M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, l’agriculture s’apprête à connaître une restructuration sans précédent. Pour des raisons démographiques, dans les trois prochaines années, sur les 450 000 chefs d’exploitation recensés par la Mutualité sociale agricole, pas moins de 160 000 vont arriver à l’âge de la retraite. Cela représente plus du tiers des effectifs et quelque 55 000 départs d’agriculteurs par an. En regard, le nombre des installations varie, bon an mal an, de 12 000 à un peu plus de 14 000 depuis dix ans. Les filles et fils d’agriculteurs, dont tous ne reprennent évidemment pas l’exploitation familiale, ne peuvent relever seuls le défi du renouvellement des générations et du remplacement des agriculteurs partant à la retraite.

Dans ce contexte, la politique de régulation de l’exploitation du foncier et le contrôle des structures apparaissent secondaires. N’est-il pas plutôt nécessaire de trouver des agriculteurs, autrement dit de susciter des vocations, plutôt que de s’arc-bouter sur l’attribution la plus égalitaire possible du droit d’exploiter le foncier entre les agriculteurs en place, alors même qu’une exploitation agricole repose sur un projet économique permettant de dégager un revenu décent, et non sur un nombre d’hectares ?

Au regard de ce nouveau contexte foncier et de ces enjeux, ne croyez-vous pas nécessaire, monsieur le ministre, de simplifier les conditions d’application du contrôle des structures, dès lors que, dans la plupart des régions, il n’y aura pas pénurie de terres à cultiver et que la réussite d’une entreprise agricole dépend peu de son nombre d’hectares ? Jugez-vous nécessaire de faire des installations, tout particulièrement celles de jeunes non issus du milieu agricole, une priorité, dès lors qu’elles sont indispensables au renouvellement des générations d’agriculteurs ? Enfin, estimez-vous possible de mieux maîtriser les agrandissements excessifs en contrôlant plus efficacement les prises de participation dans les sociétés d’exploitation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le sénateur Hugonet, je répondrai à vos trois questions par l’affirmative.

Nous avons bien entendu identifié la nécessité de renforcer les outils propres à favoriser l’installation des jeunes agriculteurs, y compris hors cadre familial. Il faut savoir que la plupart des jeunes agriculteurs qui s’installent aujourd’hui le font hors cadre familial. Nous travaillons sur le répertoire des départs et des installations que vous appelez de vos vœux.

Il est effectivement envisagé, dans le cadre de la concertation, de simplifier le contrôle des structures pour le concentrer sur les opérateurs à enjeu. Ce contrôle est évidemment indispensable, mais nous voulons le faire évoluer.

Enfin, concernant là encore l’installation des jeunes, nous avons inversé la tendance à la baisse des effectifs dans l’enseignement agricole. Un bus partant du salon de l’agriculture sillonnera la France pour promouvoir la profession d’agriculteur. Par ailleurs, dans le cadre de l’Agenda rural, nous travaillons à rendre plus attractifs certains territoires.

Je l’ai déjà indiqué : les Safer ont contribué à l’installation de plus de 1 600 jeunes exploitants, sur un nombre total de 15 000. Leur rôle est donc important.

Je souhaiterais maintenant compléter la réponse que j’ai faite à M. Cabanel au sujet du financement des Safer.

Les Safer se rémunèrent sur les opérations qu’elles réalisent en France métropolitaine. Elles n’ont pas forcément besoin de plus d’argent en provenance du budget de l’État ; ce n’est d’ailleurs pas une demande qui nous est faite. En revanche, les besoins sont très importants pour l’outre-mer –Mme Jasmin peut en témoigner –, où l’État aide financièrement les Safer.

Enfin, je tiens à remercier M. Malhuret et le groupe qu’il préside pour ce débat, que je crois vraiment important. Il montre la profonde unanimité et la vision globale de la Haute Assemblée sur ces sujets. On a fait, dans le passé, des sottises, mais il faut éviter de regarder avec nos yeux d’aujourd’hui ce qui s’est fait hier. Nous n’abordions pas du tout, alors, ces questions de la même façon, qu’il s’agisse de réaliser des lotissements dans les communes ou de faire des investissements. Comme pour les grands ensembles dans nos villes, la réflexion n’était pas la même qu’aujourd’hui. Ce qui m’importe, pour ma part, c’est de regarder avec les yeux d’aujourd’hui ce qui se fera demain et d’essayer d’éviter de reproduire les mêmes erreurs. Je ne sais pas quelle France je veux dans trente ans, mais je sais quelle France je ne veux pas. Je pense que nous pouvons tous nous retrouver sur ce point.

En tout cas, je remercie le groupe Les Indépendants d’avoir inscrit ce débat ô combien important et de très haute tenue à l’ordre du jour de cet après-midi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, RDSE et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le ministre, je constate avec plaisir que, pour une fois, nous sommes sur la même longueur d’onde : profitons-en ! Espérons que le salon de l’agriculture sera l’occasion d’envoyer les messages que vous avez évoqués afin de susciter de nouvelles vocations.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe auteur de la demande.

M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. « Que le souverain et la Nation ne perdent jamais de vue que la terre est l’unique source des richesses et que c’est l’agriculture qui les multiplie. Car l’augmentation des richesses assure celle de la population ; les hommes et les richesses font prospérer l’agriculture, étendent le commerce, animent l’industrie, accroissent et perpétuent les richesses. »

Telle est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la maxime que posait François Quesnay à la fin du XVIIIe siècle. Avec lui, les physiocrates fondaient leur réflexion économique et politique sur la valorisation du foncier agricole, terreau fertile pour nos libertés individuelles.

Le sujet qui nous intéresse aujourd’hui se trouvait donc déjà au fondement de notre développement économique, et sur ce fondement s’enracinaient deux piliers qui structurent encore notre société : la propriété privée des moyens de production et la liberté d’entreprendre.

La question du foncier agricole, si elle demeure d’une actualité décisive pour nos agriculteurs, se trouve cependant aujourd’hui en tension avec les grands enjeux de notre siècle, au premier rang desquels figure bien évidemment le défi climatique.

Cette question intéresse donc bien au-delà du monde agricole. Elle fait surgir des problèmes nouveaux qui appellent de solutions nouvelles. Et pour cause : les termes du débat ont radicalement changé depuis la fin du XVIIIe siècle.

Comme cela a été rappelé au cours du débat, la question du foncier agricole doit trouver à s’articuler avec notre capacité collective à nous alimenter, à opérer la transition énergétique, à préserver les écosystèmes, à fournir des logements pour une population en croissance continue, à recevoir des infrastructures pour le développement des nouvelles technologies, à faciliter la mobilité de nos concitoyens et, bien sûr, à garantir des revenus décents pour nos agriculteurs.

Cet inventaire à la Prévert ne peut que renforcer une conviction que – j’ose le croire – nous partageons tous sur ces travées : la question du foncier agricole est d’une complexité rare. Elle fait se conjuguer, parfois de manière conflictuelle, des objectifs que nous aimerions pouvoir poursuivre de manière parallèle. Cette complexité nous oblige ainsi à opérer des choix difficiles.

C’est pour cette raison que notre groupe a opté pour un débat plutôt que pour une proposition de loi. Non qu’un texte de loi ne soit pas nécessaire pour répondre aux défis que nous avons collectivement identifiés – je crois en effet qu’une action législative sera tôt ou tard indispensable –, mais nous estimons plutôt que la question du foncier agricole est trop complexe pour que l’on puisse prétendre la résoudre par des solutions trop simples.

Notre travail parlementaire a déjà permis d’identifier de nombreuses pistes d’action pour préserver et valoriser le foncier agricole. Le Gouvernement a également précisé sa vision des problèmes sous-jacents et les solutions qu’il entend mettre en œuvre. Enfin, les acteurs de terrain se mobilisent dans les territoires pour nous faire remonter leurs opinions et leurs propositions sur la question.

Afin de préserver nos terres agricoles et de limiter l’artificialisation de nos sols, le législateur devra très certainement veiller à ce que la Nation protège ce foncier au même titre qu’elle s’attache déjà à protéger la biodiversité et les forêts de notre pays, en refusant de hiérarchiser ces priorités.

Telle est l’ampleur de la tâche qui se trouve devant nous. Nous devrons nous y atteler rapidement. Mise en valeur du foncier agricole, portage, transmission, rénovation de la régulation, retraites anticipées, fluidification du dialogue entre les différentes parties prenantes du terrain : les sujets ne manquent pas et ils intéressent le Sénat au premier chef. Le groupe Les Indépendants poursuivra ses travaux dans ce sens afin d’apporter des solutions concrètes aux défis du foncier agricole.

Pour l’heure, je voudrais remercier chaleureusement nos collègues de tous les groupes pour leur participation à ce débat. Je voudrais vous remercier plus particulièrement, monsieur le ministre, pour les réponses que vous nous avez apportées sur les sujets que j’évoquais à l’instant et sur bien d’autres. Je voudrais enfin remercier nos collègues Alain Fouché et Franck Menonville, à l’origine de ce débat dont nous voyons bien, à son issue, à quel point il était nécessaire. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Le foncier agricole : les outils de régulation sont-ils toujours pertinents ? »

8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 18 février 2020 :

À neuf heures trente :

Trente-six questions orales.

À quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :

Débat sur la politique familiale ;

Débat portant sur « l’irresponsabilité pénale » ;

Débat sur les risques naturels majeurs outre-mer ;

Débat sur le thème « Quelle doctrine d’emploi de la police et de la gendarmerie dans le cadre du maintien de l’ordre ? ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures cinq.)

 

nomination de membres dune commission denquête

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai prévu par larticle 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.

Commission spéciale sur le projet de loi daccélération et de simplification de laction publique (trente-sept membres)

Mmes Viviane Artigalas, Martine Berthet, MM. Yves Bouloux, Max Brisson, Bernard Buis, François Calvet, Thierry Carcenac, Mmes Maryse Carrère, Marta de Cidrac, M. Pierre-Yves Collombat, Mmes Josiane Costes, Cécile Cukierman, M. René Danesi, Mme Catherine Di Folco, M. Michel Forissier, Mme Catherine Fournier, M. Jean-Michel Houllegatte, Mme Corinne Imbert, MM. Claude Kern, Éric Kerrouche, Mmes Christine Lavarde, Anne-Catherine Loisier, M. Jean-François Longeot, Mme Vivette Lopez, M. Jean Louis Masson, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, Angèle Préville, MM. Didier Rambaud, Claude Raynal, Alain Richard, Mme Sylvie Robert, MM. Bruno Sido, Jean Sol, Jean-Pierre Sueur, Mme Sylvie Vermeillet et M. Dany Wattebled.

 

nomination dun membre dune commission spéciale

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi daccélération et de simplification de laction publique.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Jean-Raymond Hugonet est membre de la commission spéciale chargée dexaminer le projet de loi daccélération et de simplification de laction publique en remplacement de Mme Marta de Cidrac, démissionnaire.

 

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication