M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier. (M. Stéphane Ravier se rend à la tribune en sifflotant, provoquant la réprobation de M. le garde des sceaux.)

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à l’exception de quelques soixante-huitards qui ne se sont rien interdit, même pas les rapports sexuels avec des mineurs,…

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le masque sur le nez !

M. le président. Monsieur Ravier, veuillez réajuster votre masque, s’il vous plaît.

M. Stéphane Ravier. C’est un roc, c’est une péninsule, monsieur le président ! (Sourires.) C’est pour cette raison qu’il a du mal à rester en place…

À l’exception de quelques soixante-huitards qui ne se sont rien interdit, même pas les rapports sexuels avec des mineurs, et qui continuent à bénéficier d’une certaine et nauséabonde bienveillance médiatique, voici un texte avec lequel l’ensemble des Français seront d’accord : protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.

Cependant, nous en avons fait l’expérience, le Sénat a été pris pour cible à l’issue de la première lecture par une certaine presse qui a relayé à grand renfort de titres raccourcis les intentions contraires à celles que nous avions souhaité donner à ce texte.

Quel était le but de cette campagne, sinon de désinformation, à tout le moins de déformation ? Déstabiliser le Sénat en sa qualité de contre-pouvoir démocratique ? Décrédibiliser l’initiative parlementaire des élus représentant les territoires ?

Ce qui est certain, c’est que les Français sont à cran ; en témoigne l’ampleur prise dans l’opinion par le vote à l’unanimité de ce texte.

Je veux donc dire ici, mes chers collègues, pour que nos conclusions soient claires, je veux surtout le dire à ceux qui suivent nos travaux, aux victimes qui attendent beaucoup de la protection de la loi, ainsi qu’aux parents qui craignent pour la sécurité de leurs enfants : non, le Sénat n’a pas abaissé la majorité sexuelle à 13 ans ; oui, le Sénat votera ce texte, je l’espère à l’unanimité, et nous continuerons de faire évoluer notre droit pour que les personnes se rendant coupables de viol, de viol sur mineur, de viol incestueux, de harcèlement, d’agression, d’agression sexuelle, d’atteinte sexuelle ou d’acte justifiant toute autre circonstance aggravante soient poursuivies, et sévèrement punies.

Et, pour cela, il convient de rappeler que le cœur de cette proposition de loi est la création d’un nouveau crime sexuel sur mineur de 15 ans. Mais elle permet aussi, après évolutions, l’élargissement de la définition du viol et du crime sexuel sur mineur et l’allongement des délais de prescription. Elle crée aussi deux nouvelles infractions de viol incestueux et d’agression sexuelle incestueuse. Enfin, elle élargit la liste des infractions entraînant l’inscription au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes.

Alors, mes chers collègues, je vous appelle à être consciencieux : ne manquons pas de cohérence et de lisibilité. Il faut une loi compréhensible par tous, qui ne soit pas interprétable par tous les complices de l’abject qui essaient encore de salir, de blesser, de violer psychologiquement par les écrits odieux qu’ils ont encore l’occasion de publier.

Sachons rédiger un interdit clair autant que nous devons voter des peines sévères, exemplaires, à la hauteur de l’ignominie que constituent les actes pédocriminels, à la hauteur de l’attente des victimes et de leur famille.

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous réunissons, de nouveau, aujourd’hui pour garantir à nos enfants une meilleure protection contre les violences sexuelles.

Depuis trop longtemps, nous constatons le décalage entre la réalité des violences faites aux enfants et le regard que portent les institutions, mais aussi une partie de la société, sur ces violences.

Longtemps, nous n’avons proposé aux victimes qu’une alternative inadéquate : soit le silence, soit des réponses à la fois incomplètes en matière d’accompagnement et complexes sur le plan judiciaire.

C’est pourquoi je me réjouis que des étapes importantes aient été franchies au cours de ces dernières années. Désormais, bien plus qu’hier, on écoute les victimes, on les croit, on les aide.

Toutefois, si la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a déjà permis des avancées majeures, il nous faut aller plus loin encore pour que les choses soient désormais claires pour toutes et tous : on ne touche pas à l’innocence des enfants !

La proposition de loi déposée par notre collègue Annick Billon s’inscrit dans l’esprit de très nombreux travaux parlementaires déjà menés avec engagement au Sénat et tente de répondre à un terrifiant constat : 80 % environ des violences commencent avant 18 ans, la première agression survenant en moyenne à l’âge de 9 ans. Dans plus de 90 % des cas, elles sont commises par des proches.

Aussi, je me félicite que l’Assemblée nationale ait souhaité contribuer à améliorer la protection des mineurs contre ces violences. Notre commission a travaillé à parfaire les équilibres qui ont pu être trouvés : il était indispensable de préserver celui de l’échelle des peines ; il était aussi nécessaire de procéder à plusieurs ajustements, notamment en créant de nouvelles circonstances aggravantes.

Ce texte durcit également les sanctions de l’inceste et prévoit l’interruption de plusieurs délais de prescription. Ce faisant, la proposition de loi que nous examinons atteint deux objectifs : elle améliore la protection des victimes ; elle envoie, ensuite, un message clair et fort en rappelant à tous les adultes la nécessité de protéger les enfants.

Si les mineurs de 15 ans sont particulièrement vulnérables, nous considérons que les mineurs, dans leur ensemble, sont des personnes vulnérables à qui nous devons une protection accrue. Nous nous réjouissons donc que la rédaction des nouveaux délits de « sextorsion » sur internet ait été modifiée et protège à présent tous les mineurs.

Avant de conclure, je tiens à remercier Annick Billon, auteure de cette proposition de loi qui consacre un combat de plusieurs années, mais aussi Marie Mercier, pour son engagement sur ce sujet et la qualité de ses travaux. Enfin, j’ai une pensée pour toutes les victimes, dont certaines nous écoutent peut-être aujourd’hui.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants soutient cette proposition de loi, en espérant que, après les nombreuses discussions qui ont déjà eu lieu sur ce sujet au sein de notre assemblée, ce texte recueillera un accord transpartisan et que, surtout, ses dispositions s’appliqueront le plus rapidement possible. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la deuxième lecture de cette proposition de loi que nous devons d’abord, il convient de le rappeler, à notre chère collègue Annick Billon, que je salue, est la démonstration parfaite des progrès sociétaux qui peuvent naître d’un travail commun et transpartisan entre les deux assemblées.

L’urgence était indéniable ; il convenait de faire évoluer la loi pour mieux protéger les quelque 160 000 mineurs qui, selon les estimations, subissent chaque année en France des violences sexuelles.

Il convenait aussi d’apporter une réponse juste à la libération de la parole des victimes d’inceste, notamment sur les réseaux sociaux avec le hashtag #MeeTooInceste, mais aussi avec les récentes affaires révélées dans les médias et qui ont ému, à juste titre, l’opinion publique.

C’est donc en renfort de cette initiative sénatoriale que les députés ont fait le choix, que nous saluons, d’inscrire ce texte à leur ordre du jour, de l’amender positivement pour aboutir à cette version qui nous convient, à mon groupe et à moi-même.

Parmi les nouveautés issues de la navette parlementaire, la réécriture de l’article 1er, qui vise à sanctionner tout acte sexuel commis par un majeur sur une personne mineure de 15 ans, est une amélioration significative. Désormais, la pénétration ou l’acte bucco-génital commis par un majeur sur une personne de moins de 15 ans sera qualifié de viol.

Le relèvement de ce seuil de 13 ans à 15 ans était une demande de certaines d’entre nous. D’ailleurs, toutes les sénatrices du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, auquel j’appartiens, avaient cosigné, en première lecture, l’amendement déposé en ce sens par Mme Laurence Rossignol.

Nous nous satisfaisons également du renforcement du dispositif d’interruption du délai de prescription en cas de commission d’un même crime par un même auteur à l’endroit d’autres mineurs.

Nous nous félicitons en outre de ce que le rapport bucco-génital soit reconnu comme viol au même titre que la pénétration sexuelle. Mon groupe avait notamment pris l’initiative de déposer un amendement qui allait dans ce sens.

Enfin, et surtout, nous nous réjouissons que la France ait finalement le courage de reconnaître dans son droit l’inceste comme crime en soi. Le texte, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, introduit une nouvelle infraction : le viol incestueux.

L’inceste, dans notre pays, est une réalité que nous ne pouvions plus ignorer, quand près de 6,7 millions de Françaises et Français en auraient été victimes, selon une étude menée par l’association Face à l’inceste.

Il revient maintenant à l’État de se pencher plus encore sur le sujet et de produire régulièrement des données officielles précises qui permettront de prendre toute l’ampleur de la réalité des violences sexuelles commises sur les personnes mineures.

Cette proposition de loi nous semble protectrice ; elle constitue une réelle avancée sociétale. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, nous examinons aujourd’hui, en deuxième lecture, la proposition de loi de notre collègue Annick Billon visant à mieux protéger les mineurs des crimes sexuels.

Le 21 janvier dernier, nous adoptions à l’unanimité ce texte, qui prévoyait initialement d’introduire au sein du code pénal un nouveau crime autonome, puni de vingt ans de réclusion criminelle et caractérisé par « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit […], commis par une personne majeure sur un mineur de 13 ans […] ».

Pour la première fois, au-delà des clivages qui traversent notre assemblée, nous inscrivions dans la loi un seuil d’âge de non-consentement, 13 ans à l’origine, afin de criminaliser tout acte de pénétration sexuelle commis par un adulte sur un enfant.

Lors de son examen à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi a fait l’objet de modifications importantes que nous tenons à saluer.

Nous avons tous à l’esprit les innombrables témoignages, de personnalités publiques ou d’anonymes, qui ont contribué à lever le tabou autour de l’inceste et à enfin libérer la parole des victimes.

En y intégrant un crime de viol incestueux et un délit d’agression sexuelle incestueuse, ce texte met fin aux lacunes de la loi sur ces actes et à notre aveuglement collectif sur ce que vivent 10 % des enfants, bien souvent livrés à eux-mêmes et contraints au silence.

En vertu de cette proposition de loi, l’inceste constitue désormais une infraction spécifique, assortie de sanctions propres, et non plus uniquement une surqualification pénale. Tous les mineurs jusqu’à 18 ans seraient protégés par ces nouvelles dispositions.

Je m’en réjouis, car, non, il n’existe pas d’inceste consenti ou « heureux » ; il s’agit toujours d’un calvaire qui hante les victimes, parfois tout au long de leur vie.

L’article 1er, au cœur de cette proposition de loi, a donc été récrit. Un interdit est désormais posé à 15 ans, ce qui conduit à ne plus interroger le consentement du mineur en dessous de cet âge. Il s’agit ici d’une avancée majeure unanimement saluée.

Ce texte pose un principe clair : en dessous de 15 ans, c’est non !

Il était toutefois nécessaire d’apporter un aménagement pour éviter de criminaliser les amours adolescentes, qui existent et, nous le savons, continueront d’exister dans notre société. Ce texte prévoit donc désormais quatre infractions nouvelles qui ne nécessitent pas d’établir une violence, contrainte, menace ou surprise, allant ainsi dans le sens d’une meilleure protection des mineurs. Cet enrichissement, salué par tous, démontre la capacité de nos assemblées à surmonter ses oppositions lorsque l’intérêt général, et surtout celui de nos enfants, est en jeu.

Nous saluons également la création, par voie d’amendement, du délit de « sextorsion », lorsqu’un majeur incite un mineur, sur les réseaux sociaux, à commettre un acte de nature sexuelle sur lui-même ou sur un tiers, y compris si cette provocation n’est pas suivie. Ce nouveau délit tend à prendre en compte l’évolution des rapports et l’appétence des jeunes, parfois des très jeunes, pour les réseaux sociaux. Grâce à ce délit de « sextorsion », le droit s’adapte à l’apparition de nouvelles formes de criminalité en ligne dont les mineurs sont victimes et qui conduisent bien souvent à des drames.

Enfin, cette proposition de loi crée un mécanisme de prescription prolongée dans le cadre de crimes sériels. Sur proposition du garde des sceaux, un deuxième mécanisme a été introduit visant à ce qu’un acte interruptif de prescription puisse prendre effet non seulement dans l’affaire considérée, mais également dans les autres procédures dans lesquelles serait reprochée, au même auteur, la commission d’un autre crime ou délit sur mineur.

À titre personnel, je souhaite que nous ayons un débat sur l’existence même du délai de prescription pour les actes sexuels commis sur des mineurs.

Pour conclure, je tiens à saluer le travail de notre collègue Annick Billon. L’adoption, je l’espère, de ce texte, aboutira à une meilleure protection des mineurs.

Je remercie également la rapporteure Marie Mercier, dont les amendements ont permis de renforcer juridiquement cette proposition de loi.

Je remercie enfin le Gouvernement pour les concertations qu’il avait annoncées dans notre hémicycle et qui ont été menées pour faire évoluer ce texte.

Pour ces raisons, le groupe RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions. – Mmes Michelle Meunier et Laurence Cohen applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant de commencer, permettez-moi, à quelques jours du début de l’examen du texte confortant le respect des principes de la République, d’apporter tout le soutien du groupe du RDSE à la présidente Carole Delga et à nos collègues conseillers régionaux d’Occitanie, qui ont subi cet après-midi, durant leur séance plénière à Toulouse, une violente intrusion d’extrémistes de l’Action française. Nous condamnons avec fermeté cette atteinte au fonctionnement d’une institution de notre République et, symboliquement, à notre démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)

J’en viens au texte.

Au mois de janvier dernier, le Sénat adoptait à l’unanimité cette proposition de loi visant à instituer une nouvelle incrimination pénale de crime sexuel sur mineur.

Le groupe du RDSE et moi-même tenons à redire tout notre soutien à l’auteure de cette proposition de loi, Annick Billon, victime, à l’époque, d’une polémique et d’un traitement médiatique injuste et regrettable.

Elle aura eu le mérite de remettre l’ouvrage sur le métier et d’engager de nouveau le Parlement dans un travail visant, d’une part, à proposer un meilleur dispositif de condamnation des auteurs de violences sexuelles sur mineur et, d’autre part, à enfin pouvoir instituer une véritable condamnation pénale de l’inceste.

Désormais, ce nouveau texte comprend ce que beaucoup avaient appelé de leurs vœux, à savoir la condamnation des crimes sexuels sur les mineurs de 15 ans.

Il faut le redire : en aucun cas, le Sénat n’avait adopté en première lecture une loi autorisant les relations sexuelles entre un majeur et un mineur à partir de 13 ans. Au contraire, le dispositif voté venait renforcer la protection des enfants.

Ainsi, grâce à l’apport de l’Assemblée nationale, ce renforcement bénéficiera également aux enfants de 13 ans à 15 ans. Jusqu’à cet âge, il ne sera donc plus nécessaire de rechercher l’existence d’un consentement chez l’enfant qui justifierait l’acte de l’adulte.

Sur la question de l’inceste, ensuite, en 2019, notre ancienne collègue Françoise Laborde avait déjà été à l’origine d’une proposition de résolution tendant à intensifier la prévention de l’inceste et la lutte contre celui-ci. Il y a lieu de se réjouir que les choses avancent.

Certes, lors de nos débats en première lecture, nous avions buté sur des difficultés d’ordre juridique, quand bien même la condamnation de l’inceste dans son principe ne soulevait pas de difficultés. Mais l’Assemblée nationale a pu poursuivre nos travaux et proposer un texte satisfaisant, même s’il n’est pas parfait, qui pourrait mettre fin à une anomalie qui existe depuis trop longtemps dans notre droit : l’absence d’infraction spécifique visant l’inceste.

Parmi les autres innovations apportées au texte initial, il faut aussi souligner celle qui vise à sanctionner plus durement les prédateurs qui utilisent internet pour forcer les mineurs à accomplir sur eux-mêmes les actes les plus dégradants. Il s’agit ici aussi d’un fléau qui peut briser durablement la vie de certains enfants et auquel nous devons aussi apporter une réponse pénale.

Ce point tient particulièrement à cœur à notre rapporteure, que je salue, et que je remercie du travail qu’elle a fait sur ce texte.

Enfin, nous observons une actualité médiatique qui révèle de plus en plus régulièrement des affaires de violences sexuelles sur mineurs. Face à ces faits, nous devons apprendre à mieux recevoir la parole des enfants victimes, à faciliter leur accompagnement dans sa dimension judiciaire, certes, mais également dans sa dimension humaine et sociale.

Il faut qu’il n’y ait aucun doute pour les victimes de ces abus qu’elles seront soutenues par notre nation.

Dans cette perspective, j’aimerais me réjouir que, malgré certains événements, la commission indépendante sur les violences sexuelles sur mineur ait été maintenue. Il a fallu qu’elle soit recomposée, mais il est certain que ses travaux contribueront à nous éclairer sur un sujet complexe et difficile, mais également fondamental.

En conclusion, je reprendrai l’avertissement de l’un des nouveaux membres de la commission, le thérapeute et écrivain Jean-Paul Mugnier. Il explique : « Ne détournons pas de nouveau notre regard de celui des enfants, qui, désespérés, tentent de nous faire savoir le mal dont ils sont les victimes. »

Il écrivait ces mots en 1999, voilà plus de vingt ans. Cela doit nous faire réaliser combien il aura fallu de temps pour que les choses avancent significativement. Vous comprendrez donc que le groupe du RDSE votera cette proposition de loi, à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, SER, GEST et CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après notre travail en première lecture sur la proposition de loi présentée par notre collègue Annick Billon, que je tiens une nouvelle fois à remercier, ce nouveau rendez-vous pour parfaire la protection des mineurs contre les crimes et délits sexuels était très attendu, d’autant que le travail du Sénat avait fait naître une polémique injustifiée dans les médias, du fait d’une interprétation erronée.

Les tabous sont levés, la cause des enfants victimes de ces violences sexuelles brise, fort justement, le mur du silence.

C’est notamment grâce aux associations de protection de l’enfance et aux nombreuses victimes qui ont continué à se battre. Elles ont démontré, à juste titre, la nécessité de faire évoluer notre droit pour une loi plus claire posant un interdit sans ambiguïté et, surtout, sans avoir à interroger le consentement prétendu de la victime.

L’interdit est clairement posé ici : aucun adulte n’a le droit d’avoir des rapports sexuels avec un ou une enfant ; fixation d’un seuil de 15 ans, reporté à 18 ans pour l’inceste. C’est une bonne chose, mais, malheureusement, ce seuil est assorti, en dehors de l’inceste, d’une condition d’écart d’âge de cinq ans pour prendre en compte la « clause de Roméo et Juliette ».

Même si nous avons bien compris que cet écart n’aurait plus lieu d’être dès lors qu’un des éléments classiques du viol serait présent, nous craignons que cette rédaction ne limite véritablement la portée de cette mesure et ne nous fasse retomber dans les mêmes débats autour du consentement.

En effet, 65 % des violeurs de mineur ont entre 18 ans et 24 ans et certaines victimes de 14 ans, par exemple, seront par conséquent moins bien protégées. Nous devons y réfléchir.

Par ailleurs, en première lecture, mon groupe avait déposé un amendement pour compléter la définition du viol et instaurer une présomption de contrainte, estimant que la création d’une infraction autonome sans jamais utiliser le mot « viol » posait problème. L’ajout par l’Assemblée nationale de ce terme, et parce que les mots ont un sens, nous convient.

Si nous nous réjouissons que les débats à l’Assemblée nationale aient permis de considérer l’inceste non plus comme une circonstance aggravante, mais bien comme une infraction à part entière, vous proposez en quelque sorte de le « conditionnaliser » à la notion d’autorité, de droit ou de fait. N’est-ce pas une porte ouverte pour les agresseurs qui ne sont pas dans une situation d’autorité, de droit ou de fait ?

En revanche, notre groupe soutient sans réserve le nouveau délit créé pour des faits de « sextorsion », qui va plus loin que la corruption de mineur en s’adaptant à la réalité d’aujourd’hui, à savoir le tout-numérique et l’utilisation d’internet.

Enfin, nous soutenons le mécanisme nouveau de prescription glissante pour permettre la prolongation du délai de prescription en cas de nouvelles infractions, tout en entendant les réserves du Syndicat de la magistrature sur l’imprescriptibilité de fait.

En définitive, ce texte crée de nouvelles infractions allant du crime au délit pour essayer de couvrir un champ très large. Mais attention ! Attention à la complexité de tous ces dispositifs : le principe de lisibilité de la loi est ainsi sérieusement écorné, et il nous faut bien en mesurer les conséquences.

Mes chers collègues, ce texte est important : il est le fruit d’un long travail, notamment celui de Marie Mercier, que je veux saluer, d’un travail collectif pour améliorer ces définitions du viol et de l’agression sexuelle, qui ne pouvaient être les mêmes quand on parle de mineur.

Je regrette néanmoins que, tout en apportant de belles avancées, il affaiblisse parfois la portée du texte initial, en créant des dérogations.

De même, je m’interroge sur la façon dont vont se coordonner nos débats avec le travail sur l’inceste de la commission indépendante coprésidée par Édouard Durand ou avec celui du groupe de travail contre la prostitution des mineurs.

Mes chers collègues, au-delà du répressif et du suivi des auteurs, nous devons nous interroger sur le rapport de notre société à ce phénomène des violences faites aux enfants, agir sur les mentalités par l’éducation, la déconstruction des stéréotypes sexistes. C’est une urgence. Nous devons également prendre le temps d’évaluer les politiques qui sont mises en place, judiciaires, mais pas seulement : je pense notamment à la pratique de la correctionnalisation ou encore à l’accueil, à l’accompagnement des victimes, à la formation des professionnels.

Comment ignorer que les brigades locales de protection des mineurs sont en souffrance s’agissant des effectifs et des moyens ?

En attendant, cette loi est une étape importante dans la lutte pour protéger les enfants contre les délits et crimes sexuels, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Vanina Paoli-Gagin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux – je vous remercie de vos propos –, mes chers collègues, nous sommes à nouveau réunis aujourd’hui pour examiner ma proposition de loi, modifiée, qui intègre désormais les crimes et délits incestueux.

Le 21 janvier dernier, le Sénat inscrivait pour la première fois dans la loi un seuil d’âge de non-consentement à 13 ans. L’inadaptation des critères du viol et l’impossibilité pour un enfant de consentir à une relation sexuelle avec un adulte étaient enfin reconnues. La Haute Assemblée a ainsi ouvert la voie en adoptant ce texte à l’unanimité. Parce qu’il est difficile d’obtenir un tel consensus, ce vote témoigne de la capacité du Sénat à s’emparer d’un sujet trop longtemps passé sous silence.

Ce texte, discuté à l’Assemblée nationale le 15 mars dernier, revient enrichi et modifié grâce à un travail de coconstruction entre le Parlement et le garde des sceaux.

Je souhaite à ce titre remercier tous ceux qui ont contribué à son amélioration : Mme la rapporteure Marie Mercier, la commission des lois du Sénat, la rapporteure de l’Assemblée nationale, Mme Alexandra Louis, les députés, le Gouvernement et, enfin, le groupe Union Centriste et son président Hervé Marseille, qui a pris le risque d’inscrire à notre ordre du jour cette proposition de loi à l’autonome dernier, à un moment où ce sujet ne faisait pas consensus.

M. Loïc Hervé. Très bien !

Mme Annick Billon. La commission des lois du Sénat, par la voix de sa rapporteure, a souhaité retoucher le texte issu de l’Assemblée nationale. Ses amendements ont pour but non pas de remettre en cause les grands équilibres trouvés, mais de nous assurer de sa cohérence juridique. Il y va de la protection des victimes.

Nous nous devons d’apporter une réponse pénale ferme et adaptée à ce qui relève d’un phénomène de masse : 60 % des victimes de violences sexuelles sont des enfants. Et, alors que les victimes de viol sont au nombre de 300 000 chaque année, seuls 0,3 % des violeurs sont condamnés.

Pendant trop longtemps, nous avons fait preuve d’impuissance, voire d’incurie, dans le traitement de ce fléau.

Sur les violences sexuelles sur mineurs, spécifiquement dans le cadre intrafamilial, nous avons été frappés de cécité. Et pour cause, nos sociétés ont érigé depuis plusieurs siècles le foyer en sanctuaire : difficile, alors, d’appréhender les atrocités étouffées qui peuvent se jouer dans le huis clos familial.

Il aura fallu plusieurs étapes, plusieurs lois, plusieurs ouvrages, plusieurs témoignages pour que la parole se libère massivement, mais aussi et surtout pour que l’on entende enfin la voix de ces enfants.

À présent, ces agissements seront qualifiés et reconnus dans le code pénal comme des infractions spécifiques. Celles-ci porteront les noms de « viol sur mineur » », « viol incestueux », « agression sexuelle sur mineur » et « agression sexuelle incestueuse ».

Nos collègues députés ont introduit des dispositions nouvelles, sur l’inceste, tout d’abord.

Désormais, l’inceste est reconnu comme une infraction spécifique et puni à hauteur de sa gravité lorsque la victime est mineure.

Les députés ont également opté pour le relèvement de 13 ans à 15 ans du seuil à partir duquel tout rapport sexuel entre une personne majeure et un mineur est un crime. J’avais initialement fait le choix de poser cet interdit à 13 ans et, avec la commission des lois, de renforcer la protection des adolescents âgés de 13 ans à 15 ans.

Avec le texte qu’elle a voté, l’Assemblée nationale a pris une autre voie : un interdit à 15 ans assorti d’exceptions visant notamment à tenir compte des amours adolescentes, un écart d’âge de cinq ans étant prévu.

Nous sommes animés par un objectif commun, celui de mieux protéger nos enfants face aux agresseurs sexuels. Et, si je reconnais la portée symbolique de ce seuil fixé à 15 ans, je reste cependant convaincue que le dispositif initial avait pour lui l’avantage de la clarté et celui de la sécurité juridique et constitutionnelle. Ce dispositif avait malheureusement été mal compris au moment de son adoption, et des interprétations erronées et abusives avaient prospéré, déduisant à tort que le Sénat avait abaissé l’âge du consentement à 13 ans.

L’Assemblée nationale a également précisé l’apport du Sénat en matière de prescription. La prescription glissante proposée par le Gouvernement donnera la possibilité à celles et à ceux qui n’ont pas pu ou pas voulu parler de confondre leur agresseur, ce qui rendra possible la réhabilitation de ces victimes qui, craignant que leur parole ne les livre à plus de violences que de justice, se sont murées dans le silence.

Ce texte apporte des avancées majeures et attendues, car il entérine un virage décisif dans la manière d’appréhender les violences sexuelles sur les mineurs.

À présent, un enfant ne sera plus jamais considéré comme complice ou complaisant à l’égard des actes sexuels qu’un adulte commet sur lui. Ce changement de paradigme est fondamental dans la reconstruction future des enfants : en reconnaissant intégralement leur qualité de victime, la justice les libérera du poids d’une culpabilité éprouvée à tort.

Mes chers collègues, en 2018, à l’occasion du vote sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, j’avais, devant cette assemblée, posé la question suivante : les dispositions proposées permettront-elles réellement de protéger nos enfants contre les prédateurs sexuels et d’en finir avec l’impunité des agresseurs ? Je n’en étais pas convaincue.

Aujourd’hui, je me félicite de ce que vous permettiez à cette proposition de loi d’atteindre pleinement cet objectif. C’est une étape majeure qui est franchie. La prévention et la formation doivent désormais s’ajouter au droit pour éradiquer ces violences inacceptables. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi quau banc des commissions. – Mmes Esther Benbassa, Michelle Meunier et Laurence Rossignol applaudissent également.)