Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord dire à M. le secrétaire d’État que le mot « promesse » qu’il a utilisé a de l’importance pour un agriculteur, car il fait aussi référence à la graine déposée en terre. Là, monsieur le secrétaire d’État, vous faites une promesse pour plus tard, alors que, quand une injustice existe, il faut normalement la résorber le plus tôt possible.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Élisabeth Doineau. Deux ans après l’impasse provoquée par l’utilisation du vote bloqué, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.

Le report sine die de la réforme des retraites nous offre l’occasion de reprendre là où nous en étions restés. Près de quatre ans après le dépôt de la proposition de loi… Que de temps perdu pour le monde agricole !

La crise sanitaire que nous vivons éclaire d’un jour nouveau cette proposition de loi, en rappelant à l’ensemble des Français l’engagement sans faille des agriculteurs au service d’une production de qualité et de la souveraineté alimentaire de notre pays – Franck Menonville l’a évoqué.

Une nouvelle fois, les agriculteurs ont démontré leur grand sens des responsabilités et leur capacité à s’adapter. Et toujours pour un revenu bien trop faible, ce qui est la source de tous leurs maux ! Le travail de la terre ne paie pas.

Le tiers des agriculteurs perçoit un revenu inférieur à 350 euros par mois, ce qui ne permet pas de produire suffisamment de cotisations pour la retraite – M. le rapporteur en a parlé. Aussi, notre objectif collectif doit être de garantir une rémunération décente aux agriculteurs.

Toutefois – faut-il le préciser ? –, le texte que nous examinons aujourd’hui n’est qu’une étape dans la revalorisation des professions agricoles.

Son article 1er vise à augmenter le niveau de pension de base et complémentaire minimal des chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole, en le passant à 85 % du SMIC, soit un peu plus de 1 000 euros, ce qui le rapproche du seuil de pauvreté.

Il s’agit d’une avancée importante, mais qui demeure à mon avis très incomplète. Elle est même quelque peu rabotée par rapport à son ambition initiale à la suite à son passage à l’Assemblée nationale il y a dix jours. En effet, les députés de la majorité ont adopté un mécanisme d’écrêtement en fonction du montant de retraite tous régimes confondus. Un retraité sur trois ne pourra donc pas bénéficier in fine de la garantie minimale de retraite.

L’argument avancé est de permettre l’équité entre les assurés monopensionnés et les assurés polypensionnés. En réalité, cela illustre une nouvelle fois que le travail agricole n’est pas reconnu à sa juste valeur.

À cela, il faut ajouter le report de la mise en œuvre de cette mesure à 2022, alors même que le président de la Mutualité sociale agricole, M. Pascal Cormery, a assuré que son application était possible dès le 1er janvier 2021.

Je regrette par ailleurs que cette proposition de loi ne traite pas de la situation, encore plus précaire, des conjoints collaborateurs ou membres de la famille aidants sur l’exploitation. À la pauvreté s’ajoute en effet, en matière de retraites agricoles, l’inégalité entre les femmes et les hommes : un différentiel de 258 euros par mois en moyenne est constaté au détriment des premières.

Ces femmes ne sont pourtant pas moins méritantes que leurs conjoints. Elles sont même des maillons indispensables au sein des exploitations agricoles.

Mme Élisabeth Doineau. Sans remettre en cause l’avancée permise par cette proposition de loi, celle-ci risque de créer, dans le même temps, davantage d’inégalités.

Aussi, j’invite le Gouvernement à combler cette lacune d’ici à la mise en œuvre effective de cette loi. Pour cela, il faudra notamment amorcer la redéfinition du statut et des rémunérations des conjoints et des aidants familiaux.

Enfin, je tiens à saluer les avancées permises par ce texte pour les agriculteurs des départements d’outre-mer qui subissent actuellement plusieurs inégalités. Pour une carrière complète, les non-salariés agricoles ultramarins perçoivent une pension moyenne d’environ 200 euros de moins qu’un retraité en métropole. Moins du quart des monopensionnés ultramarins du régime des non-salariés agricoles a réalisé une carrière complète. Par conséquent, rares sont les bénéficiaires de la garantie des 75 % du SMIC.

Concernant le financement, le Gouvernement a levé le gage de la proposition de loi. L’article 2 qui instituait une taxe additionnelle de 0,1 % à la taxe sur les transactions financières a été supprimé afin de renvoyer la question du financement au prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. Dont acte ! Nous serons au rendez-vous, à l’automne, pour finaliser ce dernier chapitre.

Pour conclure, bien qu’imparfaite et incomplète, cette proposition de loi apporte des avancées salutaires aux retraités agricoles. Je regrette que les mesures adoptées à l’Assemblée nationale tendent à restreindre sa portée et à différer sa mise en œuvre. La situation des conjoints n’est toujours pas réglée ; il faudra s’y atteler urgemment.

Malgré ces réserves, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi pour enfin clore cette séquence engagée il y a près de quatre ans, c’est-à-dire le temps de plusieurs jachères…

Espérons que ces jachères ont été profitables et qu’elles ne constituent que la première étape d’une avancée réelle pour les agriculteurs et leurs conjoints ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, j’avoue ma surprise, mais aussi ma satisfaction de vous retrouver aujourd’hui dans cet hémicycle, monsieur le secrétaire d’État, pour parler des retraites.

Surprise, parce que je me souviens – je ne suis pas la seule ! – du sort réservé au début de 2018 par le gouvernement auquel vous appartenez à cette proposition de loi d’André Chassaigne. Je ne pensais pas que ce texte prospèrerait !

Satisfaction, parce que nous allons, enfin, pouvoir voter cette augmentation des pensions agricoles, mais uniquement pour les chefs d’exploitations…

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez rappelé l’histoire des retraites agricoles et des propositions de loi, auxquelles les gouvernements de l’époque ne s’étaient pas opposés, bien au contraire.

En matière de retraites agricoles, il y a eu plusieurs périodes, notamment l’augmentation de 16 % des pensions et la création du statut de conjoint collaborateur entre 1997 et 2000, puis le plan pluriannuel, à partir de 2014, permettant d’atteindre 75 % du SMIC.

Ensuite, il n’y a eu plus rien, si ce n’est la proposition de loi de notre collègue député André Chassaigne, que nous allions voter à l’unanimité, mais que le gouvernement auquel vous appartenez a bloqué de manière abrupte et même, disons-le, assez brutale.

J’en profite pour rendre à César ce qui est à César ! En effet, depuis que cette proposition de loi a été votée à l’Assemblée nationale, j’entends ici ou là des députés s’approprier le bénéfice de ce vote, mais nous devons rétablir la vérité et remercier André Chassaigne et nos collègues du groupe CRCE pour leur opiniâtreté. (Mme la rapporteure applaudit.)

Le vote de cette proposition de loi conduira à des avancées essentielles, mais elle comporte trois lacunes importantes.

La première, c’est la date de sa mise en œuvre : le 1er janvier 2022. Pourquoi cette date, monsieur le secrétaire d’État ? Pourquoi votons-nous maintenant une disposition qui ne sera mise en place qu’au 1er janvier 2022, alors que la MSA estime qu’elle peut l’être 1er janvier 2021 ? J’ai très certainement mauvais esprit, mais j’espère que cela n’a rien à voir avec certaines échéances importantes de 2022…

M. René-Paul Savary, rapporteur. Si peu…

Mme Monique Lubin. La deuxième, c’est l’écrêtement pour les polypensionnés. Là, j’avoue que je ne comprends pas bien en vertu de quoi un agriculteur qui est obligé d’aller travailler ailleurs, parce qu’il ne peut pas vivre des fruits de son travail – c’est pour cette raison qu’il existe tant de polypensionnés agricoles – ne pourrait pas cumuler les droits qu’il a acquis.

Est-ce que nous nous opposons au cumul des droits pour les gens qui relèvent du régime général ? Je ne le crois pas. Je ne comprends donc absolument pas les raisons de cette décision.

Vous parlez de justice sociale, mais cette mesure n’est pas un marqueur de justice, bien au contraire. Je suis d’autant plus étonnée que le Président de la République et le Gouvernement parlent de travailler plus et de cumuler emploi et retraite. Or les agriculteurs cumulent déjà, mais ils n’auront pas les droits qui vont avec…

La troisième lacune n’est pas la moindre : les femmes ! Où sont les femmes, monsieur le secrétaire d’État ?

M. François Bonhomme. Et que fait Mme Schiappa ? (Sourires.)

Mme Monique Lubin. Nous avons tous des racines agricoles et nous savons bien comment fonctionnent les exploitations.

Aujourd’hui, la plupart des agricultrices sont des chefs d’exploitation, mais je pense aux autres, notamment à celles qui sont déjà retraitées – je le rappelle, ce texte concerne aussi les actuels retraités – et qui n’avaient pas ce statut, lorsqu’elles travaillaient. Il y a encore quinze ou vingt ans, les femmes qui aidaient à la ferme étaient invisibles : levées très tôt, couchées très tard, elles assumaient l’éducation des enfants, la maison et les travaux à la ferme. Les contraintes et la pénibilité étaient bien plus importantes qu’aujourd’hui.

Selon la rédaction que vous soutenez, monsieur le secrétaire d’État, ces femmes restent invisibles dans cette proposition de loi, ce qui n’est pas acceptable.

Lorsque vous avez présenté votre projet de réforme des retraites, vous n’avez cessé d’affirmer que les femmes en seraient les grandes gagnantes. Vous avez la possibilité de prendre aujourd’hui une décision qui va dans ce sens, mais vous ne le faites pas, alors même que votre collègue Marlène Schiappa clame partout que le sort des femmes s’améliorera.

M. François Bonhomme. Où est-elle, d’ailleurs ?

Mme Monique Lubin. Aujourd’hui, comme d’habitude, les femmes sont les grandes oubliées !

Pour autant, le groupe socialiste et républicain votera cette proposition de loi en l’état. J’aurais aimé l’amender, mais je respecte le vœu de mes collègues et d’André Chassaigne, parce que nous voulons que les chefs d’exploitation voient leur retraite augmenter au 1er janvier 2021 – nous l’espérons ! – ou au 1er janvier 2022.

Sachez, monsieur le secrétaire d’État, que nous serons très vigilants sur le financement comme sur la date d’entrée en vigueur de ce texte et que, sur la question des polypensionnés, nous ne lâcherons rien – nous reviendrons à la charge ! Nous serons particulièrement vigilants sur le sort des femmes, les invisibles de l’agriculture. Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les retraités agricoles d’aujourd’hui sont les agriculteurs d’hier, ceux qui ont accompagné la modernisation de notre agriculture après la guerre, ceux qui ont permis à la France de se hisser au rang de grande nation agricole dans un monde devenu de plus en plus compétitif.

Les retraités agricoles de demain, ce sont les agriculteurs d’aujourd’hui, ceux qui s’engagent dans la transition écologique au service de l’intérêt général, ceux qui se sont investis sans relâche, en pleine crise sanitaire, pour garantir à nos concitoyens des étals fournis, incarnant ainsi une part de la souveraineté alimentaire que notre collègue du groupe du RDSE, Françoise Laborde, encourage fermement. Et il n’est nul besoin dans cet hémicycle de démontrer combien les agriculteurs contribuent à l’aménagement du territoire.

Pour toutes ces raisons et en retour du rôle économique et stratégique incontournable du secteur agricole, toutes les femmes et tous les hommes qui l’animent méritent la garantie d’un revenu décent à la hauteur de leur engagement.

Or le niveau de pension moyen des retraités agricoles est le plus faible de tous les régimes, malgré des ajustements au fil des années. Je pense par exemple à la loi dite « Peiro » du 4 mars 2002, qui, en instaurant le principe d’une pension à 75 % du SMIC par le biais de la retraite complémentaire obligatoire, a amélioré les droits des retraités agricoles sans toutefois parvenir à l’objectif chiffré.

Je rappelle aussi le plan quinquennal de revalorisation mis en œuvre en 2012 qui a mobilisé près de 900 millions d’euros. Plus près de nous, la loi du 20 janvier 2014 sur les retraites a permis de faire bénéficier aux conjoints et aides familiaux des points gratuits de retraite complémentaire de manière rétroactive.

Néanmoins, ces réformes n’ont pas permis de combler l’écart entre les différentes catégories de retraités. Le constat est unanime : voir nos anciens agriculteurs toucher, pour la majorité d’entre eux, une pension inférieure à l’allocation de solidarité aux personnes âgées n’est plus tolérable. En 2017, le montant moyen de la pension de droit direct était de 700 euros ; de surcroît, il existait une inégalité criante entre les hommes et les femmes : 900 euros pour les premiers et 530 euros pour les secondes.

Certes, nous connaissons les raisons structurelles de cette situation : des parcours de carrière discontinus, un effort contributif pas toujours suffisant, un régime d’assurance vieillesse caractérisé par un fort déséquilibre démographique qui complique son financement. Plus globalement, comme l’ont souligné nos collègues rapporteurs, les faibles revenus produisent de faibles pensions.

C’est pourquoi, en marge de ce débat, je souhaitais également souligner une autre nécessité sous-jacente au problème des retraites, celle de poursuivre le travail sur la question des revenus des exploitants. Au Sénat, nous y sommes tous sensibles et nous devons continuer à encourager toutes les mesures allant dans le sens de prix véritablement rémunérateurs.

En attendant, le groupe du RDSE soutiendra la proposition de loi de nos collègues députés. Je rappelle qu’il est depuis longtemps attentif aux retraités : ainsi, deux de ses membres ont déposé en 1998 une proposition de loi allant dans le sens d’une amélioration des pensions. Par conséquent, nous appelons de nos vœux l’instauration d’une pension à 85 % du SMIC. Les chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole se verront ainsi garantir un revenu mensuel de 1 000 euros.

La proposition de loi porte également un intérêt à la situation des retraités ultramarins. Nous sommes sensibles à cette mesure d’équité dans des territoires qui ont des spécificités auxquelles il faut répondre afin de ne pas creuser l’écart entre l’hexagone et l’outre-mer.

Parmi les regrets que nous sommes nombreux à partager, je tiens tout d’abord à évoquer les interrogations qui existent sur le sort des retraites en cours. Sans méconnaître les enjeux budgétaires, nous attendons des réponses sur ce que l’on appelle « le stock ».

Ensuite, le texte laisse de côté la situation des conjoints collaborateurs ou aidants familiaux – je pense en particulier à la situation des agricultrices.

Comme vous le savez, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes du Sénat s’est penchée en 2017 sur la situation des agricultrices, qui représentent aujourd’hui un quart des exploitantes et des co-exploitants agricoles. Dans le rapport d’information que Françoise Laborde a présenté avec six de ses collègues, près de quarante recommandations ont été émises, dont quelques-unes visaient à prendre en compte la situation des agricultrices retraitées qui sont placées plus souvent que les hommes dans des situations de précarité financière.

Aussi, j’espère, monsieur le secrétaire d’État, que ce texte ne sera que le début d’une plus large réflexion sur l’avenir de tous les acteurs du monde agricole – salariés, conjoints et aidants.

À ce stade, pour permettre l’adoption d’un texte très attendu – je dirai même trop longtemps attendu, eu égard aux conditions de son examen, que personne n’a oubliées –, il est urgent de mettre en œuvre la réforme générale du système de retraite pour revaloriser les pensions des agriculteurs.

Aussi, nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d’État, pour envisager des mesures dès 2021, plutôt qu’en 2022. Dois-je rappeler que la proposition de loi a été déposée en 2016 ? Le plus tôt sera donc le mieux !

Le monde agricole nous regarde. Nous avons tous suffisamment croisé de retraités en difficulté pour savoir qu’un effort de solidarité nationale à leur égard est une reconnaissance, une obligation et un devoir moral. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Franck Menonville et M. le rapporteur applaudissent également.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui répond à une nécessité et à une urgence sociale. Il est en effet indispensable de revaloriser les retraites des chefs d’exploitation agricole.

Il existe des petites retraites dans d’autres professions, chacun le sait, mais c’est dans le secteur agricole qu’elles sont les plus faibles. Le montant moyen de la pension d’un retraité agricole se situe entre 700 euros et 800 euros en métropole et bien moins encore dans nos territoires ultramarins, ce qui est inférieur au seuil de pauvreté et au montant du minimum vieillesse.

Il n’est pas uniquement question de revenus, même si c’est vital ; il est aussi question de dignité. Cette situation contraint en effet nombre d’agriculteurs à poursuivre leur activité : 15 % de nos agriculteurs sont encore en activité, alors qu’ils ont plus de 65 ans – certains vont au-delà de 70 ans… Cela contribue à retarder l’installation de jeunes, voire à les décourager un peu plus d’exercer ce beau, mais très difficile métier.

Le principal problème des retraites agricoles réside dans la faiblesse des revenus professionnels. Sur ce point, malgré les très fortes attentes exprimées à l’occasion des états généraux de l’alimentation, la loi Égalim n’a malheureusement pas permis d’avancer. L’enjeu d’une meilleure répartition de la valeur entre les producteurs, l’industrie agroalimentaire et la grande distribution reste devant nous, tout comme la nécessité d’une politique agricole commune qui protège les plus petits producteurs et garantit des revenus justes et stables aux agriculteurs.

Néanmoins, sans attendre davantage – trop de temps a déjà été perdu ! –, chaque agriculteur doit pouvoir bénéficier d’une pension décente au moment où il cesse son activité. Il y va de la justice sociale comme de la promotion d’un certain type de modèle agricole.

Si nous voulons une agriculture avec des agriculteurs – je rappelle que le porte-parole de la Commission européenne se demandait il y a quelques mois encore, si nous avions besoin d’autant d’agriculteurs en Europe… –, si nous voulons résister aux phénomènes de financiarisation de l’agriculture et d’accaparement des terres agricoles, si nous voulons une agriculture à taille humaine, garante de qualité et de sécurité alimentaire, alors, il faut soutenir nos producteurs.

Tel est l’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui qui vise à leur garantir un niveau minimum de pension supérieur au seuil de pauvreté. Ainsi, son article 1er porte le montant minimum des retraites agricoles à 85 % du SMIC net.

Cette proposition de loi, portée depuis 2016 avec détermination par notre collègue et ami, le député André Chassaigne, arrive au bout du circuit parlementaire après de nombreuses péripéties. Je rappelle que, en 2017, la commission des affaires sociales du Sénat a adopté ce texte à l’unanimité, mais, par un artifice procédural, le Gouvernement en a finalement empêché l’adoption.

Nous espérions que l’exécutif avait retrouvé le sens de l’intérêt général à la faveur de cette nouvelle occasion. C’était sans compter l’adoption d’un amendement, par La République En Marche à l’Assemblée nationale, qui tend à réduire la portée de ce texte et à en retarder l’application. Je vous ai bien écouté, monsieur le secrétaire d’État. Vous essayez de vous rattraper, en évoquant janvier 2022 « au plus tard », mais je vous le dis clairement : le plus tôt sera le mieux !

La majorité présidentielle a modifié la proposition de loi initiale, en instaurant un dispositif d’écrêtement qui tourne le dos au principe d’universalité des retraites. En introduisant une distinction entre les agricultrices et les agriculteurs polypensionnés et les autres, l’écrêtement est en contradiction avec la logique de garantie minimale. Pis, cette mesure, défendue par la majorité présidentielle, va exclure 100 000 personnes du bénéfice du dispositif, soit le tiers des bénéficiaires potentiels.

Le monde agricole mérite pourtant un geste fort de reconnaissance. Il a encore démontré durant la crise sanitaire son caractère stratégique, et les agriculteurs ont fait preuve d’un dévouement que les Français, eux, ont reconnu.

Cela dit, ce texte est une première étape vers la revalorisation des pensions de retraite du monde agricole. Il nous faudra poursuivre le travail en faveur des conjoints collaborateurs, c’est-à-dire généralement des femmes, ou encore des aides familiaux, car leurs pensions, loin de refléter leur rôle dans les exploitations agricoles, sont toujours parmi les plus faibles de notre système de retraite.

Nous invitons donc l’ensemble du Sénat à voter cette proposition de loi, afin d’améliorer concrètement la retraite des chefs d’exploitation. Comme nous y ont incités les deux rapporteurs, nous devrons aussi poursuivre le travail sur les champs qui ne sont malheureusement pas couverts par ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.

M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a deux ans déjà, nous débattions dans notre hémicycle de cette même proposition de loi d’André Chassaigne visant à revaloriser les retraites agricoles.

Nous mettions tous unanimement en exergue la nécessité d’une meilleure retraite pour nos agriculteurs. Tous, sauf le Gouvernement qui a préféré nous mettre au pied du mur avec la technique parlementaire du vote bloqué pour ne pas permettre la revalorisation immédiate et nécessaire que nous souhaitions.

Nous voilà enfin de retour aujourd’hui pour reprendre la discussion sur ce texte essentiel pour le niveau de vie de nos retraités, qui n’ont pas aujourd’hui le juste retour du labeur de toute une vie.

Georges Pompidou, Président de la République, qui connaissait bien la ruralité du Cantal et la rudesse de la vie des agriculteurs, en témoignait ainsi : « Mon père et ma mère appartenaient profondément à la famille française, dure au travail, économe, croyant au mérite, aux vertus de l’esprit, aux qualités du cœur. Je n’ai pas eu une enfance gâtée, mais si loin que je remonte je n’ai reçu que des leçons de droiture, d’honnêteté et de travail. Il en reste toujours quelque chose ».

Ce propos résonne toujours fortement pour nous, fils et petit-fils de paysans, car nous sommes plusieurs dans ce cas au sein de la Haute Assemblée. Nous avons tous été marqués par la retraite de misère de nos parents et grands-parents, et nous ne pouvons plus accepter le sort de nos nombreux retraités agricoles.

J’en appelle à la dignité pour nos agriculteurs. J’en appelle à plus de justice pour nos territoires ruraux. J’en appelle à l’équité et à la solidarité des parlementaires pour des hommes et des femmes qui ont travaillé durement toute leur vie et qui se retrouvent, pour certains d’entre eux, sous le seuil de pauvreté !

Après le vote bloqué imposé par le Gouvernement, j’avais, avec mon éminent collègue Laurent Duplomb, déposé une proposition de loi similaire, car nous ne pouvions pas nous résigner. La dignité d’une nation se mesure aussi à l’aune de la considération qu’elle porte à ses aînés.

La ténacité et le pouvoir de persuasion au plus haut niveau du « compagnon Dédé » font que cette proposition de loi est de nouveau discutée dans un contexte où la réforme globale des retraites est suspendue. Je ne puis que saluer ce retour.

Aujourd’hui, un agriculteur sur trois touche une pension de moins de 350 euros par mois. Ce régime offre les pensions parmi les plus faibles en moyenne. Le présent texte propose d’offrir un minimum que tout un chacun est en droit d’attendre après une vie de travail, sans avoir jamais sollicité d’aides sociales diverses ni la solidarité nationale, alors que les enfants accompagnent bien souvent leurs parents et leurs grands-parents en fin de vie à domicile.

Cette préoccupation a été celle de gouvernements successifs depuis 2002. En 2011, notamment, le régime de retraite a été élargi, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, grâce à Jean-Marc Juilhard, alors sénateur du Puy-de-Dôme. Toutefois, 75 % du SMIC, c’est assurément insuffisant ; 85 %, c’est un minimum vital !

Il est essentiel que cette revalorisation à 85 % s’applique pour tous les retraités dès à présent. Le texte prévoit une revalorisation pour les actifs au 1er janvier 2021, et pour tous les retraités actuels en 2022.

La nécessité d’une application immédiate pour tous, exprimée voilà deux ans, est toujours la même. Nos retraités ne peuvent pas attendre 2022 ! L’urgence était déjà présente hier, et elle s’est même renforcée avec la crise financière de la covid, durant laquelle nos agriculteurs ont répondu présents en assurant notre approvisionnement et notre indépendance alimentaires durant toute la période de confinement.

Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes engagé devant l’Assemblée nationale en tenant les propos suivants : « Si nous pouvons le faire plus tôt, nous le ferons plus tôt ». Néanmoins, vous avez mis en avant des difficultés techniques, alors que le président de la Mutualité sociale agricole, la MSA, a précisé la semaine dernière que la chose était possible dès janvier 2021. Alors, allons-y !

Par ailleurs, les épouses et conjointes collaboratrices des agriculteurs doivent être incluses dans la réforme. Il serait totalement injuste que leur investissement au côté de leur conjoint ne soit pas pris en compte et considéré.

Enfin, j’appelle votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur un financement juste de cette revalorisation, financement actuellement projeté dans le PLFSS.

Bien entendu, notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)