs et sénatrices à nos côtés. Avec Martial Bourquin, je regrette que, sur les 27 propositions que nous avions formulées il y a maintenant sept ans, très peu aient été retenues. Aujourd’hui, nous espérons qu’une grande partie de nos 45 propositions le seront.

Ce ne sont pas des sénateurs « classiques » qui vous font ces propositions – Martial Bourquin, autant que moi-même, connaît bien le monde de l’industrie –, élaborées avec des sénatrices et des sénateurs qui sont également très engagés dans l’économie. Madame la secrétaire d’État, j’espère donc que vous pourrez transmettre nos propositions à Bruno Le Maire, afin de les intégrer dans le cadre de la loi PACTE.

Je citerai simplement un exemple : pour le financement des PME-PMI, nous avons proposé un PEA défiscalisé à 100 %.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Alain Chatillon, président de la mission dinformation. Les questions qui vous seront posées dans le débat permettront de débattre de tous ces problèmes. Nous espérons que vous pourrez modifier un tant soit peu la loi PACTE : même si, sur un certain nombre de points, nous sommes déjà sur le bon chemin, nous voulons aller beaucoup plus loin ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur de la mission d’information auteur de la demande.

M. Martial Bourquin, rapporteur de la mission dinformation sur Alstom et la stratégie industrielle du pays. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vient de le souligner mon collègue, c’est effectivement à la suite du rapprochement entre Alstom et Siemens que nous avons demandé la création de cette mission d’information. Pourquoi ? Parce que nous avons pensé que l’accord passé avec Siemens était totalement déséquilibré.

En effet, la majorité au conseil d’administration a été donnée à Siemens, ce qui fait passer sous drapeau allemand un groupe qui a réalisé 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017 et qui – tenez-vous bien, mes chers collègues ! – a remporté les marchés des métros de Montréal, Riyad, Shanghai, Bombay, Lyon, Bordeaux et Francfort, celui des trains en Italie et celui du TGV de nouvelle génération. Pendant cinq ans, la commande publique française assurera quasiment la pérennité d’Alstom ! Or, pour zéro euro, nous avons donné la majorité au groupe Siemens.

Le président de la mission d’information vient de le dire, nous étions favorables à un accord avec Siemens, mais à égalité, comme dans le cas d’Airbus : deux États, deux groupes et l’égalité entre eux. Pourquoi avoir fait passer un groupe comme Alstom sous la maîtrise allemande ? D’autant que, à bien regarder l’histoire récente, nous avons laissé partir de nombreux groupes français, passés sous bannière étrangère, vendus, comme on dit, à la découpe. Or nous avons besoin d’une économie forte. Nos joyaux industriels doivent rester sur le territoire français.

La mission a bien sûr abordé le problème Alstom, mais aussi – c’est un point important – l’occasion extraordinaire qu’offre l’industrie du futur pour réindustrialiser la France, en permettant à nos territoires et à nos entreprises de rapatrier des productions. L’idée essentielle, c’est que nous avons cinq ans pour faire en sorte que l’industrie du futur prenne vraiment pied en France, car nous craignons que, après, il ne soit trop tard.

C’est une question de culture : quels que soient les gouvernements, la question industrielle est systématiquement sous-estimée, comme elle l’a été pour Alstom. Il faut que la France croie de nouveau en son industrie, pour ne pas aller vers le modèle décrit par Michel Houellebecq d’une France vidée de ses usines et ses ouvriers, d’un pays touristique où ne subsisteraient que des stations de ski et des hôtels de charme. La forte désindustrialisation que nous connaissons n’est pas une fatalité. Les propositions que nous présentons nous offrent la possibilité d’avoir un débat avec le Gouvernement, pour essayer de redresser la barre.

Madame la secrétaire d’État, c’est ce renouveau industriel que nous appelons de nos vœux, avec des propositions concrètes tant sur le financement que sur les politiques de suramortissement qui avaient été votées dans cette assemblée, à l’unanimité, l’année dernière, pour donner à nos PME-PMI la possibilité d’investir dans l’industrie du futur.

Il faut favoriser le territoire français : si l’Allemagne pense avant tout à elle-même – elle est bien sûr européenne, mais elle aime être forte de son industrie –, tout comme l’Italie, nous avons, pour notre part, une tendance à envisager systématiquement le développement, notamment de nos entreprises, à l’étranger.

Avec le crédit d’impôt recherche, les centres de décision restent en France, mais il doit en aller de même des unités de production. C’est ainsi que nous ferons baisser le chômage et que nous aurons la possibilité d’avoir des emplois dans la ruralité et dans les centres urbains.

Telles sont nos propositions, qui passent d’abord par un rééquilibrage d’Alstom, lequel représente douze sites en France, 8 500 employés, 27 000 emplois et 4 500 sous-traitants.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Martial Bourquin, rapporteur de la mission dinformation. Par ailleurs, il faut renouveler notre vision stratégique et, surtout, revaloriser l’image de notre industrie. Nous sommes face à un défi : faire en sorte que la France reste une grande nation, ce qui ne sera possible que si elle dispose d’un socle industriel puissant. Tel est notre vœu,…

Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !

M. Martial Bourquin, rapporteur de la mission dinformation. … et nous espérons que le Gouvernement nous entendra.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Madame la présidente, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette invitation à débattre d’un sujet qui me tient à cœur. J’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt de vos conclusions et de vos propositions. Je partage votre sentiment d’urgence, qui s’exprime en particulier dans le second tome de votre rapport.

On peut certes se réjouir d’un retour relatif de l’industrie en France en 2017, avec des créations d’emplois, de l’investissement étranger et des ouvertures de sites industriels plus nombreuses que les fermetures, mais nous sommes bien conscients que les efforts qui restent à mener sont considérables. Nous partageons la même volonté de faire revivre puissamment la France industrielle.

Le sursaut doit être accompagné, soutenu et attisé. En effet, notre industrie est à la fois notre héritage et ce qui construira notre futur. C’est à la fois la conquête de marchés étrangers et la vitalité économique de centaines de territoires français, notamment ruraux. C’est à la fois notre compétitivité et ce qui garantit notre souveraineté.

Cet horizon est vraiment ce qui nous a conduits à engager une transformation en profondeur de notre économie depuis le premier jour du quinquennat, avec un travail en profondeur sur la compétitivité de nos entreprises. Vous le savez, une refonte complète de la fiscalité a été menée l’année dernière, avec la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, la transformation en baisse de charges du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, la suppression de l’ISF et le prélèvement forfaitaire unique.

À cela se sont ajoutées les dispositions de la loi Travail pour constituer les deux piliers très puissants de notre politique visant à restaurer la compétitivité de notre économie et de notre appareil productif. Nous continuerons évidemment ces efforts dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, car la stabilité et la visibilité sont nécessaires à nos entreprises pour prévoir, investir et prendre des risques.

Après la compétitivité, le deuxième objectif est de faire de la France la première nation en matière d’innovation en Europe. Cela passe par un investissement massif dans les compétences, dans la recherche et dans notre appareil productif. Notre ambition en la matière se traduit par une politique d’innovation ambitieuse, d’une dimension nouvelle, couplée avec une réforme sans précédent de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

Outre la sanctuarisation du crédit d’impôt recherche, le CIR, que vous avez citée, l’État entend jouer pleinement son rôle de stratège et de catalyseur, par des choix d’investissements sur les technologies de rupture avec la création du fonds pour l’innovation et l’industrie, doté de 10 milliards d’euros. Ce fonds a commencé à fonctionner, avec deux premiers défis qui portent sur l’amélioration des diagnostics médicaux par l’intelligence artificielle et la sécurisation des systèmes ayant recours à l’intelligence artificielle.

Le rôle de l’État n’est pas d’immobiliser des capitaux dans des entreprises lorsqu’il dispose d’autres leviers suffisamment puissants. Il n’a donc pas besoin du contrôle actionnarial pour garantir la préservation des intérêts nationaux. Son rôle est de préparer l’avenir du pays et non pas d’agir en gestionnaire financier.

C’est pour cette raison que nous ne donnerons pas un avis favorable à la proposition n° 31 de votre mission d’information.

Le deuxième levier pour mettre l’industrie française à la pointe est un travail partenarial conduit entre le Gouvernement et seize filières structurantes pour notre industrie.

Je prendrai l’exemple de la filière automobile, qui mobilise l’ensemble des acteurs pour accélérer le développement des véhicules hybrides, électriques et autonomes, ainsi que des nouveaux usages de la mobilité. L’association entre les pouvoirs publics et l’industrie automobile est incontournable si nous voulons le meilleur cadre fiscal, réglementaire et territorial pour mettre notre industrie à la pointe.

Je citerai également l’exemple de la filière santé, avec laquelle nous avons bâti un plan d’action complet en juillet dernier, pour réduire les délais d’autorisation des essais cliniques et d’autorisation de mise sur le marché des médicaments et pour préparer les innovations de demain, via la création d’une plateforme de partage des données de santé qui sera sans doute l’une des plus riches du monde.

Enfin, nous voulons ancrer nos outils de soutien à l’innovation dans les territoires. J’ai ainsi lancé en juillet dernier un appel à candidatures pour « relabelliser » les pôles de compétitivité et lancer une phase 4 d’ambition européenne.

Toutefois, nous ne sommes pas naïfs : la préservation de notre autonomie dans certaines technologies stratégiques est indispensable pour garantir notre souveraineté économique. Nous devons pouvoir rester maîtres de nos innovations. Car à quoi bon investir dans les technologies de rupture si c’est pour se faire piller ses investissements quelques années plus tard ?

Dans la loi PACTE, nous renforçons le régime de contrôle des investissements étrangers en France, en élargissant le champ du contrôle à de nouveaux domaines, notamment l’espace, le stockage de données, l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs. Sur ce point, les propositions de votre mission sont pleinement en accord avec notre vision.

Sur ce sujet de la souveraineté économique, j’aimerais évoquer la fusion entre Alstom et Siemens. C’est pour préserver une souveraineté économique européenne face à un géant industriel chinois que cette fusion a été décidée. Le rapport de votre mission a conclu que la fusion actuelle était la meilleure option pour faire naître un géant européen du ferroviaire, même si j’ai bien entendu que vous en contestiez les modalités financières et capitalistiques. Mais il était vital d’aboutir sur ce rapprochement et tout aussi crucial de défendre les intérêts français.

Une série d’engagements ont été pris pour fixer le siège de la nouvelle société et sa cotation en bourse en France, ainsi que pour assurer l’équilibre de sa gouvernance. Siemens s’est également engagé à préserver le niveau d’emplois pendant quatre années. Il s’agit ainsi d’un mariage entre égaux, mais avec une situation actionnariale asymétrique que vous avez déplorée. L’État veillera à ce que l’équilibre entre la France et l’Allemagne perdure.

Vous avez également évoqué dans le rapport de votre mission des points de vigilance, en particulier sur la sous-traitance et l’animation de la filière. Je vous rejoins sur ces points et serai attentive à ce que les engagements pris soient tenus. La nouvelle entreprise devra continuer à développer un socle de fournisseurs solide en France et en Allemagne. S’agissant des commandes pour les marchés français et allemand, elle devra recourir préférentiellement aux fournisseurs du pays.

Plus généralement, notre politique industrielle ne peut rester cantonnée aux grands groupes et aux grandes métropoles. Une bonne politique d’innovation dans l’industrie doit entraîner toutes les PME, dans tous les territoires. C’est pourquoi nous faisons porter l’effort principalement sur les PME, avec une nouvelle grande étape de réformes structurelles, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises.

Notre premier défi est de consolider l’ensemble de notre appareil productif, car notre tissu économique est trop fragile. Nos entreprises rencontrent des obstacles accumulés dans des strates réglementaires et fiscales qui les freinent à toutes les étapes de leur développement. Elles sont donc trop petites et mal financées ; elles n’innovent et n’exportent pas assez. Nous allons faciliter la création, le financement, la transmission et le rebond des entreprises.

Le deuxième défi est celui de la transformation numérique de notre industrie : le Gouvernement est pleinement engagé pour combler le retard qu’a pris la France dans la digitalisation et la robotisation de son industrie.

Les annonces faites par le Premier ministre il y a quelques jours concernant l’industrie du futur et l’ensemble des mesures de soutien à la modernisation et à la numérisation de nos entreprises sont absolument cruciales : mise en place de briques numériques de base dans les petites entreprises, avec le plan France Num ; instauration d’un soutien à l’investissement dans la robotisation et la numérisation des PME industrielles sous la forme d’un suramortissement ; création, dans chacune des filières du Conseil national de l’industrie, d’une plateforme numérique pour accompagner à la numérisation, filière par filière. Enfin, une mission sur les plateformes d’accélération de l’industrie du futur a été lancée.

Le troisième défi consiste à ancrer notre politique industrielle dans chaque territoire. C’est ce que nous faisons au travers de l’initiative « Territoires d’industrie », portée par les ministères de l’économie et de la cohésion des territoires. Le Premier ministre a lancé une réflexion pour préparer la mise en œuvre opérationnelle de cette initiative.

Mme la présidente. Je vous invite à conclure, madame la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat. Pour cela, nous devons identifier une centaine de territoires d’industrie et constituer un kit d’accompagnement des entreprises de ces territoires couvrant l’ensemble de leurs besoins.

Pour conclure, les 45 propositions de la mission d’information en matière de stratégie industrielle pointent, pour une grande majorité, dans la même direction que les actions entreprises par le Gouvernement. Je veux saluer encore une fois la qualité de l’analyse que vous avez menée et me féliciter du débat que nous allons avoir aujourd’hui.

Nombreuses sont les recommandations qui vont trouver leur place dans la loi PACTE, notamment sur l’augmentation du nombre d’administrateurs salariés, sur le développement de l’épargne salariale ou sur le renforcement du décret sur les investissements étrangers en France.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous incite à rester mobilisés sur cette question dans vos circonscriptions, à faire la promotion des métiers de l’industrie et à encourager les transformations futures de ce secteur, car c’est aussi au travers de votre parole et de l’image que vous renverrez que l’industrie attirera encore et toujours les meilleurs talents. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ses préconisations, la mission d’information de notre Haute Assemblée appelle l’État à renouveler sa stratégie industrielle. Mais si nous considérons que la dynamisation de l’outil actionnarial peut être un levier possible pour servir cette nouvelle stratégie d’État, nous pensons que ce que vous vous apprêtez à faire, madame la secrétaire d’État, avec la vente d’Aéroports de Paris, d’Engie et de la Française des jeux, est un mauvais choix, dont la performance sera médiocre pour financer le soutien de l’innovation de rupture qui fera l’économie de demain.

Contrairement à ce qui a été dit au départ, et que vous avez répété à l’instant, madame la secrétaire d’État, ce ne sont pas 10 milliards d’euros qui vont être affectés à ce soutien, mais le produit des dividendes engendrés par le placement des actions que vous allez vendre.

Comment justifiez-vous que les placements de ces 10 milliards d’euros produiront un rendement de 250 millions d’euros au mieux, alors que, aujourd’hui, et en prenant appui sur les chiffres des années passées, les actions de ces trois entreprises ont rapporté à l’État 850 millions d’euros au plus bas en 2017 et jusqu’à 1,5 milliard d’euros les meilleures années, comme en 2012 ? En réalité, le rendement était plutôt de 1 milliard d’euros, ce qui en fait un placement exceptionnellement profitable : il est donc supérieur à 10 % aujourd’hui et serait de 2,5 % demain… En procédant de la sorte, où est la belle affaire pour l’État ?

Certes, vous allez réintégrer immédiatement 10 milliards d’euros qui vous éviteront peut-être de passer en 2019 le cap symbolique des 100 % de PIB de dette publique, mais quelle est la véritable logique de cette opération de vente et d’abandon de fleurons nationaux ? À qui profitera vraiment la spoliation, car c’en est une, des Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui concerne le programme de privatisations ou de cession d’actifs annoncé par le Gouvernement – Bruno Le Maire est d’ailleurs en train de débattre à l’Assemblée nationale de la disposition correspondante dans la loi PACTE.

Notre logique est de faire de l’État un État stratège, plutôt qu’un État gestionnaire ou rentier. Nous préférons investir dans les technologies de demain, plutôt que de rester actionnaires dans des entreprises qui, certes, produisent un rendement, encore que, comme je ne dispose pas des chiffres ici, je ne puis vous confirmer les rendements que vous avez avancés pour les dernières années. Nous préférons utiliser l’argent des Français pour l’investir dans l’innovation de demain et identifier les nouvelles technologies qui permettront à nos industriels de situer sur des secteurs en future croissance.

Il faut le savoir, d’une part, l’État conservera une partie des recettes de ces entreprises, puisque la Française des jeux, en particulier, continuera à produire de la recette fiscale, les dividendes étant une part très minoritaire des rendements remontant à l’État ; d’autre part, ces cessions d’actifs seront réalisées dans un cadre extrêmement sécurisé du point de vue de la régulation.

Il s’agit effectivement d’un choix d’allocation de l’argent public vers d’autres priorités. Encore une fois, ce choix d’un placement en obligations d’État, donc d’un rendement qui s’élèvera – comme vous l’avez indiqué – à 2,5 milliards d’euros, permettra de donner de la visibilité, de la certitude et de la sécurité à ce placement, donc de la stabilité dans les flux financiers.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Madame la secrétaire d’État, vous n’avez pas répondu à ma question, même si vous avez compris que je n’étais pas favorable à ces privatisations. Dans de telles conditions d’incertitude et de piètre performance, en réalité, l’État va se priver de ressources importantes dans la longue durée.

Pour éviter de revivre la calamiteuse opération des autoroutes de 2005, il faut que le produit des ventes de ces trois entreprises soit au moins égal à la somme actualisée sur très longue période du produit des dividendes auquel l’État va renoncer. C’est ce que nous examinerons avec attention, mais nous espérons que vous saurez éventuellement arrêter le processus de privatisation si vous ne pouviez parvenir à préserver les intérêts de l’État et des clients de ces entreprises – c’est aussi un sujet en soi –, mais aussi ceux des propriétaires, les Français.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.

M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis un peu plus de vingt ans, notre économie a connu une dégradation massive de son appareil productif, dans le secteur industriel en particulier.

Dans ma région des Hauts-de-France, nombre d’industries, de l’automobile au textile, en passant par la métallurgie, ont mis la clé sous la porte. Entre 2017 et 2018, le Nord-Pas-de-Calais a encore perdu 1 400 emplois industriels ; en dix ans, ce chiffre atteint plus de 70 000 emplois.

Les industries qui subsistent connaissent des difficultés ou font état de grandes inquiétudes sur leur avenir. Je citerai plusieurs exemples pour illustrer mon propos.

L’entreprise Balsan, située à Calais, est spécialisée dans la fabrication des tenues des grands corps militaires, tels que la Garde républicaine ou l’École polytechnique. Surtout, l’entreprise est titulaire du marché de l’Armée de terre. Elle détient un savoir-faire unique dont la valorisation n’est pas prise en compte dans les procédures de passation des marchés. Il existe donc un risque fort de bascule de ce marché vers une entreprise étrangère. Lors d’une dernière répétition du défilé du 14 Juillet, le général François Lecointre a déchiré sa veste d’apparat en montant dans le véhicule présidentiel : l’entreprise calaisienne l’a remplacée en moins de vingt-quatre heures.

Deuxième exemple récent, la perte de marché de Protecop au profit d’une entreprise irlandaise n’est pas pour nous rassurer. Là où dix sous-traitants français auraient pu vivre d’un marché de 300 000 gilets pare-balles – c’est d’actualité –, l’Irlandais assure sa production en Asie.

Que dire de la situation d’Ascoval, à Saint-Saulve, aciérie de près de 300 salariés qui est en redressement judiciaire depuis janvier dernier ? Deux repreneurs se sont positionnés, mais l’actionnaire principal, Vallourec, propose un tarif d’achat de l’acier produit très inférieur au prix du marché et insuffisant pour garantir le modèle économique d’Ascoval. Or l’État détient 16 % du capital de Vallourec ; il est donc en mesure de peser dans les négociations.

Pour finir avec un exemple national, je rappellerai le retard pris dans la résolution de la situation d’Alstom et les attentes fortes à l’égard de l’État, qui reste plus que silencieux, alors que des rumeurs de repreneurs chinois circulent.

Aussi, j’aimerais connaître quelles mesures le Gouvernement entend mettre en œuvre pour respecter l’engagement du Président de la République de maintenir une industrie forte et compétitive pour notre pays, afin que nos salariés puissent, selon la formule qu’il avait employée lors de sa visite sur le site d’Ascoval, « dormir sur leurs deux oreilles ».