Sommaire

Présidence de M. Georges Patient

Secrétaires :

Mme Françoise Férat, M. Joël Guerriau.

1. Procès-verbal

2. Remplacement d’un sénateur décédé

3. Organisation des travaux

4. Questions orales

hausse du tarif des énergies et impact pour les collectivités territoriales

Question n° 2099 de M. Ronan Dantec, en remplacement de M. Jacques Fernique. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Ronan Dantec.

incendie industriel de saint-chamas

Question n° 2051 de Mme Valérie Boyer. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

classement en zone difficilement protégeable

Question n° 2094 de M. Laurent Burgoa. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Laurent Burgoa.

avenir du projet de ligne à grande vitesse bordeaux-toulouse

Question n° 2111 de M. Pierre-Antoine Levi. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Pierre-Antoine Levi.

dégâts occasionnés sur le réseau routier des communes rurales

Question n° 2117 de M. Patrick Chaize. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Patrick Chaize.

rénovation énergétique des logements locatifs de tourisme et aide aux propriétaires

Question n° 2108 de Mme Sylvie Robert. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Sylvie Robert.

sauvegarde du patrimoine de l’ancien collège de combrée

Question n° 2080 de M. Stéphane Piednoir. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Stéphane Piednoir.

éclairage public et protection de l’environnement

Question n° 2091 de M. Henri Cabanel. – M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; M. Henri Cabanel.

mise en place d’une fiscalité additionnelle pour un syndicat composé exclusivement d’établissements publics de coopération intercommunale

Question n° 2102 de Mme Martine Berthet. – M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Martine Berthet.

prestataires et prestations d’accompagnement des demandeurs d’emploi rencontrant des freins à la mobilité

Question n° 2074 de Mme Monique Lubin. – M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité ; Mme Monique Lubin.

règles de sécurité routière applicables aux cyclistes

Question n° 2090 de M. Stéphane Demilly. – M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

mesures réglementaires relatives à l’application de l’article 322-4-1 du code pénal

Question n° 2005 de M. Jacques Le Nay. – M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité.

situation des accompagnants d’enfants en situation de handicap

Question n° 1912 de Mme Martine Filleul. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire ; Mme Martine Filleul.

fermetures de classes en milieu rural

Question n° 2100 de M. Serge Babary. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire ; M. Serge Babary.

viticulture et technique d’aspersion

Question n° 2073 de M. Pierre Louault. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire ; M. Pierre Louault.

assistants spécialisés en lutte contre la radicalisation et prévention des actes terroristes

Question n° 2110 de M. Daniel Gueret. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.

réforme des mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel

Question n° 2064 de Mme Catherine Belrhiti. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire ; Mme Catherine Belrhiti.

exclusion de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques de la base d’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée

Question n° 1995 de M. Alain Cadec. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.

financement des conventions entre l’état et les collectivités locales pour le déploiement de la fibre optique

Question n° 2078 de Mme Marie-Pierre Richer. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire ; Mme Marie-Pierre Richer.

accompagnement des élèves en situation de handicap au sein des établissements scolaires

Question n° 2116 de Mme Nathalie Delattre. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.

situation du groupement hospitalier de sancerre, sury-en-vaux et boulleret

Question n° 2008 de M. Rémy Pointereau. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Rémy Pointereau.

prévention des usages dangereux du protoxyde d’azote

Question n° 2101 de M. Antoine Lefèvre. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Antoine Lefèvre.

accueil des enfants handicapés français dans les établissements spécialisés en belgique

Question n° 2105 de M. Franck Menonville. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.

difficultés des parents aidants des enfants en situation de polyhandicap

Question n° 2061 de Mme Jocelyne Guidez. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; Mme Jocelyne Guidez.

expérimentation de la vidéoverbalisation du trafic des poids lourds

Question n° 2009 de M. Philippe Bonnecarrère. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Philippe Bonnecarrère.

accession en master

Question n° 2095 de M. Thierry Meignen. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

5. Communication relative à une commission mixte paritaire

6. Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ? – Débat organisé à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie

Débat interactif

M. Alain Duffourg ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

M. Christian Bilhac ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Christian Bilhac.

M. Gilbert-Luc Devinaz ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Dominique Théophile ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

Mme Vanina Paoli-Gagin ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

M. Serge Babary ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Serge Babary.

Mme Sophie Taillé-Polian ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Marie-Noëlle Lienemann ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

M. Pierre Louault ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

Mme Angèle Préville ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

M. François Bonhomme ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

M. Yan Chantrel ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

M. Jean-Raymond Hugonet ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; M. Jean-Raymond Hugonet.

M. Cyril Pellevat ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie.

Mme Catherine Belrhiti ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Catherine Belrhiti.

Mme Laurence Muller-Bronn ; Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie ; Mme Laurence Muller-Bronn.

Conclusion du débat

M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires

Suspension et reprise de la séance

7. Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ? – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Laurence Cohen.

Mme Maryse Carrère ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Maryse Carrère.

Mme Laurence Rossignol

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Laurence Rossignol.

M. Thani Mohamed Soilihi ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances.

M. Daniel Chasseing ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Daniel Chasseing.

M. Bruno Belin ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Bruno Belin.

Mme Sophie Taillé-Polian ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Sophie Taillé-Polian.

M. Éric Bocquet ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Éric Bocquet.

Mme Annick Billon ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Annick Billon.

Mme Martine Filleul ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Martine Filleul.

Mme Laure Darcos ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; Mme Laure Darcos.

M. Jean-Michel Arnaud ; Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances ; M. Jean-Michel Arnaud.

Mme Elsa Schalck

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances

Conclusion du débat

Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Suspension et reprise de la séance

8. Évaluation de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance dans le cadre de la crise sanitaire. – Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie

Débat interactif

Mme Sylvie Robert ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Sylvie Robert.

M. Xavier Iacovelli ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

M. Claude Malhuret ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

M. Serge Babary ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

Mme Sophie Taillé-Polian ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Sophie Taillé-Polian.

M. Fabien Gay ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Fabien Gay ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée ; M. Fabien Gay.

M. Jean-Marie Mizzon ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Jean-Marie Mizzon ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée ; M. Jean-Marie Mizzon.

Mme Guylène Pantel ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

M. Patrice Joly ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Patrice Joly ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée ; M. Patrice Joly.

Mme Catherine Belrhiti ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Catherine Belrhiti.

M. Jean-Michel Arnaud ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

M. Olivier Jacquin ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Olivier Jacquin.

Mme Christine Lavarde ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Christine Lavarde ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée ; Mme Christine Lavarde.

Mme Pascale Gruny ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Pascale Gruny.

M. Vincent Segouin ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Vincent Segouin ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée.

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

M. Yves Bouloux ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.

Conclusion du débat

M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Georges Patient

vice-président

Secrétaires :

Mme Françoise Férat,

M. Joël Guerriau.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Remplacement d’un sénateur décédé

M. le président. Conformément à l’article 32 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat qu’en application de l’article L.O. 320 du code électoral, Mme Daphné Ract-Madoux est appelée à remplacer, en qualité de sénatrice de l’Essonne, Olivier Léonhardt, décédé le mercredi 2 février 2022.

Son mandat a débuté ce jeudi 3 février 2022 à zéro heure.

3

Organisation des travaux

M. le président. Les commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à démocratiser le sport, à améliorer la gouvernance des fédérations sportives et à sécuriser les conditions d’exercice du sport professionnel et de la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement n’ayant pas abouti à l’adoption d’un texte commun, nous pourrions fixer le délai limite de dépôt d’amendements en séance publique en nouvelle lecture au début de la discussion générale de chacun de ces textes.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

4

Questions orales

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

hausse du tarif des énergies et impact pour les collectivités territoriales

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, en remplacement de M. Jacques Fernique, auteur de la question n° 2099, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.

M. Ronan Dantec. Madame la ministre, mon collègue Jacques Fernique, souffrant du covid, m’a demandé de vous poser la question suivante.

Depuis quelques mois, nous assistons à une flambée des tarifs de l’énergie et à une multiplication inédite des prix du gaz et de l’électricité.

Lors d’une audition devant la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale, M. Olivier Dussopt a indiqué qu’un grand nombre de communes sont protégées de cette flambée des prix grâce aux tarifs réglementés. Or ces derniers, il faut tout de même le rappeler, ne concernent que les communes de petite taille.

D’après une enquête de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, les augmentations de coûts de fourniture d’énergie pour les collectivités s’échelonnent entre 30 % et 300 % pour l’électricité et le gaz sur plusieurs centaines de milliers de points de livraison.

À titre d’exemple, mon collègue Jacques Fernique souhaite attirer votre attention sur la situation de la commune de Marlenheim, dans le département du Bas-Rhin, qui a vu sa facture d’électricité estimative annuelle augmenter de 201 %.

Alors qu’elles ont déjà été fortement fragilisées par la crise du covid-19, il est essentiel que les collectivités soient accompagnées au même titre que les entreprises et les particuliers. Le maintien d’un service public de qualité et l’équilibre budgétaire des communes sont en jeu.

Les mesures positives récemment adoptées, telles que le chèque énergie, le blocage des tarifs réglementés du gaz et la limitation de la hausse des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRV) ne sont d’aucun secours pour les collectivités locales.

De même, la réduction de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité n’aura que peu d’impact pour compenser la hausse des prix de l’énergie sur les budgets locaux.

Madame la ministre, face à cette situation totalement exceptionnelle, des mesures de compensation et d’accompagnement pour les collectivités locales sont-elles prévues ? L’accès à un tarif réglementé de vente pour toutes les collectivités qui le souhaitent, comme le demande l’Association des maires de France, est-il envisageable ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Dantec, permettez-moi tout d’abord de saluer M. le sénateur Fernique et de lui souhaiter un prompt rétablissement.

Les moyens financiers que l’État mobilise face à la crise des prix de l’énergie sont considérables. Les mesures d’atténuation de la hausse des prix de l’électricité que nous avons prises – la baisse de la fiscalité, le bouclier tarifaire, l’augmentation du volume de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) – bénéficient aussi aux collectivités territoriales.

La baisse de 95 % de la taxe sur l’électricité à compter du 1er février 2022 aura un effet très important sur les tarifs de l’électricité pour les collectivités, qui payent aujourd’hui le taux de taxe maximal. Cette réduction fiscale accordée à l’ensemble des consommateurs constitue un effort très important de l’État, dont le coût sera de l’ordre de 8 milliards d’euros en 2022.

Par ailleurs, l’augmentation du volume de l’Arenh, qui passera de 100 à 120 térawattheures, bénéficiera également à tous les consommateurs : les ménages, les entreprises et les collectivités.

Les petites collectivités, vous l’avez indiqué, sont aussi éligibles aux TRV dès lors qu’elles ont moins de dix employés et moins de 2 millions d’euros de recettes. À ce titre, elles peuvent bénéficier du bouclier tarifaire, qui limitera la hausse de leurs tarifs à 4 %.

J’ajoute que la baisse de la fiscalité et l’augmentation des volumes de l’Arenh permettront de limiter le rattrapage éventuel sur 2023 du blocage du tarif à 4 %.

Dans le même temps, l’État agit également pour réduire les factures des collectivités sur le long terme en incitant aux économies d’énergie et en cofinançant la rénovation énergétique.

De nombreuses aides ont été mises en place, notamment dans le cadre du plan de relance, en faveur des collectivités locales, tant en termes d’ingénierie que de concours financiers. Une enveloppe de 1,3 milliard d’euros a ainsi été allouée aux collectivités locales pour les économies d’énergie. Celles-ci peuvent enfin bénéficier des primes « coup de pouce chauffage » sur les certificats d’économie d’énergie, ainsi que du programme de soutien à l’ingénierie arrêté par le Gouvernement.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.

M. Ronan Dantec. Madame la ministre, il y a beaucoup de trous dans la raquette, notamment pour les grandes collectivités qui subissent des hausses massives des tarifs. L’accès aux tarifs réglementés permettrait à l’ensemble des collectivités de faire face à cette situation.

incendie industriel de saint-chamas

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, auteure de la question n° 2051, transmise à Mme la ministre de la transition écologique.

Mme Valérie Boyer. Madame le ministre, ma question porte sur l’incendie du centre de récupération des déchets industriels non dangereux de Saint-Chamas, une commune des bords de l’étang de Berre, dans les Bouches-du-Rhône.

Le bâtiment qui abrite des déchets du centre de tri a pris feu le 26 décembre dernier, et le feu a continué à se consumer longtemps après, provoquant une importante pollution atmosphérique.

D’après Atmosud, qui a déployé des stations de suivi pour mesurer l’impact de cet événement sur la qualité de l’air, le niveau des particules fines a atteint un pic de 800 microgrammes par mètre cube au plus fort de l’incendie, soit un niveau comparable à ce que l’on peut connaître à Pékin lors des épisodes de pollution, selon Dominique Robin, le directeur d’Atmosud.

Dès septembre 2021, le maire de Saint-Chamas, M. Didier Khelfa, alerte la préfecture sur les risques liés au centre de récupération des déchets industriels.

Le 14 décembre 2021, la préfecture émet un arrêté portant mise en demeure de la société pour une mise en conformité au 31 décembre de la même année. Celle-ci avait notamment l’obligation « d’édicter des mesures conservatoires pour réduire la quantité de déchets entreposés, trente fois supérieure aux normes ». Le site était également dépourvu de bornes d’incendie.

Le 26 décembre, le feu prend dans l’usine. Quelque quatre-vingts pompiers tentent alors d’éteindre le brasier qui dévaste un stock de 30 000 mètres cubes de déchets, contre les 1 000 mètres cubes déclarés.

Actuellement, une entreprise industrielle de tri et de stockage de déchets industriels banals dont le stock est supérieur à 1 000 mètres cubes est soumise à un régime d’autorisation. En revanche, lorsque le stock est inférieur à 1 000 mètres cubes, le régime est simplement déclaratif. De ce fait, l’entreprise de Saint-Chamas, qui avait un stock trente fois supérieur aux normes, n’a été soumise à aucun contrôle.

Madame le ministre, le Gouvernement envisage-t-il de soumettre l’ensemble des entreprises industrielles de tri et de stockage des déchets à un régime d’autorisation afin de renforcer les contrôles et d’éviter ainsi de nouvelles catastrophes industrielles, écologiques et peut-être même humaines, en raison des particules qui circulent dans l’air ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice Valérie Boyer, vous interrogez le Gouvernement sur les suites qu’il convient de donner en matière d’encadrement réglementaire à l’incendie d’un centre de tri de déchets industriels à Saint-Chamas.

Permettez-moi tout d’abord de saluer le maire de Saint-Chamas, les élus de la ville, de la métropole, les services de l’État ainsi que le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) pour la gestion de l’incendie. Collectivement, nous avons réussi à limiter les conséquences sanitaires et environnementales de cet événement.

L’évacuation des déchets du site, je le rappelle, est sous la responsabilité de l’exploitant, qui s’expose à des sanctions administratives et pénales en cas de non-respect des prescriptions préfectorales.

Le site de Saint-Chamas, vous l’avez indiqué, a été enregistré en préfecture sous le régime déclaratif d’une exploitation de transit, regroupement ou tri de déchets non dangereux au titre des installations classées pour la protection de l’environnement. Dans ce cadre, il est soumis au respect d’un seuil maximal de 1 000 mètres cubes de déchets stockés.

À la suite du signalement reçu, le 14 décembre, le préfet de région a mis en demeure la société Recyclage Concept 13 d’évacuer le volume excédentaire et de cesser l’apport de déchets sur ce site, sous peine de sanctions.

L’incendie, dont l’enquête déterminera l’origine, s’est déclaré douze jours plus tard.

Le Gouvernement ne souhaite pas supprimer le régime de la déclaration, comme vous le proposez, madame la sénatrice. Soumettre tous les centres de tri à une procédure d’autorisation conduirait en effet à réduire le nombre de centres, avec un très gros risque de multiplication des dépôts sauvages.

Afin de renforcer les mesures de prévention, le Gouvernement envisage en revanche d’engager la révision des prescriptions applicables à ces installations. Il a confié à l’inspection générale de l’environnement et à l’inspection générale du commerce et de l’industrie une étude portant sur l’accidentologie des installations de traitement de déchets afin que des propositions de modification du droit des installations classées soient formulées en ce sens.

Enfin, les sanctions doivent être exemplaires. La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, a renforcé les sanctions encourues par les entreprises qui ne respectent pas la loi. Celles-ci doivent être appliquées.

classement en zone difficilement protégeable

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, auteur de la question n° 2094, transmise à Mme la ministre de la transition écologique.

M. Laurent Burgoa. Madame la ministre, pour faire face à la recrudescence d’attaques de loups, de nombreux éleveurs des Causses gardois souhaitent que leur commune soit classée en zone difficilement protégeable. Cette demande est notamment soutenue par l’association Groupement de vulgarisation agricole des Causses gardois (GVA).

Ces éleveurs font en effet le constat de la vulnérabilité croissante de leurs troupeaux, laquelle met en danger leur mode d’exploitation.

Inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco au titre de l’agropastoralisme méditerranéen, les Causses gardois constituent une véritable richesse économique et culturelle. Ce territoire risque pourtant de perdre cette reconnaissance si le déclin de ces élevages extensifs devait s’accélérer.

Pas moins de treize communes gardoises étant concernées, vous conviendrez, madame la ministre, qu’il est impossible de protéger intégralement les élevages d’un territoire si vaste par des filets électrifiés ou par la présence de chiens. Sans parler du coût de telles protections, il s’agit là d’étendues beaucoup trop grandes et de reliefs trop escarpés.

Entendons-nous bien : ce classement rendu possible par le plan Loup permettrait simplement d’effectuer des tirs de défense et de faciliter les démarches d’indemnisation pour les éleveurs.

Ma question est donc simple, madame la ministre : accepteriez-vous le classement de ces communes en zone difficilement protégeable ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Laurent Burgoa, vous avez initialement interrogé ma collègue Bérangère Abba, qui, ne pouvant être présente, m’a chargée de vous donner la réponse suivante.

Le classement de certaines communes en zone difficilement protégeable relève de la compétence du préfet de région Auvergne-Rhône-Alpes, qui est le préfet coordonnateur du plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage.

Après avoir recueilli les propositions des préfets de département concernés, le préfet coordonnateur peut délimiter au sein des fronts de colonisation les zones dans lesquelles il est difficile d’appliquer les mesures de protection des troupeaux contre la prédation, notamment en raison du mode de conduite des troupeaux, les difficultés devant avoir été constatées à la suite d’une ou de plusieurs attaques.

Le Groupement de vulgarisation agricole des Causses a adressé au préfet coordonnateur, sous couvert du préfet du Gard, une demande de classement des Causses gardois en zone difficilement protégeable. Vous le savez, une réponse défavorable a été adressée au GVA des Causses le 20 juillet 2021.

En effet, une zone difficilement protégeable a déjà été délimitée au sein du front de colonisation du loup dans le Massif central par un arrêté du 5 avril 2019. Or, à la suite d’une requête émanant d’une association de protection de la nature, celui-ci fait actuellement l’objet d’un contentieux en appel, si bien que, dans l’attente de la décision de justice, le préfet coordonnateur n’a pas souhaité étendre le zonage qui fait actuellement l’objet du litige. Quelques mois après la réponse précitée, cette situation est inchangée.

En revanche, lorsque le litige sera tranché, la demande du GVA des Causses pourra être examinée. Les caractéristiques des secteurs à classer, notamment en termes de densité et d’historique de prédation, seront alors prises en considération.

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour la réplique.

M. Laurent Burgoa. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir relayé la réponse de votre collègue.

Vous conviendrez que les éleveurs, qui sont les gardiens de l’identité du territoire, sont soumis, une fois de plus, au bon vouloir de militants écolos. C’est à cause de ces gens-là qu’on ne pourra pas sauver ces éleveurs, alors même qu’il n’y a plus d’autre activité économique dans ce secteur.

Vous me pardonnerez le terme, d’autant qu’il est à la mode au sein de l’exécutif, madame la ministre : il faudrait que les écolos arrêtent de nous « emmerder » ! (Sourires.)

avenir du projet de ligne à grande vitesse bordeaux-toulouse

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la question n° 2111, transmise à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.

M. Pierre-Antoine Levi. Madame la ministre, le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest, ou plus simplement la ligne grande vitesse (LGV) Bordeaux-Toulouse, est un projet qui remonte déjà à près de quinze ans.

Ce projet, vous le savez, est particulièrement attendu par toute une région, par ses entreprises et ses habitants, en raison de l’absence de desserte ferroviaire à grande vitesse vers Paris.

Les collectivités de l’ex-région Midi-Pyrénées ont grandement joué le jeu en finançant une partie du tronçon Tours-Bordeaux, comme cela était prévu dans les conventions. En contrepartie, il était prévu et annoncé que le tronçon Bordeaux-Toulouse serait réalisé.

Or force est de constater que, près de cinq ans après l’inauguration du tronçon Bordeaux-Paris, le plan de financement de la liaison Bordeaux-Toulouse n’est toujours pas bouclé. En effet, le département de la Gironde a indiqué son refus de participer, puis, plus récemment, le département de Lot-et-Garonne a également voté contre une participation financière.

J’ai d’autant plus de mal à comprendre cette décision de mes amis et voisins lot-et-garonnais que le projet prévoit la création d’une gare TGV desservant Agen sur la commune de Sainte-Colombe.

Je regrette et déplore ces décisions des conseils départementaux de Gironde et de Lot-et-Garonne, qui ne jouent pas le jeu du collectif et mettent en péril ce projet décisif pour notre territoire.

Après des années d’atermoiements de l’État sur le financement, et donc la réalisation de ce projet, au mois d’avril dernier, le Premier ministre a confirmé la participation de l’État à hauteur de 50 %, soit 4 milliards d’euros, et il s’est engagé sur une date de début des travaux en 2024, autrement dit demain. Au vu des dernières annonces, je demeure toutefois inquiet.

Ma question est simple, madame la ministre : pouvez-vous confirmer aujourd’hui l’engagement de l’État sur le financement de la LGV Bordeaux-Toulouse malgré le refus de certaines collectivités de participer, et pensez-vous que le calendrier pourra être tenu ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Levi, le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest fait partie des priorités de l’État en termes de grands projets d’infrastructures.

Pour financer les coûts d’investissement, le Gouvernement s’est engagé dès avril 2021 à apporter sa contribution budgétaire à parité avec les collectivités territoriales. Cet engagement d’un montant de 4,1 milliards d’euros est inscrit dans l’actuelle programmation budgétaire de l’État.

S’agissant du financement attendu de la part des collectivités, la concertation se poursuit, sous l’égide du préfet de la région Occitanie, dans la perspective d’une signature très prochaine d’un plan de financement pour le projet.

Pour conforter leur contribution, à leur demande, les collectivités pourront bénéficier de recettes complémentaires de taxes locales telles que la taxe spéciale d’équipement instituée au profit du projet dans la loi de finances pour 2022.

L’ordonnance pour la création de l’établissement public local destiné à porter le financement du projet pour le compte des collectivités doit être publiée en mars prochain.

En plus du financement apporté par l’État et les collectivités locales, le projet dans sa globalité sera candidat à l’attribution de subventions européennes dans le cadre des différents appels à projets proposés par l’Union européenne. Ce projet est en effet situé au centre du réseau transeuropéen de transport, dont la réalisation est considérée comme prioritaire par la Commission européenne.

Dans ces conditions, le calendrier de réalisation du projet ne saurait être remis en cause. L’avancée des études sur les aménagements ferroviaires du nord de Toulouse et du sud de Bordeaux laisse envisager un démarrage des travaux à l’horizon de 2024, lesquels débuteront par l’adaptation de ces deux nœuds ferroviaires.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour la réplique.

M. Pierre-Antoine Levi. Je prends acte de votre réponse, madame la ministre. Vous avez annoncé, de manière presque officielle, que le calendrier sera tenu pour les lignes à grande vitesse et que les travaux débuteront en 2024. Nous verrons bien si vos paroles sont suivies d’effets.

dégâts occasionnés sur le réseau routier des communes rurales

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la question n° 2117, transmise à Mme la ministre de la transition écologique.

M. Patrick Chaize. Madame la ministre, ma question porte sur les dégâts que peut engendrer sur le réseau routier des communes rurales l’exploitation d’usines de méthanisation.

L’intérêt de ces installations n’est pas à démontrer : elles constituent un outil de valorisation des déchets de productions agricoles qui répond aux objectifs du développement durable.

Force est de constater, en revanche, que l’activité de ces entreprises industrielles et agricoles suppose des apports en intrants et des évacuations de digestats qui se font essentiellement en empruntant les routes communales.

Si des efforts sont faits au niveau des itinéraires de sorte que les engins ne se croisent pas, les dégâts sont nombreux sur ces routes qui ne sont pas fondées pour accepter les passages fréquents de véhicules particulièrement lourds. Leur remise en état se révèle très coûteuse pour les communes concernées.

C’est pourquoi il y a lieu de s’interroger sur l’opportunité d’instaurer une contribution des énergéticiens qui rachètent le gaz de ces usines pour financer la dégradation des routes ou les besoins d’aménagement sur le périmètre desdits ouvrages d’exploitation.

Madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il de mettre en œuvre un tel mécanisme pour remédier aux situations problématiques constatées dans les territoires ruraux ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Patrick Chaize, la production de biogaz par méthanisation joue un rôle important dans la trajectoire vers l’atteinte de la neutralité carbone en 2050.

Le Gouvernement est très vigilant sur les conditions de développement de la méthanisation, qui doit rester maîtrisée et ne pas créer d’effets indésirables pour l’environnement.

Comme pour tous les projets locaux de développement des énergies renouvelables, l’installation d’un méthaniseur ne peut se faire sans une concertation locale. Celle-ci doit notamment permettre d’implanter le projet sur un emplacement disposant d’une desserte routière adéquate au regard de l’activité de méthanisation envisagée.

Tous les méthaniseurs sont par ailleurs soumis au régime des installations classées pour la protection de l’environnement, qui a été récemment renforcé. La réglementation des installations classées impose le respect d’exigences précises et concrètes pour prévenir les risques et les nuisances que ces installations peuvent occasionner.

Les grandes installations, qui sont celles qui traitent le plus de matière et qui nécessitent donc le plus de rotations de camions, sont soumises à autorisation. Elles font l’objet d’une consultation du public obligatoire préalablement à la décision finale de l’administration d’autoriser ou non le projet.

L’article L. 141-9 du code de la voirie routière dispose que, si une voie communale est empruntée par des véhicules dont l’activité entraîne une détérioration anormale de la voie, une contribution spéciale peut être imposée aux entreprises qui exploitent ces véhicules. Cette contribution, qui est proportionnelle à la dégradation causée sur la voie, peut être acquittée en argent ou en prestations en nature et elle peut faire l’objet d’un abonnement.

À défaut d’accord amiable, son montant est fixé annuellement sur demande des communes par les tribunaux administratifs après expertise, et recouvré comme un impôt direct.

Une disposition spécifique pour les installations de méthanisation ne paraît donc pas nécessaire.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.

M. Patrick Chaize. Vous l’aurez compris, madame la ministre, nous approuvons les objectifs fixés à la méthanisation.

Les maires sont tout à fait favorables à l’installation de ces usines sur leur territoire. Mais souvent, ils ne mesurent pas les conséquences qu’emportera leur exploitation. Or il est ensuite très complexe de rediscuter des conditions d’exploitation et de revenir sur la mise en œuvre de certaines dispositions.

C’est pourquoi je pense qu’un signal du Gouvernement en la matière aurait une efficacité certaine.

rénovation énergétique des logements locatifs de tourisme et aide aux propriétaires

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, auteure de la question n° 2108, transmise à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.

Mme Sylvie Robert. Madame la ministre, en juillet 2018, l’inspection générale des finances rendait un rapport sur la rénovation de l’immobilier de loisirs. Cette instance avait en effet été mandatée afin de « formuler des propositions concourant à la rénovation du bâti patrimonial à finalité touristique, à l’amélioration du taux d’occupation des hébergements touristiques et à la réalisation d’économies d’énergie », principalement dans les stations de tourisme situées en montagne ou sur le littoral.

Quatre ans plus tard, la problématique demeure toujours d’actualité. En effet, les logements locatifs de tourisme ne sont toujours pas soumis aux objectifs de performance et de rénovation énergétique dès lors que la durée de location est inférieure à quatre mois sur une année.

Ce constat apparaît d’autant plus surprenant au regard de l’ambition affichée par la loi Climat et résilience du 22 août dernier, en particulier en matière de lutte contre les « passoires thermiques ».

Rappelons que les logements touristiques des particuliers représentent près de 10 % du parc total de logements, et que la hausse constante de leur fréquentation via les plateformes a commencé avant la pandémie. En d’autres termes, la rénovation énergétique de ces logements constitue un enjeu loin d’être négligeable dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Il s’agit également d’un défi de taille pour les collectivités territoriales, j’y insiste, qui souhaitent s’engager activement dans une politique de rénovation énergétique, singulièrement dans les territoires littoraux et montagneux, où le marché de l’immobilier est de plus en plus déséquilibré au profit des résidences secondaires.

Madame la ministre, envisagez-vous de lever les freins réglementaires afin d’incorporer l’ensemble des logements dans la politique de performance et de rénovation énergétiques. Si tel est cas, quel accompagnement prévoyez-vous pour soutenir les propriétaires, mais aussi les collectivités territoriales ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice Sylvie Robert, vous m’interrogez sur l’application des obligations de rénovation énergétique fixées dans la loi Climat et résilience aux logements locatifs de tourisme.

Cette loi prévoit effectivement le gel des loyers pour les logements les plus énergivores dès la mi-2022, puis l’interdiction de location de ces logements entre 2025 et 2028. Près de 1,8 million de logements loués en résidence principale devront ainsi être rénovés d’ici à 2028.

Nous avons déployé plusieurs outils afin d’accompagner les propriétaires.

Je pense bien sûr à MaPrimeRénov’, mise en place en 2020, accessible aux propriétaires, occupants comme bailleurs : 660 000 dossiers ont ainsi été engagés en 2021, pour un montant de 2 milliards d’euros d’aides.

Je pense aussi au déploiement, depuis le début de l’année, de France Rénov’, nouveau service public de la rénovation de l’habitat, qui permet de simplifier les démarches et les parcours des Français grâce à ses 450 guichets répartis sur tout le territoire.

Afin de réussir la rénovation du parc immobilier en six ans, nous avons choisi de concentrer les obligations sur les résidences principales. Les logements locatifs de tourisme que vous mentionnez ne sont donc pas soumis à cette obligation.

En effet, ces logements étant loués de manière ponctuelle, leurs performances énergétiques ne peuvent pas placer leurs locataires en situation de précarité énergétique.

Par ailleurs, certains logements ne sont loués qu’en période estivale. De ce fait, ils ne disposent pas toujours d’équipements de chauffage, lesquels permettent d’établir un diagnostic de performance énergétique (DPE).

Pour autant, même en l’absence d’obligation, les propriétaires ont tout intérêt à rénover ces logements, car, à défaut de satisfaire aux exigences minimales, ces derniers ne pourront pas être mis en location classique. En outre, les marchés immobiliers intègrent de plus en plus la valeur verte des logements et valorisent leur étiquette énergétique au moment de la vente.

S’agissant enfin des logements touristiques de montagne, ils ont été pris en compte dans le travail mené actuellement par le Gouvernement et les communes de montagne dans le cadre du plan Montagne. La Caisse des dépôts et consignations pourrait ainsi mettre en place une foncière immobilière.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. En tout état de cause, les dispositions que vous évoquez pour les logements de tourisme de montagne ne vaudront pas pour ceux du littoral, ce qui pourrait mettre à mal les politiques publiques de l’habitat et de la transition écologique. Il s’agit pourtant d’un enjeu important pour demain.

sauvegarde du patrimoine de l’ancien collège de combrée

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, auteur de la question n° 2080, adressée à Mme la ministre de la culture.

M. Stéphane Piednoir. Madame la ministre, ma question porte sur la situation patrimoniale de l’ancien collège de Combrée, situé dans mon département de Maine-et-Loire.

Une partie de ce bâtiment abrite depuis 2007 un centre de l’établissement pour l’insertion dans l’emploi (Épide) géré par la société de 2IDE dans le cadre du partenariat financier conclu avec la Caisse des dépôts et consignations.

Bâti en 1854, cet édifice est un ensemble architectural d’exception. Cependant, sur une surface totale de bâtiments d’environ 15 000 mètres carrés, seule la partie réservée à l’Épide, soit 2 000 mètres carrés, a été rénovée et est actuellement occupée. Le reste de cet ensemble, qui compte notamment une magnifique chapelle, est résolument vide et se dégrade inexorablement.

À court terme, l’Épide doit lui-même être transféré dans une autre commune du département, laissant l’ensemble vide, et donc non entretenu. S’il venait à être totalement abandonné, le risque est bien évidemment qu’il tombe en ruine.

Les membres de l’Association locale pour la sauvegarde et la mise en valeur du collège de Combrée se mobilisent avec passion pour tenter de sauver cet ensemble immobilier remarquable.

Eu égard aux enjeux du territoire, il me semble important d’alerter le Gouvernement sur cette situation. Il serait en effet nécessaire qu’un appel à projets soit lancé en vue d’une opération globale de préservation et de reconversion raisonnée de l’ancien établissement d’enseignement, de son parc et de son environnement.

Aussi, madame la ministre, je souhaite connaître les possibilités d’implication du Gouvernement afin d’assurer la conservation de ce précieux édifice.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Piednoir, la ministre de la culture, qui m’a chargée de vous répondre, porte évidemment une attention toute particulière à la protection et à la préservation du patrimoine.

C’est d’ailleurs pour cela que le Gouvernement a alloué des crédits importants à ces enjeux dans le cadre du plan de relance, mais également à travers la hausse substantielle du budget consacré au patrimoine dans les deux dernières lois de finances.

Votre question porte plus spécifiquement sur l’avenir de l’ensemble architectural du collège de Combrée, dont les bâtiments ont été construits entre 1854 et 1858 par l’architecte Louis Duvêtre. Une partie de cet ensemble est effectivement gérée par la société 2IDE, filiale de la Caisse des dépôts et consignations.

Les équipes de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire connaissent bien les lieux et, au cours des dernières années, elles ont échangé avec les représentants de l’Association pour la mise en valeur et la sauvegarde du collège de Combrée.

L’édifice du collège n’est certes pas protégé au titre des monuments historiques, mais il l’est au titre du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), qui date de 2016.

Ce plan d’urbanisme prend en compte l’ancien collège de Combrée comme un édifice exceptionnel au regard du patrimoine de la commune. Il précise également que la suppression partielle ou totale d’éléments de paysage est soumise à autorisation préalable de la communauté de communes, et que les démolitions sont soumises à l’obtention d’une autorisation préalable.

À ce stade, les services déconcentrés de l’État n’ont pas connaissance d’un projet tangible de réaffectation de ces locaux, mais ils se tiennent à la disposition des associations et des élus locaux pour échanger sur un éventuel projet relatif à cet ensemble architectural.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.

M. Stéphane Piednoir. Je sais Mme la ministre de la culture particulièrement attachée à ce dossier, qui concerne le département dont elle fut l’élue.

Madame la ministre, je retiens de votre propos qu’il existe des mesures de préservation du patrimoine grâce aux documents d’urbanisme. Toutefois, elles sont insuffisantes : au niveau local, nous déplorons l’absence d’une dynamique politique, pourtant nécessaire pour entraîner un projet de rénovation globale ; faute de quoi cet édifice tombera certainement en ruine, ce que, évidemment, nous voulons éviter à tout prix.

éclairage public et protection de l’environnement

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, auteur de la question n° 2091, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

M. Henri Cabanel. Monsieur le secrétaire d’État, l’éclairage public est un défi majeur pour les collectivités locales, en matière d’économies d’énergie, d’économies financières et de protection de l’environnement.

Il représente 45 % des consommations d’électricité et 40 % des factures pour les collectivités qui en assument la compétence.

Dans mon département, l’Hérault, le syndicat mixte Hérault Énergies a réalisé en 2015 un diagnostic du patrimoine d’éclairage public de 150 communes volontaires. Sur le fondement des conclusions de cette étude, 140 communes, plutôt rurales, lui ont transféré leur compétence en matière d’investissement.

Le plan de relance de l’État constitue une occasion unique d’amplifier les démarches entreprises par les syndicats.

Toutefois, la réussite de cette mission rencontre encore des obstacles. Les projets de modernisation de l’éclairage public ne sont pas éligibles à la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), très majoritairement orientée vers la rénovation thermique des bâtiments.

Pourtant, l’éclairage public pourrait faire l’objet de gains énergétiques et financiers importants, simples à mettre en œuvre.

Monsieur le secrétaire d’État, les syndicats mixtes peuvent-ils déposer des demandes d’aide au titre de la DSIL ? Quelles en sont les modalités ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Cabanel, vous m’interrogez sur la possibilité de financer, via la DSIL, des projets de modernisation de l’éclairage public, y compris lorsqu’ils sont mis en œuvre par des syndicats.

Je tiens tout d’abord à rappeler que rien n’empêche de mobiliser cette dotation en faveur de tels projets. Non seulement cette possibilité existe, mais elle est de plus en plus utilisée. Ainsi, en 2020, sur 3 568 projets subventionnés au titre de la DSIL, 118 portaient sur la rénovation de l’éclairage public ; le montant total des subventions attribuées s’élevait à 13 millions d’euros et le coût total des projets à 49 millions d’euros.

Ces projets de rénovation peuvent par exemple porter sur l’éclairage propre à un bâtiment spécifique, comme un gymnase ou une mairie, ou sur l’éclairage de la voirie.

En outre, la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) concourt également au financement de la rénovation de l’éclairage public des collectivités locales. Ainsi, en 2020, sur les 20 464 projets subventionnés au titre de la DETR, 222 portaient sur la rénovation de l’éclairage public ; le montant total des subventions attribuées s’élevait à 4,6 millions d’euros et le coût total des projets à 15 millions d’euros.

Les dotations du plan de relance – et plus particulièrement la DSIL exceptionnelle et la DSIL rénovation énergétique – ont permis de compléter la DSIL de droit commun, ainsi que la DETR. Ainsi, en 2020 et 2021, sur 11 000 projets financés au titre de ces deux dotations déployées dans le cadre de la relance, 550 portaient spécifiquement sur la rénovation de l’éclairage public. Au total, ces projets, qui ont bénéficié de 57 millions d’euros de subventions, ont permis dans la grande majorité des cas de dépasser la cible recommandée de 30 % d’économies d’énergie. Les moyens consacrés au soutien de la modernisation de l’éclairage public sont donc bien réels et ont été fortement renforcés en 2020 et en 2021 à la faveur de la relance de l’activité.

Vous m’avez interrogé sur la possibilité pour les syndicats mixtes de bénéficier de ces subventions ; je vous répondrai en trois temps.

Tout d’abord, il est vrai que les syndicats mixtes ne sont pas éligibles à la DSIL, qui a pour premier objectif de participer au financement des projets des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.

Toutefois, il existe une dérogation à cette règle : lorsque la subvention s’inscrit dans le cadre d’un contrat signé entre une collectivité et le préfet, les maîtres d’ouvrage désignés par le contrat peuvent bénéficier de la subvention.

Enfin, la DETR, qui concourt également au soutien à l’investissement local au même titre que la DSIL, est ouverte aux syndicats de communes dont la population n’excède pas 60 000 habitants et aux syndicats mixtes composés exclusivement de communes et d’EPCI.

M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, je vous serais reconnaissant de bien vouloir respecter le temps de parole qui vous est imparti.

La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.

M. Henri Cabanel. Je vous remercie pour ces explications, monsieur le secrétaire d’État.

Toutefois, les syndicats mixtes d’électrification rurale rencontrent de nombreuses difficultés pour formuler leur demande.

Votre réponse ouvre des pistes que je transmettrai aux syndicats pour les aider, via la DETR et la DSIL, à assumer ces investissements importants en matière d’économies d’énergie pour les communes rurales.

mise en place d’une fiscalité additionnelle pour un syndicat composé exclusivement d’établissements publics de coopération intercommunale

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, auteure de la question n° 2102, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Mme Martine Berthet. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur l’impossibilité pour un syndicat composé exclusivement d’établissements publics de coopération intercommunale d’instaurer une fiscalité additionnelle afin d’assurer l’autofinancement de son budget primitif principal.

Selon l’article 1609 quater du code général des impôts, un tel dispositif n’est autorisé que dans le cas d’un syndicat composé exclusivement de communes ou d’un syndicat mixte composé de communes et d’établissements publics de coopération intercommunale. Dans cette situation, le syndicat peut décider de lever une part additionnelle aux taxes directes locales, uniquement en remplacement de la contribution budgétaire des communes associées.

Ainsi, dans le département de la Savoie, le syndicat du pays de Maurienne (SPM) est un établissement public de coopération intercommunale et un syndicat mixte fermé composé des cinq communautés de communes de la vallée de la Maurienne. Il lui est impossible de créer une fiscalité additionnelle.

Depuis le 1er janvier 2019, le SPM est pourtant une structure compétente pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi). À ce titre, il arrête chaque année un produit fiscal global dont la répartition entre les communautés de communes est fixée dans ses statuts. Il perçoit ensuite de chaque communauté de communes le montant sollicité par mandat, au lieu de lever directement sa propre fiscalité.

Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite savoir s’il est possible d’engager a minima une expérimentation permettant à des syndicats composés exclusivement d’établissements publics de coopération intercommunale de lever une fiscalité additionnelle.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Martine Berthet, les syndicats, qu’ils soient mixtes ou intercommunaux, sont des établissements publics de coopération intercommunale sans fiscalité propre, qui sont financés, en principe, par des contributions budgétaires de leurs membres.

Les deux premiers alinéas de l’article 1609 quater du code général des impôts ouvrent la possibilité aux syndicats de communes, ainsi qu’aux syndicats mixtes constitués exclusivement de communes et d’établissements publics de coopération intercommunale, d’adopter, sur le territoire des seules communes membres, un produit de contributions fiscalisées. Ce produit est ensuite réparti entre les quatre impôts directs locaux, à savoir la taxe d’habitation sur les résidences secondaires – d’ailleurs légèrement plus favorable en Savoie que dans d’autres départements ! –, la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) et la cotisation foncière des entreprises (CFE).

Toutefois, ces contributions fiscalisées ne peuvent être mises en œuvre que si le conseil municipal, obligatoirement consulté dans un délai de quarante jours, ne s’y est pas opposé en privilégiant le versement d’une contribution budgétaire.

Partant, votre analyse est parfaitement exacte : en l’état actuel du droit, un syndicat mixte exclusivement composé d’EPCI à fiscalité propre ne peut pas adopter de contributions fiscalisées, mais doit appeler des contributions budgétaires de la part de ses membres, qui disposent, quant à eux, d’un pouvoir de taux sur les quatre impôts précités.

Une expérimentation concernant la compétence Gemapi et les établissements publics territoriaux de bassin est prévue à l’article 5 sexies A du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS ; une évaluation sera menée avant d’élargir une telle évolution. La commission mixte paritaire a abouti à un accord sur ce texte, qui doit désormais être voté de manière définitive, puis promulgué. Nous pourrons alors travailler aux solutions que vous appelez de vos vœux.

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.

Mme Martine Berthet. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État.

J’espère sincèrement que cette expérimentation sera lancée, afin que les élus locaux puissent travailler plus sereinement. Je regrette néanmoins que la future loi 3DS n’ait pas répondu aux attentes des élus, qui souhaitaient garder leur compétence eau, notamment en Maurienne.

prestataires et prestations d’accompagnement des demandeurs d’emploi rencontrant des freins à la mobilité

M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, auteure de la question n° 2074, adressée à Mme la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

Mme Monique Lubin. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur l’attribution par Pôle emploi, au niveau national, d’un marché concernant l’achat de prestations pour accompagner les demandeurs d’emploi rencontrant des freins à la mobilité.

En 2021, Pôle emploi a publié un marché sur les diagnostics de mobilité pour les publics en insertion, visant à les accompagner pour lever durablement les freins à leur mobilité et leur permettre d’accéder à l’autonomie. Ce marché a été divisé en lots par département.

Dans les Landes, deux associations ont répondu conjointement : Solutions Mobilité et Landes Insertion Mobilité – un garage social et solidaire –, afin d’offrir un accompagnement disposant d’une couverture départementale.

Elles déploient sur le territoire les trois axes complémentaires de l’accompagnement de la mobilité : l’articulation des outils et financements pour la levée des freins à la mobilité ; l’apprentissage des mobilités avec une pédagogie adaptée ; la réparation et la mécanique pratiquées de manière solidaire. Leurs équipes sont en place, formées, réactives, et intégrées à un réseau de partenaires établi et cohérent dans l’ensemble du département.

Toutefois, l’attribution du marché a été accordée à Wimoov, structure sans ancrage territorial ni gouvernance locale, dont le siège social est à Paris. Dans les Landes, elle a été réalisée sans aucune concertation locale et les associations que j’ai citées n’ont même pas pu défendre leur candidature.

Par ailleurs, Pôle emploi n’a pas été en mesure de leur indiquer qui a été décisionnaire, tandis qu’aucun acteur local n’était présent dans cette attribution.

Le marché est maintenant actif depuis le mois de septembre dernier et la réponse apportée par Wimoov aux besoins actuels du territoire se révèle totalement insuffisante. Certains demandeurs d’emploi doivent parfois attendre entre un et deux mois avant de pouvoir disposer d’un diagnostic de mobilité. Les urgences en matière de mobilité ne sont plus traitées, entraînant des pertes d’emploi ou des occasions ratées pour y accéder. Auparavant, les demandes étaient traitées en une à deux semaines, contre deux mois désormais, ce qui place les bénéficiaires, déjà fragiles, en grande difficulté.

Que comptez-vous faire pour trouver une issue favorable à cette situation ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Monique Lubin, vous avez raison : certains demandeurs d’emploi rencontrent des difficultés pour se déplacer. Cela représente un frein très important dans leur recherche d’emploi.

C’est pourquoi l’État, dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, a demandé à Pôle emploi de renforcer son offre de services. Une nouvelle prestation, intitulée « bilan-accompagnement mobilité », est ainsi proposée depuis le mois de septembre 2021. Elle vise à accompagner les demandeurs d’emploi vers une mobilité géographique plus autonome pour élargir le périmètre de leurs recherches et augmenter leurs chances de recrutement ou de formation.

Comme vous l’avez souligné, des appels d’offres régionaux ont ainsi été lancés en 2021. Je précise que tous les opérateurs, indépendamment de leur taille, étaient bien sûr libres de se porter candidats – certains d’ailleurs l’ont fait avec succès.

Les critères de sélection des projets étaient liés à la connaissance du territoire et à l’implantation locale des acteurs – vous comprendrez aisément que ceux-ci sont essentiels à la réussite de l’entreprise.

Trois quarts des marchés ont été attribués à des plateformes de mobilité, car elles répondaient aux critères préalablement définis.

Cela étant dit, rien n’interdit à Pôle emploi de coopérer avec des structures locales en vue de proposer des services complémentaires à la prestation « bilan-accompagnement mobilité », comme la mise à disposition de véhicules, la réparation ou la location solidaires, ou encore l’autopartage – certaines entreprises de l’économie sociale et solidaire sont d’ailleurs particulièrement performantes dans ce domaine.

Madame la sénatrice, le Gouvernement partage pleinement votre préoccupation, et met tout en œuvre pour lever les obstacles à la mobilité, qui constituent un frein majeur à l’emploi. Le problème précis que rencontre votre département sera par ailleurs présenté à la ministre du travail.

règles de sécurité routière applicables aux cyclistes

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, auteur de la question n° 2090, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Stéphane Demilly. Monsieur le secrétaire d’État, selon les chiffres du ministère de l’intérieur, près de 10 000 accidents impliquant des cyclistes ont lieu chaque année, soit plus d’un accident par heure en moyenne !

Ces statistiques inquiétantes, qui se traduisent trop souvent en drames humains, sont en constante augmentation. Pas moins de 180 cyclistes ont perdu la vie en 2021, soit une hausse de 7 % par rapport à 2018, et de 27 % par rapport à 2010. La région parisienne recense à elle seule un quart des accidents.

Ces chiffres parlent d’eux-mêmes et nous invitent évidemment à réfléchir à nos politiques de prévention, de sensibilisation et de sanction pour protéger la vie des cyclistes. Le mardi matin, lors de mon parcours entre la gare du Nord et le Sénat, je compte le nombre de cyclistes ne respectant pas les feux rouges. C’est effarant ! Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous suggère de faire le même exercice : comme moi, vous constaterez que ces comportements inciviques sont très majoritaires !

Le plus souvent, les forces de l’ordre constatent de manière désabusée ces nouvelles règles qui se sont imposées de fait dans la société, notamment à Paris. Pourtant, contrairement à une idée reçue, les cyclistes n’ont pas le droit de passer au feu rouge. C’est incroyable de devoir le rappeler !

Certes, il existe quelques exceptions dans le code de la route, qui supposent une signalisation par la présence de panonceaux triangulaires placés sous un feu tricolore, ou encore celle de feux jaunes clignotants symbolisant une silhouette de vélo.

Monsieur le secrétaire d’État, je pense qu’il conviendrait de supprimer purement et simplement ces règles dérogatoires afin de donner plus de visibilité et de lisibilité – et donc de force – à la réglementation. En présence d’un feu rouge, il est impératif de s’arrêter !

Nous pourrions éviter nombre d’accidents en clarifiant et en faisant respecter les règles basiques de la sécurité routière pour les deux-roues. Cette réclamation vaut aussi – et surtout ! – pour les trottinettes qui se croient dans le far west.

Monsieur le secrétaire d’État, en matière de sécurité routière, pourriez-vous envisager d’uniformiser la réglementation applicable aux cyclistes pour renforcer de manière effective la sécurité de tous sur les routes ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Stéphane Demilly, durant l’année 2020, 178 cyclistes ont été tués et 4 594 autres blessés. Ils représentent 7 % de la mortalité routière, contre 5 % auparavant.

La hausse de l’accidentalité des cyclistes reste toutefois plus faible que la hausse de la part qu’ils représentent dans le trafic général. En 2020, la mortalité des cyclistes a en effet baissé de 5 % par rapport à 2019, malgré une augmentation des déplacements sur la même période de l’ordre de 10 %.

Pour accompagner le renforcement de la part des cyclistes dans le flux de véhicules et renforcer leur sécurité, le Gouvernement a adopté une approche globale et mis en œuvre des actions très diversifiées. Il a notamment engagé des mesures éducatives ayant permis la sensibilisation de plus de 66 000 enfants à la conduite d’un vélo grâce au programme « Savoir rouler à vélo ».

Par ailleurs, des campagnes de communication sont régulièrement menées en faveur du port des équipements de protection et de visibilité, et de l’adoption de comportements de prudence.

Des mesures législatives et réglementaires ont en outre conduit à la création de zones de rencontre ou à l’obligation de signaler les angles morts sur les poids lourds.

Monsieur le sénateur, lorsque vous étiez député, vous aviez été, comme moi, très ému par l’accident dont a été victime Armelle Cizeron, la collaboratrice de Jeanine Dubié. Nous avions beaucoup souffert de cet événement funeste, dont nous avions tenté de tirer les leçons.

Enfin, des mesures de circulation spécifiques ont été adoptées. Ainsi, le « tourne à droite » autorise le cycliste à franchir un feu de circulation lorsque le signal est au rouge afin de poursuivre dans la direction indiquée en respectant la priorité accordée aux autres usagers. Le double sens cyclable a également été généralisé à l’ensemble des voies où la vitesse maximale autorisée est inférieure ou égale à 30 kilomètres par heure.

Ces mesures ont fait l’objet d’expérimentations favorables. Ce ne sont désormais plus des dérogations, mais des règles de circulation inscrites dans le code de la route. Elles contribuent à la sécurité des cyclistes, notamment du fait de la visibilité réciproque des différents usagers de la route et de la baisse de la vitesse moyenne des véhicules.

Monsieur le sénateur, vous avez raison : le respect des dispositions du code de la route s’impose à tous les usagers.

En 2019, environ 70 contraventions relatives au non-port du casque ont été relevées contre près de 210 en 2020. Cette augmentation reflète un contrôle accru des forces de sécurité intérieure. Pour y avoir vécu, je sais que les comportements sont différents dans les pays de culture germanique !

M. le président. Veuillez conclure !

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat. Toutes ces mesures doivent permettre une meilleure cohabitation entre les usagers et une amélioration générale de la sécurité sur nos routes.

mesures réglementaires relatives à l’application de l’article 322-4-1 du code pénal

M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay, auteur de la question n° 2005, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Jacques Le Nay. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur l’applicabilité de l’article 322-4-1 du code pénal portant sur l’amende forfaitaire délictuelle, issu de la loi du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites.

Concrètement, et malgré l’article de loi que je viens de citer, tous les gendarmes ne disposent pas de cette procédure dans leur terminal de procès-verbal électronique, alors qu’une telle possibilité constituerait un moyen de pression non négligeable pour lutter contre ce genre d’installations.

Par ailleurs, lors de son intervention devant les maires de Haute-Savoie réunis en congrès le 6 novembre dernier, le Premier ministre a annoncé que ce département serait inclus dans les territoires expérimentaux de l’amende forfaitaire délictuelle.

Si je connais les difficultés spécifiques à la Haute-Savoie et l’engagement sur ce sujet de notre collègue Loïc Hervé, qui est à l’origine de cette disposition légale, je souhaiterais également vous faire part des inquiétudes des élus locaux du Morbihan ; selon moi, ce département devrait rejoindre l’expérimentation menée.

Les installations illicites des gens du voyage se multiplient et rythment malheureusement l’actualité estivale du Morbihan depuis de trop nombreuses années. Ce phénomène a même conduit près de deux cents élus, agriculteurs et riverains à manifester le 28 juillet dans la commune de Merlevenez.

L’an dernier, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin indiquait dans un courrier que les travaux relatifs à la mise en place de l’amende forfaitaire délictuelle étaient toujours en cours et devaient aboutir à l’automne 2021.

Je l’ai interpellé depuis plusieurs mois à ce sujet, d’abord par l’intermédiaire d’un courrier le 1er juin, puis via une question écrite le 5 août dernier. Ces interventions sont demeurées sans réponse ; c’est pourquoi je vous interroge aujourd’hui dans l’hémicycle.

Entendez-vous accélérer la prise des mesures réglementaires nécessaires à l’application concrète des amendes forfaitaires délictuelles prévues à l’article 322-4-1 du code pénal ? Si l’expérimentation devait être prolongée, envisagez-vous d’inclure dans son périmètre d’autres départements – le Morbihan en particulier ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Joël Giraud, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Le Nay, comme toute infraction prévue par le code pénal, l’occupation illicite de terrains peut être relevée par les forces de sécurité intérieure, puis poursuivie par l’autorité judiciaire, selon de multiples modalités inscrites dans le code de procédure pénale.

Les ministères de la justice et de l’intérieur ont engagé une démarche de simplification de la procédure pénale afin de permettre aux forces de sécurité intérieure de recentrer leurs actions et leurs missions.

Les travaux conduits lors du Beauvau de la sécurité ont d’ailleurs rappelé qu’il s’agit d’une attente très forte des gendarmes et des policiers. À ce titre, il est apparu essentiel de faciliter les constatations des infractions et leur poursuite par l’autorité judiciaire, pour entraîner un cercle vertueux de respect de la loi.

À cet égard, comme pour les délits routiers et l’usage de stupéfiants, l’amende forfaitaire délictuelle, créée par la loi du 7 novembre 2018, consiste à apporter une réponse immédiate sur le terrain face aux campements illégaux, à laquelle sont confrontés les communes et les propriétaires privés. En l’espèce, l’installation illicite sur le terrain d’autrui est punie d’une amende de 500 euros, dont le montant peut être minoré à 400 euros ou majoré à 1 000 euros. De manière générale, ces amendes contribuent également à désengorger les tribunaux et offrent ainsi une réponse pénale rapide, efficace et dissuasive.

Par ailleurs, un travail interministériel, conduit par l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions, a été réalisé afin de décliner le dispositif des amendes forfaitaires délictuelles pour installation et occupations illicites sur le plan opérationnel. Monsieur le sénateur, vous citiez l’expérimentation lancée depuis la mi-octobre 2021 : celle-ci a été lancée initialement dans six ressorts de tribunaux judiciaires – Créteil, Foix, Lille, Marseille, Reims et Rennes. Depuis le 30 novembre 2021, elle a été étendue à trois ressorts judiciaires supplémentaires de Haute-Savoie – Annecy, Bonneville et Thonon-les-Bains – à la suite des annonces du Premier ministre.

Cette première expérimentation se poursuit actuellement avant que les conclusions de l’étude d’impact, permettant d’envisager ensuite une généralisation à l’ensemble du territoire, ne soient diffusées.

En tout état de cause, même en dehors de cette procédure, l’infraction peut toujours être relevée par les forces de sécurité intérieure selon la procédure classique.

Je peux vous affirmer que le Gouvernement demeure engagé dans la lutte contre les installations illicites et qu’il est mobilisé quant aux conditions d’accueil proposées par les communes ou les EPCI. Les ministres de l’intérieur et du logement ont d’ailleurs adressé une circulaire aux préfets leur demandant de relancer la réalisation des schémas départementaux qui constituent l’une des réponses non pas pénales, mais préventives, à ce problème.

situation des accompagnants d’enfants en situation de handicap

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, auteure de la question n° 1912, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Mme Martine Filleul. Madame la secrétaire d’État, ma question s’adressait à monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

À quatre reprises au cours de l’année 2021, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ont manifesté dans toute la France pour dénoncer leur précarité et leurs conditions de travail difficiles. Pour les parents comme pour les enseignants, les AESH constituent un soutien essentiel pour un apprentissage réussi et une scolarité épanouie.

Leur première revendication porte sur la rémunération. Le salaire mensuel moyen d’un AESH n’est que de 750 euros. L’augmentation de cette rémunération, accordée par le Gouvernement l’été dernier, ne suffit pas.

La récente proposition de loi visant à lutter contre la précarité des AESH et des assistants d’éducation (AED) de notre collègue députée Michèle Victory tendait à permettre la « CDIsation » dès le premier recrutement pour les AESH et les AED, et à prendre en compte les heures d’accompagnement dans la rémunération et le versement de l’indemnité dédiée s’ils exercent dans un établissement classé REP (réseau d’éducation prioritaire) ou REP+.

Certes, ce texte a été voté à l’Assemblée nationale, mais il a été vidé de sa substance par les députés de la République En Marche : le recrutement en CDI n’est désormais prévu qu’à partir de trois ans pour les AESH et six ans pour les AED. De ce fait, le problème reste entier.

Madame la secrétaire d’État, pourquoi refuser de donner à ces femmes et à ces hommes un statut digne de leur engagement permettant l’inclusion de milliers d’enfants dans le système éducatif ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Madame la sénatrice Martine Filleul, la proposition de loi de Michèle Victory marque une avancée, puisqu’elle permet la « CDIsation » des AESH au bout de trois ans. Bien sûr, ce texte doit poursuivre son parcours législatif.

Le versement de la prime REP n’est pas possible, car les AESH ne dépendent pas du mouvement académique, mais d’une notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ; cela créerait de surcroît une inégalité entre les personnels affectés aux réseaux d’éducation prioritaire et les autres.

Je tiens à rappeler que 400 000 élèves en situation de handicap sont désormais accueillis dans une école pleinement inclusive ; leur nombre a augmenté de 19 % en cinq ans. Pas moins de 125 000 AESH ont été recrutés, lesquels bénéficient désormais d’un statut plus protecteur, et 1 300 unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) ont été créées, de même que 250 structures dédiées à l’autisme. Les familles sont aujourd’hui mieux informées et mieux écoutées. Une meilleure organisation territoriale a été mise en place, comme en témoignent les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL).

Permettre à l’école d’être pleinement inclusive constitue une ambition forte du Gouvernement. J’en veux pour preuve les 4 000 nouveaux recrutements d’AESH, qui sont financés pour l’année 2022 ; au total, 27 000 équivalents temps plein (ETP) auront été créés.

J’ajoute que le statut des AESH a été repensé : d’une part, grâce à la transformation des contrats aidés en contrats à durée déterminée – et, potentiellement, en contrat à durée indéterminée au bout de trois ans, si la proposition de loi de Mme Victory est définitivement adoptée – et, d’autre part, une nouvelle étape a été franchie le 1er octobre dernier concernant leur rémunération, avec notamment un début de grille indiciaire désormais fixé à l’indice 341.

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.

Mme Martine Filleul. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie pour ces précisions, mais le compte n’y est pas. Pourquoi attendre pour inscrire la proposition de loi de Mme Victory à l’ordre du jour du Sénat ?

fermetures de classes en milieu rural

M. le président. La parole est à M. Serge Babary, auteur de la question n° 2100, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

M. Serge Babary. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur les mesures de fermeture de classes qui menacent plusieurs écoles de communes rurales du département d’Indre-et-Loire pour la prochaine rentrée scolaire.

La nouvelle carte scolaire est en cours d’élaboration. Dès lors qu’elles n’entraînent ni la création ni la suppression d’une école, l’ouverture et la fermeture d’une classe relèvent du directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen).

Durant ces dernières semaines, j’ai été alerté, ainsi que mes collègues sénateurs, par plusieurs communes rurales de mon département, qui s’inquiètent du projet de carte scolaire qui leur a été soumis.

Depuis, j’ai eu l’occasion de rencontrer M. le directeur académique, qui m’a fait part des chiffres du département et des orientations fixées par le ministère pour la rentrée prochaine : allégement des charges des directeurs d’école ; plafonnement à 24 élèves des classes de grande section, de CP et de CE1 – hors éducation prioritaire – ; et, enfin, dédoublement des classes de CP et CE1 en REP et REP+.

Les orientations du ministère sont louables et nécessaires. En revanche, l’équation comptable est pour sa part complexe.

Bien que le département doive perdre 1 059 élèves lors de la prochaine rentrée, le respect de ces trois orientations mobiliserait 33 postes. Or la dotation pour l’Indre-et-Loire ne comporte qu’un seul et unique poste supplémentaire. Cela conduirait mathématiquement à la fermeture d’une trentaine de classes.

Cette situation apparaît en contradiction avec les conclusions du troisième comité interministériel aux ruralités, qui visait, entre autres, à garantir de nouveaux horizons pour les jeunes des territoires ruraux.

Madame la secrétaire d’État, compte tenu du contexte sanitaire et social actuel et des dynamiques démographiques constatées dans notre département, vous comprendrez les inquiétudes légitimes des élus locaux et des parents d’élèves.

C’est pourquoi je vous serais reconnaissant de m’éclairer sur les intentions du Gouvernement pour la prochaine rentrée scolaire, en particulier dans le département d’Indre-et-Loire.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez rappelé, malgré une baisse démographique, de nombreux et constants efforts ont été consentis dans le premier degré, avec 14 380 postes créés, notamment pour dédoubler les classes de CP, de CE1 et, en ce moment, celles de grande section de maternelle.

J’en viens plus particulièrement à votre département où le nombre d’élèves par classe est en moyenne de 22,6 à la rentrée 2021, en amélioration par rapport à la rentrée 2019 où il s’établissait à 23,6.

Non seulement nous avons dédoublé les classes de CP et de CE1 en REP, mais nous avons également fixé à 24 le plafond des effectifs pour l’ensemble des classes hors de ces réseaux. Je le répète, le nombre moyen d’élèves dans les classes de votre département est de 22,6 à la rentrée 2021.

Depuis la rentrée 2019, conformément à l’engagement du Président de la République, aucune fermeture d’école en milieu rural ne peut intervenir sans l’accord du maire.

L’engagement de ne fermer aucune classe en milieu rural sans l’accord du maire s’est appliqué de manière exceptionnelle à la rentrée scolaire 2020 au regard, vous le savez bien, du contexte sanitaire. En revanche, l’engagement de ne fermer aucune école rurale sans l’accord du maire continue et continuera de s’appliquer.

Le travail de préparation de la carte scolaire donne lieu à de nombreux échanges avec les élus locaux et se fonde sur une appréciation fine et objective de la situation de chaque école. La concertation avec les maires se tient dans un esprit de dialogue constructif, afin de tenir compte des spécificités de chaque territoire et de chaque école.

Monsieur le sénateur, la vigilance et l’attention portée aux territoires restent d’actualité ; elles ne se relâchent pas, que ce soit au niveau national ou au niveau local.

M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.

M. Serge Babary. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État.

Le comité technique spécial départemental qui doit étudier le projet de carte scolaire se réunit aujourd’hui même. J’espère que vos propos seront entendus dans mon département.

viticulture et technique d’aspersion

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, auteur de la question n° 2073, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

M. Pierre Louault. Ma question s’adressait à M. le ministre de l’agriculture et à Mme la ministre de la transition écologique.

L’année dernière, le gel a fait énormément de dégâts dans les vignobles et les plantations fruitières.

Il existe aujourd’hui une technique par aspersion, la plus efficace, permettant de déposer une pellicule d’eau, qui se transforme en glace protectrice et évite le gel des fleurs et des plantes. Malheureusement, pour recourir à cette méthode, il faut faire des prélèvements en eau, certes très ponctuels, mais plutôt importants.

Or la réglementation relative aux prélèvements dans les cours d’eau qui, lors des mois de mars et d’avril, ont un débit très abondant et sont parfois même en crue, est la même que celle qui s’applique aux prélèvements d’eau pour l’irrigation, qui, eux, ont naturellement lieu aux mois de juillet et d’août, et qui sont donc très contrôlés, ce qui est normal.

Les viticulteurs sont actuellement confrontés à des refus systématiques d’autorisation de pompage pour protéger leurs vignobles du gel, alors que cela ne se justifie nullement.

Je souhaiterais donc savoir si une réglementation plus libérale, pour une période très limitée – quelques jours par an et quelques heures par jour –, pourrait être mise en œuvre pour aboutir à des prélèvements en eau mieux adaptés à la nécessaire protection des vignobles contre le gel.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser M. le ministre de l’agriculture, qui ne peut pas être présent ici ce matin. Je vous répondrai en son nom.

Les conséquences du gel, notamment sur la viticulture, sont un sujet qui, comme vous le savez, nous tient évidemment particulièrement à cœur.

L’épisode de gel dramatique du printemps dernier a en effet laissé des traces profondes et nous a démontré, si besoin était, que l’inaction en matière climatique n’est plus une option.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a choisi l’action, non seulement au moyen d’un plan d’aide massif et inédit pour répondre dans l’urgence aux conséquences économiques du gel sur les exploitations agricoles, mais également en apportant une réponse structurante et à long terme via le projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, encore en cours d’examen.

Le recours à la méthode d’irrigation par aspersion que vous évoquez pose la question des prélèvements en eau en période de hautes eaux.

Cette question, si elle est d’une sensibilité particulière pour la viticulture, notamment au regard de l’angle sous lequel vous la posez, est en fait plus large et concerne l’ensemble des productions. Il s’agit même de l’un des principaux sujets discutés dans le cadre de la thématique 3 du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique que le Premier ministre a clos le 1er février, au terme de neuf mois d’intenses travaux.

Sur ce point précis, le Premier ministre a pris le décret du 23 juin 2021 relatif à la gestion quantitative de la ressource en eau, de sorte que les préfets puissent définir les volumes préférables en période de hautes eaux. Cette décision est une réponse concrète et forte, je crois, à l’une des principales demandes de la profession agricole.

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.

M. Pierre Louault. Votre réponse est satisfaisante, madame la secrétaire d’État.

Je regrette simplement l’état d’esprit des directions départementales des territoires (DDT) au sein desquelles ceux qui doivent exécuter cette décision ne semblent pas encore connaître la réglementation. Je demanderai au ministre de l’agriculture de leur rappeler ces nouvelles règles.

assistants spécialisés en lutte contre la radicalisation et prévention des actes terroristes

M. le président. La parole est à M. Daniel Gueret, auteur de la question n° 2110, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Daniel Gueret. Madame la secrétaire d’État, ma question s’adressait à M. le ministre de la justice. Elle a trait à la situation des assistants spécialisés en lutte contre la radicalisation et prévention des actes terroristes.

En France, la radicalisation n’est pas une infraction. Pour autant, au regard des enjeux en termes de sécurité sur le territoire, l’État a mis en place des moyens humains en vue d’une surveillance de la radicalité, processus conduisant à la radicalisation, voire à des actes inqualifiables.

Depuis 2015, quelque 37 assistants spécialisés en lutte contre la radicalisation et prévention des actes terroristes, dépendant du ministère de la justice, sur le fondement d’un statut défini par le ministère de l’intérieur, rendent des expertises auprès des procureurs de la République et dispensent des formations de sensibilisation. Ils constituent un maillon essentiel du réseau de renseignement.

Je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur une faille dans les objectifs de sécurité intérieure qui ont été fixés. Ces assistants spécialisés sont recrutés pour une durée de six ans au maximum. Les conséquences directes de cette absence de CDIsation sont l’absence de continuité dans la mission qui leur est confiée et qui est pourtant exécutée avec compétence, une déperdition d’informations et l’obligation d’une formation sur le temps long pour bien connaître le tissu territorial, un nombre de dossiers significatif de situations individuelles en cours de processus ou « dormantes ».

Dans une société où il est essentiel de combattre la radicalisation pour affirmer nos valeurs républicaines et garantir la sécurité de tous nos concitoyens, j’insiste auprès du Gouvernement sur la nécessité d’une pérennisation des postes d’assistants spécialisés en lutte contre la radicalisation et prévention des actes terroristes.

Il serait nécessaire de clarifier leur statut dans le cadre d’une fonction interministérielle permettant l’émergence d’un pôle de compétence à la hauteur des annonces gouvernementales en matière de sécurité intérieure et des attentes de nos concitoyens.

Madame la secrétaire d’État, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre en faveur de ces acteurs de la chaîne de sécurité, afin de pérenniser leur action de terrain ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du garde des sceaux, au nom duquel je vais bien sûr répondre à votre question.

La loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen a permis de conférer un statut légal à l’assistant spécialisé en lutte contre la radicalisation, désormais dénommé assistant spécialisé pour la prévention des actes de terrorisme (Aspat), et dont le rôle est défini à l’article 706-25-15 du code de procédure pénale.

Le législateur a entendu faire de ses assistants spécialisés un maillon essentiel dans la lutte contre la radicalisation. Ils viennent ainsi utilement appuyer les procureurs de la République et les procureurs généraux dans l’exercice de leurs missions.

Peuvent exercer les fonctions d’Aspat les fonctionnaires de catégorie A ou B, ainsi que les personnes qui disposent d’une formation universitaire spécifique, remplissent les conditions d’accès à la fonction publique et justifient d’une expérience professionnelle minimale de quatre années.

La durée de la nomination de ces assistants, prévue par le code de procédure pénale, est fixée à trois ans renouvelables.

En application d’une dépêche du directeur des services judiciaires du 14 juin dernier, les juridictions ont la possibilité de conclure un contrat de travail à durée indéterminée avec l’agent contractuel recruté en qualité d’Aspat qui arriverait au terme de cette durée maximale de six ans, sous la réserve expresse de s’assurer qu’aucun fonctionnaire n’est susceptible d’être recruté sur l’emploi concerné.

S’agissant des fonctionnaires en position de détachement, celui-ci ne peut excéder cinq années en application d’un décret de septembre 1985. Cette position peut toutefois être renouvelée par périodes n’excédant pas cinq années.

Afin de développer une analyse fine et approfondie de l’état de la lutte contre la radicalisation et le terrorisme sur le ressort concerné, et de fournir ainsi une assistance effective aux magistrats compétents en la matière, il convient de préserver au maximum l’engagement à long terme des agents recrutés sur ces postes.

réforme des mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, auteure de la question n° 2064, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais évoquer la question de la future réforme des mandataires judiciaires à la protection des majeurs exerçant à titre individuel.

Ces professionnels chargés de la gestion administrative, juridique et financière des personnes qualifiées de vulnérables par le code civil disposent d’un mandat confié personnellement par le juge des contentieux de la protection.

Le volume de leur activité représente 20 % des mesures judiciaires, pour environ 80 000 personnes protégées.

Ces mandataires constituent une aide précieuse pour le système judiciaire, de plus en plus nécessaire compte tenu de l’augmentation du nombre de mesures de protection judiciaire.

Face au constat d’une absence de statut juridique d’exercice, un groupe de réflexion interministériel a été créé le 9 novembre 2020 avec pour objectif de réformer le statut de ces mandataires.

Or ceux-ci sont inquiets de la méthode employée pour réformer leur statut depuis le retrait du groupe de réflexion de Mme Anne Caron-Déglise, avocate générale près la Cour de cassation.

Mme Caron-Déglise regrettait que la méthode de travail n’ait pas évolué, que la programmation très tardive des réunions ait empêché une large participation et que des arbitrages aient été annoncés alors même que des auditions essentielles n’avaient pas encore eu lieu.

Bien que les mandataires aient connu diverses réformes ayant mis à mal leur profession et, par conséquent, les personnes vulnérables dont ils ont la charge, ils demandent aujourd’hui que la réforme prenne véritablement en compte leurs intérêts.

En particulier, ils proposent l’instauration d’un statut d’exercice libéral, une valorisation de leurs compétences qui permette notamment une indexation de leur rémunération, la création d’un code de déontologie et d’une instance ordinale.

Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur l’avancement de ces travaux ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Madame la sénatrice, vous interrogez le Gouvernement sur les réflexions en cours concernant le statut des mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

Comme vous, nous mesurons l’enjeu majeur que représente la protection des majeurs vulnérables. Tout comme vous, nous avons conscience de la nécessité de mieux prendre en compte l’importance de ces professionnels qui participent à leur protection au quotidien.

Après la publication en septembre 2018 du rapport de la mission interministérielle sur l’évolution de la protection juridique des personnes, présidée par Mme Anne Caron-Déglise, que vous avez évoquée, le Gouvernement a engagé plusieurs actions.

D’abord, la direction générale de la cohésion sociale et la direction des affaires civiles et du sceau ont élaboré un guide destiné à fournir des repères méthodologiques pour mener une réflexion éthique sur les pratiques professionnelles des mandataires.

Avec cet outil, nous avons pour ambition d’accroître la compétence comme les réflexes éthiques individuels et collectifs. Celui-ci tient évidemment compte des nombreux travaux déjà conduits par les mandataires eux-mêmes.

Par ailleurs, durant près de dix-huit mois, un groupe de travail s’est réuni pour réfléchir à la déontologie et au statut des mandataires. Il a formulé plusieurs propositions relatives à la définition des missions des mandataires, l’obligation de signalement des situations de maltraitance, les préposés d’établissements, la formation, la création d’une commission nationale de la protection juridique des majeurs, le financement et le contrôle des mesures, l’évaluation et la coordination des acteurs de la protection.

Les modalités de mise en œuvre de ces différentes propositions sont aujourd’hui à l’étude.

Enfin, la réflexion va se poursuivre sur le financement des mesures et les préposés d’établissements dans le cadre des États généraux de la justice, dont un atelier est en effet spécifiquement consacré à la justice de protection.

Je ne doute pas que de nouvelles mesures, ou en tout cas de nouvelles propositions, seront formulées à l’issue de ce travail.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la secrétaire d’État, les exigences des mandataires ne semblent pas trouver un écho favorable auprès de ceux qui formulent les propositions dont vous venez de parler.

Les mandataires réclament que vous soyez davantage à l’écoute de leurs revendications. Je souscris bien sûr à ces réclamations légitimes.

exclusion de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques de la base d’imposition de la taxe sur la valeur ajoutée

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec, auteur de la question n° 1995, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.

M. Alain Cadec. Madame la secrétaire d’État, l’article 256 du code général des impôts prévoit que « sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ». Il en résulte que la TVA représente la recette fiscale la plus importante pour l’État et que, sauf exonération prévue par la loi, l’essentiel des biens consommés et des services fournis y est assujetti.

Les Français acquittent la TVA sur un bien ou un service déjà soumis à une autre taxe ou à un autre prélèvement. Ainsi, en matière d’énergie électrique, le fournisseur répercute sur le prix de vente les taxes auxquelles il est soumis, comme la contribution tarifaire d’acheminement, et prend en compte les consommations et les taxes payées pour le calcul du montant de la TVA à acquitter par le consommateur.

Ainsi, une « double peine » s’applique à ce dernier, qui paie une taxe sur les taxes.

Il en est de même pour les carburants, puisque la taxe sur la valeur ajoutée s’applique au montant consommé majoré de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la fameuse TICPE.

Ainsi, en 2021, la TVA sur la TICPE a représenté 0,14 euro par litre d’essence sans plomb 95 et 0,12 euro par litre de gazole, soit autant que le montant de la TVA sur le produit. Pour un plein d’essence sans plomb 95 de 50 litres, le montant de TVA perçu sur la TICPE s’élève ainsi à 7 euros.

Cette question n’est pas nouvelle, mais elle mérite d’être posée de nouveau : alors que nombre de nos concitoyens doivent faire face à une augmentation du prix des carburants, ce qui les fragilise et ampute leur pouvoir d’achat, ne serait-il pas plus juste, madame la secrétaire d’État, d’exclure la TICPE de la base d’imposition de la TVA ?

Le Gouvernement a-t-il l’intention de modifier la loi en ce sens ?

Ce n’est pas l’indemnité inflation de 100 euros, qui est du one shot, si j’ose dire, qui va régler le problème : il nous faut un système plus pérenne et, surtout, plus juste.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, car elle met en exergue un sujet qui fait l’objet de débats nombreux – en tout cas très fréquents – chaque année lors de l’examen de la loi de finances.

Vous me demandez en substance pourquoi le Gouvernement n’exclut pas de la base d’imposition de la TVA les impôts frappant la consommation de carburant, notamment la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques.

Tout d’abord, l’état du droit est sans ambiguïté : le code général des impôts prévoit que tous les impôts, taxes, droits et prélèvements de toute nature se rattachant à la transaction sont inclus dans la base d’imposition à la TVA. Si notre droit national en dispose ainsi, c’est parce qu’il s’agit d’une règle impérative prévue par le droit européen.

Il en découle que la situation applicable aux carburants vaut en réalité pour tous les biens et tous les impôts. C’est ainsi que les droits de douane payés à l’importation dans l’Union européenne sont eux aussi intégrés dans le prix abusivement désigné comme « hors taxes » auquel s’applique la TVA.

Il s’agit donc d’une règle européenne commune dont on peut comprendre le sens : la TVA s’applique sur le prix du produit tel qu’il est mis à la consommation, c’est-à-dire en tenant compte de la fiscalité qui a déjà trouvé à s’appliquer.

Au-delà du droit, votre question renvoie finalement à une autre problématique : que fait le Gouvernement pour contrer la hausse des prix de l’énergie et pourquoi ne baisse-t-il pas le taux de la TVA sur les produits énergétiques ?

Nous faisons face à une hausse exceptionnelle du prix de l’énergie, du gaz, de l’électricité et, dans une moindre mesure, des carburants.

Le Gouvernement a annoncé des mesures fortes pour le gaz et l’électricité. Le Premier ministre a notamment annoncé la mise en place d’un bouclier tarifaire : le tarif du gaz ne dépassera pas le niveau qu’il a atteint en octobre 2021 ; concernant l’électricité, le Gouvernement fera en sorte que la hausse qui intervient en ce début de mois de février 2022 ne dépasse pas 4 % du tarif. Ces mesures ont été annoncées et sont appliquées : les promesses sont donc tenues.

Pour les carburants, nous avons également agi. En septembre, le Gouvernement a annoncé qu’un chèque énergie supplémentaire de 100 euros serait versé aux 5,8 millions de foyers les plus fragiles, déjà bénéficiaires de ce chèque. Cette aide est automatiquement perçue par tous les ménages éligibles, sans qu’il soit nécessaire d’en faire la demande.

financement des conventions entre l’état et les collectivités locales pour le déploiement de la fibre optique

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, auteure de la question n° 2078, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.

Mme Marie-Pierre Richer. Madame la secrétaire d’État, s’il est vrai que le Gouvernement fait de l’amélioration de la couverture numérique, fixe comme mobile, une priorité de son action, qu’il a pris des mesures contribuant à l’accélération de la mise en œuvre du plan France Très Haut Débit, et qu’il a fixé, en 2020, un objectif de généralisation du déploiement des nouveaux réseaux de fibre jusqu’à l’abonné sur l’ensemble du territoire d’ici la fin de 2025, il n’en demeure pas moins que bon nombre de collectivités locales ne parviennent pas à obtenir les subventions indispensables.

En janvier 2021, plusieurs départements ont reçu de la part du Gouvernement la confirmation de l’éligibilité de leurs projets de raccordement à une nouvelle aide financière de l’État pour accompagner la seconde phase du déploiement de la fibre optique.

Cependant, bien que l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ait validé l’attribution du montant des subventions requises, aucune décision n’a été notifiée par l’État à certaines collectivités maîtresses d’ouvrage, notamment dans le Cher, dans les conditions qui étaient prévues par l’appel à projets et qui devaient normalement se concrétiser sous la forme d’une convention de financement avec la Caisse des dépôts et consignations.

Or, à l’heure où les collectivités locales votent leur budget, il leur est indispensable de disposer d’une parfaite lisibilité quant aux dépenses liées au plan France Très Haut Débit.

Dans la mesure où il a été annoncé, le 20 décembre 2021, que 150 millions d’euros supplémentaires seraient débloqués pour réaliser les raccordements complexes à la fibre optique dans les territoires ruraux, pouvez-vous m’indiquer si ce nouveau financement aura une incidence sur la signature à brève échéance des conventions de financement des travaux liés au déploiement de la fibre optique ?

Madame la secrétaire d’État, j’insiste sur l’impérieuse nécessité que les subventions soient versées au plus vite. L’inclusion numérique ne peut plus être un vain mot ou une vague promesse. Il y va de l’égalité d’accès à la téléphonie et au numérique, que l’on doit non seulement aux territoires, mais plus encore à nos concitoyens qui ont le sentiment d’être les oubliés d’une société à deux vitesses.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Madame la sénatrice, s’agissant du cas particulier du département du Cher, le porteur de projet, le syndicat mixte Berry Numérique, bénéficie déjà d’un soutien de l’État à hauteur de 38,83 millions d’euros pour le premier volet du déploiement de la fibre optique.

Dans le contexte actuel de crise sanitaire, le Gouvernement a affirmé sa volonté d’accélérer et de rendre effective la généralisation de la couverture numérique en fibre optique pour tous les territoires d’ici la fin de 2025. Une enveloppe de 570 millions d’euros a du reste été mobilisée à cet effet.

En vue de financer la généralisation de la fibre optique, un nouveau cahier des charges de l’appel à projets du plan « France Très Haut Débit – Réseaux d’initiative publique » a été publié le 8 janvier 2021. Douze acteurs ont déposé un dossier de demande de subvention dans le cadre de ce cahier des charges. Parmi ces douze projets figure celui du Cher.

Onze projets – dont celui de votre territoire – ont d’ores et déjà fait l’objet d’une instruction par l’ANCT et ont été présentés devant un comité d’engagement tout au long de l’année 2021. Ce comité d’engagement a décidé de proposer au Premier ministre un accord de financement pour ces onze projets.

S’agissant des raccordements les plus complexes, il convient tout d’abord de rappeler que, alors que le rythme des raccordements progresse très significativement, des difficultés pour raccorder certains logements et locaux professionnels peuvent apparaître, privant ces bâtiments d’un accès effectif à la fibre.

Le plan France Très Haut Débit doit tenir ses promesses. Son succès ne sera effectif que si la fibre arrive réellement dans ces logements et locaux professionnels. Il est donc nécessaire que tous les raccordements puissent être effectivement réalisés pour poursuivre et finaliser la généralisation de la fibre.

Une étude pilotée par la direction générale des entreprises et l’Agence nationale de la cohésion des territoires a été menée en 2021, afin de mieux appréhender les difficultés pouvant empêcher durablement certains locaux d’être raccordés.

Il est apparu, au terme de cette étude, que l’absence de génie civil en aval des points de branchement optique et sur le domaine public est une complexité susceptible de concerner un nombre important de locaux situés en zone d’initiative publique.

Il a donc été confirmé à la fin de 2021, que l’État accordera une aide supplémentaire de 150 millions d’euros au financement de la création des infrastructures nécessaires au raccordement final, pour assurer le plein succès du grand chantier de déploiement de la fibre sur tout le territoire.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Richer, pour la réplique.

Mme Marie-Pierre Richer. J’ai bien entendu votre réponse, madame la secrétaire d’État, mais elle est selon moi insuffisante. En réalité, vous ne m’avez pas répondu : à quel moment le département du Cher et Berry Numérique percevront-ils la subvention ?

accompagnement des élèves en situation de handicap au sein des établissements scolaires

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la question n° 2116, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Mme Nathalie Delattre. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le statut juridique des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) et sur ses conséquences dans la vie quotidienne des élèves en situation de handicap dans nos établissements scolaires.

Nous avons tous à cœur de protéger le service public de l’école inclusive. Non, l’inclusion n’est pas une « obsession » ; non, ce n’est pas une lubie. Elle est notre part d’humanité. Elle est là pour assurer une scolarité de qualité à tous les élèves, de la maternelle au lycée, tout en prenant en compte leur singularité. C’est la vocation de la République.

En 2021, il y avait à l’école plus de 400 000 élèves en situation de handicap, lesquels étaient encadrés par 125 500 accompagnants.

Cependant, certaines difficultés sont apparues quand le Conseil d’État, dans sa décision du 20 novembre 2020, a jugé qu’il appartenait aux collectivités territoriales de prendre en charge l’accompagnement des enfants en situation de handicap, lorsqu’elles organisent un service de restauration scolaire ou des activités complémentaires aux activités d’enseignement et de formation qui correspondent aux heures d’ouverture des établissements scolaires ou encore des activités périscolaires.

En pratique, depuis le 1er janvier 2022, les collectivités doivent recruter directement des personnels aux compétences particulières, dont le volume horaire prévu pour l’exercice de leur activité est extrêmement complexe à définir.

Même si ces personnels recrutés par les collectivités peuvent bénéficier des formations que l’éducation nationale propose aux AESH, une telle jurisprudence vient fragiliser l’accueil et l’accompagnement des élèves en situation de handicap, car il faut tout réorganiser dans un contexte sanitaire tendu.

Ce transfert de compétence aux collectivités territoriales accroît les tensions en termes de personnel et de budget, notamment au sein des communes qui ont fait le choix de privilégier, de façon volontariste, l’accueil de personnes en situation de handicap en ouvrant des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS).

Comme la carte scolaire ne s’applique alors pas, certaines communes voient le nombre d’élèves en situation de handicap qu’ils ont à accueillir augmenter considérablement. C’est un honneur, mais cela aggrave les difficultés budgétaires qu’a engendrées la décision du Conseil d’État.

M. le président. Veuillez poser votre question, ma chère collègue !

Mme Nathalie Delattre. Madame la secrétaire d’État, il nous faut trouver une solution, notamment financière, pour ces communes. Comment le Gouvernement entend-il mettre fin à une décision qui, tel un effet pervers, tend à pénaliser tant les collectivités que les familles in fine ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Nathalie Elimas, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de léducation prioritaire. Madame la sénatrice, vous avez mentionné la décision du Conseil d’État du 20 novembre 2020. Je tiens à apporter quelques éclairages à ce sujet et à vous répondre précisément.

Cette décision clarifie la question des modalités de prise en charge financière de l’accompagnement humain des élèves en situation de handicap dans le cadre des activités périscolaires, notamment de restauration, par les collectivités territoriales.

Le Conseil d’État a jugé qu’il appartenait aux collectivités territoriales, et non à l’État, de prendre en charge l’accompagnement des enfants en situation de handicap, lorsqu’elles organisent un service de restauration scolaire ou des activités complémentaires aux activités d’enseignement et de formation pendant les heures d’ouverture des établissements scolaires ou encore des activités périscolaires.

Cette décision vient donc clarifier le droit existant, et il n’appartient pas au Gouvernement d’y mettre fin.

Depuis cette décision, les services du ministère de l’éducation nationale travaillent à sa mise en œuvre, avec un seul objectif : garantir la continuité de l’accompagnement de ces enfants. Cette décision doit s’appliquer, mais son application ne doit pas entraîner de rupture pour les élèves en situation de handicap.

Pour garantir une continuité dans l’accompagnement des élèves, nous travaillons, en lien avec le ministère de la cohésion des territoires, autour des différents dispositifs cités dans la décision du Conseil d’État, qui permettent d’assurer cet accompagnement par les AESH en dehors du temps scolaire : mise à disposition de personnels entre l’employeur, le ministère, et une collectivité ; emploi direct des AESH par une collectivité dans le cadre d’un cumul d’activités ; recrutements conjoints par l’État et une collectivité territoriale.

Cette décision constitue une double opportunité, celle pour les élèves d’avoir un accompagnement de qualité et continu sur l’ensemble des temps de sa journée, celle pour les AESH qui le souhaitent de compléter leur temps de travail.

Les services du ministère de l’éducation nationale se tiennent à la disposition des collectivités pour travailler sur ces différentes possibilités.

situation du groupement hospitalier de sancerre, sury-en-vaux et boulleret

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, auteur de la question n° 2008, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Rémy Pointereau. Ma question s’adressait à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous interpelle de nouveau sur le sujet crucial de l’accès aux soins dans le département du Cher, que je représente au Sénat.

Cette fois-ci, il s’agit de la situation dans laquelle se trouve le groupement hospitalier situé à Sancerre, Sury-en-Vaux et Boulleret, lequel accueil près de 273 patients.

Si, pour décrire le fonctionnement actuel de cet établissement, on peut encore recourir à cette célèbre citation cinématographique : « Jusqu’ici, tout va bien… Jusqu’ici, tout va bien… », force est de constater que les perspectives sont alarmantes, et je pèse mes mots !

En effet, sur les quatre médecins présents aujourd’hui, on n’en comptera bientôt plus que deux, et ce dès cette année ; leur nombre tombera même à un en 2023 : un seul médecin pour l’ensemble du groupement !

Monsieur le secrétaire d’État, vous imaginez bien que cette diminution des effectifs met en péril l’ensemble du groupement hospitalier.

Je sais que notre pays souffre de sa mauvaise gestion de l’anticipation et que vous privilégiez un autre logiciel, celui d’attendre un drame pour agir. Mais j’estime que, lorsqu’il y va de la santé de nos concitoyens, ce logiciel est absolument à proscrire.

Par conséquent, et j’attends de vous une réponse plus que concrète, quelles sont vos solutions, au présent et au futur, pour ce groupement hospitalier ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Bien évidemment, monsieur le sénateur Pointereau, je partage avec vous l’impérieuse nécessité, en ces matières comme en beaucoup d’autres, de ne pas attendre que des drames ou des problèmes surviennent pour agir.

C’est ce que nous faisons s’agissant du centre hospitalier de Sancerre, qui développe une activité de soins de suite à orientation gériatrique et gère trois établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sur les sites de Sancerre, Boulleret et Sury-en-Vaux.

L’expertise du centre en matière gériatrique est reconnue à l’échelle du département et, à cet égard, il est un support important de l’offre de soins du nord du Cher.

Il fait donc l’objet d’une attention constante et réelle des équipes du ministère des solidarités et de la santé, ainsi que de l’agence régionale de santé Centre-Val de Loire.

Comme vous l’avez indiqué, le centre hospitalier est confronté depuis plusieurs mois à la perspective de départ de deux de ses praticiens.

De nombreux échanges ont été organisés, tant par l’agence régionale de santé que dans le cadre du groupement hospitalier de territoire, pour saisir les enjeux de la situation et préparer la suite le plus sereinement possible. Un double objectif est visé : garantir la continuité et la qualité des soins ; protéger l’activité des équipes en place.

Des solutions ont été dégagées : recrutement d’un médecin, praticien lauréat de la procédure d’autorisation d’exercice, qui va pouvoir remplacer le médecin en partance dans le service de soins de suite ; prolongation de l’activité d’un médecin intervenant au sein de l’Ehpad de Sury-en-Vaux ; réorganisation de l’activité au sein du centre hospitalier pour couvrir l’Ehpad de Boulleret.

L’objectif de l’agence régionale de santé est de conforter l’offre de soins proposée par le centre hospitalier. À cet égard, elle a inscrit parmi les projets prioritaires du Ségur de la santé la modernisation et, potentiellement, la reconstruction de tout ou partie de ses sites. Il reviendra au directeur qui prendra ses fonctions le 1er avril de faire avancer ces projets, en concertation avec le groupement hospitalier territorial du Cher, avec le conseil départemental et l’ensemble des élus territoriaux, dont j’imagine que vous serez, monsieur le sénateur Pointereau.

Soyez convaincu que le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, attache à ce dossier une attention toute particulière.

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour la réplique.

M. Rémy Pointereau. J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que ce ne sont pas que des mots, et que vos paroles se concrétiseront sur le terrain. Les élus sont effectivement très inquiets de la situation, sachant les problèmes que nous avons déjà connus à Bourges, avec le manque de médecins urgentistes, et le fait que les centres hospitaliers de Cosne-sur-Loire et de Nevers sont dans une situation analogue. L’urgence est réelle sur ce territoire !

prévention des usages dangereux du protoxyde d’azote

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 2101, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Antoine Lefèvre. Mon intervention fait suite à une question écrite adressée au ministère des solidarités et de la santé au dernier trimestre 2020 et restée sans réponse depuis.

L’indispensable mission de prévention face aux risques d’intoxication au protoxyde d’azote a trouvé une concrétisation salutaire dans la proposition de loi déposée par notre collègue Valérie Létard et promulguée le 1er juin dernier.

Ce problème de santé publique est particulièrement présent chez les jeunes. C’est pourquoi il avait fait l’objet, au cours des années, de multiples signalements effectués par les professionnels de santé.

La loi du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d’azote inscrit dans le marbre l’interdiction de vente de protoxyde d’azote aux mineurs et pénalise toute incitation à la consommation.

Elle constitue une avancée législative de bon sens, lorsque l’on connaît les effets dévastateurs de ce gaz, destiné à pressuriser les aérosols alimentaires, mais utilisé à des fins récréatives par un très large segment des jeunes âgés de 15 ans à 24 ans pour ses vertus hilarantes.

Dans un rapport du 16 novembre dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) alertait sur les conséquences les plus dramatiques : troubles du rythme cardiaque, risques neurologiques et neuromusculaires, troubles circulatoires, voire, dans les cas les plus sévères, hypoxie et inflammation de la moelle épinière. Autant de raisons qui justifient amplement une réponse prompte et efficace de l’autorité publique.

Or, les deux dispositions réglementaires d’application prévues au sein de la loi du 1er juin 2021 n’ont toujours pas été prises à l’heure actuelle. Il s’agit, en l’espèce, d’un décret simple et d’un arrêté conjoint des ministres de la santé et de l’économie.

Ainsi, compte tenu de l’ampleur et de la gravité du phénomène, pouvez-vous m’indiquer, monsieur le secrétaire d’État, dans quels délais le Gouvernement pourra procéder à la signature de ces deux décrets, pour permettre, enfin, l’entrée en vigueur de ce dispositif ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Permettez-moi tout d’abord de regretter, monsieur le sénateur Lefèvre, que votre question écrite n’ait pas reçu de réponse. Avec vous, je salue le chemin parcouru depuis – c’est heureux –, sur l’initiative de la sénatrice Valérie Létard et de la députée Valérie Six. Ce sujet dépasse néanmoins les frontières du nord de la France et constitue une préoccupation nationale.

Vous l’avez mentionné, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Anses ont publié en novembre dernier une étude et un communiqué de presse communs, confirmant ce que nous savions déjà s’agissant des conséquences sur la santé de ces consommations, mais aussi de l’évolution des usages.

Ainsi, les cas sont toujours en hausse, avec des effets toxiques, en particulier neurologiques, encore souvent méconnus des consommateurs. Il est donc important que nous continuions de parler de cette question et que la presse s’en fasse l’écho. À ce constat, s’ajoute une progression des utilisations régulières et de la pratique chez les mineurs.

Il ne s’agit là que d’une confirmation de données que nous connaissons.

Cela explique que le Gouvernement ait apporté, dès le début, son soutien à la proposition de loi déposée par la sénatrice Valérie Létard.

La loi du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d’azote interdit donc la vente de protoxyde d’azote aux mineurs, quel que soit le conditionnement, dans tous les commerces, les lieux publics et sur internet. Un délit de provocation a été créé. Est désormais puni de 15 000 euros d’amende le fait de provoquer un mineur à faire un usage détourné de ce produit.

L’interdiction ne s’applique pas aux majeurs, sauf dans certains lieux, qui, on le sait, sont propices à cette consommation : bars, discothèques, débits de boissons temporaires et bureaux de tabac. La vente est également prohibée lorsqu’elle se fait dans des quantités qui ne peuvent s’expliquer par son usage traditionnel. Est aussi ciblée la vente de « crackers » ou de ballons dédiés à l’usage détourné du protoxyde d’azote.

Un volet relatif à la prévention vient compléter le texte.

Pour répondre précisément à votre question, des textes d’application sont effectivement attendus. Ils ont donné lieu à une concertation intense entre ministères, mais aussi avec les acteurs externes concernés, notamment les industriels.

Ces textes doivent faire l’objet d’une notification à la Commission européenne, garante du principe de libre circulation des produits. Nous avons tenu, sur ce sujet délicat, à apporter toutes les garanties procédurales pour éviter tout risque de blocage par la Commission.

Je vous indique que cette notification sera faite dans les tout prochains jours, ce qui permettra, ensuite, de promulguer les textes réglementaires.

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.

M. Antoine Lefèvre. Je sais que notre jeunesse est au cœur de vos préoccupations, monsieur le secrétaire d’État, et j’espère effectivement que, d’ici à une semaine, nous pourrons voir ces deux décrets signés.

Ce sont des textes importants. Comme vous le savez, la crise sanitaire et les confinements répétés ont été préjudiciables à notre jeunesse et ont pu, aussi, entraîner des conduites addictives. C’est pourquoi il est urgent de régler définitivement ce problème.

accueil des enfants handicapés français dans les établissements spécialisés en belgique

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, auteur de la question n° 2105, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.

M. Franck Menonville. Ma question porte sur l’accueil des enfants en situation de handicap dans les établissements spécialisés belges.

Monsieur le secrétaire d’État, la fin de la convention de coopération transfrontalière franco-wallonne a été annoncée en décembre dernier. Pour les familles, qui n’ont véritablement pas besoin de cela, cette annonce est tombée comme un couperet, les plaçant ainsi dans un profond désarroi.

Aujourd’hui, 8 500 personnes, dont 1 500 enfants, sont prises en charge de l’autre côté de la frontière. Les causes en sont multiples : manque de capacité d’accueil en France ; proximité géographique, bien sûr, sur notre territoire transfrontalier ; insuffisance de structures adaptées.

Les familles confient donc leurs enfants à des établissements belges, faute d’autre solution et après avoir, il faut le rappeler, essuyé des échecs en France.

Il faut constater l’inadaptation de notre système national, notamment pour l’accompagnement de certains troubles autistiques et de polyhandicaps. De nombreux témoignages me sont parvenus. Il en ressort que les enfants pris en charge dans les établissements belges y sont beaucoup plus épanouis, que leurs progrès sont réels. Leur retour brutal dans un établissement français moins adapté constituerait un véritable traumatisme.

Dans le département de la Meuse, dont je suis l’élu, près de 100 familles sont concernées. La fin du conventionnement entraînera, pour ces familles déjà éprouvées, de lourdes conséquences financières.

Monsieur le secrétaire d’État, la prise en charge éducative de ces enfants handicapés relève de la compétence exclusive de l’État. Ma demande est simple : comptez-vous pérenniser ces conventions, afin de permettre à ces enfants de poursuivre leur scolarité dans un établissement adapté, et ce quel que soit le revenu des parents, et en attendant de promouvoir, par le biais des élus locaux, une offre adaptée et de proximité ? Comment comptez-vous tenir compte du critère géographique sur nos territoires transfrontaliers ?

Les familles, très inquiètes, ont besoin d’être rassurées au plus vite, et tous les élus sont mobilisés à leurs côtés.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Vous évoquez, monsieur le sénateur Menonville, le sujet délicat, qui n’est pas nouveau, des enfants en situation de handicap accompagnés et pris en charge dans des établissements belges.

Vous avez évoqué le conventionnement entre l’agence régionale de santé des Hauts-de-France et les établissements belges accompagnant ces enfants français.

Ces conventions ont été introduites voilà sept ans, à la demande de la France, afin de conforter nos liens avec ces établissements et de s’assurer de la qualité des accompagnements, qui doit être une exigence absolue, de quelque côté de la frontière que l’on se trouve. Ayant démontré une certaine efficacité, elles se déclinent également depuis un an sur le secteur adulte.

Cette démarche a été développée en pleine concertation avec l’homologue wallonne de la secrétaire d’État Sophie Cluzel, la ministre Christie Morreale.

Sauf erreur de ma part, il y a une situation particulière au sein de votre circonscription : celle de l’école Saint-Mard, seul établissement conventionné à dépendre de Wallonie Bruxelles Enseignement, l’équivalent de l’éducation nationale dans cette région.

Cette institution nous a signifié, à la fin du mois d’octobre dernier, son souhait de mettre un terme au conventionnement au 31 décembre 2021.

Sophie Cluzel avait alors saisi l’agence régionale de santé Grand Est, région d’où sont originaires la quasi-totalité des enfants. Il s’agissait de sécuriser les parcours de ces enfants à compter du 1er janvier.

Pour cela, l’agence régionale de santé a mobilisé l’association AEIM-Adapei 54 pour porter les financements à titre dérogatoire, régler les frais directement auprès de l’école Saint-Mard et organiser elle-même les transports. L’objectif était double : assurer la continuité de la scolarité et ne pas induire de reste à charge pour les familles.

En complément, l’AEIM-Adapei 54 a engagé une démarche d’« aller vers », afin de recueillir les souhaits des familles quant à un éventuel retour en France et de proposer, à celles qui le souhaitent, des accompagnements adaptés sur le territoire national.

Bien sûr, aucune solution ne sera pensée sans les familles, et aucune ne leur sera imposée. Si certaines expriment le souhait que la scolarité de leur enfant se poursuive à Saint-Mard, des modalités de financement dérogatoires leur seront proposées.

difficultés des parents aidants des enfants en situation de polyhandicap

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteure de la question n° 2061, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.

Mme Jocelyne Guidez. Je souhaite appeler votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur les difficultés des milliers de parents aidants, qui, contraints de garder à la maison leur enfant en situation de polyhandicap, arrêtent de travailler et assument la prise en charge financière des outils et des aides techniques.

Les enfants concernés ont de nombreux besoins spécifiques, impliquant la mise en place d’aides techniques adaptées : fauteuil roulant ou poussette médicalisée, siège auto, siège pot, siège de douche, coussins et autres accessoires onéreux et, par conséquent, indisponibles à la location.

Malgré la contribution financière de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), qui a le mérite d’exister, les grands appareils ne sont que partiellement pris en charge.

Au problème de financement, s’ajoutent les incompatibilités de codification de la liste des produits et prestations remboursables par l’assurance maladie. Certains appareils ne figurent pas dans cette liste, ce qui réduit fortement le choix des aidants.

Des couches, taxées injustement à 20 %, ne sont pas toujours adaptées à la taille et à l’âge des enfants.

Il est par ailleurs important de faire évoluer les grands appareillages individuels, réalisés sur mesure, vers des produits pratiques, multifonctionnels et accessibles. Les parents aidants sont souvent contraints d’acquérir ce matériel en dehors de l’Europe : il est alors moins coûteux et plus convenable, mais cela les prive de toute possibilité de bénéficier de subventions.

Du fait de problèmes structurels, comme la fuite des professionnels des établissements médico-sociaux spécialisés, les parents attendent parfois depuis des années une place pour leur enfant et sont souvent obligés de renoncer à leur activité professionnelle. Cette situation rend plus difficile le financement des outils et des aides techniques.

Bien que ce ne soit pas là un sujet qui vous concerne, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures ont été mises en place pour améliorer la prise en charge de ces enfants, tout en respectant leur dignité ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. Effectivement, madame la sénatrice Jocelyne Guidez, le sujet évoqué relève du champ de compétences de la secrétaire d’État Sophie Cluzel, et non du mien. Pour autant, vous savez que la question me tient à cœur…

Les difficultés rencontrées par les parents aidants qui doivent garder à la maison leur enfant en situation de polyhandicap, en arrêtant de travailler la plupart du temps et en assumant la prise en charge financière des outils et des aides techniques, sont de deux natures sensiblement différentes, bien qu’étroitement liées. Elles appellent donc, me semble-t-il, deux types de réponse.

Concernant les difficultés d’accès à des établissements médico-sociaux spécialisés, obligeant les parents à renoncer à leur activité professionnelle, c’est une problématique qui, là encore, n’est pas nouvelle et que nous avons bien identifiée.

Dans le cadre du bilan du volet polyhandicap de la stratégie quinquennale de l’évolution de l’offre médico-sociale, Sophie Cluzel a réuni les représentants du secteur au sein du comité de pilotage, le 8 novembre 2021, et leur a indiqué que les travaux étaient poursuivis pour améliorer les réponses aux besoins et attentes des personnes polyhandicapées et de leurs aidants.

Entre 2016 et 2021, quelque 1 738 places ont été installées : 75 % en établissement et 25 % en services d’accompagnement au domicile et, plus largement, dans le milieu ordinaire. Cela représente un effort financier de 138 millions d’euros.

Concernant les difficultés en termes de ressources humaines rencontrées dans les établissements, des réponses multiples sont engagées. Le Premier ministre a annoncé, le 8 novembre 2021, une anticipation du Ségur dans le secteur du handicap.

Au total, environ 500 millions d’euros ont été mobilisés : un engagement massif de l’État à hauteur de 419 millions d’euros en année pleine, dont 49 millions d’euros déjà alloués en 2021, et 114 millions d’euros dans le cadre de la compensation aux départements des revalorisations pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).

Nous avons également lancé une campagne de recrutement d’urgence. En effet, il n’y a pas qu’une question de moyens ; il faut aussi travailler à l’attractivité de ces métiers. À cet égard, une campagne de communication visant à renforcer cette attractivité sera mise en œuvre dans les prochaines semaines.

À cela, s’ajoute la mission confiée à Denis Piveteau pour favoriser l’attractivité des métiers, redonner du sens et promouvoir la prise en compte de la parole des personnes, encore insuffisante, dans les pratiques professionnelles. Une conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social, prévue le 18 février sous l’égide du Premier ministre, aura également vocation à appréhender ces questions. Enfin, un comité interministériel du handicap se tient aujourd’hui même.

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.

Mme Jocelyne Guidez. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de m’avoir répondu sur les difficultés rencontrées dans les différentes institutions accueillant des personnes handicapées.

Je tiens tout de même à insister sur la diminution brutale du financement consacré à l’acquisition des fauteuils roulants – c’est une réalité –, ce qui aura pour conséquence une réduction majeure de l’offre et de la variété des modèles proposés aux usagers, et la construction d’un modèle locatif totalement inadapté aux besoins et non viable sur le plan économique. Là encore, c’est une réalité, dont j’ai reçu plusieurs témoignages : il faut s’attendre à une perte en qualité des fauteuils roulants…

M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, ma chère collègue.

expérimentation de la vidéoverbalisation du trafic des poids lourds

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, auteur de la question n° 2009, adressée à M. le ministre de l’intérieur.

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais, me faisant le porte-parole des élus locaux, vous convaincre – et, à travers vous, convaincre le Gouvernement – d’accepter d’expérimenter une vidéoverbalisation des poids lourds.

Chacun de nous peut constater que, sur le fondement des arrêtés fixant des limitations de tonnage, arrêtés pris par les maires dans le cadre de leurs pouvoirs de police, les centres de nos bourgs et de nos villages ne sont pas toujours facilement accessibles au transport de poids lourds. Sauf que ces dispositions restent lettre morte. Pourquoi ? Parce que, pour pouvoir verbaliser, il faut que les gendarmes puissent intercepter ! Or ils ont bien d’autres missions à assurer et l’interception en cœur de village ou sur des voies étroites n’est pas toujours aisée.

Recourir à la vidéoprotection, aux radars agréés, permettrait de repérer les irrégularités et les sanctionner – donc d’éviter qu’elles ne se reproduisent – sans avoir à procéder par interception.

Nous touchons là un sujet purement réglementaire, relevant d’un décret de 2016. Actuellement, la vidéoverbalisation est utilisable uniquement pour sanctionner les excès de vitesse. L’idée serait de l’expérimenter pour les limitations de tonnage.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. C’est au nom du ministère de l’intérieur que je vous réponds, monsieur le sénateur Bonnecarrère.

Les nuisances subies par les habitants des communes traversées par un trafic important, notamment de véhicules poids lourds, sont réelles. Le maire, qui est en charge de la police de la circulation, se trouve souvent en position d’arbitre d’un conflit d’usage.

Je voudrais donc, en premier lieu, rendre hommage aux élus régulièrement placés dans ces situations complexes et les assurer de la pleine mobilisation de l’État et de ses services.

J’en viens à la réponse sur les deux aspects que vous évoquez : d’une part, les moyens dont disposent les maires pour verbaliser le non-respect des restrictions de circulation qu’ils édictent par arrêtés municipaux ; d’autre part – c’est le cœur de votre question –, la possibilité d’automatiser la constatation de ces infractions et leur traitement.

Il est tout d’abord important de rappeler le fonctionnement du contrôle sanction automatisé : le système mis en place doit pouvoir constater l’infraction de manière certaine et associer cette infraction à un véhicule.

Il est envisagé de recourir à des dispositifs de ce type pour verbaliser le non-respect des limitations de circulation en fonction du poids du véhicule susceptibles d’être imposées par les maires.

C’est l’objet d’une disposition de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, prévoyant l’installation de « dispositifs fixes de contrôle automatisé » afin de faciliter la constatation de ces infractions.

Ces systèmes sont en train d’être mis au point, sous l’autorité du ministre chargé des transports. Ils seront installés prioritairement sur les itinéraires où la surcharge des poids lourds présente des risques pour la sécurité des usagers et pour la préservation des infrastructures. Je ne doute pas que leur installation sur l’initiative des maires pourrait être envisagée dans un second temps.

En attendant, les services de police municipale, de police et de gendarmerie nationales peuvent être mobilisés pour procéder au contrôle du respect des modalités de circulation, que celles-ci soient établies par le code de la route, le représentant de l’État dans le département ou le maire.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.

M. Philippe Bonnecarrère. Je voudrais vraiment inciter le ministère de l’intérieur à accepter cette expérimentation et l’élargissement aux communes de l’accès à ces matériels, lorsqu’ils seront disponibles.

Cela permettra, d’une certaine manière, d’« économiser » les missions des gendarmes.

Cela permettra également de limiter les problèmes de sécurité, en améliorant les traversées de nos communes et en évitant des interceptions qui peuvent s’avérer dangereuses.

Enfin, cela permettra peut-être aussi, pour la beauté de nos villes et de nos villages, ou pour leur bon fonctionnement, de ne pas avoir recours à la méthode actuellement utilisée, c’est-à-dire la réalisation d’aménagements urbains destinés à créer des effets de chicanes venant gêner les trajets. Cette course à l’obstacle n’est pas non plus idéale… D’où l’intérêt de notre proposition, monsieur le secrétaire d’État !

accession en master

M. le président. La parole est à M. Thierry Meignen, auteur de la question n° 2095, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.

M. Thierry Meignen. Chacun sait, monsieur le secrétaire d’État, que notre séance de questions orales n’a pas pour objectif de traiter des cas particuliers. Permettez-moi de faire une entorse à l’usage pour décrire une situation m’ayant profondément interpellé.

Aujourd’hui, je vous emmène dans mon département de la Seine-Saint-Denis, plus précisément sur ma commune du Blanc-Mesnil. Cette ville populaire du « 93 », comme on dit chez nous, comprend une population jeune et dynamique, parmi laquelle se trouvent des lycéens, qui, certes, n’ont pas forcément les mêmes chances de réussite que dans les établissements des Hauts-de-Seine ou de Paris, mais qui mettent les bouchées doubles pour réussir.

C’est le cas de Leslyn, qui, après avoir obtenu son baccalauréat avec une mention très bien, a brillamment validé sa licence en droit à l’université Paris-Descartes. Leslyn est une élève rigoureuse, et c’est donc tout naturellement qu’elle souhaite poursuivre son cursus universitaire et postule dans plusieurs universités afin d’intégrer un master de droit privé ou de droit des entreprises.

Leslyn a postulé à l’université de Paris, on lui a dit non. À l’université de Nanterre, on lui a dit non. À Pau, Bordeaux, Lyon, Nantes… Au total, 15 universités, pour 27 masters, n’ont pas donné suite à sa candidature.

Je vous ai parlé d’un cas particulier… Mais, en réalité, ce sont des centaines d’étudiants qui, comme Leslyn, se retrouvent chaque année freinés dans leur volonté de poursuivre leurs études.

Il est vrai qu’il y a eu certaines avancées. J’en profite pour remercier mon collègue Laurent Lafon, qui avait interpellé le Gouvernement en 2019 au sujet de Parcoursup et fait un certain nombre de préconisations. Il avait notamment proposé d’ouvrir les universités parisiennes aux lycéens d’Île-de-France au-delà des frontières académiques, ce que le Gouvernement avait accepté.

Le rectorat est tenu de proposer trois choix alternatifs à la demande de l’étudiant par le biais du dispositif de saisine, ce qui a été le cas pour Leslyn. Malheureusement, toutes les universités saisies par le rectorat de Paris, y compris certaines en province, ont donné une fin de non-recevoir à la jeune étudiante.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles instructions le Gouvernement compte-t-il donner aux présidents d’université et directeurs académiques pour que nos jeunes ne soient pas confrontés à un tel cas de figure ? Quelles solutions concrètes seriez-vous en mesure d’apporter à cette étudiante et aux nombreux étudiants dans cette situation ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de lenfance et des familles. C’est au nom de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation que je vais répondre à votre question, monsieur le sénateur Meignen. Celle-ci porte sur deux sujets : la procédure d’admission en master et la mobilité territoriale.

Un bref rappel s’agissant du master : voilà cinq ans, le Sénat a adopté, dans la proposition de loi de votre ancien collègue Jean-Léonce Dupont, le principe de la sélection en master, assorti à l’époque, à la suite des échanges avec les partenaires sociaux, d’un dispositif de droit à la poursuite d’études mis en œuvre par les rectorats. Cette procédure a évolué l’année dernière pour fluidifier la mise en œuvre du droit à la poursuite des études, tout en facilitant l’admission en master, notamment pour les étudiants en situation de handicap, sur le modèle de ce qui avait été mis en œuvre pour le premier cycle dans le cadre de Parcoursup.

Ces apports ont d’ailleurs été intégrés dans la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, à l’occasion de son examen par le Sénat, voilà un peu plus d’un an.

Cette procédure ne fonctionne pas de manière satisfaisante. Des travaux et concertations sont donc engagés afin d’établir une plateforme d’affectation plus performante à l’horizon de 2023.

Il s’agit de rapprocher, dans une cible de calendrier partagée, des procédures qui diffèrent actuellement selon les établissements. Cette divergence des calendriers est l’un des principaux éléments contribuant à ralentir les inscriptions en master, au détriment des étudiants, suscitant l’angoisse que l’on peut imaginer.

De nouvelles évolutions réglementaires sont donc à attendre dans les prochaines semaines, une fois les travaux achevés. Elles seront menées dans le respect de l’autonomie et des principes inscrits dans la loi, dite « Dupont », du 23 décembre 2016 portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat.

Le ministère contribue par ailleurs à créer des places supplémentaires chaque année, notamment dans les formations les plus demandées. En 2021, à titre d’exemple, plus de 4 800 places ont été créées, notamment dans les masters de droit – le cursus que Leslyn, l’étudiante que vous preniez en exemple, cherchait à intégrer –, cela de manière à apporter plus de fluidité dans les inscriptions en master.

Sur la question de la mobilité territoriale, l’Île-de-France est désormais une région académique unique, sans frontière interne. Un étudiant du 93, comme Leslyn du Blanc-Mesnil, a donc autant de chance qu’un étudiant d’un autre département de la région de pouvoir s’inscrire dans l’établissement de son choix.

S’agissant du master, le Gouvernement a mis en place une aide à la mobilité, afin d’accompagner les étudiants s’inscrivant dans une université installée dans une académie différente de celle dans laquelle ils ont obtenu leur diplôme de licence.

J’espère, monsieur le sénateur Meignen, que l’ensemble de ces dispositifs permettront d’éviter à de futures Leslyn d’être confrontées aux mêmes difficultés que celles que la Leslyn dont vous nous avez retracé le parcours a dû affronter.

M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

6

Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ?

Débat organisé à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur le thème : « Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe auteur de la demande.

M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis heureux de vous parler cet après-midi d’une plante exceptionnelle, une plante cultivée et utilisée depuis l’Antiquité sur tous les continents, une plante qui permet de nourrir l’homme et le bétail, une plante qui permet de s’habiller, une plante qui permet de se loger grâce à un béton aux propriétés isolantes remarquables, une plante qui permet de faire du papier sans abattre d’arbres, une plante qui permet de produire des bioplastiques solides et compostables, une plante qui permet de produire des cosmétiques en limitant les intrants chimiques, une plante aux vertus thérapeutiques, qui soulage des douleurs que rien d’autre ne soulage, une plante qui apaise, qui aide certains à trouver la quiétude ou le sommeil, une plante qui pousse vite, toute seule, sans intrants chimiques, sans arrosage et, souvent, sans désherbage, une plante qui restructure les sols et favorise la rotation des cultures sur un même terrain, une plante qui stocke le carbone plus que toute autre culture, plus même que la forêt, une plante qui a inspiré les poètes, Baudelaire et Rimbaud pour ne citer qu’eux.

Cette plante extraordinaire devrait être un outil majeur de la transition écologique, et bien plus encore. Pourtant, on n’en cultive que quelques centaines de milliers d’hectares dans le monde, 20 000 en France, leader européen, pour le moment…

Depuis l’Antiquité, le chanvre a pourtant continuellement habillé, nourri, soigné les hommes et recueilli leurs écrits. Il a également permis de confectionner les voiles et les cordes des bateaux qui ont relié tous les continents du XVIe au XVIIIe siècle. Ma commune du Percy conserve dans ses archives une requête de Louis XVI réquisitionnant le chanvre des agriculteurs pour les besoins de la Marine royale.

Mais, depuis le XIXe siècle, cette plante extraordinaire a été vouée aux gémonies, car certaines de ses variétés produisent une fleur aux effets psychotropes bien connus : le cannabis.

La guerre disproportionnée menée contre le cannabis a entraîné l’interdiction presque totale du chanvre. Il faut attendre le développement de variétés de chanvre avec un taux extrêmement faible de 0,2 % de tétrahydrocannabinol (THC), le principe actif psychotrope du cannabis, pour voir sa culture se redévelopper timidement à partir des années 1990. Sa culture, ses débouchés, sa filière professionnelle sont aujourd’hui largement anonymes, et je le déplore.

Au-delà des effets psychotropes de la plante, on commence à découvrir ses autres principes actifs, notamment le cannabidiol (CBD), molécule non psychotrope aux propriétés apaisantes.

N’étant pas un produit stupéfiant, le CBD issu des fleurs du chanvre industriel ne tombe pas sous le coup de la législation européenne. Il commence alors à être utilisé sous forme brute ou dans des préparations d’huiles essentielles, d’aliments, de liquides pour cigarettes électroniques, de cosmétiques.

Un marché se développe partout en Europe. En France, les premiers détaillants ouvrent en 2018, certains étant fermés manu militari par la police. L’affaire fait grand bruit.

Il apparaît que la réglementation française, qui repose sur un arrêté de 1990, est difficilement compréhensible et pour le moins inadaptée. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) tente de la préciser par une circulaire de juin 2011, dont il ressort que, si le CBD est une molécule autorisée, ce qui permet de le produire, à savoir les fleurs et les feuilles, est en revanche interdit.

Cette réglementation ne respecte pas le droit communautaire, comme l’a confirmé la Cour de justice de l’Union européenne en novembre 2020. Le Gouvernement prend alors un nouvel arrêté, qui légalise une bonne fois pour toutes le CBD, cependant que reste interdite la commercialisation de la fleur de chanvre à l’état brut.

Pour illustrer votre réglementation, c’est un peu comme si l’on autorisait la culture de tomates, tout en interdisant la vente de tomates fraîches et en limitant leur utilisation aux industriels pour faire du concentré ! Aberrant !

Notre débat s’inscrit dans l’actualité récente de la suspension partielle par le Conseil d’État de l’arrêté du 30 décembre. Ce feuilleton juridique, qui n’a que trop duré, insécurise les acteurs de la filière – agriculteurs, industriels, laboratoires, détaillants – et nous fait prendre un retard considérable sur nos voisins européens et sur les pays d’Amérique du Nord.

Les prévisions de retombées économiques et en matière d’emploi associées au développement d’une filière de valorisation des produits à haute valeur ajoutée du chanvre sont considérables. En France, on estime qu’un essor rapide du marché pourrait permettre, d’ici à cinq ans, d’atteindre un chiffre d’affaires évalué entre 1,5 et 2,5 milliards d’euros et de créer entre 18 000 et 20 000 emplois directs et indirects. Les recettes sociales et fiscales supplémentaires sont, quant à elles, estimées entre 0,7 et 1,1 milliard d’euros par an.

Il faut dire que la demande explose. On compte aujourd’hui près de 7 millions de consommateurs et près de 2 000 détaillants vendant des produits qui ne sont pas français. Un comble pour le premier producteur européen de chanvre !

Alors, oui, le CBD peut se fumer, et c’est notamment un substitut très utilisé par nombre de personnes qui souhaitent se sevrer du cannabis, voire du tabac. Le Gouvernement justifie ainsi l’interdiction de la fleur sous toutes ses formes brutes, et le ministre nous a expliqué qu’il craignait que les gens ne « fument de la tisane ».

Au risque de plonger M. Véran dans l’angoisse, il doit savoir que beaucoup d’herbes se fument : la marjolaine, la sauge, les feuilles de framboisier, et je doute que leur commercialisation ne soit interdite pour ce motif…

Alors, madame la ministre, le Gouvernement compte-t-il revoir sa copie après ce nouveau camouflet juridique, ou s’obstinera-t-il, pour faire plaisir aux syndicats de policiers ?

Rassurons ces derniers : des tests existent pour mesurer le taux de THC des fleurs de cannabis et déterminer ainsi leur caractère légal. Ils font la taille d’une pièce de monnaie et livrent leur verdict en moins d’une minute. La police suisse les utilise avec succès.

Au-delà de l’imbroglio autour de la fleur, votre arrêté laisse en suspens de nombreuses demandes de clarification émanant notamment des acteurs de la filière. C’est d’autant plus dommageable que l’excellent rapport de nos collègues députés de la majorité présidentielle avait préconisé toutes les solutions nécessaires. Reprenons-les !

S’agissant du volet agricole, allez-vous permettre l’usage de techniques agricoles de base : la sélection variétale, le bouturage ou la capacité à replanter ces graines ?

Allez-vous permettre d’élargir le catalogue des cultivars aux variétés contenant moins de 1 % de THC, comme en Suisse, au Canada et, bientôt, aux États-Unis ou encore en République tchèque ?

Allez-vous permettre l’obtention du label bio pour les produits du chanvre, qui devrait couler de source ?

Allez-vous cartographier la production française, comme vous le demandent tous les acteurs de la filière, afin de faciliter les contrôles ? L’État, notamment via FranceAgriMer, doit pouvoir connaître l’ensemble des plantations de France pour fluidifier le travail avec les forces de l’ordre, mais également planifier le développement de la filière en évitant les effets d’aubaine.

S’agissant de la sécurisation des produits, allez-vous déterminer un seuil maximum de CBD au-delà duquel un produit basculerait sous le régime de la pharmacopée, seuil qui doit naturellement être distinct entre les produits alimentaires et les autres ? Allez-vous permettre enfin l’inscription des produits alimentaires à base de CBD au catalogue des produits régis par le règlement européen Novel Food ?

Allez-vous fixer les normes d’étiquetage et fixer un seuil de résidus de THC dans les produits finis ?

S’agissant de l’extraction, véritable angle mort de l’arrêté, allez-vous préciser les choses ? Tout laboratoire peut-il se lancer ? Avec quel contrôle de l’élimination des résidus du THC ? Ou maintient-on le régime en vigueur des produits stupéfiants, avec demande d’habilitation par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ce qui serait un frein majeur au développement de la filière ?

Le marché français du CBD a besoin d’un cadre réglementaire clair et sécurisé pour se développer et rattraper son retard sur ses voisins européens. Il est encore temps de prendre un arrêté digne de ce nom avant le terme du quinquennat.

Dernière question s’agissant du chanvre industriel : allez-vous enfin fixer un cadre réglementaire clair et stable pour la certification des bétons de chanvre ? Les exigences des cabinets de contrôle changent tous les ans et insécurisent grandement les producteurs.

Madame la ministre, j’aimerais vous parler bien sûr plus longuement de cette filière d’avenir qui peut révolutionner notre agriculture et notre industrie, à condition que les pouvoirs publics lui permettent de se développer en assouplissant et en stabilisant le cadre légal et en appuyant son développement économique. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le chanvre et les produits qui en sont issus constituent un sujet très important pour le Gouvernement, tant dans les domaines industriel et commercial, la France étant le premier producteur européen de chanvre industriel avec six chanvrières, 1 414 producteurs et plus de 16 400 hectares de surface cultivée, que dans le domaine thérapeutique, où des avancées significatives ont vu le jour ces dernières semaines.

La mobilisation du Gouvernement a d’abord permis la mise en œuvre de l’expérimentation relative au cannabis à usage médical, qui ne faisait jusqu’alors pas partie de l’arsenal thérapeutique en France.

Cette expérimentation, qui a démarré le 26 mars 2021, pour une durée de deux ans, est destinée à inclure 3 000 patients dans cinq indications dans les champs de la douleur, de l’oncologie et de l’épilepsie. Elle doit permettre de déterminer le cadre qui pourrait être mis en place pour la création d’un circuit de prescription et de dispensation de tels médicaments en France.

C’est seulement à son issue que nous pourrons nous positionner pour savoir s’il est souhaitable d’introduire ces médicaments pour un usage en droit commun.

L’expérimentation suit aujourd’hui son cours. Au 1er février, 1 281 patients étaient inclus dans les diverses indications prévues dans l’expérimentation, notamment les douleurs neuropathiques et la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques, l’épilepsie ou encore l’oncologie.

Sont impliquées 243 structures de référence hospitalières volontaires, tandis que 1 148 professionnels de santé sont formés et 68 centres régionaux de pharmacovigilance et d’addictovigilance sont mobilisés. Il s’agit donc d’une expérimentation de très grande ampleur et nous serons très attentifs à ses résultats.

S’investir dans la culture en France de cannabis à usage médical fait également partie de cette mobilisation. En modifiant la réglementation pour permettre la culture de plants de cannabis réservés à la fabrication de médicaments, le Gouvernement souhaite ancrer dans les territoires une dynamique de production et s’assurer d’une souveraineté nationale en la matière, comme pour le chanvre industriel.

Les textes autorisant cette culture, qui garantiront la qualité de la production et la sécurité des opérations, seront prochainement publiés afin de permettre aux acteurs de terrain de se positionner.

La question du cannabidiol est également un sujet de préoccupation pour le Gouvernement. Depuis plusieurs années, le marché français a en effet vu émerger la commercialisation de produits dérivés de la plante de chanvre comprenant une teneur significative en cannabidiol et avec des teneurs variables en THC, substance stupéfiante.

En réponse à l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 19 novembre 2020 en raison de l’absence d’une réglementation adaptée à celle-ci en France, le Gouvernement a mis en place un nouveau cadre réglementaire global. Celui-ci vise à permettre le développement sécurisé en France de la filière agricole du chanvre, ainsi que des activités économiques liées à la production d’extraits de chanvre, à la commercialisation de produits qui les intègrent, tout en garantissant la protection des consommateurs et le maintien de la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.

L’interdiction de la vente de sommités fleuries directement au consommateur – déjà en vigueur en Espagne en Italie –, qui figurait dans le nouvel arrêté publié, a fait l’objet de plusieurs référés, et l’ordonnance du Conseil d’État du 24 janvier 2022 en a suspendu l’application. Nous en prenons acte.

Pour autant, le Gouvernement reste attentif à la mise en œuvre d’une réglementation adaptée aux enjeux de santé publique.

Concernant l’usage du cannabis récréatif, je me permets de rappeler qu’il s’agit d’une drogue dont le caractère nocif pour la santé humaine est clairement établi par la littérature scientifique française et internationale. Sa dangerosité est accrue pour les adolescents et les jeunes adultes, car leur cerveau en maturation jusqu’à 25 ans peut être sérieusement affecté par la consommation de ce produit. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

La prévalence de consommation est élevée en France : en 2019, on comptait 5 millions de consommateurs sur l’ensemble de l’année, 1,5 million de consommateurs réguliers, dont 900 000 consommateurs quotidiens.

Face à cet enjeu de santé publique, mais également d’ordre éducatif et lié à l’insertion sociale et professionnelle, nous avons tous le même objectif : réduire les risques (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.) – peut-être pas vous ! – et prévenir le plus tôt possible l’entrée dans l’usage, car nous assumons vouloir que ce produit soit moins consommé en France et que son image soit débanalisée.

Il s’agit également de lutter contre les trafics en s’attaquant aux réseaux criminels qui se cachent derrière le petit trafic…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour quelle efficacité ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. C’est un enjeu à part entière qui est indissociable de la politique de prévention.

Le Gouvernement s’est saisi de ce sujet. Il nous faut agir sur l’offre et sur la demande, dans un même effort. Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 comporte des mesures fortes en ce sens.

Le Gouvernement fait le choix, ferme et constant, de la prévention des usages, de la restauration de la crédibilité de l’interdit pénal protecteur et de la lutte contre les trafics.

Notre objectif, c’est la prévention, c’est-à-dire empêcher l’installation d’une personne dans des usages répétés et problématiques, mais également repérer précocement ces usages pour les orienter efficacement vers une prise en charge adaptée.

Le plan national Priorité prévention et le plan de mobilisation contre les addictions portent des actions en ce sens…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas le sujet !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Vous permettez ?…

Pour soutenir cette priorité donnée à la prévention, la France s’est dotée d’un outil puissant pour financer la prévention des addictions. Le fonds de lutte contre le tabac a évolué en 2019 vers le fonds de lutte contre les addictions, doté d’un budget annuel de près de 120 millions d’euros.

Ces actions de prévention passent en priorité par l’école, par les universités, par les acteurs en proximité des jeunes. Une stratégie de déploiement à grande échelle des programmes de renforcement des compétences psychosociales est en cours d’élaboration, en lien avec le ministère de l’éducation nationale. Ces programmes, évalués, permettent d’obtenir des résultats majeurs sur les consommations, le climat scolaire, la réussite éducative des élèves.

Vous l’avez vu, nous avons aussi au second trimestre de 2021 engagé une grande campagne de communication en trois volets pour informer sur les risques. Nous sensibilisons les professionnels de santé de première ligne pour qu’ils apportent des réponses efficaces à leurs patients.

Ainsi, il nous faut mieux connaître les dispositifs d’aide mis à disposition des jeunes, de leur entourage et du public en général pour toute question ou difficulté liée à la consommation de produits ou de drogues.

Ce débat me permet de le rappeler.

Par ailleurs, même si j’y répondrai certainement au cours de celui-ci, vous m’avez posé de nombreuses questions.

S’agissant de la sécurisation des produits, l’inscription de ceux d’entre eux qui sont régis par le règlement européen Novel Food requiert au préalable une évaluation et une autorisation par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Elle est en cours.

Sur les normes d’étiquetage, notamment les précautions d’emploi, elles sont en cours de définition au niveau européen. Une teneur devrait être fixée dans le cadre de la réglementation, mais elle n’est pas encore arrêtée. Elle s’appuiera sur les données scientifiques disponibles et, en outre, l’inscription comme aliment autorisé sera accompagnée de spécifications applicables en matière d’extraction, précisant notamment les critères de pureté.

Enfin, la Commission européenne a confirmé l’impossibilité de commercialiser sous label bio les produits enrichis en CBD tant que l’autorisation préalable comme aliment n’est pas entérinée.

Ces questions me semblaient précises et spécifiques ; aussi, je souhaitais y répondre avant l’ouverture du débat.

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Alain Duffourg. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Alain Duffourg. Madame la ministre, vous avez rappelé le rôle du chanvre et l’utilisation qui peut en être faite. Ce produit existe depuis des millénaires et est cultivé pour des usages agricoles, thérapeutiques et alimentaires, sans visée stupéfiante.

Aujourd’hui, en Midi-Pyrénées, notamment dans le Gers, département que je représente, le chanvre apparaît comme une culture alternative. Les producteurs ont trouvé des débouchés novateurs : huile, graines, farine, pâte à tartiner. Il s’agit là d’un superaliment qui intéresse à la fois les restaurateurs et les commerçants.

Or se pose un problème de réglementation, laquelle est, à ce jour, assez confuse, me semble-t-il : autorisée par l’Europe, la commercialisation a été suspendue par un arrêté du 30 décembre 2021, lequel a été invalidé par le Conseil d’État le 24 janvier 2022. La Cour de cassation, quant à elle, a légalisé la commercialisation de ce produit.

Madame la ministre, même si vous y avez déjà répondu partiellement, je voudrais connaître les dispositions que vous entendez prendre pour la culture et la commercialisation du chanvre à titre alimentaire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Alain Duffourg, vous m’interrogez sur l’emploi alimentaire des produits issus du chanvre. D’ores et déjà, certains produits alimentaires à base de graines issues de certaines variétés de chanvre peuvent être mis sur le marché s’ils ne dépassent pas un seuil de concentration en THC.

Je pense en particulier aux variétés de cannabis sativa L. qui sont inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés cultivées en France.

Il peut s’agir de graines de chanvre, mais également de leurs dérivés : huile de graines de chanvre, farine de graines de chanvre. Les extraits de chanvre contenant des cannabinoïdes n’ayant pas d’historique de consommation avant 1997 sont considérés comme de nouveaux aliments ou ingrédients. À ce titre, ils doivent faire l’objet, préalablement à leur mise sur le marché à des fins d’alimentation de la population, d’un examen par l’Autorité européenne de sécurité des aliments pour garantir l’absence de risques liés à leur consommation.

Il en est de même pour le cannabidiol purifié, ou CBD, qu’il soit extrait de la plante ou qu’il soit synthétisé chimiquement en laboratoire ou dans l’une des industries en cours de développement très rapide dans notre pays.

Dès que l’Autorité européenne de la sécurité des aliments aura finalisé son analyse scientifique, des conditions précises permettant la mise sur le marché de ces produits pourront être fixées. C’est une piste de développement que nous étudions avec sérieux, mais, comme toujours, nous tenons à nous assurer que le développement de cette industrie dans le champ de l’alimentation, qui ouvre bien des perspectives, ne se fera en aucun cas au détriment de la santé des Français. C’est une priorité absolue.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vive le chanvre ! Car, oui, le chanvre est une chance pour notre économie. Bien trop souvent associées à celle du cannabis, ses propriétés, ainsi que celles du CDB, sont en réalité très intéressantes à plusieurs égards.

Madame la ministre, l’arrêté du 30 décembre dernier interdisant la vente de fleurs et des feuilles de CBD est encore une fois un exemple flagrant de cet amalgame entre chanvre et cannabis : il est démontré qu’un faible taux de THC ne présente aucun risque pour la santé.

C’est pour cette raison que je salue la récente décision du Conseil d’État et en appelle à la prise en compte et à la valorisation de la filière du chanvre en France.

Cette filière a été abandonnée depuis les années 1990, alors que sa culture est bénéfique tant pour l’écologie que pour notre économie. En effet, le chanvre possède des vertus écologiques uniques, sa croissance ne nécessite pas d’eau et sa culture est considérée comme une excellente tête d’assolement.

Il permet également de créer des tissus, comme ceux qu’utilise la famille Tuffery, qui produit en Occitanie – en Lozère, précisément – des jeans 100 % made in France de grande qualité.

Après avoir été à la base des cordages de la marine à voile, il sert aujourd’hui à produire du papier, des isolants thermiques, des compléments alimentaires, de l’huile, et j’en passe.

Relancer la filière du chanvre pour en faire une culture d’avenir permettra à la France d’asseoir sa place de leader européen – elle représente déjà 40 % de la production. Cela participerait ainsi à la réindustrialisation du pays.

Aussi, madame la ministre, pourquoi vouloir entraver le développement de la filière du chanvre et la mettre en péril, alors qu’elle constitue une culture d’avenir tant pour l’écologie que pour notre dynamisme économique ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Christian Bilhac, vous m’interrogez sur la revalorisation et le développement de la filière textile dépendant du chanvre.

Les occasions à saisir aujourd’hui pour la relocalisation de la filière textile de fibres naturelles en France sont nombreuses. Le chanvre, en particulier, est une matière locale sur laquelle la France est très bien positionnée comme premier producteur européen et troisième producteur mondial.

La demande est forte et le chanvre peut constituer une solution de rechange au coton avec un bilan écologique très appréciable, puisque sa culture ne nécessite ni irrigation ni pesticides, de même qu’elle régénère les sols.

La filière textile du chanvre a pu être encouragée et confortée par l’appel à projets « résilience » de France Relance, qui a retenu, au titre des secteurs stratégiques, les textiles biosourcés issus de la production française de fibres naturelles. Ainsi, 9 millions d’euros d’aides sont investis sur le territoire national pour les différents maillons : le teillage, le peignage, la filature, le tricotage, la confection, l’équipement en machines.

Des débouchés ont été présentés aux industriels dans le cadre de Paris 2024 pour une forte présence du chanvre aux jeux Olympiques : textiles, drapeaux, bâtiments.

Certaines étapes de la chaîne de valeur du chanvre textile demeurent fragiles. Ainsi, l’étape du teillage-défibrage n’est pas optimisée, tandis que le peignage est résiduel en France – sa réimplantation est stratégique. De même, le tissage-tricotage est, de manière générale, trop peu présent dans notre pays. La confection est également une opération qui, pour l’essentiel, a été délocalisée.

Nous voulons consolider ces différents maillons et mener un travail de structuration de la filière. À cette fin, nous avons mis en place un groupe de travail dédié au lin et au chanvre textile avec les ministères de l’économie, de l’agriculture et de la transition écologique, l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique) et FranceAgriMer.

Nous travaillons donc activement sur différents axes stratégiques, tels que le soutien aux projets industriels, l’aide aux efforts de recherche et développement ou la formation, essentielle au renforcement de notre filière chanvre textile.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac, pour la réplique.

M. Christian Bilhac. Nous sommes d’accord, madame la ministre : vive le chanvre ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, avec 1 500 producteurs et 17 000 hectares, la France est le premier producteur européen de chanvre. En 2019, sa balance commerciale, en y incluant ses dérivés, était positive. Votre gouvernement affirme être résolu à soutenir cette filière, structurée depuis 1932. L’arrêté du 30 décembre, suspendu par le Conseil d’État, donne pourtant un coup d’arrêt.

Notre pays déplore le déficit de sa balance commerciale et, quand celle-ci dispose d’une dynamique positive, il semble que vous la mettiez en difficulté.

D’autres pays saisissent cette chance de développement. Lorsque les États-Unis ont décidé de soutenir la filière, ils sont passés de 9 000 à 33 000 hectares en un an. Avant de vouloir recréer des filières productives sur notre territoire, soutenons celles qui fonctionnent !

La position de la France, si elle reste figée, reviendrait à favoriser les pays voisins. Nous serions alors confrontés à des importations légales très importantes déstabilisant notre production.

Avec de multiples débouchés – bâtiment, papier, aliments, textile, produits médicaux –, cette culture est une réelle aubaine en termes d’agroécologie et nécessite très peu d’intrants. C’est un réservoir à biodiversité ne nécessitant pas d’irrigation et absorbant autant de CO2 que la forêt.

De plus, les produits qui en sont issus permettraient de réduire notre empreinte carbone. Ils sont compostables et recyclables en fin de vie.

Or, aujourd’hui, votre gouvernement entretient l’ambiguïté : il entend soutenir la filière et, en même temps, stopper son essor. Madame la ministre, comment comptez-vous clarifier votre stratégie ? (M. Yan Chantrel applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Gilbert-Luc Devinaz, comme je viens de l’indiquer, le Gouvernement est attaché au développement de la filière du chanvre, élément important de l’agriculture française.

C’est une filière jeune, dont la structuration nécessite d’être renforcée. La culture du chanvre à teneur en THC inférieure au seuil réglementaire est donc soutenue spécifiquement à plusieurs titres, dans le cadre du plan stratégique national de la future politique agricole commune (PAC).

L’aide couplée est maintenue pour cette culture, dont les surfaces stagnent malgré un fort potentiel de développement à usage industriel, pour la bioéconomie. Le revenu des producteurs dépend en effet de la valorisation de l’ensemble de la plante : aussi repose-t-il sur un équilibre fragile. Le besoin de l’industrie en matières premières s’accroît et les surfaces sont insuffisantes pour couvrir ce potentiel innovant, qui offre des perspectives dans une économie décarbonée.

Le versement de l’aide couplée est subordonné à l’existence d’un contrat de culture avec une entreprise de transformation ou une entreprise de semences certifiées pour soutenir l’organisation de la filière du chanvre textile. L’enveloppe d’aide couplée consacrée à cette culture s’élève à 1,6 million d’euros par an.

Au regard des caractéristiques de la plante, la culture du chanvre est également valorisée dans le cadre d’interventions à vocation environnementale du plan stratégique national.

Par ailleurs, un certain nombre de mesures agroenvironnementales et climatiques, visant notamment à améliorer la qualité de l’eau en système de grande culture, requièrent un pourcentage minimal de surfaces engagées en cultures à bas niveau d’impact. Le chanvre en fait partie.

La filière dispose aussi de la possibilité d’émarger à un certain nombre de dispositifs de soutien, comme le plan de structuration des filières agricoles et agroalimentaires. Ce dernier vise à soutenir des projets structurants ou innovants dans le cadre des démarches collectives ayant pour objet de dégager de la valeur pour l’amont et l’aval, ou dans le cadre de l’appel à projets « Industrialisation de produits et systèmes constructifs bois et autres matériaux biosourcés » du programme d’investissements d’avenir (PIA), lequel est explicitement ouvert aux produits à base de chanvre.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour la réplique.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Madame la ministre, vous avez vous-même introduit une certaine ambiguïté dans votre propos introductif en évoquant la consommation récréative du chanvre. Selon moi, la solution est d’organiser un grand débat national sur le sujet. Il me semble que la population française y est prête. (Mme la ministre déléguée opine.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.

M. Dominique Théophile. Madame la ministre, le Conseil d’État a décidé il y a quelques jours d’autoriser à nouveau la vente de produits dérivés du CBD, ou chanvre « bien-être ».

Vous le savez, malgré l’insécurité juridique de ce marché, le nombre de consommateurs et de boutiques spécialisées n’a cessé de croître ces dernières années. On comptait 400 boutiques spécialisées il y a un an ; il y en aurait quatre fois plus aujourd’hui.

Dans un rapport publié en juin dernier, l’Assemblée nationale notait que le CBD apparaissait comme un moyen de lutter contre la consommation de produits stupéfiants. Ses propriétés relaxantes et une absence de toxicité annoncée semblent un atout pour les structures médico-légales chargées de l’accompagnement des personnes souffrant d’addictions. Les témoignages en ce sens ont fleuri dans la presse ces dernières semaines, à la suite de la publication de l’arrêté interdisant la vente de fleurs contenant du cannabidiol.

En effet, nombre de consommateurs de CBD ont affirmé avoir réduit, voire arrêté, l’usage du cannabis. L’industrie du CBD en a d’ailleurs fait un argument de marketing : en témoigne une récente enquête de l’IFOP sur la place du cannabis dans la vie quotidienne des jeunes.

Le ministre de la santé a souligné à plusieurs reprises, y compris dans cet hémicycle, les risques que l’inhalation de fumées issues de la combustion de fleurs et de feuilles contenant du CBD représente pour la santé. Il a également relevé que peu de données scientifiques corroborent les bienfaits thérapeutiques du CBD.

En matière de santé publique, cet effet de substitution semblerait pourtant avoir des effets bénéfiques à condition bien sûr que sa consommation s’accompagne d’une baisse de l’usage de produits stupéfiants.

Ma question est donc la suivante : disposez-vous de données qui vont dans le sens de ce constat ? Les pays européens qui autorisent depuis plusieurs années la vente de produits dérivés du CBD peuvent-ils nous servir d’exemples en la matière ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Dominique Théophile, je vous remercie de cette question, qui me permet de préciser certains points relatifs à la dimension sanitaire de ce débat, notamment pour le cannabis à usage médical – je dis bien médical et non thérapeutique, par souci de précision.

Les effets du cannabis et de ses molécules sont étudiés pour le traitement ou l’accompagnement de plusieurs pathologies, comme certaines épilepsies sévères ou résistantes aux traitements, des douleurs réfractaires aux médicaments disponibles, des soins palliatifs ou encore des douleurs spastiques liées à la sclérose en plaques.

Ses propriétés orexigènes – autrement dit activatrices de l’appétit – semblent également utiles pour réduire les effets secondaires de certains traitements médicamenteux, par exemple les traitements contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les chimiothérapies.

Je l’ai déjà indiqué : l’expérimentation relative au cannabis médical, engagée le 26 mars 2021 pour une durée de deux ans, est destinée à inclure 3 000 patients relevant de cinq indications dans les champs de la douleur, de l’oncologie et de l’épilepsie.

En 2014, un premier médicament contenant du CBD associé à du THC – le Sativex – a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement de symptômes liés à une spasticité modérée à sévère due à une sclérose en plaques. Ce médicament n’est pas commercialisé en France.

En 2019, un autre médicament contenant seulement du CBD – l’Épidiolex – a obtenu une autorisation de mise sur le marché. Il est indiqué pour des formes sévères d’épilepsie de l’enfant, réfractaires aux antiépileptiques.

Par ailleurs, des équipes de médecins de l’hôpital Necker commencent à prescrire des médicaments à base de CBD pour prendre en charge certaines maladies plus ou moins rares de l’enfant et de l’adulte.

En revanche, nous ne disposons à ce jour d’aucun élément quant à la place du CBD dans l’arrêt de la consommation de cannabis. L’ensemble de ces initiatives, travaux et expérimentations vont nous permettre de mieux identifier les enjeux thérapeutiques associés à l’utilisation du cannabis.

Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Le 12 janvier dernier, lors de notre séance de questions d’actualité au Gouvernement, j’interrogeais la ministre déléguée chargée de l’industrie sur l’avenir de notre filière du CBD, à la suite de la publication du fameux arrêté du 30 décembre 2021.

Cet arrêté a alors été qualifié de « chance » pour la filière. On le constate effectivement pour les grands chanvriers, notamment dans mon département de l’Aube.

Madame la ministre, le développement de la filière a des atouts, que vous avez vous-même rappelés. Notre pays est le premier producteur européen de chanvre.

En revanche, pour ce qui concerne la vente des fleurs et feuilles brutes, la réponse apportée m’a beaucoup moins convaincue, malgré l’invocation d’arguments relevant de la santé publique – enjeu qui, évidemment, nous préoccupe tous ici.

C’est sans grande surprise que j’ai découvert la décision du Conseil d’État suspendant cette mesure d’interdiction générale et absolue en raison de son caractère disproportionné.

En posant ma question d’actualité, j’ai insisté sur le fait que d’autres moyens existaient pour réguler ce secteur. Je le répète : il faut une réglementation doublement équilibrée, d’une part entre la production et la consommation, de l’autre entre les différents acteurs de la chaîne de valeur.

Quid d’un nivellement par le haut des exigences de contrôle de qualité, à l’image de celui opéré par les producteurs de chanvre ? Pouvons-nous envisager la délivrance d’une licence de production ?

Le Conseil d’État doit encore statuer sur le volet contentieux de cette affaire. Ce travail pourrait prendre plusieurs mois et, en attendant, certaines dispositions de l’arrêté resteront suspendues, laissant planer le flou quant à l’avenir du CBD et de la filière.

Madame la ministre, comptez-vous attendre la décision du Conseil d’État pour retoucher cet arrêté ou bien seriez-vous ouverte à l’idée d’apporter des corrections d’ici-là ? Si vous optez pour cette seconde voie, qui est celle de la sagesse, pouvez-vous nous préciser dans quel sens ces rectifications seraient opérées et si vous avez identifié des mécanismes alliant réglementation protectrice du consommateur et développement d’une filière française du CBD, forte et propre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice, nous visons le même objectif : assurer un équilibre entre la sécurité sanitaire et les perspectives de développement d’une industrie dont nous pouvons être fiers.

La France est le premier producteur européen de chanvre industriel et cette filière est d’ores et déjà solide. Je puis vous le garantir, le Gouvernement est fermement résolu à consolider le cadre juridique et la réglementation pour le renforcement de cette industrie dans le respect de toutes les conditions de sécurité, qu’il s’agisse de la production du chanvre ou de sa consommation par les usagers.

Pour autant – sur ce point, je tiens à être parfaitement claire –, nous ne souhaitons pas pour l’heure étendre cette dérogation à la commercialisation de fleurs ou de feuilles brutes auprès du consommateur, et pour cause : la commercialisation de fleurs, même à teneur de THC inférieure à 0,3 %, présente des risques sanitaires élevés.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Le taux de la fleur demeure difficilement maîtrisable ou contrôlable, sauf pour des extraits dont on peut ôter le THC via des traitements industriels.

Enfin, les forces de l’ordre, évoquées dans une précédente question, doivent conserver leurs capacités opérationnelles. Elles doivent être en mesure de distinguer rapidement et facilement les produits dont il s’agit, pour déterminer s’ils relèvent ou non de la politique pénale de lutte anti-stupéfiants. (M. Guillaume Gontard sexclame.) Le cadre se précise et s’affine, mais nous devons encore nous efforcer de trouver le meilleur équilibre possible, au plus vite, en l’état de nos connaissances scientifiques, sanitaires et industrielles comme au regard des impératifs de sécurité.

Voilà où nous en sommes. Au sujet de la délivrance d’une éventuelle licence de production, nous ne pouvons vous en dire plus à ce jour, car nous devons consolider les données scientifiques dont nous disposons.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Serge Babary. Madame la ministre, depuis de nombreux mois les ouvertures de commerces spécialisés dans la vente de CBD, et même de fleurs ou de feuilles brutes de chanvre, se multiplient. Premier producteur de chanvre en Europe, la France assiste peu à peu à l’émergence d’une véritable filière nationale du CBD.

Malheureusement, cette filière reste dans l’incertitude quant à la légalité de son activité.

Le code de la santé publique interdit l’usage et la commercialisation du cannabis, mais prévoit que peuvent être autorisées les variétés dépourvues de propriétés stupéfiantes.

Fin 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que le CBD n’était pas un produit stupéfiant.

Cet été, la Cour de cassation a confirmé que la commercialisation de produits à base de CBD n’était pas par principe interdite ; elle a jugé licite la vente de fleurs de chanvre légalement produites dans un autre État membre de l’Union européenne.

Depuis, l’arrêté ministériel du 30 décembre 2021 a fixé à 0,2 % de THC le seuil en deçà duquel les variétés de cannabis sont dépourvues de propriétés stupéfiantes et peuvent donc être librement commercialisées. Il a également interdit la commercialisation des fleurs et feuilles de chanvre, quel que soit le seuil de THC.

Cette dernière interdiction vient d’être suspendue par le Conseil d’État. Bientôt, le Conseil constitutionnel se prononcera sur la constitutionnalité des dispositions du code de la santé publique fixant ce cadre légal.

Ainsi, un an après l’arrêt de la CJUE, l’insécurité juridique et économique perdure, si bien que les entrepreneurs et les consommateurs sont perdus.

Madame la ministre, quand allez-vous définir une politique publique, un cadre légal adapté, et mettre en place les mesures de contrôle qui s’imposent ?

M. Laurent Burgoa. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Serge Babary, à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire dite « Kanavape », l’un des principaux objectifs de l’arrêté de 2021 est justement de sécuriser le développement des activités économiques autour du chanvre.

Tout d’abord, il s’agit de favoriser le développement de la filière agricole du chanvre en autorisant à certaines conditions la culture et la valorisation de la plante entière. Jusqu’à présent, seules les fibres et les graines pouvaient être valorisées. Grâce à ce nouvel arrêté, les variétés de plantes autorisées sont désormais inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France. En outre, la teneur maximale en THC de la plante est relevée de 0,2 % à 0,3 %, en cohérence avec les règles de la politique agricole commune qui entreront en vigueur le 1er janvier 2023.

Ensuite, il s’agit de sécuriser les activités économiques liées à la production d’extraits du chanvre et à la commercialisation des produits les contenant. Adopté après concertation avec les acteurs économiques, le nouvel arrêté complète la réglementation applicable aux différents types de produits mis sur le marché.

Enfin, il s’agit bien sûr de préserver la filière française traditionnelle du chanvre à usage industriel, dont l’excellence est reconnue.

Les informations communiquées par les autorités à l’occasion de la publication de l’arrêté, notamment le flyer intitulé « L’Indispensable sur… le cannabidiol (CBD) », visent à clarifier, pour les opérateurs économiques et pour les consommateurs, les règles applicables aux différentes catégories de produits finis.

Le Gouvernement juge toutefois impératif de concilier cet objectif de sécurisation des activités économiques développées autour du chanvre et deux autres objectifs prioritaires : premièrement, garantir un haut niveau de protection de la santé des consommateurs ; deuxièmement, préserver la politique ambitieuse de lutte contre les trafics de stupéfiants. (Mme Marie-Noëlle Lienemann sexclame.)

Le Gouvernement attend le jugement que le Conseil d’État doit rendre sur le fond dans les prochaines semaines : à ce titre, il se prononcera sur la légalité de l’arrêté du 30 décembre 2021.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.

M. Serge Babary. Madame la ministre, à l’origine, mon sujet de préoccupation, c’était la situation de ces 2 000 commerces spécialisés et de leurs clients. Mais, évidemment, il faut s’intéresser à l’ensemble de la filière : producteurs, transformateurs et vendeurs. Comme tous les acteurs économiques, ces professionnels ont besoin d’un cadre légal stable, durable et compréhensible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Mes chers collègues, à l’évidence, nous tournons en rond : si nous posons tous la même question, c’est parce que nous ne comprenons pas la réponse du Gouvernement.

Madame la ministre, vous nous rappelez les objectifs de l’arrêté du 30 décembre 2021 ; mais le Conseil d’État l’a remis en cause. Que répondez-vous ?

Vous nous dites attendre que le Conseil d’État juge au fond, mais son ordonnance est claire à plus d’un titre : les dispositions que vous avez proposées sont une atteinte à la liberté d’entreprendre. Certes, nous n’en sommes pas systématiquement les fervents défenseurs… (M. Serge Babary le confirme.) En revanche, c’est bien votre cas !

Bref, expliquez-nous : qu’allez-vous faire si le Conseil d’État confirme sa position ? Cette filière va-t-elle enfin pouvoir s’organiser ?

J’avais moi aussi une question toute rédigée, mais c’était exactement la même que celle de M. Serge Babary et des précédents orateurs. Je le répète, question après question, vous nous apportez la même réponse, mais nous ne comprenons pas ce que le Gouvernement va faire.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Sophie Taillé-Polian, je suis navrée, mais je vais persister dans ma réponse : nous attendons la décision au fond du Conseil d’État.

Effectivement, on peut avoir le sentiment de tourner en rond. Vous avez choisi d’organiser un débat sur des questions que l’on ne peut pas encore trancher : je n’y peux rien. Je suis donc obligée de vous répéter la même chose.

Cela étant, je m’efforce d’être aussi précise que possible à l’instant t. Je vous le confirme : le Gouvernement prend acte de l’ordonnance du Conseil d’État du 24 janvier 2022, qui suspend en référé l’exécution d’une disposition de l’arrêté du 30 décembre 2021 visant à restreindre l’utilisation de la plante entière à la production d’extraits de chanvre et interdisant de ce fait la commercialisation de fleurs et de feuilles brutes.

Bien sûr, le Gouvernement prendra des décisions en temps voulu ; mais, à l’heure où nous parlons, je ne peux pas vous dire dans quel sens. En quelle qualité le ferais-je ?

Mme Sophie Taillé-Polian. Mais en qualité de ministre !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Nous ne pouvons pas le faire : c’est sur la base de la décision du Conseil d’État que nous devrons nous prononcer.

Si je ne m’abuse, vous nous opposez souvent les avis du Conseil d’État : il serait aberrant de nous demander de ne pas tenir compte d’une de ses décisions. En attendant que cette juridiction se prononce sur le fond, le Gouvernement réaffirme sa volonté : mettre en place le cadre réglementaire que nous attendons tous pour permettre le développement sécurisé de nouvelles activités économiques liées au chanvre – nous vous avons dit tout le bien que nous en pensons –, en garantissant un haut niveau de protection des consommateurs et en préservant une politique ambitieuse de lutte contre les trafics. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

Telle est, à ce jour, la réponse que je peux vous donner ; à mon sens, ces éléments ont toute leur importance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.

Mme Sophie Taillé-Polian. Madame Bourguignon, c’est en tant que ministre que je vous demande de me répondre.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Certes !

Mme Sophie Taillé-Polian. Vous n’avez pas déjà signé de nouvelles dispositions : je l’entends.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Et voilà !

Mme Sophie Taillé-Polian. Néanmoins, il serait intéressant que vous indiquiez à la représentation nationale les différents scenarii sur lesquels vous travaillez. Vous le dites vous-même, c’est la filière tout entière qui attend. En réalité vous temporisez, au motif qu’il ne serait pas tout à fait bienvenu de parler du chanvre en période électorale…

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Il s’agit de la filière, madame la sénatrice !

Mme Sophie Taillé-Polian. Aujourd’hui, votre cécité ne fait qu’aggraver les difficultés de cette filière économique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la ministre, sur ce sujet, vous entretenez la confusion. Nous ne parlons pas de la légalisation du cannabis, voire du cannabis thérapeutique ou médical. Nous avons déjà eu ce débat. D’ailleurs, nous vous l’avions fait remarquer à cette occasion : vous ne prenez aucune disposition pour que la France produise et utilise ce fameux cannabis, même à titre expérimental.

Quoi qu’il en soit, la question n’est pas là. Le sujet d’aujourd’hui, c’est la filière du CBD ; et vous voulez l’éluder, en entretenant une confusion qui trahit votre aveuglement idéologique.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Ah !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous voulez faire croire aux Français que vous êtes extrêmement stricts dans la lutte contre les drogues, avec une efficacité dont tous nos concitoyens ont pu mesurer l’ampleur : en ce sens, vous prenez des dispositions antiéconomiques, qui ne sont en aucun cas fondées sur des considérations d’ordre sanitaire.

Pourquoi interdisez-vous la vente des fleurs ? En réponse à cette question, le seul argument donné par M. Darmanin a été : parce qu’on peut les fumer et que ce qui se fume est forcément mauvais. Eh bien, commençons par nous occuper du tabac, ainsi que des fleurs de camomille, qui, fumées, sont également très nocives. (Mme la ministre déléguée lève les yeux au ciel.) La part des fleurs de cannabis fumées est tout à fait dérisoire ; ce dont nous avons besoin à ce titre, c’est d’abord de politiques de prévention.

Vous nous opposez un second argument : les policiers ne seraient pas à même de déterminer si le taux de THC est réglementaire ou non. Eh bien, voilà la priorité. M. Gontard nous a expliqué qu’en Suisse la police était équipée de kits permettant de mesurer ce taux. (M. Daniel Salmon le confirme.) Donnons-nous les moyens de réaliser ces tests afin de bien réguler la filière du CBD.

C’est d’ailleurs une autre de mes questions : votre arrêté prévoyait d’encadrer l’analyse des produits. Comment mettre en place une stratégie d’analyse fiable des produits proposés à la vente, quelle que soit leur nature, notamment par comparaison avec les psychotropes ?

De plus – M. Babary a raison –, il faut fixer un cadre légal clair pour consolider la filière. Pour l’heure, nous restons en plein brouillard et personne n’y comprend rien.

Mme la présidente. Ma chère collègue, vous avez largement dépassé votre temps de parole.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Enfin, il ne faut pas oublier l’encadrement de l’extraction !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, je puis vous rassurer : sur ce sujet, je ne suis prisonnière d’aucune idéologie, absolument aucune…

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Je vous rapporte des faits ; je vous fais part des incertitudes qui demeurent ; je vous rappelle ce que l’on sait, en revanche, des aspects nocifs des produits que vous évoquez.

Les connaissances scientifiques nous en apportent la preuve chaque jour : le CBD n’est pas une substance inerte d’un point de vue pharmacologique. Certes, il n’agit pas ou n’agit que très peu sur les récepteurs cannabinoïdes, ceux où se fixe le THC ; mais il agit au niveau du cerveau,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas ce que dit l’OMS !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. … notamment sur les récepteurs de la dopamine et de la sérotonine.

En ce sens, le CBD est un produit psychoactif à part entière. Sa consommation peut donc avoir des effets psychoactifs de sédation et de somnolence. (M. Guillaume Gontard proteste.)

Chez l’homme, des interactions entre le CBD et des médicaments comme les antiépileptiques, les anticoagulants, les immunosuppresseurs ou la méthadone ont été mises au jour : c’est un constat scientifique, je n’y peux rien.

Les essais cliniques ayant conduit à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché pour un médicament à base de CBD ont révélé une hépatotoxicité des interactions médicamenteuses…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est autre chose.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. … qui figure bien dans la notice officielle du médicament.

Le Gouvernement a souhaité encadrer la demande croissante de mises à disposition de produits de consommation contenant du CBD par l’arrêté du 30 décembre 2021. La mise sur le marché de produits alimentaires contenant du CBD n’est pas autorisée à ce jour : en effet, nous ne disposons pas de l’autorisation européenne pour cet ingrédient, qui, au sens de la réglementation, relève des novel foods, ou nouveaux ingrédients alimentaires.

Vous connaissez bien le droit communautaire : encourager la fabrication de telles marchandises, ce serait aller contre une réglementation européenne en vigueur. Autoriser la vente de fleurs directement aux consommateurs reviendrait notamment à permettre leur utilisation sous forme de plantes à fumer, ce qui est contraire à toute la politique de lutte contre le tabagisme déployée par le Gouvernement.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Eh bien, interdisez le tabac !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. L’arrêté ouvrant davantage le secteur de la culture du chanvre permet également de préserver la santé publique.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Pierre Louault. Mes chers collègues, décidément, le cannabis provoque des débats presque aussi passionnés que les vaccins ! (Sourires.)

Cette plante ne date pas d’hier. George Washington, qui, comme chacun sait, fut le premier président des États-Unis, disait ainsi : « Tirez le meilleur parti des graines de chanvre indien et semez-en partout. » C’est ce que souhaitent faire certains d’entre nous. J’ajoute que, tout près de mon village, on trouve une vallée des chanvriers.

Cela étant, ce débat a lieu d’être. Depuis quelques années, les nouveaux produits dérivés du chanvre se développent de manière fulgurante. C’est tout particulièrement le cas des dérivés de la molécule de CBD.

Personnellement, ce que j’attends du Gouvernement dans le cadre de ce débat, c’est une analyse exhaustive. Si l’on fume un produit à base de CBD contenant du goudron, il aura – je le crains – des effets proches de ceux du tabac. En revanche, certains extraits de chanvre contenant du CBD, sous des formes consommables différemment, peuvent avoir des vertus thérapeutiques et apporter certains bienfaits.

Madame la ministre, nombre de nos voisins européens ont aujourd’hui trouvé des solutions adaptées et encadrées. C’est pourquoi je vous demande de clarifier ce que le Gouvernement compte mettre en œuvre pour favoriser le développement d’une filière française.

Le chanvre n’est pas un produit miraculeux. Cette plante pousse vite et bien, mais appauvrit énormément les sols. Quoi qu’il en soit, si elle doit se développer, il est normal que l’économie et l’agriculture françaises en soient les premières bénéficiaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Pierre Louault, le Gouvernement est attaché à défendre la compétitivité des filières agricoles et industrielles françaises, d’autant que ces dernières contribuent au rayonnement de notre pays.

La filière du chanvre est un véritable fleuron agricole français et la France est un leader européen du chanvre industriel : il n’y a pas d’ambiguïté sur ce point. Notre pays est même le premier producteur européen de chanvre industriel.

Après une chute de production à 5 400 hectares en 2011, le chanvre était récolté sur près de 18 000 hectares en 2020 : nous assistons bel et bien à son essor, grâce aux actions que nous avons pu mener.

Néanmoins, il faut renforcer la compétitivité de cette filière. Nous voulons consolider la réglementation et accroître la sécurité juridique de cette industrie, car la compétitivité dépend aussi des débouchés permettant de valoriser l’ensemble du produit.

La révision de l’arrêté de 1990 va dans ce sens. Elle étend l’autorisation de cette culture, l’importation, l’exportation des produits qui en sont issus, ainsi que l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre à toutes les parties de la plante, tant que sa teneur en THC reste inférieure à 0,3 % et que les produits finis sont, eux aussi, en deçà de cette limite.

Pour permettre à nos agriculteurs de se projeter et d’assurer leurs investissements sur ce nouveau marché, ce que vous appelez de vos vœux, cette autorisation est assortie de certaines exigences. Elle est ouverte aux seuls agriculteurs actifs, utilisant des semences certifiées et inscrites au catalogue. Elle s’accompagne également d’une exigence de contractualisation entre l’agriculteur et le premier acheteur.

Le Gouvernement est donc pleinement mobilisé en faveur de la filière française du chanvre. Nous souhaitons qu’elle puisse valoriser son savoir-faire dans la production chanvrière pour approvisionner le marché des produits à base de CBD.

Je saisis cette question pour rappeler l’excellence de cette filière et ses nombreux débouchés dans d’autres industries : je pense à la papeterie, à l’isolation des bâtiments, au marché de l’automobile, au paillage, à la construction – avec les bétons de chanvre – et à l’oisellerie. Nous étudions également des débouchés qui pourraient être porteurs dans le domaine de l’alimentation humaine.

Vous le constatez, il existe énormément de débouchés et de développements économiques. Nous accompagnons cette filière, tout en respectant les recommandations qui nous sont imposées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville.

Mme Angèle Préville. Madame la ministre, comme l’écrivait Antonin Artaud, « la loi sur les stupéfiants met entre les mains de l’inspecteur-usurpateur de la santé publique le droit de disposer de la douleur des hommes : c’est une prétention singulière de la médecine moderne que de vouloir dicter ses devoirs à la conscience de chacun ».

Un siècle plus tard, la France est le deuxième plus gros consommateur d’anxiolytiques et de somnifères en Europe, qui servent à répondre à des problèmes de stress, de sommeil et de douleur. La dépendance et l’accoutumance qui résulte de la prise de ces médicaments sont un problème majeur de notre société.

Pour le Gouvernement, aujourd’hui, le chanvre est une menace. Pourtant, il est cultivé en France de manière ancestrale, son utilisation est prometteuse et plus que jamais d’actualité. Dans mon département, le Lot, c’est toute une filière qui s’organise autour de jeunes coopératives, pour relocaliser sa production et répondre aux attentes environnementales. En effet, sa rusticité, sa résistance aux parasites et son faible besoin en eau en font une culture particulièrement intéressante.

Au-delà de son emploi comme isolant, cordage ou textile, le chanvre est aussi une plante médicinale. Le cannabidiol contenu dans ses fleurs et feuilles a des propriétés vertueuses agissant sur la régulation des systèmes immunitaire et nerveux, sur les troubles du sommeil ainsi que sur la douleur. Le chanvre n’est pas un psychotrope, et de nombreuses études font état de l’absence d’effets secondaires, ce qui n’est pas rien !

Il est reconnu pour son potentiel dans la lutte contre les addictions. Le chanvre est donc porteur d’espoir : il ouvre des perspectives d’effets bienfaisants pour la santé, de ressources complémentaires pour les agriculteurs et de réduction des coûts pour la sécurité sociale.

Alors que le chanvre présente toutes ces qualités, entendez-vous continuer à vouloir interdire la consommation de ses fleurs et de ses feuilles ? Et, plus largement – car c’est bien de plantes médicinales qu’il s’agit –, allez-vous prendre en compte cette attente sociétale forte et légitime et faire évoluer le cadre réglementaire pour la construction et la reconnaissance d’une herboristerie de qualité et de proximité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice, chacun peut être confronté à la douleur – je connais très bien la question.

La douleur peut parfois nous affecter durement dans notre parcours de vie ou dans notre entourage. Alors oui, nous sommes en train de chercher des solutions parce que nous sommes convaincus que tout ce qui permet de lutter contre la douleur est bénéfique. Vous ne m’entendrez jamais dire le contraire.

C’est pourquoi nous avons voulu avancer sur la question, et que nous avons prévu un projet d’expérimentation du cannabis à usage médical – j’insiste bien sur le mot « médical » – à l’article 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Il s’agit d’évaluer la sécurisation de la prescription et de la dispensation des médicaments à base de cannabis.

Cette expérimentation, qui a commencé le 26 mars 2021, doit durer deux ans et inclure 3 000 patients relevant d’une des cinq indications que j’ai déjà citées : douleurs, symptômes rebelles en oncologie, épilepsies – notamment certaines formes sévères résistantes aux médicaments –, douleurs neuropathiques réfractaires aux traitements qui existent déjà et situations palliatives.

Les professionnels de santé volontaires dans les structures sélectionnées intègrent les patients dans l’expérimentation, établissent des prescriptions de ces médicaments à base de cannabis et leur délivrent le traitement sous forme d’huile par voie orale ou de fleurs séchées.

Le renouvellement et la délivrance des traitements peuvent ensuite être réalisés par ces professionnels de santé, par des médecins généralistes et par des pharmaciens d’officine. L’ensemble des professionnels participent à cette expérimentation dont le cadre est défini par le ministère de la santé. La mise en œuvre et le pilotage opérationnel sont réalisés par l’ANSM. Cela permettra de juger de l’opportunité de généraliser l’usage des médicaments du cannabis.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui. En ce qui concerne l’usage de ces produits, nous faisons preuve non pas de frilosité, mais d’une grande précaution.

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Madame la ministre, appelé communément CBD, le chanvre « bien-être » et à caractère thérapeutique doit être distingué du cannabis, dès lors qu’à la différence du THC, le CBD n’implique pas d’effet psychotrope ou de dépendance.

Nous avons la chance de disposer en France d’une véritable capacité de production en la matière. Nous sommes passés de 4 000 hectares en 1999 à 20 000 hectares en 2021. Cette production pâtit toutefois d’une approche excessivement passionnée qui empêche le développement d’une filière économique pourtant porteuse et prometteuse.

En effet, cette filière voit son développement fragilisé à la fois par des incertitudes juridiques et par une réglementation inadaptée. La décision du Gouvernement d’interdire la vente et la cession aux consommateurs de fleurs et feuilles brutes de cannabis sativa L., formalisée dans l’arrêté du 30 décembre 2021, qui a fait l’objet d’une suspension provisoire par le Conseil d’État, est l’illustration d’une lecture un peu trop rapide de la question.

En ce sens, le Conseil d’État a considéré « qu’il ne résulte pas de l’instruction que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n’était pas supérieure à 0,3 % présenteraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue […] ». Je fais partie de ceux qui croient à la force des interdits et demeurent donc opposés à l’encouragement de la consommation de drogue au sein de notre pays.

Pour autant, certaines distinctions s’imposent : il y a, d’un côté, la plante de cannabis et ses applications potentielles et, de l’autre, le cannabis dont la représentation est principalement associée à un usage comme drogue psychoactive, avec des conséquences fâcheuses en termes de santé publique.

Nous devons envisager l’ensemble des aspects juridiques susceptibles de s’appliquer aux produits contenant du CBD. Je citerai à titre d’exemple la définition des doses journalières recommandées, et donc non contraignantes, de consommation de CBD et leur mention sur les emballages des produits à côté d’un avertissement sur les risques connus pour la santé ; l’exclusion des publics à risque des produits contenant du CBD ; enfin, la sensibilisation des acteurs de la cosmétovigilance et de la nutrivigilance à l’importance des éventuels effets indésirables des produits cosmétiques et des compléments alimentaires.

Ma question est donc la suivante : le Gouvernement entend-il enfin reconsidérer ce raisonnement dogmatique au profit de la prise en compte de l’ensemble des aspects juridiques susceptibles de s’appliquer aux produits transformés ou non qui contiennent du CBD ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur, j’ai bien entendu votre question. J’ai déjà expliqué quel était l’apport du chanvre « bien-être » concernant la douleur et de quels espoirs il pouvait être porteur dans le domaine médical.

Je répondrai plus précisément sur le CBD. L’hôpital Necker a mené une étude sur l’utilisation du CBD synthétique en gélules chez des patients enfants et adultes. Le dernier retour d’expérience faisait état de 180 patients qui sont allés au terme de l’expérimentation, d’une durée de trois mois.

L’étude a permis de bien cerner les indications possibles du cannabidiol à visée médicale. Dans son avis, l’hôpital estime que le CBD constitue un apport majeur et fondamental à l’heure de la crise des opioïdes aux États-Unis, alors que nous manquons cruellement d’innovations en matière de thérapeutiques antalgiques. Le CBD pourrait servir de thérapeutique antalgique dans certaines maladies rares, notamment génétiques, pour lesquelles nous avons un rationnel entre la douleur induite par la mutation et la cascade de signalisation qu’elle déclenche, et où le CBD agirait sur une des molécules de la voie de signalisation.

L’effet du cannabis et de ses molécules est étudié dans le traitement et dans l’accompagnement de certaines pathologies. Nous sommes en train de mener cette expérimentation pour sécuriser leur emploi. En aucun cas, nous n’irons au-delà de ce qui est faisable. Tout sera cadré par les données scientifiques dont nous allons disposer et les expérimentations déjà menées.

Mme la présidente. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Yan Chantrel. Madame la ministre, je crois que ce débat tourne un peu en rond. Je vais en « rajouter une couche », ce qui permettra peut-être de vous faire sortir de vos éléments de langage et de connaître quelle est réellement la position du Gouvernement.

À l’heure où de nombreux pays d’Europe et d’Amérique du Nord mettent en place des politiques d’accompagnement et d’encadrement de la vente de CBD, les décisions prises par le Gouvernement en la matière semblent vraiment aller à contre-courant.

D’ailleurs, je m’inscris totalement en faux contre votre réponse à Mme Lienemann sur les effets du CBD sur la santé. La question n’est pourtant pas très compliquée. Dans un rapport de 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) précisait que « le CBD était dépourvu de propriétés psychoactives, qu’il ne pouvait donner lieu à des abus et que son potentiel dépendogène était inexistant ».

Pour mémoire, la Cour de justice de l’Union européenne a justement rappelé en 2019 à la France que le CBD « ne peut être considéré comme un stupéfiant, car cette molécule n’a pas, d’après l’état actuel des connaissances scientifiques, d’effets psychotropes ni d’effet nocif sur la santé humaine ».

En dépit de ces avis juridiques et sanitaires, qui confirment que le CBD peut être commercialisé sans danger, votre ministère a, comme l’ont rappelé plusieurs de mes collègues, pris en décembre dernier un arrêté interdisant la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes de chanvre. Cet arrêté a fort heureusement été suspendu à titre provisoire par le juge des référés il y a quelques jours.

En revanche, j’aimerais savoir, madame la ministre, pour quelle raison – car les choses ne sont pas vraiment claires ! – cet arrêté injustifié a été publié en pleine trêve des confiseurs ? Souhaitiez-vous qu’il passe inaperçu, comme c’est souvent le cas pour les décisions prises dans cette période ?

Et surtout, allez-vous récidiver en tentant de nouveau d’interdire d’une manière ou d’une autre la vente de CBD aux consommateurs sans prendre en compte les avis que je viens de vous citer ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Yan Chantrel, ne voyez aucune malice en la matière : l’arrêté est publié au Journal officiel, il n’y a ni trêve des confiseurs ni idéologie derrière tout cela…

Je rappellerai que, en matière de consommation et de production du CBD, les décisions sont interministérielles : elles ne dépendent pas d’un seul ministère. Comme vous l’avez entendu, il est aussi question de développement économique, d’agriculture… Le sujet n’est pas que sanitaire, et dépasse même le champ de compétence des ministères de la défense ou de l’intérieur.

Depuis plusieurs années, la commercialisation des produits dérivés du chanvre se développe. Ces produits comprennent une part significative de CBD avec une teneur variable de THC, qui est une substance stupéfiante. L’arrêté de décembre 2021 auquel nous avons déjà fait référence vise à concilier plusieurs objectifs : un développement sécurisé de la filière agricole et des activités économiques associées aux extraits de chanvre, la protection des consommateurs sur le plan sanitaire, le maintien de la capacité des forces de l’ordre à lutter de manière opérationnelle contre les stupéfiants.

La suspension provisoire des seules dispositions de l’arrêté relatives à l’interdiction de la vente directe de fleurs aux consommateurs ne remet donc en cause ni le reste de la réglementation ni le souci du Gouvernement de poursuivre et de concilier ces différents enjeux et objectifs qui s’imposent à nous.

J’ajoute que le ministère des solidarités et de la santé étudie avec intérêt les possibilités d’innovation médicale associées au CBD : plusieurs études et travaux sont en cours, que j’ai précisément rappelés en citant même les pathologies associées.

Comme je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement soutient donc activement cette filière tout en prenant en compte les restrictions qui nous ont été imposées et dont vous connaissez les raisons.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, la promotion des matériaux de construction biosourcés tels que le chanvre est un enjeu majeur pour l’habitat de demain.

Peu consommateurs d’énergie, rapides à mettre en œuvre, créateurs d’emplois dans les territoires ruraux, ces matériaux concourent à la transition écologique.

Sénateur de l’Essonne, j’ai la fierté d’accueillir dans mon département l’unité de production de l’entreprise française Gâtichanvre, emblématique de l’ensemble de la filière, depuis la culture du chanvre jusqu’à la production de matériaux isolants pour la construction.

La région Île-de-France est de fait la seule à posséder deux chanvrières. Or, aujourd’hui, force est de constater que le béton de chanvre est cantonné au produit de démonstration. Les commandes restent anecdotiques et les débouchés sont rares. En pratique, le marché est quasiment au point mort.

La raison en est simple : la réglementation actuelle est défavorable aux matériaux biosourcés. Le bureau de contrôle Filiance qui statue sur l’évolution des règles professionnelles a récemment émis un nouvel avis défavorable sans véritable argumentaire technique, laissant davantage penser à une forme de verrouillage du marché, pour ne pas dire plus…

Or, sans cet agrément spécifique, ce matériau n’est pas utilisable pour les constructions en R+2 par exemple. La commande publique, en particulier les constructions de collèges et lycées, lui est fermée.

Le risque est aujourd’hui bien réel de voir les agriculteurs producteurs de chanvre se détourner des matériaux de construction destinés au bâtiment, pour se tourner vers d’autres filières de valorisation de la plante, sans doute plus rémunératrices et présentant, en tout cas, des perspectives de développement plus intéressantes à court terme.

Madame la ministre, ma question est simple : que comptez-vous faire pour remédier à ce problème ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Jean-Raymond Hugonet, l’emploi du béton en chanvre fait partie des perspectives de développement de toute cette filière.

Les réglementations actuelles ont été révisées pour favoriser l’utilisation du béton en chanvre. La réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui fixe les nouvelles règles de construction de bâtiments neufs, a pour objectif de réussir à décarboner la production de matériaux de construction et à développer les matériaux biosourcés.

En ce sens, la RE2020 favorise précisément le béton de chanvre, car ce matériau permet le stockage temporaire du carbone. Demain, nous aurons donc de plus en plus de bâtiments composés de béton de chanvre.

Pour autant, pour développer celui-ci, la filière doit respecter des règles professionnelles. Actuellement, ces règles ne sont applicables qu’à des bâtiments dont le nombre d’étages est limité, comme vous venez de le rappeler. L’utilisation du béton de chanvre est donc aujourd’hui possible pour des bâtiments de plus petite taille, notamment des maisons individuelles.

La filière a souhaité faire évoluer les règles professionnelles pour pouvoir dépasser cette limite. Des travaux ont été engagés à la fin de 2020. Des échanges ont notamment lieu dans le cadre d’une commission technique, qui a demandé des éléments complémentaires afin de rendre son avis prochainement et arbitrer sa position sur ce sujet.

Par ailleurs, la filière spécifique du béton de chanvre a été soutenue par l’État depuis 2015, soit depuis plusieurs années déjà. Le Gouvernement a poursuivi cet effort, en réaffirmant l’utilité de cette filière d’avenir. Le ministère du logement travaille en lien étroit avec la filière afin de lever ces freins maintenant identifiés et d’accompagner son développement opérationnel dans le respect des règles et des normes de sécurité qui prévalent dans ce secteur sensible.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.

M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la ministre, je veux bien croire vos paroles, mais je n’oublie pas qu’en arrivant dans cette maison en 2017, je m’étais rendu avec Jacques Mézard sur le terrain pour visiter l’entreprise Gâtichanvre. On se hâte avec lenteur… (Mme Catherine Belrhiti applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, le 24 janvier 2022, le Conseil d’État a provisoirement suspendu l’arrêté du Gouvernement qui interdisait la commercialisation de fleurs de chanvre. Que l’arrêté soit invalidé définitivement ou non lors de l’examen au fond de la requête, les pays voisins continueront de vendre le chanvre sous forme de fleurs. Nous devons prendre en compte cette réalité, et ajuster en conséquence notre propre réglementation.

Je pense en particulier à deux cas. Le premier concerne les différences entre chaque pays quant au taux de THC autorisé. En France, le taux maximal est de 0,3 %, contre 0,6 % en Italie ou encore 1 % en Suisse. Je tiens à préciser que ce taux de 0,3 % est plutôt arbitraire, il ne correspond pas à un taux au-dessus duquel la consommation a un effet psychoactif ; il avait à l’origine pour seule fonction de servir à la classification des différentes sous-variétés de cannabis.

Puisque certains pays vendent des produits contenant du CBD à des prix moins élevés, il n’est pas rare que des Français en achètent, en particulier dans les zones frontalières, comme cela peut être le cas pour les cigarettes. Il ne s’agit absolument pas d’une volonté de contourner la loi, mais uniquement de convenance et d’ignorance quant à la différence des taux légaux entre pays.

Bien sûr, nul n’est censé ignorer la loi, mais pouvons-nous honnêtement attendre de nos concitoyens de connaître cette particularité et de vérifier systématiquement qu’ils ont bien acheté un produit au bon taux ? S’ils ne le font pas, alors qu’ils sont dans la légalité d’un côté de la frontière, ils tombent dans l’illégalité s’ils consomment ces produits en France ou s’ils conduisent après en avoir consommé.

J’appelle donc à la recherche d’une solution sur ce sujet à l’échelle de l’Union européenne, en associant la Suisse. Chaque État resterait naturellement libre de fixer son propre taux pour la vente. En revanche, il serait souhaitable qu’il soit fixé un taux maximal en deçà duquel une personne ayant consommé du CBD dont la teneur est inférieure à ce taux ne soit pas considérée comme ayant consommé une substance psychoactive, et que cette consommation et la conduite après cette consommation ne soient pas pénalement répréhensibles.

Par ailleurs, dans l’attente de cette harmonisation, il me semble nécessaire de faire preuve d’une plus grande souplesse concernant les retraits de permis pour les personnes ayant consommé du CBD à un taux inférieur à 1 %, mais supérieur à 0,3 %. En effet, pour la conduite en état d’ivresse, lorsque le travail de la personne contrôlée dépend de la possibilité de conduire, la loi prévoit des aménagements tels qu’un sursis du retrait de permis.

Or cette possibilité d’aménagement n’existe pas lorsqu’une substance psychoactive a été consommée. Cela est bien évidemment normal lorsqu’il s’agit de drogues à proprement parler, mais il me semble injuste qu’une personne se fasse retirer son permis, alors même que son travail en dépend, car elle a consommé du CBD à un taux supérieur à 0,3 % mais inférieur à 1 %. Il faudrait créer un aménagement comparable pour ce cas de figure.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Monsieur le sénateur Cyril Pellevat, compte tenu des dispositions législatives en vigueur, la détection positive du THC dans un test salivaire permet de caractériser le délit de conduite en ayant fait usage de stupéfiants.

Si le CBD n’est pas recherché en tant que tel dans le dépistage des analyses, sa consommation peut néanmoins révéler une présence dans le sang de THC, nonobstant le taux maximal de 0,3 % autorisé pouvant conduire à un dépistage positif. Peu importe le taux de THC contenu dans le produit consommé : si celui-ci est détecté lors du dépistage, l’infraction est caractérisée.

La conduite sous l’emprise de stupéfiants peut être caractérisée quand bien même le conducteur ne se trouve pas sous l’influence de psychotropes. La loi opère bien une décorrélation entre deux comportements : celui de faire usage d’un produit et celui de conduire après avoir fait usage d’un produit. Les comportements ne sont pas liés, ce qui est parfaitement compréhensible.

Le caractère licite ou non de l’usage d’un produit est sans incidence sur la caractérisation de la conduite en ayant fait usage de ce produit. Dès lors, il importe peu de proposer une harmonisation des législations sur le taux de THC présent dans le CBD pour autoriser sa commercialisation, puisque la détection de THC lors d’un contrôle routier caractérise le délit. C’est d’ailleurs la position également adoptée par la Suisse dont vous évoquez la législation.

Par ailleurs, on ne peut pas revendiquer, d’un côté, les effets hautement relaxants du CBD et, de l’autre, soutenir que son usage n’est pas sans danger pour la conduite routière. Compte tenu des enjeux en termes de sécurité routière, il ne peut y avoir de tolérance à l’égard de ceux qui conduisent alors qu’ils ont consommé des produits contenant du THC.

Contrairement à ce que vous indiquez, la loi ne prévoit plus la possibilité d’un aménagement de la suspension du permis de conduire pour des raisons professionnelles, compte tenu de la dangerosité de ce comportement – il en va de même d’ailleurs pour l’alcool –, mais aussi des abus constatés dans les demandes d’aménagement en cas de conduite sous l’emprise d’un état alcoolique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, la France a toujours cultivé du chanvre, notamment pour l’industrie textile. Aujourd’hui, la diversification des usages des produits issus de cette plante nécessite toute notre attention, car elle est au cœur de nombreuses innovations, d’une forte demande sociale et d’opportunités économiques.

Pourtant, l’arrêté du 30 décembre 2021 a interdit expressément la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale de feuilles ou de fleurs de chanvre. Cette décision a été jugée incompréhensible par les professionnels de la filière du chanvre. Elle l’est d’autant plus que sa réglementation est déjà trop rigide et complexe, empêchant notamment l’utilisation du CBD pour des usages thérapeutiques.

On l’a compris, le débat sur l’utilisation du chanvre est pollué par celui sur le caractère psychotrope du cannabis. Le Conseil d’État a pris la mesure des enjeux et a suspendu l’arrêté du 30 décembre 2021. Le chanvre « bien-être » est en pleine expansion en Europe. Son usage thérapeutique est reconnu depuis que de nombreuses personnes l’utilisent pour soigner toute une série de pathologies, que vous avez rappelées, madame la ministre.

Le CBD peut aussi constituer une solution de rechange aux traitements médicamenteux qui peuvent s’avérer très lourds, voire parfois dangereux pour les patients.

Aussi, 200 centres hospitaliers ont déjà été autorisés par le Gouvernement à expérimenter l’usage du cannabis thérapeutique, preuve que vous avez conscience des bénéfices potentiels d’une libéralisation du CBD. Comment expliquer alors cette incohérence ? Allez-vous rendre la réglementation plus favorable à l’usage médical du chanvre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Catherine Belrhiti, contrairement à ce que vous indiquez dans votre question, il n’y a pas d’incohérence entre l’arrêté du 30 décembre 2021 et l’expérimentation relative au cannabis à usage médical, puisqu’il s’agit de deux sujets complètement différents.

Je le rappelle, l’expérimentation relative au cannabis à usage médical porte sur l’utilisation thérapeutique de médicaments à base de cannabis dans des indications déterminées – j’en ai rappelé la liste. Elle vise, d’une part, à obtenir les premières données françaises sur l’efficacité et la sécurité de ces nouvelles thérapeutiques et, d’autre part, à envisager le meilleur circuit possible pour une prescription et une dispensation future dans le droit commun.

Nous parlons ici de médecine, de thérapeutiques et de la prise en charge de certaines douleurs – épilepsies réfractaires aux traitements, etc. – et de certains patients, cancéreux ou en fin de vie.

Je le répète, l’objectif de l’expérimentation est d’inclure 3 000 patients suivis dans des structures volontaires sélectionnées par l’ANSM. Cette expérimentation est un enjeu important en matière de santé publique et répond à une attente forte, essentiellement pour la prise en charge de la douleur et d’autres symptômes qui accompagnent des maladies oncologiques, dégénératives ou lors des soins palliatifs. Elle doit donc permettre d’évaluer le circuit logistique et le parcours des patients.

L’arrêté du 30 décembre 2021 ne porte en aucun cas sur l’usage médical du CBD. C’est même le contraire, puisque seuls les médicaments qui ont leur propre réglementation et qui sont strictement encadrés ne sont pas concernés par cet arrêté. Nous parlons donc ici de l’utilisation du CBD avec un seuil maximal autorisé de THC dans des produits de consommation courante qui seraient à disposition des citoyens sans aucun cadre médical.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, vous avez vous-même rappelé que le CBD n’est qu’un cannabinoïde parmi d’autres, produit par la plante de chanvre. Ses effets n’ont rien à voir avec le cannabis stupéfiant.

Le Gouvernement doit, je le crois, absolument prendre la mesure du débat et assouplir la réglementation conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, je ne reviendrai pas sur toutes les qualités du chanvre qui ont été développées par les collègues qui se sont exprimés cet après-midi. Aujourd’hui, aucun argument ne peut valider la décision du Gouvernement. Déjà, en novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne avait jugé illégale l’interdiction en France du CBD, qui est autorisé chez nos voisins européens. La Cour de cassation lui a emboîté le pas en juin dernier, considérant à son tour que tout CBD légalement produit dans l’Union européenne pouvait être vendu en France.

Ma question est simple : allez-vous interdire l’importation de CBD ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de lautonomie. Madame la sénatrice Laurence Muller-Bronn, comme je l’ai indiqué, la Cour de justice de l’Union européenne a annulé le 19 novembre 2020 l’arrêté qui limitait la culture, l’importation, l’utilisation industrielle et commerciale du chanvre aux seules fibres et graines de la plante.

Les autorités françaises ont engagé immédiatement des travaux pour modifier la réglementation à la lumière de cette décision. Le nouvel arrêté a été publié le 31 décembre 2021 : il permettra le développement en toute sécurité de la filière agricole du chanvre en France, ainsi que des activités économiques liées à la production d’extraits de chanvre et la commercialisation de produits qui les intègrent, tout en garantissant la protection des consommateurs et le maintien de la capacité opérationnelle pour lutter contre les stupéfiants.

L’arrêté autorise notamment la culture et l’utilisation industrielle et commerciale de toutes les parties de la plante du chanvre, sous réserve d’une teneur en THC qui ne soit pas supérieure à 0,3 %. Les fleurs et les feuilles ne peuvent être récoltées, importées et utilisées que pour la production industrielle d’extraits.

Il en résulte que la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes était interdite, notamment pour pouvoir lutter contre les trafics ou pour des motifs de santé publique qui nous semblent évidents : je pense aux risques liés à l’inhalation de fumée et à l’impact du CBD sur les récepteurs de la dopamine et de la sérotonine au niveau du cerveau, qui en font un produit psychoactif à part entière.

Je rappelle que les produits contenant du CBD ne peuvent, sous peine de sanctions pénales, revendiquer des allégations thérapeutiques, à moins qu’ils aient été autorisés comme médicaments.

Une ordonnance récente du juge des référés a suspendu à titre provisoire l’application des dispositions relatives à l’interdiction de commercialiser à l’état brut des fleurs et des feuilles de certaines variétés de cannabis. Le Gouvernement prend acte de cette ordonnance dans l’attente du jugement au fond de l’affaire par le Conseil d’État, tout en conservant son objectif de sécuriser cette filière économique et de protéger la santé.

L’arrêté prévoit donc que l’autorisation de culture, d’importation, d’exportation et d’utilisation du chanvre est étendue, sous certaines conditions, à toutes les parties de la plante du chanvre.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour la réplique.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la ministre, je vous demandais si vous alliez interdire l’importation de CBD, qui est produit et consommé dans l’ensemble des autres pays européens.

Vous ne pouvez pas faire entrave à la libre circulation des marchandises, garantie par l’article 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La France n’échappera pas à un futur contentieux européen si vous maintenez un carcan réglementaire contraire à l’esprit du marché unique.

Si vous perdez trop de temps et ne prenez pas rapidement vos responsabilités, ce sont les juges européens qui décideront à notre place.

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe auteur de la demande.

M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de la tenue de ce débat. Même si ce dernier a parfois tourné en rond, il a témoigné de l’incompréhension transpartisane vis-à-vis de la politique gouvernementale.

Ce débat a aussi mis en lumière les nombreuses contradictions et l’hypocrisie de la législation actuelle, qui refuse d’aborder la réalité dans toute sa complexité. On pourrait même parler, sur ce sujet, d’une sorte d’enfumage. (Sourires.)

Revenons au sujet de ce débat, qui avait vocation à embrasser la totalité de la filière du chanvre. Revenons sur cette plante, jadis cultivée pour ses fibres, puis tombée en désuétude notamment en raison du lobbying des industriels du nylon, du pétrole et de la pâte à papier.

Presque partout, le chanvre est aujourd’hui en pleine renaissance. Cette plante est capable de pousser en quelques mois jusqu’à trois mètres de haut, sans engrais ni pesticides, avec des rotations de culture de cinq ou sept ans.

Cannabis sativa L. répond formidablement aux défis écologiques, dans les domaines du bâtiment, du textile, du plastique biosourcé, des cosmétiques ou de l’alimentation. Il permet aussi au consommateur d’y trouver des bénéfices apaisants.

Les usages de cette plante sont donc multiples, et ses bénéfices peuvent être réellement source de bienfaits. Alors que la France est le premier producteur européen et le troisième au monde, avec 20 000 hectares de cultures, alors que le potentiel de la filière du chanvre, estimé à 2 milliards d’euros, ne demande qu’à croître, vous freinez inlassablement son développement au moyen d’une législation pouvant être qualifiée d’absurde et d’anachronique, comme le prouve dernièrement l’arrêté interdisant la vente des fleurs et des feuilles de chanvre. Par là même, vous affectez la rentabilité de l’ensemble de la filière.

Car, si la fleur n’est qu’une petite partie de la plante, les obstacles mis à l’encontre de sa commercialisation sont symboliques de toutes les chausse-trapes mises en place pour contrer cette filière.

En conséquence, les entreprises françaises sont contraintes de s’approvisionner à l’étranger pour commercialiser cette molécule, qui n’est pourtant pas classée comme stupéfiant, et subissent ainsi une distorsion de concurrence difficile à comprendre. En privilégiant l’importation au lieu de permettre une production locale et contrôlée, nous dégradons encore un peu plus le solde de notre balance commerciale.

Prisonniers d’une position dogmatique sur le cannabis, nous sommes en train de nous priver de l’un des plus formidables outils de la transition écologique.

Si cela ne nous surprend pas vraiment, madame la ministre, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n’ait pas répondu aux questions et aux inquiétudes des acteurs de la filière.

Jusqu’à quand allons-nous rester coincés dans cette posture politicienne qui freine aujourd’hui l’émergence d’une filière française, que tant d’acteurs attendent ? Jusqu’à quand allons-nous sacrifier le potentiel de nos producteurs et notre savoir-faire ?

Il est maintenant temps d’aller de l’avant ! Au-delà des questions réglementaires, cette filière d’avenir demande l’appui de l’État pour se développer, mais reste largement ignorée, alors même que nous devons préparer la France de 2030.

Les acteurs demandent de nombreuses mesures afin que soit enfin rattrapé le retard que nous accusons face à nos voisins européens.

Tout d’abord, il faut assurer l’accompagnement financier des agriculteurs voulant lancer des chanvrières, et élaborer une cartographie globale des productions de chanvre dans toute la France, afin de faciliter les contrôles et le travail des autorités.

Ensuite, nous devons développer les débouchés de la protéine de chanvre, en intégrant cette plante auprès des légumineuses dans le plan Protéines du Gouvernement, le chènevis décortiqué et déshuilé contenant 60 % de protéines !

Il faut également édicter des normes claires et précises permettant d’utiliser le chanvre dans la construction. C’est une urgence pour la filière du béton de chanvre, affectée par les changements de bord des exigences de validation la concernant.

Enfin, il est essentiel de consacrer un budget spécifique pour réindustrialiser la France en consacrant des outils à la production de textiles issus du chanvre, afin de développer le savoir-faire français et de lutter contre le chanvre chinois, non écologique, qui pourrait demain envahir le marché aux dépens de la production française. Ainsi, le plan France 2030 pourrait constituer un levier pertinent pour abonder les fonds nécessaires.

Pour conclure, permettez-moi d’élargir mon propos sur la question de la légalisation du cannabis, dont la réglementation est, là aussi, bloquée par des positions rétrogrades et contre-productives.

Depuis les premières autorisations de mise sur le marché de médicaments contenant du THC en 2013, quand Mme Marisol Touraine était ministre des affaires sociales et de la santé, et si l’on excepte l’expérimentation engagée il y a deux ans autour du cannabis thérapeutique – nous la saluons, d’ailleurs –, presque dix années ont passé sans évolution réglementaire.

Pendant ce temps, vingt et un des vingt-sept pays de l’Union européenne ont autorisé le cannabis thérapeutique, alors que nous nous concentrions sur des expérimentations. Que de temps perdu, notamment pour les personnes souffrant de sclérose en plaques ou de glaucome !

Madame la ministre, on ne doit pas réduire le chanvre au THC et au CBD. C’est une vision globale des différentes utilisations de cette plante qui doit nous guider. Il est plus que jamais nécessaire d’avancer sur ces questions à partir de fondements objectifs, et de développer une approche pragmatique et adaptée à notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Angèle Préville et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle réglementation pour les produits issus du chanvre ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

7

Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ?

Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le groupe CRCE disposera d’un temps de présentation de huit minutes.

Le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répliquer pendant une minute.

Le temps de réponse du Gouvernement à l’issue du débat est limité à cinq minutes.

Le groupe auteur de la demande de débat disposera de cinq minutes pour le conclure.

Dans le débat, la parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe CRCE a choisi de demander l’inscription de ce débat dans son espace réservé, car face à la multiplication des féminicides il est essentiel de dresser le bilan des politiques nationales de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce bilan, nous souhaitons qu’il soit objectif, qu’il mette en avant les avancées tout en pointant les limites de ces politiques.

Inégalités salariales et de progression professionnelle, temps partiels imposés : les violences économiques font partie intégrante des violences subies par les femmes. Elles sont, hélas ! bien enracinées dans nos sociétés capitalistes et patriarcales.

Je vais néanmoins centrer mon propos sur les violences sexistes et sexuelles. Depuis 2017 et l’essor du mouvement international #MeToo dans l’opinion publique, une prise de conscience collective et salutaire a montré l’ampleur de ce fléau. Les violences faites aux femmes, du sexisme ordinaire aux féminicides, sont omniprésentes dans la société, et ce dans tous les milieux.

Il y a là un phénomène d’ampleur, systémique, symptôme du caractère patriarcal d’une société dans laquelle les femmes subissent la domination masculine.

Les luttes des féministes ont marqué des points. De plus en plus de victimes dénoncent ce qu’elles ont vécu ou sont en train de vivre, et leur parole est enfin considérée.

Qu’a donc fait le Gouvernement depuis 2017 ?

La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes de 2018, dite loi Schiappa, allonge notamment de vingt à trente ans le délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, élargit la définition du harcèlement pour y inclure le cyberharcèlement et crée une nouvelle infraction d’outrage sexiste permettant de réprimer le harcèlement de rue.

Mais, à défaut notamment d’établir un seuil d’âge de non-consentement pour les mineurs, cette loi n’est pas allée jusqu’au bout de l’ambition initiale. La déception a donc été vive du côté des associations féministes et des associations de protection de l’enfance – de ce point de vue, la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, dite loi Billon, a apporté des avancées.

Dans la continuité de la loi Schiappa, et constatant que le compte n’y était pas, le Gouvernement a organisé un Grenelle des violences conjugales en septembre 2019.

J’ai fait partie de celles et de ceux qui trouvaient que l’urgence n’était pas d’établir un énième bilan, tant les associations de terrain avaient largement documenté la situation.

Nous avons perdu du temps. Néanmoins, un plan gouvernemental a été élaboré, comportant plusieurs mesures : amélioration de la prise en charge des plaintes des femmes, création de places d’hébergement d’urgence, reconnaissance du « suicide forcé », prise en charge des auteurs de violences, interdiction de la médiation pénale, instauration des bracelets anti-rapprochement, amélioration de l’accès à un téléphone grave danger, réduction du délai de délivrance des ordonnances de protection.

Et je me réjouis de l’entrée en vigueur d’un décret reprenant l’une des propositions d’Ernestine Ronai, dont je salue le travail et l’expertise, la femme victime de violences devant désormais être systématiquement informée au moment de la sortie de prison de son agresseur. Si cette mesure avait été prise plus tôt, un drame aurait pu être évité à Épinay-sur-Seine en novembre dernier.

L’arsenal législatif a donc été étoffé, au cours des dernières années, par l’adoption de plusieurs projets et propositions de loi ; reste qu’il manque toujours cruellement d’une vision globale.

Les violences et leurs conséquences, au travail ou sur les enfants, ne doivent plus être appréhendées de façon cloisonnée.

En 2013, mon groupe avait déposé une proposition de loi-cadre élaborée avec le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), qui contenait plus d’une centaine d’articles. Le cadre contraint des espaces réservés ne nous a malheureusement jamais permis de l’examiner. En vain, nous avons plusieurs fois demandé au Gouvernement de s’en saisir. J’espère qu’il en sera autrement après les élections !

Même s’il est sans doute encore un peu tôt pour bien mesurer les effets des lois promulguées et des dispositifs mis en place, force est de constater que le nombre de féminicides n’a pas diminué : 113 féminicides décomptés en 2021, et déjà 13 en ce début d’année 2022.

De même, les chiffres des violences et des crimes sexuels publiés la semaine dernière par le ministère de l’intérieur sont toujours aussi alarmants. Je rappelle également que les violences ont considérablement augmenté durant les confinements liés à la crise sanitaire : les signalements ont augmenté de 40 % au printemps 2020, puis de 60 % pendant le second confinement.

Dès lors, quel bilan dresser de l’action du Gouvernement ?

Les outils mis en place peinent à prouver leur efficacité, tant sur le plan de la prévention que sur celui de la répression. En 2022, les femmes restent autant qu’auparavant victimes de harcèlement, d’agressions sexuelles, de viols, de violences physiques, verbales ou psychologiques. Des femmes continuent de mourir sous les coups d’hommes qui veulent les soumettre. Les chiffres et les faits sont implacables.

Les violences faites aux femmes existent dans tous les pays. Comme je l’ai dit, il s’agit de l’une des conséquences du système patriarcal qui sévit dans les sociétés du monde entier. Il n’est donc pas inutile d’analyser les politiques menées dans d’autres pays que la France.

Je pense en particulier à l’Espagne. Comme vous le savez, en quelques années, l’Espagne est parvenue à réduire considérablement le nombre de féminicides, qui a diminué de 25 % depuis 2004, date de l’entrée en vigueur de l’une des lois les plus protectrices au monde – je vous renvoie aux travaux du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes pour davantage de détails sur ces regards croisés. Comparaison n’est pas raison, certes, et il ne s’agit pas de reproduire un modèle, chaque pays ayant sa propre histoire et son système judiciaire particulier ; mais ces résultats espagnols sont le fruit d’une politique réellement volontariste, ambitieuse et globale.

Dans notre pays, je l’ai souligné, des efforts ont été réalisés. Toutefois, certains actes viennent contrecarrer la volonté politique affichée de combattre les violences faites aux femmes. Je pense en particulier à la remise en cause du 3919, qui, sans la mobilisation et la détermination des associations et d’élus, aurait été mis en concurrence.

Voici ce que le ministre de l’intérieur a récemment déclaré : « Désormais, les femmes qui sont psychologiquement ou physiquement atteintes par leur compagnon déposent plainte systématiquement. […] Systématiquement, il y a désormais des gardes à vue […]. Systématiquement, il y a des poursuites judiciaires. » Dans le même temps, les chiffres du ministère de la justice montrent qu’au contraire un tiers à peine des violences sexuelles font l’objet de poursuites ! Comment le Gouvernement peut-il dans ces conditions prétendre combattre efficacement les violences ?

Je veux réaffirmer avec force qu’au-delà de la volonté il faut des moyens ambitieux.

Là encore, la comparaison est sans appel avec l’Espagne, où 1 milliard d’euros ont été mobilisés pour lutter contre les violences faites aux femmes, contre 360 millions d’euros en France. Nos collègues Éric Bocquet et Arnaud Bazin, dans leur rapport d’information de juillet 2020, ont très bien démontré que le milliard d’euros annoncé par le Gouvernement n’était pas atteint, en dépit d’une communication gouvernementale trompeuse – Éric Bocquet y reviendra.

Ce milliard, loin d’être une lubie des féministes, correspond à la réalité des besoins de la justice, de la police et de la gendarmerie ; il est nécessaire si l’on veut créer des solutions d’hébergement, prendre des mesures de prévention et mettre fin aux dysfonctionnements constatés à tous les niveaux, qui sont la cause des drames vécus par Chahinez Daoud, Valérie Bacot et tant d’autres.

Il faut rapporter ce milliard d’euros au coût que représentent ces violences pour la société, estimé à plus de 3 milliards d’euros par an !

Évidemment, je ne saurais en huit minutes dresser un bilan exhaustif et détaillé de cinq ans d’actions – ou d’inactions… – du Gouvernement. Je conclurai en relayant plusieurs propositions défendues par les associations féministes.

Il est nécessaire, tout d’abord, de mettre fin à la correctionnalisation des viols, jugés comme des délits faute de moyens. Le viol est un crime, et doit, en tant que tel, être jugé en cour d’assises. Il faut une bonne fois pour toutes mettre un terme à la culture du viol qui sévit dans notre société.

Il est essentiel, ensuite, de créer des tribunaux spécialisés composés de magistrats formés afin de mieux accompagner les victimes.

Il faut instaurer, enfin, un délit spécifique de violences conjugales dans le code pénal.

Je n’ai malheureusement pas le temps d’aborder le bilan mitigé, principalement par manque de portage politique, de l’application de la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Il est urgent de remédier aux manquements observés !

L’autre chantier sur lequel il nous semble indispensable d’avancer est celui de la lutte contre la pornographie. Nous sommes en train d’y travailler au sein de la délégation aux droits des femmes, sous l’impulsion de sa présidente, Annick Billon.

Madame la ministre, nous en avons assez de compter les victimes ! Je sais que vous partagez notre indignation et notre colère. Pourquoi, alors, les dysfonctionnements perdurent-ils ? Pourquoi les mêmes scénarios macabres se répètent-ils, quand ils auraient pu être évités ?

Force est de constater qu’en France, en 2022, le machisme et le sexisme tuent toujours, et que tout n’a pas été mis en œuvre pour les circonscrire ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Cohen, je voudrais commencer par vous remercier pour toutes les actions que vous avez menées sur ce sujet, qui nous tient très à cœur, à toutes et à tous.

Je ne peux pas m’empêcher de réagir néanmoins à ce que vous avez dit quant à l’« inaction » du Gouvernement. Vous n’êtes pas sans savoir que celui-ci a au contraire beaucoup travaillé, avec tous les parlementaires, comme l’atteste la promulgation de quatre lois en moins de cinq ans. Vous n’en avez mentionné qu’une, mais ce sont bien quatre textes de loi qui ont été votés au cours de cette législature pour protéger les victimes et leurs enfants contre le fléau des violences conjugales dans notre pays.

Lors du Grenelle des violences conjugales, quarante-six mesures inédites avaient été annoncées, destinées à mieux protéger les victimes, à mieux les accompagner, à mieux recueillir leur parole, afin de les aider à sortir de la violence. Je précise que 100 % de ces mesures ont été mises en œuvre au moment où nous débattons !

Vous avez évoqué le budget consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes, en prenant l’exemple de l’Espagne. Si vous aviez regardé d’un peu plus près ce qui se passe dans ce pays, vous auriez appris que l’Espagne a en effet investi 1 milliard d’euros, mais sur cinq années ! En France, en 2021, nous avons investi 1,2 milliard d’euros pour lutter contre ce fléau – ce montant est parfaitement retracé dans le document de politique transversale, qui est à la disposition de tous ceux qui souhaitent le consulter.

Nous en discuterons dans la suite du débat, mais je ne saurais sans répondre vous laisser disserter, madame la sénatrice, sur l’« inaction » du Gouvernement ! (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, avant de laisser au débat la place qui lui revient, je précise mon propos : j’ai parlé non d’une inaction du Gouvernement, mais des limites de son action, qui sont bien réelles !

Quant aux chiffres que vous citez, ils sont exacts, à ceci près qu’ils correspondent à un budget transversal, dans lequel sont comptabilisés par exemple les fonds alloués aux programmes internationaux d’aide au développement ou les efforts d’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons, calculés en rapportant les salaires des enseignants à la part consacrée, auprès de leurs élèves, à cette thématique.

Quand on parle de budget, il faut s’accorder sur ce dont il est question. Des mesures ont été prises, certes, mais on voit bien qu’elles manquent de portée, à défaut d’une réelle volonté politique et surtout d’écoute des associations. (Mme Pascale Gruny applaudit.)

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comment ouvrir ce débat sans avoir une pensée pour les 113 femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon en 2021, ainsi que pour les 13 femmes déjà victimes d’un féminicide en 2022 ?

Ce décompte doit encore et toujours nous alerter sur la réalité des violences faites aux femmes. Aussi, je tiens à remercier le groupe CRCE d’avoir inscrit à l’ordre du jour ce débat, dont l’organisation prouve une nouvelle fois l’importance que le Sénat accorde à ces questions – en témoignent également les travaux de la délégation aux droits des femmes ou encore de nombreux rapports d’information, comme celui que nos collègues Éric Bocquet et Arnaud Bazin ont rendu en juillet 2020.

La question qui nous est posée aujourd’hui est de savoir si les moyens dévolus à la lutte contre les violences faites aux femmes sont à la hauteur. Ma réponse sera nuancée.

D’un point de vue juridique, on peut estimer que les moyens consacrés à cette politique, qui permettaient déjà de sanctionner les violences faites aux femmes, ont été complétés ces dernières années, comme nous le souhaitions. Je pense au projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, adopté en 2018, ou encore aux diverses propositions de loi déposées au Sénat.

Cet arsenal juridique est-il cependant suffisant pour prévenir, combattre et éviter les violences faites aux femmes ? Je ne le pense pas.

Tout d’abord, le principe de réalité nous rattrape : le nombre de ces violences est en constante augmentation – les seules violences sexuelles ont augmenté de plus de 30 % en une année. Quand bien même cette hausse serait due à la libération de la parole, elle demeurerait indéniable, et chaque violence est une violence de trop.

Dans les Hautes-Pyrénées, près de 220 faits de violences sexuelles ont été recensés en 2021, contre 90 en 2020, le plus souvent au sein de la structure familiale.

Ensuite, l’arsenal juridique reste insuffisant, car il existe encore des failles, pour ce qui est notamment de la prise en compte de la parole des victimes. En 2019, selon l’inspection générale de la justice, 80 % des plaintes concernant ce type de violences ont abouti à un classement sans suite, de quoi laisser penser qu’une part d’impunité demeure…

Souvenons-nous de Chahinez Daoud, brûlée vive par son ex-mari : celui-ci avait bénéficié d’une sortie de prison anticipée malgré les plaintes pour menaces de mort qu’elle avait déposées.

Aussi est-il nécessaire de mieux motiver le classement sans suite des affaires, mais aussi de raccourcir le délai de traitement de ces plaintes. Ce sont bel et bien, à cet égard, des moyens humains et financiers qui doivent être mobilisés ; j’axerai la suite de mon propos sur ce point.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes préconise qu’une enveloppe de 1 milliard d’euros soit allouée à cette politique. Je suis consciente qu’une telle somme ne réglera pas le problème des violences faites aux femmes d’un coup de baguette magique. Mais elle doit permettre d’assurer dans l’immédiat un meilleur accueil des femmes victimes de violences, ainsi qu’une meilleure sensibilisation à leur situation.

Si des efforts ont été réalisés en matière d’accueil, il est nécessaire de créer des places d’hébergement supplémentaires, notamment dans les établissements d’accueil sécurisé mère-enfant, pour les cas où le maintien à domicile est rendu impossible.

Un énorme travail de maillage reste à faire également pour ce qui est des médecins légistes effectuant, après un viol, l’examen de la victime. J’en prends pour preuve deux exemples scandaleux issus de mon département : celui, premièrement, de cette enfant violée à plusieurs reprises, que l’on refuse d’examiner dans les Pyrénées-Atlantiques, à 25 kilomètres de Tarbes, sous prétexte qu’elle n’est pas originaire de ce département, le procureur devant intervenir pour qu’elle puisse être enfin examinée.

Deuxième cas : celui de cette femme, renvoyée de l’institut médico-judiciaire de Pau, que les policiers de Tarbes finiront par conduire à Toulouse, à 190 kilomètres de là.

Il y a là autant de situations qu’il faut éradiquer si l’on prétend faire de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes la grande cause du quinquennat.

Ne pourrait-on pas réfléchir, plus profondément, à la première des réponses à fournir : quel accueil médical et psychologique réserve-t-on aux victimes ? Que proposons-nous, dans cette perspective, pour renforcer le maillage du territoire en unités médico-judiciaires (UMJ) ?

À la question de savoir si les moyens accordés à la lutte contre les violences faites aux femmes sont à la hauteur, je ferai pour conclure la réponse suivante : s’il y faut certes davantage de moyens humains et financiers, ladite lutte ne saurait se réduire à cette dimension. Il faut également éduquer, sensibiliser et s’assurer de l’efficacité de la réponse juridique et pénale que nous apportons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Annick Billon et M. Daniel Chasseing applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Carrère, je voudrais tout d’abord avoir une pensée pour votre collègue, le sénateur Olivier Léonhardt, qui nous a quittés après avoir beaucoup œuvré, au sein de cette assemblée et en tant qu’élu local, pour la défense de valeurs profondément humanistes, comme en témoignent ses combats contre le racisme.

Madame la sénatrice, comme vous, j’ai une pensée très émue pour toutes ces femmes qui ont été assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint – vous avez mentionné les 113 victimes de l’année dernière. Mais je pense également à toutes les femmes qui ont été sauvées grâce aux différents dispositifs mis en place depuis 2017 – je vous rappelle qu’en 2008, par exemple, 168 femmes périssaient sous les coups de leurs conjoints ou ex-conjoints, contre 113, donc, l’année dernière.

Chaque féminicide est un féminicide de trop. Mais laisser penser que les dispositifs publics que nous créons pour sauver ces victimes ne fonctionnent pas n’aidera pas ces dernières à libérer leur parole et à demander secours et accompagnement.

Je souhaite également rappeler que nous avons sensiblement amélioré la formation de 90 000 policiers et gendarmes ; ce sujet a été trop longtemps ignoré et l’on n’enregistre pas les plaintes des femmes victimes de violences de la même manière que les autres.

En outre, des intervenants sociaux ont été recrutés pour améliorer la compréhension de ce sujet au sein des gendarmeries et des commissariats. Une grille d’évaluation du danger a été créée pour mieux mesurer le danger auquel font face ces victimes.

Quant au recueil des plaintes, il a considérablement évolué : nous menons actuellement des expérimentations visant à permettre aux victimes qui n’osent pas franchir le seuil des commissariats et des gendarmeries de déposer plainte auprès d’une association, d’une mairie ou d’un membre de leur famille.

J’entends ce que vous dites ; tant qu’il restera une femme mourant sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint, le travail devra continuer. Néanmoins, je ne peux pas vous laisser dire que nous ne progressons pas sur ces sujets.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour la réplique.

Mme Maryse Carrère. Loin de moi l’idée de soutenir que rien n’a été fait, madame la ministre. En matière législative, en tout cas, nous avons beaucoup travaillé, y compris au sein de cet hémicycle, pour tâcher de faire avancer les choses.

Simplement, je voulais insister sur un point : ces violences n’épargnent aucun territoire ; elles touchent aussi, fortement, les territoires ruraux. Or on observe, à cet égard, un déficit : pour accéder à une unité médico-judiciaire, il est nécessaire de se rendre dans un grand hôpital. Il convient donc de travailler à rapprocher ces UMJ de nos populations rurales, en expérimentant par exemple la création de structures allégées. Je compte sur vous, madame la ministre !

Mme la présidente. Madame la ministre, je tiens à vous remercier des propos que vous avez eus pour Olivier Léonhardt. Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen y est très sensible, de même, je le sais, que notre collègue Mme Laurence Rossignol, dont il était l’ami intime.

La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Je tiens en préambule à remercier le groupe CRCE d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Je concentrerai mon propos sur trois points ; mes collègues, je n’en doute pas, aborderont les questions relatives aux moyens, le Sénat ayant acquis au cours des dernières années une compétence reconnue en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et contre les violences intrafamiliales.

Premier sujet : les violences conjugales commises par des policiers. Le dernier féminicide en date a conduit à ce que l’on recherche l’ex-conjoint de la victime, qui se trouvait être un policier. J’observe que, contrairement à ce qui se produit dans le cadre d’autres affaires similaires, il n’y a eu ni appel à témoins ni diffusion d’un portrait ou d’un nom. Pourtant, lorsque l’auteur présumé d’un féminicide disparaît, il est d’usage courant qu’un appel à témoins soit publié dans la presse.

Au-delà de cette remarque, quelques questions se posent.

Comment est-il possible qu’un policier connu pour des faits de violences conjugales continue de détenir son arme de service ? Vous allez sans doute me rétorquer que, comme le mentionne une dépêche parue cet après-midi, une enquête administrative vient d’être diligentée afin de déterminer si le fait que ce policier ait conservé son arme de service était conforme à la loi.

Mais combien sont-ils dans ce cas ? Comment les services de police et de gendarmerie gèrent-ils leurs membres connus pour des faits de violences conjugales ? Reste-t-il de tels profils à l’accueil des gendarmeries ou des commissariats, susceptibles de recevoir les plaintes de femmes victimes de violences ? Nous ne le savons pas et, en réalité, personne n’en sait rien…

Seconde question sur les policiers : depuis la parution du livre de Sophie Boutboul, nous savons que les femmes de policiers ou de gendarmes sont celles qui ont le plus de difficultés pour porter plainte et se faire entendre. Quelles sont les mesures qui ont été prises, au sein de la police et de la gendarmerie, pour garantir à ces femmes la même prise en charge qu’aux autres ?

Deuxième sujet dont je souhaite parler : les violences post-séparation.

Tout d’abord, malgré les différentes réformes de l’ordonnance de protection que nous avons adoptées, nous n’avons pas encore réussi à rendre le dispositif efficace. La stricte interprétation par les juges et par les avocats du conjoint de la règle du cumul de deux conditions – menaces et violences – aboutit à priver un certain nombre de femmes d’une ordonnance de protection alors que les menaces sont certaines, bien que les violences n’aient pas été constatées. Quand un homme dit : « Je vais te tuer ! », il n’a certes pas déjà tué son ex-conjointe, il ne l’a peut-être même pas frappée, mais il la harcèle et menace de la tuer. Cependant, s’il n’y a pas menaces et violences, il n’est pas possible de prononcer une ordonnance de protection.

Ensuite, je souhaite dire un mot de la dissimulation de l’adresse de la victime. Si le juge décide de maintenir l’autorité parentale conjointe, le père violent peut facilement retrouver la mère, par le biais de l’adresse, qu’il a le droit de connaître, de l’établissement scolaire dans lequel l’enfant est scolarisé.

Troisième sujet, enfin : l’articulation entre justice pénale et justice familiale.

Je reçois beaucoup – beaucoup trop – de dossiers du même type : à la suite d’une séparation, le plus souvent décidée sur l’initiative de la mère et mal vécue par le père, des enfants se plaignent d’attouchements sexuels ou de viols commis à l’occasion du droit de visite et d’hébergement du père. « Papa touche mon zizi, mais ce n’est pas pour le laver, c’est pour jouer » ; voilà ce que racontent certains enfants en rentrant de chez leur père. Le plus souvent commence alors pour la mère un parcours kafkaïen, car, tant que la justice pénale n’a pas tranché sur les faits allégués, les enfants doivent continuer d’aller, un week-end sur deux, chez leur père…

Pis, une mère vient de porter plainte contre l’État après avoir découvert que le père, à qui elle avait été obligée de confier sa fille chaque week-end pendant quatre ans, avait fait l’objet, plusieurs années auparavant, d’une plainte pour viol sur mineur. Elle n’arrivait pas à faire entendre à la justice pénale que le père violait son enfant quand le même homme était poursuivi, dans une autre juridiction, pour viol sur mineur ! Ainsi, pendant quatre ans, ces faits commis sur un enfant ont-ils perduré…

Je ne sais comment faire que de tels scénarios ne se répètent plus, si ce n’est en amorçant une révolution dans la justice, une révolution des pratiques et une révolution des moyens.

Au fond, c’est toujours la même histoire : les femmes seraient des menteuses, des manipulatrices ; elles utiliseraient leurs enfants et porteraient plainte contre le père pour régler des conflits qui n’existent, le plus souvent, que dans la tête des juges !

Faudra-t-il donc un jour que l’on fasse une loi disposant que toute décision de justice faisant référence au syndrome d’aliénation parentale ou au contenu de ce syndrome est nulle et non avenue ?

Il y a là un véritable problème. La justice doit agir, vraiment, parce que je ne sais que répondre à ces femmes ; leur vie est un enfer, comme celle de leurs enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon et M. Daniel Chasseing applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Laurence Rossignol, il ne m’appartient pas, vous le savez, de commenter une affaire en cours, mais je tiens à rappeler qu’il existe des procédures administratives et judiciaires permettant de prendre des mesures à l’encontre d’un policier ou d’un gendarme, qui peuvent aller, lorsque cela est jugé nécessaire, jusqu’à l’exclusion ou à l’interdiction d’exercer. En vertu de la séparation des pouvoirs, je le répète, il ne m’incombe pas, en tant que ministre, de commenter un cas d’espèce, mais les dispositifs existent et nous espérons toujours que les juges ou les autorités hiérarchiques s’en saisiront.

Pour ce qui concerne les armes, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales permet la saisie des armes dès le dépôt de plainte de la victime. Cette disposition s’applique à tous, plombiers, vendeur de légumes ou policiers. Les policiers, qui peuvent être des personnes dangereuses, pour elles-mêmes ou pour autrui, sont donc bel et bien concernés par cette possibilité de saisie des armes offerte par les procédures administratives que j’évoquais à l’instant.

Vous avez mentionné également les ordonnances de protection, sujet extrêmement important. Il me paraît essentiel, en la matière, de séparer la sanction de la protection des victimes. Or ces ordonnances, instituées par la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, permettent justement de protéger la victime quand bien même celle-ci serait sous emprise, n’oserait pas déposer plainte ou aurait peur.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Nous savons tout cela !

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. La durée d’application de ces ordonnances a été portée de quatre à six mois par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. La loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a encore renforcé l’effet de ces ordonnances de protection en prévoyant que celles-ci sont délivrées dans un délai de six jours à compter de la fixation de la date de l’audience.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas le Gouvernement qui l’a voulu, c’est le Parlement !

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Ce délai a été considérablement raccourci, puisqu’il était de trente-deux jours auparavant.

Un bref rappel des chiffres les plus récents : en trois années, le nombre de demandes d’ordonnance de protection a crû de 138,5 %. L’amélioration est donc considérable et mérite d’être saluée, d’autant que cette rapide croissance du recours aux ordonnances de protection a donné confiance à beaucoup de femmes, les demandes continuant d’augmenter. Il faut maintenant que les professionnels, les avocats et la justice se saisissent de ces questions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.

Mme Laurence Rossignol. Madame la ministre, je ne vous demande pas de nous décrire le monde merveilleux de la loi ; je vous expose le monde réel des femmes et des enfants. Il y a un écart entre ces deux mondes, et c’est de cet écart que je vous ai parlé.

Bien sûr, l’ordonnance de protection existe et représente un progrès, mais je vous ai dit tout ce qui manque encore à ce dispositif. J’ai également évoqué l’articulation entre justice pénale et justice familiale.

Je ne nie pas votre bonne volonté ni votre engagement, mais nous apprécierions si vous pouviez reconnaître, de temps à autre, qu’il est nécessaire de modifier à nouveau la loi, d’approfondir nos efforts en direction du monde judiciaire ou de mieux articuler les différents dispositifs existants.

Tout ce que vous nous dites, je le sais ! Je connais les lois et les décrets qui ont été adoptés en la matière. D’ailleurs, le plus souvent, il a fallu s’y reprendre à plusieurs fois et le Sénat a dû revenir à la charge pour faire adopter des amendements que le Gouvernement avait précédemment écartés.

Mme Laurence Rossignol. Bref, l’histoire, nous la connaissons bien. Ce que je dis, simplement, c’est que nous ne sommes pas au bout du chemin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mmes Annick Billon et Pascale Gruny ainsi que M. Bruno Belin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier le groupe CRCE d’avoir fait inscrire ce débat très important à notre ordre du jour.

Le Gouvernement a placé la lutte contre les violences faites aux femmes au cœur de ses priorités. Le Grenelle des violences conjugales, qui s’est tenu à l’automne 2019 et dont les conclusions ont été rendues publiques le 25 novembre 2019 – journée symbolique consacrée, dans le monde entier, à la lutte contre les violences faites aux femmes –, a débouché sur 46 mesures.

Entre l’ouverture de 2 000 nouvelles places d’hébergement d’urgence à l’échelle nationale, la formation de 90 000 policiers et gendarmes, la mise à disposition de 1 000 bracelets anti-rapprochement ou la disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept de la plateforme téléphonique d’écoute, d’information et d’orientation des victimes de violences sexistes et sexuelles, nombreuses sont les réalisations qui ont permis de concrétiser ces annonces.

Sur le plan législatif, la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a représenté une avancée majeure dans la lutte contre les violences conjugales. Cette loi a réformé l’ordonnance de protection, donné un nouvel essor au téléphone grave danger, permis le déploiement du bracelet anti-rapprochement et prévu la prise en compte de l’impact des violences sur les enfants via la possibilité pour le juge pénal de se prononcer sur l’autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation pour violences conjugales.

La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, issue d’une proposition de loi présentée par les députés Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha, a permis notamment l’attribution à titre provisoire de l’aide juridictionnelle de plein droit dans le cadre des procédures présentant un caractère d’urgence comme l’ordonnance de protection. Elle a également accordé au juge la faculté de suspendre le droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur dont le parent violent est titulaire, de décharger de leur obligation alimentaire les ascendants, descendants, frères ou sœurs de personnes condamnées pour un crime ou un délit portant atteinte à l’intégrité de la personne commis par un parent sur l’autre parent, ou encore de lever le secret médical lorsque les violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et lorsque celle-ci se trouve sous l’emprise de l’auteur des violences.

Ces textes, sur lesquels le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée, ont été adoptés à l’unanimité, preuve, s’il en était besoin, d’une volonté transpartisane de faire reculer ces violences et, sinon de faire disparaître les féminicides en France, à tout le moins d’en infléchir la courbe.

Notre arsenal de protection et de prévention est désormais bien fourni et les moyens financiers ont été renforcés, le budget consacré à aider les victimes de telles violences augmentant substantiellement – +77 % – entre 2019 et 2022. Les dispositifs essentiels de protection, tels que le téléphone grave danger ou le bracelet anti-rapprochement, que j’évoquais précédemment, ont bénéficié de crédits importants au cours de ce quinquennat. J’en veux pour preuve la hausse de plus de 145 %, entre 2018 et 2021, de la dépense totale destinée au téléphone grave danger.

Il serait malhonnête de ne pas reconnaître que des progrès significatifs et indéniables ont été accomplis ces dernières années dans la lutte contre ce fléau des violences conjugales, dans le traitement des plaintes ou encore dans le suivi des victimes.

D’ailleurs, M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance, confirmait, mi-novembre dernier, l’objectif défini en 2019 consistant à installer d’ici à la fin de l’année 2022 sur tout le territoire, y compris dans les départements d’outre-mer, trop souvent oubliés, des unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger, vers lesquelles seront orientés et pris en charge les enfants témoins de féminicides ou victimes de violences. Il promettait, à cet effet, une enveloppe de 14 millions d’euros. Madame la ministre, quand le département de Mayotte bénéficiera-t-il de ce dispositif ?

Par ailleurs, si l’on doit reconnaître ces avancées considérables, force est de constater que, bien que l’année ne fasse que commencer, plusieurs femmes ont déjà perdu la vie sous les coups de leur compagnon. Madame la ministre, que répondez-vous à ceux qui prétendent que le Gouvernement s’est davantage concentré sur la protection des victimes que sur la dissuasion des auteurs ?

Enfin, vous ne m’en voudrez pas d’évoquer la situation globale en outre-mer.

Selon l’Insee, les violences intrafamiliales, mesurées à partir des dépôts de plainte, sont plus répandues en outre-mer que dans l’Hexagone. En 2017, déjà, le Conseil économique, social et environnemental rapportait que les violences intrafamiliales étaient plus fréquentes et plus graves en outre-mer, en raison de l’insularité ou de la faible superficie de certains territoires, qui peuvent entraver la libération de la parole et rendre inopérants l’éloignement du conjoint violent ou le choix d’un lieu anonyme offrant la possibilité d’être accueillie et écoutée sans crainte.

À Mayotte, chaque année, environ 650 femmes franchissent courageusement la porte du commissariat de Mamoudzou ou d’une brigade de gendarmerie de l’île pour signaler des violences conjugales. Seuls 150 de ces signalements donnent lieu à des procédures judiciaires et, de surcroît, nous savons que le chiffre des dépôts de plainte conduit à sous-estimer largement la réalité des violences, certaines victimes refusant de porter plainte, soit parce qu’elles sont économiquement dépendantes de leur bourreau soit en raison de la pression sociale.

Depuis le mois d’octobre dernier, 5 bracelets anti-rapprochement et 5 téléphones grave danger sont disponibles à Mayotte. Pouvez-vous nous préciser si ces équipements ont été utilisés et si d’autres appareils vont être commandés ? Leur déploiement sur un territoire comme celui de Mayotte est-il pertinent, compte tenu de la taille dudit territoire ?

Le 23 juillet 2021, M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, a lancé, en coordination avec le service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes, l’appel à projets « Mobilisés contre les discriminations et les violences faites aux femmes en outre-mer ». Une enveloppe de 325 000 euros devait permettre d’accompagner 38 projets dans 9 territoires ultramarins. Les lauréats ont-ils d’ores et déjà reçu ces fonds ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur de nombreux points, mais je ne pourrai répondre, dans le temps qui m’est imparti, que sur deux sujets : les bracelets anti-rapprochement et la situation dans les territoires ultramarins.

Je profite de cette réponse pour vous remercier de votre implication sur ces sujets en tant qu’élu de Mayotte, mais aussi en tant qu’avocat.

Pour répondre à votre question sur le renforcement du maillage territorial de tous les dispositifs mis en place pour lutter contre le fléau des violences conjugales, je veux préciser qu’il n’existe pas un seul dispositif mis en place dans l’Hexagone qui n’ait pas été décliné de manière exactement identique dans les territoires ultramarins, où, je le sais, de telles violences prospèrent également, parfois de manière plus grave encore – d’où l’importance de mesures adaptées.

En 2021, nous avons spécifiquement investi 2,3 millions d’euros dans les territoires ultramarins pour traiter ce sujet. En outre, si, comme vous l’avez indiqué, depuis le 30 août dernier, nous avons étendu les horaires de la plateforme téléphonique du 3919, désormais accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, c’est en partie pour permettre aux résidents des territoires ultramarins d’y recourir beaucoup plus facilement qu’auparavant.

Pour lutter contre la récidive, nous avons créé des centres de prise en charge des auteurs de violence, dont cinq en outre-mer : à La Réunion, en Guyane, en Guadeloupe, à Mayotte et en Martinique. Fin 2022, nous aurons augmenté de plus de 80 % le nombre de places d’hébergement disponibles, dont 10 % se trouveront dans les territoires ultramarins.

En ce qui concerne le bracelet anti-rapprochement, ce dispositif a fait l’objet d’une longue expérimentation, à compter de la fin de l’année 2020. À ce jour, 689 placements sous bracelet ont été prononcés et 489 bracelets sont actifs – dont 14 dans les territoires ultramarins –, contre 228 en août dernier ; c’est dire l’accélération qui s’est produite sur ce sujet.

Mme la présidente. Pardonnez-moi de vous couper, madame la ministre, mais votre temps de parole est limité à deux minutes par réponse et vous le dépassez systématiquement. Je signale en outre que vous disposerez d’un temps de parole de cinq minutes à l’issue du débat.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Je vous prie de m’excuser, madame la présidente.

Mme la présidente. Je vous en prie, madame la ministre.

M. Thani Mohamed Soilihi. J’accepte les réponses écrites !

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite à mon tour remercier le groupe CRCE d’avoir proposé ce débat.

La protection et l’émancipation des femmes ainsi que la lutte contre le sexisme s’imposent à notre société. Les violences faites aux femmes sont l’une des atteintes aux droits les plus courantes dans le monde ; dans huit cas sur dix, elles sont commises par une personne vivant sous le même toit que la victime. Au cours du seul mois de janvier 2022, huit femmes et une enfant de deux ans sont décédées sous les coups, respectivement, de leur conjoint ou de leur père.

En 2019, année du lancement du Grenelle contre les violences conjugales, 146 femmes ont perdu la vie dans ces tristes circonstances ; en 2021, elles étaient 113. Toutefois, ces féminicides ne sont que la partie émergée de l’iceberg ; nombreuses sont encore les femmes qui subissent des violences psychologiques en silence.

Il existe en effet un décalage entre les dispositifs mis en place et le nombre de femmes victimes qui acceptent de parler. Tout agresseur devrait être convoqué, au moins pour un rappel à la loi. La parole des femmes, aujourd’hui encore, est insuffisamment prise en compte, malgré les récents progrès constatés en la matière. Nous devons former les professionnels de santé à la détection des situations de violence conjugale et à l’écoute des victimes. Il faut permettre à ces dernières de retrouver leur dignité, de se défaire de leur peur et de leur sentiment de honte, et les aider à porter plainte en démontant le mécanisme d’emprise qui les lie à leurs agresseurs.

Les dispositifs proposés par la justice, comme les téléphones grave danger et les bracelets anti-rapprochement, apportent des réponses concrètes. Actuellement, 479 hommes sont équipés d’un bracelet – vous avez même cité un chiffre légèrement supérieur, madame la ministre – et 200 victimes disposent d’un téléphone grave danger. Depuis mardi dernier, les victimes sont en outre obligatoirement avisées de la sortie de prison de leur conjoint ou ex-conjoint violent.

Ces mesures vont dans le bon sens. Nous devons éviter toute rupture dans la surveillance des agresseurs et agir à tous les niveaux, en renforçant la prévention, la détection et les sanctions.

Malgré les dispositifs déployés, les violences faites aux femmes ont augmenté de 25 % par rapport à 2019. Cette recrudescence s’explique par une hausse très significative des agressions lors du premier confinement et par une libération concomitante de la parole. En sus du numéro d’urgence, le 3919, les victimes ont désormais la possibilité d’alerter les forces de l’ordre dans les pharmacies. Ce système, inspiré du modèle espagnol, devrait favoriser les signalements.

En Corrèze, les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence sont très insuffisants. Pour travailler efficacement, nous devons œuvrer en faveur de la concertation entre les associations d’un même département.

Les conclusions du rapport déposé le 8 juillet 2020 par nos collègues Arnaud Bazin et Éric Bocquet sont confirmées, aujourd’hui encore, par les acteurs de terrain : les outils existent, mais les modalités d’attribution des crédits ne sont pas suffisamment connues ni expliquées. Les financements sont versés sur des périodes trop courtes pour que les associations aient de la visibilité.

Celles-ci en sont réduites à travailler avec des bouts de ficelle et à naviguer à vue, en s’appuyant sur le dévouement et le travail extraordinaires de leurs salariés et de leurs bénévoles. L’association Le Roc, en Corrèze, a dû licencier trois personnes et ne peut donc plus prendre en charge que trois hébergements sécurisés vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

La prise en charge médicale ne doit pas prendre le pas sur l’accompagnement social. Ces deux composantes sont essentielles pour aider les victimes. Collectivement, nous devons renforcer la prise en charge des victimes qui sont en situation de précarité sociale, économique et psychologique.

Il est primordial d’augmenter le nombre de places d’hébergement d’urgence sécurisé, sans oublier, bien sûr, les solutions d’hébergement pérennes. Nous devons également prendre en charge les auteurs de violences afin d’éviter les récidives.

Madame la ministre, nous sommes sur la bonne voie, la parole se libère et de nouveaux dispositifs de signalement et de contrôle sont déployés, mais les violences persistent, aggravées par les confinements successifs.

Il faut aller plus loin et actionner tous les outils nécessaires pour développer une culture de la protection des femmes et des enfants exposés à ces violences insupportables. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, SER et GEST. – Mme Annick Billon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la libération de la parole des victimes, qui est extrêmement salutaire. En vérité, les victimes parlent depuis longtemps, mais désormais, enfin, on les écoute, on les prend au sérieux et on traite leur parole. Voilà ce qui est en train de changer.

Si nous observons une augmentation aussi importante – +33 % – des signalements, c’est parce que, grâce à la libération de la parole, en particulier sur les réseaux sociaux, aux politiques publiques mises en œuvre et au travail mené depuis des années par les associations féministes pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles, de plus en plus de victimes prennent la parole, y compris pour dénoncer des faits vieux de six mois, deux ans, cinq ans. Cela ne peut être que salutaire pour notre société et il faut continuer dans ce sens.

Vous avez parlé des associations. Depuis que j’ai pris mes fonctions, l’année dernière, le budget de mon ministère a augmenté de 40 %, et il s’accroît encore de 25 % en 2022. Or la très grande majorité de ces augmentations de crédits sont directement allouées, sachez-le, aux associations, afin de leur permettre de faire leur travail. Je déplore donc un peu les discours que j’entends à ce propos : la semaine dernière, la présidente d’un centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) affirmait qu’il n’y avait que des paroles, mais pas d’actes. Or nous avons augmenté le budget de la Fédération nationale des CIDFF (FNCIDFF) de 38 % ! Ne sont-ce là que des paroles ?

Certaines personnes semblent avoir du mal à quitter leur costume politique… Je pense, moi, que ce sont les faits et les actes qui comptent.

J’en termine en évoquant plus spécifiquement la Corrèze, monsieur le sénateur : j’y ai organisé huit comités locaux d’aide aux victimes ; le maillage territorial fonctionne bien et nous y veillons.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.

M. Daniel Chasseing. Je ne doute ni de votre bonne volonté ni de votre efficacité, madame la ministre. J’ai simplement cité un cas en Corrèze : l’association Le Roc est obligée de licencier trois personnes et de ne conserver que trois places d’hébergement sécurisé sur six disponibles auparavant. Sécuriser les hébergements d’urgence me paraît crucial, même s’il ne faut pas négliger les hébergements pérennes.

J’appelle votre attention sur ce sujet, dont je vous saurais gré de tenir compte.

Mme Laurence Cohen. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud et Mme Annick Billon applaudissent également.)

M. Bruno Belin. À la question « sommes-nous à la hauteur ? », dont le groupe communiste, que je remercie, nous permet de débattre aujourd’hui, la réponse est « non », madame la ministre.

Les chiffres sont têtus et ils nous choquent – Mme Gruny évoquait son département de l’Aisne, qui a enregistré une hausse de plus de 23 % des violences sexuelles.

Les féminicides ont été plus particulièrement évoqués, mais nous devons avoir en tête aussi toutes les violences quotidiennes, et rechercher leurs causes.

Sommes-nous à la hauteur en matière de sécurité ? Non ! On le voit bien, nous ne sommes pas en capacité d’assurer la sécurité d’une femme au sujet de laquelle nous disposons pourtant d’informations préoccupantes relatives à son entourage. Nous ne sommes pas capables de lui fournir un hébergement.

Il faudrait d’ailleurs, madame la ministre, inverser la sanction du départ. Actuellement, en cas de problème dans un foyer, c’est la victime qui doit partir, ce qui pose une véritable difficulté en milieu rural – nos collègues Maryse Carrère et Daniel Chasseing l’ont noté –, où il n’existe pas de logements d’urgence. Si vous voulez mettre en œuvre un véritable plan contre les violences conjugales, il faudra un jour penser à la question du logement d’urgence.

Sommes-nous à la hauteur en matière de santé ? Non ! Le rapport réalisé par la délégation aux droits des femmes sur les femmes et la ruralité montre que treize départements n’ont pas de gynécologue, madame la ministre ! À chaque fois qu’un lieu de santé disparaît, c’est un lieu de confidence et de confiance qui disparaît. La progression des déserts médicaux est l’une des causes, selon moi, du développement de la violence intrafamiliale. À cet égard, je voudrais saluer mes consœurs et confrères pharmaciens qui ont su développer durant les confinements l’opération « masque 19 », permettant aux femmes de donner l’alerte en cas de violences.

Sommes-nous à la hauteur pour ce qui est de la place des femmes ? Non ! Au sein des conseils municipaux, nous avons su inventer les correspondants défense. Inventons les correspondants violence ! Cela ne coûterait rien ! À chaque fois qu’une femme peut être écoutée, c’est la parole qui se libère et vous vous mettez en situation d’apporter des réponses.

Cessons de nous réfugier derrière des quotas et décidons, tout simplement, d’ouvrir à la parité toutes les écoles qui forment les commissaires de police et les officiers de gendarmerie, mais aussi les plus grandes écoles de la République. Vous le savez comme moi, l’École nationale d’administration (ENA) compte actuellement 80 % d’hommes. Si, à chaque niveau de l’État, il n’y a pas une place pour les femmes, la violence sera toujours là.

Sommes-nous à la hauteur sur les questions de formation ? Non ! Vous le savez très bien, l’article L. 312-16 du code de l’éducation ne prévoit que quelques minutes d’éducation à la sexualité. Ouvrons les vannes de la formation, madame la ministre, à l’école et dans les collèges ! Ouvrons les vannes de l’instruction civique ! Par le respect que fera naître une telle formation, les choses s’amélioreront.

Laurence Rossignol et Laurence Cohen l’ont dit, un travail sur la pornographie est en cours au sein de la délégation aux droits des femmes. Je peux vous l’assurer, mes chers collègues, vous tomberez de votre siège quand vous entendrez ce qu’il en est en réalité de l’accès à cette pornographie et de la brutalité de la violence afférente. Il faudra avoir le courage de prendre un certain nombre de décisions : en la matière et une fois de plus, nous ne sommes pas à la hauteur.

Puisque l’occasion m’en est donnée, je veux saluer le travail accompli par la délégation aux droits des femmes et par sa présidente, Annick Billon. C’est un honneur d’y participer, madame. C’est une grande chance pour le Sénat que d’avoir cette délégation ! (M. Jean-Michel Arnaud et Mmes Annick Billon, Laure Darcos, Guylène Pantel et Lana Tetuanui applaudissent.)

Je veux également avoir une pensée pour toutes les femmes afghanes, dont nous connaissons les souffrances. Le monde ne pourra pas vivre dans la fierté tant qu’une femme sera violentée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Je précise à l’attention du sénateur Chasseing, information d’importance, que l’association Le Roc a obtenu sept places d’hébergement en 2021.

Monsieur le sénateur Belin, j’aurais aimé, vraiment, que le groupe auquel vous appartenez eût eu plus tôt le même volontarisme et la même ambition que ceux dont vous faites preuve aujourd’hui concernant les violences faites aux femmes. Je suis convaincue qu’ainsi nous aurions progressé. (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laure Darcos. Et Aurélien Pradié ?

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Les moyens mis en œuvre pour traquer pas à pas les féminicides nous permettent d’avancer, parce que nous nous assurons de leur efficacité. Les drames que vous avez mentionnés exigent à la fois de l’humilité et de la détermination. Évidemment, lorsque fait défaut un ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, comme c’était le cas lorsque Les Républicains étaient au pouvoir, il est difficile d’ériger cette question, comme nous le faisons nous, en priorité. (M. Bruno Belin et Mme Pascale Gruny manifestent leur indignation.)

Ce sujet me paraît trop grave pour être instrumentalisé.

M. Bruno Belin. C’est vous qui êtes en train de l’instrumentaliser !

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Il doit plutôt nous rassembler. Un féminicide sera toujours un féminicide de trop. Nous avons travaillé ensemble, depuis 2017, à construire des dispositifs législatifs et à faire augmenter les budgets ; il faut poursuivre dans cette voie.

En 2015, 144 féminicides avaient été enregistrés. Je le répète, ce chiffre a considérablement baissé, grâce aux nombreux dispositifs mis en place. Il faut continuer de donner espoir à ces femmes et à ces enfants, auxquels nous pensons aujourd’hui. Leur dire que tout cela ne fonctionne pas, c’est leur dire qu’il existe en la matière une fatalité, ce que je refuse, monsieur le sénateur.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin, pour la réplique.

M. Bruno Belin. Je suis très choqué, madame la ministre, que vous évoquiez des questions de politique politicienne, de partis ou de groupes ! Si vous voulez aller sur le terrain de l’histoire, permettez-moi de vous rappeler que les plus grandes lois sociales ont été décidées par des présidents de la République ancrés à droite – je peux citer le général de Gaulle pour ce qui concerne la sécurité sociale et les allocations familiales, le président Giscard d’Estaing pour ce qui est de l’interruption volontaire de grossesse ou le président Chirac et la loi Handicap. (Protestations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Vous êtes dans l’erreur, madame la ministre !

Vous parlez encore et toujours des féminicides ; avoir comme indicateur ou comme phare la mort d’une femme, c’est terrible ! Il y a 230 000 violences « ordinaires », comme vous dites, chaque année ; c’est tout aussi terrible ! Tant qu’on n’arrivera pas à traiter ces violences, vous n’arriverez pas à zéro féminicide ! Je rejoins ce que disait Laurence Cohen : donnez des instructions, la Chancellerie est faite pour ça ! Le viol figure dans le code pénal et dans le code de procédure pénale, il doit être traité en tant que tel. (Mme Pascale Gruny applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, 2022 ne fait que commencer et on recense déjà 13 féminicides, décompte macabre s’il en est.

Vous justifiez votre politique, madame la ministre, sur la base de chiffres qui traduiraient une diminution des violences. Je vous incite néanmoins à la prudence et à la mesure. En effet, ma collègue Laurence Rossignol et moi-même l’avons relevé ensemble, il y a eu 109 féminicides en 2016. Ces chiffres ne sauraient donc révéler une tendance. Ils dénotent simplement la persistance des violences et exigent que nous soyons à la hauteur de la situation.

Les violences, on le sait, sont perpétrées de multiples manières. À cet égard, je tiens à saluer les femmes qui ont le courage de prendre la parole et de porter la parole des victimes, dans des circonstances toujours difficiles et délicates, pour dénoncer de tels faits. C’est grâce à elles que nous avons progressivement pris conscience des problèmes très graves auxquels nous sommes confrontés.

Aujourd’hui, personne ne dit que le Gouvernement ne fait rien. En revanche, nous disons – cette formule a été prononcée à de nombreuses reprises au cours du débat – que le Gouvernement n’est pas à la hauteur. Il est difficile de l’être, certes : la situation est grave, très fortement enracinée dans notre société, où le patriarcat domine depuis des siècles.

Mais, de surcroît, le Gouvernement n’est pas à la hauteur de ses propres mots. Vous parlez de grande cause du quinquennat et brandissez le chiffre de 1 milliard d’euros, quand nous observons, sur le terrain, que le compte n’y est pas ; en découlent déceptions et colère.

En effet, la situation ne s’améliore pas beaucoup. Nous constatons que des associations dont les militants et les professionnels œuvrent à aider les femmes se retrouvent en difficulté. Nous constatons que la situation du logement ne permet pas de répondre aux problèmes qui sont pointés année après année.

On peut bien nous parler de grande cause nationale et nous dire que l’argent est là ; mais nous voyons que tel n’est pas le cas ! C’est le Gouvernement qui se met lui-même en difficulté…

Vous n’êtes pas à la hauteur des mots mêmes que vous prononcez ! Ce décalage engendre une grande colère et explique que nous ayons tant de mal à nous mettre d’accord, quand nous devrions, tous ensemble, promouvoir une dynamique collective.

Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier le groupe CRCE d’avoir fait inscrire ce débat à l’ordre du jour.

Madame la ministre, vous seriez soutenue par l’ensemble des groupes politiques du Sénat si vous aviez été à la hauteur de vos mots et de ceux du Président de la République.

On ne saurait considérer que les choses vont beaucoup mieux aujourd’hui. Certes, un nombre important de femmes et d’hommes prennent conscience du problème. Les moyens mobilisés, néanmoins, ne sont pas à la hauteur, comme l’a bien montré mon collègue Éric Bocquet dans le rapport d’information qu’il a coécrit avec Arnaud Bazin au nom de la commission des finances – je ne doute pas qu’il y reviendra avec précision.

Les moyens et les montants mis en avant par le Gouvernement ne trouvent pas de traduction sur le terrain. Ce refrain du milliard d’euros est en définitive très artificiel ; on l’a bien vu au moment de la polémique engendrée par les annonces de Mme Schiappa fin 2019 et début 2020 ! Il ne faut pas jouer avec ça : nous sommes tous suffisamment conscients de la gravité des faits.

Il est temps qu’advienne un sursaut collectif. Le prochain quinquennat devra faire enfin de ce sujet une véritable grande cause ; le cas échéant, tout le monde répondra présent pour soutenir le travail engagé.

Sur le terrain, dans les commissariats, au moment des dépôts de plainte, lorsqu’il faut mettre à l’abri une famille ou protéger une femme qui prend la parole, les moyens ne sont pas là, malgré les belles paroles ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Taillé-Polian, permettez-moi simplement d’apporter une précision concernant les chiffres que vous avez mentionnés. En 2016, j’y insiste, il y a eu 157 féminicides. Je ne veux pas compter, mais il est important de donner les bons chiffres ! Vos chiffres ne prennent pas en compte les partenaires hors mariage. Je veux croire qu’il s’agit là d’une simple omission…

Vous affirmez qu’il ne faut pas s’arrêter aux chiffres, mais ceux-ci sont nécessaires là où il s’agit de mesurer nos progrès.

Vous appelez de vos vœux une dynamique collective ; mais je ne demande que cela ! Je travaille avec toutes les personnes qui le souhaitent, à condition qu’on n’instrumentalise pas ce sujet.

Oui, il reste beaucoup à faire, vous avez raison, madame la sénatrice Rossignol. Je ne manque pas d’humilité, et je n’ai pas peur de dire que nous pouvons et devons aller plus loin. Reconnaissons néanmoins à ce gouvernement le mérite de s’être emparé de cette question de manière extrêmement volontariste. Que vous le reconnaissiez ou non, nous en avons bel et bien fait une grande cause du quinquennat.

Quatre lois destinées à protéger les victimes et leurs enfants ont ainsi été votées en cinq ans ! Deux lois ont permis que la contribution économique et financière des femmes soit considérée et respectée ! Nous le savons, de nombreuses femmes ne parviennent pas à échapper à ces violences parce qu’elles sont en situation de précarité et de vulnérabilité.

Puisque vous m’offrez de travailler ensemble, sachez que je serai totalement attentive à ce que vous proposerez.

À cet égard, je tiens à saluer le travail accompli par la délégation aux droits des femmes, magistralement présidée par Mme la sénatrice Annick Billon. (Mme Lana Tetuanui applaudit.) Nous avons toujours travaillé main dans la main pour faire avancer nos sujets, que ce soit sur le droit des enfants ou sur les zones rurales.

Ne nous reprochez donc pas de nous être emparés de cette question avec autant de volontarisme, de l’avoir portée dans le débat public et d’avoir investi financièrement et humainement ! Nous continuerons à le faire, avec humilité, parce que nous sommes conscients qu’il reste encore beaucoup à faire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.

Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la ministre, sur le terrain, pour de nombreuses associations, votre volontarisme est un volontarisme de façade.

Ce n’est pas votre volonté politique qui fait avancer les droits des femmes, ce sont les femmes qui se mobilisent. Si, à l’heure actuelle, on parle tant de ces questions, c’est d’abord grâce aux militantes, qui se sont levées, qui parlent et aident les autres femmes à parler – je veux leur rendre hommage.

Vous dites agir avec humilité ; c’est un peu facile. À prétendre sans arrêt que le milliard est là alors qu’il n’y est pas – nous le savons tous très bien –, vous manquez singulièrement d’humilité, et de décence, eu égard à la situation actuelle des associations ! Au demeurant, je suis sûre que M. Bocquet reviendra sur ce point.

Enfin, je dois le dire, madame la ministre, nous avons fait des propositions, toutes travées confondues, à chaque débat, budgétaire ou autre. Bien souvent, le Gouvernement était aux abonnés absents ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord souhaiter un prompt rétablissement à ma collègue Marie-Claude Varaillas, qui devait intervenir à ma place, mais est contrainte à l’isolement pour les raisons que vous savez.

Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a souhaité débattre de la lutte contre les violences faites aux femmes, qui avait été déclarée grande cause du quinquennat par Emmanuel Macron en 2017.

Le 1er décembre dernier, le ministre de la justice, M. Éric Dupond-Moretti, avait prononcé les mots suivants devant la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale : « on a fait énormément de choses, même si le crime nous rappelle parfois, hélas, qu’on n’en a pas fait assez peut-être. »

Comme l’a rappelé ma collègue Laurence Cohen dans sa présentation, la lutte contre les violences faites aux femmes s’est imposée dans le débat public. Au cours des cinq dernières années sont intervenues des évolutions législatives importantes, toutes grevées néanmoins d’un même défaut : des moyens budgétaires et humains insuffisants pour que les objectifs fixés dans la loi soient atteints.

En apparence, le budget consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes a progressé durant le quinquennat.

Ainsi le budget du ministère délégué chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes a-t-il doublé entre 2017 et 2022, passant de 22,3 millions d’euros à 50,6 millions d’euros.

Toutefois, comme nous l’avions souligné, avec mon collègue Arnaud Bazin, dans notre rapport d’information de juillet 2020 sur le financement de la lutte contre les violences faites aux femmes, abondamment cité par nos collègues cet après-midi, il en va bien autrement dans la réalité.

En effet, l’augmentation du budget du ministère s’est accompagnée d’une augmentation de ses missions, réduisant de facto les crédits supplémentaires concrètement alloués à notre sujet.

Par ailleurs, une partie de cette enveloppe supplémentaire provient de la réallocation d’anciens crédits non utilisés, ce qui signifie que la mise en œuvre de certaines mesures s’est faite au détriment d’autres actions initialement prévues.

Le Gouvernement revendique une enveloppe totale de plus de 1 milliard d’euros consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes.

Mais là encore le compte n’y est pas, puisque ce milliard d’euros s’échelonne en réalité sur plusieurs exercices budgétaires. En outre, près de la moitié des fonds affichés va à la rémunération des enseignants qui abordent en classe les questions d’égalité entre les sexes.

Le bilan est donc à bien des égards à relativiser quant aux efforts financiers consentis durant ce quinquennat.

Il ne faut pas nier cependant les progrès qui ont été réalisés. Laurence Cohen disait en préambule que nous souhaitions un débat objectif. Cette volonté est partagée par les acteurs de terrain, en particulier les associations qui viennent en aide aux femmes victimes de violences.

Je pense notamment à l’association Femmes solidaires, qui a établi un rapport, en novembre 2021, sur l’accueil des femmes victimes de violences sexistes, sexuelles et conjugales par la police ou la gendarmerie.

Il est fait mention, dans ce rapport, de l’augmentation du nombre de policiers et gendarmes formés ou de l’intégration dans le cursus des magistrats d’une formation sur l’accueil des femmes victimes de violences.

Ses auteurs saluent par ailleurs le déploiement dans les commissariats et les gendarmeries de référents violences, d’intervenants et intervenantes sociaux, de psychologues, ainsi que l’organisation d’expérimentations prometteuses, comme celle de la Maison des femmes de Saint-Denis, qui accueille dans ses locaux des policiers et policières spécifiquement formés afin que les plaintes des victimes puissent être prises sur place.

L’association Femmes solidaires note néanmoins la persistance des freins auxquels sont confrontées les victimes. Ainsi, la peur des représailles, l’absence de soutien des proches, parfois, le coût d’une procédure et l’appréhension engendrée par le fait de se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie – telles sont les raisons invoquées le plus fréquemment – font que seule une victime de violences sur six porte plainte.

Les victimes continuent de subir le manque de personnel, qui rend impossible de garantir un accueil de qualité, ainsi que les pénuries de moyens, qui font matériellement obstacle aux dépôts de plainte et empêchent la justice de remplir sa mission dans les meilleurs délais et de garantir ainsi la sécurité des femmes.

Face à une telle situation, les associations apportent leur aide aux femmes en participant à l’accueil avec les services de police ou de gendarmerie. Ces relations sont citées comme un facteur important d’amélioration de l’accueil et de l’audition de la victime. Elles permettent une prise de rendez-vous plus rapide et plus efficace, avec une personne formée sur les questions de violences, mais aussi une présentation, en amont de l’audition, de la situation de la victime.

Madame la ministre, ma première question sera donc la suivante : que pensez-vous de la proposition d’intégrer les associations dans le processus d’accueil des victimes de violences ?

La pandémie a affecté l’ensemble de la société, et les plus précaires ont été particulièrement touchés. Ma collègue Michelle Gréaume avait déposé, voilà un an, une proposition de loi visant à mettre en place une aide financière d’urgence en direction des victimes de violences conjugales. Nous constatons, dans notre territoire, que l’un des principaux freins au départ du domicile, outre l’emprise exercée par le conjoint, est le manque de ressources financières propres.

La mise en place d’une aide financière d’urgence destinée aux victimes de violences conjugales permettrait d’encourager la démarche de départ.

Tel sera l’objet de ma deuxième question : que pensez-vous, madame la ministre, de la proposition consistant à attribuer pendant trois mois, sous forme d’avance sur droits, soit directement à la personne soit à la structure d’hébergement d’urgence, une aide financière afin d’aider les victimes de violences conjugales à quitter le domicile ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et UC. – Mmes Esther Benbassa et Laure Darcos applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Monsieur le sénateur Bocquet, je connais évidemment le rapport élaboré que vous avez rédigé avec le sénateur Bazin. Vous êtes l’une des premières personnes que j’ai rencontrées lorsque je suis arrivée au sein de mon ministère.

Je peux vous en assurer, j’ai travaillé d’arrache-pied sur ce sujet, afin de répondre aux reproches qui nous sont adressés. Je le répète, tous les crédits budgétaires affectés à la lutte contre les violences faites aux femmes ne relèvent pas mon ministère. Une candidate à l’élection présidentielle suggérait voilà peu de mettre un « vrai » milliard d’euros dans la lutte contre ces violences. Est-ce à dire que le financement de l’accompagnement des victimes par des magistrats ou des policiers n’est pas un « vrai » budget ni ne constitue une véritable contribution à la lutte contre les violences faites aux femmes ?

De la même façon, financer la déconstruction des stéréotypes, des préjugés et des biais de nos jeunes enfants, n’est-ce pas une manière de préparer ces derniers au respect de l’autre et de son intégrité, afin d’éviter que, plus tard, ces violences n’adviennent ? Lorsque l’on finance l’éducation à la sexualité et à la question du consentement, ne lutte-t-on pas également contre les violences sexistes et sexuelles que subissent les femmes ? (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

Je m’étonne qu’on ne prenne pas en considération les budgets des ministères de la santé, du logement, de la justice et de l’intérieur et que, dès lors, on estime que ce milliard d’euros n’existe pas, au seul motif qu’il n’est pas tout entier retracé dans le budget du programme 137 !

Je le précise également, le document de politique transversale, qui est à la disposition de tous, retrace les différents crédits budgétaires investis dans la lutte contre le fléau des violences conjugales.

Par ailleurs, je le rappelle, les crédits du 3919 sont passés de 1,5 million d’euros en 2020 à 3,2 millions d’euros en 2022. On va sans doute me dire, là encore, que ce n’est pas le sujet ! Néanmoins, j’estime qu’il s’agit d’une évolution importante.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.

M. Éric Bocquet. Il serait judicieux, dans la conduite des actions destinées à protéger les femmes victimes de violences, de s’appuyer beaucoup plus sur les associations, qui mènent depuis des années un travail en ce sens et dont la démarche militante donne des résultats – elles sont efficaces y compris en matière d’accueil des victimes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Elsa Schalck applaudit également.)

Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a beaucoup à dire et à faire sur le sujet grave qui nous réunit aujourd’hui. Chaque année, en France, 213 000 femmes sont victimes de violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Et 113 femmes sont mortes en 2021.

Les récents chiffres publiés par le ministère de l’intérieur font état d’une hausse de 57 % des violences intrafamiliales et de 82 % des violences sexuelles déclarées depuis le début du quinquennat.

Comment ne pas être découragé par ces chiffres, alors même que la lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée « grande cause du quinquennat » par le Président de la République au début de son mandat ?

J’aimerais pour ma part saisir l’occasion offerte par l’organisation de ce débat, inscrit à l’ordre du jour par le groupe CRCE – je remercie à cet égard Laurence Cohen, très investie dans la délégation aux droits des femmes –, pour mettre en lumière des femmes qui sont trop souvent les oubliées des débats publics et des financements : je veux parler des 11 millions de femmes des territoires ruraux.

La délégation aux droits des femmes a mené un travail de fond sur le sujet, rédigeant un rapport intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de légalité.

Quand nous avons commencé à nous pencher sur cette question, aucune des 181 mesures de l’agenda rural ne mentionnait l’égalité entre les femmes et les hommes ni quelque problématique spécifique aux femmes que ce soit. Je me réjouis que le Gouvernement ait décidé de se saisir de ce sujet.

En matière de violences, ces femmes font face à ce que l’on pourrait qualifier de « double peine » : elles sont proportionnellement davantage victimes de violences, puisque la moitié des interventions de gendarmerie pour violences intrafamiliales et la moitié des féminicides ont lieu dans ces territoires ruraux, alors même qu’ils ne réunissent qu’un tiers de la population.

Ces femmes sont aussi plus isolées, moins informées, moins protégées. Un quart seulement des appels au numéro d’écoute 3919 émane des territoires ruraux.

À cela s’ajoutent des difficultés de mobilité, qui compliquent le dépôt de plainte, le recours aux associations ou encore le départ du domicile.

En résumé, l’identification et la protection des femmes victimes de violences sont plus complexes en milieu rural. Les acteurs locaux manquent souvent de moyens. Ils souffrent d’un défaut de coordination, qui affaiblit le pilotage des politiques publiques de lutte contre les violences.

Face à ces constats, notre délégation a formulé de nombreuses recommandations. J’en citerai quatre.

Tout d’abord, il convient de mieux communiquer autour des dispositifs d’aide existants, de s’appuyer davantage sur les pharmaciens – ce n’est pas notre collègue Bruno Belin qui me contredira ! –, de généraliser le recours aux supports de communication du quotidien tels que les sachets de pain, les boîtes postales ou tout autre dispositif susceptible d’être vu par les femmes concernées.

Ensuite, il faut améliorer les conditions d’accueil des victimes, en mettant en place au moins une maison de confiance de la gendarmerie nationale dans chaque département. Il est également nécessaire de recruter davantage d’intervenants sociaux en gendarmerie et de renforcer la formation professionnelle des accueillants. Ces mesures doivent être prises dans chaque département, sans oublier, évidemment, les territoires ultramarins.

Par ailleurs, nous devons développer les dispositifs d’hébergement, pour les victimes, mais aussi pour les auteurs de violences, dont la prise en charge permet de réduire le risque de récidive.

Enfin, la délégation recommande de nommer au sein de chaque équipe municipale un référent égalité, qui servirait notamment de point d’entrée sur le sujet des violences intrafamiliales.

Je résume : plus de fluidité, plus de cohérence entre les acteurs, plus de moyens. Madame la ministre, je vous sais très attentive à toutes les propositions émises par la délégation aux droits des femmes du Sénat. Quelles suites entendez-vous donner à ses 75 recommandations ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, CRCE et SER. – Mmes Esther Benbassa, Guylène Pantel et Elsa Schalck applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la présidente Billon, je voudrais tout d’abord vous remercier pour votre leadership et pour le travail vraiment important que votre délégation a réalisé.

Lorsque je vous ai reçue au ministère, vous m’avez remis cet excellent rapport consacré aux femmes dans les territoires ruraux, assorti de 75 recommandations. Il s’agit, je le reconnais, d’un axe d’amélioration important de nos politiques publiques.

Avec Joël Giraud, nous nous sommes déjà emparés de cette question. Sans évoquer l’intégralité des propositions contenues dans le rapport, je peux déjà vous dire que nous avons ouvert 166 lieux d’écoute, d’accueil et d’orientation dans 69 départements et que 128 dispositifs d’accueil de jour ont été créés dans 95 départements.

Nous comptons renforcer encore ces dispositifs en 2022. Nous consacrerons une enveloppe de 1,6 million d’euros à la création de 41 points d’accueil dans les centres commerciaux, en particulier dans les zones rurales, et de 103 CIDFF, agréés à l’échelle départementale.

Afin de renforcer le maillage territorial, nous avons augmenté le budget des CIDFF de 60 000 euros en 2021. Nous avons également lancé un appel à manifestation d’intérêt spécifiquement destiné aux zones rurales pour lutter contre les violences conjugales et intrafamiliales, d’une part, et favoriser l’entrepreneuriat des femmes afin de les aider à s’émanciper économiquement, d’autre part.

En outre, j’ai souhaité ouvrir un crédit de 400 000 euros sur le programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes », pour financer un premier déploiement, dans six régions, du dispositif de structures itinérantes dont nous avions déjà discuté, « En voiture, Nina et Simon·e·s ». J’espère une montée en puissance du dispositif en 2022 et 2023.

Pour ce qui est des réponses à apporter aux autres recommandations de votre rapport, nous aurons l’occasion d’en reparler.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.

Mme Annick Billon. Sans remettre en cause la sincérité de votre engagement, je voudrais vous dire, madame la ministre, que la « grande cause du quinquennat » ne sera une réussite que si la volonté politique est au rendez-vous partout, dans toutes les institutions et chez tous les acteurs.

Voyez la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées : depuis 2016, nous n’avons pas progressé !

Oui, il faut une volonté politique forte, mais il faut aussi donner des moyens aux associations. Vous avez évoqué une augmentation de 38 % des aides accordées aux associations. Alors que la parole se libère, les associations croulent sous les demandes ! Elles ont besoin de davantage de moyens, financiers et humains, et de compétences.

Nous avons adopté plusieurs textes et le Sénat a pris sa part du travail. Nous devons désormais aller plus loin et plus fort encore en matière de satisfaction des besoins financiers et humains. Les associations sont en première ligne ; elles vous attendent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, grâce au groupe communiste, que je remercie, la question nous est posée cet après-midi de savoir si les moyens déployés en matière de lutte contre les violences faites aux femmes sont à la hauteur.

Sortant des polémiques et regardant la réalité crue des chiffres, nous devons bien nous résoudre à dénombrer 146 féminicides en 2019, 102 en 2020, 113 en 2021 et 13 depuis le début de cette année ! Ces chiffres apportent à eux seuls la réponse : assurément non, alors même qu’Emmanuel Macron avait annoncé que la lutte contre les violences faites aux femmes serait la grande cause de son quinquennat.

Si des avancées sont à noter sur le plan législatif, le déploiement des politiques publiques est clairement insatisfaisant, les moyens étant nettement insuffisants par rapport à l’ampleur du phénomène.

Sur les 46 mesures annoncées dans le cadre du Grenelle des violences conjugales voilà plus de deux ans, seules 38 sont totalement réalisées à ce jour. Il s’agit essentiellement des moins coûteuses ; celles qui exigent des moyens se font toujours attendre… C’est notamment le cas de l’accompagnement social et de l’hébergement d’urgence des victimes de violences contraintes de fuir leur domicile.

À l’heure actuelle, la mise en sécurité des femmes est empêchée par la saturation des dispositifs d’hébergement spécialisés et par l’absence de solutions d’accompagnement adaptées : 40 % des femmes qui appellent le 115 et demandent un hébergement d’urgence ne se voient proposer aucune solution et 12 % d’entre elles seulement obtiennent en définitive une place dans un lieu d’accueil adapté où elles bénéficient d’un accompagnement spécialisé, crucial pour la sortie des violences.

La Fondation des femmes estime qu’il manque au bas mot 32 millions d’euros au budget de l’État pour répondre aux besoins et créer les 13 000 places d’hébergement spécialisé manquantes.

Plus largement, avec la libération de la parole des victimes, les associations font face à un afflux de femmes qui recherchent un accompagnement et à une recrudescence de leur activité. Or, les moyens dont elles disposent étant largement insuffisants, elles se retrouvent dans l’incapacité de répondre à certaines demandes d’aide, d’écoute ou de soutien.

Par ailleurs, la politique de prévention a été un véritable angle mort du Grenelle. En effet, pour intervenir en amont des violences et engager un véritable changement des mentalités parmi les jeunes générations, la prévention en milieu scolaire et la formation à l’égalité représentent un enjeu majeur. Or, sur ce plan, rien de significatif n’a été entrepris. Un grand nombre d’établissements scolaires n’ont pas les moyens d’assurer les cours de sexualité et d’égalité.

De manière générale, il faut améliorer la culture de la protection dès les premières violences révélées et augmenter massivement le nombre d’ordonnances de protection accordées.

Il faut également davantage de magistrats, de policiers et de gendarmes sélectionnés, formés et volontaires : non seulement les victimes ne sont que 27 % à se déplacer au commissariat ou à la gendarmerie, mais, de surcroît, de nombreuses femmes rencontrent des difficultés pour déposer plainte, confrontées à un refus des forces de l’ordre.

Je vous pose donc, madame la ministre, la question que toutes les associations et toutes les victimes vous adressent : à quand le « quoi qu’il en coûte » contre les violences faites aux femmes ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Filleul, on me reproche de parler beaucoup de chiffres. Or, à peine votre intervention commencée, de quoi parlez-vous ? De chiffres ! Vous m’obligez donc à vous répondre sur ce terrain.

Nous n’avons pas fait assez, dites-vous : vous nous reprochez de ne pas avoir progressé. Quid des chiffres sous la présidence de François Hollande, lorsque votre parti politique était au pouvoir ? Je vous les livre : 166 féminicides en 2012, 129 en 2013, 134 en 2014, 122 en 2015… Chaque femme victime, c’est une de trop !

Vous critiquez le manque de moyens ? Il y avait 4 500 places d’hébergement lorsque vous étiez aux responsabilités ; nous en avons créé 9 000, soit plus du double !

Le budget du ministère de l’égalité était de 27 millions d’euros, nous l’avons doublé pour le porter à 50,6 millions d’euros !

Quant aux ordonnances de protection, 1 800 avaient été délivrées en 2016, contre 3 900 en 2021 !

Mais qu’appelez-vous donc « progrès », si un tel ensemble d’éléments factuels ne suffit pas à prouver que nous avons avancé ?

Je reconnais humblement que nous pouvons toujours aller plus loin – je le dis aux associations, dont je salue le travail. Nous avons d’ailleurs accru les financements qui leur sont octroyés pour leur permettre de faire face au phénomène de libération de la parole.

Je vous en prie, restons factuels, reconnaissons ce qui est fait et continuons d’avancer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.

Mme Martine Filleul. Madame la ministre, je ne reviendrai pas sur les chiffres – je trouve cet échange assez piteux. Mais ce constat, 146 féminicides en 2019, est-il ou non à porter au débit de votre gouvernement ?

Mme Martine Filleul. Si je reconnais un effort tant sur le plan législatif que sur le plan financier, votre budget reste néanmoins le plus petit de tous les budgets ministériels.

Il est bien moindre que celui de l’Espagne, exemplaire en ce domaine, qui dépense 748 millions d’euros par an…

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée. Sur cinq ans !

Mme Martine Filleul. Non, madame la ministre, il s’agit bien d’un chiffre annuel, obtenu en cumulant le budget interministériel et les budgets des régions autonomes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon et M. Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)

Mme Laure Darcos. L’actualité nous rappelle trop souvent combien il est difficile de mettre en œuvre des solutions dont l’efficacité soit immédiate pour nos concitoyens.

C’est particulièrement vrai en matière de violences conjugales : combien de rapports ont-ils été publiés sur le sujet, à commencer par celui, récent, de notre délégation aux droits des femmes, dont je salue la présidente ? Combien de lois avons-nous votées ces dernières années pour tenter d’endiguer ce fléau majeur et de protéger les victimes de conjoints violents ? Je pense en particulier à la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille de notre collègue député Aurélien Pradié…

Tout annonçait des jours meilleurs et laissait augurer une diminution des comportements délictueux ou criminels, notre arsenal juridique étant florissant.

Et pourtant, madame la ministre, je vais à mon tour évoquer de bien tristes chiffres. Il ne s’agit en aucun cas d’une remise en cause personnelle, mais une victime, comme vous l’avez souligné, c’est toujours une de trop : 128 féminicides en 2016, 138 en 2017, 120 en 2018, 152 en 2019, 102 femmes ont été tuées par leur conjoint en 2020 et 113 en 2021.

Les chiffres fluctuent, mais ce n’est pas cela qui importe : ce qui importe, c’est, par exemple, la mort atroce d’une jeune femme dans le XIXe arrondissement de Paris, vendredi dernier.

Dernièrement, 14 enfants ont perdu la vie, certains dans un contexte de violences conjugales ; 213 000 femmes majeures ont été victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur conjoint, mais une sur cinq seulement a déposé plainte ; 94 000 femmes majeures ont été victimes d’un viol ou d’une tentative de viol en 2020 – dans neuf cas sur dix, elles connaissaient leur agresseur… Je n’oublie pas non plus, personne ne l’a encore souligné dans ce débat, que 28 % des victimes de violences conjugales, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, sont des hommes.

Dans ce contexte, le nombre de demandes d’ordonnances de protection ne cesse d’augmenter : il a doublé depuis 2015. Si plus de 3 300 ordonnances ont été délivrées en France en 2020, ce sont 27 000 décisions de ce type qui ont été prononcées en Espagne dans le même temps, comme l’a rappelé ma collègue Martine Filleul.

Le téléphone grave danger est un dispositif majeur de protection remis par le procureur de la République aux femmes victimes de violences conjugales se trouvant en très grand danger. Il permet d’alerter et de faire intervenir rapidement les forces de l’ordre, grâce à la géolocalisation de la victime. Malheureusement, un peu moins de 2 000 téléphones seulement étaient actifs au début du mois de novembre 2021. C’est encore trop peu au regard des besoins, même si, dernièrement, en Essonne, une femme a pu être sauvée grâce à ce dispositif.

Les bracelets anti-rapprochement, autre moyen de protection, sont en cours de déploiement depuis le mois de décembre 2020. Cette généralisation devra toutefois s’accompagner d’une augmentation significative du nombre de bracelets disponibles : on en compte seulement 1 000 en stock actuellement.

Les violences au sein du couple sont la manifestation d’un rapport de domination de l’auteur sur sa victime se traduisant par des agressions répétées et souvent cumulatives, lesquelles s’intensifient et s’accélèrent avec le temps. Que faire quand le temps de la justice n’est pas le même que celui de l’agresseur ?

Plusieurs mesures simples et efficaces permettraient d’accélérer la prise de décision en matière de lutte contre les violences conjugales. Je pense en particulier à la formation systématique des personnels des forces de l’ordre à l’accueil et à l’accompagnement judiciaire des victimes.

Nous sommes nombreux aussi à exiger la création d’une juridiction spécialisée en matière de violences conjugales. Présente sur tout le territoire et associant compétences pénale et civile, cette juridiction aurait pour mission d’instruire chaque dossier dans un délai de soixante-douze heures et de rendre une décision d’ordonnance de protection dans un délai effectif et maximal de six jours, voire de vingt-quatre heures en cas d’urgence absolue. Les juges spécialisés seraient également chargés d’organiser l’accompagnement social des victimes.

Cette proposition n’est pas une utopie : l’Espagne l’a mise en œuvre avec succès, obtenant un meilleur taux de condamnation et offrant aux victimes une bien meilleure protection que dans notre pays, étant précisé que l’État espagnol s’appuie en cette matière sur un cadre législatif très dense et parmi les plus protecteurs au monde.

Je pense notamment à la loi de 2004, dite de mesures de protection intégrale contre les violences conjugales, qui contient plusieurs volets allant de la prévention des violences à la protection des victimes et à la condamnation des agresseurs. Elle institue notamment un certain nombre de droits des victimes, selon une approche globale, juridique, psychosociale et économique.

En outre, l’Espagne consacre des moyens financiers considérables à cette politique dans le cadre du pacte d’État contre la violence conjugale 2018-2022, 1 milliard d’euros s’ajoutant au budget préexistant. Quand la France consacre 5 euros par habitant à la lutte contre les violences conjugales, l’Espagne en dépense 16, alors même que sa population est inférieure de 30 % à la nôtre.

Le succès de cette politique globale, sans concession pour les agresseurs et réactive pour les victimes, est incontestable. Nous ferions bien de nous en inspirer, car c’est une honte absolue que de se montrer incapables de mettre hors d’état de nuire les bourreaux et de laisser les victimes affronter souvent seules des situations humainement, psychologiquement et financièrement insupportables.

Pour que les avancées législatives et les efforts de tous les acteurs mobilisés soient féconds, la justice doit disposer des moyens nécessaires pour prévenir et lutter efficacement contre ces violences. J’en appelle donc à l’adoption d’une loi-cadre de lutte contre les violences intrafamiliales, susceptible de mettre fin à l’éparpillement des dispositions législatives existantes, et à une augmentation significative du budget de la justice.

Notre seule obsession doit être d’agir pour changer cette réalité terrible à laquelle nous n’avons pas le droit de nous habituer. Ce combat vital en faveur des droits des femmes, nous devons, bien au-delà des mots, le mener dans les actes ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la sénatrice Darcos, vous avez raison de rappeler que 70 % des victimes de violences conjugales n’osent toujours pas déposer plainte. Certaines d’entre elles décèdent sans avoir jamais passé les portes d’un commissariat ou d’une gendarmerie.

Ma responsabilité est de créer des espaces de confiance où elles se sentent suffisamment en sécurité pour parler et ainsi, dans certains cas, sauver leur vie.

C’est la raison pour laquelle nous avons mené un important travail de formation des policiers, des gendarmes et des magistrats. Nous avons aussi recruté des référents chargés d’accompagner la libération de la parole et d’amener les victimes à parler toujours plus.

Je veux rappeler aux victimes, dont certaines suivent peut-être nos débats, qu’il existe beaucoup de dispositifs dont la vocation est de les protéger et de les accompagner : téléphones grave danger, bracelets anti-rapprochement, ordonnances de protection – si elles ne veulent pas déposer plainte contre la personne qui pourtant les agresse. Elles doivent continuer d’appeler le 17 ou le 3919, ou encore consulter le site internet arretonslesviolences.gouv.fr.

Madame la sénatrice Darcos, comme certains de vos collègues, vous avez évoqué l’exemple de l’Espagne. J’aimerais que la France, un jour, soit à son tour prise pour modèle par de nombreux pays, car Dieu sait qu’en la matière nous avons fait beaucoup.

Madame la sénatrice Filleul, l’Espagne comptabilise le budget de la sécurité sociale dans les crédits consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes. Quant à nous, nous ne comptons ni le budget de la sécurité sociale ni ceux des collectivités territoriales dans le 1,3 milliard d’euros que j’évoquais.

Il s’agit d’un budget interministériel. Mais peu importe de quel programme vient l’argent, du moment qu’il est utile aux victimes et à leurs enfants.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.

Mme Laure Darcos. Madame la ministre, nous sommes nombreux à penser que dès votre entrée en fonction vous avez pris ce dossier à bras-le-corps.

Je me dois toutefois de rappeler que nous nous étions aperçus en pleine nuit, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, que les crédits alloués au financement des bracelets anti-rapprochement n’étaient pas fléchés dans le budget de la justice, alors même que la loi actant la généralisation de ce dispositif avait été adoptée. Heureusement, nous avions pu réparer cet oubli.

Nombreux ont été les trous dans la raquette. Aujourd’hui, le dispositif des bracelets anti-rapprochement n’est toujours pas généralisé, loin de là – je l’ai encore vérifié voilà peu. L’expérimentation a plus que duré – et vous n’y êtes pour rien, madame la ministre. Il est temps désormais d’accélérer vraiment, car des femmes risquent leur vie tous les jours – nous en sommes tous conscients.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Mme Annick Billon applaudit.)

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le mouvement de libération de la parole, engagé à partir de 2017, et qui restera probablement dans nos livres d’histoire comme un marqueur social du début du XXIe siècle, a propulsé dans l’agenda politique et médiatique la question des violences sexistes et sexuelles.

Ce fléau est tristement illustré par les derniers chiffres du ministère de l’intérieur, qui constate une augmentation de 33 % des violences sexuelles en 2021. Les intervenants qui m’ont précédé ont rappelé ces chiffres terribles : 113 femmes tuées en 2021, 13 depuis le début de l’année… Tout cela est insupportable non seulement pour ces femmes et pour leurs familles, mais aussi pour tous les hommes de France qui ne se reconnaissent pas dans la manière dont un certain nombre de nos concitoyennes sont maltraitées, quand elles ne sont pas tout simplement assassinées, par des membres de la classe masculine.

Quels sont les résultats, à ce jour, de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides, consacrée grande cause du quinquennat par le président Macron ?

Si des évolutions législatives et réglementaires louables, résultant d’une véritable prise de conscience transpartisane, sont à porter au crédit du présent quinquennat – d’aucuns les ont évoquées avant moi –, celles-ci doivent désormais infuser dans toutes les politiques publiques. C’est en ce sens que la délégation aux droits des femmes, comme l’a rappelé la présidente Billon, que je salue, a enjoint le Gouvernement à prendre en compte cette problématique dans le cadre de l’agenda rural, à la suite des travaux dont est issu le rapport intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de légalité – j’en fus l’un des corapporteurs. La ministre Elisabeth Moreno et le secrétaire d’État Joël Giraud, chargé de la ruralité, ont entendu l’appel du Sénat : je les en remercie sincèrement.

Parallèlement à ces avancées juridiques et symboliques, des moyens financiers supplémentaires ont régulièrement été annoncés. Malheureusement, ils ne sont pas encore à la hauteur de l’enjeu, surtout en matière de judiciarisation des violences faites aux femmes. Il subsiste un manque patent de moyens, directement lié à la paupérisation de la justice en France : je rappelle que sur 1 000 euros de dépense publique 4 petits euros seulement sont alloués au ministère de la justice.

Cette donnée budgétaire se traduit par de réelles carences sur le terrain : dans mon département, les Hautes-Alpes, il n’existe plus à ce jour de médecine légale, discipline pourtant indispensable à la sécurisation des réponses pénales dans les affaires de violences, notamment intrafamiliales. Oui, vous avez bien entendu : il n’y a aucun médecin légiste dans un département comme le mien !

Par ailleurs, en amont de la phase judiciaire, il est indispensable d’améliorer les dispositifs d’alerte et de prévention. Je pense notamment à la formation des primo-intervenants à la détection des signaux faibles, dont la manifestation s’apparente souvent à des suspicions de violences. Plus la détection est précoce, vous le savez, plus l’efficacité de la prise en charge s’en trouve accrue.

Comme l’a évoqué Bruno Belin voilà quelques instants à propos des pharmaciens, je pense que d’autres professionnels de santé, sages-femmes, maïeuticiens, pourraient être sensibilisés à ces problématiques dans le cadre de leur activité libérale et associés aux processus et protocoles de prévention.

Si l’aspect financier reste central, il ne faut pas sous-estimer la question de l’organisation des services mobilisés. Lors des auditions que nous avons menées préalablement à l’élaboration du rapport d’information Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de légalité, nous avons réalisé que l’impératif de coordination des acteurs restait sans doute le nerf de la guerre : détecter, signaler et prendre en charge une femme victime de violences appelle une coordination de différents services relevant souvent de divers ministères. Cet effort d’horizontalité ne va pas de soi dans une administration toujours très verticale.

Face à ces freins, des initiatives issues du terrain ont vu le jour. Je pense, par exemple, au travail accompli par les maisons de confiance et de protection des familles au sein des groupements de gendarmerie. Il serait par ailleurs important de systématiser les permanences des CIDFF dans les maisons France Services.

Sans revenir sur les propositions contenues dans notre rapport, déjà évoquées par ma collègue Annick Billon, je tiens à souligner également les difficultés induites par la raréfaction de certains services publics, phénomène qui complexifie encore la lutte contre les violences faites aux femmes.

Pour conclure, je tiens à saluer non seulement l’ensemble des associations de femmes, mais aussi les hommes qui se battent sur le terrain pour aider les femmes victimes à trouver une solution d’hébergement d’urgence et pour apaiser leurs souffrances physiques et psychiques.

Madame la ministre, j’espère que les 75 recommandations de notre rapport Femmes et ruralité pourront trouver les traductions concrètes que les femmes et les hommes de notre pays attendent. (Mme Laurence Cohen applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Monsieur le sénateur Arnaud, je voudrais tout d’abord vous remercier de votre implication : si les femmes s’engagent naturellement sur ces questions, nous avons besoin que les hommes les prennent eux aussi à bras-le-corps – vous avez raison de le dire. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons éradiquer ce fléau.

Le budget du ministère de la justice, que vous avez mentionné, augmente de 8 % en 2022, ce qui n’était pas arrivé depuis des années. Grâce à cette hausse, qui profite tout particulièrement au traitement des sujets qui nous occupent aujourd’hui, nous pourrons donner aux magistrats les moyens financiers et humains supplémentaires qu’ils réclament pour répondre à l’afflux des demandes. J’étais hier à Nancy pour signer une convention avec le procureur de la République, qui a souligné combien cette question des moyens était importante. Le garde des sceaux s’en est emparé de manière tout à fait volontariste.

L’aide apportée aux associations qui travaillent avec le ministère de la justice, comme France victimes, qui mène une action remarquable, est passée de 6,9 millions d’euros en 2021 à 12,2 millions d’euros cette année. Le budget accordé à ces questions au sein du ministère de la justice est donc en très forte progression, même si ce n’est pas encore suffisant.

Je note également que les mentalités changent dans tous les ministères avec lesquels je travaille aujourd’hui, intérieur et justice notamment : tous s’accordent pour avancer.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.

M. Jean-Michel Arnaud. Il n’en demeure pas moins, en dépit des moyens mis en œuvre, que la médecine légale, dans un département comme le mien, n’est toujours pas mobilisée.

Je tiens enfin à souligner que, dans un département couvrant 5 500 kilomètres carrés, il est quasiment impossible d’assurer, à partir de la seule préfecture – Gap, en l’occurrence –, des permanences de proximité ou une écoute de proximité attentive. Un travail de répartition territoriale est donc à entreprendre à l’intérieur même des départements afin qu’aucune femme vivant en milieu rural ne reste isolée face à la violence dont elle peut être victime.

Mme la présidente. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Elsa Schalck. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les violences faites aux femmes constituent un véritable fléau.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : ils sont tout simplement effrayants et insupportables. Ils traduisent autant de désastres humains, détruisant familles et enfants.

Les violences faites aux femmes ont fait progressivement l’objet d’une prise de conscience collective dans notre société. Les évolutions législatives, les mouvements comme #MeToo, la médiatisation d’un sujet passé trop souvent sous silence, ainsi que le fort engagement de nombreux acteurs, ont permis une libération de la parole.

Mais cette parole reste fragile. Elle doit être davantage encouragée et accompagnée pour que l’insoutenable soit dénoncé et l’inacceptable lourdement sanctionné, pour que l’impardonnable, enfin, ne se reproduise plus.

Le Grenelle des violences conjugales aura permis d’accentuer les partenariats entre les différents réseaux. C’est une bonne chose, mais il nous faut agir beaucoup plus fort. Tant qu’il y aura une femme victime de violences, il nous faudra être à ses côtés.

Le débat de ce jour est nécessaire, car nous sommes au milieu du gué. Les outils se sont certes multipliés avec la création des bracelets anti-rapprochement ou des téléphones grave danger, mais les acteurs de terrain – associations, justice, police, gendarmerie et collectivités territoriales, dont je tiens à saluer ici le total engagement – continuent de nous faire part de nombreuses difficultés.

Il ne suffit pas de cocher la case « réalisé » pour affirmer que l’objectif du Grenelle est atteint. La communication du Gouvernement ne saurait masquer une réalité où se font jour encore de trop nombreux besoins.

Le premier des besoins est le suivant : renforcer et pérenniser les moyens financiers et humains, ceux notamment des associations. Lutter contre les violences conjugales nécessite d’agir vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, et de pouvoir intervenir rapidement. Or les effectifs des intervenants sociaux restent insuffisants. Le Bas-Rhin, par exemple, département de 1,2 million d’habitants, ne compte que deux intervenants sociaux en gendarmerie ! C’est bien trop peu.

Deuxième besoin : une meilleure coordination des acteurs autour d’un pilote clairement identifié. Les délégués aux droits des femmes doivent notamment avoir les moyens de leur action, et les effectifs être à la hauteur des enjeux.

Sur le volet judiciaire, l’instauration d’une juridiction spécialisée permettant de regrouper les questions civiles et pénales me paraît particulièrement pertinente.

Troisième besoin : accentuer considérablement le volet prévention. C’est à mon sens, madame la ministre, l’un des maillons faibles du Grenelle. Les associations alertent sur le fait que de plus en plus de jeunes couples sont en proie aux violences. Où en sommes-nous sur ce sujet ? Sans éducation et sans prévention, le combat que nous menons tous contre les violences conjugales ne pourra être gagné.

Quatrième besoin : l’accompagnement des victimes. Indispensable, il doit être spécifique et adapté, tant les vécus des victimes peuvent être divers et difficiles.

Les femmes victimes de violences doivent souvent faire l’objet d’un accompagnement global, juridique, social, médical et psychologique, pour pouvoir sortir de cette spirale infernale.

Il nous faut également prendre en compte les réalités territoriales et mettre l’accent sur les solutions de proximité, afin de répondre par exemple aux problèmes de logement ou aux besoins de garde d’enfant pour les femmes qui doivent se rendre au tribunal.

Enfin, j’insisterai sur le rôle capital des élus locaux, qui sont souvent en première ligne, notamment dans les territoires ruraux. Ils ont besoin d’être davantage formés sur ces questions, en particulier pour pouvoir identifier les « signaux faibles ».

Madame la ministre, mes chers collègues, voilà très succinctement ce qui ressort des échanges que j’ai pu avoir avec divers acteurs du Bas-Rhin en préparant ce débat.

Sur le sujet si important et si complexe des violences faites aux femmes, nous n’en ferons jamais assez. Ce combat doit être permanent et collectif, à la hauteur de ce terrible fléau ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de légalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de légalité des chances. Madame la présidente, avant toute chose, permettez-moi de vous remercier de votre patience. Ces débats suscitent tant de passion qu’il a pu nous arriver de dépasser le temps de parole qui nous était imparti.

Je vous remercie également, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, pour ces échanges très riches, et je salue l’inscription à l’ordre du jour de vos travaux de ce débat sur les violences conjugales et intrafamiliales.

Il y a des combats qui nécessitent de dépasser les clivages partisans, il y a des combats qui appellent à faire preuve d’autant de détermination que d’humilité, il y a des combats qui ne peuvent être instrumentalisés à des fins politiciennes : le combat contre les violences conjugales et intrafamiliales est de ceux-là.

Parce que ce fléau tue, parce que des vies humaines sont en jeu, j’ai l’intime conviction que nous devons faire preuve de la plus grande exemplarité. Nous le devons, tout d’abord, aux victimes. Nous le devons, ensuite, aux associations qui, depuis des années, dénoncent ces violences et travaillent sans relâche à y mettre un terme. Nous le devons aussi, de manière plus générale, à nos concitoyennes et à nos concitoyens.

Si le Gouvernement s’est investi comme jamais auparavant pour enrayer ce fléau, le travail législatif a été lui aussi extrêmement important et précieux ; je veux vous en remercier.

Bien sûr, des différends et des divergences de vues ont pu apparaître entre nous. Pour autant, in fine, nous pouvons être fiers d’avoir œuvré collectivement à toujours mieux protéger les victimes de violences dans notre pays. C’est là l’idée que je me fais de l’action publique, loin des polémiques stériles. Il importe que nous mettions notre énergie au service des victimes, qui en ont besoin. Je crois à la coconstruction et au débat entre le Parlement et le Gouvernement, entre la majorité et les oppositions. Tels sont les ingrédients clés pour atteindre nos objectifs.

Longtemps tues, longtemps ensevelies sous l’indifférence collective, cantonnées à la rubrique des faits divers, les violences conjugales et intrafamiliales sont à présent au cœur du débat public. La loi du silence s’est brisée. La passion qui s’est exprimée dans nos échanges cet après-midi témoigne de notre préoccupation accrue sur ce sujet ; c’est tant mieux !

Les vagues de libération de la parole, sur les réseaux sociaux notamment, le travail acharné des associations, que beaucoup d’entre vous ont souligné, et la mobilisation des élus ont produit leurs fruits : désormais, de plus en plus, les victimes parlent, et la société ouvre enfin les yeux.

Néanmoins, vous le savez, le chemin qui mène à l’éradication totale des violences faites aux femmes est long. Cette transformation culturelle est pourtant salutaire ; je voudrais, comme vous, pouvoir l’accélérer.

Parce que ces violences se nichent dans tous les interstices de notre société, parce qu’elles ignorent les frontières géographiques, sociales ou culturelles, les réponses à fournir pour les enrayer mobilisent une myriade d’intervenants différents : les forces de l’ordre, les professionnels de santé, les acteurs judiciaires, les travailleurs sociaux, les associations.

Oui, c’est bien là le premier pilier de la « grande cause » de ce quinquennat. Ce combat est un enjeu interministériel que le Président de la République et le Gouvernement ont érigé en grande priorité. Nous devrions tous saluer cette initiative, que beaucoup de mes homologues, dans d’autres pays, nous envient.

À ce propos, vous avez été nombreux à saluer le travail de l’Espagne, où je me suis rendue, au mois de juillet dernier, afin de rencontrer mon homologue et de comprendre ce qui avait été accompli dans ce pays. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cela fait quinze ans que l’Espagne se bat pour éradiquer le fléau des violences conjugales. Pourtant, la ministre Irene Montero me confiait qu’elle doit continuer de faire face à ce qu’elle appelle le « terrorisme familial ». Nous devons donc rester humbles.

Notre ambition reste forte et je m’y accroche, parce que j’y crois. Cette ambition, nous l’avons rendue concrète et réelle. Nous avons fait en sorte que le numéro national d’écoute et d’accompagnement, le 3919, soit désormais accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Le budget alloué à mon ministère a été doublé. Nous avons démultiplié les bracelets anti-rapprochement, les téléphones grave danger, ainsi que les ordonnances de protection. Nous avons augmenté le nombre d’intervenants sociaux dans les commissariats et dans les gendarmeries. Le nombre de postes d’enquêteurs spécialisés dans les violences intrafamiliales sera multiplié par deux d’ici cinq ans.

Par ailleurs, une expérimentation est en cours pour que les victimes puissent aller déposer plainte chez des amis, à la mairie, dans une association, dans tous les lieux où elles se sentent suffisamment en sécurité pour le faire. Nous avons également mis en place, avec Olivier Véran, un dispositif de dépôt de plainte et de recueil de preuves sans dépôt de plainte auprès des femmes victimes de violences accueillies à l’hôpital.

Enfin, 30 centres de prise en charge des auteurs de violences ont été ouverts dans l’Hexagone et en outre-mer pour lutter contre la récidive.

Il s’agit là de mesures très concrètes, qui ont fait leurs preuves et sur lesquelles le Parlement s’est engagé.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le combat pour éradiquer les violences faites aux femmes n’est pas un combat idéologique, c’est un combat culturel. Il s’agit d’un enjeu de civilisation, et nous avançons à grands pas. Si le nombre de féminicides a baissé depuis quinze ans, si les victimes se signalent aujourd’hui beaucoup plus qu’hier, ce combat n’est pas encore achevé pour autant. C’est pourquoi nous devons rester humbles et déterminés.

Oui, c’est vrai, il faut aller plus loin. Oui, c’est vrai, nous pouvons améliorer les dispositifs existants. Oui, c’est vrai, la tolérance zéro doit être de rigueur en cas de défaillances et de manquements. C’est pourquoi nous ne relâcherons pas nos efforts.

Mais les victimes ont aussi besoin de savoir qu’il n’y a pas de fatalité et que des vies sont sauvées tous les jours. Continuons de nous battre ensemble, et nous réussirons à enrayer ce fléau dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mmes Guylène Pantel et Laurence Rossignol ainsi que M. Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe auteur de la demande.

Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Madame la ministre, je vous remercie vivement d’avoir participé à ce débat et d’avoir pris le temps de répondre de manière argumentée à chacun des intervenants. Nos points d’accord sont nombreux ; sur d’autres points, nous divergeons. Il est en tout cas très agréable d’échanger avec un ou une ministre qui accepte, comme vous l’avez fait, de se prêter à ce jeu démocratique.

Je salue également tous mes collègues, issus de toutes les travées de notre hémicycle, pour leurs interventions extrêmement argumentées. Il me paraît très positif pour la démocratie que cette question fasse l’objet d’un tel consensus au sein de notre assemblée. Je m’en réjouis fortement, car c’est seulement de cette manière que nous pourrons faire avancer les choses. (Applaudissements sur toutes les travées. – Mme la ministre déléguée applaudit également.)

Certes, du chemin a été parcouru depuis la loi du 9 juillet 2010. Au cours de ces presque douze années, d’autres textes ont été élaborés, d’autres lois promulguées. Pour autant, comme plusieurs de mes collègues l’ont souligné, entre ce qui est écrit et ce qui est fait en réalité, l’écart est très important.

Dans mon département, le Val-de-Marne, une femme a été séquestrée et violée pendant plusieurs années par son ancien compagnon. De ce viol est née une petite fille, que la mère, parvenant à fuir cet enfer, a élevée seule. Sa plainte pour viol a été perdue, puis classée sans suite. Or un juge aux affaires familiales vient de la condamner pour non-représentation d’enfant en lui retirant la garde de sa fille, à présent âgée de 10 ans, pour la confier au géniteur-violeur. Comment un tel jugement peut-il être rendu aujourd’hui ? (Marques dindignation.)

M. Jean-Michel Arnaud. C’est inadmissible !

Mme Laurence Cohen. Certes, il importe de ne pas s’immiscer dans les affaires de la justice, mais cette décision est vraiment une honte. Voilà un exemple de ce que je souhaitais dénoncer !

Mme Laurence Rossignol. Il y a, hélas ! de nombreux exemples de ce genre…

Mme Laurence Cohen. Vous avez rappelé, madame la ministre, tout ce qui a été entrepris par ce gouvernement. Mais il reste beaucoup à faire. Le rapport du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Grevio) de 2019, extrêmement critique sur la France, met l’accent sur les améliorations qui seraient nécessaires pour que notre pays respecte la convention d’Istanbul, que nous avons ratifiée.

Y sont préconisées notamment la multiplication des places d’hébergement d’urgence destinées aux femmes victimes de violences – nous avons été nombreux à formuler cette demande aujourd’hui –, ainsi qu’une amélioration de la réponse pénale et un renforcement du suivi judiciaire des agresseurs, point extrêmement important.

Je citerai Françoise Héritier : « La violence n’est pas innée chez l’homme. Elle s’acquiert par l’éducation et la pratique sociale. »

Il est donc essentiel, madame la ministre – je sais que vous partagez cette analyse –, de développer une véritable culture de l’égalité et de promouvoir une éducation non sexiste dès le plus jeune âge, en mettant en place des enseignements obligatoires en partenariat avec les associations féministes.

Vous avez défendu les chiffres de votre ministère, dont le budget, dites-vous, a augmenté. Mais les différents arguments qui vous ont été présentés au cours du débat ont permis de faire état d’une réalité un peu plus contrastée… Pour faire face à la crise sanitaire, le Gouvernement a su trouver 400 milliards d’euros, preuve qu’il est possible de dégager des budgets lorsqu’on en a la volonté politique ! L’égalité entre les femmes est les hommes n’a-t-elle pas été déclarée grande cause nationale du quinquennat ?

C’est un triplement de votre budget qu’il faudrait, madame la ministre, pour atteindre le milliard d’euros que nous vous demandons et que les associations vous demandent. Vous pourriez ainsi utilement travailler à l’élaboration d’une loi-cadre, car il nous manque une vision globale.

Madame la ministre, mes chers collègues, pour débarrasser la société des violences faites aux femmes, le combat pour l’égalité – cela a été souligné – doit être mené sur tous les terrains, dans la sphère publique aussi bien que privée.

Comme l’a écrit l’universitaire Silvia Federici, « La tolérance institutionnelle de la violence domestique crée une culture de l’impunité qui contribue à normaliser la violence publique infligée aux femmes. » ; je partage ce point de vue. Ensemble, nous devons nous battre pour une société égalitaire et d’émancipation – c’est ce qui ressort de nos débats ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, RDSE, UC et Les Républicains. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Lutte contre les violences faites aux femmes et les féminicides : les moyens sont-ils à la hauteur ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures treize, est reprise à dix-huit heures dix-sept.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Évaluation de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance dans le cadre de la crise sanitaire

Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur l’évaluation de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance dans le cadre de la crise sanitaire.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande disposera d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe auteur de la demande.

M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens en remplacement de mon collègue Franck Montaugé, qui a malheureusement eu un empêchement aujourd’hui. Ce sont ses mots que je vais prononcer, mais je m’y associe totalement.

Dans un contexte plus que jamais problématique au regard des conditions de vie difficiles de nombre de nos concitoyens et de l’état très dégradé des comptes publics de notre pays, mon groupe vous propose de débattre de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance.

Je prendrai pour exergue cette maxime de René Char, écrite au cœur de la Résistance, entre 1943 et 1944 : « Ne t’attarde pas à l’ornière des résultats. ».

Les États occidentaux ont tiré les leçons de la crise de 2008 en prenant dès 2020 les initiatives qui étaient indispensables au sauvetage immédiat de leurs économies.

Les crédits d’urgence et de relance ont globalement rempli leur rôle. Les niveaux d’activité, dans l’industrie notamment, ont retrouvé un niveau proche de l’avant-crise, la trésorerie des entreprises a été relativement préservée grâce aux prêts garantis par l’État (PGE) et l’impact sur l’emploi a été limité via les aides au chômage partiel.

Pour autant, nous ne disposons à ce jour, pour tout bilan, que du rapport d’avril 2021 du comité d’évaluation du plan France Relance, ou comité Cœuré, qui nous livre une évaluation très prudente de l’efficacité de l’action publique de relance.

La croissance de l’année 2021 doit être relativisée au regard du niveau du PIB, qui reste inférieur à celui de l’année 2019, et plus encore à l’aune du déficit du commerce extérieur français qui, quant à lui, est bel et bien historique, mais au détriment du pays ! Notre compétitivité s’est dégradée davantage que celle de nos voisins, c’est indiscutable !

Or la qualité de la relance ne peut être mesurée, comme on l’entend trop souvent, à la seule vitesse de consommation des crédits.

Le comité d’évaluation du plan France Relance relève, par exemple, que les objectifs de moyen terme affichés, comme la transformation de l’industrie et la décarbonation, sont passés au second plan. Des projets sans lien avec ces objectifs ont été financés. Il faut aussi noter que les enveloppes territoriales et nationales ont été instruites sans coordination nationale des critères d’examen ; cela a conduit à des incohérences. La territorialisation promise demeure inaboutie.

Par ailleurs, s’il est plutôt de bon augure que les entreprises se soient saisies des dispositifs de relance, il faudra faire attention au « trou d’air » pour 2022 !

En définitive, malgré la reprise relative et l’« ultracommunication » du Gouvernement pour qui, en gros, « tout va bien », l’économie française reste dans une situation difficile. Permettez-moi de mettre l’accent sur trois des grands défis qu’il nous faudra relever.

Premièrement, deux secteurs prépondérants de notre industrie sont toujours en berne : l’automobile et l’aéronautique.

Concernant l’aéronautique, la demande reste réduite et l’avenir est incertain. Concernant l’automobile, en sus de l’impérieuse et très complexe obligation de transformation de la chaîne de valeur liée à l’essor du moteur électrique, une crise d’offre a pris le relais de la pandémie, notamment en raison des pénuries d’intrants essentiels, comme les semi-conducteurs, qui empêchent de retrouver un rythme de croisière. Résultat, 40 % des entreprises françaises connaissent aujourd’hui des difficultés d’offre.

Le Gouvernement nous dira, je l’espère, comment il entend réduire notre dépendance aux importations ainsi que la vulnérabilité de nos capacités de production.

Deuxièmement, la flambée des prix de l’énergie affecte les ménages comme les entreprises. Le Gouvernement procrastine en remettant en question rien moins que le devenir du groupe EDF. Quelle drôle d’ambition – est-elle même avouable ? – que d’affaiblir l’une des plus grandes entreprises françaises, à laquelle nous devons, depuis plus de 75 ans, une part importante de notre compétitivité ! Il s’agit, en quelque sorte, d’une relance à l’envers…

M. Olivier Jacquin. Absolument !

M. Christian Redon-Sarrazy. Les conséquences de la crise que nous traversons seront comparables à celles des chocs pétroliers de 1973 et de 1979. Quelle est la vision le Gouvernement ? En a-t-il seulement une ?

Troisièmement, la filière industrielle connaît toujours d’importantes difficultés de recrutement : 80 000 postes seraient à pourvoir et 44 % des entreprises déclarent peiner à trouver des employés. Bien que les embauches aient repris, le contexte reste tendu et pourrait contraindre encore la reprise. Quelle politique de revalorisation salariale entendez-vous impulser ? Comment allez-vous procéder ?

À ces défis, le Gouvernement répond par un retour à l’ordinaire, comme si la reprise était acquise.

Pas de budgets supplémentaires, en 2022, pour mettre en œuvre les contrats de filière, alors que ceux-ci ont un rôle clé à jouer !

Pas d’abondement ni de pérennisation des actions du plan de relance qui ont fait leurs preuves et répondent, même hors crise, à de vraies défaillances de marché !

Pas de crédits nouveaux non plus pour financer les actions menées au niveau territorial !

Je ne relève, par ailleurs, aucune politique prévisionnelle cohérente et concrète en matière de gestion de l’emploi et de reconversion des personnels, alors que les mutations sectorielles liées à la transition écologique entraînent des bouleversements profonds et des destructions de postes.

À la place de toutes ces actions, pourtant nécessaires, le Gouvernement nous présente un énième grand plan.

Depuis 2017, c’est donc le quatrième : deux programmes d’investissements d’avenir, PIA 3 et PIA 4, France Relance, et maintenant France 2030, pour un montant total de plus de 100 milliards d’euros, en grande partie débudgétisés, d’ailleurs. On n’attend même plus qu’un programme soit épuisé ni même évalué pour lancer le suivant !

Ces divers plans sont ensuite librement reventilés, réorientés, redéployés, au gré des orientations budgétaires et du calendrier politique du moment.

La Cour des comptes ne cesse d’en souligner les défaillances, mais on continue : pourquoi se priver, en 2022, d’un nouveau chèque en blanc de 34 milliards d’euros, adopté par amendement à l’Assemblée nationale, sans aucune étude d’impact ?

Je note que huit des dix actions indicatives de France 2030 sont déjà traitées dans le PIA 4, annoncé voilà moins d’un an, et qui n’est pas encore déployé…

Ces choix traduisent au mieux un manque d’anticipation préoccupant, qui conduit à présenter chaque année de nouveaux plans plus gros encore, pour financer toujours les mêmes secteurs, au pire un mépris de la procédure budgétaire, qui permet au Gouvernement de se constituer une réserve de dépenses en période préélectorale. Notons, d’ailleurs, qu’une « révision » du plan France 2030 est prévue dès le mois de juin 2022…

Je ne retrouve pas dans tout cela l’ambition qui devrait être celle de notre pays. L’assouplissement des règles d’aides d’État et le montant colossal du plan de relance ne doivent pas faire tourner les têtes : il importe avant tout de se doter d’une vision stratégique en matière de réindustrialisation, loin des seules « relocalisations vitrines », en faisant un effort global de compétitivité.

Là aussi, il faut voir plus loin et peser sur les discussions au niveau européen pour que la France bénéficie d’un retour sur investissement de sa production nucléaire et, plus largement, de son mix énergétique. De la sorte, nous pourrions garantir pour notre pays une compétitivité « durable » – au sens du concept de « développement durable » – de notre industrie.

En tout état de cause, le comité d’évaluation du plan France Relance juge insuffisant l’impact environnemental des mesures de relance.

La politique du Gouvernement manque d’ambition en matière de transformation stratégique durable de l’industrie.

Madame la ministre, quels enseignements tirez-vous de la mise en œuvre du plan de relance ? Comment prenez-vous structurellement en compte les augmentations faramineuses des prix de l’énergie, du carbone et des intrants stratégiques importés ?

René Char, avec qui j’ai commencé mon propos, engageait à « conduire le réel jusqu’à l’action » : le réel, c’est la place de la France dans le monde, laquelle s’est affaiblie au cours des cinq années passées. Pour ce qui est de l’action, il faudra bien plus que les plans France Relance ou France 2030 pour engager notre pays sur la voie du redressement indispensable au bien-être de chaque Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas sur l’ensemble des mesures d’urgence qui ont été mobilisées, et continuent de l’être pour quelques secteurs et entreprises particulièrement touchés par la crise, car tel n’est pas l’objet du débat du jour.

Je concentrerai en revanche mon propos sur le plan de relance, qui a été pensé très tôt comme l’instrument nécessaire pour protéger l’investissement et relancer l’économie, dans un contexte inédit de crise sanitaire puis de crise économique.

Ce plan de relance a également été conçu comme un instrument stratégique au service des transitions environnementale et digitale, dans un souci de résilience. Il est donc le garant de notre compétitivité.

Le plan France Relance, vous le savez, s’élève à 100 milliards d’euros, dont 40 milliards seront financés par l’Union européenne. Il a été construit et déployé en un temps record, j’y reviendrai. Je remercie le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’offrir au Gouvernement l’occasion de dresser aujourd’hui un bilan de sa mise en œuvre.

Pour assurer le déploiement efficace du plan France Relance, nous avons suivi une méthode ; cette méthode privilégie le collectif et la concertation, ainsi que l’impact.

Le collectif, tout d’abord : depuis la conception du plan de relance, et tout au long de son déploiement, nous n’avons cessé de consulter les acteurs et de les associer à la construction de notre vision stratégique.

Si le plan de relance a été préparé aussi rapidement, c’est qu’il est issu de plus d’un an de travail sur le Pacte productif, associant organisations syndicales, élus du territoire, élus nationaux, filières industrielles et experts académiques. Ce sont ces éléments, pensés collectivement et sur la base d’une stratégie parfaitement pesée, qui nous ont permis d’aller si vite sur le plan de relance.

Par ailleurs, le suivi de sa mise en œuvre a été confié au comité national de suivi de la relance et, au niveau local, aux comités régionaux et départementaux de pilotage et de suivi du plan de relance, présidés notamment par les préfets.

Le suivi est par ailleurs assuré au quotidien, au gré des retours auxquels vous avez pour partie contribué, par les instances de pilotage de chacune des politiques publiques, par exemple par le Conseil national de l’industrie (CNI), structuré en dix-neuf comités stratégiques de filière.

Cette concertation et cette vision nous ont permis d’améliorer sans cesse les dispositifs. Je pense, par exemple, à la simplification du processus de dépôt des dossiers pour les aides à l’industrie en octobre 2020.

Elles nous ont également permis de procéder à des redéploiements destinés à affecter la ressource là où l’effet de relance est le plus efficace.

Le principe d’impact, ensuite : nous avons eu à cœur de mettre en œuvre un plan de relance de façon rapide, ciblée, en nous donnant un objectif très clair : augmenter la croissance potentielle de notre pays en anticipant les transformations digitales et environnementales nécessaires.

Nous avons engagé tous les volets du plan de relance dès septembre 2020. Au début de l’année 2021, Bruno Le Maire et moi-même nous étions fixés pour objectif que 70 % du plan soit engagé d’ici à la fin de cette même année 2021. C’est chose faite : le taux d’engagement du plan France Relance a atteint 72 % à la fin 2021.

Les crédits ont été ventilés de manière équilibrée entre nos trois priorités, lesquelles sont parfaitement connues et stratégiques : contrairement à ce que j’ai cru entendre ici et là, elles n’ont jamais été perdues de vue !

Trois priorités, donc : 25 milliards d’euros ont été engagés pour accélérer la transformation écologique, 20 milliards d’euros pour le renforcement de notre compétitivité et pour la reconquête industrielle, 26 milliards d’euros pour soutenir la cohésion sociale, en particulier l’emploi et la cohésion territoriale.

Après seize mois de déploiement, où en sommes-nous ? Depuis septembre 2020, nous n’avons cessé de dire que l’efficacité de France Relance serait jugée à l’aune de la croissance, de l’emploi et de la réalisation des objectifs qui ont été fixés – amélioration de l’offre française, décarbonation, qualification, compétences et cohésion sociale.

Quant aux objectifs macroéconomiques de court terme que nous avions fixés à l’été 2021, ils sont atteints. La croissance du PIB avait été initialement estimée à 5 % pour 2021 ; elle atteint, selon l’Insee, un niveau de 7 %. Nous devions retrouver un niveau d’activité d’avant-crise mi-2022, c’était chose faite dès la fin du troisième trimestre 2021. La France est d’ailleurs, je tiens à le souligner, le premier pays européen à avoir retrouvé son niveau d’activité d’avant-crise.

L’objectif du plan de relance était de faire baisser dès 2021 le niveau du chômage ; l’emploi salarié en France a dépassé son niveau d’avant-crise dès le deuxième trimestre 2021.

L’ensemble de ces données sont parfaitement documentées par l’Insee : nulle expression politique n’intervient dans ce tableau.

Un million d’emplois, je le rappelle, ont été créés durant le quinquennat. Nous avons aujourd’hui, alors que nous venons de traverser la crise sanitaire et économique la plus impactante de ce siècle, le plus haut taux d’emploi depuis cinquante ans. On peut bien considérer que ce n’est pas suffisant, mais ce constat est lui aussi tout à fait documenté.

France Relance n’est pas qu’un plan de relance conjoncturel, c’est aussi une réponse à trois défis structurels que doit relever notre économie : la décarbonation et l’accélération de la transition écologique ; l’amélioration de l’offre française et la reconquête industrielle ; l’emploi, la formation et les qualifications.

Pour ce qui est de l’accélération de la transition écologique, je prendrai pour exemple la décarbonation de l’industrie. Trois feuilles de route très claires ont été publiées l’année dernière, retraçant les stratégies respectives de décarbonation des trois filières qui sont responsables de 75 % des émissions de gaz à effet de serre de l’industrie : la métallurgie, le ciment et la chimie lourde.

Deux dispositifs viennent compléter ces feuilles de route. Le premier prévoit l’accélération des investissements visant à améliorer l’efficacité énergétique des procédés de production et à développer la production de chaleur par la valorisation des combustibles de récupération. Nous y consacrons une enveloppe de 1,2 milliard d’euros.

Des investissements sont prévus, deuxièmement, dans les innovations qui nous permettront d’atteindre ces objectifs – je pense notamment à l’hydrogène bas-carbone.

Les résultats sont là : à date, plus de 140 projets de décarbonation, représentant 2,8 millions de tonnes d’émissions de CO2 évitées, sont engagés, l’objectif étant d’atteindre, d’ici à la fin de ce semestre, les 3,6 millions de tonnes, chiffre auquel il était prévu d’arriver, dans le cadre de notre trajectoire carbone, en dix-huit mois ! L’objectif est réalisé, c’est un acquis, et tout ce qui sera fait en plus équivaudra à une accélération de notre trajectoire.

Deuxième défi : la reconquête industrielle. Le constat a été dressé : une situation de dépendance industrielle dans certains secteurs critiques et une désindustrialisation progressive qui est le fruit de trente années de capitulation.

Je ne reviendrai pas sur les mesures qui ont permis, depuis quatre ans maintenant, de relancer la reconquête industrielle et de recréer de l’emploi pour la première fois dans ce secteur depuis 2000.

Je me concentrerai sur l’impact du plan de relance. Dans ce cadre, 10 600 projets industriels ont été financés, tous dispositifs confondus, autour de quatre priorités très claires : la décarbonation, que j’ai mentionnée ; la modernisation des chaînes de production, au travers du guichet « industrie du futur » ; l’innovation ; un choc de relocalisation.

Pour ce qui concerne l’innovation, vous avez évoqué l’automobile et l’aéronautique, monsieur le sénateur Redon-Sarrazy. Sachez que plus de 1 000 entreprises de la sous-traitance ont été accompagnées via le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) et le Comité d’orientation pour la recherche automobile et mobilité (Coram).

Quant au choc de relocalisation, il a d’ores et déjà permis d’accompagner 750 projets de relocalisation, notamment dans des secteurs critiques tels que la santé, l’électronique, l’agroalimentaire, les intrants critiques et le nucléaire.

Ces dispositifs, je le précise, ont bénéficié à plus de 90 % à des TPE, à des PME et à des entreprises de taille intermédiaire. Ils ont permis de financer 15 milliards d’euros d’investissements et de protéger ou de créer 230 000 emplois industriels.

Le troisième défi structurel que doit permettre d’affronter France Relance est celui des compétences. Je ne m’y étendrai pas, car il me reste peu de temps. J’indique seulement que 2 millions de primes à l’embauche ou à l’apprentissage ont été versées, et que 2021 fut une année historique pour l’apprentissage, puisque 720 000 jeunes y sont entrés, alors qu’ils étaient moins de 300 000 en 2017.

Oui, France Relance est un succès, même si cela ne diminue en rien tout le travail que nous devons continuer à mener pour conforter la position de notre économie.

Je souhaite conclure en rappelant que nous sommes le pays européen le plus avancé dans le déploiement de ce plan. Sans doute cela explique-t-il le différentiel de croissance que nous observons et, partant, les chiffres de notre balance commerciale. Il est acquis que lorsqu’un pays bénéficie d’un tel différentiel de croissance sa balance commerciale « tire » de facto sur les importations. Il s’agit là d’un effet macroéconomique parfaitement explicable, a fortiori dans un contexte d’augmentation du prix des matières premières. (M. Xavier Iacovelli applaudit.)

Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Sylvie Robert. Madame la ministre, je souhaite aborder le sujet de la relance dans le domaine de la culture.

Dans le rapport d’information que j’ai réalisé au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication avec ma collègue Sonia de La Provôté, j’insistais sur la nécessité de convertir le plan de relance pour la création en une reprise durable et soutenable. Vous le savez, dans ce domaine, il n’y a pas eu de relance.

L’enjeu réside désormais dans la capacité à transformer le soutien apporté au secteur culturel en une relance de long terme. À défaut, les aides qui ont été débloquées ne s’apparenteraient qu’à un appui conjoncturel très éloigné de l’objectif affiché : une consolidation et une relance structurelles du secteur du spectacle vivant.

Les annonces de décembre dernier – le rétablissement des jauges, l’interdiction des concerts debout – ont une nouvelle fois fragilisé le spectacle vivant, entraînant de nombreux reports et annulations de dates et de tournées.

La filière n’avait pas besoin de ce coup d’arrêt brutal, et ce d’autant moins que, nous le savons, la reprise est timide, et le retour du public difficile.

L’effet signal de telles décisions s’avère de surcroît délétère : les lieux de culture seraient des lieux à risque et de contamination, ce qui est faux, c’est scientifiquement prouvé. Surtout, en perpétuant la politique de stop and go, on empêche la filière de se projeter.

En dépit des annonces qui ont été faites, le secteur continue de voir s’accumuler devant lui diverses contraintes.

Par exemple, l’aide Coûts fixes n’est pas ouverte aux associations, alors que celles-ci sont nombreuses dans le secteur culturel. Quant à la mise en œuvre du passe vaccinal, elle implique l’embauche de personnels supplémentaires, mais aucune aide n’est prévue à cet effet.

Ma question est très simple, madame la ministre : dans ce contexte difficile et contraint, quel soutien efficace êtes-vous prête à apporter pour accompagner durablement cette filière et préserver ainsi l’avenir de la culture dans notre pays ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice, je connais votre attachement à la culture française et aux entreprises œuvrant dans ce secteur.

Vous le savez, la culture est une priorité pour ce gouvernement. Les mesures que nous avons déployées pendant la crise sanitaire l’attestent : elles se comparent très favorablement à celles qui ont été prises dans d’autres pays, témoignant d’une priorité plus forte accordée en France à ce domaine.

Au total, ce sont près de 12 milliards d’euros qui ont été mobilisés pendant la crise sanitaire : 8,9 milliards d’euros d’aides transversales, 1,7 milliard d’euros d’aides sectorielles spécifiques et 1,3 milliard d’euros au titre de la prolongation de l’année blanche de l’intermittence.

À cela s’ajoute l’enveloppe de 2 milliards d’euros consentie dans le cadre du plan de relance, destinée à réaliser divers objectifs : soutenir le patrimoine dans les territoires, favoriser la reprise du spectacle vivant et la reconquête de notre modèle de création, consolider nos grandes filières économiques culturelles et préparer leur avenir.

À date, la quasi-totalité des chantiers de rénovation de cathédrales et de monuments historiques n’appartenant pas à l’État ont été lancés, et les mesures de soutien aux filières – cinéma, livres, musique, presse, industries culturelles et créatives – ont d’ores et déjà profité à plus de 8 000 bénéficiaires.

En outre, 600 millions d’euros supplémentaires ont été attribués à la culture au titre de France 2030, soit un total de 2,6 milliards d’euros pour relancer le secteur et préparer l’avenir post-crise.

Dans votre département d’Ille-et-Vilaine, trois projets de rénovation sont menés dans le cadre de France Relance : ceux de la cathédrale Saint-Pierre de Rennes, de l’abbatiale Saint-Sauveur de Redon et de l’ancienne cathédrale Saint-Samson de Dol-de-Bretagne.

Pour ce qui est, enfin, de l’aide Coûts fixes, je peux vous confirmer que son bénéfice sera étendu aux associations.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.

Mme Sylvie Robert. Je vous remercie de vos réponses, madame la ministre.

J’indiquais dans le rapport précité que l’année 2022 serait difficile, notamment pour la filière du spectacle vivant, et c’est le cas. Une relance et une reprise durables s’imposent si nous voulons préserver ce tissu auquel, je le sais, nous sommes tous attachés.

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Madame la ministre, dès le début du premier confinement, en mars 2020, le Gouvernement a fait le choix de mettre en place des dispositifs de soutien massifs afin d’atténuer le choc subi par l’activité économique en raison de la pandémie mondiale.

L’activité partielle, destinée à protéger les emplois, les prêts garantis par l’État, lancés pour soutenir nos entreprises en difficulté de trésorerie, le Fonds de solidarité pour les entreprises, indépendants, entrepreneurs : voilà autant de mesures qui ont permis à notre économie de tenir.

« Ce n’est pas assez ! », clameront les uns ; « Vous cramez la caisse ! », fustigeront les autres. La réalité contredit toutefois ces postures : la France aura non seulement été le pays d’Europe le plus protecteur durant la crise, mais elle fait aussi partie de ceux qui s’en sortent le mieux sur le plan économique, avec un taux de chômage historiquement bas et une croissance record.

Mme Pascale Gruny. Il faut les analyser, ces chiffres !

M. Xavier Iacovelli. Le plan de relance présenté en septembre 2020 constitue une deuxième réponse face à la crise. Résolument tourné vers l’avenir et doté de 100 milliards d’euros, il s’appuie sur trois piliers essentiels et indissociables pour construire la France de 2030 : écologie, compétitivité et cohésion sociale.

Les mesures efficaces qu’il contient portent déjà leurs fruits.

Je pense aux aides exceptionnelles permettant d’accompagner financièrement les employeurs qui recrutent en contrat d’apprentissage. Vous avez donné les chiffres qui viennent d’être publiés, madame la ministre : 718 000 contrats ont été signés en 2021, c’est un nouveau record.

Je pense également à l’accompagnement des entreprises qui souhaitent engager leur transformation numérique, laquelle est essentielle pour gagner en compétitivité et développer son activité.

Le « quoi qu’il en coûte » aura permis de préserver nos emplois, d’éviter les faillites d’entreprises et de relancer notre économie. Le plan de relance s’inscrit dans la continuité de cette logique.

Quand certains prônent le « c’était mieux avant, et ça sera pire demain », pouvez-vous, madame la ministre, nous indiquer comment le Gouvernement entend poursuivre son soutien en direction des entreprises afin de consolider la confiance dans notre économie et de construire la France de 2030 ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Iacovelli, vous soulignez à juste titre que la politique du Gouvernement a reposé sur trois niveaux d’intervention.

Le premier niveau correspond aux mesures d’amortissement de la crise, qui nous ont permis de protéger notre outil de travail et nos emplois.

Ces mesures d’urgence se distinguent de celles qui avaient été prises en 2008-2009 : le coût de ces dernières avait creusé la dette publique à peu près dans les mêmes proportions, mais elles s’étaient traduites par une croissance à peu près nulle et par un rebond massif du chômage.

Grâce à l’activité partielle et au Fonds de solidarité, nous avons, cette fois, protégé l’outil de travail et les compétences. Nous ne nous sommes pas contentés de nous appuyer sur un système social certes très puissant, mais dont la vocation n’est pas de permettre le rebond économique.

Deuxième niveau : le plan de relance a permis d’accompagner la reprise de la croissance en la fondant sur l’activité des filières industrielles existantes et sur les transformations déjà engagées. Je pense à MaPrimeRénov’, aux aides à l’achat d’un véhicule électrique ou encore au soutien des filières industrielles.

Cette action a permis d’accompagner le rebond de la croissance, si bien que nos entreprises, qui sont déjà reparties à la conquête des marchés, rencontrent aujourd’hui des difficultés pour recruter, ce que nous n’aurions jamais imaginé au tout début de cette crise.

Le troisième pilier de la politique économique que nous menons en direction des entreprises, c’est le plan France 2030.

Ce plan vise à construire les filières industrielles de demain, celles qui feront notre compétitivité tout en nous permettant de décarboner notre économie – hydrogène bas-carbone, moteurs décarbonés dans l’aéronautique, maîtrise complète de la filière des batteries électriques, depuis les terres rares jusqu’à la production, dispositifs d’innovation en santé, etc.

Les retours sur investissement, dans chacun des dix chapitres ainsi déclinés, seront de nature à accroître notre croissance potentielle. Il y a là une stratégie complète, qui est reliée à l’État…

Mme la présidente. Je vous prie, madame la ministre déléguée, de veiller à respecter le temps de parole qui vous est imparti.

La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Madame la ministre, à l’heure où les milliards dopent la relance partout dans le monde, il est sain que le Parlement veille au bon emploi des deniers publics. C’est notre mission de contrôler l’action du Gouvernement, c’est aussi notre mission de voter le budget : nous sommes donc ce soir parfaitement dans notre rôle.

La façon dont est posé le débat de ce jour nous incite à aborder le problème sous un angle particulier.

En effet, pour évaluer l’efficacité et l’opportunité des aides versées dans le cadre du plan de relance, il faut d’abord se mettre d’accord sur les objectifs à atteindre et sur le délai imparti. Or c’est bien souvent là que le bât blesse et que les divergences politiques se font jour.

Dans de nombreux cas, bien sûr, l’efficacité et l’opportunité des aides ne posent pas question. Pour ce qui est des aides aux acteurs économiques, qu’il s’agisse des baisses des impôts de production, des aides attribuées pour le recrutement en apprentissage ou des prêts participatifs, il suffit de regarder les principaux indicateurs économiques.

En l’occurrence, c’est assez simple : ils sont tous au vert. La croissance a atteint 7 % en 2021, un score digne des Trente Glorieuses. Le taux d’emploi, qui est de 65 %, n’a jamais été aussi élevé depuis qu’il est mesuré. Le nombre d’apprentis a dépassé les 500 000, c’est-à-dire l’objectif déjà ambitieux fixé par le Gouvernement en début de quinquennat.

En revanche, pour évaluer l’efficacité et l’opportunité des aides allouées aux collectivités, les indicateurs de performance sont moins évidents.

Ma question est donc simple, madame la ministre : quels sont les indicateurs retenus pour évaluer les aides versées aux collectivités, et notamment les aides liées à la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Malhuret, l’attribution de la part exceptionnelle de DSIL liée à la relance repose sur deux critères correspondant à deux objectifs : la sélection des projets s’opère au regard de leurs effets en matière d’accélération de la transition écologique et d’amélioration de la résilience sanitaire.

Je rappelle que les projets ont été élaborés par les collectivités locales auprès des préfectures, lesquelles les ont instruits sur la base de priorités fixées au niveau national et en tenant compte des enjeux locaux.

Concernant la part supplémentaire de DSIL destinée à financer des travaux de rénovation énergétique, les projets ont également été sélectionnés en fonction de deux critères : les gains énergétiques attendus, aisément mesurables, et l’impact qui est le leur du point de vue de la relance économique. Appliquer ce second critère revenait à établir si le calendrier de mise en œuvre du projet était concomitant avec le besoin de relance de l’économie ou, en d’autres termes, si cette mise en œuvre était réalisable dans un délai réduit. Ces deux critères ont permis de choisir entre les projets.

Ces éléments ont par ailleurs été évalués par le comité Cœuré, qui a validé le travail de sélection des dossiers.

Je rappelle de surcroît que dans le cadre de France Relance plus de 10 milliards d’euros sont alloués aux collectivités locales.

Dès 2020, l’État a compensé 2,8 milliards d’euros de pertes de recettes des collectivités locales et des autorités organisatrices de la mobilité.

En parallèle, France Relance a permis de consacrer 3,5 milliards d’euros à l’accompagnement de projets spécifiques des collectivités locales, en cohérence avec nos objectifs stratégiques : revitalisation des friches – décarbonation, mais aussi reconversion en logements ou revalorisation industrielle –, transports, très haut débit ; 2,5 milliards d’euros sont en outre dégagés pour le soutien à l’investissement.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary.

M. Serge Babary. Madame la ministre, le plan de relance, complétant les premières aides mises en œuvre à la suite du confinement et des fermetures administratives d’entreprises, est le dernier élément d’un continuum de soutien qui était indispensable pour que nos entreprises traversent la tempête du covid-19.

À quel prix ? C’est la question à laquelle devront répondre le prochain président de la République et son gouvernement, ainsi sans doute que leurs successeurs, compte tenu de l’ampleur de la dette.

Pour quelle efficacité ? S’il est encore trop tôt pour mesurer l’impact réel de ces aides sur le long terme, on a pu constater une chute conjoncturelle des défaillances d’entreprises, en quelque sorte mises sous perfusion. Cet arrêt sur image a été logiquement suivi d’une hausse des défaillances d’entreprises, évaluée à 9 % en décembre 2021, qui devrait se confirmer en 2022. Ce n’est donc qu’à moyen terme que nous pourrons distinguer l’effet des aides utiles pour notre économie.

Nous avons été maintes fois alertés par des PME et des TPE sur l’interprétation trop stricte qui était parfois faite des critères d’éligibilité à certaines aides, voire sur le caractère incompréhensible de ces critères : comment justifier, par exemple, que les exploitants d’une entreprise ayant poursuivi leur activité continuent de se voir refuser l’accès aux aides au motif qu’ils ont changé de statut ?

Ces différences de traitement ne se justifient pas, madame la ministre. Il est impératif de traiter au cas par cas et en urgence la situation d’entreprises saines et utiles à notre tissu économique, qui sont prisonnières de grilles de critères inadaptées à leur situation spécifique, alors qu’elles sont allées au bout de leur propre résistance financière.

Je déplore également le relatif manque de transparence dans l’allocation des crédits du plan de relance, dont plus de 50 milliards d’euros sont déjà engagés.

Quant à la croissance du PIB, elle a certes atteint, en France, 7 % en 2021, mais nous avions connu une récession de 8 % en 2020. Il faut donc relativiser la situation.

Notre pays doit se doter d’outils fiables pour évaluer dans le temps l’impact réel des décisions politiques sur notre économie, tant au plan macroéconomique qu’au plan microéconomique.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Babary, n’ayant pas à proprement parler entendu de question dans votre propos, j’essaierai de vous répondre sur les différents points que vous avez mentionnés.

Concernant les difficultés de trésorerie que rencontrent certaines PME et TPE qui ne rempliraient pas les critères, je rappelle qu’un dispositif de droit commun existe et qu’il a vocation à accompagner les entreprises en difficulté. Ce dispositif de droit commun, qui a d’ailleurs été simplifié, permet de revoir tout échéancier de dette sur une période de dix ans. Les dispositions que nous avons prises en fin d’année dernière prévoient qu’un tel processus peut se dérouler sous l’égide de la médiation du crédit, et ce quelle que soit la situation de l’entreprise.

Ce dispositif me paraît la réponse la plus adaptée aux situations que vous évoquez. De nombreuses entreprises sont d’ailleurs accompagnées dans ce cadre. Le premier réflexe d’un chef d’entreprise qui est en situation de trésorerie tendue doit être de contacter son interlocuteur habituel dans l’administration, qu’il s’agisse du fisc ou de la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets). Il est alors pris en charge par l’État.

À propos de la croissance, vous indiquez des chiffres : –8 %, +7 %. Mais ce n’est pas ainsi que nous mesurons les choses ; la question était bien plutôt de savoir à quel moment nous retrouverions le niveau d’activité de 2019. Or, comme je l’ai précisé dans mon propos liminaire, nous avons retrouvé ce niveau d’activité d’avant-crise au troisième trimestre de l’année 2021 : cela ne fait aucune ambiguïté, les courbes se croisent. Notre niveau d’activité est aujourd’hui plus important qu’en 2019.

J’en viens au choix des projets et à l’affectation des crédits. L’instruction des dossiers a été réalisée, au sein des administrations, par des comités qui ont évalué leur impact, et ce de façon parfaitement transparente.

La sélection des projets industriels, par exemple, a été accomplie, dans le cadre du programme Territoires d’industrie, par des équipes issues des régions concernées et par celles de Bpifrance, qui ont travaillé main dans la main selon un « process » bien connu : on s’assure que le porteur de projet est reconnu dans son domaine, on étudie le business plan, on évalue la portée du projet – rien que de très professionnel. Nous avons eu à cœur de mettre le plus de professionnalisme possible dans le choix des projets.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a dépensé au total 400 milliards d’euros, soit 20 % du PIB, pour que ce même PIB revienne finalement 1,6 % en deçà de son niveau moyen de 2019. Vous pouvez vous en féliciter, madame la ministre, mais d’aucuns vous répondront qu’il s’agit là, malgré tout, d’une performance très limitée.

Vous justifiez votre politique en vous appuyant également sur les statistiques de l’emploi. Selon les chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) le nombre absolu de chômeurs est aujourd’hui au même niveau qu’au début du mandat Macron, soit 5 430 000. Compte tenu de l’augmentation de la population active, on constate effectivement une baisse du taux de chômage, mais celle-ci correspond à des créations d’emplois soit précaires soit financés par l’État, l’effet d’aubaine qui en résulte, dans ce dernier cas, étant considérable.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » a certes permis la création de près de 520 000 emplois en alternance, mais, spécificité de ce plan, les subventions étatiques sont telles que l’apprenti est gratuit pour l’entreprise ! Quelque 9 milliards d’euros auront été dépensés pour faire disparaître 520 000 personnes des statistiques du chômage… Et cette aide, quand prend-elle fin ? Elle ne dure que jusqu’en juin 2022 ! Joli effet d’aubaine, peut-être pas que pour les entreprises… La chute risque d’être rude, madame la ministre, car l’emploi que vous créez n’est pas durable.

Vous avancez, dans le même sens, que de nombreuses entreprises ont été créées, mais il s’agit en grande majorité de microentreprises. Or, selon l’Insee, un microentrepreneur ne gagne que 590 euros par mois en moyenne, et on sait que la moitié de ces entreprises ne survivent pas au-delà de quelques mois ou de quelques années.

Votre relance n’est pas pérenne, madame la ministre ; c’est tout le problème.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice, vous vous offusquez du fait que nous accompagnons l’apprentissage. Je m’en étonne : je croyais que vous souteniez l’insertion, en particulier pour les jeunes.

L’apprentissage est une porte d’entrée sur le marché du travail. Contrairement à ce que vous laissez penser, on n’est pas apprenti toute sa vie : c’est une étape qui permet d’apprendre le métier, avant d’être recruté précisément parce qu’on le maîtrise.

Ces 520 000 jeunes dont nous avons accompagné l’embauche en apprentissage sont entrés dans l’emploi, et leur taux d’insertion dans l’emploi est beaucoup plus élevé que celui des jeunes qui ne sont pas passés par l’apprentissage. Les analyses du Conseil d’analyse économique (CAE), par exemple, montrent de manière très claire qu’il y a là une mesure tout à fait durable et économiquement pertinente.

Chacun devrait donc se réjouir que nous ayons doublé le nombre de contrats d’apprentissage et enfin changé le regard sur cette manière d’accompagner les jeunes vers l’emploi.

J’ajoute que cette mesure profite aussi aux personnes en situation de handicap, sans limite d’âge, ce qui a permis d’améliorer l’intégration de ces personnes dans la vie professionnelle.

Un mot des chiffres du chômage : le meilleur critère pour apprécier la situation, c’est le taux d’emploi, qui mesure la part de la population active qui travaille. C’est un critère très simple : impossible de tricher comme avec les catégories, A, B, C, D, E. Or ce taux est le plus élevé depuis cinquante ans – ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’Insee.

Vous me direz que le taux d’emploi est plus faible chez nous qu’en Allemagne. Dont acte ! Travaillons à ce qu’il continue de progresser.

En tout état de cause, l’amélioration est très nette.

Vous avez parlé de précarité, mais ce n’est pas exact : le nombre de contrats à durée indéterminée a également progressé !

La vision que vous exposez est donc partielle, madame la sénatrice. Nous devrions bien plutôt nous atteler enfin à résorber notre chômage structurel, dont le niveau élevé nous distingue des autres pays européens.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.

Mme Sophie Taillé-Polian. La conditionnalité sociale, madame la ministre, consisterait à aider les entreprises en échange d’emplois durables. En l’espèce, vous payez 100 % de l’apprentissage, sans aucune garantie pour la suite !

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Plan de relance, France 2030, mesures d’urgence : tout cela, c’est de l’argent public, c’est entendu ; nous devons donc, en la matière, disposer d’un droit de regard.

Je souhaite vous interroger sur une question qui nous a déjà beaucoup animés : celle de la conditionnalité des aides. Je ne parle pas du commerçant du coin ou du restaurateur, mais des très grandes entreprises, qui ont toutes été aidées depuis deux ans – mesures directes ou indirectes, chômage partiel, prêts garantis par l’État, plan de relance.

Vous nous avez dit, madame la ministre, que les PGE – cela vaut aussi pour le plan de relance – faisaient l’objet de conditionnalités sociales et environnementales. Lorsque nous avons auditionné Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, le 31 mars 2021, je lui ai posé la question ; il nous a répondu qu’il n’en savait rien et que les PGE octroyés aux grandes entreprises étaient directement du ressort de Bercy et de Bruno Le Maire. Et il nous a conseillé de nous rapprocher du directeur général du Trésor.

Nous avons eu de la chance : notre commission des affaires économiques a précisément accueilli, un mois plus tard, le directeur général du Trésor. Derechef, je lui ai posé la question. Voici ce qu’il a fini par me répondre, après avoir bafouillé : « les PGE de grandes entreprises sont accompagnés d’engagements liés au fait qu’il n’y ait pas de filiales dans les paradis fiscaux ». Pour le reste, il nous conseillait de poser directement la question des conditionnalités au ministre.

Comme vous êtes là, je vous la pose, madame la ministre : quels critères sociaux et environnementaux les grandes entreprises bénéficiant d’un PGE ou des mesures du plan de relance doivent-elles respecter ?

Pouvons-nous avoir accès aux dossiers des PGE signés par Bruno Le Maire avec les grandes entreprises ? Le cas échéant, je suis disponible pour venir à Bercy, vingt-quatre ou quarante-huit heures, afin d’examiner ces documents avec vous !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur, je me permets de vous rappeler que notre débat d’aujourd’hui porte non pas sur les prêts garantis par l’État, mais sur le plan de relance.

En ce qui concerne le plan de relance, 90 % des mesures qui ont bénéficié à des entreprises ont été assorties de contreparties. Soutenir un projet de relocalisation, cela n’a rien d’évanescent. Vous payez les factures d’installation des chaînes de production : l’argent n’est pas décaissé sans instruction ni sans laisser de trace. Je le rappelle également, les conventions prévoient la possibilité de demander le remboursement des sommes versées si les projets n’ont pas été correctement exécutés selon le programme.

M. Fabien Gay. Mais bien sûr !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Il y a conditionnalité, bien sûr ! De même, lorsqu’une aide à l’insertion ou au recrutement est octroyée, la conditionnalité n’est autre que l’embauche.

Je m’écarte un instant du plan de relance pour évoquer les mesures d’urgence : le chômage partiel vise à sécuriser le contrat de travail des salariés ; ce sont les salariés qui bénéficient de l’argent versé. Ce dispositif explique que le taux de chômage ait diminué pendant la crise, bien que le PIB ait baissé de 8 %, quand le taux de chômage avait explosé, en 2008-2009, alors que l’impact de la crise sur le PIB était « à peine », si j’ose dire, de 2,3 %. On voit bien la différence, et l’efficacité de ces aides, qui ont profité avant tout aux Français.

Je prends l’exemple du PGE d’Air France, qui était doublement conditionné : politique de distribution de dividendes, d’une part, engagements de décarbonation et diminution des vols intérieurs, d’autre part.

Je précise enfin qu’un prêt garanti par l’État n’est pas une aide d’État : c’est la garantie qui fait l’aide. Si l’entreprise rembourse, il n’y a pas d’argent mobilisé par l’État.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. Madame la ministre, je poursuis sur les questions sociales et environnementales.

La semaine dernière, j’étais à Saint-Nazaire : les ouvriers détachés y sont maltraités par le patronat, alors même que les entreprises qui y sont implantées vont recevoir 1,25 milliard d’euros au titre du plan de relance. La question sociale, elle est là !

Puisque vous évoquez Air France, je mets deux chiffres en balance : 4 milliards d’euros de prêt garanti par l’État, 7 500 suppressions de postes. De même pour Renault : un PGE de 5 milliards d’euros, 15 000 suppressions de postes, dont 5 000 en France, en particulier dans les fonderies.

Ces exemples peuvent être répétés à l’envi.

J’ajoute que des dividendes très généreux ont été versés, contrairement à ce qu’avait annoncé Bruno Le Maire, qui avait promis d’appeler les entreprises à la modération. Nous serons donc très attentifs à ce que le plan de relance s’assortisse de conditionnalités sociales et environnementales.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Sans les prêts garantis par l’État, qui, je le répète, ne sont pas des aides, les entreprises dont vous parlez auraient déposé le bilan, avec un risque d’effet domino. Ce ne sont pas 5 000 emplois qui étaient en jeu – tel n’est d’ailleurs pas le chiffre final des réductions de postes chez Renault, mais peu importe –, mais des dizaines de milliers.

Nous prenons nos responsabilités : notre boussole, c’est l’emploi. Les résultats que nous obtenons montrent que cette boussole est active : le taux de chômage a baissé et le taux d’emploi est le plus élevé depuis cinquante ans.

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Comme je vois que les questions sociales vous tiennent à cœur, je continue avec les prêts garantis par l’État.

J’ai cité Renault et Air France ; je n’y reviens pas. AccorInvest : un prêt garanti par l’État de 477 millions d’euros signé par Bruno Le Maire, 1 880 suppressions de postes. Lagardère : un PGE de 465 millions d’euros, lui aussi signé par Bruno Le Maire, 64 postes supprimés et 30 fermetures d’antennes locales, menaçant des centaines de postes. Galeries Lafayette : un prêt de 300 millions d’euros signé par Bruno Le Maire, 177 postes supprimés.

Vous nous dites que les entreprises qui ont bénéficié de prêts garantis par l’État n’ont pas supprimé de postes ; on voit bien que ce n’est pas le cas, très loin de là ! Nous devons savoir précisément où est passé cet argent. À quoi a-t-il servi ? À investir, à préparer la transition écologique, à verser des salaires ? En tout cas, pas au maintien de l’emploi en France !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, un fonds bicyclette de 350 millions d’euros avait été créé en 2018 afin d’aider les collectivités territoriales à construire des pistes cyclables sécurisées. Il a ensuite été abondé de 100 millions d’euros dans le cadre du plan France Relance en vue d’atteindre en 2024 l’objectif d’un triplement de la part du vélo dans les déplacements quotidiens.

Selon les chiffres publiés au début de l’année par le réseau Vélo & territoires, la pratique cycliste progresse, de fortes disparités territoriales étant néanmoins à noter. L’augmentation enregistrée en 2021 par rapport à 2019 est deux fois moindre en zone rurale – 14 % – qu’en milieu urbain – 31 %. Nous sommes loin de l’objectif de triplement… En outre, durant la même période, le nombre de cyclistes tués a augmenté de 20 %.

Dans ces conditions, madame la ministre, ne pensez-vous pas qu’il serait pertinent de redéployer des crédits du plan de relance au profit de l’aménagement de pistes cyclables et de la réfection de la voirie communale ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Mizzon, 200 millions d’euros sont en réalité consacrés au vélo dans le cadre de France Relance : 50 millions d’euros via la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), 50 millions d’euros engagés pour le déploiement de dispositifs de stationnement de vélos en gare, et 100 millions d’euros de « DSIL vélo » versés au niveau déconcentré depuis l’automne 2021 pour l’accompagnement de projets locaux en faveur du vélo.

Aujourd’hui, les résultats sont tangibles : depuis 2017, le kilométrage d’aménagements cyclables s’est fortement accru à l’échelle nationale, le réseau passant de 40 000 à 53 000 kilomètres, soit 13 000 kilomètres supplémentaires.

Par ailleurs, dans le cadre du plan de relance, nous avons surtout veillé à ce que les pistes cyclables soient mises en sécurité. Nous voulions éviter les tracés improbables implantés au milieu de la circulation et seulement protégés par quelques plots : il fallait de véritables pistes sécurisées pour infléchir la triste statistique que vous venez d’évoquer, à savoir l’augmentation du nombre de décès de cyclistes, laquelle doit évidemment retenir toute notre attention.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, si votre réponse me satisfait, c’est seulement sur le plan intellectuel : la réalité est bien différente.

Vous semblez penser qu’il y a abondance de crédits. Mais tel n’est pas le ressenti des élus locaux, qui se plaignent de dotations trop faibles au regard de leur volonté de vous accompagner dans l’atteinte de l’objectif national de triplement du nombre de cyclistes dans notre pays.

Vous avez évoqué la DSIL, mais cette dotation est loin de ne financer que la promotion du vélo : elle finance tant de choses qu’à la fin de l’année il ne reste plus rien pour le vélo. C’est pourquoi je souhaiterais que vous redéployiez une partie des crédits du plan de relance au profit du développement du vélo en France.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Je parlais bien d’une DSIL spécifique au vélo.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, vous avez évoqué deux DSIL. La première est fléchée vers quantité de projets différents, tant et si bien qu’elle ne suffit pas à répondre à tous les besoins.

Diable ! Vous ne prenez pas la mesure des besoins ni n’avez conscience du point auquel les maires et les présidents d’intercommunalité souhaiteraient pouvoir développer les pistes cyclables et redéfinir les voiries communales afin de rendre la cohabitation entre les vélos et les voitures plus aisée.

À cet égard, des moyens sont indispensables. C’est la raison pour laquelle je vous demandais de bien vouloir redéployer une partie des crédits du plan de relance, ou des reliquats qui ne manqueront pas d’apparaître, s’agissant – c’est absolument nécessaire – d’atteindre un objectif que nous partageons.

Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.

Mme Guylène Pantel. Madame la ministre, sous l’angle économique, nous ne pouvons que partager le constat global selon lequel le plan de relance et les différentes aides de soutien à l’économie mises en place par l’État, par les régions et par les autres collectivités locales ont permis à notre pays de connaître une sortie de crise d’une rapidité exceptionnelle : en sept trimestres, le PIB a retrouvé son niveau d’avant-crise !

Toutefois, cette reprise a une contrepartie : l’inflation. Bloquée depuis plus d’un, la demande repart en force, faisant mécaniquement remonter les prix. Selon la note de conjoncture publiée par l’Insee à la fin de l’année 2021, les prix ont subi une augmentation moyenne de 18,6 %.

Au chapitre des mauvaises surprises figure la hausse des prix des carburants, qui atteignent des niveaux jamais vus. Selon les économistes, dans les semaines à venir, cette tendance devrait se poursuivre pour ce qui est des prix à la pompe. Je m’interroge donc sur l’absence, dans le plan de relance, d’un dispositif de déploiement de solutions de mobilité dans les zones rurales et hyper-rurales.

Je le réaffirme avec vigueur : les habitants de nos territoires subissent de plein fouet cette hausse de prix. Pour eux, c’est la double peine : éloignement, voire disparition, des services publics ; absence de substitut à la voiture.

Dans son volet écologie, le plan de relance contient certes une mesure en faveur des mobilités du quotidien, mais celle-ci ne concerne que les agglomérations et les métropoles, puisqu’elle est destinée à accompagner les collectivités souhaitant créer des transports en commun en site propre (TCSP), bus, tramways, métros.

Mon groupe et moi-même souhaitons profiter de l’organisation de ce débat, pour laquelle je remercie le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, pour interroger le Gouvernement sur les motivations qui l’ont conduit à exclure du plan de relance tout dispositif d’incitation au déploiement de nouvelles solutions de mobilité en zones rurales et hyper-rurales.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice, vous avez raison de souligner que le contexte est marqué par l’inflation.

À examiner les données de l’Insee, on constate que l’inflation est pour le moment moindre en France que dans pas mal d’autres pays, européens ou non – les États-Unis ou certains pays asiatiques connaissent des niveaux d’inflation qui sont sans commune mesure avec le nôtre. Cela semble indiquer que les dispositifs que nous avons utilisés pour ralentir l’inflation fonctionnent.

En ce qui concerne le carburant, malheureusement, nous sommes totalement dépendants de l’évolution des cours mondiaux. Notre seule solution consiste donc à modifier nos modes de transport : nous devons nous tourner vers l’électrique et sortir de notre dépendance aux énergies fossiles.

C’est en ce sens que nous agissons, tout d’abord, via les primes à la conversion ou le déploiement de bornes électriques. Ce déploiement n’est certes pas achevé sur l’ensemble du territoire, et peut-être est-il insuffisamment rapide, mais ces mesures font bel et bien partie intégrante du plan de relance.

C’est en ce sens que nous agissons, ensuite, en fléchant, dans le plan de relance, 450 millions d’euros de crédits en faveur des TCSP et 150 millions d’euros en faveur du vélo.

Je mesure le caractère incomplet de cette réponse ; mais le plan de relance visait à couvrir les années 2020 et 2021. Il nous appartient désormais de construire une réponse plus complète en matière de transition énergétique et de réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. En tout état de cause, les mesures que nous avons engagées font sens, on le voit ; nous devons poursuivre dans cette voie.

Nous accompagnons par ailleurs les Français : je pense en particulier au chèque inflation, qui est aussi une réponse à la hausse des prix, d’un montant de 100 euros, et dont les derniers versements seront effectués d’ici à la fin du mois de février. Pas moins de 38 millions de Français en auront bénéficié.

Nous poursuivons enfin notre travail pour transformer la mobilité thermique en mobilité électrique.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly.

M. Patrice Joly. Madame la ministre, la baisse des impôts de production est l’un des points phares du plan de relance, destiné à renforcer la compétitivité des entreprises et l’attractivité de notre territoire. La baisse accordée aux entreprises s’élève à 20 milliards d’euros sur deux ans, sans aucune contrepartie, que ce soit en matière d’emploi – d’autres orateurs l’ont dit avant moi –, de responsabilité sociale des entreprises ou de transition écologique.

Un plan de relance repose généralement sur le principe d’une augmentation de la dette publique, ce qui reporte son financement à plus tard. Si des mesures précises sont pérennisées, ce qui est le cas, il convient, à l’inverse, d’équilibrer les budgets, ce qui passe soit par la hausse d’autres impôts soit par la baisse des dépenses publiques.

Or, en l’espèce, la baisse des impôts de production s’est faite au bénéfice exclusif des entreprises et, parmi elles, des plus aisées. Elle est en outre intégralement financée par la dette publique et n’a été compensée par aucune autre ressource fiscale connue à ce jour.

Dans le même temps, c’est l’objet du programme de stabilité, le Gouvernement souhaite que le déficit revienne sous le seuil des 3 % du PIB en 2027. Le redressement reposerait sur une croissance maîtrisée de la dépense publique, ramenée à 0,7 % par an en volume entre 2022 et 2027. Il faut ainsi trouver au moins 50 milliards d’euros !

Le problème du financement, qui n’a pas encore été abordé, reste donc entier. Compte tenu des annonces faites par le Gouvernement et des mesures qui ont été prises depuis le début de la présidence Macron, il n’est pas impossible que le financement envisagé consiste en réalité en une baisse des dépenses publiques, de même que les plans d’austérité avaient succédé au plan de relance après la crise de 2008.

Afin d’éviter une baisse des dépenses publiques essentielles, il conviendrait à tout le moins de compenser par d’autres prélèvements obligatoires les pertes de recettes induites par la baisse des impôts de production. Aussi, madame la ministre, quelles sont les perspectives que le Gouvernement souhaite tracer en ce domaine ? Allons-nous vers une baisse des dépenses publiques ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Joly, je souhaite dire un mot du contexte : en 2017, les impôts de production étaient en France sept fois plus élevés qu’en Allemagne et trois fois plus élevés qu’en moyenne dans l’Union européenne.

Je rappelle que les entreprises créent non seulement la richesse qui nous permet, par le biais de l’impôt, de financer nos politiques publiques, mais aussi l’emploi qui permet aux Français de vivre le plus dignement possible de leurs revenus. La pression de la fiscalité les empêche d’investir. Ainsi observait-on, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir en 2017, un écart de 10 points de marge entre la France et l’Allemagne au détriment de la première ; 10 points de moins, cela se voit sur l’investissement productif ! Ce décalage explique sans doute en partie le chômage structurel que connaît la France, ainsi que le retard pris par les entreprises françaises pour se moderniser et investir dans de nouvelles chaînes de production.

Nous faisons tout l’inverse : nous assumons de baisser la fiscalité, tant sur les ménages, pour leur permettre de vivre mieux, que sur les entreprises, pour leur permettre de se développer, de gagner des contrats, de créer de l’emploi – j’ai déjà rappelé qu’un million d’emplois avaient été créés dans ce pays depuis le début du quinquennat. Plus d’emplois, ce sont plus de cotisations sociales pour abonder le budget de la sécurité sociale. Des entreprises en croissance, ce sont plus d’impôts acquittés pour équilibrer le budget de l’État. C’est ce cercle vertueux qui permettra aux entreprises de rebondir.

Monsieur le sénateur, vous aurez remarqué que cette baisse des impôts de production est essentiellement orientée vers l’industrie : sur 10 milliards d’euros de baisse, 6 milliards vont à l’industrie, qui ne représente pourtant que 10 % de l’économie. Il me semble que la mécanique et la stratégie sont très claires.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly, pour la réplique.

M. Patrice Joly. Madame la ministre, je suis surpris des éléments de réponse que vous nous avez donnés quant à la pression qui pèserait sur les entreprises en matière de prélèvements obligatoires.

Le Gouvernement se vante de l’attractivité de notre pays en se fondant sur les investissements étrangers, qui n’ont pas diminué. Si les prélèvements obligatoires étaient aussi rédhibitoires que vous le dites, les entreprises étrangères n’investiraient pas autant dans notre pays !

La France a besoin de dépenses publiques : non seulement le bien-être de la population générale en dépend, mais les entreprises bénéficient elles aussi de ces investissements réalisés sur le territoire national.

La crise a révélé la nécessité de consacrer des moyens importants au financement de notre système de santé – je n’y insiste pas. Quant à nos systèmes éducatifs et de formation, ils connaissent des difficultés considérables, bien identifiées, comme en témoignent les récents mouvements de protestation.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Soyons très clairs : en 2017, le niveau d’imposition des entreprises et des ménages français était l’un des plus élevés, sinon le plus élevé, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les impôts ont baissé, sous notre impulsion, de 52 milliards d’euros – c’est du jamais vu –, 26 milliards pour les ménages, 26 milliards pour les entreprises. Ainsi s’explique qu’en dépit d’une crise inédite nous ayons amélioré notre attractivité et accueilli, en 2020, plus de projets industriels que l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne réunis.

La mécanique est parfaitement cohérente : la baisse des impôts, que nous avons trouvés à un niveau élevé, a permis de relancer l’économie et de créer de l’emploi et de la croissance.

Je ne suis pas la seule à défendre une telle mécanique : la baisse des impôts de production est désormais une mesure relativement consensuelle. Maintenir cette orientation sans augmenter par ailleurs d’autres impôts et en se montrant soucieux de la dépense publique – vous avez raison – devrait nous permettre de continuer à relancer l’économie.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Joly.

M. Patrice Joly. En matière d’investissements étrangers, la France est attractive depuis de nombreuses années – elle l’était bien avant le début de ce mandat présidentiel.

Le niveau des prélèvements obligatoires ne posait pas problème, puisque la France figurait parmi les trois ou quatre pays les plus attractifs au monde.

Au contraire, c’est l’existence même de ces prélèvements, en tant qu’ils rendent possibles les dépenses publiques, qui participe de l’attractivité de notre territoire – je pense, entre autres, à nos infrastructures et à tout ce qui contribue à créer un environnement propice au développement de l’activité des entreprises.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, compte tenu du contexte sanitaire, les entreprises touchées par les mesures de restriction ont encore besoin de soutien.

Toutes les aides décidées depuis le mois de mars 2020 ont été d’une ampleur inédite ; or trois quarts d’entre elles ont consisté en des prêts garantis par l’État. Selon l’étude de la direction générale du Trésor, les mesures de soutien ont permis de contenir la part des entreprises insolvables, qui a augmenté de seulement 3 points – à défaut d’un tel soutien, la hausse aurait été de 8 points.

Toutefois, le secteur de la restauration et de l’hébergement reste très touché. Malgré les dispositifs mis en place, une entreprise sur dix de ce secteur est insolvable, et quatre entreprises sur cinq ont subi un choc de trésorerie négatif en dépit des aides versées.

Ces entreprises demeurent acculées. En décembre et janvier, l’État a offert une aide au paiement des cotisations salariales et une exonération de charges patronales aux TPE et aux PME de ce secteur subissant une perte de chiffre d’affaires de 65 % ou plus. En cas de perte de chiffre d’affaires de 50 % ou plus, ces entreprises peuvent bénéficier d’une prise en charge des coûts fixes.

Mais ces mesures n’ont été effectives que pendant deux mois. Durant les deux premiers confinements, de nombreuses entreprises ont souscrit des PGE ou des prêts exceptionnels ou ont obtenu des reports d’échéances fiscales et sociales. Or se profilent les premières échéances de remboursement, les sommes en jeu étant parfois élevées pour les petites entreprises.

Madame la ministre, laisserez-vous ces entreprises dans la difficulté ? Comment comptez-vous les soutenir ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame la sénatrice Belrhiti, 697 000 entreprises ont bénéficié d’un prêt garanti par l’État, pour un encours total de 143 milliards d’euros. Vous l’avez rappelé, le PGE est un prêt et non une subvention ; il devra être remboursé selon un échéancier.

Compte tenu des éléments dont nous disposons sur la croissance et la santé des entreprises, le risque de défaut anticipé est aujourd’hui évalué à 3,8 % de l’ensemble de l’enveloppe. Autrement dit, le risque se concentre sur une part relativement modeste de l’économie. C’est une très bonne nouvelle : cela signifie que plus de 96 % des entreprises seront en mesure de rembourser leur PGE.

Il conviendra toutefois d’accompagner ces 3,8 % d’entreprises en grande difficulté. Votre question, qui a pour objet le secteur des hôtels, cafés, restaurants, vise en particulier les TPE, c’est-à-dire les entreprises les moins bien armées pour faire face à ce type de situations. Bruno Le Maire et moi-même avons décidé que ces entreprises pourraient bénéficier d’un étalement du remboursement jusqu’à dix ans et d’un report de la première échéance de remboursement à la fin de l’année 2022. Surtout, elles pourront se faire accompagner par le médiateur national du crédit et obtenir par ce biais un échéancier de paiement sans passer par la case tribunal de commerce, laquelle peut impressionner des indépendants peu familiers de ce type de procédure.

Concrètement, un restaurateur qui a contracté un PGE de 25 000 euros et dont l’entreprise est économiquement viable – ce critère ne saurait être écarté – doit contacter le médiateur du crédit afin de solliciter un réaménagement de son échéancier de remboursement, pour une durée maximale de dix ans, ce qui lui permet de faire face et de se relancer. Nous continuerons évidemment à accompagner les entreprises.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. En 2021, les mesures de soutien ont permis de limiter à 27 000 le nombre de défaillances d’entreprises, dont 2 600 dans le secteur de la restauration et de l’hébergement. Le risque est élevé que les défaillances repartent à la hausse en 2022 ; je souhaitais vous y rendre attentive, madame la ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud.

M. Jean-Michel Arnaud. Madame la ministre, vous avez rappelé le montant total du plan France Relance : 72 milliards d’euros. Dans mon département, les Hautes-Alpes, les sommes versées au titre de ce plan s’élèvent à 106 millions d’euros, dont 6,7 millions seulement pour l’industrie et 43,6 millions au titre du Ségur de la santé. Tout cela est évidemment fort intéressant, et je vous en remercie.

Cela dit, je me permets d’attirer votre attention sur un autre type d’entreprises, les entreprises sportives. Mon département compte deux clubs professionnels de hockey sur glace, qui se retrouvent confrontés à de graves difficultés : l’annulation régulière des rencontres, les contaminations de joueurs et de membres de l’encadrement, la mise en place de jauges et la fermeture administrative des établissements ont rythmé la vie des clubs depuis presque deux ans.

Tous ces éléments n’ont pas été sans effet sur leurs finances. Le club de Briançon, les Diables rouges, a ainsi accusé une perte de recettes de 237 000 euros, billetterie et buvette confondues, entre juillet 2020 et juin 2021, pour un budget annuel à peine supérieur à 1 million d’euros.

Si les aides déployées ont été significatives – je les salue –, l’évolution des critères d’éligibilité a été facteur d’instabilité. Plus précisément, entre le début de la crise et le milieu de l’année 2021, l’actualisation des dispositifs de soutien était corrélée à un taux de dépendance entre les pertes de recettes dues à l’absence de public et le budget global. Cette méthode permettait de compenser au mieux les pertes réelles de recettes. Las, l’éligibilité aux aides d’État repose désormais sur l’évolution de l’excédent brut d’exploitation (EBE).

Madame la ministre, alors que les trésoreries des clubs vont être mises à l’épreuve, à moyen terme, par le remboursement du PGE et des autres acomptes – notre collègue vient de le souligner –, il conviendrait de modifier les critères : la compensation doit être fonction non de la baisse de l’EBE de la société, mais bien des pertes nettes de recettes.

Quelles mesures comptez-vous prendre pour traiter ce problème ? Il y va de la santé financière des entreprises sportives, qui jouent un rôle important en milieu rural, et de la visibilité à long terme pour leurs dirigeants, pour leurs salariés et, au-delà, pour leurs supporters.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Arnaud, vous avez mentionné les dispositifs créés pour compenser les pertes de recettes des billetteries. Une enveloppe prévisionnelle dotée de près de 210 millions d’euros est ainsi spécifiquement consacrée au soutien des clubs professionnels et des organisateurs de manifestations sportives.

Une avance, correspondant à 70 % maximum du montant de l’aide estimée, avait été distribuée avant examen de la perte de recettes effective. Celle-ci est désormais calculée, sur la base de la perte d’excédent brut d’exploitation. Pourquoi prendre pour référence l’EBE ? Tout simplement parce qu’il correspond, comme vous le savez, au chiffre d’affaires diminué des charges. Il représente donc très exactement l’impact de trésorerie sur les comptes du club – avant investissement, mais ce sujet est peut-être moins prégnant pour un club sportif que pour une entreprise fortement capitalistique.

Voilà la logique qui nous conduit aujourd’hui à utiliser cette méthode, qui, d’un point de vue économique, apparaît plus adaptée et permet de répondre au plus juste aux besoins des entreprises.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin.

M. Olivier Jacquin. Madame la ministre, certains s’interrogent sur les milliards d’euros du plan de relance, vont jusqu’à dire que le Président de la République « cramerait la caisse », même si je constate que personne ne le dit aujourd’hui dans cet hémicycle – c’est tant mieux ! –, et tout cela au nom du « quoi qu’il en coûte ».

Je tiens à saluer les investissements massifs réalisés au nom de la transition climatique, particulièrement dans le secteur ferroviaire : vous avez consacré 35 milliards d’euros au désendettement de la SNCF – vous y étiez certes obligés, puisque vous l’avez transformée en société anonyme –, auxquels il faut ajouter près de 5 milliards d’euros prévus au titre du plan de relance.

Mais ce n’est ni suffisant ni cohérent !

Le Président de la République avait annoncé, en 2017, qu’il se plierait à la nécessité de favoriser les transports du quotidien, ce qui s’est traduit dans la loi d’orientation des mobilités, en 2019, par une programmation financière des infrastructures acceptable.

Et patatras ! En juillet 2021, le président nous annonce le lancement de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV), certes nécessaires, mais non financées.

Et patatras à nouveau ! En novembre 2021, nous prenons connaissance du projet de contrat de performance 2021-2030 liant l’État et SNCF Réseau, le gestionnaire d’infrastructure, et constatons que sa concrétisation étranglerait financièrement SNCF Réseau. Une augmentation des péages des trains de près de 30 % est prévue à l’échéance 2030, sans tenir compte ni de la crise liée à la covid-19, ni de la crise énergétique, ni de la crise climatique.

Il manque 1 milliard d’euros, madame la ministre : que comptez-vous faire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Monsieur le sénateur Jacquin, je vous remercie tout d’abord de saluer l’effort considérable du Gouvernement en faveur du ferroviaire. Notre objectif est double et parfaitement assumé : décarboner nos mobilités et répondre aux besoins des Français en matière de transports du quotidien.

L’État a en effet repris 35 milliards d’euros de dette à la SNCF. Par ailleurs, il a consacré 4,7 milliards d’euros aux lignes du quotidien, enveloppe que rien ne remet en cause aujourd’hui, monsieur le sénateur, puisqu’elle est bien prévue dans le plan de relance.

M. Olivier Jacquin. Elle est insuffisante !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Les mesures que vous mentionnez, quant à elles, ne figurent pas dans ce plan : elles sont donc d’une autre nature.

Le Président de la République était hier dans le Pas-de-Calais pour un point d’étape sur le renouveau du bassin minier entre Nord et Pas-de-Calais – je l’accompagnais dans ce déplacement. À cette occasion, il a annoncé le déblocage de crédits complémentaires destinés à désenclaver le bassin minier et à répondre, précisément, aux besoins du quotidien sur un axe transversal qui passe par Lille, Hénin-Carvin, Lens, Liévin et Béthune.

Voilà un exemple de mesure très concrète, qui permet de répondre aux besoins quotidiens des Français. Je ne partage donc pas votre analyse, monsieur le sénateur.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.

M. Olivier Jacquin. J’ai bien compris que vous ne partagiez pas mon analyse. Mais vous ne répondez pas à ma question !

Comme je viens de l’indiquer, si des efforts ont été faits, il n’y a toujours aucun modèle économique pour le ferroviaire. Le train et l’avion ont été considérablement soutenus quand le train, lui, est maintenu la tête sous l’eau, à défaut d’un modèle économique pour valoriser ses externalités négatives.

Le plan de relance, c’est « agir en primitif », aurait dit René Char ; paraphrasant son haïku magnifique, je dis qu’il faudrait aussi « prévoir en stratège » – tel n’est pas votre cas !

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Madame la ministre, dans l’étude d’impact du projet de loi de finances pour 2021, la direction générale du Trésor évaluait le coût de la tonne de CO2 évitée d’ici à 2070 à 320 euros sur un périmètre de 18 milliards d’euros seulement de dépenses favorables à l’environnement – je rappelle que, selon vos estimations, les dépenses « favorables à l’environnement » représentaient, dans le budget de l’État, 32 milliards d’euros.

Le Haut Conseil pour le climat, dans son avis sur le même projet de loi, critiquait le raisonnement contrefactuel utilisé pour obtenir ce résultat.

J’ai bien peur en effet que cette donnée ne résiste pas à l’épreuve des faits. En faisant un calcul de coin de table, et en retenant une hypothèse de 56 grammes de CO2 par kilowattheure d’énergie électrique – vous pourrez certes remettre en cause cette hypothèse en m’opposant que j’aurais pu prendre une hypothèse « chaleur » qui aurait fait un peu diminuer la valeur retenue – appliquée aux travaux de rénovation énergétique validés au cours du premier semestre 2021 au titre de MaPrimeRénov’, j’obtiens un coût de la tonne de CO2 évitée de 9 500 euros !

Je discutais voilà peu avec le représentant d’une entité publique ; tentant lui aussi de faire ce calcul, il a abouti, de son côté, à un coût de la tonne de CO2 évitée de 800 euros pour l’ensemble du plan de relance.

La Cour des comptes, dans son rapport de septembre 2021, nous alertait sur la nécessité de trouver un équilibre entre ambitions quantitatives et résultats qualitatifs. Madame la ministre, l’État va-t-il communiquer sur le coût de la tonne de CO2 évitée au titre du plan de relance ? Dans l’affirmative, avec quels outils ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Il me semble que, depuis 2019, un travail a été conduit pour améliorer de façon constante la performance énergétique des rénovations réalisées dans le cadre de MaPrimeRénov’ : les économies d’énergie sont passées de 3,9 mégawattheures par an et par logement à 5,3 mégawattheures par an et par logement, sans que l’enveloppe budgétaire ait significativement augmenté. L’efficacité est donc au rendez-vous.

Par ailleurs, pour évoquer un sujet que je connais mieux que celui du logement, je souhaiterais vous parler des 2,8 millions de tonnes de CO2 évitées dans l’industrie, qui contribuent aussi à réduire singulièrement notre empreinte carbone.

Sachez qu’à chaque dossier correspond un prix de la tonne de CO2 évitée. C’est évidemment l’un des éléments qui est pris en compte pour calculer l’impact, et je peux vous dire que l’on est très loin des montants que vous mentionnez. Il ne s’agit pas de 9 000 euros, ni même de 800 euros, mais d’un coût très largement inférieur à 100 euros par tonne – et nous avons évidemment une approche économique de ces sujets.

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour la réplique.

Mme Christine Lavarde. Je vous remercie, madame la ministre, mais j’aurais souhaité que vous me parliez de méthodes et d’outils.

J’aurais aussi pu vous parler du secteur automobile, qui est soutenu grâce à la prime à la conversion : 80 % des véhicules vendus au premier semestre 2021 ont été fabriqués hors de France, selon un mix électrique qui s’avère déplorable lorsqu’on le compare au mix français. Il ne faudrait pas que la baisse des émissions à la consommation soit compensée par une hausse des émissions à la fabrication.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Là encore, je me permets de vous renvoyer au contrat stratégique de la filière automobile, qui prévoit de consacrer 1 milliard d’euros à la relocalisation de la production de moteurs.

Les choix des Français en matière d’achats de voitures leur appartiennent ; je ne saurais m’y substituer.

En revanche, vous savez très bien qu’au niveau européen la réponse à votre question coule de source, comme en témoignent les travaux que nous menons pour, d’une part, construire un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et, d’autre part, convertir toutes nos filières à l’électrique : l’enjeu est bien sûr de concilier décarbonation et compétitivité, c’est-à-dire retombées pour l’économie.

Je rappelle qu’entre 1995 et 2015 – votre parti, ces années-là, fut longuement au pouvoir, me semble-t-il – l’empreinte carbone de notre pays a massivement augmenté, de 17 %, et que nous avons perdu 1 million d’emplois industriels. Voilà les faits et la cause du retard que nous devons rattraper aujourd’hui !

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Je me permets de vous indiquer une petite piste pour obtenir une juste évaluation du coût de la tonne de CO2 évitée. Pour ce faire, j’en suis désolée, je vais revenir à MaPrimeRénov’.

Le décret du 23 avril 2021 modifiant le décret du 14 janvier 2020 a supprimé la possibilité de communiquer les données des propriétaires qui réalisent des travaux, ce qui complexifie le travail d’évaluation.

J’entends que la puissance publique, en vertu d’un texte qui doit dater de 1951, peut tout faire, mais j’ignore si les services statistiques du ministère seront en mesure de mener les enquêtes minutieuses que la situation exige, opération par opération.

Or il me semble vraiment important, eu égard à l’argent considérable qui est mis sur la table, que l’on arrive à chiffrer ce coût de la tonne de CO2 évitée, et ce d’autant plus que la marche est encore plus haute si l’on veut atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés collectivement, que ce soit dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone ou dans le cadre européen du paquet Fit for 55.

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, avec le plan de relance, le Gouvernement affiche l’ambition de relancer l’investissement public local, 10,5 milliards d’euros étant destinés aux collectivités territoriales.

Ce plan inclut néanmoins des dépenses très diverses, dont l’objet paraît parfois sans rapport avec une stricte démarche de relance.

Tel est le cas par exemple des 4,2 milliards d’euros visant à compenser les pertes de recettes consécutives à la crise sanitaire, montant qui, soit dit en passant, reste largement insuffisant pour compenser les 7,5 milliards d’euros de pertes financières enregistrées au titre de la seule année 2020.

Le plan de relance est en réalité un plan fourre-tout de 113 mesures, dévoyé quand il est utilisé pour des dépenses comme l’hébergement d’urgence des migrants en Île-de-France, le replantage des haies ou encore la climatisation des salles de théâtre.

Que dire également de certains crédits des programmes d’investissements d’avenir désormais fléchés vers la relance, qui vont servir à rénover le Grand Palais ou à soutenir l’organisation des jeux Olympiques de Paris 2024 ? S’agit-il de relance ou d’investissements d’avenir ?

Madame la ministre, ma question est simple : les crédits du plan de relance visent-ils uniquement à relancer notre économie ou ne couvrent-ils pas, pour une part, des dépenses de fonctionnement, ce qui permet de manière habile de minorer ces dépenses ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Madame Gruny, le plan de relance, comme je l’ai dit, est structuré autour de trois objectifs : décarbonation et transition environnementale ; compétitivité ; emploi et cohésion sociale.

Si l’on examine les sommes engagées, objectif par objectif, on ne trouve que des investissements. Ces crédits ne relèvent pas, me semble-t-il, des dépenses courantes. Nous y incluons toutes les dépenses consacrées à investir dans le capital humain, au travers de l’apprentissage, de l’alternance et de la formation ; un tel choix est peut-être discutable, mais ces dépenses relèvent bien selon moi de l’investissement.

Beaucoup d’économistes ont montré que ces dépenses étaient celles qui avaient les retombées les plus importantes en matière de croissance potentielle et qui permettaient probablement le mieux de lutter contre l’un des principaux maux français, à savoir un taux de chômage structurel plus élevé que dans les autres États européens. Quoique ce taux ait baissé, puisqu’il est aujourd’hui au plus bas depuis dix ans, nous ne devons pas relâcher nos efforts.

Je le redis, il s’agit donc de mesures structurelles qui contribuent à accompagner la relance. Investir dans le secteur du bâtiment et travaux publics, c’est prendre des mesures très classiques de relance de l’économie – rien de nouveau là-dedans, si j’ose dire. On le voit bien d’ailleurs avec la reprise économique que nous vivons : ces crédits ont permis de soutenir l’investissement.

Que se serait-il passé si nous n’avions pas pris de telles mesures ? L’investissement, public comme privé, se serait effondré, ce qui aurait eu pour conséquence non seulement de différer le redémarrage de notre économie, mais aussi d’affaiblir cette dernière et de nous faire prendre du retard sur un certain nombre d’enjeux pourtant absolument essentiels.

D’ailleurs, lors de la discussion budgétaire que nous avons eue sur le plan de relance, il me semble avoir entendu assez peu de remises en cause quant aux grands chapitres dudit plan. Je n’ai rien entendu non plus du côté du comité Cœuré ni lors des réunions du comité national de suivi de la relance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, vous n’allez pas me dire que la crise sanitaire est structurelle ! C’est donc du conjoncturel, du moins l’espère-t-on…

Aujourd’hui, les communes manquent d’argent. Or elles ont bien entendu toute leur place dans le plan de relance, parce qu’elles investissent et parce que leur investissement se répercute au niveau des entreprises locales.

Je citerai deux exemples.

Premier exemple : pour le département de l’Aisne, le coût de la crise sanitaire a jusqu’à présent été de 8,2 millions d’euros. Reste à charge : 7,4 millions d’euros. Super !

Second exemple : le centre de vaccination de la ville de Saint-Quentin a coûté 953 000 euros. Reste à charge : 660 000 euros !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Mais vous mélangez tout !

Mme Pascale Gruny. Pas du tout, madame la ministre, ces mesures figurent bien dans le plan de relance. Ne dites pas n’importe quoi !

Ces dépenses des collectivités auraient dû être prises en charge dans le cadre du plan de relance, ce qui aurait contribué à soutenir l’investissement local.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin.

M. Vincent Segouin. Madame la ministre, le plan de relance proposé par le Gouvernement en octobre 2020, voté dans la hâte et sans consensus, n’a jamais fait l’objet d’une étude ni de la stratégie à suivre, ni de nos capacités à emprunter, ni du plan de remboursement à établir, et encore moins d’une analyse de ses répercussions sur les générations futures.

Imaginez un instant que les Français gèrent leur budget ou leur entreprise de la sorte… C’est surréaliste, et pourtant bien réel !

Mais revenons au débat qui nous réunit ce soir sur l’évaluation et l’efficacité des aides versées : 100 milliards d’euros votés, 72 milliards d’euros engagés dans trois domaines, l’écologie et la transition énergétique, la compétitivité des entreprises, la cohésion des territoires.

Je vais me pencher sur le deuxième axe, à savoir l’amélioration de la compétitivité.

Le Gouvernement s’est engagé à réindustrialiser la France et à inciter nos entreprises à exporter. Madame la ministre, pouvez-vous nous dire où nous en sommes, à « J+1 an », des engagements que vous avez pris ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Sur ce sujet, monsieur le sénateur Segouin, je crois avoir dit quelques mots dans mon discours introductif.

Ce sont donc quatre objectifs qui ont été fixés concernant l’industrie.

Premier objectif : moderniser les chaînes de production et aller vers l’industrie du futur 4.0, via l’industrie 3.0 ; 8 600 entreprises sont accompagnées dans ce cadre, essentiellement des TPE et des PME, avec des gains de compétitivité à la clé.

Deuxième objectif : accompagner l’innovation afin de créer un véritable avantage compétitif. Il en a déjà été question : plus de 1 000 entreprises sous-traitantes sont accompagnées, via le Corac et le Coram, dans la réalisation de projets ayant pour objets la voiture autonome, la décarbonation des moteurs d’avion ou encore l’allégement des matériaux. Tous ces dossiers sont disponibles ; vous y avez accès de manière transparente par l’intermédiaire de notre plateforme consacrée au plan de relance.

Troisième objectif : la localisation ou relocalisation – l’idée est en tout cas de densifier notre production industrielle sur le territoire français. Plus de 700 projets sont accompagnés à ce titre, concentrés pour une large part sur cinq secteurs stratégiques : agroalimentaire, santé, intrants critiques, électronique et 5G. Nous nous donnons les moyens de conforter ou de créer 230 000 emplois dans l’industrie, étant précisé – il est intéressant de le relever – que les intentions de recrutement des entreprises industrielles, telles que déclarées à la Dares, s’élèvent à 225 000 postes pour l’année 2022, un niveau nettement supérieur à ceux qui étaient précédemment enregistrés.

Quatrième et dernier objectif : les exportations. Le plan de relance export nous permet d’accompagner 9 000 entreprises à l’export et le nombre d’entreprises exportatrices est en augmentation depuis deux ans. Vous avez raison : il faut sans nul doute maintenir cet accompagnement, notamment dans le secteur de l’agroalimentaire.

(Mme Pascale Gruny remplace Mme Nathalie Delattre au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

Mme le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.

M. Vincent Segouin. Madame la ministre, je vous ai interrogée sur les résultats obtenus à J+1 an…

Vous admettrez, j’imagine, qu’en matière d’export et de réindustrialisation le meilleur indice à suivre est la balance commerciale.

En France, cette balance commerciale était déficitaire de 58 milliards d’euros en 2019, de 65 milliards d’euros en 2020 et de 78 milliards d’euros en 2021. Par comparaison, l’Allemagne, comme l’Italie, d’ailleurs, enregistre des excédents : +230 milliards d’euros en 2019 ; +179 milliards d’euros en 2020.

L’Allemagne a investi 130 milliards d’euros dans son plan de relance à partir de juin 2020, la France 100 milliards d’euros. Pourtant, notre balance commerciale s’est dégradée de plus de 13 milliards d’euros, et de plus de 20 milliards d’euros par rapport à 2019.

Convenez que, sous cet angle, le plan de relance est un échec.

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. J’ai déjà commenté cette évolution, monsieur le sénateur : lorsque votre reprise est plus forte que celle des autres pays et que, sur 100 euros de production manufacturée achetée, 35 euros correspondent à une production réalisée en France, vous avez mécaniquement, pour accompagner les relocalisations et la reprise économique, un effet d’appel au niveau des importations. C’est mathématique !

Si vous ajoutez à cela l’effet de l’augmentation des prix des matières premières, vous subissez une dégradation de la balance commerciale.

Donnons-nous rendez-vous lorsque les lignes de production en question seront construites et qu’elles produiront ! On ne crée pas des lignes de production en douze mois ; il faut le temps de l’instruction des dossiers, le temps des études d’ingénierie, le temps des commandes de machines, le temps de leur installation et le temps de la montée en cadence. Quand ces lignes seront en place, nous devrions pouvoir mesurer l’effet.

Pour l’heure, je me réfère à l’emploi, qui est un indicateur avancé de la croissance : 70 000 recrutements sont aujourd’hui ouverts dans l’industrie, contre 40 000 avant la crise.

Mme le président. La parole est à M. Yves Bouloux.

M. Yves Bouloux. La vocation du plan France Relance était de prendre le relais des mesures de soutien aux entreprises mises en œuvre depuis mars 2020. Une enveloppe de 100 milliards d’euros, à engager d’ici à la fin de 2022, y a été consacrée, avec deux objectifs : permettre à la France de retrouver son niveau d’activité d’avant-crise et la préparer aux enjeux de demain.

En août dernier, 47 milliards d’euros avaient été engagés et 29 milliards d’euros décaissés. On parle aujourd’hui de 70 milliards d’euros engagés.

Certes, le rebond économique est là, mais il est un peu tôt pour évaluer le dispositif et, surtout, pour faire la part des mesures de soutien d’urgence et du plan de relance.

Cela étant, le décaissement rapide des crédits a eu un impact sur la qualité exigée des investissements.

En octobre 2021, le comité d’évaluation du plan France Relance a ainsi souligné que, si l’objectif de la relance de l’investissement industriel en sortie de crise semble atteint, le court terme a prévalu sur la transformation structurelle de l’industrie française.

Aussi, madame la ministre, n’est-il pas temps de repenser cette stratégie, avec une programmation à moyen ou long terme ?

Enfin, le plan de relance s’accompagne d’une multitude de mesures plus ciblées, obligeant les entreprises et les collectivités à être à l’affût. Ne peut-on pas améliorer la lisibilité de ces dispositifs afin d’aider ceux qui peuvent en bénéficier ?

Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la relance, chargée de lindustrie. Je rappelle une fois encore quelle est notre stratégie pour les entreprises industrielles.

Dans le cadre du plan de relance, l’enjeu était de consolider et de stabiliser des filières industrielles existantes. On ne construit pas de nouvelles filières industrielles en deux ans ; en revanche, on peut accroître la compétitivité de celles qui existent déjà et leur permettre, la technologie étant disponible, de commencer à décarboner leurs procédés de production.

C’est très exactement ce que nous avons fait.

À considérer maintenant ce qu’il en est de l’accessibilité du dispositif aux entreprises industrielles, il faut noter que l’État a fait deux choses totalement inédites.

D’une part, nous avons contacté toutes les entreprises industrielles – pour être honnête, ce sont les chambres de commerce et d’industrie, que je veux remercier ici, qui ont appelé toutes les PME et nous nous sommes chargés d’appeler toutes les entreprises de taille intermédiaire (ETI).

D’autre part, une entreprise industrielle de plus de 5 salariés sur trois et environ une ETI sur deux ayant bénéficié du plan de relance, nous atteignons un taux de couverture inédit dans l’histoire des politiques économiques, et ce dans un temps relativement restreint.

Pour la suite, deux éléments sont à prendre en compte.

Premièrement, l’extinction du « cadre covid » des aides d’État est prévue, en l’état des dispositions votées, pour le 30 juin prochain. En tout état de cause, à partir du 1er juillet, nous ne serons plus dans un environnement de sortie de crise sanitaire et de plan de relance.

Deuxièmement, nous travaillons sur le long terme : c’est tout l’enjeu des investissements qui seront réalisés au titre du plan France 2030, doté de 30 milliards d’euros octroyés sous forme de subventions. Il n’est question ici ni de fonds propres ni de prêts – il est important de le préciser, sachant qu’à propos des programmes d’investissements d’avenir, par exemple, on a pu avoir tendance à tout mélanger.

Ces 30 milliards d’euros seront déployés pour moitié – environ 15 milliards d’euros – aux fins d’accompagner la décarbonation. Dix enjeux stratégiques ont été définis, afin que les filières du futur s’articulent autour d’un certain nombre de besoins parmi les plus fondamentaux, comme se soigner, s’alimenter, se chauffer ou se déplacer, auxquels s’ajoutent deux enjeux de souveraineté : le spatial et les fonds marins.

Conclusion du débat

Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe auteur de la demande.

M. Jean-Claude Tissot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de conclure ce débat, dont mon groupe a pris l’initiative. L’occasion nous a été donnée d’aborder de nombreux sujets et thématiques ayant trait à la nécessaire relance économique de notre pays.

Je tiens à remercier, au nom de mon groupe, l’ensemble de mes collègues sénatrices et sénateurs ayant participé à la discussion. Nous vous remercions également, madame la ministre, pour vos réponses claires et pour les précisions que vous nous avez apportées.

Au printemps 2020, les premiers mois de la crise sanitaire avaient révélé au grand jour les nombreuses défaillances de notre économie et de notre industrie, incapables de produire et de fournir en quantité suffisante des matériels médicaux indispensables en période pandémique.

Pourtant, dès 2017, lors de la campagne présidentielle, le candidat et futur président Emmanuel Macron avait promis « un vrai plan Marshall de la réindustrialisation de nos territoires économiquement perdus ».

Malgré les lourdes conséquences de la pandémie, cette crise aura eu le mérite, madame la ministre, de ramener sur le devant de la scène cette promesse et cette indispensable prise de conscience.

Depuis, le plan de relance de 100 milliards d’euros présenté en septembre 2020 et le programme d’investissements France 2030 d’octobre 2021, doté de 34 milliards d’euros, sont venus s’ajouter aux nombreuses aides financières instaurées pour compenser les restrictions sanitaires.

Les données économiques encourageantes récemment enregistrées, et dont le Gouvernement fait régulièrement état, sont la preuve que, lorsque l’État joue son rôle de soutien, d’investisseur et de régulateur, il permet de maintenir à flot une économie malmenée par une crise mondiale.

Toutefois, comme l’a rappelé mon collègue Christian Redon-Sarrazy en ouverture du débat, le comité d’évaluation du plan France Relance, présidé par Benoît Cœuré, a livré une évaluation très prudente de l’efficacité de l’action publique de relance.

Nous suivrons donc avec attention les prochains rapports de ce comité, qui nous permettent, en tant que parlementaires chargés du contrôle de l’action du Gouvernement, d’obtenir des informations pertinentes.

Pour en revenir au cœur du débat, il est nécessaire de reprendre la question initiale : les aides du plan de relance ont-elles été économiquement efficaces ?

En introduction, et le sujet est revenu dans de nombreuses questions posées au cours du débat, nous vous demandions, madame la ministre, d’évaluer précisément les premiers résultats obtenus ou à venir pour l’industrie française.

J’ai bien entendu vos remarques sur différents sites industriels et sur le nombre d’emplois créés ou préservés par ces mouvements spécifiques. Ces premiers constats paraissent néanmoins insuffisants, tant l’enjeu de la réindustrialisation est important.

L’économiste Patrick Artus, interrogé sur la politique industrielle du Gouvernement, dressait le bilan suivant : « le plus inquiétant est sans doute la poursuite de la désindustrialisation ».

Selon l’Insee, depuis 2019, l’industrie française a perdu plus de 45 000 emplois, alors même que le secteur privé créait 185 600 emplois supplémentaires.

Ces chiffres attestent que la France se jette à corps perdu dans une croissance des services marchands et abandonne toujours plus son développement industriel.

Pourtant, les enjeux essentiels pour notre avenir que sont la transition écologique et le retour de notre souveraineté économique dans un contexte géopolitique particulièrement instable nécessitent une force de production industrielle installée dans notre pays et adaptée aux futurs enjeux.

Or voici ce qui est indiqué noir sur blanc dans le rapport du comité d’évaluation du plan France Relance : « pour répondre à la crise, l’objectif de relance à court terme a prévalu sur celui de transformation structurelle de l’industrie française ».

Toute la difficulté est là, et nous le reconnaissons volontiers, madame la ministre : comment aider sans délai une filière industrielle en difficulté, tout en l’accompagnant vers le changement ?

Face à ce défi, deux axes majeurs sont à prendre en considération pour bâtir une politique industrielle adaptée.

Le premier axe concerne les principaux secteurs stratégiques et les grands groupes industriels.

Le plan France 2030 est intéressant à cet égard, car il sanctuarise des investissements dans des filières définies, telles que la recherche médicale et les moyens de transport bas-carbone, et sur des objectifs de long terme.

Toutefois, nous ne comprenons pas les récents agissements du Gouvernement dans le secteur de l’énergie, filière ciblée par France 2030.

Le Gouvernement fait en effet le choix de sacrifier EDF en relevant le plafond de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh). Alors que 8 milliards d’euros sont consacrés, dans ce plan, à la construction d’une France décarbonée et résiliente, renforcer l’endettement de l’opérateur historique est un drôle de choix d’avenir !

Le deuxième axe concerne les filières jugées moins stratégiques et essentiellement composées des plus petites entreprises, dans lesquelles nous avons malheureusement perdu des savoir-faire lors de la délocalisation de la production. Les pouvoirs publics ne doivent pas laisser tomber ces secteurs : ils doivent les accompagner dans une nécessaire relocalisation.

La filière textile – nous l’avons vu lorsque nous avions besoin de masques – peut offrir, en la matière, un exemple pertinent, tant la production localisée est la mieux-disante sur le plan environnemental.

Dans mon département de la Loire, l’entreprise des Tissages de Charlieu, soutenue à hauteur de 800 000 euros par le plan France Relance, est un bel exemple de relocalisation. Elle a pu relocaliser la production de sacs et de cabas grâce à la volonté de son dirigeant et à l’engagement de tous les salariés.

La transformation stratégique durable de l’industrie française passera par un accompagnement des principales filières stratégiques par les pouvoirs publics, mais aussi par un soutien à toutes les entreprises souhaitant relocaliser une production.

Enfin, en conclusion de ce débat, il est important de souligner que les crédits du plan de relance ont été, dans leur majorité, rapidement engagés, et devraient continuer de l’être durant l’année 2022.

Dorénavant, en espérant que cette crise sanitaire se termine enfin, nous devons nous interroger sur la suite : comment notre économie fera-t-elle face à la diminution progressive des aides publiques ?

Un bilan plus complet et détaillé de l’opportunité et de l’efficacité des aides du plan de relance devra être réalisé dans les mois et les années à venir.

Une nouvelle fois, madame la ministre, je vous remercie pour les réponses que vous nous avez apportées.

Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’évaluation de l’opportunité et de l’efficacité des aides versées au titre du plan de relance dans le cadre de la crise sanitaire.

9

Ordre du jour

Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 février 2022 :

À quatorze heures trente et le soir :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante (texte de la commission n° 388 rectifié, 2021-2022) ;

Explications de vote puis vote sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’aménagement du Rhône (texte de la commission n° 439, 2021-2022) ;

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture (texte de la commission n° 394, 2021-2022).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

ÉTIENNE BOULENGER