MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LA SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT ÉLECTRIQUE DE LA FRANCE ET LES MOYENS DE LA PRÉSERVER

Jeudi 8 février 2007

- Présidence de M. Bruno Sido, président.

Audition de M. Pierre Radanne, auteur du livre « Energies de ton siècle ! Des crises à la mutation »

La mission commune d'information a tout d'abord procédé à l'audition de M. Pierre Radanne, ancien président de l'Agence de la maîtrise de l'énergie (ADEME), consultant indépendant et expert auprès des institutions, auteur du livre « Energies de ton siècle ! Des crises à la mutation ».

En introduction, M. Pierre Radanne a observé que si la France avait connu entre 1973 et 2005 une croissance du PIB par habitant de 105 %, la consommation d'énergie par habitant avait été stable sur cette période, puisqu'elle n'avait crû que de 2,85 %. Au-delà de ce remarquable résultat exprimant la mutation intervenue depuis le premier choc pétrolier, il a évoqué les grands mouvements de substitution s'étant opérés dans le secteur des énergies dans notre pays, soulignant la disparition du charbon et affirmant que le pétrole s'était resserré vers les transports et que sa consommation était en voie de stabilisation, tandis que le gaz, principalement orienté vers la production de chaleur, voyait sa consommation connaître une légère hausse, tout comme l'électricité.

Abordant plus spécifiquement l'électricité, il a salué les progrès réalisés ces dernières années en matière d'efficacité énergétique, que ce soit sur l'éclairage domestique ou urbain, les appareils ménagers, l'isolement des logements ou encore l'utilisation de puces électroniques dans l'industrie pour optimiser la consommation grâce à un contrôle permanent. Mais il a fait remarquer qu'à moyen et long terme, la consommation d'électricité allait augmenter, notamment, en raison de la lutte contre l'émission des gaz à effet de serre (GES) et le changement climatique, dans le secteur automobile, avec les progrès des voitures hybrides.

Puis M. Pierre Radanne a considéré que les solutions à proposer en ce qui concerne l'approvisionnement énergétique devaient prendre en compte de nombreuses contraintes, d'ordre essentiellement environnemental : épuisement des ressources rares, pollution de l'air, changement climatique et risques technologiques. Il a estimé que la première exigence morale consistait à réduire ces contraintes par les économies d'énergie, l'amélioration des comportements individuels de consommation, le développement des énergies renouvelables et le remplacement du pétrole par d'autres sources d'énergie dans le secteur des transports, toutes mesures qui pourraient permettre, à échéance d'une génération, de résoudre le problème pour moitié. Evoquant par ailleurs les effets pervers des différentes sources d'approvisionnement énergétique, il a jugé que si le pétrole, le gaz et le charbon étaient certes épuisables et générateurs de GES, ces combustibles étaient néanmoins préférables au nucléaire, qui pose le triple problème des effets dévastateurs d'un éventuel accident, de la gestion des déchets et du contrôle de sa possible prolifération militaire à travers le trafic d'uranium.

Reconnaissant que le rendement du système énergétique français, de l'ordre de 35 %, restait modique face aux 65 % de perte, notamment dans l'électricité, il a ensuite indiqué que des progrès pourraient être rapidement réalisés grâce aux évolutions technologiques, telles que la cogénération industrielle et la microgénération domestique qui permettent à la fois de produire de l'électricité et de chauffer, le développement de la pile à combustible ou encore le contrôle des réseaux à distance. Ayant fait remarquer qu'il s'agissait là de solutions à très haut rendement et qu'à ce titre, la décentralisation des systèmes était une question cruciale en termes de sécurité d'approvisionnement, il a ajouté que la question du stockage de l'électricité n'était pas moins importante, bien que les avancées technologiques en la matière restent très lentes, notamment pour le stockage massif, malgré les progrès réalisés sur les batteries.

M. Pierre Radanne a ensuite évoqué la question du « dispatching » en France, rappelant à cet égard l'actuel ordre d'appel des sources d'énergies : « en base », le nucléaire, peu modulable, puis l'hydraulique, complément énergétique plus souple, et enfin « en pointe », le gaz, dont la production reste très centralisée. Il a toutefois estimé qu'en dépit des résistances au changement de la part de certains acteurs, une nouvelle structure énergétique était appelée à se développer : le nucléaire, les énergies renouvelables intermittentes, comme l'éolien, la cogénération décentralisée, l'hydraulique et, enfin, le gaz centralisé.

Plaidant pour le renforcement de l'interconnexion des réseaux au niveau européen, M. Pierre Radanne a jugé nécessaire de mener des politiques ciblées visant à :

- stabiliser la consommation énergétique française de l'ordre d'1 à 2 % par an grâce aux économies d'énergie, la loi du 13 juillet 2005 créant les certificats d'économie d'énergie lui paraissant à cet égard constituer un puissant moyen d'action, sous réserve que les prescriptions réglementaires soient plus ambitieuses que celles récemment décidées ;

- contribuer à la suppression des pics de consommation par la mise en oeuvre d'incitations tarifaires ;

- assurer une meilleure répartition de la production d'énergie sur le territoire national, par la décentralisation des moyens de production ;

- relancer la prospective en matière énergétique, interrompue depuis le dernier exercice réalisé en 1995, pour anticiper sur les besoins d'investissement lourds dans le secteur ;

- inciter les consommateurs et les constructeurs à modifier l'utilisation des appareils électriques, ainsi que la création du tarif de nuit l'a fait dans les années 1960 en ce qui concerne les chauffe-eau ;

- éviter le développement du chauffage électrique, en particulier par les convecteurs, qui lui semble constituer le principal problème de consommation et qui pourrait être surmonté par le recours aux pompes à chaleur et à la géothermie, méthodes permettant de diviser la consommation par trois par rapport aux résistances chauffantes aux joules.

Enfin, M. Pierre Radanne a estimé que la sécurité d'approvisionnement électrique était fragilisée par l'actuel mouvement de dérégulation. Rappelant la formule du Conseil national de la Résistance, selon laquelle « l'énergie est le sang de la Nation », il a observé que les acteurs socio-économiques réclamaient l'intervention de l'Etat en cas de pénurie énergétique et qu'ils souhaitaient le libre jeu du marché lorsqu'il n'y avait pas de difficulté. Estimant qu'à long terme la planète serait confrontée à des problèmes croissants d'approvisionnement énergétique compte tenu de l'épuisement du pétrole, des tensions dans les pays producteurs, et des risques environnementaux que font peser les GES sur le climat, il a plaidé pour une régulation forte du secteur de l'énergie. S'agissant plus particulièrement de l'électricité, il a considéré que sa caractéristique d'être un produit non stockable faisant peser sur les réseaux une contrainte de fonctionnement en temps réel, rendait nécessaire la planification du secteur et inadaptée son ouverture à la concurrence.

A l'issue de cette intervention, M. Bruno Sido, président, a souhaité connaître les raisons qui pouvaient motiver une partie de la population à remettre en cause l'utilisation de l'électronucléaire, dans un contexte devant favoriser le maintien de la croissance économique associé à une forte réduction des GES.

Déclarant que les choix en matière de nucléaire étaient affaire de convictions personnelles au regard de la dangerosité de son développement, M. Pierre Radanne a estimé pour sa part qu'il s'agissait d'une solution à risque et incertaine et que l'opinion publique pourrait se montrer très critique à l'égard de la parole publique en cas d'incident. Jugeant dès lors que la priorité devait être donnée aux solutions sans risques, il a plaidé pour le développement des énergies renouvelables en France, soulignant au surplus que l'utilisation de l'énergie nucléaire ne résolvait pas totalement la question de l'indépendance nationale puisque le pays, ne produisant plus du tout d'uranium, devait donc s'approvisionner en combustible nucléaire à l'étranger.

Jugeant que la comparaison des coûts actuels d'exploitation des différents modes de production d'électricité rendait impossible de se passer rapidement du nucléaire dans l'état actuel de l'économie française, M. Marcel Deneux, rapporteur, a voulu relativiser le problème d'approvisionnement en uranium en faisant remarquer que les pays producteurs de cette matière première ne connaissaient pas de tensions politiques, à la différence des producteurs de pétrole. Puis il a demandé quelles actions concrètes devaient être menées en faveur des économies d'énergie pour obtenir rapidement des premiers résultats tangibles.

Après être convenu des observations du rapporteur quant aux pays producteurs d'uranium et avoir toutefois observé que la question de l'uranium pouvait être posée en ce qui concerne son transport par bateau en temps de guerre, M. Pierre Radanne a proposé, en matière d'économies d'énergie, que les efforts portent sur l'éclairage, l'isolation des bâtiments et l'efficacité énergétique des appareils ménagers, dont la consommation d'électricité pourrait être fortement réduite, comme le prouve l'exemple frappant des réfrigérateurs. Puis, faisant référence au rapport Stern sur les conséquences du réchauffement climatique, il a ensuite observé que, d'ici à 2050, la richesse nationale allait doubler, ce qui devrait permettre, sur la même période, de doubler le coût de l'énergie ou les dépenses d'investissement consacrées aux économies d'énergie sans appauvrir quiconque au niveau individuel.

Revenant sur les origines de la panne du 4 novembre dernier, qui posent la question de la sécurité d'approvisionnement électrique, M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, a soulevé le problème de l'adéquation entre l'offre et la demande et demandé s'il serait possible, dans les années à venir, de créer des capacités de stockage d'électricité. Puis, évoquant un voyage effectué en Charente-Maritime, il s'est étonné du faible développement de la géothermie au niveau national.

Après avoir indiqué qu'à l'exception des barrages hydrauliques, il n'existait à ce jour aucune solution de stockage de l'électricité, M. Pierre Radanne a plaidé pour le renforcement de la géothermie qui, une fois que les technologies seront maîtrisées, constitue une solution de grand avenir, puisqu'elle permet d'accéder à de l'énergie inépuisable. Il a estimé qu'à terme plus rapproché, la cogénération constituait un important progrès en ce qu'elle permettait la modération de la consommation d'électricité et la décentralisation de sa production.

Tout en s'interrogeant sur la complexité que pourrait induire cette décentralisation de l'offre, M. Michel Esneu s'est d'abord inquiété du problème de la régulation. Puis, soulignant l'avantage que pouvait tirer la France de l'étendue de son littoral, il a évoqué les possibilités offertes par l'énergie produite par les vagues et les courants marins, se demandant si cela n'était pas préférable au développement des éoliennes sur l'ensemble du territoire national.

Reconnaissant la double complexité à la fois technologique et organisationnelle du secteur de l'énergie, M. Pierre Radanne a estimé possible de la surmonter par une meilleure gouvernance et un perfectionnement de l'électronique de gestion des systèmes et des réseaux. S'agissant des technologies recourant aux marées ou aux courant marins, il a souligné leur intérêt, mais indiqué qu'elles étaient encore essentiellement au stade de la recherche et de l'expérimentation, sans perspective de développement industriel à court terme.

Enfin, M. Jean-Marc Pastor s'étant interrogé, face au constat des difficultés de coordination au niveau européen, en ce qui concerne tant les réseaux que les normes juridiques, sur la possibilité d'aboutir à une gestion européenne de l'énergie, M. Pierre Radanne a estimé que l'énergie devait être présente dans les traités européens, dès lors qu'elle constituait une véritable communauté de destin. Ajoutant qu'il était nécessaire de renforcer l'interconnexion des réseaux et de mettre en place un régulateur communautaire doté de pouvoirs forts, il a plaidé pour que la France soutienne une politique énergétique européenne.

Audition de M. Pierre Gadonneix, président-directeur général d'Electricité de France SA

La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de M. Pierre Gadonneix, président-directeur général d'Electricité de France.

A titre liminaire, M. Pierre Gadonneix, président-directeur général d'Electricité de France (EDF), a indiqué qu'il n'évoquerait que brièvement la panne européenne d'électricité du 4 novembre 2006, dans la mesure où la mission commune d'information avait déjà entendu M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, et M. André Merlin, président du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE), chacun d'entre eux ayant consacré de larges développements à ce sujet. Il a simplement ajouté que cette panne avait révélé que le système électrique européen s'inscrivait pleinement dans une relation de solidarité entre les différents Etats, que le réseau européen pouvait présenter certaines fragilités et qu'il était nécessaire, d'une part, d'investir massivement dans les années à venir pour renforcer ce réseau et, d'autre part, d'améliorer le système de coordination des différents acteurs.

Puis, décrivant le rôle fondamental que joue EDF pour assurer la sécurité d'approvisionnement électrique en France, il a souligné que le parc de production français était performant, compétitif et diversifié, puisqu'il alliait des moyens de production « de base », avec le nucléaire, fonctionnant tout au long de l'année, des moyens de production en « semi-base », avec les usines thermiques, et des capacités de production « de pointe », avec l'hydraulique, ces deux dernières catégories d'installations présentant une certaine souplesse et étant capables de répondre aux pics de consommation.

Rappelant que le parc de production était le fruit d'investissements massifs effectués dans l'immédiat après-guerre pour les barrages hydroélectriques et dans les années 1970 pour les centrales nucléaires, il a souligné que 95 % de la production électrique française n'émettait aucun gaz à effet de serre (GES), ce qui constitue un atout évident au regard de la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. De la sorte, la France émet six fois moins de dioxyde de carbone (CO2) que la moyenne des pays européens.

Evoquant l'impératif de renforcer la diversification de ce parc de production, M. Pierre Gadonneix, PDG d'EDF, a insisté sur le fait que le potentiel hydroélectrique français constituait une ressource très précieuse pour répondre aux pics de consommation, qui deviennent plus fréquents, comme le montre la très forte croissance des besoins d'électricité en pointe au regard de la consommation totale au cours des dernières années. Il a, à cet égard, salué le rôle important qu'avait joué M. Bruno Sido, en sa qualité de rapporteur, lors de la discussion du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques pour préserver ce potentiel. Il a ajouté que la régulation de la production de base se faisait par l'exportation d'électricité, tandis que les besoins lors des pics de consommation étaient satisfaits grâce à l'importation.

Puis il a précisé que la nécessité d'assurer la sécurité d'approvisionnement impliquait également le renforcement des investissements sur les réseaux de distribution. Avec plus d'un million de kilomètres de lignes électriques, le réseau français est le plus vaste et le plus étendu d'Europe et assure également un niveau de qualité de la fourniture très performant, l'un des plus élevés du continent. Il a toutefois indiqué que des progrès devaient encore être réalisés pour renforcer la sécurité d'approvisionnement de certaines parties de territoire français, comme la région de la Bretagne ou la région de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, plus particulièrement dans la zone de Nice, soulignant la nécessité d'effectuer des investissements importants dans ces deux régions en matière tant de réseaux que de moyens de production décentralisés.

Enfin, il a relevé qu'EDF, au travers de sa filiale chargée du transport, RTE, avait en charge la responsabilité de l'équilibre entre l'offre et la demande, ce qui est une composante fondamentale de la sécurité d'approvisionnement. Il a noté que l'incident du 4 novembre dernier avait démontré qu'une bonne coordination entre les différents acteurs du système électrique était de nature à sécuriser le réseau, puisque la France avait été en mesure de rétablir, en moins d'une heure, la fourniture d'électricité à 5 millions de consommateurs qui en avaient été privés, alors que le système de gestion allemand avait laissé apparaître des défauts de coordination du fait de l'existence de quatre gestionnaires de réseau de transport.

Puis M. Pierre Gadonneix, PDG d'EDF, a abordé la question des investissements. Rappelant tout d'abord que les quinze dernières années en Europe s'étaient caractérisées par une augmentation de la consommation de 30 %, alors que les capacités de production avaient, sur la même période, seulement progressé de 9 %, il a souligné que l'année 2006 s'était traduite par une prise de conscience des opinions publiques, tant sur la nécessité d'investir que sur l'impact des émissions de GES sur le réchauffement climatique. Dans ce contexte, un consensus est en train de naître sur l'obligation de rompre avec un modèle où chaque génération consomme 50 % de plus que la précédente et où 85 % de l'énergie consommée dans le monde n'est pas renouvelable.

Il a ainsi noté que la première des priorités était de développer les politiques de maîtrise de la demande d'énergie et de renforcement de l'efficacité énergétique. Il a indiqué que les politiques commerciales d'EDF s'attachaient à promouvoir ces deux objectifs au travers d'offres permettant de maîtriser la facture du consommateur et de limiter les conséquences environnementales.

Puis il a préconisé le développement d'un bouquet énergétique le moins émetteur possible de GES par l'élargissement du recours aux énergies renouvelables comme l'éolien, le solaire, la biomasse et l'hydraulique, cette dernière source d'énergie ayant un grand avenir, selon lui. Il a toutefois estimé qu'à long terme, le nucléaire et le charbon étaient deux énergies incontournables, les réserves de charbon au niveau mondial étant encore extrêmement abondantes. Constatant cependant que la combustion du charbon était fortement émettrice de CO2, il a indiqué que les progrès pouvant être réalisés dans le domaine de la séquestration de ce gaz conduiraient à un renchérissement de l'électricité produite à partir de cette source.

Enfin, M. Pierre Gadonneix, PDG d'EDF, a relevé que les opinions publiques avaient évolué sur la question du nucléaire, même si l'acceptation de ce moyen de production faisait encore débat dans de nombreux pays. Il a ainsi souligné le rôle important qu'EDF jouait pour la crédibilité de cette énergie dans le monde, rappelant les effets d'entraînement positifs que son développement pouvait avoir sur un grand nombre de secteurs industriels français.

Un large débat a suivi cette intervention.

M. Bruno Sido, président, s'est interrogé sur l'avenir de la géothermie.

M. Marcel Deneux a demandé si la structure financière de la filiale EDF Energies nouvelles allait être modifiée et quels étaient les montants des sommes affectées par EDF à la recherche sur le stockage de l'électricité, d'une part, et sur la captation du CO2, d'autre part.

Citant une interview publiée dans le Figaro du 30 janvier 2007, Mme Nicole Bricq a interrogé le président d'EDF sur sa conception du « bouquet idéal » en matière de production électrique, qui permettrait d'assurer un approvisionnement à la fois fiable et écologiquement vertueux, puis sur les investissements prévus par EDF dans les prochaines années et leur part au regard des résultats de l'entreprise, et enfin sur les hypothèses de croissance de celle-ci, dans un modèle privilégiant compétitivité économique et développement durable.

Evoquant des commentaires émanant de la Commission européenne sur le non-respect par la France des principes de la concurrence dans le secteur de l'énergie promus par les directives de 2003, M. Henri Revol a souhaité savoir si l'objet de cette mise en cause était l'insuffisance de concurrence pour l'accès aux réseaux.

Rappelant que l'énergie électrique a comme spécificité qu'elle ne peut être stockée, M. Jacques Valade a demandé si des sites nouveaux pouvaient encore être équipés en centrales hydrauliques et si des méthodes innovantes, comme la production marémotrice, ouvraient des perspectives intéressantes.

M. Gérard Longuet s'est interrogé sur l'évolution des relations entre EDF et RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité.

En réponse à ces intervenants, M. Pierre Gadonneix, PDG d'EDF, a apporté les précisions suivantes :

- s'agissant de la politique de recherche, EDF y consacre un million d'euros par jour, ce qui constitue l'effort le plus important de toutes les entreprises de production d'électricité dans le monde. Ces recherches visent à la fois à améliorer les techniques existantes et à explorer de nouvelles pistes. S'il n'y a pas de projet nouveau en matière d'énergie marémotrice, les hydroliennes, qui utilisent les courants marins, sont un sujet de recherche pour EDF. En matière de géothermie, si une opération pilote est en cours d'observation à Soultz-sous-Forêts, il apparaît pour l'instant que son apport potentiel est faible à moyen terme ;

- sur la question du « bouquet idéal », un consensus mondial se dégage sur un panachage d'économies d'énergie, de développement des énergies renouvelables et d'investissements supplémentaires. De ce point de vue, le groupe EDF, notamment avec EDF Energies nouvelles, sa filiale consacrée aux énergies innovantes, est bien placé pour répondre au double défi de la sécurité d'approvisionnement et de la baisse des émissions de CO2 ;

- concernant les économies d'énergie, qu'il est indispensable de développer, les investissements initiaux sont élevés et pour l'instant non rentables sans incitation publique, à l'exception des dépenses en matière d'isolation des logements anciens, dont les coûts sont proches de l'équilibre ;

- s'agissant des énergies renouvelables, elles recèlent un réel potentiel, mais se heurtent toujours à des problèmes de compétitivité. Ténésol, filiale à 50 % d'EDF, qui est un des leaders mondiaux dans la production de panneaux photovoltaïques, produit ainsi de l'électricité à un coût cinq à dix fois supérieur au prix du marché. Le prix de l'énergie éolienne est, quant à lui, supérieur de 50 à 80 % au coût du marché et n'est disponible que ponctuellement (les éoliennes ne fonctionnent en moyenne qu'entre le tiers et le quart du temps), ce qui contribue à l'instabilité du réseau. Telle est d'ailleurs la raison pour laquelle celui-ci ne peut pas oeuvrer de manière stable si plus de 10 % de l'énergie est d'origine éolienne ;

- reste que la France présente un potentiel important de développement en matière d'énergie éolienne, le parc global produisant en 2006 seulement 1 500 mégawatts (MW), contre 20 000 MW en Allemagne. Aussi EDF Energies nouvelles va investir 3 milliards d'euros dans ce domaine et l'horizon de production éolienne est supérieur à 10 000 MW pour l'ensemble du réseau français d'ici à 2015 ;

- l'électricité d'origine hydraulique est un apport fondamental, notamment en période de pointe (le taux de croissance des besoins en pointe est d'ailleurs deux fois supérieur au taux de croissance des besoins moyens), mais 95 % du potentiel français est aujourd'hui exploité ;

- s'agissant du programme d'investissements d'EDF, les sommes investies ont presque doublé de la période 2003-2005 à la période 2007-2009, passant de 8,8 milliards à plus de 16 milliards d'euros, avec un effort particulier en matière de production, à hauteur de 7,2 milliards d'euros, contre 1,5 milliard d'euros précédemment. Sur les 1 000 MW de production supplémentaire annuelle des cinq prochaines années, deux tiers seront d'origine thermique et éolienne et un tiers d'origine nucléaire, avec le réacteur EPR de Flamanville. Concernant les réseaux de distribution et de transport, les efforts d'investissement augmenteront respectivement de 30 % et 40 % ;

- l'amélioration des capacités de financement d'EDF résulte de l'augmentation de son capital, de la cession d'actifs et de l'amélioration de la productivité de l'entreprise. Ainsi, EDF a retrouvé des marges financières qui autorisent notamment l'importante reprise de ses investissements, et qui lui permettraient éventuellement de mener des opérations de croissance externe, qui seraient en tout état de cause conditionnées aux critères suivants : la rentabilité de l'opération, son insertion dans la stratégie industrielle d'EDF et l'absence d'hostilité de la part des autorités du pays d'origine de l'entreprise dont l'acquisition serait envisagée. Toutefois, EDF n'a pas d'objectif précis en la matière, ayant même formellement démenti ces jours-ci un projet d'offre publique d'achat sur Iberdrola qui lui était prêté.

En ce qui concerne plus particulièrement la politique de l'Union européenne, M. Pierre Gadonneix, PDG d'EDF, a indiqué :

- que le « Paquet Energie » présenté par la Commission européenne le 10 janvier dernier, fondé sur les objectifs de soutien à l'investissement, de promotion des interconnexions européennes, de renforcement de la concurrence et de baisse des émissions de CO2, paraissait positif ;

- que les critiques adressées à la France quant à l'organisation de son secteur énergétique s'inscrivaient dans le cadre traditionnel de la prééminence accordée par la Commission européenne à la politique de la concurrence ;

- que, bien que l'opérateur historique soit propriétaire à 100 % de RTE (situation qui permet au demeurant à EDF d'avoir une structure financière plus forte), la France était néanmoins considérée comme une référence en matière de régulation et d'accès équitable et transparent au réseau de transport d'électricité ;

- que les critiques de la Commission portaient plutôt sur l'existence des tarifs d'électricité, dont le niveau est fixé par les autorités ;

- qu'en tout état de cause, le passage d'un système de prix administrés à un marché concurrentiel total prenait du temps, comme l'avait du reste démontré l'exemple britannique ;

- qu'il ne semblait pas opportun d'imposer des quotas par types d'énergie en Europe, dans la mesure où les Etats membres ont des traditions différentes (utilisation du charbon en Allemagne, du gaz en Angleterre et du nucléaire en France) et que les bouquets énergétiques optimum peuvent donc se distinguer les uns des autres ;

- que tous les pays doivent toutefois être encouragés à investir en capacités de production et de transport et à baisser leurs émissions de CO2, la non-prise en compte des énergies hydrauliques et nucléaires, qui n'émettent aucun GES, dans l'attribution des quotas d'émissions de CO2, apparaissant à ce titre anormale ;

- qu'en dépit des recherches approfondies menées en matière de capture du CO2, aucun procédé ne deviendra compétitif avant 2025-2030, alors même que des pays comme l'Inde et la Chine axent leur développement sur les centrales thermiques à charbon, extrêmement polluantes.

Puis M. Michel Esneu s'est interrogé sur l'acceptabilité du nucléaire par l'opinion publique française. En outre, relevant que son utilisation massive en France permettait d'assurer, au sein de la population, un sentiment de sécurité en matière de continuité de l'approvisionnement, il s'est demandé si, au regard des filières de commercialisation de l'uranium, cette sécurité était véritablement assurée, notamment en cas de conflit.

M. René Beaumont a demandé des précisions sur les échanges d'électricité entre la France et les pays voisins et sur les conditions de la régulation entre l'offre et la demande, notamment pendant les périodes de pointe de consommation. Puis, relevant que la mise en place d'un consortium d'achat, avec la création d'Exeltium, pour assurer les besoins en électricité des consommateurs électro-intensifs avait permis d'apporter un début de réponse aux problèmes rencontrés par ces industriels, il a demandé des précisions sur la mise en oeuvre du tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (TRTAM), créé par la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie, insistant notamment sur les attentes d'un grand nombre d'entreprises vis-à-vis de ce mécanisme.

Faisant état d'informations de presse affirmant que le prix de marché du mégawatt/heure (MWh) était plus élevé en France qu'en Allemagne, M. Bruno Sido, président, a demandé si le recours massif au nucléaire en France ne devrait pas normalement conduire à la situation inverse.

M. Jean-Paul Amoudry a demandé quels étaient les effets, sur le potentiel hydroélectrique français, de la fonte des glaciers en montagne et si l'entreprise prenait en compte cette donnée dans sa stratégie à long terme, avant de souhaiter obtenir des précisions sur la répartition des efforts d'investissement d'EDF dans les réseaux de distribution, notamment entre les secteurs urbains et ruraux.

En réponse, M. Philippe Huet, directeur de l'optimisation amont-aval et du trading à EDF, a apporté les éléments d'information suivants :

- EDF bénéficie de contrats à long terme pour son approvisionnement en uranium, matière première dont les principaux pays producteurs (Canada, Australie ou Afrique du Sud) présentent une stabilité sur le plan politique, et dont les stocks en France représentent environ deux à trois années de production d'électricité ;

- les pays européens connaissent des pics de consommation d'électricité à des moments différents de l'année (à titre d'exemple, l'Allemagne consomme massivement de l'électricité en décembre et la France en janvier, alors que l'Italie et l'Espagne sont fortement consommateurs en été), de sorte que les échanges internationaux d'électricité sont économiquement rentables pour chacun ;

- les échanges aux frontières entre producteurs sont par ailleurs motivés par le fait que les capacités de production nationales peuvent, à certaines périodes de l'année, être moins compétitives que l'offre disponible dans un pays voisin, le recours à des importations d'électricité en substitution à la production nationale étant du reste favorisé par l'émergence d'un marché européen de l'électricité ;

- la France doit trouver le bon équilibre entre la demande de la Commission européenne de mettre fin au système tarifaire dans le domaine de l'électricité et les demandes des consommateurs de bénéficier d'une électricité à bas prix ;

- la création du consortium Exeltium a permis de bâtir un mécanisme intelligent, au terme duquel les industriels bénéficient d'une visibilité à long terme quant à leur fourniture électrique à un prix fixé à l'avance, et grâce auquel EDF n'assume pas seul le risque d'investissement dans de nouvelles capacités de production ;

- face à la hausse des prix de l'électricité sur les marchés, la loi du 7 décembre 2006 a prévu la création du TRTAM afin de permettre à des consommateurs professionnels ayant fait le choix de la concurrence de demander à leur fournisseur (« exercice de l'éligibilité »), avant le 1er juillet 2007, de bénéficier de ce tarif pour leur fourniture électrique pendant deux ans. Le niveau du TRTAM ne peut être supérieur de plus de 25 % au tarif réglementé de vente hors taxes applicable à un site de consommation présentant les mêmes caractéristiques, l'arrêté du 3 janvier 2007 ayant fixé différents niveaux en fonction du tarif réglementé dont aurait bénéficié le consommateur s'il n'avait pas exercé son éligibilité. La loi a prévu qu'un bilan de ce mécanisme serait présenté à l'issue de cette période transitoire de deux années ;

- par ailleurs, pour les fournisseurs offrant le TRTAM et établissant ne pouvoir produire ou acquérir les quantités d'électricité correspondantes à un prix inférieur à la part correspondant à la fourniture de ces tarifs, la loi a instauré un mécanisme de compensation couvrant la différence entre le coût de revient de leur production ou le prix auquel ils se fournissent, pris en compte dans la limite d'un plafond, et les recettes correspondant à la fourniture de ces tarifs. Le financement de cette compensation repose sur les producteurs hydrauliques et nucléaires français, en l'occurrence EDF et Suez, et, pour partie, sur les charges de service public de l'électricité (CSPE) ;

- depuis six mois, le marché de l'électricité a retrouvé un certain équilibre et les prix français, redevenus inférieurs aux prix allemands, de l'ordre de 3 à 3,5 euros du MWh, reflètent désormais correctement l'avantage compétitif résultant du recours au nucléaire ;

- EDF surveille avec une grande attention le niveau des réserves hydrauliques en France, notamment l'évolution du manteau neigeux dans les zones de montagne. Un grand nombre de pays, au nombre desquels la Suisse, seraient touchés par la fonte des glaciers. Toutefois, ce processus de long terme ne donne pas encore lieu à des observations probantes permettant d'en tirer des conclusions stratégiques de long terme. Par ailleurs, si les réserves hydrauliques françaises ont été particulièrement affectées par les dernières années de sécheresse, elles sont en cours de reconstitution aujourd'hui.

En réponse, M. Michel Francony, directeur général adjoint chargé du secteur régulé à EDF, a indiqué que les activités d'EDF dans le secteur de la distribution étaient couvertes par le contrat de service public signé par l'entreprise avec l'Etat. Il a ainsi souligné que les investissements dans le secteur de la distribution, pour les réseaux gérés directement par EDF, avaient augmenté de 6 % en 2006 et qu'une nouvelle hausse de même ampleur était prévue en 2007, soit un montant total supplémentaire de 100 millions d'euros en deux ans. Il a relevé que les priorités de l'entreprise étaient de sécuriser le réseau face aux aléas climatiques, notamment en cas de tempête, d'inondation ou de canicule, d'assurer la sécurité des personnes et de limiter les atteintes à l'environnement. En outre, les efforts d'EDF dans ce domaine ont été accompagnés par une politique de soutien mise en oeuvre par le fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACE).

Il a ajouté qu'au-delà des objectifs fixés par le contrat de service public, EDF entendait poursuivre cette politique en 2008 et en 2009. Au demeurant, les incitations à investir dans les secteurs du transport et de la distribution sont tout à fait satisfaisantes, dans la mesure où la Commission de régulation de l'énergie (CRE) fixe à 7,25 % le taux de rentabilité des investissements réalisés. Les efforts qu'EDF consent dans ce domaine semblent ainsi démontrer que l'analyse de la Commission européenne, qui considère que les incitations à investir sont insuffisantes, est inexacte.

Puis, en réponse à M. Marcel Deneux qui l'interrogeait sur l'intérêt pour un groupe soumis à la pression de ses actionnaires d'investir pour un tel taux de rentabilité, M. Michel Francony, directeur général adjoint chargé du secteur régulé, a répondu que les résultats de l'opérateur du réseau de transport d'électricité belge, Elia, dont une partie du capital est placée sur les marchés financiers, démontraient tout l'intérêt de ce type de placement.