M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative de mes collègues du groupe socialiste et républicain, qui nous permet de débattre en séance de la question du plafonnement des frais bancaires.

Ce texte était très pertinent dès le départ ; il l’est encore davantage aujourd’hui dans le contexte que nous connaissons. Il s’agit effectivement d’un vrai sujet, dont l’origine n’est pas vraiment récente. Ainsi, une étude sérieuse, reprise par un quotidien économique sérieux il y a quelques mois, a révélé des chiffres absolument astronomiques sur l’évolution des frais bancaires.

Le cabinet Sémaphore Conseil a étudié l’évolution des tarifs sur un panel représentatif de dix-huit banques depuis 2010 – banques nationales, mutualistes, régionales et banques en ligne. Sur ces dix années, les banques ont mis l’accent sur une stratégie de numérisation des services, l’objectif étant de diminuer globalement les prix des services assurés via internet et d’augmenter les tarifs en agence. Ainsi, les frais de consultation de compte à distance, qui étaient encore payants pour environ 70 % des banques du panel en 2010, sont désormais gratuits partout.

Dans le même temps, la gratuité des virements sur internet s’est généralisée, alors que les mêmes opérations réalisées en agence ont vu leur coût moyen augmenter de 28 % – l’étude évoque un tarif de 3,70 euros par virement.

Toujours en agence, la mise à disposition de fonds coûte aujourd’hui 61 % de plus qu’il y a dix ans. Et les frais de location de coffre-fort ont progressé de 14 %, avec une facture moyenne de 99 euros.

Selon cette même étude, les frais de tenue de compte sont désormais facturés, dans le panel concerné, 17,06 euros par an en moyenne, contre 1,43 euro dix ans plus tôt, soit une hausse vertigineuse de 1193 % en dix ans. Les banques ne baissent pas les prix des cartes, qui restent assez coûteuses pour beaucoup d’entre elles, jusqu’à 325 euros par an pour une carte Visa Infinite en 2018, et dont les cotisations annuelles ont progressé de 5,5 % à 14,8 % sur dix ans. Tel est le contexte général.

Ces sommes pourront paraître dérisoires à des gens qui n’ont pas de difficultés en fin de mois, mais elles viennent sensiblement grever les moyens limités de nos concitoyens les plus en difficulté.

Selon les associations de consommateurs, 78 % des personnes en situation d’endettement n’ont bénéficié d’aucun plafonnement et 91 % des clients touchant moins de 1 800 euros de revenus et payant plus de 40 euros de frais pour incidents par mois n’ont pas non plus bénéficié du plafonnement à 25 euros, sur lequel les banques s’étaient engagées.

Par ailleurs, certains frais sont, à nos yeux, totalement injustifiés, par exemple ceux qui sont imputés lors de la saisie à tiers détenteur – c’est une véritable double peine qu’il conviendrait, selon nous, d’interdire. Citons encore le rejet de prélèvement qui est facturé 20 euros, alors que son coût administratif n’est en réalité que de quelques centimes.

Autant d’opérations qui viennent alimenter le montant de 6,5 milliards d’euros cité par notre collègue dans l’exposé des motifs de la proposition de loi. Certes, la Fédération bancaire française semble contester ce chiffre, ce qui peut paraître surprenant pour des professionnels du chiffre au quotidien qui doivent pourtant être capables, à mon avis, de comptabiliser ces opérations ! Une commission d’enquête parlementaire serait-elle nécessaire pour obtenir ce chiffre ?

Un premier bilan établi fin 2019 montre que le principe du gel des frais bancaires a été globalement appliqué par la majorité des banques. Une analyse détaillée devrait être publiée très prochainement sur ce sujet – M. Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, en parlait récemment. Il y a donc eu quelques exceptions notables.

Sans doute faudra-t-il exercer une certaine vigilance quant à l’évolution des tarifs sur l’année en cours. En effet, il faut absolument éviter une forme de rattrapage du gel de 2019. Toute augmentation serait socialement et moralement inacceptable. La force d’une loi serait la bienvenue de ce point de vue.

La pandémie en cours a des effets économiques énormes ; dans ce contexte, les millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté seraient particulièrement exposés à ce risque.

L’action du Gouvernement pour contrer ces effets nous semble insuffisamment volontariste et les propositions des banques souvent trop complexes, voire restreintes. C’est pourquoi le groupe CRCE est d’accord avec le présent texte qui propose un encadrement global de tous les frais bancaires.

Le plafonnement proposé par ce texte permet de laisser une marge de manœuvre assez large aux négociations entre le secteur bancaire et le Gouvernement, puisqu’il sera décidé par décret et garde la forme actuelle d’un plafonnement par mois et par opération. Toutefois, un plafonnement obligatoire par an serait, selon nous, le bienvenu.

Permettre à différentes instances, comme la Banque de France ou les présidents des conseils départementaux, d’enjoindre aux banques de proposer à certaines personnes l’offre spécifique renforcerait la visibilité de cette option et du statut de fragilité financière, qui est aujourd’hui appliqué de manière plus ou moins inégalitaire selon les établissements et mériterait d’être mieux défini.

La croissance soutenue des frais bancaires sur les dernières années et les stratégies de contournement des banques pour compenser les plafonnements partiels existants sont une véritable plaie sociale qui accroît les inégalités et fait des clients une variable d’ajustement pour réaliser des marges, à l’heure où les taux sont à la baisse et alors même que les banques devraient être au service de leurs clients.

Réglementer davantage le secteur bancaire incitera les banques à limiter les coûts de gestion liés aux irrégularités et les encouragera à mieux accompagner les personnes en difficulté financière. Au-delà d’une telle réglementation, nous défendons la mise en place de sanctions pour les établissements ne respectant pas les plafonnements. Des instances comme l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et l’Observatoire de l’inclusion bancaire doivent être mobilisées pour aller vers plus de transparence.

Nous voterons donc cette proposition de loi de bon sens qui invite à une tarification responsable et à une meilleure inclusion bancaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer par une petite histoire, celle d’une banque au rayon d’action limité – elle ne travaillait même pas sur la totalité de son département d’implantation. Un jour, cette banque a eu une idée : éduquer ses clients, en leur apprenant à bien gérer leurs comptes. Elle pensait en particulier à ceux de ses clients qui rencontraient des difficultés, par exemple ceux qui avaient de temps en temps des découverts injustifiés. Voilà comment est née la commission d’intervention !

Cette petite banque, le Crédit mutuel d’Anjou – une très belle région naturellement, puisque située à l’ouest de la France… –, a créé cette commission d’intervention dans un objectif, disons, pédagogique : faire évoluer le comportement de ses clients vers une meilleure gestion financière.

D’autres banques ont repris cette idée et la pratique s’est peu à peu généralisée, mais au fil du temps l’intervention de la banque auprès de ses clients a disparu, alors que la commission restait… Je rejoins donc l’idée qu’il faut analyser précisément à quoi correspondent les frais bancaires. Certaines commissions d’intervention atteignent aujourd’hui 17,85 %, un taux un peu fort de café, d’autant que cette commission s’ajoute aux agios, aux frais de tenue de compte et à d’autres charges.

C’est pourquoi je salue l’inscription à notre ordre du jour de cette proposition de loi qui nous permet d’ouvrir le débat sur ce sujet de fond. Comme le rapporteur l’a rappelé, la France a la chance de disposer d’un réseau de banques solide, efficace et reconnu au niveau international – beaucoup de pays peuvent nous l’envier ! –, mais il doit s’appuyer sur le développement des services rendus, pas sur des frais injustifiés.

La rentabilité des banques ne doit plus s’appuyer sur ce type de frais et nous ne pouvons pas continuer dans cette direction. C’est d’ailleurs ce que nous ont dit les Français. Pourquoi croyez-vous que le mouvement des « gilets jaunes » s’est manifesté avec autant de force ? Pas parce que tout va bien ! Sommes-nous dans un pays parfaitement juste et égalitaire ? Évidemment, non !

Certains collègues ont évoqué la dématérialisation. À quoi sert-elle finalement ? À économiser l’envoi des relevés de compte ! En outre, quand vous ne recevez plus vos relevés de compte, vous n’avez pas vraiment conscience que la banque vous a facturé une commission et prélevé des frais. Vous ne vous en rendez compte que si vous prenez l’initiative de regarder la situation de votre compte sur le site internet de la banque, soit bien trop tard.

Souvent, on demande au client de payer une intervention qui n’a en fait pas eu lieu. Pourtant, si un conseiller bancaire avait appelé le client pour l’alerter sur le dérapage en cours, celui-ci aurait pu expliquer la situation – peut-être est-ce dû à un simple retard ? – et réagir comme il faut. Faire payer une « intervention » qui n’a pas eu lieu me paraît totalement inacceptable et irrégulier et nous ne pouvons pas accréditer de tels comportements. Si la banque facture une intervention, celle-ci doit être réelle !

C’est la raison pour laquelle, je le redis, je salue l’initiative de nos collègues socialistes. Elle a été prise bien avant l’épidémie de coronavirus qui a rendu certaines situations encore plus compliquées. Ce débat est très utile et, pour y contribuer, j’ai déposé un certain nombre d’amendements, dont nous discuterons tout à l’heure. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’examiner les choses de plus près. C’est ce que les Français attendent, parce que la situation actuelle ne peut pas leur donner entièrement satisfaction. (M. Patrick Kanner applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier le groupe socialiste et républicain d’avoir pris l’initiative d’inscrire à notre ordre du jour cette proposition de loi importante et bienvenue. Je souhaite également souligner le travail du rapporteur qui nous propose d’éliminer un certain nombre de petites imperfections de ce texte, ce qui nous permettra de le voter.

Le 23 mai dernier, un très grand professeur de droit social avec lequel j’ai beaucoup travaillé, Jean-Jacques Dupeyroux, nous quittait. Il avait à cœur de défendre les plus faibles et les plus fragiles, ceux dont nous parlons aujourd’hui, les 3,5 millions de personnes qui sont dans la précarité. Il avait l’habitude de nous parler de l’effet Matthieu : « On donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a ». Coluche a traduit et résumé ce principe : « Moins tu peux payer, plus tu payes ! » (Sourires.)

Or c’est exactement ce qui se passe avec les frais bancaires. C’est pourquoi cette initiative doit être soutenue, même si elle présente des limites en termes de calendrier ou de navette parlementaire, comme l’ont indiqué Michel Canevet et Rémi Féraud. Il est extrêmement important que notre Haute Assemblée s’occupe des plus précaires d’entre nous dans la situation actuelle, puisqu’une véritable casse sociale risque de survenir dans les semaines ou mois à venir.

J’entends naturellement l’argument selon lequel une telle loi entraînera moins de services dans les territoires et pour les clients eux-mêmes, et nous devons regarder les choses attentivement. Des amendements ont d’ailleurs été déposés pour prendre en compte cet argument.

Pour autant, nous ne devons pas oublier qu’il a fallu attendre que la Banque centrale européenne tape du poing sur la table pour empêcher les banques, compte tenu de la situation actuelle, de distribuer en 2020 les dividendes de 2019.

Nous devons toujours viser un équilibre entre la protection des plus faibles et la non-fragilisation des banques. Les membres du groupe Union Centriste y sont très attachés. C’est pourquoi nous soutiendrons les amendements présentés par la commission des finances et le texte ainsi modifié.

J’espère que d’autres amendements intéressants pourront être adoptés. Je pense notamment à ceux sur la transparence des frais bancaires et sur l’information du bénéficiaire du compte.

L’information des clients est très importante et il ne faut pas oublier ceux qui n’ont pas de smartphone ou n’ont pas accès aux outils numériques.

M. Christian Cambon. Très bien !

Mme Nathalie Goulet. Souvent, les populations fragiles ne peuvent pas choisir une banque en ligne, une « néobanque » pour reprendre l’expression de Mme la secrétaire d’État. Il faut donc prévoir une information « physique » du client et être attentif à ces nouvelles pratiques qui ne sont pas accessibles à tout le monde.

La Banque postale présente justement l’intérêt de préserver un minimum de relation physique entre la banque et le client. C’est pourquoi elle conserve toute son importance.

Si cette proposition de loi est votée – je crois qu’elle le sera, nous le devons aux populations les plus fragiles –, nous devrons vérifier ensuite comment les choses se mettent en place. La commission des finances a su trouver un équilibre entre les différents principes qui doivent nous guider. C’est pourquoi le groupe Union Centriste votera des deux mains la proposition de loi amendée par les propositions de la commission.

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce type de débat relatif aux banques est souvent l’occasion de voir se confronter deux approches. L’une présente les banques comme des acteurs incontournables au service de l’économie et les frais bancaires comme l’un des corollaires du maintien d’un réseau d’agences sur tout le territoire. L’autre verse parfois dans la critique facile d’un supposé système et dans le bank bashing, les établissements bancaires étant perçus comme des machines à produire des dividendes pour les actionnaires sur le dos des clients grâce notamment aux frais bancaires.

De fait, la perception des banques dans l’opinion me semble assez dégradée. D’ailleurs, lors de manifestations, des agences bancaires sont régulièrement attaquées, les banques étant considérées comme les agents de la financiarisation au détriment de l’économie « réelle ».

À propos des frais bancaires, quelle que soit leur catégorie, les citoyens les perçoivent souvent comme opaques, excessifs ou sans rapport avec le coût réel du service, bien qu’ils fassent l’objet de diverses réglementations restrictives. Le problème existe donc bien et l’encadrement est certainement incomplet.

Ces derniers mois, l’épidémie de coronavirus a causé d’importants dégâts à l’économie. Les particuliers, mais aussi les entreprises et les collectivités ont et auront besoin du soutien des banques pour traverser cette période difficile et assurer la reprise. Dans ce contexte dégradé, les personnes les plus en difficulté risquent d’être davantage fragilisées. Elles sont les plus exposées aux coûts des incidents bancaires et aux frais divers qui accroissent la précarisation, même si elles ne sont pas les seules.

Après les manifestations des « gilets jaunes », l’État a obtenu des banques, en complément du gel des tarifs, le plafonnement des frais d’incident, geste que certains pourraient qualifier de timide, alors que les banques évoquent un manque à gagner significatif qui pèse sur leurs résultats.

Pour autant, tout n’apparaît pas résolu, puisque le malaise subsiste entre banques et usagers. Comme pour illustrer ce dialogue de sourds, des associations de consommateurs ont relevé dans une étude publiée en 2019 que 78 % des interdits bancaires et des surendettés ne bénéficiaient d’aucun plafonnement, quand la Banque de France considère que les banques ont bien respecté leurs engagements et ont fait des progrès significatifs.

Ce qui semble certain, c’est que des banques jouent davantage le jeu que d’autres, que des disparités existent entre les réseaux et les territoires, conduisant à des inégalités, et que la baisse de revenus liée au niveau très bas des taux d’intérêt conduit les banques à chercher d’autres ressources. En attendant, nombre de personnes continuent de s’enfoncer dans les difficultés, dès lors que les frais peuvent se cumuler en cas d’incidents répétés.

Certes, comme le signale la commission des finances, cette proposition de loi est perfectible, notamment parce que ses dispositions apparaissent à la fois trop fortes dans les restrictions qu’elles apportent et trop limitées dans leur périmètre. Néanmoins, à l’instar d’autres textes examinés ici – je pense à la proposition de loi relative à l’accès à l’énergie –, il me semble nécessaire d’être vigilant sur ces sujets.

Malgré des propositions inadaptées, ce texte soulève de véritables questions qui correspondent à des difficultés du quotidien des Français. Or, en particulier dans cette période de redémarrage de l’économie, il est important d’aider nos concitoyens, notamment les plus fragiles, et de restaurer la confiance entre les banques et les usagers – cela me semble primordial. Nous constatons chaque jour les effets délétères d’une société de défiance : citoyens mécontents, ménages en difficulté, agences bancaires vandalisées. Il nous faut avant tout sortir de cette spirale, sur laquelle prospèrent les extrêmes, et créer les conditions du rétablissement de la confiance et du dialogue. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (M. Patrick Kanner applaudit.)

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires. Les deux mots les plus importants sont sans doute « rendre effectif », parce que, si les ménages, sur lesquels les banques prélèvent des frais depuis tant d’années, avaient touché le montant de ces frais chaque fois qu’un gouvernement ou un ministre s’était engagé à les plafonner, à les limiter ou à les réduire, ces ménages seraient aujourd’hui très riches…

C’est vraiment une longue histoire. Cinq annonces ont déjà été faites : en 2004, en 2011, en 2014 et en septembre et décembre 2018, différents gouvernements ont annoncé que, cette fois, les banques s’étaient engagées la main sur le cœur à plafonner les frais bancaires.

Je vais d’ailleurs vous raconter une anecdote. En 2013, le Sénat a examiné un projet de loi de séparation et de régulation bancaires et j’avais déposé un amendement pour limiter les frais bancaires, preuve que je suis assez obstinée, même si je ne le suis certainement pas autant que Bercy ou les banques… Cet amendement avait été adopté par le Sénat contre l’avis du Gouvernement, mais dès le lendemain le ministre de l’économie et des finances demandait une seconde délibération, en prenant des engagements. Et aujourd’hui, nous sommes toujours en train d’en discuter…

Durant ma vie parlementaire, j’ai vu peu de sujets qui déclenchent aussi rapidement et mécaniquement autant de coups de téléphone. En temps normal, les banquiers me contactent rarement, mais dès que je dépose un amendement pour limiter les frais bancaires, cela n’arrête pas, chacun en appelant à ma responsabilité… Pour réagir aussi vite, il doit y avoir vraiment beaucoup de gens dans les établissements bancaires qui passent leur temps à suivre les débats parlementaires.

Madame la secrétaire d’État, vous faites comme vos prédécesseurs, comme Bruno Le Maire il y a quelques mois, comme le Président de la République au moment des « gilets jaunes » : vous nous dites que tout est réglé, puisque les banques se sont « engagées ».

Pourtant, entre fin 2019 et maintenant, le nombre des personnes protégées a explosé – toutefois, le dispositif de recensement des clientèles fragiles qui bénéficient d’offres spécifiques est simplement déclaratif…

Rémi Féraud et d’autres collègues ont déjà cité l’étude de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) qui n’est pas à proprement parler une officine révolutionnaire, communiste ou socialiste,…

M. Patrick Kanner. Ou gaulliste sociale ! (Sourires.)

Mme Laurence Rossignol. … qui voudrait la peau des banques, comme on pourrait nous soupçonner de le faire. (M. Philippe Dallier ironise.)

Selon cette étude de l’UNAF, les conditions de protection des personnes fragiles ne se sont que très faiblement améliorées depuis trois ans – les chiffres ont été rappelés.

Finalement, tous ces débats ne visent qu’à une chose : éviter de légiférer. C’est la logique des banques, mais aussi de Bercy, qui souhaite laisser les banques libres d’organiser comme elles veulent la protection de qui elles veulent dans les conditions qu’elles veulent. Il est tout de même choquant pour une parlementaire d’entendre dire qu’en légiférant elle contraint, enferme, brime…

Aujourd’hui, l’équilibre des banques repose sur une solidarité inversée : en effet, les frais bancaires sont aussi élevés parce que les taux d’intérêt sont bas. Par conséquent, qui finance les intérêts de ceux qui ne payent probablement pas de frais bancaires ? Ceux qui payent beaucoup de frais bancaires, c’est-à-dire les plus fragiles !

M. Philippe Dallier. C’est un sacré raccourci !

Mme Laurence Rossignol. La hausse des frais bancaires est concomitante à la baisse des taux d’intérêt.

M. Philippe Dallier. Vous exagérez ! C’est une coïncidence temporaire !

Mme Laurence Rossignol. C’est un fait communément admis, monsieur Dallier. L’équilibre entre la baisse des taux d’intérêt et l’augmentation des frais bancaires est organisé par les banques. Vous ne voulez pas qu’on légifère, parce que vous ne voulez pas contraindre les banques. Or c’est justement un sujet sur lequel il faut fixer des règles.

Pour finir, je veux me référer à une étude publiée par des économistes de l’université de Zürich qui s’appelle Honnêteté des comportements dans les banques. Je tiens cette étude à votre disposition, elle conclut que les banques ont besoin d’être contraintes et encadrées pour être éthiques. Ainsi, avec ce texte, si nous contraignons et encadrons, c’est uniquement pour permettre aux banques d’être éthiques. C’est donc une mesure de salubrité publique ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi a été déposée le 19 février dernier. Depuis, rappelons-le, la situation a beaucoup évolué au bénéfice des particuliers, notamment pour ceux qui sont les plus touchés par la crise.

En effet, le ministère de l’économie et des finances et la Fédération bancaire française ont signé, il y a deux semaines, un accord destiné à plafonner les frais d’incidents bancaires pour les personnes en difficulté – il prévoit un maximum de 25 euros mensuels dès le premier mois au lieu de trois mois auparavant. D’autres engagements ont été pris par les banques, comme celui de remédier à l’application répétée de frais sur un même prélèvement infructueux. Un texte devrait d’ailleurs être présenté très prochainement.

Bien que pavée de bonnes intentions, cette proposition de loi me semble donc inadaptée. Faire porter le chapeau des difficultés financières de particuliers à des entreprises privées me semble contre-productif. Rappelons-le, puisque nous avons tendance à l’oublier, les banques sont des entreprises et doivent par conséquent réaliser des bénéfices. Elles doivent aussi remplir les obligations de Solvabilité 2 fixées par le législateur.

Imposer à une entreprise une limitation de ses frais me semble inconstitutionnel. Je crois qu’il faut savoir raison garder et détailler un certain nombre de points fondamentaux.

Le secteur bancaire est constitué de deux branches : la banque de dépôt et celle d’investissement. La banque de dépôt est composée d’agences locales. Leur mission est de gérer les dépôts, d’accompagner les ménages et les entreprises dans leurs investissements et d’apporter du service.

Avec la baisse des taux, les bénéfices des banques de dépôt sont beaucoup plus faibles que ceux des banques d’investissement. De plus, les banques françaises subissent des pressions de la part du superviseur européen qui demande toujours plus de rentabilité par rapport aux autres modèles européens ou aux banques par internet – je suis pro-européen, mais j’attends autre chose de l’Europe.

Revenons à notre sujet ! Chaque année, nous constatons, impuissants, des fermetures d’agences locales, des licenciements et des services de plus en plus éloignés, sans personne physique pour nous répondre. Nous pestons de voir un système bancaire qui ne peut et ne veut résoudre les problèmes non courants, comme ouvrir un compte de campagne…

En réduisant les frais bancaires, nous diminuerons les recettes et accélérerons les fermetures des agences locales dans les territoires. Est-ce cela que nous souhaitons ? Je ne le crois pas. Souhaitons-nous augmenter les licenciements et réduire l’économie sur nos territoires ? Je n’en suis pas sûr…

Au contraire, si nous voulons que les banques de proximité continuent d’exister, il faut que le législateur contribue à consolider le modèle économique des banques de dépôt. Celles-ci veulent garder l’universalité et la relation commerciale avec tous les clients et rester des acteurs de la vie locale, quelles que soient les difficultés. Les banques sont également nécessaires pour réguler les défauts de paiement et sécuriser les échanges, en limitant les impayés par des sanctions.

Il est aussi primordial qu’elles restent de proximité pour comprendre les spécificités de chaque territoire, pour connaître leurs clients. Plus cette proximité sera mise à mal, moins les banques s’intéresseront aux dossiers complexes.

Avec une telle proposition de loi, j’ai le sentiment que nous déresponsabilisons une nouvelle fois les Français les plus en difficulté. Je ne suis pas sûr que ce soit générateur de situations pérennes. Demain, pour maintenir les réseaux, allons-nous les subventionner ? Il est temps de penser avant tout à ceux qui se lèvent chaque matin et qui sans cesse perdent du pouvoir d’achat, parce que la TVA, la CSG, l’impôt sur le revenu ou les taxes augmentent. Ces Français n’en peuvent plus de se sacrifier un peu plus. Ils souhaitent qu’on cesse de faire plus de social vers une minorité qui bénéficie déjà, et c’est tant mieux, de mesures très protectrices.

Vous l’aurez compris, je ne soutiendrai pas le texte proposé par le groupe socialiste, mais je m’associerai très volontiers à toutes les initiatives qui seront prises pour protéger les Français titulaires de comptes bancaires, sans mettre à mal le modèle économique des banques de dépôt.