Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.

M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise résulte d’une mission d’information de notre assemblée et je voudrais, à mon tour, saluer l’engagement de Michel Vaspart, sénateur des Côtes-d’Armor. La Bretagne, petite région maritime…

M. Gérard Lahellec. … qui, avec ses 2 700 kilomètres de côtes et ses trois ports d’État décentralisés, cherche sa place dans le vaste concert mondial et nourrit quelques ambitions en matière de développement de ses petits ports.

Le premier mérite de cette initiative parlementaire est d’affirmer que notre pays a besoin d’une grande ambition portuaire et maritime, et que cette ambition appelle une grande volonté politique. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – dont acte !

Il n’est pas indifférent non plus que ce soit la représentation sénatoriale qui prenne les devants. D’autres ne l’avaient pas fait avant…

Les différentes réformes qui se sont succédé ont entraîné une régionalisation de la gestion d’une partie des ports, preuve s’il en était besoin que les activités portuaires ne se limitent pas aux seuls grands ports maritimes – quand on parle des « grands » ports maritimes français, restons tout de même modestes, parce que la comparaison avec les ports du nord de l’Europe est peu flatteuse.

Malheureusement, aucun bilan n’a été fait de cette régionalisation. Pourtant, nous pourrions en parler en connaissance de cause… Il faudrait donc se situer dans un cadre plus global pour parler d’une stratégie de développement et de synergie de l’ensemble des ports, ce qui peut difficilement se faire sans un bilan préalable.

Le texte met en avant certaines orientations, notamment la nécessité d’investissements sur les liaisons entre les ports, et avec leur hinterland et l’ensemble du territoire.

On peut considérer que les ports ont deux grandes missions : une mission publique de développement du territoire – nul besoin de développer tout ce que cela implique – et une mission marchande, avec laquelle il convient de composer.

Pour véritablement changer la donne, il conviendrait d’avoir une grande ambition publique pour la mission publique, et que celle-ci soit libérée de l’hésitation du secteur marchand à s’engager à faire certains investissements.

Pour les grands ports maritimes, au lieu de préconiser une régionalisation, comme ce texte le prévoit – elle conforterait un désengagement de l’État –, il vaudrait mieux poser la question de l’ambition nationale du développement de ces ports. Il existe d’ailleurs une forme de dualité entre les articles 1er et 6 de la proposition de loi.

Il ne suffira pas non plus, si nous voulons dégager de la performance et de la compétitivité, d’accorder plus de facilités pour flexibiliser l’emploi des directeurs des ports ou instaurer un service minimum de telle ou telle activité.

Un vrai changement consisterait à permettre aux ports de tenir un double bilan financier avec un budget fourni par la tutelle publique pour les missions publiques et un bilan de type privé pour les missions marchandes, en prévoyant que les privés participent au financement des missions marchandes. Il n’en est pas vraiment question dans la proposition de loi.

Enfin, on me rétorquera peut-être que les ports déjà décentralisés pourraient trouver leur place dans un projet construit exclusivement autour des grands ports maritimes. Peut-être ! Mais je vous avoue que cela me trouble : en effet, par extension de ce même raisonnement aux politiques terrestres, on pourrait aussi suggérer que nos petits territoires n’auraient plus qu’à rechercher leur place dans les espaces configurés et laissés libres par les métropoles. Or j’ai cru comprendre que ce n’était pas exactement la position de notre assemblée…

Vous l’aurez compris, il nous sera très difficile de soutenir une proposition de loi qui ne règle pas ces difficultés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Demilly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Stéphane Demilly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français. Ce texte vise à créer un cadre propice à la reconquête de parts de marché pour nos ports maritimes, en particulier les grands ports maritimes relevant de l’État, premières portes d’entrée du commerce extérieur français.

Il faut savoir que 90 % des échanges mondiaux se font par voie maritime. Autant dire que les ports français sont des acteurs stratégiques dans ce domaine, avec un impact économique considérable. La valeur ajoutée du fonctionnement du système portuaire français dépasse les 15 milliards d’euros et l’activité portuaire représente plus de 350 000 emplois directs et indirects.

La France possède de nombreux points forts, avec ses trois façades maritimes métropolitaines, son accès à tous les océans grâce à l’outre-mer, son deuxième plus grand domaine maritime au monde et son dense réseau de soixante-six ports de commerce.

Mais, malgré ces atouts, la performance de nos grands ports maritimes connaît un recul depuis 2008 et, comme l’a souligné le rapporteur, le trafic de l’ensemble des grands ports maritimes métropolitains est inférieur de plus de 40 % à celui du seul port de Rotterdam. J’ai eu du mal à le croire !

L’une des explications à ce constat est l’insuffisance de coordination entre les ports maritimes eux-mêmes, et entre les ports maritimes et les ports intérieurs. Pour le dire d’un point de vue macroéconomique, nous pêchons, si j’ose dire, par absence de stratégie nationale portuaire, une stratégie pourtant promise par le Gouvernement.

Nos ports maritimes sont aujourd’hui confrontés à une forte mutation du transport maritime : augmentation de la taille des navires, concentration économique, numérisation et reconfiguration du paysage géopolitique, avec notamment la mise en œuvre de la stratégie chinoise des nouvelles routes de la soie.

Certaines estimations traduisent ce retard de croissance des ports maritimes français en une perte d’emplois comprise entre 30 000 et 70 000 pour la filière des conteneurs. En 2020, plus de 40 % des conteneurs à destination de la France métropolitaine transitent encore par des ports étrangers. Ce constat terrible, j’ai aussi dû le relire plusieurs fois !

De nouvelles stratégies de reconquête s’avèrent donc nécessaires pour valoriser ce domaine essentiel à l’économie française.

Les potentialités de croissance sont très importantes, y compris à court et moyen termes. Ces mesures pourraient représenter une hausse de 10 % de la part de marché des grands ports maritimes sur le trafic de conteneurs, associée à plus d’un milliard d’euros de valeur ajoutée, ainsi qu’à la création de 25 000 emplois directs et indirects.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui reprend les mesures proposées par la mission d’information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes. Bien sûr, on est en droit de s’interroger sur la nature de ce véhicule législatif pour aborder des sujets aussi stratégiques.

Néanmoins, l’intention est là et cette proposition de loi tend à moderniser et améliorer la gouvernance des ports français, en instituant une stratégie nationale portuaire et en créant un Conseil national portuaire et logistique chargé du suivi de sa mise en œuvre. Ce CNPL renforcerait la représentation des collectivités territoriales et des acteurs économiques de la place portuaire au sein du conseil de surveillance de chaque grand port maritime.

Cette proposition de loi tend également à renforcer les pouvoirs du conseil de développement des grands ports maritimes, en leur permettant de rendre un avis conforme sur le projet stratégique de l’établissement. Elle comporte aussi des mesures visant à clarifier le fonctionnement des conseils de coordination interportuaire.

Ce texte vise également à renforcer l’attractivité et la compétitivité des grands ports maritimes, en favorisant leur développement, notamment grâce à des mesures relatives à l’exécution et à la régulation des services portuaires de pilotage et de remorquage.

Nous ne pouvons que soutenir l’ensemble de ces orientations, qui vont dans le bon sens, d’autant que le texte a été notablement amélioré par les travaux de notre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui a assoupli les modalités de gouvernance et qui est parvenue à une meilleure représentation de l’ensemble des acteurs concernés.

La commission a aussi renforcé la compétitivité et le verdissement du secteur. Elle propose notamment d’instituer des zones de relance économique temporaires, avec un régime douanier et fiscal spécifique, et de définir un régime de suramortissement à hauteur de 30 % pour l’acquisition de certains équipements et technologies concourant à la fluidité du passage portuaire et de la chaîne logistique.

Accompagner la transition écologique de ce secteur a également été, je vous l’ai dit, une priorité de nos travaux en commission. Des outils incitatifs ont été mis en place pour que les acteurs du domaine portuaire s’engagent clairement et plus fortement à réduire leur impact environnemental. Le mécanisme de suramortissement que je viens de citer vise notamment l’acquisition d’équipements permettant une réduction d’au moins 25 % des émissions de CO2, de soufre ou de tout type de pollution.

La commission a également souhaité ouvrir la possibilité pour les grands ports maritimes volontaires d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’optimisation des coûts et, le cas échéant, de réduction du surcoût de manutention fluviale, afin de favoriser le report modal et le verdissement du transport de marchandises.

Ces différentes mesures doivent permettre une relance économique verte de nos ports maritimes français.

Un mot maintenant de la mesure sur laquelle vont sans doute se concentrer nos débats : le fameux article 6, qui ouvre la possibilité d’une décentralisation de la propriété, de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion des grands ports maritimes aux régions qui en feraient la demande, sous réserve de l’accord de l’État.

Pour ma part, autant la possibilité d’une telle décentralisation me semble a priori judicieuse pour la gestion des ports intérieurs, autant j’entends les arguments de ceux qui considèrent que cette décentralisation risquerait de mettre à mal la stratégie nationale. Les débats que nous aurons dans cet hémicycle nous permettront probablement d’obtenir des éclairages très intéressants.

Quoi qu’il en soit, la présente proposition de loi est de nature à créer un écosystème portuaire en phase avec nombre de priorités pour l’aménagement des territoires, comme la réalisation concomitante du barreau nord-est et du barreau sud-est pour le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise, ou le triplement de l’aide à la pince afin de soutenir le report modal.

Je pense aussi, bien sûr, au développement de plateformes logistiques le long de l’attendu canal Seine-Nord Europe. Ce projet, que je connais bien pour en être l’ambassadeur depuis plus de vingt-cinq ans, d’abord à la région, puis à l’Assemblée nationale et dorénavant au Sénat, avec mon collègue Laurent Somon ici présent, est un projet majeur qui constituera un maillon central de la liaison fluviale européenne à grand gabarit Seine-Escaut.

En reliant les bassins de la Seine et de l’Oise aux 20 000 kilomètres de réseau fluvial nord-européen à grand gabarit, il permettra de faire voguer des bateaux de fret fluvial de 4 400 tonnes, soit l’équivalent de deux cent vingt camions. Ce report modal de la route vers la voie d’eau entraînera une diminution importante des émissions de CO2, décongestionnera les autoroutes de l’axe concerné et surtout créera des milliers d’emplois conjoncturels, le temps des travaux, et structurels grâce aux plateformes d’irrigation économique le long de son parcours.

C’était mon couplet picard ou plus exactement, madame la présidente, mon couplet haut-français…

Vous l’aurez compris, il nous semble urgent de donner un nouvel élan à nos ports maritimes français, de renforcer leur compétitivité et de soutenir leur verdissement.

Sceptique quant à la durée de vie de cette proposition de loi, le groupe Union Centriste votera néanmoins en faveur de ce texte, car de la performance de nos ports maritimes dépendent la santé de notre commerce international et de notre économie et le respect de nos engagements en faveur de la transition écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. le président de la commission et M. Philippe Tabarot applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Martine Filleul. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré plusieurs réformes, nos places portuaires accusent un retard par rapport à celles de nos voisins européens et sont sous-exploitées au regard de leurs potentialités, alors même que la France est la deuxième puissance maritime mondiale. Ce constat a été mis en évidence par les précédents orateurs. Il faut désormais franchir un nouveau cap.

Le texte que nous examinons est la traduction législative des recommandations de la mission d’information que j’ai présidée, et dont Michel Vaspart était rapporteur. Si nous partagions beaucoup, pour ne pas dire l’essentiel, des constats et des mesures à mettre en œuvre, nous avions quelques points de divergence, que j’ai souhaité présenter dans une proposition de loi à part, et dont certains font l’objet aujourd’hui d’amendements.

Tout d’abord, nous en sommes tous d’accord, il faut que l’État définisse une stratégie nationale cohérente et ambitieuse. À cet égard, nous soutenons les mesures qui tendent à définir ladite stratégie, ainsi que la création d’un Conseil national portuaire et logistique chargé de sa mise en œuvre et de son suivi.

C’est un besoin impérieux dans un contexte de relance économique : les ports constituent en effet des lieux privilégiés de réindustrialisation, des gisements potentiels d’emplois. La création de zones franches nous apparaît opportune pour encourager l’implantation d’entreprises.

Cependant, le développement de nos ports ne pourra se faire sans investissements importants dans les infrastructures. Or ceux qui sont prévus par la LOM restent insuffisants. Il est indispensable de les augmenter, et nous soutenons l’ensemble des mesures financières prévues à cet effet.

Une bonne gestion et une gouvernance efficace sont aussi nécessaires pour la compétitivité de nos ports : pour cela, toutes les parties prenantes doivent pouvoir participer aux décisions qui les concernent. Ainsi, les acteurs privés et les collectivités territoriales qui contribuent à leur financement et à leur fonctionnement doivent y être davantage associés. Nous saluons les mesures qui encouragent cette idée.

Au-delà de ces aspects, sur lesquels nous nous accordons, un point central nous sépare.

Nos ports constituent un outil de souveraineté nationale pour l’approvisionnement en toutes circonstances de notre pays. La crise sanitaire l’a bien montré. En effet, les ports ont fait preuve d’une réactivité remarquable en demeurant pleinement opérationnels, assurant ainsi l’acheminement de biens essentiels, de masques et de certains produits pharmaceutiques. À l’export, ils permettent la promotion de nos filières d’excellence.

Autour de cet enjeu stratégique, je dirai presque régalien, d’importants défis sont à relever dans un contexte de concurrence internationale féroce et d’urgence écologique. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à la possibilité ouverte de régionaliser les grands ports maritimes. L’État doit garder le contrôle de ces structures indispensables à notre indépendance et à notre économie.

Pour nous, l’enjeu se situe plutôt dans la nécessaire coordination entre nos différents ports. Ils doivent jouer collectif, affronter ensemble les défis, dans une logique de complémentarité, a fortiori dans le contexte du Brexit. C’est pourquoi nous attachons une importance particulière aux conseils de coordination interportuaire, dont l’article 5 améliore le fonctionnement. Nous avons souhaité que chaque façade maritime en soit systématiquement dotée.

Par ailleurs, la stratégie portuaire devra inévitablement respecter nos engagements de développement durable, tant sur la question environnementale que sur la question sociale.

Plus que jamais, l’économie doit se conjuguer avec les impératifs écologiques, en l’occurrence le verdissement du transport de marchandises, qui passe notamment par le fluvial.

La France est le théâtre d’un grand paradoxe de ce point de vue : c’est le pays qui dispose des voies navigables les plus longues d’Europe, mais dont le taux d’utilisation est le plus faible, 80 % des acheminements reposant encore sur le routier. Pourtant, avec quatre fois moins de CO2 émis que la route et sa capacité de massification importante, le fluvial est l’un des modes de transport les plus vertueux.

Nos ports ont, par ailleurs, trop longtemps été perçus comme des culs-de-sac, des éléments isolés menant leurs propres activités, des structures limitées à leur propre zone d’exploitation. Or il est très réducteur de ne les envisager que sous l’angle de leur rapport avec la mer, car c’est celui avec la terre, c’est-à-dire l’hinterland, qui est défaillant et qui a freiné la constitution d’une chaîne logistique performante et écologique.

Les ports sont des espaces multimodaux qu’il faut envisager dans leur prolongement vers les réseaux ferrés et fluviaux. À l’instar de ce que font nos voisins, nous devons prioritairement renforcer le transport fluvial. La construction du canal Seine-Nord Europe sera une première étape, mais il faut d’autres mesures, y compris pour la régénération de l’ensemble du réseau de voies navigables.

L’établissement Voies navigables de France (VNF), tout comme SNCF Réseau, doit systématiquement être associé à la politique portuaire. Par ailleurs, pour rendre compétitif le transport fluvial face au routier, nous voulons supprimer la distorsion qu’il subit en généralisant la solution, retenue à Dunkerque, d’une mutualisation et d’une répartition uniforme des charges de manutention des conteneurs.

Vous l’aurez compris, le respect de l’environnement constitue une préoccupation majeure. C’est la raison pour laquelle, malgré la nouvelle rédaction adoptée par la commission, nous demanderons la suppression de l’alinéa 3 de l’article 7, qui permettrait à un port de déroger à ses obligations de compenser toute atteinte à la biodiversité.

Enfin, nos ports ne seraient rien sans les femmes et les hommes qui les font vivre, et participent indéniablement à leur essor. C’est pourquoi nous voulons que le personnel soit bien représenté au sein des conseils de surveillance.

Nous veillerons également à ne pas affaiblir le modèle social auquel les salariés et les dockers sont légitimement attachés. La mise en place d’un « nouveau service minimum », alors que des règles permettent déjà de maintenir un niveau de fonctionnement suffisant de nos ports, n’est, à nos yeux, pas acceptable.

Nous pensons que nous devons davantage nous préoccuper de donner aux salariés et aux dockers les moyens de s’adapter à la transformation numérique et de réfléchir, notamment, à leur formation.

Pour conclure, je dirai que la mer peut, dans la période difficile que nous vivons, devenir une de nos plus belles opportunités, si nous défendons ensemble une politique portuaire qui préserve nos intérêts, protège nos richesses et agisse comme un moteur pour le développement des territoires, pour la création de valeur et pour l’emploi, tout en favorisant la transition écologique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous étudions cet après-midi est le fruit d’un long travail, et d’une réflexion parlementaire qui a donné lieu à une mission d’information relative à la compétitivité internationale de nos ports.

Or la compétitivité de nos ports, c’est aussi, bien sûr, la compétitivité de la France.

Les enjeux auxquels font face nos ports maritimes sont multiples. Ils sont d’ordre économique, écologique, industriel ou encore organisationnel et géopolitique. Nos ports ont connu de nombreuses crises et, depuis 2008, ils peinent à retrouver un cap. Tout cela a été accentué par la crise du covid-19.

Vous me permettrez de prendre l’exemple du port de Nantes-Saint-Nazaire, que je connais particulièrement bien puisque je suis originaire de Loire-Atlantique.

Ce grand port maritime, quatrième port français, concentre tous les enjeux que j’ai déjà énumérés. Le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), dans un récent rapport, a fait des préconisations intéressantes pour améliorer et adapter la stratégie de Nantes-Saint-Nazaire : amorcer une diversification de l’activité, organiser la transition énergétique, notamment avec l’éolien et l’hydrogène, ou encore se coordonner avec d’autres ports de la façade Atlantique.

L’une des recommandations qui a le plus attiré mon attention est celle de l’élargissement de l’hinterland. À ce titre, le fret ferroviaire ou encore les routes fluviales sont essentiels. Je salue donc la présence de représentants de VNF et de SNCF Réseau dans la composition du CNPL, dont la création est proposée par cette proposition de loi. Il en est de même dans la composition du conseil de surveillance.

Nous devons adapter nos ports et leur gouvernance pour les rendre plus efficaces et prospères. Comme l’a dit Édouard Philippe, alors Premier ministre, il faut des « ports entrepreneurs ». Je trouve cette expression tout à fait juste.

Un plan de navigation stable à l’échelle nationale pour affronter les remous de la mondialisation est essentiel. C’est l’objectif de l’article 1er de ce texte, qui prévoit la création d’une stratégie nationale portuaire.

Notre pays a une richesse maritime incroyable, l’une des plus importantes en Europe. C’est un atout pour la France et une chance pour l’Union européenne. Notre place est aux avant-postes dans la compétition internationale. Dans cette perspective, le mécanisme des zones de relance économique temporaires semble aussi pertinent.

La cohérence se retrouvera également dans nos actions. Je souligne donc les avancées réalisées sur les conseils de coordination interportuaire. De la même manière, il est important d’inclure tous les acteurs en présence. J’entends par là les acteurs locaux, qu’ils viennent du monde industriel, économique ou social. Pour reprendre l’exemple du port de Nantes-Saint-Nazaire, environ 120 entreprises y sont installées, dont de très beaux fleurons français, comme Airbus ou bien encore les Chantiers de l’Atlantique. En tout, cela représente plus de 25 000 emplois, et, rien que pour le grand port maritime, plus de 80 métiers différents.

Cet écosystème connaît par cœur les enjeux auxquels il fait face. Seule une association solide entre le local et le national peut rendre l’ensemble cohérent et efficient.

La coordination doit également se faire entre les ports partageant une même façade. Les enjeux ne sont pas les mêmes à Marseille et à Dunkerque. En revanche, comme le montrent ses préparatifs, le Brexit nécessitera une organisation particulière, a fortiori en cas de non-accord. C’est important pour notre compétitivité, notre attractivité et le respect de nos règles européennes.

Enfin, je souhaite terminer par deux points.

Premièrement, il y a un atout écologique de nos ports, lesquels font de gros efforts de verdissement qui doivent être encore renforcés. Je salue à cet égard l’extension du dispositif de suramortissement pour les entreprises investissant dans le verdissement des ports et du transport maritime.

Deuxièmement, je veux insister sur l’article 6, qui tend à la régionalisation de la gestion des grands ports maritimes. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à connaître les discussions en cours concernant Nantes-Saint-Nazaire, mais aussi Bordeaux et La Rochelle. Je suis attaché à la décentralisation, ainsi qu’à l’inclusion des régions dans le processus décisionnel. Je crois en la subsidiarité, c’est-à-dire le principe imposant que la décision soit prise à l’échelon le plus approprié, mais je crois aussi que la stratégie nationale doit garder un poids significatif, en réponse aux enjeux de la mondialisation.

La progression des nouvelles routes de la soie est mise en avant dans ce texte, mais ce n’est pas la seule stratégie. Nous devons réfléchir ensemble à une solution intermédiaire où l’État et les collectivités territoriales auraient des rôles complémentaires.

La stratégie de nos ports maritimes participe de l’aménagement de notre territoire, de l’accélération de notre transition écologique et énergétique, de la garantie de notre souveraineté économique et industrielle et de l’affirmation de notre poids géopolitique dans ce monde en perpétuel mouvement. Il reste du travail, mais le Sénat sera au rendez-vous.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Tabarot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je veux moi aussi profiter de cette occasion pour saluer le travail accompli par Michel Vaspart. Il a, je le sais, joué un rôle moteur pour que les affaires portuaires fassent l’objet d’une attention constante au Sénat, tout comme nos collègues Martine Filleul, Hervé Maurey et Didier Mandelli. Je veux pour preuve de cet engagement l’examen, aujourd’hui, de la proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français.

Si la crise sanitaire a montré la résilience de nos ports français, elle a également révélé que le modèle économique des grands ports maritimes était encore handicapé par des freins à la compétitivité. Nos portes d’entrée maritimes, qui sont bien plus que des connecteurs à l’économie mondialisée, sont devant la porte de leur propre vérité face à la concurrence : il s’agit aujourd’hui de relever les nouveaux défis de ce que doit être une grande Nation maritime.

Comité interministériel en 2018, Assises de la mer… Il est temps de passer des intentions aux actes ! Malgré vos annonces à l’instant, monsieur le ministre, beaucoup reste à faire.

En préambule, je souhaite rappeler un chiffre : plus de 40 % des conteneurs à destination de la France métropolitaine transitent toujours par d’autres ports européens, principalement belges et néerlandais, et notamment Rotterdam dont a parlé Stéphane Demilly.

Cette édifiante donnée motive à elle seule mon intervention sur cette proposition de loi. Ce rappel doit nous permettre de garder à l’esprit que ce texte résulte non pas d’une conjonction d’opportunités politiques, mais bien d’une volonté de pallier une politique publique défaillante.

J’emploie à dessein l’adjectif « défaillant », car deux rapports dressent un panorama sans concession de la situation des ports français. Permettez-moi de citer l’un d’eux : « La performance de nos ports demeure insuffisante au regard des atouts maritimes de la France. »

Le rapport de juillet dernier rappelle, par ailleurs, que le projet chinois des nouvelles routes de la soie a mis en lumière le caractère stratégique des ports pour l’approvisionnement de la Nation en biens essentiels.

Un autre chiffre illustre cette situation : 80 % des pré- et post-acheminements portuaires reposent encore sur le mode routier, quand 50 % du fret du port d’Hambourg est acheminé par voie ferroviaire ou fluviale.

La statistique la plus éloquente est pourtant à venir : songez un instant que les six principaux ports maritimes hexagonaux représentent un total de 294 millions de tonnes de transit, le seul port de Rotterdam atteignant, de son côté, 469 millions de tonnes, et Anvers 235 millions de tonnes.

Nous sommes donc face à un double défi : d’une part, nos ports manquent cruellement d’attractivité ; d’autre part, ils souffrent d’une intermodalité insuffisamment développée. Sur ce dernier point, j’ai eu l’occasion de mesurer notre retard, ayant examiné cette année en tant que rapporteur pour avis les crédits prévus dans le budget pour 2021 en faveur du transport ferroviaire, fluvial et maritime.

Nous sommes particulièrement sensibles au développement de solutions de transport intermodal diversifiées, qui dépassent d’ailleurs le strict cadre portuaire.

Le mode fluvial, pourtant fiable, capacitaire et capable de desservir le cœur des villes, représente seulement 2 % du transport intérieur de marchandises. La part du ferroviaire en France atteint difficilement les 9 %, alors qu’elle s’élève à 35 % en Autriche.

La massification des acheminements portuaires est nécessaire à double titre : dans une optique de réduction des nuisances liées au transport de marchandises mais aussi pour renforcer la compétitivité de nos ports.

En effet, comment envisager demain de gagner des parts de marché dans nos ports si, derrière, nous ne disposons pas des capacités de transport suffisantes pour absorber cette augmentation ? Comme le résume très bien la formule citée dans le rapport de la mission d’information, « à la massification maritime doit correspondre une massification terrestre ». Je salue donc les avancées prévues par la proposition de loi en la matière.

Il s’agit, d’abord, de la création du CNPL, qui va favoriser une meilleure prise en compte de la problématique du transport terrestre des marchandises. Les amendements adoptés en commission sur l’initiative du rapporteur Didier Mandelli et de nos collègues, et visant à élargir la composition de ce Conseil aux représentants des collectivités territoriales, des ports maritimes, de VNF, de SNCF Réseau, vont tous dans le sens du développement de solutions multimodales.

De fait, cette proposition de loi suit toujours sa ligne directrice : favoriser les solutions multimodales, comme nous le constatons avec la composition et le fonctionnement des conseils de surveillance des grands ports maritimes.

S’agissant du volet financier, l’augmentation de la trajectoire d’investissements de l’Afitf, fixée par la LOM, est un signal fort en faveur du fret ferroviaire et du fret fluvial.

Les besoins en matière de régénération sont énormes, compte tenu des années de sous-investissement. Cette évolution pourrait d’ailleurs s’inscrire dans la stratégie nationale pour le fret ferroviaire, qui devrait, comme vous venez de nous le dire, monsieur le ministre, être présentée prochainement.

Un mot, enfin, pour dire que la création d’une instance de discussion sur le surcoût de la manutention fluviale, qui serait chargée de mettre en œuvre un plan d’optimisation à cet égard, est malheureusement devenue nécessaire.

S’agissant du transport maritime, le prolongement du dispositif de suramortissement fiscal en faveur du verdissement des navires est particulièrement bienvenu, étant donnés les objectifs ambitieux, devenus impérieux en la matière, pour diminuer l’intensité carbone du transport international.

Pour conclure, si ce texte est avant tout une réponse à une politique publique que nous jugeons défaillante, je m’autorise, comme mes collègues, à demander au Gouvernement, une nouvelle fois, de présenter au plus vite sa stratégie nationale portuaire, annoncée depuis 2017.

Si la France de la mer et celle de la terre ne se tournent plus le dos, le réalisme de la situation n’interdit pas d’engager formellement et rapidement plus de convergence, plus d’ambition, plus d’intermodalité, dès lors que ces objectifs sont portés et partagés politiquement aux plans national et régional.

Compte tenu du contexte sanitaire, la situation des grands ports maritimes ne semble pas relever de l’urgence. Et pourtant, si nous continuons dans cette voie, nous risquons de franchir un point de non-retour. Alors, monsieur le ministre, ne repoussez pas cette proposition de loi et revenez sur votre avis initial. Aidons nos ports français à retrouver une place stratégique sur notre continent ! Ils n’ont que trop attendu. Ce texte quasi consensuel est de nature à y contribuer fortement.

Monsieur le ministre, ne passez pas à côté de cette nouvelle opportunité que vous offre la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)