Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Laurent Lafon. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, aujourd’hui, notre Haute Assemblée entame l’examen d’un projet de loi dont l’objet est essentiel.

Essentiel, parce qu’il traite de la difficile et nécessaire représentation locale de l’ensemble de nos concitoyens.

Essentiel, parce qu’il touche le socle même de notre modèle démocratique.

Essentiel, enfin, parce qu’il rappelle le rôle premier de notre chambre, tel qu’énoncé à l’article 24 de la Constitution française : celui d’assurer la représentation des territoires de la République.

Assurer leur représentation, c’est accompagner les élus locaux dans l’exercice de leurs missions ainsi que dans la gestion de leur commune, dont ils connaissent mieux que quiconque les réalités, les exigences et les turpitudes du quotidien.

Accompagner les élus locaux, c’est aussi les défendre lorsqu’ils sont menacés ou lorsque certains cris d’alerte ne sont plus audibles.

En juin dernier, nos collègues Antoine Lefèvre et Patricia Schillinger ont rédigé, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, présidée par notre collègue, Jean-Marie Bockel, un remarquable rapport alertant notamment sur les difficultés rencontrées par les élus locaux dans la gouvernance des intercommunalités.

Malgré la volonté affichée de décentralisation, l’atavisme jacobin rattrape malheureusement trop souvent les 35 000 communes qui composent notre territoire. Le trouble est important pour les élus locaux, qui assurent avec beaucoup de dignité des fonctions parfois difficiles. Surtout, la nature et le rôle de l’élu s’en trouvent considérablement transformés.

Ces dernières années, nous avons bien senti dans nos territoires une forme de découragement, qui a saisi de nombreux élus. Ce découragement est engendré par le décalage entre l’envie d’agir des élus et les trop nombreux obstacles auxquels ces derniers doivent faire face, se sentant souvent trop seuls face à la complexité de nos organisations institutionnelles et la diminution des moyens de nos collectivités territoriales.

Les fonctions que nous occupons aujourd’hui au Sénat, celles que nous exercions hier dans nos communes, comme maires, adjoints au maire, conseillers municipaux, départementaux ou régionaux, nous ont placés quotidiennement au contact de la France des élus locaux, de l’engagement, du courage et de la prise de risque, celle des communes, grandes et petites, celle des petits bourgs, des communautés d’agglomération et des métropoles.

C’est pourquoi nous mesurons, mieux que d’autres peut-être, le gâchis des énergies contenues dans nos territoires. Disons-le clairement : depuis cette position privilégiée, à cette tribune comme dans les allées des marchés, nous mesurons à quel point la volonté, l’abnégation et le sens du mouvement se heurtent à chaque instant aux forces du statu quo.

Non, gouverner un pays où il existe 258 variétés de fromages n’est pas chose facile. (Sourires.) Sur ce plan, les échanges constructifs entre le Gouvernement, quel qu’il soit, et le Sénat sont une école de réalisme : on n’administre pas un pays contre ses élus locaux.

Oui, la condition de nos élus locaux se dégrade. De nombreux exemples nous l’ont malheureusement montré.

D’abord, les efforts à fournir pour assurer une fonction dont l’indemnisation est faible au regard du temps consacré et des efforts consentis sont considérables. Surtout, la délégation de compétences aux EPCI et la diminution des moyens mis à la disposition des communes nourrissent les tensions, les incompréhensions et, à terme, les divisions entre les élus et leurs administrés, dont les problématiques, aux facteurs éminemment locaux, trouvent rarement une réponse simple, concrète et efficace.

La dégradation de la fonction d’élu doit être une préoccupation majeure pour notre assemblée, parce que nous sommes les représentants des élus, mais aussi et surtout parce qu’une remise en cause du rôle de l’élu local est une mise à mal de notre socle démocratique.

L’élu local et la commune étaient au cœur des grandes avancées vers la décentralisation de notre pays. Les lois Defferre constituèrent des avancées considérables pour la démocratie. Les récentes tentatives de décentralisation sont, elles – il faut le reconnaître –, bien plus floues. En effet, la décentralisation a conduit à un enchevêtrement des compétences, qui obscurcit les réalités et dilue les responsabilités.

Aujourd’hui, posons-nous les bonnes questions. Quel élu voulons-nous pour demain ? Celui-ci doit-il être un professionnel, un expert, ou doit-il rester un représentant des habitants ? L’élu de demain devra-t-il renoncer définitivement à toute carrière professionnelle ? Devra-t-il appliquer des directives venues d’« en haut », sans aucune prise avec le quotidien d’« en bas » ? Le texte que nous étudions aujourd’hui vise à apporter des réponses à ces questions.

Mes chers collègues, le Gouvernement reprend les travaux préliminaires du Sénat et défend le texte en première lecture devant nous. Cela témoigne, madame, monsieur les ministres, d’une confiance en la capacité de notre assemblée à se saisir de sujets aussi importants pour la démocratie locale. C’est dans cet esprit de confiance et de proximité que nous assumerons pleinement notre rôle.

Je tiens évidemment à saluer le remarquable travail réalisé par nos deux rapporteurs, Mathieu Darnaud et Françoise Gatel, qui ont permis à la commission des lois d’améliorer significativement le texte qui nous est soumis aujourd’hui.

Tout d’abord, le projet de loi renforce le maire au sein de l’intercommunalité. Il apporte, au titre Ier, la nécessaire clarification du rôle des maires dans les EPCI, à travers la possibilité d’élaborer un pacte de gouvernance ainsi qu’une conférence des maires.

Ensuite, les pouvoirs de police du maire et les libertés locales sont renforcés. Le sentiment d’impuissance face à certaines incivilités est réel. Dès lors, il est urgent d’accorder à cet élu un pouvoir de sanction réglementé et, bien entendu, délimité.

L’article 20 est également louable, en ce qu’il permettra aux relations entre la commune et l’État d’aller de l’avant et de connaître davantage de fluidité.

Enfin, le dernier titre du texte entend mieux accompagner l’élu dans l’exercice de ses fonctions comme de sa carrière professionnelle. C’est un point fondamental. L’exercice d’un mandat permet d’acquérir de nombreuses compétences. Celles-ci doivent être reconnues.

Une élection ne peut plus être un frein ou une parenthèse dans une carrière professionnelle. À ce titre, les actions de réinsertion doivent faire partie des formations financées sur les budgets locaux, dans l’enveloppe de formation déjà prévue par le code général des collectivités territoriales.

Il s’agit ainsi d’encourager la réinsertion des élus, et donc la fluidité de leur carrière professionnelle. Nous aurons l’occasion d’y revenir durant le débat. En pratique, ces formations restent très peu mobilisées. Les élus locaux doivent être mieux accompagnés dans leur reconversion professionnelle, notamment par la validation des acquis de l’expérience, la VAE. Il s’agit d’assurer la cohérence entre cet outil de formation et le DIF.

Enfin, saluons la volonté d’avancer sur la question des indemnités. Même si le sujet est sensible, parler de l’engagement des élus sans l’aborder aurait été une erreur.

Ce texte se veut une réponse au mal-être des élus. Il ne réglera pas la question dans son intégralité : les problèmes sont si divers que la réponse ne peut être unique.

Madame, monsieur les ministres, vous affirmez l’ambition de clarifier le rôle de l’élu dans un cadre qui a évolué et de concevoir l’élu local que nous voulons pour demain. Notre société ayant changé, les élus locaux, eux aussi, sont amenés à évoluer. Ils aspirent désormais à plus d’autonomie et de responsabilité, dans tous les domaines. Cela est encore plus vrai des nouvelles générations qui arrivent.

Par plaisanterie, on a pu dire de la politique qu’elle était l’art d’empêcher les gens de s’occuper de leurs propres affaires. Il nous faut aujourd’hui faire tout le contraire. L’exigence pour les prochaines années, c’est la redistribution des pouvoirs. Or il n’y aura pas de partage des pouvoirs sans véritable décentralisation. Le mot reste cependant ambigu : il accrédite l’idée que les pouvoirs viennent d’en haut et que c’est le sommet de l’État qui décentralise « ses » pouvoirs au profit des collectivités territoriales. La décentralisation cache souvent une simple déconcentration des pouvoirs. Il nous faudra remettre la décentralisation à l’endroit.

Ce texte peut être une première pierre à l’édifice. Les échanges qui suivront doivent viser à présenter une analyse de la situation, à donner du sens à notre action et à montrer sur quoi peuvent déboucher les efforts de nos élus. Ils aboutiront, je l’espère, à affirmer une vision optimiste, et non à élaborer un énième texte sur le statut des élus.

Il ne tient qu’à nous de faire de ce projet de loi, à la veille des élections municipales, une réponse aux personnes, déjà élues, qui se demandent si elles seront candidates à un nouveau mandat, et à celles, pas encore élues, qui se posent la question de leur présence sur une liste municipale.

Simplifier la gestion de nos communes, élargir de nouveau le champ des possibles pour les élus, redonner du sens et de l’envie à l’engagement : tels sont les trois enjeux des débats que nous entamons aujourd’hui. Sachons saisir l’occasion d’y apporter des réponses appropriées. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Marc Boyer. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, chers collègues, les premiers mots de l’intitulé de ce projet de loi mettent en valeur « l’engagement dans la vie locale ».

Au regard de ce réel engagement quotidien, le premier constat est que nos élus locaux ne sont pas entendus, voire qu’ils sont méprisés : je pense, par exemple, au hashtag #BalanceTonMaire… Mes propositions visent à rendre hommage à nos maires, à nos élus locaux, afin de les valoriser et de susciter des vocations. Ils sont avant tout enracinés dans leurs territoires, dévoués à leurs concitoyens et passionnés par la vie publique. Donnons-leur la reconnaissance qu’ils méritent !

Le deuxième constat est que les élus dans leur ensemble sont fustigés sur les réseaux sociaux et par certains médias. Ces dernières années, une médiatisation à outrance de quelques affaires a terni l’engagement quotidien et désintéressé des quelque 35 000 maires de France. Il est impératif de communiquer sur cet engagement au service du bien commun.

Troisième constat, face aux grandes intercommunalités, nos élus se sentent exclus, privés de parole, et donc démotivés. Il faut redonner la parole aux maires des petites communes, leur accorder la place qui doit être la leur pour qu’ils puissent répondre au mieux aux besoins de leur territoire.

Le quatrième constat est relatif aux transferts de compétences. Nos maires se sentent déshabillés. Il est essentiel de redonner du pouvoir de décision à nos élus. Je salue à cet égard le travail de nos rapporteurs. Fidèle à l’esprit du Sénat et à sa connaissance du terrain, la commission a supprimé le transfert obligatoire de la compétence en matière d’eau et d’assainissement – une aberration que nous n’avons de cesse de dénoncer. Le Gouvernement entendra-t-il raison à ce sujet ?

Le cinquième constat concerne les indemnités et leur caractère dérisoire au regard des responsabilités des maires de nos petites communes, taillables et corvéables à merci vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La reconnaissance passe aussi par la revalorisation de leurs indemnités, que je demandais déjà au travers de la proposition de loi de septembre 2018 pour une juste indemnisation des élus municipaux des petites communes.

De nombreux élus locaux vivent, selon leurs propres mots, un « véritable malaise » et une « crise des vocations ». En effet, le poids des responsabilités et la complexité de leurs missions n’ont cessé de croître, alors que leur statut, notamment leur indemnisation, n’a pas évolué en parallèle. Ce projet de loi peut nous permettre d’y remédier, et je remercie les rapporteurs pour leur travail sur ce sujet. Garder les trois premières strates actuelles, telles qu’adoptées en commission, me paraît aussi nécessaire pour la cohérence et l’acceptation de la valorisation indemnitaire.

Cette reconnaissance passe aussi par certains symboles, notamment quand d’autres élus locaux et nationaux en bénéficient déjà. Je pense ici à la cocarde tricolore, que nos maires ne peuvent rendre visible dans leur véhicule sous peine d’être verbalisés, comme le fut le plus ancien maire de mon département, après cinquante ans de mandat… Madame la ministre, il s’agit ici du champ réglementaire : pourriez-vous faire évoluer cette pratique afin de bien marquer le respect dû à la fonction de maire ?

Mon sixième constat est celui de l’impunité ou en tout cas du sentiment d’impunité des agresseurs de nos maires. La récente consultation sénatoriale auprès de nos édiles montre que ces faits divers sont une réalité trop répandue. Nos maires, pourtant officiers de police judiciaire, vivent mal le classement sans suite de plaintes et les procédures judiciaires sans fin, alors que la responsabilité pénale du maire est trop souvent engagée. Madame la ministre, pouvez-vous vous saisir du sujet avec votre collègue Mme la garde des sceaux, afin que les plaintes soient prises en considération, que les sanctions soient exemplaires, que justice soit faite ?

Mon septième constat est celui du manque de sécurité, qui entraîne une crise des vocations. Certes, être élu n’est pas un métier ; toutefois, pour susciter des vocations, il faut rendre la fonction plus respectée et attractive. Le sujet de la formation des élus est primordial : il importe de permettre à l’élu de poursuivre une carrière professionnelle qu’il a sacrifiée ou ébréchée pendant son mandat. Il faut aussi faciliter la mise en disponibilité, pour l’exercice de leur mandat, aux élus salariés du privé, sur les mêmes bases que pour les agents de la fonction publique. La problématique est abordée dans le projet de loi, mais celui-ci renvoie à des ordonnances.

Enfin, à propos de proximité, on ne peut que déplorer, en tant qu’élu de la Nation, la fin du cumul entre un exécutif local, particulièrement dans une petite commune, et un mandat de parlementaire. Ce cumul permettait, comme le dit si justement mon collègue Rémy Pointereau dans sa proposition de loi visant à garantir une République de proximité en rendant possible le cumul de mandats, de renforcer le lien unissant les territoires à leurs représentants nationaux.

Madame, monsieur les ministres, mes chers collègues faisons en sorte que le texte qui sortira des travaux du Sénat soit à la hauteur des attentes de nos maires ! C’est l’intérêt général qui guide l’action de nos élus locaux : leur engagement mérite une reconnaissance pleine ; cela est légitime et juste ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylviane Noël. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sylviane Noël. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, j’ai été maire d’une commune rurale de 450 habitants durant dix années : cette expérience ne me quitte pas et nourrit chaque jour mes réflexions et mon travail de législateur.

C’est vous dire combien j’étais sinon impatiente, du moins curieuse, madame, monsieur les ministres, de découvrir le grand projet de loi annoncé par le Gouvernement et destiné – je cite l’exposé des motifs – « à lutter contre la fracture territoriale » et « à réconcilier la métropole, la ville moyenne et le rural » : rien de moins !

Personne n’est dupe de cette « opération séduction » lancée à quelques mois des élections municipales, et il faudra bien plus qu’un projet de loi pour renouer la confiance avec les maires et les élus locaux.

Ainsi, il aura fallu la crise des « gilets jaunes » pour que l’exécutif se rende enfin compte des difficultés rencontrées au quotidien par les maires, expliquant pourquoi un maire sur deux déclare ne pas vouloir se représenter lors des élections municipales de mars 2020.

Oui, les communes sont le socle de la République, les maires sont les premiers agents de l’État sur le territoire : un État qui, sans les élus locaux, serait bien en peine de préserver la cohésion sociale.

Aujourd’hui, pardon de le dire, ils sont bien mal payés en retour avec ce projet de loi. En effet, malgré les intentions affichées par le Gouvernement, le compte n’y est pas : rien sur les baisses de dotations de l’État, ni sur la suppression de la taxe d’habitation, qui bat en brèche l’autonomie financière des collectivités territoriales, pourtant inscrite dans la Constitution ; peu de choses sur les intercommunalités « XXL » et rien sur les super-régions qui éloignent le pouvoir du terrain et laissent les élus communaux seuls en première ligne ; service minimum sur l’assouplissement maintes fois annoncé de la loi NOTRe ; rien sur l’acte III de la décentralisation que réclament en vain les associations représentatives des communes, des départements et des régions ; surtout, rien sur ce qui constitue le vrai problème, à savoir qu’avec la réforme territoriale et la priorité donnée au couple intercommunalité-région, avec la marche forcée vers les grandes intercommunalités, la légitimité technique par la compétence est, peu à peu, en train de remplacer la légitimité politique par le suffrage. Place aux « technotables » !

Telle est la vérité du malaise des élus locaux, et pas seulement des maires. Vous dites vouloir donner plus de pouvoirs aux maires, mais ce n’est pas en les autorisant à fermer les débits de boissons à la place des préfets que vous rétablirez la confiance. Cela conduira surtout à soulager une fois de plus les services de l’État d’une tâche subalterne et à placer les maires dans des situations délicates.

Donner des pouvoirs aux maires ? Mais pour faire quoi, et avec quels moyens ? Ce que nos collègues élus locaux réclament, c’est déjà de pouvoir disposer de moyens suffisants pour exercer leurs responsabilités actuelles. Commençons par là : ce serait déjà bien. C’est en tout cas que m’ont répondu les maires de la Haute-Savoie que j’ai pris soin de consulter sur la base de votre projet de loi et dont je me fais l’interprète aujourd’hui.

Enfin, à quoi bon vouloir légiférer tout le temps et sur tout ? Je fais ici référence au projet de pacte de gouvernance et à la conférence territoriale des maires, qui se pratiquent déjà sous des formes diverses sur le terrain sans qu’il soit besoin de loi pour cela, tout simplement parce que la solidarité entre les territoires et la confiance entre les élus locaux ne décrètent pas, mais se vivent au quotidien.

Le vécu quotidien des maires et de leurs adjoints – ne les oublions pas –, c’est souvent le choix de ne pas percevoir ses indemnités pour ne pas grever un budget communal déjà faible. À cet égard, le relèvement du plafond des indemnités que vous proposez et dont vous laissez la modulation à la discrétion des maires est une réponse insuffisante.

Le vécu quotidien des maires et des adjoints, c’est la difficulté à concilier vie professionnelle, vie familiale et mandat électif, en particulier pour les femmes, nombreuses à être engagées dans la vie publique locale.

Le vécu quotidien des maires et de leurs adjoints, c’est le maintien coûte que coûte d’un service de proximité et de qualité répondant aux besoins de leur population. Quand j’entends le Gouvernement annoncer la création de plusieurs milliers de maisons des services au public, tout en laissant leur fonctionnement futur à la charge des communes, je réponds qu’il existe déjà près de 35 000 maisons des services au public en France : cela s’appelle les mairies !

Le vécu des maires et des adjoints, c’est le temps qui manque pour se former et la difficulté à conserver une activité professionnelle régulière et, le cas échéant, à retrouver une activité ou à se reconvertir en fin de mandat.

Sur tous ces points, je ferai des propositions, notamment pour étendre le bénéfice du temps partiel, pour instaurer un fonds visant à financer des prêts pour les anciens élus désireux de créer leur entreprise ou pour que soit pris en compte, au titre du calcul des droits à la retraite, le temps consacré bénévolement à la collectivité et au public.

Madame, monsieur les ministres, nous autres montagnards sommes des taiseux ; nous ne donnons pas notre confiance comme cela, nous jugeons aux actes. Comme se plaisait à le dire Churchill, « que la stratégie soit belle est un fait, mais n’oubliez pas de regarder le résultat » ! Comme beaucoup de mes collègues, j’attendrai donc de voir quelle suite vous réserverez aux propositions du Sénat pour me prononcer. Il ne tient qu’au Gouvernement de faire en sorte que ce débat ne soit pas une occasion manquée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, comme le soulignait fort justement le président de la Haute Assemblée, Gérard Larcher, « le temps est venu de recréer des ponts entre les collectivités territoriales et l’exécutif ». En effet, le lien de confiance entre les élus locaux et l’État a été fortement et durablement endommagé. Disons-le sans ambages, il ne tient plus qu’à un fil.

Les dégâts occasionnés par le chamboule-tout des réformes territoriales bâclées, le diktat des contraintes financières étranglant l’autonomie fiscale locale, les ravages causés par les mensonges de la Conférence nationale des territoires, l’ignominie du hashtag #BalanceTonMaire doivent être réparés maintenant ! (M. Jackie Pierre applaudit.)

En point d’orgue de cette vertigineuse dégradation, la grave crise dite des « gilets jaunes » est venue stopper net l’arrogance du « nouveau monde » et a plongé le pouvoir dans la crainte et la fébrilité. Après avoir fait un chèque sans provision de plus de 10 milliards d’euros pour acheter la paix sociale, le Président de la République s’est lancé avec frénésie dans un tour de France des élus locaux, ne comptant plus son temps, prenant force notes et découvrant enfin les vertus de la proximité. « En même temps », il n’avait pas le choix, parce que c’est aux fantassins de la République, aux élus eux-mêmes qu’il faut redonner confiance, et ce maintenant. Il est indispensable de leur apporter l’appui de la Nation qu’ils incarnent au quotidien auprès de nos concitoyens, de leur signifier que la confiance des Français, dont plus de 80 % ont une image positive de leur maire, se traduit en actes, en clair qu’on ne les laisse pas tomber.

Est-ce réellement pour atteindre cet objectif que le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique nous est présenté aujourd’hui ? D’un naturel optimiste, je me plais à le croire. Car oui, la situation est devenue intenable pour les élus locaux, les maires en tête. Entre sentiment d’abandon et absence de reconnaissance, ces derniers ont exprimé récemment un sentiment d’usure et d’impuissance encore jamais éprouvé jusqu’alors.

Au Sénat, conformément à la responsabilité que nous confère l’article 24 de la Constitution, nous avions entendu de longue date les appels au secours montant des territoires. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui reprend d’ailleurs un grand nombre des positions tenues par le Sénat depuis plusieurs années, notamment sur l’articulation communes-EPCI ou encore sur les conditions d’exercice des mandats. Il était plus qu’urgent d’agir !

Apportant la preuve tangible que la vision du Sénat n’est pas « datée », sous l’impulsion de son président Philippe Bas, que je veux ici saluer, la commission des lois a lancé, de manière inédite, une vaste consultation des maires, des adjoints et des conseillers municipaux bénéficiant d’une délégation de fonctions. Les résultats n’ont pas tardé à remonter du terrain, en France métropolitaine et dans les territoires d’outre-mer.

La commission des lois a donc logiquement pris en compte leurs justes demandes et amendé profondément le projet de loi Engagement et proximité. Sur tous les points sur lesquels le texte initial avait été jugé timoré ou frileux par les associations d’élus, nous avons ajouté des dispositions nettement plus ambitieuses. Comme le soulignait Mathieu Darnaud voilà quelques instants, il ne s’agit évidemment pas d’opposer communes et intercommunalités, mais il est grandement nécessaire de rappeler que la commune est la porte d’entrée de l’intercommunalité, et non l’inverse.

C’est ainsi que nous avons entendu le souhait mille fois répété des associations d’élus de voir supprimer purement et simplement le transfert obligatoire de la compétence en matière d’eau et d’assainissement dans les communautés de communes et d’agglomération. Il ne s’agit plus là du mécanisme limité et compliqué proposé au travers du texte initial, mais d’une solution simple et efficace.

En ce qui concerne le renforcement des pouvoirs de police du maire, nous proposons notamment d’augmenter fortement le montant des amendes pouvant accompagner une astreinte et de codifier la possibilité d’interdire la vente de boissons alcoolisées la nuit dans les communes.

C’est à nous qu’il revient de faire en sorte que des orientations fermes de politique pénale en cas d’agression d’élus locaux soient diffusées à l’ensemble des parquets. C’est à nous de faire en sorte que les conditions de mutualisation des polices municipales soient assouplies.

Mes chers collègues, chacun d’entre nous le sait personnellement, la vie politique est ardue, chronophage et souvent ingrate. Mais chacun d’entre nous sait aussi qu’elle offre toutes les richesses d’un engagement humain au service de l’intérêt général, d’un projet de territoire, d’une Nation. Il est du devoir de notre démocratie de protéger ceux qui représentent la République ; la République doit aussi savoir se faire respecter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Max Brisson. Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, Jean-Raymond Hugonet ayant déblayé le terrain et Roger Karoutchi évoqué Louis XIV, Bonaparte et Clemenceau, il ne me reste plus qu’à vous parler de ce que je connais, c’est-à-dire des Pyrénées-Atlantiques ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mon département abrite la plus grande communauté d’agglomération de France par le nombre de communes membres : 158, pour 238 conseillers communautaires. (Même mouvement.)

« En même temps », comme dirait le Président de la République, en Béarn, la communauté de communes de la vallée d’Ossau ne compte, elle, que 18 communes.

Certes, dans un cas comme dans l’autre, c’est la volonté des élus qui s’est exprimée, à de larges majorités : en Pays basque, elle était le puissant écho d’une volonté d’existence institutionnelle ; en Béarn, c’est l’esprit montagnard et « valléen » qui s’est manifesté.

Au-delà de ces contingences locales, ces exemples démontrent que le découpage intercommunal recouvre aujourd’hui des réalités bien différentes. Or la législation n’a jamais été adaptée à cette diversité des situations.

En effet, sous le quinquennat précédent, deux courbes ont été prolongées sans jamais qu’elles se rencontrent, avec, d’une part, le meccano institutionnel de la loi NOTRe, qui fut tout sauf l’acte III de la décentralisation, cher Éric Kerrouche, et, d’autre part, l’énergie déployée par les préfets pour établir de vastes intercommunalités, parfois en recourant au « passer outre », c’est-à-dire en passant outre la volonté des élus.

Pourtant, en 1981, Gaston Defferre soulignait que « c’est bien servir la France que de permettre aux élus de décider sur place des solutions à apporter aux problèmes qu’ils connaissent mieux que quiconque ». A-t-on continué dans cette voie au cours des dernières années ? Hélas, non ! Bien au contraire, la tentation recentralisatrice a pris le dessus.

L’actuel gouvernement n’y fut pas insensible – c’est le moins qu’on puisse dire –, comme l’a souligné Jean-Raymond Hugonet. En atteste la contractualisation, dont l’esprit est jacobin dans son essence, et la méthode infantilisante.

Mes chers collègues, comme vous, c’est donc avec un certain plaisir que j’ai accueilli les orientations de ce projet de loi, qui reprennent largement les travaux du Sénat. Ce texte ne règle pas tout, mais il recherche, pour la première fois depuis longtemps, un nouvel équilibre entre la commune et l’intercommunalité. Il vise à une meilleure participation des maires à la gouvernance des intercommunalités, renouant ainsi avec une vision essentielle : la commune est le premier lieu où se vit la démocratie. L’intercommunalité relève d’une dynamique territoriale, elle ne saurait être une instance surplombant les communes et leur imposant ses décisions.

Madame la ministre, le projet de loi que vous présenterez prochainement pourrait être l’occasion d’aller plus loin en mariant, dans les intercommunalités « XXL », cohérence des politiques publiques à grande échelle et proximité dans la gestion grâce aux pôles territoriaux.

Enfin, en bon girondin et élu du Pays basque que je suis, j’avoue aussi attendre de votre texte un nouvel et réel acte de décentralisation et la traduction d’une volonté sincère d’installer solidement dans notre pays le droit à la différenciation.

Je dois le dire, cette attente forte a été largement refroidie par le discours du Premier ministre à Bordeaux. Madame, monsieur les ministres, merci de la réchauffer ! Vous pourrez compter sur l’expertise du Sénat pour débattre de ce projet de loi avec responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)