Mme le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.

Mme Anne Ventalon. Depuis le 19 mai dernier, les lieux culturels accueillent de nouveau le public, et chacun s’en réjouit. Les portes se sont rouvertes, mais les professionnels s’interrogent : est-ce pour de bon ou seulement pour la saison ?

Bien des établissements, à commencer par les lieux du spectacle vivant, ont repris les représentations. Malgré les jauges et le port du masque, la présence du public confirme une grande appétence pour la culture.

Les aides allouées ont permis aux structures concernées d’affronter cette longue traversée du désert culturel. Mais, avec l’augmentation progressive des jauges, elles sont appelées à se tarir.

Je rappelle que bien des établissements, notamment les théâtres de ville, dépendent directement des communes : ces dernières contribuent pour près de la moitié au financement du théâtre vivant.

Or elles ont bien du mal à dessiner la trajectoire que vont prendre leurs finances, d’autant que les mécanismes de compensation des surcoûts liés à la crise ne sont pas encore suffisamment documentés. De plus, elles ignorent si elles pourront bénéficier du plan de relance et, le cas échéant, sous quelles modalités.

Le spectacle vivant risque donc de subir le contrecoup de la détérioration des finances du bloc communal, qui, face à la crise sanitaire, a dépensé davantage et a vu ses recettes diminuer.

Madame la ministre, dans ces conditions, vous imaginez l’incertitude et l’anxiété qui gagnent les directions des théâtres. Elles ont besoin de faire des choix artistiques, budgétaires et humains. Bref, elles doivent se projeter dans les prochaines années, sans savoir précisément sur quelles ressources elles pourront compter.

J’en viens à ma question, madame la ministre. Si des théâtres de ville ou d’autres établissements du spectacle vivant constatent, l’année prochaine, une baisse significative de leurs dotations, seront-ils éligibles à l’aide de 148 millions d’euros que vous avez annoncée ? L’État viendra-t-il secourir les théâtres de ville en danger ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je commencerai par un point d’orthodoxie budgétaire : ces 148 millions d’euros sont des crédits d’urgence à dépenser pendant l’année 2021. Ils ne relèveront en aucun cas du projet de loi de finances pour 2022.

Votre intervention me permet également de rappeler que la question de la démocratisation culturelle est encore devant nous : au sujet de l’appétence des Français pour le spectacle vivant, sur laquelle vous insistez, je vous répondrai à la fois oui et non.

Qu’elles soient élaborées par le ministère ou par les organisations professionnelles, les statistiques relatives aux pratiques culturelles de nos concitoyens sont formelles : au total, quelque 55 % des Français n’ont jamais mis les pieds dans un lieu de spectacle vivant, qu’il s’agisse des musiques actuelles, des musiques classiques, de l’opéra, du théâtre, du cirque ou encore du cabaret.

De plus, sur les 45 % de Français restants, seuls 10 % sont des pratiquants habituels – figurent dans cette catégorie les personnes qui assistent à dix spectacles vivants au moins chaque année, ce qui n’est d’ailleurs pas si considérable.

Depuis soixante ans, notre politique d’offre culturelle est extrêmement forte. On a fait le pari de l’offre, en pensant que cette dernière allait ruisseler sur les pratiques culturelles des Français. À présent, il faut mener une politique de la demande, il faut aller vers les publics : c’est ce que nous faisons avec l’éducation artistique et culturelle ou encore avec le pass culture.

Nous ne devons pas nous aveugler : c’est tous ensemble que nous relèverons le défi de la démocratisation culturelle. Ce n’est pas parce que les salles de théâtre sont pleines que tout le monde va au théâtre. Ce débat m’offre l’occasion de le dire solennellement.

Enfin, nous sommes encore dans l’incertitude. Quelles seront les conséquences de la pandémie ? Quelles salles seront menacées ?

Pour moi, le plus urgent, c’est de garantir la sécurité sanitaire, car c’est une des conditions d’une reprise pérenne. Les structures du spectacle vivant font donc l’objet d’une très grande vigilance de ma part : nous devons les aider de la meilleure façon, car ce sont elles qui sont les plus menacées.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Depuis plus d’un an, les guides-conférenciers sont sans travail. Ils espéraient pouvoir reprendre leurs activités à partir du 19 mai 2021, mais compte tenu des conditions du déconfinement, des restrictions, de l’arrivée des variants, du pass sanitaire et des quarantaines appliquées lors du passage des frontières, nous pouvons déjà l’affirmer : les visiteurs, qu’ils soient Français ou étrangers, particulièrement les touristes américains et asiatiques, ne seront pas de retour avant bien longtemps.

La profession, qui s’exerce au contact des voyageurs et des groupes, est l’une des plus durement touchées du monde de la culture et du tourisme. Elle est pourtant restée dans l’ombre.

Les conséquences de la crise sanitaire ont frappé un métier qui souffrait déjà d’un statut saisonnier et précaire, tributaire des événements climatiques, géopolitiques et économiques.

Finalement, la pandémie nous ouvre les yeux sur la nécessité de protéger cette activité précieuse pour le rayonnement du patrimoine français.

Madame la ministre, ce sont environ 12 000 guides-conférenciers titulaires de la carte professionnelle qui travaillent en freelance, en tant qu’autoentrepreneurs ou avec des CDD de quelques mois, en jonglant avec plusieurs missions. Au total, 80 % des guides-conférenciers sont des femmes. À l’heure actuelle, ces professionnels sont toujours sans travail et beaucoup ne s’en remettront pas.

Diplômés, polyglottes, ils sont eux aussi essentiels à la vie culturelle de notre pays. Ils ont connu le même arrêt brutal que les intermittents du spectacle ; pourtant, ils n’ont pas eu droit à la même protection.

Les guides-conférenciers sont bien des intermittents de la culture, non des petites mains du patrimoine ou du tourisme. Il est urgent que le ministère de la culture, d’une part, devienne l’interlocuteur exclusif de la profession, et, d’autre part, envisage une reconnaissance légale protectrice de ce métier.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, je tiens à vous rassurer : pour moi, pour mon cabinet ou pour les services de mon ministère, les guides-conférenciers n’ont jamais été dans l’ombre.

Vous l’avez rappelé : ils jouent un rôle de premier plan dans la valorisation touristique et culturelle de notre patrimoine et de nos territoires. L’effondrement de la fréquentation des lieux pour lesquels ils travaillent les place dans une situation très difficile.

Parmi ces professionnels, ceux qui exercent une activité internationale sont bien sûr particulièrement touchés. En outre – il faut bien le dire –, un certain nombre d’entre eux vivent en dehors des circuits classiques de rémunération : ils pratiquent des activités au pourboire, des activités grises qui ne leur permettent pas de cotiser et, partant, d’être protégés.

Le contexte est en train de changer : on peut espérer qu’un certain nombre de touristes étrangers seront remplacés par des touristes français – on l’observe d’ailleurs d’ores et déjà –, mais la situation reste très difficile.

Je rappelle que les guides-conférenciers sont éligibles aux dispositifs transversaux mis en place : leurs organisations professionnelles n’ont sans doute pas joué pleinement leur rôle d’information à cet égard.

En complément de ces soutiens financiers, nous pensons à la réorganisation de la profession, qui est absolument indispensable.

Un groupe de travail interministériel, qui réunit les quatre principaux syndicats et fédérations professionnels des guides-conférenciers, a été mis en place et se réunit. Nous avançons au sujet de la sécurisation des cartes professionnelles et pour la création d’un registre numérique permettant d’éviter les falsifications.

En effet, certains voyagistes facturent les visites de guides-conférenciers, puis, lorsque ces derniers montent à bord des cars, les touristes sont invités à donner un pourboire, ce qui est absolument anormal. Nous progressons également pour renforcer la reconnaissance de cette profession et évaluer ses besoins.

Depuis le 19 mai dernier, les visites guidées dans nos musées et monuments ont pu reprendre. Par dérogation aux règles liées aux rassemblements, les personnes titulaires d’une carte professionnelle peuvent guider une clientèle sans limitation du nombre de participants, ce qui est particulièrement important : leurs revendications ont été entendues.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Garnier.

Mme Laurence Garnier. Madame la ministre, depuis quinze jours la culture reprend ses droits, et tout le monde s’en réjouit. Pour autant, il reste une ombre au tableau : les activités culturelles n’ont pas encore repris partout du fait de l’occupation de certains lieux.

À Paris, le théâtre de l’Odéon n’est plus occupé depuis quelques jours. Mais, à Nantes, le théâtre Graslin est occupé depuis maintenant plus de trois mois, et de nombreuses autres villes françaises sont concernées.

Concrètement, les directeurs de ces établissements sont obligés de déprogrammer des spectacles qui pourraient avoir lieu : c’est un comble, alors que le pays a été privé d’activité culturelle pendant des mois !

Aujourd’hui, on ne peut plus accepter ces occupations de lieux culturels. J’ai envie – comme vous, j’en suis sûre – que les Français retrouvent leurs théâtres, et je pense notamment aux Nantais ; j’ai envie que les artistes retrouvent leur public.

Pour autant, il faut s’interroger : il faut comprendre ce que dit cette situation et mesurer la fracture qu’elle révèle. D’un côté, les grandes structures culturelles ont bénéficié d’un fort soutien, d’un grand accompagnement de la part de l’État comme des collectivités. De l’autre, de nombreux acteurs culturels – compagnies de danse et de théâtre, d’arts de la rue, artistes auteurs, etc. – ont été extrêmement fragilisés par cette crise et s’inquiètent légitimement pour leur avenir.

Aussi, ma question est double. Elle porte tout d’abord sur l’ordre public : comment et quand l’État compte-t-il redonner aux Français l’accès à ces lieux culturels ? Elle porte ensuite sur nos politiques culturelles : comment comptez-vous combler le fossé qui s’est creusé entre les grandes structures et cette myriade d’acteurs culturels qui sont essentiels à la dynamique de notre pays ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Madame la sénatrice, au plus fort de la crise, une centaine de lieux culturels ont été occupés, par un ensemble d’environ 1 000 personnes : c’est beaucoup et c’est peu à la fois.

Cela étant, je n’ai jamais agi en comptable des mouvements sociaux. À mon sens, les personnes qui occupaient ces lieux de culture avaient des choses à nous dire : c’est la raison pour laquelle, dès le 7 mars dernier, je suis allée à la rencontre des intermittents de la CGT spectacle qui occupaient le théâtre de l’Odéon.

Je ne dis pas que je trouvais ces occupations normales. Elles étaient illégales, mais elles étaient légitimes, car, pour les intéressés il s’agissait de se faire entendre. C’est ainsi que je les ai vécues.

Nous avons multiplié les rencontres avec les organisations représentatives des intermittents, qui occupaient massivement ces lieux de spectacle.

Las – il faut bien le reconnaître –, il y a eu des dérives. Un certain nombre de maires et quatre directeurs d’établissement ont sollicité le recours à la force publique.

Je l’ai dit dès le départ : je ne serai pas la ministre de la culture qui demandera le recours à la force publique. J’ai fait confiance à l’esprit de responsabilité. Je savais que, dès la réouverture des lieux de culture, la plupart de ces mouvements cesseraient. D’ailleurs, le bilan est clair : hier, on ne comptait plus que vingt-huit lieux occupés – la décrue est donc des trois quarts – mobilisant 300 personnes, qui ne sont d’ailleurs pas toutes des intermittents.

Ce mouvement ne peut pas s’arrêter d’un coup d’un seul, et je le comprends. Certaines personnes ont pris l’habitude de vivre dans une certaine convivialité, en multipliant les assemblées générales et les colloques. Elles ont besoin de se retrouver ; d’autres ont émigré vers d’autres lieux.

En tout cas, maintenant, j’en appelle à la responsabilité de chacun. Les lieux de culture sont rouverts ; l’intermittence est garantie et, avec elle, la protection des intermittents. Il est temps de retrouver un fonctionnement normal des lieux de culture.

J’ai toujours respecté les intermittents : je continuerai à les respecter et à les écouter.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.

Mme Laurence Garnier. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions. Je vous rejoins largement, mais ce qui était entendable – même si c’était illégal, comme vous l’avez rappelé – avant la réouverture des lieux culturels l’est beaucoup moins aujourd’hui : il s’agit précisément de relancer les activités culturelles, y compris dans ces lieux, même s’ils sont beaucoup moins nombreux qu’il y a quinze jours.

Au-delà, de la scène nationale et de la grande structure conventionnée à la petite compagnie de danse ou d’arts de la rue, c’est la solidarité de toute la chaîne culturelle qu’il va falloir retravailler au cours des mois à venir.

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Sylvie Robert, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je serai brève, car il est déjà tard.

Les débats consacrés la culture sont essentiels et ils ne sont que trop rares ! Je tiens donc à remercier l’ensemble des orateurs. Madame la ministre, je vous remercie également de vous être prêtée au jeu des questions-réponses après votre propos liminaire.

Vous avez constaté combien mes collègues sont attachés à la culture. La diversité de leurs questions témoigne de l’intérêt qu’ils portent à ce secteur et leur précision est le reflet de leur expertise. En faveur du secteur culturel, notre mobilisation collective est réelle et notre vigilance va continuer, sachez-le.

Tout d’abord, nous serons très attentifs à la mise en œuvre du plan de relance dans nos différents territoires : nous le savons d’ores et déjà, nous devrons assumer une importante mission de contrôle à cet égard.

Ensuite, à la rentrée prochaine, nous nous pencherons sur la situation de l’ensemble des acteurs. Vous l’avez dit fort justement : un certain nombre de dispositions doivent faire l’objet de clauses de rendez-vous. Nous y serons également attentifs.

Enfin, nous veillerons à la poursuite de l’accompagnement financier. Dès le début du mois prochain, un projet de loi de finances rectificative sera soumis à notre examen. Les aides transversales doivent être poursuivies : la culture en bénéficiera, mais nous devons voir précisément comment ces aides seront modulées. Il s’agit de garantir la poursuite des activités culturelles.

Bien sûr, le projet de loi de finances sera une étape importante. Nous avons évoqué le crédit d’impôt en faveur du spectacle vivant : nous prolongerons ces débats en traitant de la protection sociale et des différents budgets concernés. Vous le savez, sur ces questions, nous serons pleinement mobilisés.

Mes chers collègues, on sait combien l’écosystème culturel est fragile : la crise actuelle l’a particulièrement montré. Il exigera des mesures de soutien et d’anticipation. En parallèle, l’évolution de la situation appellera de nombreuses clarifications.

Cette crise sera peut-être aussi l’occasion de modifier certaines pratiques. Peut-être tendrons-nous désormais vers plus de solidarité entre les lieux et les artistes, vers plus de bienveillance et d’attention. Peut-être cette crise nous permettra-t-elle de repenser notre modèle.

J’insiste toujours sur le caractère exceptionnel du modèle culturel français. Ses fragilités ont été mises au jour, mais cette crise nous permettra peut-être d’aller vers des pratiques plus vertueuses. C’est notre rôle que de les accompagner.

L’enjeu, en définitive, c’est la démocratie culturelle. Il s’agit d’une véritable nécessité : c’est pourquoi l’accès du plus grand nombre de nos concitoyens à l’art et à la culture doit être, véritablement, un objectif collectif et concerté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la reprise et la relance des activités culturelles.

8

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 3 juin 2021 :

À neuf heures trente :

Trente-cinq questions orales.

À quatorze heures trente :

Explications de vote puis vote sur la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, présentée par M. Vincent Delahaye, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 627, 2020-2021) ;

Débat sur la régulation des Gafam ;

Débat sur le thème « Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives ».

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures dix.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER