Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots iront à M. Retailleau et à ses collègues du groupe Les Républicains, que je tiens à remercier de cette proposition de loi. Son examen nous permet d’évoquer plusieurs sujets intéressant nos compatriotes résidant à l’étranger, ceux-là mêmes que notre ancien collègue Jean-Pierre Cantegrit avait baptisés « la troisième France » dans le livre qu’il leur avait dédié.

Au terme de neuf semaines de confinement passées à mon domicile au Royaume-Uni, je veux commencer mon propos en adressant mes pensées chaleureuses et solidaires aux malades du Covid-19 et toute ma compassion aux personnes endeuillées.

À l’étranger, nombre de nos compatriotes sont plongés dans de grandes difficultés. Certains ont perdu leur emploi, d’autres ont dû fermer leur entreprise. Dans quelques pays, un environnement sanitaire qui demeure inquiétant ajoute à l’angoisse. La rareté des liaisons aériennes bloque toujours à l’étranger nombre de nos compatriotes qui ont besoin de rentrer au pays.

Aussi, au moment où je me retrouve dans cet hémicycle, après plus de deux mois de travail à distance, je veux dire à ceux qui sont dans la difficulté que mes pensées sont tournées vers eux.

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai apprécié votre discours et les efforts que vous avez déployés, depuis votre nomination à ce poste, pour servir les Français de l’étranger, mais je souhaite également vous faire savoir que les diverses déclarations du Gouvernement, depuis le début de ce mois, quant à une quarantaine obligatoire pour tous ceux qui reviendraient de l’étranger ont été très mal perçues par nos compatriotes. De nombreux conseillers consulaires ont écrit pour s’élever contre cette mesure, qu’ils ne comprenaient pas.

Ce matin, M. Jean-Yves Le Drian a annoncé que les voyageurs, tant les Français que les résidents permanents en France, arrivant de l’étranger hors Union européenne, seraient invités à compter de demain à se soumettre à une quatorzaine sur une base volontaire. Les revirements que nous observons sur ce sujet créent un climat anxiogène, nourri d’incertitude administrative et de méfiance sanitaire. Monsieur le secrétaire d’État, pourrez-vous nous rassurer sur cette question ?

Nous comprenons le contrôle quand il est cohérent. Pour illustrer ce propos, je veux partager les formalités auxquelles j’ai dû me soumettre, hier, en revenant du Royaume-Uni. J’ai téléchargé le document qu’il est obligatoire de remplir pour rentrer sur le territoire national. Les Français doivent y faire figurer leurs noms, prénoms, adresse et date de naissance, mais aussi cocher la case : « Je suis Français ». Je peine à comprendre l’intérêt d’un tel formulaire dans la lutte menée pour restreindre la propagation du virus… Peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourrez-vous m’éclairer sur ce point.

Je tiens à présent à remercier les auteurs de cette proposition de loi de toutes les améliorations qu’elle contient, ainsi que notre rapporteur Jacky Deromedi et Christophe-André Frassa, en compagnie desquels j’ai été élu. Aussi, cela ne surprendra personne, je soutiendrai ce texte.

Si ces propositions sont appropriées, les conseillers consulaires avec qui j’ai pu converser m’ont en revanche demandé de profiter de ces quelques minutes de débat pour faire remonter leurs préoccupations prioritaires.

Le découplage entre conseils consulaires et Assemblée des Français de l’étranger n’est pas, à leurs yeux, une réussite. L’expérience montre qu’il faudrait trouver une solution pour que tous les élus consulaires puissent participer activement aux travaux de l’AFE d’une manière ou d’une autre.

Il était de la responsabilité du Gouvernement de dresser un bilan de la loi de 2013, qui avait été portée par notre présidente de séance, alors membre du Gouvernement, Mme Conway-Mouret, et de rechercher les améliorations à apporter au dispositif. Nous l’attendions ; cela n’a pas été fait, et nous le regrettons.

Par ailleurs, le problème principal auquel les élus sont confrontés relève non pas de la loi, mais de son exécution par l’administration. Des témoignages qui me remontent de toutes parts décrivent celle-ci comme un mur derrière lequel se retranchent certains employés des consulats, qui expliquent suivre des instructions de Paris dont ils n’ont pas copie.

À titre d’exemple, je veux vous livre ce témoignage : « Je n’ai jamais eu de nouvelles des îlots. Je ne sais même pas qui est chargé de l’îlot dans ma région. À chaque question, je reçois une réponse évasive. » Des élus chevronnés notent que la reconnaissance à leur égard se dégrade. L’un m’a ainsi déclaré : « Quand mon pays d’adoption avait connu une révolution, j’avais été associé aux efforts du consulat pour venir en assistance aux Français. Maintenant, c’est fini ! »

Une certaine méfiance est parfois même cultivée. Ainsi, il a été recommandé à un consul honoraire de ne pas informer l’élu consulaire de sa circonscription sur les personnes qui y seraient en difficulté. On exige de certains qu’ils laissent à la porte du consulat leur téléphone ou leur tablette quand ils viennent participer à un conseil consulaire, alors même que les agents peuvent utiliser les leurs.

J’ai pu moi-même observer ce comportement distant, voire défiant, à l’occasion d’une manifestation tenue dans un lycée français : les élus, dont je faisais partie, n’ont pu y avoir accès, sous le prétexte du Covid-19, alors que toute l’administration, les parents et les enfants pouvaient célébrer l’événement !

Ce qui s’est passé en Roumanie la semaine dernière est également assez significatif. En l’absence de solution proposée par l’ambassade de France, les étudiants de médecine français des universités de Cluj-Napoca et Iaşi, soucieux de rentrer en France pour passer leurs examens cet été, mais aussi sortir d’un pénible confinement, ont demandé de l’aide au conseiller consulaire Benoît Mayrand.

J’en parle en connaissance de cause, car les associations de parents de ces élèves m’avaient également sollicité ; j’ai donc pu suivre tous les progrès de la démarche de M. Mayrand. Il ne lui aura pas fallu plus de quarante-huit heures pour trouver une solution : il a posé une option auprès de la compagnie aérienne nationale roumaine pour un vol de 160 places, en s’assurant que toutes les autorisations légales, sanitaires et transfrontalières avaient été obtenues, et cela en toute transparence avec le poste diplomatique.

Or cette initiative n’a pas été du goût de l’ambassade de France, qui a empêché le vol en écrivant : « Les étudiants français de Roumanie ne sont pas en situation de détresse, même si leur situation est inconfortable. » Plutôt que d’aider notre conseiller consulaire, l’ambassadeur lui-même lui a reproché de se mêler d’affaires qui, de fait, sont pourtant les siennes : représenter les Français de sa circonscription ! J’espère que l’ambassade répondra aux nombreuses questions qui lui sont désormais posées par les associations d’étudiants.

Ces derniers temps, les membres du Gouvernement ont salué, à juste titre, le dévouement exceptionnel dont ont fait preuve nos postes consulaires pendant la présente crise sanitaire – je veux m’associer à ces félicitations –, mais le Gouvernement a parfois manqué d’éloges vis-à-vis de nos élus de terrain, dont beaucoup se sont impliqués avec zèle pour aider nos compatriotes bloqués à l’étranger.

L’accès aux listes électorales consulaires semble par ailleurs devenir de plus en plus compliqué pour les élus : beaucoup m’ont dit qu’ils n’avaient pu avoir accès aux plus récentes. J’ai pu noter par moi-même que l’administration s’abrite parfois derrière le devoir de réserve pour durcir le comportement des fonctionnaires vis-à-vis des élus. Si vous pouviez un jour éclairer les élus au sujet de cette instruction, monsieur le secrétaire d’État, je vous en serais reconnaissant.

Les conseillers consulaires font de la transparence des instructions données aux postes leur priorité ; ils souhaitent être mieux associés au travail des consulats, afin de pouvoir servir au mieux nos compatriotes.

Une élue m’a adressé des commentaires, parmi lesquelles j’ai pu lire ceci : « Je n’ai pu avoir une bonne communication avec le consulat que lorsque j’ai réussi à établir une relation d’amitié avec deux consuls adjoints. » Cela me paraît un bon message : je veux rendre hommage à tous ceux qui, parmi nos agents consulaires, savent dépasser le cadre des instructions officielles pour nouer des relations de confiance avec les élus et les associer à un travail collectif. J’en connais de nombreux ; je veux les saluer et leur faire part de toute ma gratitude.

Nous sommes amenés aujourd’hui à légiférer sur des formalités qui empoisonnent la vie de nos compatriotes et qui devraient être réglées sans même l’intervention du législateur, comme les certificats de vie ou les actes notariés. J’y reviendrai au cours des débats et présenterai trois amendements de ma collègue Nathalie Goulet, inspirés par son travail de lutte contre la fraude sociale.

Les positions du Gouvernement sur les dispositions fiscales et sociales proposées dans ce texte sont très attendues. J’interviendrai en particulier lors des échanges que nous consacrerons à l’assujettissement des Français de l’étranger à la CSG et à la CRDS,…

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Olivier Cadic. … ainsi que sur la prise en compte des revenus immobiliers pour les personnes domiciliées en dehors de l’Union européenne, mesures contre lesquelles je me suis élevé dès leur introduction, en 2012.

En conclusion de mon propos, je tiens à redire aux auteurs et aux signataires de cette proposition de loi aux articles variés que mon groupe votera, avec plaisir, en sa faveur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa.

M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le tour est venu de s’exprimer de celui dont on a fait l’éloge funèbre tout au long de cette discussion générale ! (Dénégations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je voudrais commencer mon propos par une pensée pour nos 3,4 millions de compatriotes vivant hors de France, qu’ils sortent tout juste de la crise sanitaire, qu’ils soient toujours confinés ou qu’ils soient, en Afrique ou encore sur le continent américain, en plein cœur de la crise.

Hormis quelques articles des lois de finance et de financement de la sécurité sociale, il est vrai que le Sénat examine assez peu souvent des dispositions relatives aux Français de l’étranger. Or, en l’espace d’un peu plus de deux ans, voilà deux textes législatifs qui traitent de ce sujet ! En vérité, notre assemblée peut s’enorgueillir d’être la maison des Français de l’étranger.

J’ai bien dit « deux textes » : en effet, s’appuyant sur les travaux de la commission des lois, relatifs au bilan de l’application de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, le Sénat a adopté, le 22 janvier 2019, une proposition de loi tendant à améliorer le régime électoral des instances représentatives des Français établis hors de France et les conditions d’exercice des mandats électoraux de leurs membres.

Cette proposition de loi, adoptée par 327 voix contre 17 – nous tenterons de faire encore mieux ce soir ! (Sourires.) –, n’a toutefois pu poursuivre son parcours législatif, et cela malgré l’engagement, monsieur le secrétaire d’État – il semble que votre mémoire vous joue des tours ce soir, et je vais m’employer à la rafraîchir ! –, que vous avez pris le 17 janvier 2019, devant notre commission des lois, de permettre la poursuite du débat législatif en inscrivant le texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

À l’époque – vous vous en souvenez bien évidemment –, je vous avais rappelé qu’il était urgent de légiférer avant les élections consulaires qui devaient avoir lieu, comme tout le monde s’en souvient, le week-end passé.

Au lieu de cela, plusieurs dispositions adoptées dans cette proposition de loi se sont retrouvées, comme par magie et, si j’ose dire, quelque peu à l’arraché, dans la loi Engagement et proximité promulguée le 27 décembre dernier.

Ainsi, les conseillers consulaires, qui deviendront des conseillers des Français de l’étranger, présideront désormais les conseils consulaires. Attendue depuis de nombreuses années, cette avancée reprend en effet la proposition de loi que le Sénat avait adoptée en janvier dernier. Je ne vous ferai pas l’affront, mes chers collègues, de vous rappeler qui en était l’auteur, puisque tout le monde l’a déjà cité !

C’est une grande victoire pour les élus des Français de l’étranger, qui s’investissent partout dans le monde pour nos compatriotes expatriés. Nous avons lutté pendant plus d’un an pour l’obtenir, face aux réticences et au manque d’investissement du Gouvernement.

Cependant, sur mon initiative, le Parlement a également consacré le droit, pour les conseillers des Français de l’étranger, d’accéder à des formations adaptées à leurs fonctions, comme tous les élus de la République, et a étendu les compétences des conseils consulaires, qui seront désormais consultés sur les moyens mis à la disposition des conseillers des Français de l’étranger pour exercer leur mandat.

L’ensemble de ces avancées s’appliquera dès les prochaines élections consulaires, dont il ne reste qu’à fixer la date.

Il nous faut maintenant aller plus loin. C’est tout l’objectif de la proposition de loi du président Retailleau ; il s’agit aujourd’hui d’apporter des réponses concrètes aux difficultés rencontrées par les Français de l’étranger.

Comme il a déjà été rappelé, ce texte, adopté sur le rapport de notre collègue Jacky Deromedi, dont je salue ici le formidable travail, comprend 31 articles couvrant cinq domaines, à savoir la représentation politique, les actes notariés, le réseau éducatif, la protection sociale et le régime fiscal.

Les dispositions fiscales ont, pour leur part, été déléguées au fond à la commission des finances et à son rapporteur Jérôme Bascher, qui a pu enrichir le texte grâce à son expertise.

J’ai pu entendre et lire, à mon grand regret, que ce texte était un fourre-tout : il n’en est rien ! Il est – je tiens à le redire – le fruit d’un important travail, rigoureux, précis et exhaustif, portant sur nos 3,4 millions de compatriotes qui vivent ou qui travaillent hors de nos frontières et qui se voient, depuis plusieurs années maintenant, privés de nombreux droits qu’ils avaient acquis ou que nous avions obtenus pour eux.

J’en veux pour preuve les dispositions tout à fait pénalisantes qui ont été prises à leur détriment dans les dernières lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Il ne me paraît pas trop fort d’utiliser le mot « stigmatisation » : nos compatriotes de l’étranger l’utilisent eux-mêmes, et je le reprends pour eux.

Le texte déposé par le président Retailleau et que nous examinons sur le rapport de notre collègue Jacky Deromedi offre des réponses concrètes à autant de questions sur lesquelles nous nous battons depuis de nombreuses années.

Cette proposition de loi aura également le mérite de mettre en lumière une collectivité de fait, sinon de droit : celle des Français de l’étranger, qui fait trop souvent l’objet de préjugés. On se focalise souvent sur deux ou trois personnalités résidant à l’étranger, ce qui est epsilon par rapport à l’effectif total : en pratique, 65 % des Français de l’étranger paient un impôt à la République à un titre ou à un autre.

Aussi, ne serait-ce que pour cette raison, il convient de s’intéresser au « maquis de la fiscalité », pour reprendre l’expression de Jérôme Bascher, maquis trop souvent laissé à la seule interprétation du ministère de l’économie et des finances.

Pour la première fois, nous examinons dans cet hémicycle une proposition de loi qui évoque l’ensemble des problématiques rencontrées par les Français de l’étranger, qu’il s’agisse de leurs instances représentatives – la loi Engagement et proximité a seulement réglé quelques problèmes liés à l’exercice du mandat des élus –, de la vie administrative, du système éducatif – il faut répondre aux besoins particuliers des 522 établissements de notre réseau, qui fait l’orgueil de la France, et maintenir ainsi leur niveau d’excellence –, de la protection sociale – la France est le seul pays à garantir une prise en charge des soins de santé à tous ses citoyens, où qu’ils se trouvent –, ou encore de la fiscalité, qui est de plus en plus ressentie comme discriminatoire.

C’est pourquoi il conviendra d’impulser, en parallèle des avancées que nous obtiendrons – je n’en doute pas – aujourd’hui, un mouvement vers une collectivité de droit des Français de l’étranger, ambition dont l’initiative revient à notre ancien collègue Christian Cointat.

Lors de nos débats en commission, notre collègue Jean-Yves Leconte a fort justement soulevé la question du devenir législatif de cette proposition de loi, en rappelant le sort réservé à celle que nous avions adoptée en janvier 2019.

Même si je me rallie à l’expérience et à la grande sagesse du président de la commission des lois, qui répondit alors qu’« il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer », il faudra cette fois y veiller, monsieur le secrétaire d’État. Un deuxième acte manqué serait très mal vécu, c’est peu de le dire !

De nouveau, solennellement, je vous demande donc de nous donner des engagements fermes quant à votre volonté de faire prospérer ce texte à l’issue de son examen dans notre assemblée.

Par ailleurs, il va sans dire que cette proposition de loi n’a absolument rien à voir avec les mesures d’urgence prises par le Gouvernement : par définition, celles-ci ne sont que ponctuelles.

Mme la présidente. Il faudrait songer à conclure, mon cher collègue !

M. Christophe-André Frassa. Vous aurez compris que cette proposition de loi, par son ampleur, vise à être gravée dans le marbre. Toute autre réponse de votre part, monsieur le secrétaire d’État, toute explication selon laquelle tout est actuellement fait pour répondre aux attentes de nos compatriotes de l’étranger serait, dès lors, quelque peu hors sujet !

Il n’y va pas seulement de la crédibilité du Gouvernement : il y va du respect pour le travail du Sénat et, surtout, du respect dû aux Français de l’étranger, qui se sont, eux aussi, lassés de toutes ces promesses non tenues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud.

M. Rémi Féraud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Jean Yves Leconte vous a présenté l’avis de notre groupe sur ce texte dans son ensemble. Je vais pour ma part vous exposer notre position sur les dispositions fiscales que contient cette proposition de loi.

Nous ne sommes évidemment pas dupes : cette initiative prise en mars dernier, avant la crise sanitaire, était d’abord un message envoyé à nos compatriotes établis hors de France, à quelques semaines de la tenue des élections consulaires qui devaient avoir lieu en mai.

Toutefois, force est de constater que certains de ses articles, une fois amendés et précisés en commission, se rapprochent nettement de la position défendue par les élus socialistes. Ces dispositions corrigent en effet un état de fait aujourd’hui clairement défavorable aux Français de l’étranger en matière fiscale. Des modifications apportées en commission permettent par ailleurs de mieux cadrer le texte d’un point de vue technique.

Nous approuvons ainsi le rétablissement des taux de barème progressif antérieurs à la loi de finances pour 2019 ; cela préserverait les Français de l’étranger, notamment ceux dont les revenus sont modestes, d’une hausse brutale de la fiscalité.

Nous sommes également favorables à la possibilité offerte aux Français domiciliés fiscalement à l’étranger de bénéficier de réductions d’impôt aux titres des dons et œuvres. On peut en effet déplorer aujourd’hui une véritable inégalité sur ce point entre nos concitoyens. Une telle mesure permettrait, en outre, de favoriser la générosité, mise à mal par la politique fiscale menée depuis trois ans. Il en est de même du dispositif proposé en matière de crédit d’impôt pour la rénovation énergétique des logements.

Néanmoins je veux exprimer trois grandes réserves sur ce texte.

En premier lieu, les Français de l’étranger constituent une catégorie très diverse de contribuables ; comme nous l’avons tous rappelé, il faut sortir de l’image d’Épinal qui ne considère que les plus aisés d’entre eux et ne prend pour exemple que les cadres expatriés. L’éventail des situations sociales est très large, et les Français modestes vivant à l’étranger sont nombreux. L’équité doit donc être notre guide.

Voilà pourquoi nous sommes favorables à l’avantage fiscal sur les dons ou le crédit d’impôt pour la transition énergétique, mais opposés à d’autres mesures qui créeraient une inégalité, en particulier à celle qui institue un abattement supplémentaire pour le calcul de l’impôt sur la fortune immobilière.

En deuxième lieu, cette proposition de loi est très axée sur la propriété immobilière, au risque d’entrer en contradiction avec d’autres objectifs prioritaires des politiques publiques, notamment l’accès au logement de tous dans les grandes villes françaises. Nous proposons donc d’encadrer de manière beaucoup plus stricte l’exonération de taxe d’habitation majorée pour résidence secondaire.

Nous défendrons aussi des amendements visant à prendre en compte certains sujets, qui nous paraissent bien plus essentiels, mais qui ne figurent pas dans ce texte, comme les frais induits par la scolarité des enfants à l’étranger ou encore la protection sociale de nos compatriotes.

Enfin, comme l’a rappelé M. Retailleau lui-même, nous manquons de données chiffrées pour prendre des décisions suffisamment éclairées. La méconnaissance par l’administration du nombre, des revenus et de la situation fiscale précise des contribuables non résidents limite beaucoup notre vision. En conséquence, le coût global pour les finances publiques de cette proposition de loi reste un mystère, ce qui pose, vous en conviendrez, un vrai problème.

En réalité, ce problème nous renvoie au brouillard dans lequel nous a plongés la réforme de 2019, dont l’application a été reportée, tant ses conséquences sont lourdes et mal maîtrisées par le Gouvernement.

Nous ne pouvons évidemment pas nous contenter de cette situation. Elle crée trop d’inquiétudes pour l’avenir et doit absolument évoluer.

C’est pourquoi le vote des sénateurs socialistes sur ce texte tiendra compte de notre bienveillance pour nombre de ces mesures, comme l’a expliqué Jean-Yves Leconte, mais dépendra aussi de la discussion qui s’ouvre et du sort qui sera réservé à certaines de nos propositions.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Ronan Le Gleut. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le président Valéry Giscard d’Estaing avait qualifié la France de « grande puissance moyenne ».

Je veux bien imaginer que des arguments purement rationnels puissent justifier ce terme de « puissance moyenne », mais le peuple français, au fond de lui-même, conçoit-il notre pays comme une puissance moyenne, aussi grande soit elle ? Je ne le pense pas ! J’estime au contraire que le destin de la France et le dessein national de son peuple sont d’être une grande puissance, et rien de moins.

On voit bien ce qui se passe aujourd’hui dans les relations internationales, dans la tectonique des plaques des puissances mondiales : c’est, avant tout, la montée en puissance de la Chine.

Or, comme l’a si bien expliqué le géopolitologue Thomas Gomart dans LAffolement du monde, aucune politique de puissance ne peut se concevoir sans diaspora. La Chine conçoit les 50 millions de Chinois établis en dehors de la République populaire comme une part entière de son destin national, comme des acteurs de cette politique de puissance.

Cela m’amène naturellement à la question des Français de l’étranger. Nous, la France, pays dont nous concevons qu’il a vocation à être une grande puissance, ne pouvons entreprendre une telle politique sans y inclure les Français qui vivent à l’étranger, sans reconnaître qu’ils sont, à plus d’un titre, des acteurs de cette puissance.

Ils le sont, cela va de soi, d’un point de vue économique. Comment exporter nos produits sans ces relais locaux qui parlent notre langue et connaissent notre culture ? Je pense aux conseillers du commerce extérieur de la France, à Business France, à tous les petits entrepreneurs, aux acteurs de l’export, mais également aux chambres de commerce françaises à l’étranger.

Ils le sont aussi, à l’évidence, du point de vue culturel. Notre culture a une vocation universelle : elle existe et s’exporte justement parce qu’elle est française. Cette culture est diffusée, notamment, par les instituts français et les alliances françaises, mais aussi par nombre de petits acteurs locaux.

N’oublions pas non plus la langue française, l’une des plus grandes du monde. Il faut se battre pour qu’elle soit de plus en plus présente sur la planète, en particulier parce qu’elle représente également un outil diplomatique, au travers de la francophonie.

L’enseignement de la langue française est donc crucial, par le biais, en particulier, du programme FLAM, ou français langue maternelle ; mais ce n’est pas moins vrai de l’enseignement « à la française », offert par les établissements de l’AEFE. Cette agence n’a pas pour mission d’enseigner le français à l’étranger, mais bien d’enseigner à la française ! Et c’est pour cette raison que l’on s’y tourne vers elle.

Les Français de l’étranger jouent tous ces rôles, mais combien sont-ils ? On a entendu aujourd’hui des chiffres différents ; il faut à mon sens s’arrêter un instant sur cette question.

Les chiffres officiels d’inscription au registre de Français de l’étranger s’établissent entre 1,7 et 1,8 million de personnes, mais cette inscription n’est pas obligatoire. Dès lors, leur nombre réel est forcément supérieur : la meilleure estimation que nous ayons à ce stade est celle de l’Insee, selon lequel 3,4 millions de Français vivent à l’étranger.

Or cela change tout ! Bruno Retailleau, qui s’est fortement impliqué sur ce texte, connait bien les Pays de la Loire, une région qui compte approximativement 3,7 millions d’habitants. (M. Bruno Retailleau sourit.) Si l’on retient le chiffre de 3,4 millions, les Français de l’étranger représentent donc, en nombre, une grande région française, ce qui n’est pas exactement la même chose qu’un gros département.

Cette proposition de loi est aujourd’hui débattue grâce à la volonté de Bruno Retailleau et au travail d’ampleur effectué par Jacky Deromedi et Jérôme Bascher, eux-mêmes fortement inspirés par l’excellente proposition de loi de Christophe-André Frassa. Ce travail d’ampleur s’inscrit dans le cadre d’une réflexion globale sur le rôle et la position des Français de l’étranger dans le destin national.

Après la crise du Covid-19, il va falloir reconstruire l’économie du pays, mais aussi l’image de la France. Qu’il s’agisse de commerce extérieur ou de rayonnement de la France à l’international, les Français de l’étranger ont un rôle déterminant à jouer, j’y insiste.

Ce texte s’inscrit dans cette grande démarche. C’est un texte majeur, essentiel, que nous devons absolument soutenir. J’espère qu’il contribuera à dessiner l’avenir de la France, qui doit redevenir une grande puissance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)