Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur, comme je l’ai indiqué, pour la première partie, les crédits de la DSIL relance ou de la DSIL rénovation thermique sont attribués selon les mêmes critères que la dotation de soutien à l’investissement local classique ou la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), justement pour ne pas exclure les communes de petite taille. Nous avons aussi veillé à ce que ces dernières aient plus de temps ; elles disposeront notamment d’un mois de plus pour déposer les dossiers relatifs à la DSIL rénovation énergétique.

Je souligne un dernier point. À vous entendre, monsieur le sénateur, les préfets ont la main sur des crédits importants sans avoir de comptes à rendre. Je vous assure que les préfets rendent des comptes au Premier ministre, au ministre de l’intérieur et à l’ensemble des ministres qui les mobilisent pour la mise en œuvre de leurs actions.

M. Hervé Gillé. Mais pas aux parlementaires !

Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Monsieur le ministre, je vous écoute depuis tout à l’heure répondre aux questions de nos collègues. Vous maîtrisez parfaitement la théorie, mais, très franchement, je ne crois pas que les maires ruraux puissent être en phase avec vos propos.

Vous avez parlé d’un document programme, mais le maire d’une commune du Gard de 50, 100 ou 200 habitants n’a pas le temps de lire 50 à 100 pages par jour. Il a autre chose à faire et il n’a pas l’ingénierie pour le faire à sa place, contrairement au maire d’une commune de 50 000 ou 100 000 habitants, qui peut confier cette tâche à son directeur général des services (DGS).

Il faudrait que, de Paris, vous commenciez à le comprendre et que vous ne soyez pas toujours hors sol ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)

Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph.

Mme Else Joseph. Monsieur le ministre, ces derniers mois, la crise sanitaire a révélé bien des fragilités, des lenteurs et des inadaptations dans l’organisation de notre État et de notre administration. Pourtant, c’est à ce même État que les Français sont attachés.

Dans les mois à venir, je l’espère, la question de la relance de notre économie sera posée. Nous avons raté la crise, ne ratons pas la reprise. Nous pouvons faire de la relance l’antithèse de ce qui a été défectueux, en agissant directement, au plus près du terrain.

Pour cette raison, les préfets sont aux côtés des collectivités locales, qui ne manquent pas d’expertise pour développer des projets économiques et industriels, comme c’est le cas dans mon département des Ardennes.

Il y a moins d’un an, ma collègue Sophie Primas proposait la mise en place de task forces de simplification administrative pour les nouvelles implantations industrielles, autour des préfets et en lien avec les élus locaux. Elles sont nécessaires pour encourager la relocalisation de notre économie.

Les services de l’État doivent faciliter davantage encore les projets locaux. C’est dans ce cadre que l’on peut imaginer une saine articulation, non seulement entre les différents échelons publics, mais aussi entre les acteurs publics et les acteurs privés autour du préfet, qui joue un rôle clé.

Nous ne voudrions toutefois pas que nos espoirs soient gâchés par nos craintes, et nous avons donc des questions à vous poser, monsieur le ministre.

Le préfet est le délégué territorial de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Quel est précisément son rôle à ce titre ? Quelles sont ses libertés et ses initiatives ?

Dans les Ardennes, nous avons la chance de disposer d’un préfet à la relance. Comment son rôle s’articule-t-il avec celui des préfets ? Il faut adresser un message clair sur ce point, car cela est source d’incompréhension.

Quels seront également les liens des préfets avec les acteurs économiques ? Qu’en est-il par exemple des friches contrôlées par l’État, évoquées dans le pacte Ardennes ?

Monsieur le ministre, le préfet n’est pas seulement une image d’Épinal de la déconcentration. Il doit aussi être l’incarnation vivante et adaptée de l’État stratège, avec plus d’autonomie et de prérogatives. À ce titre, n’hésitons pas à renforcer ses compétences en matière d’éducation et de santé, sujets que l’actualité rend prioritaires. Le préfet doit illustrer la réinvention du rôle de l’État au XXIe siècle, dans une logique de complémentarité avec les élus locaux. (M. Étienne Blanc applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice, en tant que représentant de l’État, le préfet a autorité sur les sous-préfets à la relance, qui sont pour leur part des interlocuteurs et des facilitateurs.

La représentation de l’État dans le département relève bien du préfet, qui est aussi délégué de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine et de l’ANCT. Il dispose à ce titre de toutes les marges prévues dans le règlement d’intervention de ces agences pour mettre en œuvre les projets sur le territoire.

Il vous semblerait également utile que le préfet ait autorité sur les administrations de santé. Une modification législative serait nécessaire si nous voulions vous suivre, notamment pour revoir le périmètre de l’organisation territoriale de l’État, qui exclut les administrations de la santé, les administrations militaires, les administrations des finances publiques – DGFiP et douanes – et les représentations territoriales du ministère de l’éducation nationale – directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen) et rectorat.

Un débat sur ce modèle totalement nouveau serait certainement intéressant, mais il n’a pas encore été ouvert à ce stade.

Quoi qu’il en soit, je souligne l’importance du rôle des préfets pour coordonner les actions dans les territoires. En cela, je partage le sens général de votre intervention.

Madame la présidente, si vous le permettez, je profiterai des quelques secondes qui me restent pour répondre à M. Burgoa.

Monsieur le sénateur, vous êtes conseiller départemental depuis cinq ans et vous avez été adjoint au maire de Nîmes pendant trois ans. C’est une expérience notable.

Pour ma part, j’ai été député de la deuxième circonscription de l’Ardèche, laquelle compte 92 communes, de 2007 à mon entrée au Gouvernement, et maire d’une commune de 17 000 habitants pendant un peu plus de dix ans. J’estime avoir assez peu de leçons à recevoir sur ma capacité à tenir le sol !

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel rôle pour le préfet à l’heure de la relance, à un moment où notre société n’a jamais eu autant besoin d’autorité et de clarté ?

Le plan de relance de 100 milliards d’euros sur deux ans doit permettre de reconstruire le tissu économique local, de renforcer l’attractivité de nos territoires, d’accompagner la transition écologique et de lutter contre la précarité sociale.

Une architecture spécifique de dialogue entre l’État et les acteurs locaux a été prévue dans la mise en œuvre de la territorialisation du plan de relance. Ainsi, deux comités de pilotage et de suivi aux échelons régional et départemental ont été créés.

Le choix a été fait de contractualiser les modalités de déploiement du plan de relance par le biais d’un « accord régional de relance », signé entre l’État et la région en parallèle du contrat de plan État-région 2021-2027.

Un contrat de relance et de transition écologique pourra éventuellement être signé entre l’État, d’une part, et les départements, les EPCI et les communes, d’autre part, pour des projets particuliers cofinancés par ces collectivités.

Enfin, le plan de relance distingue trois types d’enveloppes de crédits « d’actions territorialisées » : certaines seront gérées de manière déconcentrée par les opérateurs régionaux, d’autres seront directement placées sous l’autorité du préfet, d’autres enfin pourront être déconcentrées au fur et à mesure.

Plusieurs mois après le lancement des premières actions de relance, le constat est sans appel : il est nécessaire d’appeler à une meilleure coordination des efforts de relance.

En effet, il est à craindre que la superposition de multiples niveaux de décision, de diverses couches contractuelles et de différents types d’enveloppes ne soit source de confusion et de retards. De même, la double contractualisation avec les collectivités prendra nécessairement du temps.

Les collectivités ne sauraient être réduites au seul rôle d’opérateurs de l’État. Elles attendent au contraire une meilleure reconnaissance de leur rôle, central, dans la vie économique des territoires.

Pourtant, en dépit des annonces de territorialisation, les financements restent en grande majorité octroyés in fine sur décision des préfets. Les collectivités sont bien sûr largement appelées à cofinancer ces actions, sans avoir néanmoins de pouvoir de codécision sur leurs orientations.

C’est donc une organisation très verticale du plan de relance qui se dessine, dans laquelle les crédits ayant vocation à irriguer les territoires seront distribués par le préfet, sans véritable prise en compte de la vision stratégique propre des collectivités.

Le Gouvernement doit donc œuvrer à offrir les clarifications et simplifications nécessaires, sous peine que la territorialisation du plan de relance ne soit pas effective avant plusieurs mois et repousse encore un stimulus économique déjà étalé dans le temps.

Pour venir en renfort des territoires, le Gouvernement a décidé de déployer des sous-préfets à la relance. L’intention est louable : il s’agit de faire remonter tous les blocages administratifs rencontrés sur le terrain.

Toutefois, l’envoi de nouveaux fonctionnaires ne risque-t-il pas de conduire à un court-circuitage du travail des préfets en place et de brouiller la qualité du dialogue avec les élus locaux ? Et c’est sans compter les doublons avec les commissaires au redressement productif et, surtout, avec les 450 sous-préfets en poste, dont certains ont déjà en charge des domaines particuliers, par exemple la ville ou l’égalité des chances.

Enfin, le préfet se heurte toujours à de nombreuses difficultés dans l’exercice de ses différentes missions, malgré les réformes engagées afin d’améliorer son rôle d’animation.

La crise de la covid-19 nous a éclairés sur la difficile coordination des services déconcentrés et l’absence de pilotage du millefeuille administratif, en particulier les agences régionales de santé, mais aussi les services locaux de l’ANRU, dont l’autonomie rend complexe la mise en œuvre des politiques publiques dans nos territoires.

Les interférences de la double tutelle locale et nationale sont nombreuses et l’on note trop souvent la réticence des ministères centraux à se voir cantonnés au seul rôle de réflexion stratégique et d’impulsion.

Nous avons pu constater ces derniers mois l’efficacité des gestions de crise dans les territoires dès lors qu’elles réunissent, autour du préfet, l’ensemble des acteurs locaux selon un modèle de task forces.

Le décret de 2020 accorde aux préfets un pouvoir de dérogation aux normes réglementaires dans sept domaines pour motif d’intérêt général, et en cas de circonstances locales particulières, afin de réduire les délais de procédure et favoriser l’accès aux aides publiques.

Cette mesure de simplification sera particulièrement appréciée dans le cadre du plan de relance et permettra aux préfets, attentifs aux difficultés d’application des règles, de s’engager en faveur d’un dialogue à l’échelon local.

En conclusion, je remercie l’ensemble de nos collègues de leur contribution au débat. Comme Jean-Yves Roux l’a souligné en introduction, le groupe du RDSE sera très attentif au projet de loi 4D, qui doit permettre de mettre en œuvre toutes ces politiques. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)

Mme le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quel rôle pour le préfet à l’heure de la relance ? »

L’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Quelle perspective de reprise pour une pratique sportive populaire et accessible à tous ?

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Quelles perspectives de reprise pour une pratique sportive populaire et accessible à tous ? »

Dans le débat, la parole est à M. Jérémy Bacchi, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jérémy Bacchi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le sport transcende les clivages, y compris dans cet hémicycle. Sa portée universelle nous permet, un temps, de mettre de côté nos différends. Son utilité sociale n’est plus à démontrer. Alors que de plus en plus de personnes s’inquiètent d’un délitement de la société, il fait partie de ces outils essentiels à la République émancipatrice que nous souhaitons. C’est d’autant plus vrai qu’il permet souvent aux populations les plus fragiles socialement et économiquement de sortir la tête de l’eau et d’échapper aux difficultés du quotidien. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que l’on constate, en même temps que la fermeture des lieux sportifs, une augmentation de 80 % des troubles d’ordre psychologique chez les jeunes de moins de 15 ans.

Il y a encore peu, la France s’était donné comme cap d’accueillir les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 avec une progression de trois millions de pratiquants sportifs. Sans même entrer dans le débat autour de la dénomination de ces pratiquants, la pandémie nous oblige à revoir nos plans.

Aujourd’hui, ce sont 180 000 clubs et 108 fédérations qui sont en souffrance. Clubs de danse, de gymnastique, d’arts martiaux, de basketball, de rugby, etc. : plus de 70 000 structures craignent de ne jamais pouvoir rouvrir.

Au mois d’octobre dernier, la baisse des licenciés était estimée aux alentours de 30 %, ce qui représente autant de personnes ne faisant plus vivre l’idéal émancipateur du sport. C’est aussi quelque 260 millions d’euros de cotisations en moins pour les structures.

Ce constat est d’autant plus accablant qu’il existe de fortes disparités selon les territoires et les disciplines. J’étais lundi dernier dans les quartiers nord de Marseille, ma commune, au comité de veille de La Busserine. Là-bas, 65 % des licenciés ne sont pas revenus, alors même que le confinement a été particulièrement éprouvant pour eux et que la pratique libre du sport n’est plus possible.

Pire, la fermeture des locaux a entraîné une occupation des lieux par des dealers. Or les bénévoles ne savent pas s’ils pourront les faire partir une fois l’activité sportive relancée.

À cela, il faut ajouter près de 120 millions d’euros de pertes de recettes issues des événements et du sponsoring.

Je salue l’engagement important des collectivités territoriales : premier financeur du sport français, elles ont maintenu, voire augmenté leur contribution pour 92 % d’entre elles.

Face à cette situation cataclysmique, les pouvoirs publics doivent être en mesure de répondre à trois questions. Qu’a-t-il été fait jusqu’à présent ? Quelles réponses apporter dans les semaines et les mois qui viennent ? Quelles leçons tirer de la situation ?

Madame la ministre, je ne doute pas un seul instant de votre attachement à la pratique sportive, qui fait votre quotidien depuis tant d’années. Force est toutefois de reconnaître que, jusqu’à présent, les réponses à la crise de votre ministre de tutelle et du Gouvernement ne sont pas satisfaisantes. J’y vois d’ailleurs un nouvel effet indésirable du rattachement forcé de votre ministère à celui de Jean-Michel Blanquer.

Premièrement, ces réponses ont brillé par leur insuffisance en direction du sport amateur : 900 000 euros via le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et l’Agence nationale du sport (ANS) en 2020, auxquels s’ajouteront 20 millions d’euros pour l’année à venir pour compenser les pertes de licences, 15 millions d’euros d’aides d’urgence et 100 millions d’euros pour le Pass’Sport.

Voilà, en substance, la réponse apportée pour le gros des associations sportives. Pour être tout à fait exhaustif, il faut citer également l’accompagnement des 30 000 associations sportives employeuses, qui peuvent bénéficier du chômage partiel et des prêts garantis par l’État (PGE).

Deuxièmement, ces réponses ont été ressenties par le mouvement sportif comme particulièrement déséquilibrées, et ce en tous points. Un président de club s’exprime ainsi : « Il faut différencier le sport spectacle-business, où il y a de gros intérêts en jeu. Celui-là, il est visiblement plus important que les autres, on ne l’a pas sacrifié. L’économie prime sur tout, on l’a tous bien compris. »

Bien sûr, les pertes à assumer pour le sport professionnel, ainsi que sa place dans le paysage économique du pays, sont d’un tout autre ordre. Les chiffres sont connus : des pertes de recettes dépassant allègrement le milliard d’euros, près de 350 000 emplois directs concernés et plusieurs milliards d’euros de retombées fiscales en temps normal.

Toutefois, force est de constater que la réponse publique aux difficultés des clubs professionnels a été d’une tout autre dimension. Rien que les prêts garantis par l’État contractés par les clubs rattachés à la ligue de football professionnelle (LFP) dépassent les 600 millions d’euros.

Même en matière sportive, on ressent une sorte de « deux poids, deux mesures » qui interroge. À ce titre, est-il pertinent d’avoir relancé et maintenu avec tant d’ardeur les compétitions professionnelles, tout en laissant au placard les compétitions amatrices ? J’évoquerai deux cas qui, à mon sens, illustrent les paradoxes de la situation.

Martigues est une commune des Bouches-du-Rhône située à 35 kilomètres de Marseille et à 150 kilomètres de Sète. Malgré cette proximité, et les échanges entre les trois villes, un seul des trois clubs est interdit de compétitions, alors que les protocoles sanitaires sont appliqués partout. C’est d’autant plus incompréhensible que certains clubs de National 2 sont au moins aussi structurés que certains clubs professionnels. Le club de Martigues compte ainsi deux fois plus de contrats professionnels qu’une majorité d’équipes de National 1, la division supérieure.

De cet exemple découle le sentiment d’une coexistence de deux politiques sanitaires sportives et d’une prise en compte différenciée des risques selon que le club est sous régime de contrat professionnel ou sous régime de contrat fédéral.

D’un côté, les amateurs, qui ne rapportent pas d’argent, sont mis en extinction. De l’autre, les professionnels, pour qui « le jeu en vaut la chandelle », bénéficient d’un régime d’exception.

Madame la ministre, quelles perspectives à court terme pouvez-vous donner au monde amateur sportif ? Peut-on espérer une reprise progressive des compétitions en extérieur et en salle dans les semaines qui viennent ? Ce ne sera manifestement pas le cas en National 2, puisqu’il vient d’être mis fin à la saison.

La mise sur le marché la semaine dernière du masque fabriqué par Salomon peut-elle constituer une porte de sortie de crise pour les associations sportives ? Si oui, votre ministère s’engagera-t-il financièrement et matériellement pour aider les fédérations et les clubs à se doter en matériel ?

De façon moins immédiate, cette crise montre que notre modèle sportif a atteint ses limites.

On pourrait presque se poser la question : le sport professionnel est-il devenu fou ? Le sportif et le supporter que je suis est parfois atteint, je le concède, d’une forme de schizophrénie : je voudrais tout à la fois voir les meilleurs joueurs évoluer tous les week-ends dans mon club de cœur, l’Olympique de Marseille (Sourires.), et conserver aussi l’esprit sportif historique français.

Ce printemps encore, certains clubs exprimaient leur volonté de renforcer leur indépendance vis-à-vis de l’État, tout en attendant de ce dernier un soutien financier important. On en revient à la privatisation des profits et à la mutualisation des pertes, qui prévaut déjà dans la gestion des stades.

Il faudra bien pourtant reposer la question des liens, d’une part, entre sport professionnel et État, d’autre part, entre sport professionnel et sport amateur.

Sur le premier point, j’évoquais à l’instant l’attitude ambiguë de certaines ligues professionnelles.

Sur le second, pendant des décennies, sport professionnel et sport amateur ont entretenu une forme de solidarité à double sens. D’un côté, les clubs amateurs accueillaient et préformaient des jeunes qui faisaient ensuite carrière dans les clubs professionnels. De l’autre, ces derniers aidaient financièrement les clubs amateurs pour les maintenir en vie et les aider à se développer, dans un contexte de désengagement de l’État. Cette solidarité existe-t-elle toujours pleinement aujourd’hui ?

Le scandale de Mediapro, s’il met grandement en difficulté le football professionnel, a une conséquence que l’on évoque trop peu souvent : il prive toutes les disciplines sportives amatrices d’une manne essentielle à leur survie.

Depuis plusieurs années, des économistes pointent le risque d’implosion de la bulle des droits télévisés et de celle des transferts, mais aussi le problème de l’endettement des clubs, et appellent à revoir le modèle sportif professionnel.

Il me semble qu’un chantier devrait être lancé autour du plafonnement des taxes liées au sport. Selon les documents budgétaires présentés par le Gouvernement, les taxes sur les paris sportifs, les jeux de loterie et la taxe Buffet représenteront en 2021 une recette d’environ 420 millions d’euros, pour un reversement à l’ANS estimé à 166 millions d’euros à peine.

L’Assemblée nationale a discuté la semaine dernière d’une proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Madame la ministre, Laura Flessel, votre prédécesseure, nous parlait déjà de ce texte en 2017. Il est donc heureux qu’il arrive enfin. Toutefois, je me joins à la colère de ma collègue Marie-George Buffet qui, me semble-t-il, a une certaine légitimité en matière sportive.

Comment démocratiser le sport sans avancer sur le dossier de la régulation du monde professionnel, qui tout à la fois apporte les moyens nécessaires au monde amateur, mais capte une part non négligeable des ressources publiques ?

Comment démocratiser le sport sans s’atteler à la question de l’engagement de l’État dans la pratique sportive, alors même que votre ministère ne représente que 0,14 % du budget de l’État ?

Comment démocratiser le sport sans évoquer la question du sport scolaire, qui constitue un outil essentiel à l’épanouissement des enfants comme une porte d’entrée à la pratique licenciée ?

Comment, enfin, démocratiser le sport sans s’atteler à tous les freins à la pratique, notamment économiques ?

En cette période de crise, les sports amateurs et professionnels ressemblent de plus en plus à un champ de ruines. Si la situation est catastrophique, elle offre aussi l’opportunité de repartir sur de bonnes bases.

Ce débat, qui préfigure d’une certaine manière la discussion sénatoriale sur la proposition de loi de Céline Calvez, doit être l’occasion de proposer des solutions pour un avenir sportif populaire et accessible à toutes et tous. Je sais que, sur toutes les travées de cet hémicycle, se trouvent des amatrices et des amateurs de sport qui auront à cœur de faire vivre les valeurs sportives. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Claude Kern. Madame la ministre, il y a trois semaines, vous nous annonciez une bien mauvaise nouvelle.

La reprise du sport amateur au sens large n’aura pas lieu avant plusieurs semaines, certainement pas à Pâques, compte tenu du presque reconfinement, peut-être à la Trinité, voire aux calendes grecques – ironie du sport à la veille des jeux Olympiques, dont il n’est certes pas question ici, quoique…

Pas plus tard que ce week-end, plusieurs fédérations ont en effet déjà annoncé l’arrêt du sport amateur pour cette saison. Or c’est bien une pratique sportive, populaire et accessible à tous, en d’autres termes la reprise d’une activité essentielle en termes de santé physique, d’hygiène mentale, de bien-être individuel du corps, mais aussi d’équilibre collectif, qui doit guider notre responsabilité politique.

Nous devons préserver nos infrastructures sportives et nos pratiques si essentielles, du point de vue économique, certes, mais surtout des points de vue sanitaire et social.

Il est heureux que le plan de relance décidé à l’automne dernier ouvre des perspectives, là où le sport figurait dans l’angle mort du déconfinement et du retour vers une vie en société.

Nous ne sommes pas seulement dans l’insuffisance moribonde, nous sommes dans la suffisance d’une majorité gargarisée par de belles paroles qui n’engagent à rien quand elles ne sont pas confrontées à la réalité.

Certes, de nombreux efforts ont été accomplis en complément des aides de droit commun déjà mises en place par le Gouvernement : Fonds d’urgence pour les fédérations sportives, Pass’Sport, Fonds de compensation de pertes de billetterie, etc.

En l’espèce, dans un souci d’exigence et c’est désormais une préoccupation d’urgence, ce sont plus que jamais les plus jeunes citoyens qui doivent être la priorité. C’est vers ces jeunes en quête d’identité, d’ouverture et d’équilibre, que l’on doit déployer appui, solidarité et facilitation, parce qu’il est attesté qu’ils subissent ces restrictions plus que d’autres.

Aussi, alors qu’un pan entier du socle de nos valeurs communes est en train de s’effondrer, qu’en est-il concrètement de votre projet à leur endroit ?

« Le réel, c’est quand on se cogne », n’est-ce pas ? Madame la ministre, quelles nouvelles alarmes de santé publique faudra-t-il attendre pour que votre gouvernement se projette réellement dans une approche prospective, cesse le stop and go insupportable, accélère la mise en œuvre de ses projets et leur inscription dans une société si violemment heurtée ? L’heure n’est plus aux pansements sur des jambes de bois – ce que les jeunes ne sont d’ailleurs pas !

On le sait, la sédentarité et l’inactivité prolongée ne sont pas qu’un spectre fantasmé aux contrecoups hypothétiques : c’est une entaille profonde et attestée dans l’idée même de santé publique, dont les conséquences sont trop bien déterminées. Les plus jeunes sont en première ligne de cette démoralisation de masse, quand la vie sociale n’est plus possible à l’âge des possibles.

On parle de « génération sacrifiée »… J’aimerais tant que l’on puisse ici se permettre de dire que cette expression est galvaudée, mais qu’en est-il en réalité ?

Nous devons nous projeter dans une nouvelle donne de reconstruction et de rééquilibrage, et non dans une simple reprise. En effet – faut-il le préciser ? –, dans la vie d’un jeune, une année compte bien plus qu’une seule année !

Madame la ministre, au-delà des mesures au coup par coup, que nous saluons, qu’en est-il réellement de votre projet sur l’activité sportive des jeunes, qu’il s’agisse de sport à l’école ou à l’université, dans un cadre public ou privé, à l’échelle d’un petit d’homme ou d’un jeune citoyen à l’esprit sain dans un corps sain ?

Quid de votre volonté, de votre agenda, des moyens, et pas seulement pour les trois prochaines semaines ?

Qu’en sera-t-il de la mise en œuvre du plan 2020 et de ses belles idées, « véritable enjeu de santé, d’épanouissement, d’égalité et de réussite pour les élèves », selon vos propres mots ? Madame la ministre, comment comptez-vous dépasser l’horizon funeste et pénible de la sédentarité et de la perspective d’anomie.

Quel est votre projet au-delà d’un sport pour la jeunesse enfin ressuscitée ? Y a-t-il au plus haut niveau l’idée et les moyens d’en faire une priorité crédible ?

C’est en effet à se demander si le sport trouve encore une place dans la politique de ce gouvernement !

Enfin, je remercie Jérémy Bacchi et le groupe CRCE d’avoir pris l’initiative de ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et CRCE.)