Mme le président. La parole est à M. Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà 349 jours, la Fédération de Russie a décidé, sur ordre de son président Poutine, l’invasion d’un autre pays souverain, l’Ukraine, en violation du droit international.

Cela fait 349 jours qu’un peuple souffre. Cela fait 349 jours qu’un peuple est bombardé. Cela fait 349 jours qu’un peuple se bat pour sa liberté et, à travers elle, pour la nôtre.

Au Sénat, depuis bientôt un an, nous suivons l’évolution de la situation et nous nous sommes réunis à de multiples reprises. La semaine dernière encore, nous entendions les mots forts du président de la Rada, Rouslan Stefantchouk : « On nous tue par le froid et l’obscurité » ou « La Russie a volé un an de la vie de l’Ukraine. »

Ces mots ne peuvent rester sans écho et je salue l’initiative du président du groupe Les Indépendants – République et Territoires, à l’origine de cette proposition de résolution. Elle nous permet de regarder derrière nous et de tirer un premier bilan de cette année de guerre en Europe afin de tracer les perspectives qui devront conduire vers une paix victorieuse pour l’Ukraine et les Ukrainiens.

Le 26 octobre dernier, nous avons eu un débat très riche, très fort : nous avons condamné et dénoncé cette invasion et ses conséquences, notamment à l’égard des populations civiles. Nous avons condamné une invasion et des exactions contraires au droit international. Nous n’oublierons pas Boutcha, Irpin, Marioupol et toutes les autres villes martyres.

Nous nous sommes inquiétés des conséquences collatérales pour l’Europe et pour le monde, particulièrement en matière d’énergie et de sécurité alimentaire.

Nous nous sommes interrogés sur les risques d’usure que fait peser cette guerre ; une usure qui pourrait atteindre la solidarité et le soutien des pays et de leurs concitoyens à la cause de l’Ukraine.

Ces quelques mois qui nous séparent de ce dernier débat permettent de dresser un certain nombre de constats et de tirer quelques leçons.

Le premier de ces constats est que le soutien à l’Ukraine non seulement reste indéfectible, mais aussi se renforce dans l’opinion. Malgré l’inflation, malgré les coûts de l’énergie, nos concitoyens n’ont pas fléchi et l’adhésion à l’Union européenne s’est même renforcée.

Les pays européens et leurs alliés continuent de faire preuve de solidarité et ne cessent de renforcer leur aide, qu’elle soit financière, militaire ou diplomatique. L’Union européenne a su démontrer ses capacités de ressources pour affronter les turbulences. Nous ne devons pas relâcher l’effort, mais continuer de relever collectivement certains défis qui n’ont pas encore été traités – j’y reviendrai.

Le second constat est que le soutien, notamment sous forme d’envoi de matériel, a produit des effets. L’armée ukrainienne a pu mettre à son actif la reconquête d’une partie de son territoire : l’armée russe détenait 24,4 % du territoire ukrainien en mars 2022 ; aujourd’hui, elle n’en contrôle plus que 18 %. Même modeste, c’est une avancée.

Les premiers responsables en sont bien sûr les Ukrainiens, dont le courage et la combativité continuent d’être à l’œuvre sur les différents fronts : on pense notamment à Bakhmout, où les combats sont particulièrement violents, et à d’autres zones où la situation reste très fragile.

Enfin, l’escalade tant crainte n’a pas eu lieu. Tout du moins pas sous la forme que certains prédisaient. La seule escalade que l’on observe est celle de la violence utilisée par l’armée russe à l’encontre du peuple ukrainien. En effet, nous avons observé un changement de nature de la stratégie russe, les infrastructures critiques ukrainiennes et les populations civiles étant délibérément et systématiquement ciblées dans une fuite en avant à caractère mortifère.

Contraire à toutes les lois, cette stratégie ne peut que renforcer notre détermination à nous tenir aux côtés des Ukrainiens. Alors oui, nous aiderons à reconstruire les infrastructures ! Alors oui, nous continuerons de soutenir les populations !

J’aurai ici une pensée, mes chers collègues, pour les Français qui sont encore en Ukraine. Certains, dans l’est du pays, sont sous les bombes, notamment à Kharkiv. Ils ne sont pas partis, car leur vie est là-bas, tout comme leurs attaches familiales. Certains n’ont pas les capacités financières ni les contacts nécessaires en France pour partir. Il ne faut pas les oublier, monsieur le ministre, et nous devons être à leurs côtés pour répondre à leurs éventuelles demandes.

Cette proposition de résolution nous conduit à nous interroger sur les prochaines étapes à entreprendre pour aboutir à une sortie de ce conflit.

Sur ces travées, comme partout ailleurs, personne ne veut la guerre. Nous souhaitons le retour à une situation pacifiée. Mais nous devons être clairs sur un point : quitte à nous répéter encore et encore, nous ne pouvons viser autre chose que la victoire de l’Ukraine sur son agresseur russe.

Je l’ai déjà dit ici et je le répète : aucun traité ne saurait être arraché par la force. C’est d’égal à égal, sous la protection de l’ensemble de la communauté internationale, rassemblée au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU), que l’Ukraine et la Fédération de Russie doivent définir les modalités de leur coexistence, même si nous savons que celle-ci sera difficile, notamment dans les premiers temps, une fois – nous l’espérons – la paix retrouvée. Car tout démontre que c’est dans un rapport de force, y compris militaire, avec Poutine que la voie de la diplomatie pourra être retrouvée. Lui seul nous oblige à réagir ainsi, ne l’oublions pas !

Pour atteindre ce but, il convient de souligner l’importance du saut qualitatif de l’aide militaire. Des chars seront fournis, même s’il faudra nécessairement du temps pour assurer cette livraison. Ils seront un renfort de poids pour l’armée ukrainienne. Des avions pourraient l’être également. La stratégie ukrainienne reste et doit rester une stratégie défensive que nous devons soutenir par ces moyens. Elle l’a toujours été, parce que c’est l’Ukraine qui est la nation agressée et c’est elle qui doit pouvoir se défendre.

Ces renforts sont d’autant plus nécessaires que la Russie a des ressources en termes de matériel ou de soldats : nous ne connaissons pas encore les effets de la massification de son armée sur une éventuelle offensive à venir à la fin de l’hiver ou au début du printemps.

Comme depuis le début de la guerre, l’aide européenne doit être combinée à des sanctions contre l’économie russe. Il convient à cet égard de saluer le nouveau paquet de sanctions annoncé par Ursula von der Leyen pour le 24 février prochain, soit un an jour pour jour depuis le début de l’invasion.

Dans ce cadre, la présente proposition de résolution cite notamment la Biélorussie, qui fait partie de l’équation. N’oublions pas non plus cet État vassal du régime de Moscou et ayons une pensée pour les opposants biélorusses emprisonnés ou exilés.

Comme le texte l’évoque, nous devons combiner notre action avec une réflexion plus poussée qui pourra aboutir à des enquêtes sur des faits susceptibles de constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. L’Europe travaille sur différentes pistes en ce sens. La France, monsieur le ministre, devra y prendre toute sa part.

La guerre nous oblige à l’humilité. Comme la proposition de résolution nous y invite, plusieurs questions restent à trancher à l’échelon français, à l’échelle européenne et au sein de l’Otan : comment établir le basculement stratégique ? Comment reprendre l’avantage dans le cadre d’une stratégie défensive ? Comment reconstruire l’Ukraine ? Sur ce dernier point, la France devra y participer aux côtés de ses partenaires. À ce stade, le classement en zone rouge de l’ensemble de l’Ukraine par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères empêche les entreprises françaises d’y participer : il faudra travailler sur le sujet.

Cette humilité, nous devons également l’appliquer à la France. Cette guerre interroge nos certitudes et nous devons, dès aujourd’hui, réfléchir ensemble sur les capacités militaires qui nous permettent de protéger notre pays, sur la réaffirmation de notre place dans l’Otan, sur la place de la France sur le continent européen et au niveau international ou encore sur nos capacités économiques et industrielles. Cette réflexion doit s’inscrire non seulement à l’échelon national, mais aussi dans le cadre européen. Ce sont des chantiers importants.

Mes chers collègues, nous ne devons pas craindre Vladimir Poutine quand celui-ci souligne qu’au travers de l’Ukraine il fait la guerre à l’Occident. M. Poutine est un prédateur : il profitera de chacune de nos faiblesses. Ses provocations verbales lors de la célébration de la victoire de Stalingrad, jeudi dernier, ont pour terreau l’exaltation d’un patriotisme agressif. Alors, soyons forts et sachons résister !

Oui, c’est un prédateur, à l’extérieur comme à l’intérieur de ses frontières. Le peuple russe comporte aussi son lot d’opposants à la guerre : ceux qui ne veulent pas que leurs enfants se fassent dévorer par le nationalisme, ceux qui ne veulent pas que la dictature s’étende sur le monde. Sachons écouter leur voix, même si elle est encore faible et réprimée.

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Patrick Kanner. Tolstoï a écrit que « la vérité doit s’imposer sans violence ». Je regrette que Vladimir Poutine ait fait mentir cette maxime, mais j’espère qu’elle s’imposera demain…

Mme le président. Merci, mon cher collègue.

M. Patrick Kanner. … et que la justice et les droits du peuple ukrainien seront rétablis. Le courage de l’Ukraine nous oblige. Gloire à l’Ukraine ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. La présente proposition de résolution arrive à un moment crucial pour l’avenir du conflit et pour celui de la paix mondiale. Hier, le secrétaire général de l’ONU s’est alarmé que le monde se dirige « les yeux grands ouverts » vers une « guerre plus grande encore », mettant en garde contre « les risques d’une nouvelle escalade ». Allons-nous entendre, chers collègues, cette mise en garde ?

Voilà un an, l’agression militaire déclenchée par Vladimir Poutine a plongé dans l’horreur le peuple ukrainien et signé le retour d’une guerre inhumaine au cœur de l’Europe. Le bilan est d’ores et déjà effroyable : probablement plus de 300 000 victimes, tuées ou blessées, un pays durablement meurtri, des millions de réfugiés et de déplacés internes.

Vladimir Poutine croyait gagner la guerre en un éclair. La résistance de l’Ukraine, aidée par la France et l’Otan, a changé la donne. Face à cette résistance qu’il n’attendait pas, Vladimir Poutine a choisi le pire : toujours plus de guerre, de crimes, de destructions, de violations des droits humains et d’enrôlements forcés de jeunes Russes, sans compter le chantage plusieurs fois brandi de la menace nucléaire. Ce choix du pire a provoqué en riposte un armement massif de l’Ukraine.

Un an plus tard, malgré cet effrayant bilan, des moyens colossaux engagés de part et d’autre et une ligne de front globalement figée depuis des mois, la guerre ne s’apaise pas. Au contraire, elle semble à l’aube d’une nouvelle escalade, en dépit du constat dressé par le général Mark Milley, chef d’état-major des armées des États-Unis, le 9 novembre 2022, selon lequel « il doit y avoir une reconnaissance mutuelle que la victoire militaire n’est probablement pas, au sens propre du terme, réalisable par des moyens militaires, et qu’il faut donc se tourner vers d’autres moyens ».

J’entends aussitôt la critique : admettre ce constat, ce serait être indifférent au drame ukrainien ou, pis encore, se montrer complice de Vladimir Poutine. Le Président de la République lui-même, Emmanuel Macron, a été confronté à cette accusation larvée, quand il a tenté de maintenir ouverte la porte d’une négociation, et sommé alors de rentrer dans le rang des partisans de l’escalade guerrière.

Chers collègues, affirmer notre soutien à l’Ukraine contre l’agression militaire de la Fédération de Russie, dénoncer les crimes de Vladimir Poutine, exiger le retrait des troupes russes et le respect de la souveraineté de l’Ukraine, aider militairement et humanitairement l’Ukraine à se défendre et à protéger sa population est indispensable, comme nous le disons depuis le premier jour de la guerre. Mais cela doit aller de pair avec l’impératif de prévenir une guerre généralisée et avec une mobilisation internationale de tous les instants pour stopper le conflit et explorer toutes les voies capables de remettre les belligérants à la table des négociations en vue du retour à la paix et à la sécurité mutuelle.

Abandonner l’objectif de la paix au seul profit de l’escalade militaire, c’est abdiquer devant la perspective d’une guerre longue et durable, toujours plus destructrice, une guerre aux limites inconnues, chaque jour plus proche d’un basculement aux conséquences incalculables.

Ce travail est urgentissime. Ne voyons-nous pas s’accumuler les vents mauvais d’une guerre toujours plus large ? La Russie ne recule devant rien pour envoyer la jeunesse russe à la boucherie. Face à cela, le surarmement des pays de l’Otan s’accélère dans des proportions inédites. Les ventes d’armes à l’international des États-Unis ont dépassé la barre des 200 milliards de dollars, inondant l’Europe d’armes toujours plus sophistiquées.

Les dirigeants polonais, qui ne sont pas à proprement parler des figures de la démocratie, ont porté leur budget militaire de 9 milliards d’euros en 2015 à 97 milliards d’euros en 2023, à grands coups d’équipements américains.

Les surenchères nationalistes et les réécritures de l’histoire se propagent partout et en tous sens, excitant les haines des peuples. Ne voyons-nous rien de tout cela ni des périls encourus ? Européens ayant traversé deux guerres mondiales, avons-nous perdu la mémoire ?

Voilà pourquoi, chers collègues, nous ne voterons pas la proposition de résolution qui nous est proposée. (MM. Jean-Pierre Grand et Franck Menonville sexclament.) Elle énonce des rappels de principes que nous défendons nous aussi face à l’agression criminelle de la Russie, mais elle ne propose face à ce drame qu’un seul chemin de fait : l’escalade militaire, clairement revendiquée par son auteur, Claude Malhuret.

Tel est le sens de l’alinéa 31 : après les chars lourds porteurs d’obus à uranium appauvri, demain des avions de chasse et des missiles. Et à chaque cran nouveau, des soldats formateurs de l’Otan directement engagés.

Cette proposition de résolution donne le feu vert au franchissement futur de toutes les lignes rouges. Surtout, elle fait l’impasse sur tout appel à une initiative de négociation et de paix. Ce n’est pas un oubli, c’est un choix : celui de la guerre comme seul chemin possible, oubliant la leçon de tous les conflits récents.

Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Pierre Laurent. Cette proposition de résolution est une occasion manquée, celle de faire rimer solidarité avec l’Ukraine et mobilisation pour une solution de paix. C’est cette double exigence que nous exprimerons en votant contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Claude Malhuret sexclame.)

Mme le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Pascal Allizard applaudit également.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis un an, les auditions menées par le groupe interparlementaire d’amitié France-Ukraine que je préside ne portent ni sur les échanges culturels ni sur le partenariat économique. Ces auditions sont des récits d’horreur, de souffrance et de terreur, des récits de courage et de résilience.

À chaque entretien, nous promettons de porter des messages. Je remercie donc Claude Malhuret, qui me donne l’occasion de le faire, dans le cadre d’une tribune qui ne sera pas la mienne, mais celle de ceux qui souffrent et nous appellent au secours. Ce sera aussi la tribune d’un groupe d’amitié qui n’a jamais relâché ses efforts.

Le 23 mars 2022, nous étions une vingtaine devant l’ambassade de Russie à Paris. Nous portions un message simple, exigeant le respect des termes de la convention de Genève signée par la Fédération de Russie. Nous demandions d’urgence des corridors humanitaires pour les populations civiles. Nous portions les signatures de 170 d’entre vous, sénateurs de France. Nous n’avons pas été reçus, traités avec le plus grand des mépris.

Le 7 février 2023, nous exigeons de nouveau le respect des règles essentielles du droit humanitaire international, le respect des populations civiles, le traitement loyal des prisonniers de guerre et le libre accès des organisations humanitaires internationales, tout particulièrement la Croix-Rouge.

Le 2 novembre 2022, nous avons auditionné celles que l’on appelle « les femmes d’Azov », dont les époux, les pères et les fils ont défendu Marioupol jusqu’à la limite de leurs forces. Retenus désormais dans des endroits tenus secrets, torturés, privés de nourriture et de soins, ils sont sans contact avec leurs familles. Que cette résolution leur prouve que nous ne les oublions pas et que nous partageons l’épreuve de cette inhumaine angoisse !

Le 29 octobre 2022, nous recevions Mme Matviïchuk, avocate et prix Nobel de la paix, qui dirige le Centre pour les libertés civiles. Elle recueille des témoignages pour documenter les crimes de guerre. « On ne documente pas seulement les violations des conventions de Genève », explique-t-elle, « on documente la souffrance humaine ». Chaque jour, hélas, elle entend le pire. Nous devons lui promettre que ces dizaines de milliers de récits ne seront ni vains ni perdus et qu’un tribunal international dédié rendra sa justice.

Le 19 avril 2022, les responsables du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) témoignaient des souffrances des enfants en temps de guerre, en Ukraine tout particulièrement. Les enlèvements massifs d’enfants vers la Russie ne faisaient déjà plus de doute, même si leur décompte manque encore de précision. Nous devons, par cette résolution, les dénoncer vigoureusement.

À cette occasion, des chiffres nous ont été rappelés : en 1914, 90 % des victimes de la guerre étaient des militaires et 10 % des civils. De nos jours, la proportion s’est inversée. Désormais, dans un conflit où l’un des deux belligérants cible intentionnellement les populations civiles, le nombre de femmes, d’enfants et de vieillards parmi les victimes est intolérable. Par cette résolution, chers collègues, dénonçons une dérive inhumaine !

Je voudrais aussi avoir une pensée pour nos collègues députés de la Rada de l’Ukraine, qui travaillent chaque jour et sans relâche, parfois sous les attaques des bombes. Je pense, par exemple, à Lyudmyla Buymister qui, au lendemain de l’agression du 24 février, témoignait par visioconférence, en gilet pare-balles, pour demander des casques et supplier l’Europe de fermer le ciel.

Voilà quelques-unes des voix que je porte au nom du groupe d’amitié.

Chaque jour de guerre est un jour de trop. À la gare de Kiev, un grand nombre de jeunes gens partent quotidiennement pour le front et une file d’ambulances récupère les blessés : c’est d’une tristesse infinie.

Nous souhaitons tous que cette guerre cesse au plus vite, mais c’est aussi notre rôle et notre devoir que d’exiger tout de suite le respect des valeurs essentielles de la France, pays des droits de l’homme.

Enfin, je dois vous dire, chers collègues, que mon oreille russophone se familiarise avec l’ukrainien au fil des auditions. Un mot, que j’ai fini par comprendre, revient dans chaque phrase : « pidtrymka, pidtrymka », c’est-à-dire « le soutien ».

L’Ukraine a besoin de notre soutien sans faille, à chaque instant. Le président Stefantchouk…

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Nadia Sollogoub. … nous a dit la semaine dernière : « La guerre nous a volé une année de notre vie, mais vous aussi, vous avez changé ». Oui, nous avons changé : nous avons appris le sens du mot « soutien ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Madame la présidente. monsieur le ministre, chers collègues, je voterai contre cette proposition de résolution pour trois raisons.

Premièrement, en organisant un blocus économique contre la Russie et en fournissant des armes ainsi qu’une aide financière à l’Ukraine, les pays de l’Union européenne et de l’Otan sont devenus des cobelligérants. Notre boycott du gaz, du pétrole et des matières premières russes est ainsi la cause de l’inflation et de la crise économique que nous subissons. Nous nous sommes donc pénalisés nous-mêmes.

Deuxièmement, on ne peut faire de reproches à la Russie si, dans le même temps, on laisse faire et même on cautionne une agression encore plus scandaleuse contre un autre pays. Or l’Otan et l’Union européenne n’ont rien fait lorsque l’Arménie a été attaquée par les deux dictateurs d’Azerbaïdjan et de Turquie. Pis, nous sommes allés jusqu’à doubler nos achats de produits pétroliers à l’Azerbaïdjan, ce qui ne peut qu’encourager sa politique d’agression.

Quant à la Turquie, nous soutenons un pays dont le dictateur se réjouit du premier génocide contre les Arméniens et qui mène actuellement une politique doublement génocidaire : d’une part, contre les Kurdes ; d’autre part, contre les Arméniens.

Si c’était la Russie qui avait attaqué l’Arménie, l’Otan et l’Union européenne auraient réagi très vigoureusement : c’est bien la preuve que l’Otan a des arrière-pensées.

Troisièmement, nous sommes actuellement dans la même situation qu’à la veille de la Première Guerre mondiale. À l’époque, l’Allemagne n’était pas la seule responsable de cette guerre, car les pays de l’Entente soutenaient la Serbie et les terroristes serbo-bosniaques qui avaient assassiné l’archiduc d’Autriche.

Aujourd’hui, la guerre en Ukraine est en apparence liée à l’agression de la Russie. Toutefois, elle résulte aussi de l’extension vers l’est de l’Otan et de l’Union européenne, ce qui conduit à encercler littéralement la Russie.

Les États-Unis n’ont jamais accepté que l’Union soviétique puisse installer des fusées à Cuba. Pourquoi voudrait-on que les Russes acceptent d’être encerclés par l’Otan ?

En voulant mettre la Russie à genoux, l’Otan prend le risque irresponsable d’un conflit nucléaire. Tout comme la Première Guerre mondiale, cela pourrait aboutir à des dizaines de millions de morts, aussi bien d’un côté que de l’autre.

Je compatis avec la situation de tous les Russes aussi bien que de tous les Ukrainiens qui sont morts dans cette guerre, mais je crois que les pays occidentaux portent une lourde responsabilité dans cette affaire.

M. Claude Malhuret. Poutine vous remercie !

M. Franck Menonville. Et l’envahisseur ?

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes à quelques jours de la date du tragique anniversaire de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.

Voilà en effet bientôt un an que Vladimir Poutine a mis en œuvre son funeste projet d’impérialisme russe. Voilà bientôt un an qu’il replonge le monde dans les affres de la guerre en faisant croire à qui veut l’entendre que l’agresseur, au fond, c’est l’Occident.

Face à cela, depuis des mois, sans se résigner et sans faiblir, les Ukrainiens restent debout. Malgré la dureté des combats dans l’est de l’Ukraine, malgré le déluge des bombes qui frappent la population civile jusqu’au cœur de Kiev, les Ukrainiens et le président Zelensky forcent le respect.

Le courage du peuple ukrainien n’est plus à démontrer : il a désormais valeur d’exemple. Il s’écrira certainement dans les livres d’histoire. Boutcha, Marioupol, Bakhmout ou encore Soledar sont quelques-unes des villes symboles d’une résistance acharnée. Ce sont aussi des villes martyres.

Oui, M. Stefantchouk l’a rappelé dans notre hémicycle la semaine dernière : « L’ennemi cruel sème la mort et la destruction. » Les Ukrainiens paient très cher le prix de la liberté.

Par conséquent, nous avons le devoir de continuer à les soutenir, d’autant plus que nous agissons aussi pour notre propre sécurité, celle de l’Europe et même au-delà.

Comme l’a très justement souligné le président de la Rada ukrainienne : « L’Ukraine est devenue le bouclier qui protège l’Europe et l’ensemble du monde civilisé. » C’est cette évidence qui engage de plus en plus fortement la France et la communauté internationale.

Il ne s’agit plus seulement de la souveraineté d’un territoire envahi, mais bien d’un combat collectif pour rétablir les règles élémentaires de l’ordre mondial. Même Israël, jusque-là en retrait, s’interroge depuis quelques jours sur sa position, tant le macabre dessein stratégique russe bouleverse tous les équilibres stratégiques.

Dans ces conditions, comme le souligne la proposition de résolution, l’aide fournie à l’Ukraine doit être accentuée sur tous les fronts, notamment celui des sanctions. À cet égard, mon groupe se réjouit de voir arriver un dixième paquet de mesures annoncé par Bruxelles dont j’espère qu’elles affaibliront l’industrie de défense russe.

L’Union européenne doit toutefois se pencher sur la question des contournements, qui affectent la réalité d’une partie des sanctions.

Quant au front militaire, la nécessité d’un effort constant de livraison d’armes aux forces ukrainiennes apparaît désormais incontournable. On peut le regretter, certains parlent d’escalade, mais n’inversons pas les rôles comme le fait si bien la propagande russe jusque sur le continent africain : qui a gravi les marches de l’horreur sous couvert d’une prétendue opération spéciale ?

À ce stade, nous savons qu’une des clés de la victoire ukrainienne réside dans sa défense antiaérienne. Mon groupe attend de la France qu’elle contribue à consolider la défense sol-air de l’Ukraine, en complément du soutien militaire américain significatif.

Bien entendu, nous souscrivons à la réserve qui consiste à préserver le territoire russe des attaques de missiles.

Quant au front diplomatique, doit-on y croire encore ? Nous avions espéré jusqu’à la veille du 24 février 2022, en vain. Aujourd’hui, hélas, des négociations de paix ne semblent pas envisageables.

En effet, déçu pour ne pas dire humilié par son insuccès militaire, enfermé dans une spirale paranoïaque, Vladimir le Redoutable continue d’organiser son armée dans une logique de guerre : un changement de général, le développement de la mobilisation et la quasi-installation dans son pays d’un pouvoir parallèle représenté par les milices de Prigojine.

S’agissant de ces mercenaires, mon groupe souscrit à l’idée de cibler Wagner, dont la brutalité des méthodes est sans équivoque, comme organisation terroriste. Comment ne pas s’inquiéter du développement de cette organisation sur le continent africain ?

Mes chers collègues, signataires de la proposition de résolution de Claude Malhuret, les membres du RDSE la voteront en toute logique. Nous espérons ainsi apporter notre modeste contribution au combat du monde libre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP, et UC.)