Jeudi 15 juin 2006

- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président.

Autorités administratives indépendantes - Examen du rapport

M. Jean-Jacques Hyest, président de droit, a salué l'arrivée à bonne fin de la réflexion menée sur sa saisine par l'Office sur le bilan des autorités administratives indépendantes.

M. Patrice Gélard, sénateur, rapporteur, a tout d'abord rappelé que pour conduire le bilan des autorités administratives indépendantes (AAI), l'Office avait souhaité appuyer ses travaux sur une étude générale et sur une étude de droit comparé réalisées par des experts et respectivement dirigées par Mme Marie-Anne Frison-Roche et par M. Jean-Marie Pontier. Indiquant que ces deux études avaient été remises à la fin de l'année 2005, il s'est félicité du travail accompli par les deux équipes et a proposé que ces études soient jointes en annexe au rapport de l'Office. Il a estimé que leur publication permettrait aux personnes intéressées par les autorités administratives indépendantes de disposer d'une base documentaire solide, en particulier en matière de droit comparé.

Il a ensuite dressé un état des lieux des autorités administratives indépendantes, expliquant qu'elles constituaient aujourd'hui une véritable mosaïque juridique, en raison de la diversité de leurs domaines d'activité, de leurs règles de composition et de fonctionnement, et de leurs pouvoirs. Il a relevé à cet égard que le législateur avait eu recours à trois appellations différentes, celle d'autorité indépendante, appliquée au Médiateur de la République, au CSA et au Défenseur des enfants, celle d'autorité administrative indépendante, désignant la majorité des organismes étudiés, et celle d'autorité publique indépendante, attribuée aux quatre autorités dotées de la personnalité morale : l'Autorité des marchés financiers (AMF), l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), la Haute autorité de santé (HAS) et l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD).

Considérant que toutes ces autorités avaient en commun de répondre à la volonté d'assurer de façon indépendante certaines missions de service public, il a déclaré qu'elles étaient marquées par une contradiction fondamentale, puisqu'elles exerçaient une autorité administrative tout en échappant au contrôle hiérarchique du Gouvernement. Il a estimé qu'à ce positionnement institutionnel original, s'ajoutait une relative faiblesse du contrôle exercé par le Parlement sur ces autorités. Il a rappelé que la création des autorités administratives indépendantes ne distinguait cependant pas la France des autres pays, des autorités semblables existant dans toutes les démocraties modernes, comme le montrait l'étude de droit comparé dirigée par M. Jean-Marie Pontier.

Relevant que dans la plupart des pays où existaient de tels organismes, ils ne faisaient pas davantage l'objet d'une définition précise et uniforme que les autorités administratives indépendantes françaises, M. Patrice Gélard, sénateur, rapporteur, a souligné que la particularité du système français résidait plutôt dans les insuffisances du dispositif institutionnel permettant d'assurer leur contrôle démocratique et d'asseoir leur légitimité.

Il a rappelé que certaines autorités administratives indépendantes avaient été créées pour répondre à des exigences communautaires, notamment après l'ouverture d'un secteur économique au sein duquel l'Etat conservait des intérêts, d'autres pour mobiliser une capacité d'expertise permanente face à la technicité d'un secteur, ou encore pour assurer de façon impartiale des fonctions de médiation. Considérant que les autorités administratives indépendantes présentaient l'avantage d'une organisation souple et adaptable, il s'est toutefois inquiété de leur multiplication, susceptible d'apparaître comme une remise en cause des structures traditionnelles de l'Etat et de favoriser la défiance des citoyens à l'égard de ces dernières.

Soulignant que la création d'une nouvelle autorité administrative indépendante ne pouvait donc être considérée comme un acte anodin, il a indiqué que le rapport soumis à l'Office devait constituer un guide pour l'avenir, visant à prévenir les risques d'une multiplication inconsidérée de ces organismes et à définir des lignes directrices pour les autorités existantes.

Rappelant que les autorités administratives indépendantes constituaient aujourd'hui une catégorie de fait rassemblant trente-neuf entités, il a précisé qu'elles pouvaient être rangées dans deux groupes principaux, l'un rassemblant les autorités de régulation économique (Conseil de la concurrence, Commission de régulation de l'énergie, AMF...), l'autre les autorités chargées de la protection des droits et des libertés fondamentales (Commission nationale de l'informatique et des libertés, Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, Médiateur de la République...). Il a souligné que ces autorités, produisant des normes, émettant des recommandations et parfois investies d'un pouvoir de sanction, occupaient aujourd'hui une place importante dans notre ordre juridique et administratif.

Evoquant ensuite les recommandations soumises à l'Office, M. Patrice Gélard, sénateur, a indiqué qu'elles visaient à consolider le régime des autorités administratives indépendantes en assurant la cohérence de leur organisation, en renforçant leur indépendance et en exerçant sur leur activité un contrôle approprié. Après avoir présenté une recommandation relative à la présence d'un commissaire du Gouvernement au sein des autorités dotées d'un pouvoir réglementaire et deux recommandations portant sur l'exercice de pouvoirs de sanction par les autorités administratives indépendantes, il a exposé six propositions visant à renforcer la cohérence de leur statut juridique.

Il a ensuite présenté six recommandations concernant les modalités de saisine des autorités administratives indépendantes par les citoyens ou par les autres organismes de l'Etat, puis onze préconisations relatives à leur indépendance fonctionnelle et budgétaire. Indiquant que l'indépendance des membres des autorités administratives indépendantes et de leurs services devait être renforcée, il a exposé cinq recommandations tendant notamment à harmoniser la durée des mandats, les règles d'incompatibilité, les exigences de compétence auxquelles doivent être soumises les personnalités qualifiées et le respect des règles déontologiques.

Estimant que les garanties d'autonomie des autorités administratives indépendantes ne pouvaient être maintenues ou fortifiées que si ces autorités faisaient parallèlement l'objet d'un contrôle approfondi du Parlement, il a rappelé que l'indépendance ne saurait signifier l'irresponsabilité. Relevant que l'ensemble des autorités administratives indépendantes souhaitaient d'ailleurs rendre compte régulièrement de leur activité au Parlement, il a déclaré que l'étude de droit comparé dirigée par M. Jean-Marie Pontier montrait que chaque pays tendait à mettre en place des modalités de contrôle adaptées au degré d'indépendance de ses agences ou autorités. Il a présenté quatre recommandations visant par conséquent à corriger les faiblesses du contrôle démocratique exercé en France sur les autorités administratives indépendantes.

Jugeant souhaitable que notre pays mette un frein à la multiplication des autorités administratives indépendantes, susceptible d'accentuer l'éclatement de notre organisation administrative, il a formé le voeu que le Gouvernement et le Parlement effectuent une évaluation approfondie avant d'envisager la création de toute nouvelle autorité. Il a estimé que le législateur ne devait pas céder à la tentation d'attribuer inconsidérément la personnalité morale aux autorités administratives indépendantes, en raison des risques qu'elle comporte. Il a souligné que l'exercice par le Parlement d'un contrôle régulier sur l'activité des autorités administratives indépendantes était la condition d'une meilleure insertion de ces instances dans notre organisation administrative et institutionnelle.

M. Jean-Jacques Hyest, président de droit, a indiqué que, depuis l'année 2006, la commission des lois avait commencé à procéder systématiquement à l'audition des présidents des autorités administratives indépendantes relevant de sa compétence, après la publication de leur rapport annuel. Il a précisé que la commission des lois avait ainsi entendu le Médiateur de la République, le président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

M. Philippe Houillon, député, vice-président, se félicitant de la qualité du rapport présenté par M. Patrice Gélard, a estimé que les autorités administratives indépendantes devraient en effet être soumises à une audition régulière par les commissions compétentes. Il s'est interrogé sur la possibilité de définir pour chaque autorité administrative indépendante des objectifs de performance et des indicateurs de résultats en raison de la spécificité de leur activité. Il a souhaité savoir quel prolongement pratique M. Patrice Gélard entendait donner à son rapport.

M. Patrice Gélard, sénateur, rapporteur, a indiqué que la définition d'objectifs de performance et d'indicateurs de résultats permettrait d'appliquer aux autorités administratives indépendantes la logique initiée par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, et qu'ils pourraient porter notamment sur les délais de traitement des dossiers qu'elles traitaient. Il a expliqué que plusieurs des recommandations évoquées pourraient trouver leur place au sein d'une loi-cadre relative aux autorités administratives indépendantes, afin de définir et d'harmoniser certains aspects de leur fonctionnement, tels que les conditions de renouvellement des collèges, le respect d'exigences de compétence pour la nomination de personnalités qualifiées, l'obligation de publier un rapport annuel préalablement soumis à la délibération du collège de l'autorité et la communication de ce rapport aux commissions compétentes des deux assemblées.

M. Xavier de Roux, députés, évoquant la recommandation visant à permettre l'échange d'informations entre les autorités administratives indépendantes et les autorités judiciaires, a rappelé que les premières étaient cependant soumises au contrôle des juridictions. Il a indiqué que la Cour de cassation avait précisé, dans un arrêt du 22 février 2005, les limites des prérogatives attribuées par la loi à certaines autorités administratives indépendantes pour présenter des observations à l'occasion des recours formés contre leurs décisions, en jugeant que la Commission de régulation de l'énergie n'était pas habilitée à présenter des observations sur le pourvoi formé contre un arrêt rendu sur un recours contre l'une de ces décisions. Il a estimé que les propositions de l'Office en la matière ne devaient donc pas aboutir à rouvrir le débat sur cette question réglée par la Cour de cassation.

M. Nicolas Alfonsi, sénateur, a considéré qu'il convenait de clarifier les relations entre les autorités administratives indépendantes et les juridictions, comme le Parlement avait d'ailleurs souhaité le faire lors de l'attribution de nouveaux pouvoirs de sanction à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

M. Jean-Jacques Hyest, président de droit, a estimé qu'il convenait de préciser que la coopération entre les autorités administratives indépendantes et les juridictions pouvait être assurée en offrant aux autorités la possibilité de présenter, à la demande des juridictions, des observations à l'occasion de l'examen d'affaires dont elles ont eu à connaître.

M. Patrice Gélard, sénateur, rapporteur, a indiqué que la recommandation soumise à l'Office visait à permettre aux juridictions de faire éventuellement appel à l'expertise des autorités administratives indépendantes, et non à revenir sur les dispositions leur donnant la possibilité de présenter des observations à l'occasion des recours formés contre leurs décisions.

M. Philippe Houillon, député, vice-président, a estimé que l'Office pouvait simplement recommander d'engager une réflexion sur la possibilité pour les autorités administratives indépendantes de présenter, à la demande des juridictions, des observations à l'occasion de l'examen d'affaires dont elles ont eu à connaître.

A l'issue de cet examen, l'office a adopté les trente recommandations suivantes :

Concernant l'amélioration des conditions d'exercice des pouvoirs des AAI :

- assurer la présence d'un commissaire du Gouvernement auprès des autorités dotées d'un pouvoir réglementaire (recommandation n° 1) ;

- doter les AAI exerçant des pouvoirs de sanction d'un collège suffisamment nombreux pour que puissent y être distinguées les fonctions de poursuite et de sanction (recommandation n° 2) ;

- compléter les pouvoirs de sanction de l'AMF par un pouvoir de transaction pénale et privilégier l'attribution de procédures alternatives de sanction aux nouvelles autorités (recommandation n° 3).

Afin de rationaliser le régime juridique et l'organisation des AAI :

- affirmer dans la Constitution, ou dans une loi organique complétant l'article 34 de la Constitution, la compétence du législateur pour fixer les règles concernant la création et l'organisation des autorités administratives et publiques indépendantes (recommandation n° 4) ;

- limiter le développement des autorités publiques indépendantes dotées de la personnalité morale aux seules instances dont l'activité se prête à la perception de taxes ou de droits et soumettre l'adoption de ce statut à une évaluation approfondie de ses avantages et inconvénients (recommandation n° 5) ;

- réaliser régulièrement, au sein des commissions compétentes, l'évaluation des AAI existantes afin d'envisager, le cas échéant, leur réorganisation (recommandation n° 6) ;

- faire précéder la création de toute nouvelle autorité d'une évaluation déterminant si les compétences qui seraient confiées à cette nouvelle entité ne pourraient être exercées par une autorité existante (recommandation n° 7) ;

- inciter les AAI à développer des relations avec leurs homologues européens (recommandation n° 8) ;

- adopter un cadre législatif définissant les caractéristiques communes des AAI au regard de leur indépendance, de leurs procédures de sanction et de la publication d'un rapport annuel (recommandation n°9).

Concernant l'amélioration des conditions de saisine des autorités administratives indépendantes :

- doter les autorités qui le jugeraient utile, telles que le Défenseur des enfants, d'un pouvoir d'auto-saisine (recommandation n° 10) ;

- autoriser la saisine de la CNDS par le Médiateur de la République et par le président de la HALDE (recommandation n° 11) ;

- ouvrir la saisine du Médiateur de la République à l'ensemble des citoyens, tout en préservant la possibilité d'une saisine par l'intermédiaire d'un député ou d'un sénateur (recommandation n° 12) ;

- permettre aux autorités dont la saisine est ouverte aux citoyens d'organiser un mécanisme de filtrage et assortir la saisine directe du Médiateur de la République d'un dispositif de sanction des saisines abusives (recommandation n° 13) ;

- ouvrir aux administrations la possibilité de saisir les AAI de toute question relevant de leur domaine de compétence et permettre aux AAI d'accéder à l'expertise de l'administration (recommandation n° 14) ;

- engager une réflexion sur la possibilité pour les AAI de présenter, à la demande des juridictions, des observations à l'occasion de l'examen d'affaires dont elles ont eu à connaître, et pour les juridictions de saisir les AAI afin d'obtenir leur expertise (recommandation n° 15).

Afin de renforcer l'indépendance des autorités administratives indépendantes et de leur donner des moyens adaptés à leurs missions :

- adapter le logiciel comptable de l'Etat (ACCORD) à la dispense de contrôle financier dont bénéficient les AAI (recommandation n° 16) ;

- envisager la réévaluation progressive des moyens financiers alloués au Conseil de la concurrence, à la CNDS, à la CNIL, au CSA et à la CADA (recommandation n° 17) ;

- soumettre toute extension des compétences d'une AAI à une étude d'impact budgétaire intégrant les observations de l'autorité concernée (recommandation n° 18) ;

- rassembler les AAI au sein d'une mission budgétaire « Régulation et protection des libertés » ou ériger en programmes les autorités chargées de la protection des droits et libertés dont le budget atteint une taille critique suffisante (CSA, CNIL, Médiateur, HALDE) (recommandation n° 19) ;

- permettre aux autorités dont le budget et les effectifs le justifient de négocier chaque année leurs crédits au cours d'une conférence budgétaire (recommandation n° 20) ;

- mutualiser les fonctions de gestion comptable et des ressources humaines des AAI de petite taille (recommandation n° 21).

Dans l'objectif de fortifier l'indépendance des collèges et des services des AAI :

- prévoir que les membres des AAI ne peuvent effectuer qu'un mandat d'une durée de six ans et que le collège est renouvelé par tiers tous les deux ans (recommandation n° 22) ;

- appliquer aux membres des AAI un régime d'incompatibilité visant l'exercice de fonctions ou la détention d'intérêts au sein d'organismes qui pourraient être concernés par l'activité de l'autorité et la participation aux activités de l'autorité qui concerneraient des organismes au sein desquels les membres auraient exercé des fonctions ou détenu des intérêts (recommandation n° 23) :

- soumettre la nomination de personnalités qualifiées au sein du collège d'une AAI à des exigences de compétence en rapport direct avec le domaine d'intervention de l'autorité (recommandation n° 24) ;

- prévoir la définition par chaque AAI d'incompatibilités a posteriori, relatives aux responsabilités auxquelles peuvent accéder les anciens membres du collège (recommandation n° 25) ;

- inciter chaque autorité à adopter des règles déontologiques internes pour assurer l'indépendance de ses services (recommandation n° 26).

Concernant le renforcement du contrôle démocratique de l'activité des autorités administratives indépendantes :

- prévoir la publication, par toutes les AAI, d'un rapport annuel adressé aux présidents des deux assemblées, aux présidents des commissions des finances et aux présidents des commissions compétentes (recommandation n° 27) ;

- soumettre le rapport annuel de chaque AAI à la délibération de son collège et présenter dans ce rapport:


· un bilan de l'utilisation des crédits et de la mise en oeuvre des prérogatives de l'autorité ;


· les règles déontologiques appliquées par les membres du collège et les cadres des services ;


· la doctrine suivie par l'autorité dans l'exercice de ses missions (recommandation n° 28) ;

- assurer l'audition de chaque AAI par les commissions parlementaires compétentes après la publication de leur rapport annuel (recommandation n° 29) ;

- inciter les AAI à définir des objectifs de performance et des indicateurs de résultat afin de permettre au Parlement de mieux contrôler leur activité (recommandation n° 30).

Après avoir adopté le titre du rapport d'information, l'Office a autorisé sa publication, ainsi que celle des études réalisées par les experts.