M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire exacerbe les inégalités face à l’emploi, la santé ou encore au logement. Les inégalités financières sont particulièrement criantes et, de plus, elles entretiennent ces déséquilibres.

Selon la Banque de France, l’épargne des Français accusait une hausse de plus de 100 milliards d’euros à la fin de 2020, et celle-ci pourrait atteindre 200 milliards à la fin de 2021, soit le double du montant du plan de relance.

Il me paraît important de préciser que toutes et tous ne sont pas à égalité dans la constitution d’une telle épargne. Entre mars et août dernier, 70 % de l’épargne a été réalisée par les 20 % de ménages les plus aisés, alors que la situation des plus modestes s’est au contraire dégradée. Le Conseil d’analyse économique souligne ce double mouvement antagoniste : dans le même temps, les 10 % de ménages les plus modestes ont dû s’endetter pour assumer la diminution de leur rémunération ou, pour plus de 365 000 salariés, la perte de leur emploi.

La proposition de loi nos collègues a le mérite de proposer la mise à disposition de nouvelles ressources pour contribuer à la relance du pays, en permettant aux Français d’en être acteurs tout en donnant des pouvoirs aux élus locaux pour orienter les investissements.

Malgré tout, plusieurs interrogations nous en éloignent. La création d’un tel livret de développement des territoires serait une aubaine pour les plus fortunés qui disposent d’une épargne bien constituée et solide, et qui, de ce fait, sont en capacité de la placer à long terme et de maximiser leurs intérêts. Au vu des exonérations proposées, cette fructification de leur épargne favorise l’optimisation fiscale. À cet égard, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste regrette la défiscalisation des plus-values.

Nous défendons depuis longtemps une participation plus solidaire des plus aisés dans le système d’imposition. Nos nombreuses analyses ont d’ailleurs récemment trouvé un écho au sein du Fonds monétaire international (FMI), qui recommande la mise en place d’une fiscalité provisoire sur les revenus les plus élevés pour répondre aux besoins par la mobilisation de recettes fiscales supplémentaires.

Si nous devons réfléchir à l’utilisation de l’épargne des Français, nous devons aussi envisager la taxation de l’épargne des plus riches sous la forme d’une imposition renforcée des tranches les plus élevées de l’impôt sur le revenu ou d’une contribution exceptionnelle sur la fortune et le patrimoine.

Nous regrettons l’approche régionaliste sous-entendue par les termes de « fonds souverains ». Pourquoi les départements et les communes seraient-ils relégués ? La question se pose d’autant plus que ce mécanisme d’emprunt bancaire présente peu d’intérêt pour les régions – cela a été souligné à juste titre – le taux d’emprunt moyen actuel s’élevant à 0,58 %. En effet, il n’est pas question d’argent frais,…

M. Philippe Dallier, rapporteur. Ni d’argent magique !

M. Pascal Savoldelli. … puisque ces emprunts s’ajouteront à l’endettement des collectivités.

D’autres fonds régionaux existent déjà et permettraient d’orienter le comportement des banques – ce qui, à notre avis, est la véritable difficulté – pour permettre que l’épargne soutienne localement l’emploi et la création de richesses. Cela implique des critères et des conditionnalités précises – qui ne sont pas mis en exergue dans ce texte –, une transparence démocratique sur les investissements réalisés et leurs conséquences économiques, sociales et environnementales.

La proposition formulée par les sénateurs et les sénatrices du groupe communiste républicain citoyen et écologiste de création de fonds régionaux pour l’emploi et la formation s’inscrit dans cette ligne. Les financements bancaires de projets créant ou consolidant des emplois seraient ainsi bonifiés et garantis par les régions.

Le texte que nous examinons nous paraît manquer de clarté quant à son application et à son périmètre. Il laisse une grande liberté aux banques en se superposant maladroitement à l’activité de la Banque des territoires et aux ressources de la Caisse des dépôts, et cela sans centralisation. Il constitue aussi un risque pour le financement du logement social, puisque la création d’un nouveau livret pourrait favoriser une décollecte d’autres livrets qui abondent notamment ce secteur. Je sais qu’un amendement visant à remédier à cette difficulté a été déposé.

Oui, il nous faut mettre à contribution le capital des plus riches dans un impératif de solidarité et de redistribution. Oui, les élus locaux doivent être intégrés à la relance et soutenus financièrement. Toutefois, nous craignons que cette proposition ne permette pas d’atteindre pleinement ces objectifs, et c’est pourquoi nous préférons nous abstenir. (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (M. Michel Canevet applaudit.)

Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 424 milliards d’euros : tel est le chiffre avancé avant-hier dans un quotidien national par Olivier Dussopt pour évaluer la facture globale de la crise sanitaire que nous vivons.

Du sauvetage de l’économie du printemps 2020 au plan de relance qui se déploiera jusqu’en 2022, la puissance publique a mobilisé d’importants moyens financiers pour faire face à la crise du coronavirus.

À l’effet de ces mesures de soutien à l’économie s’est ajouté celui de la récession sur l’encaissement des recettes fiscales. Résultat : la France a quasiment doublé en 2020 le niveau de son déficit et dégradé de près de vingt points le ratio de sa dette publique rapportée à la richesse produite. Dans le même temps, sous l’effet des mesures de restriction et des incertitudes quant à l’évolution de l’épidémie, les Français ont très fortement épargné.

Forte de ce constat paradoxal et animée par le souci de mobiliser davantage de moyens dans cette crise au service de nos territoires, de nos entreprises et de leurs emplois, notre collègue Vanina Paoli-Gagin nous saisit de cette proposition de loi visant à réorienter l’épargne des Français vers l’économie dite réelle.

Je partage pleinement l’idée et l’intention que sous-tend le livret de développement des territoires introduit à l’article 1er de cette proposition de loi, que j’ai d’ailleurs cosignée avec six de mes collègues du groupe Union Centriste.

M. Emmanuel Capus. Très bien !

Mme Sylvie Vermeillet. Environ 165 milliards d’euros : telle est l’estimation retenue par le gouverneur de la Banque de France de la somme qui serait finalement épargnée par les ménages entre le printemps 2020 et la fin de l’année 2021. D’épargne forcée au sortir du premier confinement de mars 2020, elle est devenue épargne de précaution sanctuarisée dans l’incertitude de 2021. Drainée vers l’investissement productif, elle offre une formidable possibilité de relance.

La capter en intéressant les épargnants par la création de livrets attractifs, puis la mobiliser via la création de fonds souverains régionaux comme le propose notre collègue permettrait d’aller plus loin dans la capacité d’investissement des collectivités locales tout en faisant des Français des acteurs directement associés à l’effort de relance. Autrement dit, ce serait une stratégie « gagnant-gagnant ».

Le groupe Union Centriste partage évidemment les objectifs et l’intention parfaitement louables affichés par notre collègue du groupe Les Indépendants – République et Territoires. Malheureusement, comme l’a rappelé Philippe Dallier dans son rapport, le dispositif tel qu’il est proposé ne conduit pas à créer, au sens où on l’entend habituellement, de véritables fonds souverains régionaux chargés de mobiliser l’épargne en direction du tissu économique local.

Par ailleurs, d’importantes difficultés pratiques ont été mises en évidence par la commission des finances. Compte tenu des conditions de rémunération du nouveau produit d’épargne proposé, les régions se trouveraient exposées à des taux d’emprunt supérieurs à ceux qui leur sont proposés par le marché, ce qui, hélas, réduit considérablement l’intérêt du mécanisme tel qu’il a été conçu.

Une piste d’amélioration fort justement relevée par notre rapporteur serait de constituer d’authentiques fonds souverains régionaux qui permettraient localement aux collectivités d’octroyer des prêts ou de prendre des participations au capital des entreprises. Cela permettrait de financer l’investissement de manière plus pertinente que ce que permettent déjà aujourd’hui plusieurs types de fonds d’investissement régionaux existants. L’obstacle principal à la faisabilité de ce dispositif, outre sa recevabilité financière par voie d’amendement, serait alors la dotation en fonds propres, nécessaire pour que ces fonds d’investissement puissent assumer leurs missions. Mais encore une fois, le ticket d’entrée s’avérerait trop élevé pour bon nombre de collectivités.

Sur ce point, notre collègue Michel Canevet, dont je tiens à saluer la constante sagacité, avait développé, dans trois amendements déclarés irrecevables, une réflexion visant à accroître les ressources potentielles de ces fonds au moyen du mécénat. L’idée mérite réflexion.

Quoi qu’il en soit, les membres du groupe Union Centriste se réjouissent aujourd’hui d’avoir l’occasion de débattre d’un dispositif, qui, bien que non abouti, soulève des réflexions qui méritent de retenir toute notre attention. Le lien entre placement financier, besoin conjoncturel de financement des collectivités et utilisation locale de la ressource doit pouvoir, sur le fond, recueillir l’assentiment de notre Haute Assemblée.

En conclusion, le groupe Union Centriste s’abstiendra sur cette proposition de loi, mais il s’agit d’une abstention bienveillante qui appelle notre collègue à faire preuve de persévérance et le Sénat à retravailler collectivement à un nouveau texte résolument opérationnel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrice Joly. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin visant à orienter une partie de l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux met en exergue deux constats.

Le premier est que la crise sanitaire que traverse malheureusement notre pays s’est traduite par une hausse historique du taux d’épargne des ménages, liée à la fois à la diminution des possibilités de consommation – c’est ce qu’on appelle parfois l’épargne forcée – et à la montée des incertitudes économiques qui conduit à une épargne de précaution.

La Banque de France estime ainsi à 130 milliards d’euros le surplus d’épargne accumulée par rapport à un scénario sans crise sanitaire. Elle prévoit, d’ici à la fin de 2021, la constitution d’une surépargne de 200 milliards d’euros, soit près de 8 % du PIB. Il s’agit d’une épargne de court terme, déposée sur des comptes courants et les livrets d’épargne réglementée, alors que des supports à échéance plus longue seraient plus adaptés aux besoins de financement de notre pays.

En effet, les fonds propres ou quasi-fonds propres des entreprises constituent le meilleur moyen pour soutenir les entreprises et les accompagner dans la sortie de crise. À cet égard, un appui à l’échelon régional peut constituer un élément de réponse utile, en particulier pour les petites et moyennes entreprises.

Le second constat concerne les besoins de notre pays et la nécessité pour l’État, nos collectivités locales et nos entreprises, d’investir massivement pour faire face aux enjeux du monde à venir.

Je partage donc le souhait de créer un fonds qui puisse coordonner les interventions financières des collectivités publiques situées dans le ressort territorial de la région en lien avec tous les acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales, afin d’assurer le financement des investissements en faveur de la redynamisation et de l’attractivité de nos territoires, de la réindustrialisation au désenclavement des territoires ruraux, de leur adaptation au changement climatique au développement des mobilités, des infrastructures aux usages numériques. Cette liste – vous en conviendrez – n’est en rien exhaustive.

Toutefois, si nous partageons ces constats et ces aspirations au développement des territoires, nous nous interrogeons quant à l’outil utilisé : le livret de développement des territoires.

En effet, les ressources collectées sur les livrets d’épargne réglementée sont déjà mobilisées pour soutenir des politiques publiques essentielles. Ainsi, comme vous le savez, le livret A finance le logement social.

Dans un contexte de grande tension sur le marché du logement et de paupérisation d’une grande partie de nos concitoyens, on peut donc légitimement s’inquiéter que le LDT proposé concurrence le livret A et risque d’affecter la dynamique de production de logements sociaux.

Par ailleurs, on sait que cette surépargne concerne principalement les ménages aisés. En effet, le Conseil d’analyse économique indique que les 20 % des ménages aux revenus les plus élevés ont réalisé 70 % de l’épargne supplémentaire. L’outil proposé ne répond donc pas au problème majeur de notre société qu’est l’accroissement des inégalités, creuset de la désagrégation sociale et du délitement de la promesse républicaine. Nous devons y remédier, car c’est l’un des grands enjeux actuels.

Le groupe socialiste a d’ailleurs récemment fait des propositions en ce sens. Pourquoi ne pas mobiliser la solidarité des ménages les plus aisés pour cofinancer l’effort exceptionnel de l’État pour lutter contre les conséquences de l’épidémie de covid-19, en instaurant un impôt sur le capital et en supprimant la taxe forfaitaire sur les dividendes ?

La réponse doit être simple et directe, à savoir une taxation exceptionnelle des revenus ayant bénéficié aux foyers les plus riches et aux entreprises dont les profits ont explosé. Cela permettrait de cofinancer les mesures de soutien aux ménages, aux entreprises et aux mouvements associatifs fragilisés par cette crise et de les accompagner dans leur transition vers des pratiques plus durables.

Par ailleurs, on constate dans les territoires, en particulier ruraux, un niveau d’encours de dette très nettement inférieur au montant de l’épargne des acteurs locaux. Il en résulte que, de manière paradoxale, les territoires qui ont un fort besoin d’investissement financent des territoires qui ont un fort niveau d’investissement, de développement et de moyens.

Il y a donc lieu aujourd’hui, en vue de favoriser la cohésion territoriale, de mettre en place des circuits courts en matière de financement. C’est aussi cela, le développement durable.

Dès lors, il pourrait être envisagé d’obliger les banques à investir sur les territoires une part importante des sommes collectées sur ces mêmes territoires. Nous pourrions à cet égard nous inspirer de la loi sur le financement communautaire, qui est un dispositif législatif américain portant sur les relations entre les banques et d’autres grands organismes financiers et les territoires. Cette loi revêt par certains aspects un caractère unique dans la mesure où elle contraint les banques à rendre compte de la politique qu’elles mènent sur les territoires et les incite à prêter aux habitants et aux entreprises les plus fragiles. Elle nous apporte un éclairage sur le potentiel que constitue l’engagement volontariste des banques pour le développement économique et social des territoires en panne de croissance.

À titre d’exemple, en trente-cinq ans, le dispositif a mobilisé plus de 1 400 milliards de dollars de crédits et de services bancaires au bénéfice de territoires et de populations fragiles pour promouvoir le développement local sans impact négatif mesurable sur le bilan des banques.

Vous l’aurez compris, nous sommes tout à fait favorables au renforcement des moyens consacrés aux territoires par la mobilisation de l’épargne locale. Malheureusement, si ce texte pose de bonnes questions, il n’apporte pas de bonne réponse, et nous sommes prêts à y travailler, mais pour l’heure, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la mi-février, notre commission des finances débattait de la mobilisation de l’épargne en faveur de l’économie. Début mars, Bruno Le Maire indiquait que le Gouvernement travaillait à des incitations qui permettraient aux Français de dépenser leur épargne dans l’économie, et donc de participer à la relance économique. Fin mars, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes annonçait le lancement d’un fonds souverain régional pour investir dans des entreprises qui pourraient même collecter l’épargne des Français sous réserve d’un agrément par l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Parlementaires, ministres et élus locaux s’accordent sur la nécessité de mobiliser l’épargne des Français en faveur de la relance. C’est un consensus politique frappé au coin du bon sens. Ce matin, chacun des orateurs qui sont intervenus a partagé ce constat.

Pourtant, on nous dit aujourd’hui que le moment n’est pas bien choisi…

M. Philippe Dallier, rapporteur. Ce n’est pas cela !

M. Emmanuel Capus. … et que le dispositif n’est pas tout à fait bien ficelé. Vous avouerez qu’il y a un décalage entre, d’un côté, des discours très volontaires et, de l’autre, des attitudes très prudentes.

Chers collègues, parlons peu, mais parlons bien. Quels sont les problèmes ? J’en distingue quatre, et nous pouvons les résoudre.

Le premier est relatif à l’intérêt que présente cette proposition pour les collectivités. Le rapporteur a indiqué que le mécanisme financier ne donne pas aujourd’hui accès à des prêts bon marché. C’est peut-être vrai, mais seulement dans le contexte de taux bas que nous connaissons actuellement. Personne ici ne peut garantir que les taux d’intérêt ne remonteront pas à court terme. C’est pourquoi ce dispositif, qui est structurel et non conjoncturel, peut parfaitement s’avérer utile.

Le deuxième problème est relatif au type d’investissements visé. Le rapporteur a indiqué que, si les régions n’ont pas besoin de nouveaux moyens pour financer les infrastructures, prendre des participations dans des entreprises pourrait les intéresser. Sylvie Vermeillet a également évoqué ce point. Dont acte.

Nous proposons donc un amendement tendant à permettre d’abonder des fonds souverains existants ou à créer.

Le troisième problème est la liquidité du livret. On nous indique qu’on ne finance pas des prêts à long terme avec une épargne liquide. Très bien. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas bloquer les dépôts effectués sur les livrets de développement des territoires afin de sécuriser le dispositif ?

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Plus personne ne souscrira…

M. Emmanuel Capus. Nous proposerons donc un amendement visant à stabiliser le mécanisme sur le plan financier.

Le quatrième problème n’a pas été évoqué directement par le rapporteur, mais certains sénateurs, notamment à gauche, s’en sont chargés pour lui : il a trait au financement du logement social, le mécanisme que nous proposons risquant, nous dit-on, de concurrencer le livret A. Soit.

Soyons très clairs : l’objectif de ce texte n’est pas de remettre en question le financement du logement social. Il est de permettre aux Français qui le veulent et qui le peuvent de participer au financement de la relance autrement qu’en créant de la dette qu’ils finiront par payer de leur impôt, et de le financer au plus proche de chez eux sur leur territoire.

M. Philippe Dallier, rapporteur. C’est aussi de la dette !

M. Emmanuel Capus. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en présentant cette proposition de loi, nous avons pris la responsabilité de proposer une solution concrète plutôt que d’ouvrir un simple débat. Nous faisons confiance au débat parlementaire pour muscler le dispositif. J’espère que vous y participerez. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire met à mal notre idéal d’égalité. Cela se reflète tout particulièrement dans la répartition de l’épargne dont il est question dans cette proposition de loi.

Une partie de la population dont la vie professionnelle ne tenait qu’à un fil a subi de plein fouet et sans filtre les conséquences économiques du confinement : les petits indépendants et autoentrepreneurs, les intermittents de l’emploi et les chômeurs déjà privés d’emploi avant la crise.

De l’autre côté, les stables, les détenteurs de capitaux économiques qui ont la chance d’être bien installés ont largement surépargné et constitué par la même occasion un patrimoine financier supplémentaire.

D’après une étude du Conseil d’analyse économique qui a déjà été largement citée, 20 % des ménages aux revenus les plus faibles ont vu leur épargne diminuer, alors que la moitié du surcroît d’épargne a été réalisée par 10 % des ménages les plus aisés. Les inégalités salariales se doublent aujourd’hui de profondes inégalités patrimoniales supplémentaires. Nous estimons qu’il y a donc un enjeu majeur de réforme fiscale. Dans ce contexte, la défiscalisation proposée dans ce texte ne nous paraît pas aller dans le bon sens.

Cependant, la réorientation de l’épargne ou son orientation de manière volontariste, dans la justice, pour préparer l’avenir, nous semble une piste intéressante. De plus, le dispositif proposé a le mérite de doter les territoires de moyens alors qu’ils en manquent cruellement, mais – disons-le – c’est une goutte d’eau si on le rapporte aux baisses des dotations que les collectivités ont subies depuis de nombreuses années.

Pour éviter les écueils qui nous ont menés à la situation que nous connaissons aujourd’hui, il faudrait que ce dispositif favorise le développement d’une société durable et résiliente, non pas seulement au travers des régions, mais de toutes les collectivités.

Si nous notons avec intérêt l’envie de préparer l’avenir, y compris en termes de transition écologique, il nous semble que des garanties devraient être apportées pour que ces crédits soient fléchés vers l’économie sociale et solidaire, sujet qui intéressera sans doute Mme la secrétaire d’État.

Cette proposition de loi est intéressante. De nombreux éléments ont déjà été relevés par mes collègues, notamment les doutes quant à la façon dont ces fonds seraient gérés, le fait qu’ils ne concernent que les régions et le risque éventuel de capter une partie de l’épargne qui est déjà fléchée vers les territoires ou vers le logement social. Malgré son intérêt, ce texte a donc un goût d’inachevé.

En l’absence de garanties relatives au fléchage de ces fonds régionaux vers la transition écologique et la résilience de nos territoires, cette proposition de loi risquerait d’être un simple palliatif à la baisse des dotations des collectivités. De plus, sa mise en œuvre aboutirait finalement à augmenter leur endettement, alors qu’elles auraient besoin d’une augmentation non pas de leurs fonds propres, mais de leurs fonds sans endettement.

Pour autant, la piste proposée par le Gouvernement, qui consiste à attendre que cette épargne permette d’abonder la consommation des plus aisés, ne nous semble pas opportune. Cela constituerait une fuite en avant dans la société de consommation, alors que nous devrions rechercher la sobriété et que les plus aisés sont ceux dont l’empreinte carbone est la plus importante.

Il conviendrait au contraire de réorienter cette épargne par une dynamique fiscale pour permettre la réduction des inégalités. De ce point de vue, la proposition lancée par le Gouvernement de dons intergénérationnels exonérés d’impôts nous paraît aller dans le sens inverse de ce qu’il faut faire.

En revanche, cette proposition de loi contribue utilement à un débat important, et c’est pourquoi nous nous abstiendrons.

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous le dis d’emblée, si les objectifs du texte sont tout à fait louables, et partagés par nombre d’entre nous dans cet hémicycle, je crois néanmoins que le dispositif prévu n’est pas adapté.

Les deux axes qui servent d’architecture à la proposition de loi ont le mérite d’être intéressants. Il s’agit, d’une part, de créer un nouveau livret d’épargne, d’autre part, d’utiliser la ressource collectée par les régions.

Pour ce qui est, tout d’abord, du nouveau livret d’épargne, la proposition de loi suggère la création d’un livret de développement des territoires qui permettrait de financer des fonds souverains. Celui-ci concurrencerait donc le livret A et, compte tenu du dispositif prévu, la concurrence serait rude.

Les modalités du livret sont en effet très claires, qu’il s’agisse de l’absence de plafonnement de l’encours du livret, de la pluridétention qui est autorisée, ou bien encore de l’exonération totale de prélèvements fiscaux et sociaux pour les sommes versées en 2022. À bien observer ces quelques éléments, chacun peut présager que le livret de développement des territoires sera beaucoup plus attractif que le livret A.

Or cette attractivité risque de diminuer fortement les encours sur le livret A, alors qu’ils servent au financement de la dette de l’État et de l’économie. De plus, avons-nous besoin d’affaiblir le livret A, auquel les Français sont attachés ? Les nombreuses inquiétudes que suscite le livret de développement des territoires sont à mon avis justifiées.

Ensuite, la création de fonds souverains régionaux me paraît également une idée judicieuse. Cependant, encore une fois, le dispositif prévu dans le texte soulève des interrogations, surtout si l’on anticipe ses conséquences.

Le rapporteur, Philippe Dallier, a rappelé à juste titre que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le texte ne crée pas des fonds souverains, mais un nouveau mécanisme d’emprunt bancaire au profit des régions pour financer leurs dépenses d’équipement. Or les régions n’ont pas de difficulté pour accéder au crédit.

Rappelons aussi que le droit en vigueur permet déjà aux régions de doter des fonds d’investissement. Des dispositifs existent, dans lesquels les régions interviennent dans un cadre précis, avec des partenaires privés et selon des règles fixées par le droit de l’Union européenne.

Enfin, les régions peuvent déjà prendre des participations au sein des sociétés commerciales et accorder des prêts ou des avances remboursables.

Votre amendement n° 5 rectifié bis, madame Paoli-Gagin, vise à ouvrir aux fonds souverains régionaux la possibilité d’investir en fonds propres dans les entreprises. Je partage votre préoccupation, mais le dispositif que vous proposez vient concurrencer celui que le Gouvernement a mis en place pour soutenir les fonds propres des entreprises.

Par ailleurs, le grand rendez-vous de l’investissement productif mené par Amélie de Montchalin,…