M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Pour ma part, j’ai choisi de m’intéresser uniquement à la troisième partie du tome I du rapport, qui concerne les politiques publiques et s’intitule « Un budget de relance et de souveraineté au service de nos priorités écologiques et sociales ».

Peut-on vraiment qualifier ce budget de « vert » ? Si j’en crois les chiffres que j’ai pu lire dans le « tiré à part » que nous avons reçu ce matin, il n’y a pas grand-chose qui le permette. M. le rapporteur général a déjà donné quelques indications sur ce point.

Monsieur le ministre, il est mentionné dans votre rapport une forte accélération du rythme de déploiement des énergies renouvelables et une augmentation des moyens alloués. Je saisis cette occasion pour souligner que le Parlement n’a toujours pas été consulté sur la programmation pluriannuelle de l’énergie. Or celle-ci constitue, normalement, la feuille de route de la politique énergétique que vous comptez mettre en œuvre. En outre, vous souhaitez accentuer le soutien aux énergies vertes électriques, alors que, selon la Cour des comptes, il faudrait plutôt se tourner vers les énergies thermiques.

Comme deuxième axe d’action, vous annoncez une transformation complète du crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, en prime versée l’année des travaux. Cela n’a rien de bien nouveau, puisque tout a déjà été inscrit dans les lois de finances pour 2020.

Vous annoncez aussi une meilleure lisibilité des moyens consacrés aux politiques vertes et donnez comme exemple le regroupement de l’ensemble des charges de service public de l’électricité. Mais, sur 9 milliards d’euros – la Commission de régulation de l’énergie a publié son évaluation pour 2021 voilà quelques jours –, 1,5 milliard d’euros correspondent à des charges n’ayant absolument aucun caractère vert : il s’agit des charges de solidarité avec les territoires non interconnectés, à savoir les outre-mer. Malheureusement pour ces territoires, une grande partie de la production électrique est loin d’être verte – je parle sous le contrôle de mes deux collègues représentant La Réunion.

Vous nous annoncez enfin un exercice de green budgeting. Très bien, mais parlons des indicateurs. La note que la directrice du budget, Amélie Verdier, a adressée à l’ensemble des services en avril 2020, en vue de la préparation du volet « performance » des futurs projets annuels de performances (PAP), comprenait un paragraphe sur la budgétisation environnementale et un autre sur le budget intégrant l’égalité.

Qu’en est-il dans les documents que vous nous avez transmis ?

Concernant le budget intégrant l’égalité, tout y est : en effet, vous avez révisé les indicateurs de performance en vue du futur PLFR, avec, pour les indicateurs visant les publics, la création d’un sous-indicateur sexué, permettant d’appréhender l’impact des politiques publiques sur la promotion des droits des femmes et de l’égalité entre hommes et femmes.

En revanche, sur le budget environnemental, rien ! Pas une seule modification n’est annoncée au travers du débat sur l’orientation des finances publiques et des documents afférents.

Sur la méthode, nous vous avons déjà largement fait part de nos réticences. Je me contenterai donc de citer le rapporteur général de la commission des finances, qui s’interrogeait en ces termes en octobre dernier : « Le green budgeting est-il autre chose qu’une vaste opération de communication ? Le Gouvernement prend un gros pot de peinture verte et se met à verdir le budget, au lieu d’assurer la traçabilité des recettes à finalité environnementale, comme la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ou les redevances des agences de l’eau, qui sont censées financer des travaux évitant la pollution. Dans les deux cas, cela devient des recettes de poche du budget général. »

En conclusion, rien de nouveau, ai-je envie de dire !

Nous aurions proposé, pour notre part, une écologie du bon sens.

Cela consiste à ne pas faire venir d’ailleurs ce que nous pouvons produire sur place, pour engendrer une diminution mécanique de l’empreinte carbone.

Cela consiste à ne pas se disperser, à se fixer des priorités. Le Gouvernement semble avoir choisi une autre voie : « Nous nous occuperons de tout : des pistes cyclables, de l’isolation thermique des bâtiments, des énergies renouvelables, de l’artificialisation des sols… Tout ! », a dit le Premier ministre.

Cela consiste, enfin, à s’appuyer sur la science, plutôt que sur l’idéologie. (M. Jérôme Bascher approuve.)

J’en viens à l’annonce d’un budget de relance pour soutenir la reprise d’activité. Comment comptez-vous concilier industrie et écologie ? En janvier, avant même la fermeture de la centrale de Fessenheim, le niveau des importations d’électricité depuis l’Allemagne a atteint un sommet inégalé depuis 2010. Or l’énergie produite en Allemagne est loin d’être totalement verte !

En outre, pour passer la pointe hivernale, on propose à nos industries de recourir à un mécanisme d’effacement rémunéré.

Qui dit relocalisation dit implantation d’usines. Comment va-t-on faire eu égard aux contraintes administratives des enquêtes publiques ? Certes, je vous l’accorde, quelques avancées ont été réalisées dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dit ASAP. Mais cela sera-t-il suffisant pour relocaliser rapidement des industries ?

Enfin, dans la perspective de relancer l’investissement industriel, qu’en sera-t-il des impôts de production ? Ce que je peux dire, monsieur le ministre, c’est que nous vous avons tracé la voie dans le cadre de l’examen du dernier PLFR.

Dans son rapport intitulé Comment concilier développement économique et environnement ?, le Conseil économique pour le développement durable, dont certains membres éminents ont même travaillé au programme présidentiel, écrivait que « productivité globale ou compétitivité, progrès social et politiques environnementales ambitieuses peuvent aller de pair, mais […] cela ne se fait pas spontanément. (…) [Les politiques publiques] sont nécessaires, mais elles doivent être aussi bien conçues, cohérentes et privilégiant l’incitation sur la norme rigide ; s’attachant absolument à réduire “l’incertitude régulatoire”, génératrice de primes de risque élevées pour les investisseurs. »

Ce qui m’inquiète un peu, c’est que le Président de la République a indiqué qu’il allait retenir 146 des 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, dont un grand nombre sont d’ordre négatif, punitif, plutôt qu’incitatif.

En tout cas, cet extrait d’un rapport dont je conseille la lecture donne une orientation en vue de la déclinaison, dans le PLF à venir, des ambitions que vous exposez dans le cadre de ce débat d’orientation.

La méthode de mise en œuvre nous intéresse également. Le Premier ministre, je le cite de nouveau, a indiqué que si de « grands débats » en matière d’écologie sont nécessaires, il souhaite davantage aborder le sujet depuis le terrain. Il a promis de « bâtir un plan extrêmement concret », « territoire par territoire ». Mais, là encore, avec quels moyens ? Depuis plusieurs années déjà, le Sénat vote une affectation des recettes de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) au financement de projets conduits au plus près des territoires par les régions et les établissements publics de coopération intercommunale, ces collectivités territoriales étant chargées de définir et de mettre en œuvre des plans climat-air-énergie. Chaque fois, le Gouvernement la fait supprimer. Auditionnée par notre commission, Emmanuelle Wargon nous avait indiqué que le Gouvernement n’était pas contre, que tout cela serait vu dans le cadre d’une loi de financement des collectivités locales – une loi qui, sans doute, ne verra jamais le jour !

Enfin, monsieur le ministre, nous ne partageons pas votre vision de la situation des collectivités locales. Qu’en sera-t-il des contrats de Cahors ? Ils ont été ajournés, mais, en l’absence de nouvelle loi de programmation des finances publiques, il semble qu’il n’y aura pas d’amélioration apportée à ce dispositif. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué. Je voudrais, tout d’abord, remercier l’ensemble des intervenants dans ce débat sur l’orientation des finances publiques. C’est un exercice utile, car s’il nous plaît parfois, aux uns et aux autres, de souligner les divergences, les différences d’approche, on note aussi quelques convergences et, surtout, des possibilités d’amélioration du travail que nous menons.

Concernant la jeunesse, les crédits ouverts dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative et ceux qui seront inscrits dans le budget général pour 2021 et dans le plan de relance nous permettront d’accompagner la signature de 230 000 contrats d’apprentissage et la création de 100 000 places supplémentaires de volontaire du service civique, ainsi que l’embauche d’apprentis à tout niveau de qualification. J’ai également indiqué que nous souhaitions ouvrir le dispositif à la fonction publique territoriale. Nous aurons aussi la possibilité d’améliorer et d’étendre le dispositif de la garantie jeunes, s’adressant à celles et ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi ou de l’insertion.

Par ailleurs, j’indique à Mme Goulet que l’examen du PLF nous offrira l’occasion d’un débat sur la dette. L’article relatif au besoin de financement de l’État nous permettra d’avoir un échange sur ce sujet.

S’agissant de l’écologie et du budget vert, la méthode que nous avons arrêtée, sur la base d’un rapport de l’inspection générale des finances (IGF), nous permettra de disposer, dans le PLF pour 2021, d’une mesure des impacts sur l’environnement de chacune des dispositions et de chacun des programmes budgétaires.

L’objectif n’est pas de tout repeindre en vert ; il est d’identifier les politiques publiques ont une dimension bénéfique pour la transition écologique et celles qui, au contraire, ont une incidence négative, afin d’éclairer et de nourrir le débat. Je ne suis pas convaincu, pour autant, qu’il faille sacrifier par avance les politiques ayant un impact négatif, car elles peuvent aussi répondre à certaines nécessités.

En matière de conciliation de l’écologie et de l’industrie, l’amendement relatif à la décarbonation de l’industrie et à l’industrie du futur que le Sénat a accepté de voter a permis d’inscrire en troisième loi de finances rectificative 490 millions d’euros d’autorisations d’engagement afin de lancer ce programme. C’est là une illustration, certainement partielle, de ce que nous pouvons faire.

Enfin, les contrats de Cahors pourraient effectivement être améliorés si nous avions une loi de programmation des finances publiques. J’ai la conviction, au-delà de la nécessité de mettre à jour les prévisions et la trajectoire pluriannuelle, que c’est un bon outil. La discussion sur l’encadrement de l’évolution des dépenses à la hausse dans le cadre des contrats de Cahors, bien que ceux-ci soient suspendus, a été positive. Elle s’est accompagnée d’un témoignage de confiance de l’État, au travers du maintien des dotations. Pour avoir travaillé avec les associations d’élus sur ce sujet voilà encore quelques semaines, je ne doute pas que des améliorations sont possibles, sur le périmètre comme sur les méthodes d’évaluation. Si ces améliorations ne peuvent être apportées au travers d’une loi de programmation, peut-être devrons-nous trouver d’autres moyens de le faire, y compris via la discussion et le partenariat avec les associations d’élus.

Cela m’amène à souligner combien le Gouvernement est ouvert à la modernisation de la LOLF. Le travail mené par les rapporteurs généraux des deux assemblées est certainement riche d’enseignements et de pistes d’amélioration des conditions dans lesquelles nous examinons les finances publiques.

J’entends votre demande, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif. Cela permettrait d’avoir une vision claire et d’intégrer à l’Ondam, l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, les 8 milliards d’euros de crédits supplémentaires que nous avons votés.

Le choix que nous avons fait relève du pragmatisme, peut-être d’une forme de « malthusianisme » en termes de temps parlementaire. L’Ondam a un caractère indicatif ; il n’est pas contraignant. La nécessité d’enchaîner les textes budgétaires à un rythme assez soutenu et sa conjugaison avec un calendrier parlementaire contraint nous a amenés à ne pas opter pour l’élaboration d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif. Je ne doute pas que les débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 seront riches et prendront en compte les événements survenus cette année. La partie consacrée à la constatation de l’exécution sera certainement plus nourrie que les années précédentes.

Bien évidemment, ce que nous avons annoncé en matière de revalorisation salariale – je pense aux accords dits de Ségur – figurera dans le PLFSS pour 2021. C’est pourquoi il n’y en a nulle trace dans les documents. Ces derniers sont certes un peu lacunaires, mais vous conviendrez avec moi que les conditions dans lesquelles nous avons élaboré ces prévisions sont assez particulières cette année.

Plus généralement, d’aucuns se sont interrogés sur les hypothèses que nous avons retenues. Le Haut Conseil des finances publiques, je tiens à le souligner, a considéré nos hypothèses de décroissance comme prudentes. D’ailleurs, lorsque l’on regarde les sept ou huit estimations avancées –émanant du Fonds monétaire international (FMI), de la Commission européenne, de la Banque de France, de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), etc. –, on constate que celle de moins 11 % que nous retenons pour 2020 est certainement l’une des deux plus pessimistes.

Le Haut Conseil des finances publiques aura l’occasion d’actualiser ses prévisions au mois de septembre. Nous en tiendrons évidemment compte pour ce qui concerne l’équilibre du projet de loi de finances que nous présenterons.

Nous avons pour ambition de retrouver le plus rapidement possible le niveau de production de richesses que nous connaissions avant la crise, en stimulant la croissance grâce au plan de relance de 100 milliards d’euros, articulé autour de quatre priorités.

Nous entendons qu’au moins un tiers de ce plan soit consacré à des actions dites de verdissement et que les dépenses inscrites soient à la fois faciles à engager, rapides à mettre en œuvre – y compris en prévoyant une clause de revoyure à intervalles réguliers, au-delà du pilotage –, annulables et reportables en cas de difficultés d’engagement d’un projet donné, réversibles, c’est-à-dire non structurelles. En effet, nous ne devons pas nous retrouver, dans deux ans, au sortir du plan de relance, avec des dépenses structurelles alourdies, des dépenses publiques atteignant à nouveau des hauteurs inenvisageables et inacceptables et, pis encore, un accroissement du poids des prélèvements obligatoires.

C’est dans cet état d’esprit que nous préparons le PLF pour 2021, dont l’examen nous permettra de poursuivre ces discussions.

Au terme de la session extraordinaire, j’adresse mes remerciements à l’ensemble du Sénat pour le travail qui nous a réunis pendant plusieurs jours. Je souhaite le meilleur à celles et ceux d’entre vous qui vont se prêter à un exercice démocratique à la rentrée ! (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur l’orientation des finances publiques.

8

Ajournement du Sénat

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je constate que le Sénat a épuisé son ordre du jour pour la session extraordinaire.

M. le président du Sénat prendra acte de la clôture de cette session lorsque nous aurons reçu le décret de M. le Président de la République portant clôture de la session extraordinaire du Parlement.

Cette information sera publiée au Journal officiel et sur le site internet de notre assemblée.

Sauf élément nouveau, le Sénat se réunira le jeudi 1er octobre 2020, à 15 heures, avec l’ordre du jour suivant :

- Installation du bureau d’âge ;

- Ouverture de la session ordinaire 2020-2021 ;

- Allocution du président d’âge ;

- Scrutin secret à la tribune pour l’élection du président du Sénat ;

- Fixation du calendrier de la suite du renouvellement des instances du Sénat.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures vingt.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication