M. Olivier Dussopt, ministre. Vous comptez voter notre réforme ? (Sourires.)

Mme Cécile Cukierman. … et que vous devriez en tirer des enseignements dans les jours et les semaines à venir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Dussopt, ministre. Merci de votre soutien, madame la sénatrice ! (Nouveaux sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet des retraites agricoles a toujours été extrêmement sensible et revient, depuis plusieurs années, au cœur de nos débats.

En effet, la faiblesse des revenus des agriculteurs retraités, chefs d’exploitation ou conjoints collaborateurs, pour des carrières que nous savons tous particulièrement dures, exigeantes et pénibles, est choquante.

À l’heure où la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations dans le milieu agricole sont devenus des enjeux nationaux de tout premier ordre, il n’est plus acceptable que les non-salariés agricoles perçoivent une pension moyenne inférieure de 700 euros par mois à celle de l’ensemble des retraités.

Leur pension de retraite est actuellement établie selon un schéma spécifique, somme d’un empilement de pensions qui se sont ajoutées les unes aux autres au fil des évolutions législatives tentant de remédier à cette criante injustice.

Comme souvent dans notre pays, le résultat est d’une complexité inégalée et presque inutile, puisque ces retraités ne perçoivent toujours pas des pensions dignes de leur carrière professionnelle.

Il nous est proposé aujourd’hui de faire converger le mode de calcul des retraites des agriculteurs et celui des salariés et des indépendants, en le faisant reposer sur les vingt-cinq meilleures années d’assurance.

Cette disposition semble d’autant plus pertinente que les exploitants sont soumis, plus encore que d’autres professionnels, aux aléas de la nature. Elle est logique à condition de ne pénaliser aucun cotisant et donc sous la réserve d’en mesurer les effets en amont. À ces conditions, elle emporte l’adhésion des sénateurs centristes, dont mon collègue Alain Duffourg et moi-même portons la voix.

Ce texte est bienvenu. Il s’inscrit dans la suite de la loi Chassaigne de 2021, qui constituait une belle avancée, mais qui avait aussi fait l’objet d’une récupération politique assez discutable : le Gouvernement affirmait haut et fort avoir revalorisé les retraites agricoles, ce qui était faux.

Les retraites agricoles n’ont pas augmenté. Depuis l’adoption de ce texte, aucun retraité agricole, chef d’exploitation, ne devrait percevoir moins de 85 % du Smic. Or nombre d’entre eux sont polypensionnés, car ils ont dû mener plusieurs activités simultanément pour gagner leur vie. Et si le montant de l’ensemble de leurs pensions atteint le seuil de 85 % du Smic, la retraite agricole n’est pas éligible au complément différentiel de points de retraite complémentaire – en clair, elle ne varie pas d’un centime !

Tout cela a engendré une immense confusion chez les retraités de l’agriculture, beaucoup de frustration et un sentiment d’abandon, alors qu’il fallait au contraire redonner de l’attractivité aux carrières agricoles.

Celles-ci doivent désormais être pensées d’un point de vue structurel. S’il a fallu, par le passé, compenser des défauts de cotisations, il faut maintenant un système juste et adapté afin d’éviter que les aléas, inhérents au travail avec le vivant, ne pénalisent la sortie d’activité.

Nous sommes à la croisée des chemins, entre les calculs en points et les calculs en trimestres, pour des travailleurs qui relèvent souvent simultanément de plusieurs régimes et qui se perdent dans ces méandres mathématiques.

Nous atteignons les limites du système en constatant que les retraités de l’agriculture ayant obtenu une retraite complète pour pénibilité ou handicap, donc des points supplémentaires liés à leur situation de santé, ne sont pas éligibles aux dispositions de la loi Chassaigne, qui exigent une carrière complète calculée en trimestres.

Monsieur le ministre, je me permets donc d’attirer votre attention sur la situation de ces exploitants. Il y a un besoin urgent de réforme et nous sommes à votre disposition pour y travailler ensemble, notamment lors de l’examen du prochain projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.

Je vous confirme notre plein et entier soutien au vote conforme d’un texte qui permet tout simplement de prouver à nos agriculteurs que nous les considérons comme des chefs d’entreprise comme les autres. Ce n’est que justice et il est grand temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, onze ans ! Voilà onze ans que la profession attend un signe fort, à savoir le passage aux vingt-cinq meilleures années pour le calcul des retraites des non-salariés agricoles.

La présente proposition de loi n’est donc que la réparation d’une injustice que la profession dénonce depuis des décennies. À ce titre, elle est essentielle.

Alors que le régime général s’applique à l’ensemble des salariés et des indépendants, les agriculteurs non-salariés, c’est-à-dire les chefs d’exploitation, les collaborateurs d’exploitation, leurs conjoints ou les aides familiaux, se voient appliquer un calcul portant sur l’intégralité de leur carrière.

C’est la dernière profession en France dans ce cas et c’est une double peine quand on connaît la rudesse du métier : mesdames, messieurs les sénateurs, je peux vous le confirmer, la terre est basse !

Depuis la publication, en mars 2012, d’un rapport destiné à identifier les conséquences et les préalables d’un passage au calcul des retraites sur les vingt-cinq meilleures années, et malgré l’engagement réitéré de la profession, « le sujet a […] été laissé en friche et sa mise en œuvre n’a cessé d’être repoussée de réforme des retraites en réforme des retraites », comme le souligne le député Julien Dive, rapporteur à l’Assemblée nationale sur cette proposition de loi, que je tiens à remercier.

Le régime de retraite des non-salariés agricoles s’est historiquement construit en marge du régime général de la sécurité sociale et il nous faut collectivement réparer ce désavantage. Car oui, il y a bien désavantage, puisque ce mode de calcul engendre une différence flagrante d’indemnités : 1 150 euros brut en moyenne pour les non-salariés agricoles contre 1 500 euros brut en moyenne pour l’ensemble des retraités, soit 350 euros d’injustice ! On ne le répétera jamais assez !

Les nombreux témoignages que Françoise Férat et moi-même avons recueillis dans le cadre de notre rapport d’information sur les suicides en agriculture illustrent combien le fait de ne pouvoir bénéficier d’une pension suffisante alimente un désarroi profond. Les agriculteurs « ont besoin d’un minimum retraite, pour que leur travail, leur passion, qui n’est pas toujours rémunératrice, ait une finalité qui ne soit pas dramatique ».

Le député André Chassaigne, qu’il en soit remercié, a récemment fait évoluer les retraites agricoles. La loi du 3 juillet 2020 a ainsi porté la pension agricole minimale à 85 % du Smic, avant que la loi du 17 décembre 2021 n’étende le bénéfice de cette mesure aux retraites des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux.

Toutefois, au-delà du revenu des agriculteurs, de nombreux autres enjeux méritent d’être envisagés, à commencer par l’attractivité du métier.

Alors que la taille des exploitations a augmenté en France depuis quarante ans, la part des agriculteurs exploitants dans l’emploi a fortement diminué, passant de 7,1 % en 1982 à 1,5 % en 2019. Quand on sait que près des trois quarts des agriculteurs exploitants n’employaient aucun salarié en 2019, le constat est grave. D’autant que l’agriculture est au centre de nombreux autres enjeux essentiels – souveraineté alimentaire, santé publique, maintien des paysages, emplois non délocalisables…

Comment inciter les jeunes à choisir ce métier aux revenus faibles, soumis à des aléas climatiques, sanitaires et économiques et ouvrant droit à une retraite injuste ? N’oublions pas que plus de la moitié de nos agriculteurs ont plus de 50 ans.

En séance publique, à l’Assemblée nationale, le député Julien Dive a déposé un amendement visant à proposer une nouvelle rédaction de l’article 1er, estimant que la version initiale aurait pu conduire à aligner le régime des non-salariés agricoles sur le régime général par la suppression du régime à points.

L’entrée en vigueur du dispositif a été reportée à 2026 pour permettre à la MSA d’adapter son système d’information.

Adopté à l’unanimité à l’Assemblée nationale en décembre dernier, je suis persuadé que ce texte fera également l’unanimité au Sénat. Nous devons envoyer un signal fort de solidarité envers la profession et communiquer enfin sur un point positif. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des sénateurs de mon groupe voteront cette proposition de loi.

Même si notre discussion est peu audible dans un contexte de réforme des retraites, les agriculteurs attendent que ce dernier rempart tombe. Il y va, vous l’avez compris, de l’avenir de notre agriculture, bien au-delà du seul aspect social intéressant nos paysans retraités. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et sur quelques travées du groupe UC. – M. Serge Mérillou applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Kristina Pluchet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Kristina Pluchet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’associe à mon intervention mon collègue de Haute-Loire, Laurent Duplomb, qui ne peut prendre la parole ce soir en raison d’un malheureux contretemps.

Produits laitiers, fruits et légumes, viande, céréales et légumineuses, voilà quelques produits de première nécessité que chaque Français trouve chaque jour sur sa table grâce à nos agriculteurs, qui travaillent dur pour nous procurer la nourriture made in France que nous consommons toute l’année.

Ces produits de qualité, nous les devons entre autres au travail de Jacky, éleveur laitier, ou de Régis, éleveur de porcs, qui, à raison de soixante-dix heures à cent cinq heures de travail par semaine, sept jours sur sept, touchent aujourd’hui respectivement 1 027 euros et 926 euros mensuels de retraite.

Tous ces travailleurs sans relâche, que je connais personnellement, ont nourri les Français bien souvent 365 jours par an, avec des congés quasi inexistants. Le service rendu, vous en conviendrez, mes chers collègues, au-delà de la richesse produite, est inestimable. En sommes-nous suffisamment conscients et reconnaissants ?

À l’heure où notre souveraineté alimentaire donne des signes d’inquiétude, où il nous faut encourager ceux qui consacrent leur vie à ce métier fondamental, quel sort notre société réserve-t-elle aux travailleurs de la terre ? Au regard des montants de retraite que je viens de citer, il n’est pas glorieux !

Certes, le système de retraite des non-salariés agricoles est un montage complexe, fruit de compromis historiques successifs reposant sur des bases de calcul qui ont évolué au cours du temps. Cependant, comment faire perdurer un décompte aussi obsolète ?

Comment justifier la prise en compte de l’intégralité de leur carrière, alors qu’ils sont les premiers confrontés à des aléas climatiques et sanitaires, à un début de carrière en tant qu’aide familial comptabilisé comme un revenu zéro et à une première année d’installation blanche ? Et cela alors que la majorité des Français bénéficient de la prise en compte des vingt-cinq meilleures années. Mettre fin à cette inégalité de traitement nous honorerait, mes chers collègues.

Si le principe de cette réforme ne saurait trouver d’opposants parmi nous, sa mise en œuvre n’est en revanche pas si simple et requiert prudence, finesse juridique et délais d’évaluation.

Prudence, car il convient de bien peser les conséquences de cette réforme pour qu’elle ne puisse en aucun cas se révéler défavorable aux agriculteurs.

Finesse juridique, car il s’agit d’une articulation subtile entre la loi, qui détermine l’architecture duale du système de retraite de base des agriculteurs, et le règlement, qui prévoit son mode de calcul et son fonctionnement à points.

Délais d’évaluation enfin, car cette réforme mettra fortement à contribution les services de la MSA pour retracer toutes les carrières et nécessitera une analyse rigoureuse des situations ainsi que des conditions exigibles en fonction des différents statuts, afin d’aboutir, je l’espère, à un nouveau mode de calcul pertinent.

Voilà l’objet du consensus qui s’est dégagé de la rédaction votée à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une position sage, que nous devons tenir, malgré nos tentations d’améliorer le texte, si nous voulons aider les agriculteurs et mettre fin dans un avenir proche à ce mode de calcul dépassé de leur pension.

Ne pouvant juger de l’issue de la future réforme des retraites, il convient d’aller au bout de cette proposition de loi et de tenir notre cap, afin de réparer l’injustice faite depuis trop longtemps aux agriculteurs. Aussi, mes chers collègues, dans un esprit de responsabilité, parce qu’ils nous nourrissent et qu’ils méritent toute notre reconnaissance, je voterai bien évidemment ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, SER et CRCE. – M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, par les temps qui courent, un texte comprenant le mot « retraite » dans son intitulé, mais permettant de débattre dans le calme, dans un climat de consensus et même d’unanimité, à l’Assemblée nationale, cela ne va pas forcément de soi.

Si cela a été rendu possible, c’est parce que cette proposition de loi s’inscrit dans un travail de fond, un travail collectif, conduit par le député Julien Dive et par Mme le rapporteur Pascale Gruny, et parce que le groupe Les Républicains a décidé d’inscrire à l’ordre du jour cette proposition de loi, sur son temps réservé, dans des délais très courts.

Ce texte s’inscrit dans la suite des lois Chassaigne 1 et 2, qui ont amélioré les petites retraites des agriculteurs puis celles des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux.

Cette proposition de loi vise à une meilleure prise en compte de la retraite des agriculteurs. Il s’agit d’une mesure d’équité, d’une reconnaissance méritée, qui reflète la réalité du métier d’agriculteur.

Celui qui vous parle est fils d’agriculteurs et sait qu’il existe autant de formes d’agriculture que d’agriculteurs. Elles varient selon la taille de la ferme, selon le type d’exploitation – céréales ou élevage –, selon l’organisation familiale, selon l’appartenance ou non à un groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec)…

Ce métier est également soumis à de nombreux aléas : sécheresses, gelées, inondations, parfois les trois la même année, avec des conséquences fortes sur les rendements et donc sur les revenus. Les agriculteurs sont ensuite exposés aux variations quotidiennes et importantes des cours des marchés. Beaucoup disent qu’ils sont confrontés à la mondialisation. Prenons l’exemple du blé : depuis trois ans, le cours de vente s’inscrit dans un rapport de un à trois ! Pour acheter des semences, des produits alimentaires pour le bétail, la situation est identique : les agriculteurs sont confrontés aux mêmes variations et se retrouvent pris entre deux feux.

Tous les ans, vous produisez le même travail, avec la même passion et la même envie de bien faire, et vos revenus varient sous l’effet de tous ces facteurs. C’est la raison pour laquelle la prise en compte des vingt-cinq meilleures années dans le calcul de la retraite correspond à la réalité du métier.

Aux aléas impossibles à maîtriser, s’ajoutent le cadre et l’organisation du métier, c’est-à-dire ce qui relève de la politique. C’est ce dont nous parlons ce soir.

Si vous le permettez, je ferai un parallèle avec le nucléaire. Voilà une quinzaine d’années, nous étions les meilleurs, en avance sur tout le monde, avec la production la plus sûre et la plus propre. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe GEST.) Si nous n’avions pas fait de mauvais choix politiques, nous serions autosuffisants, exportateurs et nous produirions à un meilleur coût. S’agissant de l’agriculture, nous sommes peut-être en train de prendre le même chemin depuis quelques années.

Nous sommes toujours la première puissance agricole européenne et l’une des plus grandes puissances agricoles mondiales, certainement la plus sûre en termes de sécurité alimentaire et la plus vertueuse en termes écologiques. Mais si nous continuons à vouloir laver plus blanc que blanc, sans demander les mêmes efforts aux autres, nous produirons moins et importerons plus, y compris des produits utilisant des intrants que nous interdisons chez nous. Voilà quel risque nous faisons courir à notre agriculture !

Ces dernières années, les crises que nous avons traversées nous ont enseigné que la souveraineté et l’indépendance pharmaceutique, militaire, énergétique et bien évidemment alimentaire sont des enjeux de société.

Cette proposition de loi constitue une mesure concrète de soutien en faveur des agriculteurs et de l’avenir de ce métier, raison pour laquelle tous les élus de mon groupe la voteront.

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte de mobilisation inédite contre la réforme des retraites, cette proposition de loi nous rappelle, à l’inverse, les nombreux chantiers menés pour améliorer les régimes, en l’occurrence celui des non-salariés agricoles.

Améliorée par les lois Chassaigne, même si des effets de seuil et des situations d’exclusion des dispositifs persistent, la situation générale demeure difficile pour une grande partie des retraités du régime.

Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), le régime des non-salariés agricoles verse les retraites les plus faibles de France : la pension moyenne de droit direct du secteur, hors réversion, s’élève à 800 euros contre 1 509 euros en moyenne pour l’ensemble des Français.

Selon le rapport de l’Assemblée nationale, un agriculteur ayant validé l’ensemble de ses droits ne touchait, fin 2020, qu’une retraite de 880 euros par mois, quand un retraité du régime général bénéficiait d’une retraite de 1 810 euros.

Toutefois, ces deux systèmes étant difficilement comparables, nous préférons nous référer aux régimes de retraite des indépendants, comme le soulignait très justement l’inspection générale des affaires sociales en 2012.

Dès lors, si l’on compare la situation des monopensionnés de droit direct à carrière complète du régime MSA à celle des retraités de la sécurité sociale des indépendants (SSI) – qui concerne notamment les artisans – à carrière complète, l’écart s’amenuise, mais continue d’exister : la pension moyenne versée par la SSI s’élevait ainsi à 1 320 euros en 2019 selon la Drees.

Longtemps, cette situation relative était tolérée au prétexte, ou par la promesse, d’une compensation par la valorisation de l’exploitation lors de sa transmission. Ce système comportait des biais, dont celui de contraindre les nouveaux exploitants à s’endetter dans un contexte de crise moins propice à toute compensation et protection.

En effet, le système de subventionnement de la politique agricole commune (PAC) incite constamment à l’agrandissement et à s’équiper toujours davantage, dans le cadre d’un modèle productiviste et d’un calcul de court terme de réduction de l’assiette de revenus et des cotisations afférentes, tout en subissant la baisse tendancielle des prix du marché ainsi que l’accaparement de la valeur ajoutée par les transformateurs et la grande distribution. Les agriculteurs ont ainsi vu croître leurs difficultés, leur taux d’endettement atteignant 41 % en 2019, selon le ministère de l’agriculture.

Le remboursement d’emprunts représente parfois, comme pour les éleveurs de bovins, la moitié du solde de l’exploitant, ce qui explique en partie la faiblesse des revenus d’un grand nombre d’agriculteurs, étranglés et piégés par ce modèle agricole promu par la filière.

S’y ajoutent la multiplication et la gravité des aléas climatiques : selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les pertes de récoltes liées aux sécheresses et aux canicules ont triplé ces cinquante dernières années en Europe. La situation ne peut que s’aggraver, d’autant que le modèle n’est absolument pas remis en question. Dans cette fuite en avant, nous continuons de prôner des solutions de court terme qui ne font que reporter une partie des problèmes – je pense, par exemple, aux mégabassines ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Selon un rapport du ministère de l’agriculture, « en trente ans, le revenu net de la branche agricole a baissé de près de 40 % en France en euros constants ». Dans ces conditions, il est urgent d’améliorer le système de retraite.

Le changement de calcul des pensions sur les vingt-cinq meilleures années constitue une avancée. Pour autant, nous devons mener une étude sur les potentiels effets de bord pour les plus petites retraites, comme l’avait déjà souligné l’Igas en 2012.

Avec ce nouveau calcul, le régime, qui serait déficitaire sans la solidarité des autres régimes du fait du déséquilibre démographique, de la faiblesse des revenus et des stratégies d’évitement de cotisations déjà évoquées, aura besoin de nouveaux financements.

Il est probable que le calcul sur les vingt-cinq meilleures années favorise, de façon très différenciée, les plus hauts revenus par rapport aux paysans qui ont eu une carrière plate et qui ont cotisé au niveau de l’assiette minimale. Pour ceux-là, une augmentation de l’effort contributif sans amélioration des droits n’en ferait pas seulement des « non-gagnants », mais peut-être même, à terme, des perdants.

Aussi, il convient de s’assurer que le rapport prévu à l’article 1er de la proposition de loi étudiera les paramètres et le mode de calcul permettant d’améliorer sensiblement les pensions des non-salariés agricoles aux revenus les plus faibles et aux carrières parfois incomplètes.

Notre vote en faveur de cette proposition de loi s’accompagne de cette vigilance, afin que les transformations législatives ou réglementaires qui s’ensuivront profitent à tous et que le système gagne enfin en lisibilité, en justice et en solidarité pour renouer avec l’attractivité des métiers agricoles. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le calcul de la retraite des non-salariés agricoles est un sujet qui préoccupe les acteurs de la filière depuis plusieurs mois. Ils nous ont alertés à diverses reprises, avec le sentiment de faire face à une injustice depuis de trop nombreuses années.

Selon la MSA, 48 % des actifs agricoles pourront faire valoir leurs droits à la retraite d’ici à dix ans. Face à ce défi démographique sans précédent pour l’agriculture française, il était temps d’apporter une réponse à cette injustice.

Créé en 1952, le régime de retraite des non-salariés agricoles s’est historiquement construit en marge du régime général de la sécurité sociale. À ce jour, il reste le seul régime à ne pas avoir été aligné sur le mode de calcul de la moyenne des vingt-cinq années de carrière les plus rémunératrices depuis l’intégration des artisans et des commerçants dans le régime général de la sécurité sociale en 1973. Comment un agriculteur peut-il se satisfaire d’une telle situation ?

En 2016, la France comptait 1,3 million d’anciens agriculteurs non-salariés, dont 56 % de femmes, pour une retraite moyenne de 900 euros brut par mois.

Alors que la pension moyenne de l’ensemble des retraités s’établissait à 1 430 euros brut mensuels sur cette même période, celle des anciens exploitants agricoles apparaît très nettement insuffisante, loin de la moyenne des retraités.

Par ailleurs, le faible montant des retraites agricoles renforce les inégalités territoriales en engendrant davantage de pauvreté dans les espaces ruraux, où un retraité sur quatre était un ancien agriculteur en 2017.

Mes chers collègues, vous le savez tous, être chef d’exploitation agricole exige une capacité de travail hors normes, une abnégation sans pareille pour se lever à n’importe quelle heure et une pugnacité remarquable face aux aléas et caprices climatiques.

La demande des agriculteurs est donc parfaitement audible. C’est la raison pour laquelle mes collègues Bernard Buis, Patricia Schillinger, Jean-Baptiste Lemoyne et moi-même avons souhaité présenter un amendement en ce sens, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, à l’automne dernier, jugé à l’époque irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution.

Je me réjouis donc que nous examinions cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 1er décembre dernier.

L’objectif de ce texte est clair : faire converger le régime de retraite des agriculteurs et ceux des salariés et des indépendants au travers du calcul de la pension sur les vingt-cinq années civiles d’assurance les plus avantageuses.

Toutefois, pourquoi ne pas prendre en compte les vingt-cinq meilleures années de revenus ?

Comme vous l’avez souligné, madame la rapporteure, le système d’information de la MSA conserve l’historique des assiettes de cotisations pendant huit ans au maximum. Or reconstituer le revenu moyen des années antérieures sur la base des points attribués reviendrait à mettre en place une nouvelle injustice.

Comme vous l’indiquez dans votre rapport, madame Gruny, trente points sont accordés indistinctement à des assurés dont les revenus diffèrent de plus de 7 000 euros par an. Autrement dit, un revenu de 14 000 euros procurerait autant de points qu’un revenu de 7 000 euros.

Par ailleurs, un rapport de l’Igas démontrait déjà, en 2012, que le passage d’un régime par points à un régime par annuités favoriserait les pensions les plus élevées au détriment des plus modestes. Un tel régime ne permettrait donc pas d’apporter une réponse juste et convenable.

Dans le cadre d’un système par points, appliquer la règle des vingt-cinq meilleures années reviendrait à identifier les vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses. Comment y parvenir ? En calculant le nombre annuel moyen de points obtenus au cours de ces années et en l’appliquant à chaque année de la carrière de l’assuré, dans la limite de la durée d’assurance requise pour une pension à taux plein.

En résumé, le montant de la pension correspondra donc au produit d’un nombre total de points, calculé selon une méthode basée sur la valeur du point.

Un accord a été trouvé sur une réécriture de l’article 1er et un mode de calcul qui tienne compte des vingt-cinq années civiles d’assurance les plus avantageuses et non plus des vingt-cinq meilleures années de revenu, avec un alignement sur le régime général à compter du 1er janvier 2026, délai nécessaire pour assurer la mise en œuvre du nouveau dispositif.

En adoptant les lois Chassaigne, le Parlement a permis de revaloriser les petites pensions agricoles de plus de 100 euros par mois en moyenne pour 340 000 retraités. Il est temps désormais de voter en faveur d’une nouvelle méthode de calcul pour que l’ensemble des salariés non agricoles puissent percevoir une retraite plus juste.

Dans le contexte politique actuel, que chacune et chacun connaît, je pense que le vote de notre assemblée enverra un signal plus que positif.

Le groupe RDPI votera donc pour cette proposition de loi, symbole d’une reconnaissance attendue par toute une profession, qui fait la fierté de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)