M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la crise sanitaire n’en finit pas de questionner nos systèmes économiques et sociaux, elle a aussi permis de souligner avec force le caractère incontournable de notre politique de développement.

Annoncé depuis 2018 et repoussé à plusieurs reprises, l’examen de ce projet de loi de programmation était un rendez-vous législatif très attendu. L’objectif du texte est de fixer le cap de notre politique de développement pour les prochaines années.

En effet, après les orientations définies par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) au début du quinquennat, notamment l’objectif d’atteindre un niveau ambitieux d’aide publique au développement de 0,55 % du RNB en 2022, il était indispensable que le Parlement puisse se prononcer sur ces orientations.

Certes, le calendrier d’examen de ce projet de loi a apporté un bémol, avec l’adoption tardive du texte, moins d’un an avant la fin du quinquennat. Toutefois, ce retard est largement imputable à la crise sanitaire, dont les conséquences économiques et sociales ont bousculé le cours de nos travaux ces derniers mois.

Cela étant dit, je salue le travail de longue haleine des rapporteurs, nos collègues Hugues Saury et Rachid Temal, du président Christian Cambon, ainsi que du rapporteur pour avis de la commission des finances, le président de notre groupe, le RDSE, Jean-Claude Requier.

Leurs travaux ont permis, en premier lieu, de faire converger les positions des commissions des affaires étrangères et des finances au sein de notre assemblée et, en second lieu, de parvenir à un accord lors de la commission mixte paritaire. Le texte élaboré par celle-ci conserve un nombre significatif d’apports du Sénat, témoignant de l’esprit constructif qui a animé nos débats.

À ce titre, l’accord trouvé sur la programmation définie à l’article 1er constitue une évolution majeure par rapport à la proposition initiale du Gouvernement. Je tiens à rappeler le constat unanime selon lequel l’intérêt budgétaire de ce texte était initialement très limité, puisque l’article 1er se contentait essentiellement d’entériner les moyens budgétaires déjà validés par le Parlement. Afin d’adopter une réelle loi de programmation, le Sénat avait, en première lecture, prolongé la trajectoire des crédits de la mission jusqu’en 2025, avec une clause de revoyure à mi-parcours.

Si la commission mixte paritaire n’a pas retenu cette trajectoire des crédits de paiement, elle a en revanche conforté le caractère programmatique de ce projet de loi, en proposant une trajectoire exprimée en pourcentage du RNB jusqu’en 2025.

Nous pouvons nous réjouir de cet accord qui permet de préserver l’effort budgétaire de la France en matière de développement pour les prochaines années. Quant à la part de taxe sur les transactions financières (TTF) affectée au développement, le plafond actuel a été sanctuarisé et il nous reviendra de conduire un nouveau débat sur cette question lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.

Un accord a également été trouvé sur d’autres apports du Sénat, tels que les objectifs chiffrés pour la part de l’aide publique bilatérale, pour la composante dons et pour l’aide pays programmable. Les précisions apportées par le Sénat sur la restitution des biens mal acquis ont également été préservées, tout comme les dispositions relatives à l’information du Parlement, notamment aux articles 2 et 10 bis.

Je souhaiterais terminer en saluant l’accord trouvé sur les dispositions relatives à la commission d’évaluation de l’aide publique au développement, placée auprès de la Cour des comptes. Une meilleure évaluation de l’efficacité de cette politique est nécessaire dans un contexte de croissance de ses moyens budgétaires, alors que nos finances publiques connaissent de fortes contraintes.

La définition de cette nouvelle instance, inspirée de l’exemple britannique, a nourri des débats animés au sein de notre assemblée. L’équilibre que nous avons trouvé contribue à améliorer la transparence de la politique de développement, tout en préservant le rôle constitutionnel d’évaluation alloué au Parlement. Enfin, il témoigne, s’il fallait encore en apporter la preuve, de la qualité de l’intérêt du travail parlementaire pour enrichir et préciser les textes qui nous sont soumis.

Nous sommes donc bien sûr favorables à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Richard Yung applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en mai dernier, notre abstention était motivée par l’écart trop important entre les nombreuses bonnes intentions affichées dans ce projet de loi, qui visait à programmer, enfin, un effort d’APD digne d’un pays comme la France, et la faiblesse des engagements concrets qu’il contenait.

Après le passage en commission mixte paritaire, rien ne s’est amélioré de ce point de vue, bien au contraire !

Certes, l’objectif de 0,7 % sera désormais inscrit dans la loi, ce qui est un acquis du débat parlementaire, puisque cet objectif ne figurait pas dans le projet de loi initialement soumis à l’Assemblée nationale. Mais aucun engagement réellement précis ne permet de garantir la trajectoire. Tout reste hypothétique et ce texte n’est toujours pas une loi de programmation.

Surtout si on le compare à la loi de programmation militaire, comparaison pertinente, puisque le Gouvernement prétend viser l’équilibre au sein du triptyque des 3D – diplomatie, défense, développement. D’un côté, la loi de programmation militaire comprend des engagements financiers d’ampleur pour faire ou préparer la guerre ; de l’autre, l’APD est toujours beaucoup trop faible pour lutter contre les inégalités mondiales – les difficultés qui se posent actuellement pour l’accès aux vaccins le démontrent –, alors même que le développement est la véritable clé de voûte de toute paix et de toute sécurité collective durables.

À l’issue de la commission mixte paritaire, les quelques ajouts du Sénat ont été réduits comme peau de chagrin.

La programmation budgétaire n’a de programmation que le nom, comme je viens de le dire. Nous allons voter en vérité, pour l’essentiel, une loi de finances anticipée sur une ligne budgétaire réduite à l’année 2022. La formulation très hypothétique de cet article montre l’absence de volonté budgétaire réelle du Gouvernement.

Alors que le Sénat avait adopté un amendement réorientant majoritairement la TTF vers sa finalité première, c’est-à-dire l’APD, la réforme de l’affectation de cette taxe a disparu du texte final, et on en reste en réalité au statu quo. Ce que nous nous apprêtons à voter en la matière, c’est seulement une non-régression par rapport à la situation actuelle !

Autre enjeu de nos batailles lors des débats de mai dernier, la question des cibles de l’APD. Nous avons, assez collectivement, partagé un constat : notre APD était jusqu’ici trop orientée vers les prêts et peu accessible aux pays qui en avaient le plus besoin. Le Sénat était allé dans le bon sens : 65 % de notre aide devait se faire sous forme de dons et 30 % devait aller aux dix-neuf pays prioritaires fixés par le Cicid dans la liste des quarante-sept pays les moins avancés de l’ONU.

À l’issue de la commission mixte paritaire, la part des dons est portée à 70 %, soit un progrès non négligeable, bien qu’en dessous des standards internationaux. Pour autant, seuls 25 % de l’aide programmable bénéficieront à partir de 2025 aux dix-neuf pays prioritaires.

En ce qui concerne le contrôle de l’aide publique au développement, l’instauration, que nous avons saluée, d’une commission indépendante placée sous le patronage de la Cour des comptes débouche à l’arrivée, au vu de sa composition et de son mode de fonctionnement, sur ce qui risque d’être une usine à gaz assez compliquée, avec deux collèges distincts – un dispositif bien éloigné du nécessaire contrôle politique. C’est en tout cas ce que nous craignons.

Au terme de cette navette parlementaire, il reste le sentiment que la France rate le coche et qu’elle ne se donne pas, une fois de plus, les moyens ambitieux dont elle proclame par ailleurs se doter.

Pourtant, tout, de la pandémie à l’échec de l’opération Barkhane, nous appelle à réviser nos concepts de coopération pour passer de la protection de nos intérêts de puissance à une véritable stratégie de développement pour tous les peuples, centrée sur la maîtrise par les pays visés par l’APD des moyens de leur développement et par la mobilisation de leurs ressources internes, parmi lesquelles figurent notamment les instruments monétaires et fiscaux.

De ce point de vue, il est significatif que tous les amendements que nous avons proposés visant à des réorientations structurelles, par exemple sur les recettes fiscales des pays pauvres ou leur accès à de nouveaux quotas de droits de tirage spéciaux (DTS), comme cela vient d’ailleurs d’être décidé pour le Liban, aient été rejetés.

Au-delà de l’insuffisance de nos engagements budgétaires, c’est le sens même de notre politique de développement qui reste problématique. Nous maintenons notre abstention pour ne pas rejeter les objectifs proclamés, que nous partageons, mais avec la conscience que tout ou presque reste à faire pour leur concrétisation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord trouvé entre les députés et les sénateurs en commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités aboutit à un texte transpartisan.

Ce texte concrétise de nouvelles ambitions pour notre politique de développement solidaire. Il vise à être un levier puissant de la diplomatie et du rayonnement de notre pays. Il ouvre la voie à une stratégie claire et à des priorités fonctionnelles et géographiques. Les actions d’aide publique au développement menées pourront également bénéficier d’un réel dispositif d’évaluation.

Je souhaite, à cette occasion, remercier nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, notamment nos rapporteurs Hugues Saury et Rachid Temal et bien évidemment notre président Christian Cambon, pour leurs travaux et leur écoute tout au long de l’examen de ce texte.

Dans le cadre de mon mandat de représentant des Français établis hors de France, et à la faveur de mes multiples déplacements en circonscription, j’ai pu constater sur le terrain l’importance vitale de notre aide publique au développement et de son opérateur, l’Agence française de développement.

J’espère que l’aboutissement de ce projet de loi suscitera une nouvelle impulsion afin que l’aide soit allouée de manière efficace aux pays qui en ont le plus besoin. Le texte comprend désormais une programmation financière solide, quelle que soit l’évolution de notre PIB. Une clause de revoyure est prévue via une consultation et un vote du Parlement avant la fin de 2022 pour les trois années suivantes : l’objectif est d’atteindre 0,7 % du RNB en 2025, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, conformément aux engagements pris par la France devant les Nations unies.

La part de la taxe sur les transactions financières versée au Fonds de solidarité pour le développement ne pourra pas être inférieure à 528 millions d’euros. Ce fonds devra financer des biens publics mondiaux, comme la santé, l’éducation et la lutte contre le changement climatique. Dans un délai de six mois, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport portant sur l’amélioration de l’utilisation du produit de la taxe sur les transactions financières.

La commission d’évaluation de l’aide publique au développement, créée à l’article 9 du projet de loi, préserve le rôle de contrôle de nos deux assemblées.

Le texte présente une définition plus claire des cibles pour la composition de l’aide au développement, entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale, entre les prêts et les dons, entre les pays à revenus intermédiaires et les pays pauvres prioritaires. Un équilibre entre un certain fléchage et le besoin de souplesse a été trouvé : la composante bilatérale de l’aide publique au développement devra atteindre en moyenne 65 % du total de l’aide sur la période 2022-2025 ; les dons devront représenter au moins 70 % du montant de l’aide.

Nous nous réjouissons que de nombreux apports du groupe Union Centriste aient été conservés à l’issue des travaux de la commission mixte paritaire. La reconnaissance de nos territoires d’outre-mer comme véritables atouts stratégiques et les politiques en faveur des droits des enfants complètent le texte présenté aujourd’hui. Certains amendements qui ont été adoptés permettront de favoriser l’apprentissage du français et la francophonie, outils indispensables de notre rayonnement à l’international.

À titre personnel, je me réjouis que mes deux amendements aient prospéré à l’issue de la commission mixte paritaire : le premier vise à faire utiliser la langue française par les organismes souhaitant bénéficier de l’aide publique au développement délivrée par l’AFD ; le second tend à faire reconnaître par notre pays le rôle actif des entrepreneurs français à l’étranger dans l’aide publique au développement.

J’attends de ces dispositions qu’elles permettent aux TPE-PME de droit local détenues par des entrepreneurs français à l’étranger de bénéficier d’un accès facilité au crédit, par le biais de garanties offertes par l’AFD. Comme j’ai eu l’opportunité de l’exprimer à de nombreuses reprises dans cet hémicycle, cette solution financière est souhaitée depuis de nombreuses années afin de permettre à ces entrepreneurs de contribuer au développement des pays qui les accueillent. Les entrepreneurs français à l’étranger sont des vecteurs de l’efficacité de notre politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales : ils méritent tout notre soutien.

Mes chers collègues, ce texte sur l’aide publique au développement est ambitieux. Il reflète une certaine idée française de la solidarité, pour reprendre votre belle formule, monsieur le ministre.

Le groupe Union Centriste votera donc les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire que nous traversons place une fois de plus sous nos yeux, avec un « effet loupe », les inégalités de ce monde. L’accès aux vaccins et aux soins est très inégal. Or la lutte contre la pandémie doit se faire à l’échelle planétaire : notre situation dépend grandement de celle des autres parties du monde. C’est aussi le cas pour les inégalités mondiales, qui sont encore plus profondes, et cet exemple doit nous convaincre d’accentuer encore nos efforts.

Appréhender notre rôle nous renforce dans la conviction que, dans un monde toujours plus interconnecté, l’aide publique au développement est essentielle et doit être mieux dirigée. Rappelons-nous que cette aide est aussi dans notre intérêt, condition sine qua non pour bâtir des équilibres à la fois mondiaux et internes.

Le groupe Les Indépendants se félicite de l’issue conclusive de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi. Les deux assemblées ont travaillé étroitement afin de trouver un consensus qui nous incite à une action réfléchie et plus efficace. Ainsi, la fixation du niveau de dépenses, accompagnée de dates, est un bon moyen d’atteindre les objectifs financiers d’aide au développement que nous nous sommes donnés.

À ce titre, nous pouvons citer l’inscription dans le texte de l’objectif de 0,7 % de notre RNB dédié à l’aide publique au développement à l’horizon 2025. D’autres limites sont aussi inscrites dans le « dur » de la loi : je pense notamment à la limite basse du produit de taxe sur les transactions financières affecté au Fonds de solidarité pour le développement.

La boussole de ce texte est l’efficacité de notre aide, à la fois en termes de pilotage, avec des objectifs clarifiés en matière de programmation, et de soutien. En effet, la redirection de l’aide publique au développement vers les pays les plus prioritaires était nécessaire. La prise en compte des indicateurs du programme de développement durable l’était tout autant.

De la même manière, une composante bilatérale de l’aide fixée à 65 % est un signe positif, tout comme sa traduction en une part importante de dons. Nous avons eu l’occasion de le dire lors de la première lecture, notre groupe est favorable à une composante plus importante d’aides bilatérales dans notre aide au développement, avec une part de dons supérieure à celle des prêts.

De la même façon, nous avons avalisé la création de la commission indépendante d’évaluation de l’aide publique au développement. Cet organe aura toute son importance dans l’appréciation et l’amélioration de la politique française de développement.

Enfin, et notre groupe tenait particulièrement à ce point, nous saluons la place renforcée de la société civile dans notre aide publique au développement. La société civile est en effet, monsieur le ministre, un véritable compas pour orienter l’aide au développement en fonction des besoins des populations dans les pays destinataires, ce qui participe à l’amélioration de la situation de ces populations et à une action plus ciblée. Ainsi, le projet de loi, qui double le montant de l’aide allouée à des projets mis en œuvre par des organisations de la société civile en 2022 par rapport à 2017, nous paraît aller dans le bon sens.

L’aide publique au développement, son orientation, son niveau, ses priorités, son efficacité devaient être réformés. C’est chose faite. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants votera en faveur de l’adoption des conclusions de cette commission mixte paritaire.

Notre pays est l’un des plus grands contributeurs mondiaux de l’aide au développement. Le travail et les efforts que la France y consacre et doit continuer à y consacrer ne seront pas suffisants, si le reste du monde n’ajoute pas sa pierre à l’édifice. Nous devrons donc poursuivre nos actions à d’autres échelles, notamment européenne et internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Sylvie Vermeillet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Marie-Arlette Carlotti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a largement contribué à faire évoluer dans le bon sens le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Nous avons travaillé rigoureusement, avec une grande exigence et la volonté de faire aboutir une loi sur l’aide publique au développement qui n’avait que trop tardé.

Avec nos collègues de l’Assemblée nationale, nous sommes parvenus, je le pense, à un bon compromis. Je voudrais féliciter les corapporteurs, Hugues Saury et Rachid Temal, qui ont pu, tout au long de nos débats, bénéficier du soutien de la très large majorité du Sénat et, bien sûr, du groupe socialiste.

Grâce à ces travaux, notre assemblée s’est illustrée par des avancées notoires. Nous avons rétabli une trajectoire financière qui n’apparaît plus du tout tronquée, comme c’était le cas dans le projet de loi initial. Nous allons voter des engagements chiffrés, malheureusement en pourcentage seulement, mais jusqu’en 2025, date à laquelle nous devrons atteindre les 0,7 % du RNB – je rappelle que la Suède, le Luxembourg ou encore le Danemark ont déjà atteint ce seuil.

La clause de revoyure prévue avant la fin de 2022 sera pour nous l’occasion de garantir cette progression. Il nous faudra cependant être particulièrement vigilants, car derrière un affichage qui peut paraître ambitieux aujourd’hui les engagements réels et concrets sont ténus.

Parce qu’il nous est apparu que l’aide française souffrait d’une forte dispersion, ce qui ne favorise pas son efficacité, nous avons souhaité la cibler mieux, comme l’ont dit tous les orateurs. Ainsi, 65 % de cette aide sera consacrée à la composante bilatérale. C’est une avancée majeure, mais qui ne doit pas conduire à une baisse en volume de l’aide multilatérale – là aussi, nous y serons attentifs.

Afin de mieux cibler les pays pauvres, les dons prendront le pas sur les prêts, à hauteur de 70 % au moins, selon les dispositions du projet de loi. Le ciblage de 25 % de l’aide sur les dix-neuf pays prioritaires se fera en direction des populations qui en ont le plus besoin et qui actuellement n’en reçoivent que 13 %.

Sur la demande du groupe socialiste, un article est maintenant dédié aux organisations de la société civile : c’est une avancée majeure dans la reconnaissance de leur rôle, une manière de donner corps à l’ambition qu’avait affichée le Gouvernement de renforcer la dimension partenariale et qu’il n’avait pas su traduire dans le projet de loi initial. Le groupe socialiste avait fait des propositions pour aller plus loin dans la reconnaissance d’un véritable droit d’initiative. Nous reviendrons aussi sur ce sujet, quand nous en aurons l’occasion.

Nous regrettons aussi qu’ait été supprimé l’objectif de porter à 1 milliard d’euros à l’horizon 2025 le montant de l’aide transitant par les organisations de la société civile. La commission mixte paritaire est revenue à la rédaction initiale du texte, c’est-à-dire un objectif de doubler cette aide par rapport à 2017 pour atteindre 620 millions d’euros, ce qui est déjà bien, mais qui laisse la France encore largement derrière la moyenne des pays de l’OCDE.

Nous nous réjouissons qu’une procédure de restitution des biens mal acquis directement aux populations spoliées soit mise en place grâce à ce texte – Jean-Pierre Sueur, qui est présent aujourd’hui, défend cette idée depuis plusieurs années.

Enfin, ce texte comprend des avancées sur l’ensemble des questions de genre et sur une meilleure prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Je dois souligner le rôle très important joué par la délégation aux droits des femmes du Sénat à cet égard. Nous nous félicitons aussi que la France s’engage à promouvoir les principes de la convention d’Istanbul sur la lutte contre les violences faites aux filles et aux femmes.

Tout au long de nos débats, nous avons été, d’une certaine façon, des lanceurs d’alerte, que ce soit sur la levée des brevets, sur les vaccins ou sur la constitution d’états civils fiables, autant de sujets que le Gouvernement n’a pas voulu prendre en compte dans le texte, mais qui sont désormais sur la table des négociations.

La pandémie nécessite des réponses mondiales. Alors que nous avons en France – croyez-moi ! – des débats de riches, les populations des pays pauvres attendent de pouvoir se faire vacciner et ainsi de sauver leur vie.

Enfin, permettez-moi de lister tout ce qui manque, de mon point de vue, dans ce texte, des points sur lesquels les socialistes vont continuer de se battre pour faire bouger les lignes.

Vous avez mis un terme à l’ambition de cibler 60 % de la taxe sur les transactions financières vers le Fonds de solidarité pour le développement, alors même que cette taxe atteint aujourd’hui des montants records : elle a rapporté plus de 1,7 milliard d’euros en 2020, elle aurait donc permis d’alimenter de façon considérable les ressources affectées à l’aide au développement. Dans six mois, lors de la remise du rapport qui doit porter sur ce sujet, nous aurons l’occasion de vous rappeler ce rendez-vous manqué.

Ce texte de loi aurait mérité un article additionnel instaurant un devoir de vigilance à l’égard de tous les acteurs, publics et privés, qui exercent une influence à l’étranger afin de prévenir, de dénoncer et de sanctionner des atteintes portées aux droits humains, aux libertés fondamentales ou à la mise en danger de la santé, de la sécurité ou de l’environnement. Ce texte est trop faible sur ce sujet et nous restons là encore sur notre faim.

Mais le gros point noir, de mon point de vue, c’est le criblage. « Critériser » l’aide au développement ne permet pas de garantir la protection des personnes les plus vulnérables. Ce n’est pas pour rien que le principe de non-discrimination fait partie des piliers de l’État de droit. Ce principe a été récemment réaffirmé par le Président de la République lors de la conférence nationale humanitaire, mais vous ne l’avez pas traduit dans le texte et il reste extrêmement flou. L’article 13 du présent projet de loi fait référence à un rapport qui va affiner la doctrine française en la matière. Il devrait nous être présenté prochainement – nous l’attendons.

Nous attendons aussi que le Gouvernement s’engage pour sécuriser l’action de l’ensemble des organisations internationales humanitaires, particulièrement dans les zones de conflit et de crise, comme au Sahel.

Mes chers collègues, vous le voyez, pour nous, beaucoup de combats restent encore à mener, mais ce texte permet des avancées qui seront utiles aux acteurs de l’aide publique au développement. Par conséquent, les socialistes le voteront. Ce sera pour nous un geste de fraternité en direction des populations les plus pauvres du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Richard Yung applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous y voilà enfin : nous sommes arrivés au terme d’un long travail qui avait démarré le 20 décembre 2018 avec notre regrettée collègue Marielle de Sarnez, qui présidait la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, et moi-même. Nous avions eu l’occasion de vous faire part, monsieur le ministre, d’une série de propositions destinées à alimenter le débat sur la loi d’orientation relative à la solidarité internationale, dont l’examen, à l’époque, nous semblait imminent.

Nous voilà donc enfin, deux ans et demi plus tard, arrivés au terme de ce cheminement, certes plus long que prévu, mais nous y sommes parvenus.

Et si nous examinons ce projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales avec un peu de retard, force est de constater que ces enjeux sont peut-être encore plus actuels en 2021 qu’en 2018.

En effet, l’Afrique a connu en 2020 la pire récession de son histoire, ce qui a plongé des millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté. Dans tout le continent, la pandémie est aujourd’hui en pleine explosion. Au-delà des initiatives annoncées par la France ou par le G7 pour accélérer l’envoi de vaccins, nous devons redoubler nos efforts en faveur des services de première nécessité : la santé, l’éducation, l’agriculture.

Je rappelle que, d’ici à 2050, la population des quatre pays du Sahel va tripler. En 2100, un habitant de la planète sur trois sera africain, tandis que la population de la Chine sera dépassée par celle du Nigéria.

Voilà donc le grand défi des prochaines décennies.

En outre, le Président de la République a annoncé le 10 juin dernier la fin prochaine – plus exactement, le redéploiement – de l’opération Barkhane. Cela ne signifie pas la fin de tout engagement militaire français dans la région, mais il est clair que notre effort d’aide au développement en faveur du Sahel doit s’intensifier pour devenir désormais notre première arme contre l’extrémisme islamique.

Dans ce contexte difficile, le projet de loi que nous devrions adopter définitivement aujourd’hui trace des perspectives très claires. Il nous donne de nouveaux instruments pour aller de l’avant.

Le 18 mai dernier, le Sénat adoptait un texte profondément modifié par rapport à celui de l’Assemblée nationale. En commission des affaires étrangères, nous avons clarifié et hiérarchisé les grands objectifs de cette politique afin de la rendre plus compréhensible, plus lisible, pour nos concitoyens.

Nourrir, soigner, instruire : telles sont les grandes priorités que nous avons souhaité remettre au premier plan afin de mentionner les grands enjeux transversaux que sont la protection de la planète et la défense des droits humains.

En concertation avec la commission des finances, et avec son rapporteur pour avis Jean-Claude Requier, que je salue, nous avons également ajouté au texte la programmation financière qui lui faisait cruellement défaut.

En outre, nous avons augmenté significativement la part de la taxe sur les transactions financières concourant à cette politique.

Soucieux de concentrer les financements sur les pays qui en ont le plus besoin, nous avons inscrit une série de trois cibles relatives aux dons, aux crédits bilatéraux et aux pays prioritaires, en parfaite cohérence avec les grands objectifs que nous avions définis pour cette aide.

En commission, puis en séance publique, nous avons également renforcé le rôle du ministre chargé du développement, réaffirmé la tutelle ministérielle sur l’AFD via un contrat d’objectifs et de moyens, contrat qui sera rénové et développé avec des dispositions relatives à l’action des ONG.

De même, nous avons amélioré la promotion des droits humains dans toutes leurs déclinaisons.

Enfin, nous avons introduit un dispositif relatif aux biens mal acquis que nous devons en particulier à la ténacité de notre collègue Jean-Pierre Sueur.