MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LA SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT ÉLECTRIQUE DE LA FRANCE ET LES MOYENS DE LA PRÉSERVER

Mercredi 16 mai 2007

- Présidence de M. Bruno Sido, président.

Audition de MM. Franck Roubanovitch, président du Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité (CLEEE), et Roland Gérard, directeur technique de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV)

La mission commune d'information a tout d'abord procédé à l'audition de MM. Franck Roubanovitch, président du Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité (CLEEE), et Roland Gérard, directeur technique de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV).

Après avoir rappelé que le Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité (CLEEE), crée en mai 2006 dans une situation d'urgence face à l'augmentation spectaculaire des prix de l'électricité, représente des sociétés relevant de secteurs d'activité très variés (hôtellerie, automobile, construction, agroalimentaire, papeterie...) qui, sans être des entreprises électro-intensives, sont cependant fortement consommatrices d'électricité, M. Franck Roubanovitch, président du CLEEE, a précisé que ce comité avait pour objectif d'obtenir un « juste » prix de l'électricité, c'est-à-dire un prix raisonnablement stable et prévisible, et corrélé aux coûts de production de cette commodité.

Pour illustrer les difficultés rencontrées par les adhérents du CLEEE, M. Roland Gérard, directeur technique de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV), a pris l'exemple de la filière automobile. Représentant 500 000 emplois directs en France, consommant 7,4 térawattheures d'électricité par an et directement exposée à une féroce concurrence internationale, notamment asiatique, cette filière a été fortement perturbée par la hausse brutale et imprévue du prix de marché de l'électricité ; en particulier, les équipementiers, faute d'être en mesure de répercuter cette augmentation sur leurs clients, les constructeurs, ont été contraints de réduire leur marge, parfois à zéro.

Ajoutant que les autres secteurs d'activité, tels la papeterie, avaient été soumis aux mêmes difficultés et faisant état des risques de délocalisations induits, M. Franck Roubanovitch, président du CLEEE, s'est félicité de l'institution du tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (« TaRTAM »), qu'il a jugée indispensable. Puis, exprimant de fortes réserves quant à l'impact positif de l'ouverture du marché de l'électricité, il a observé que si les fournisseurs avaient été très actifs pour démarcher les entreprises, celles qui exercent leur éligibilité se trouvent dans une situation extrêmement négative, qui n'a pas été prévue, faute d'une correcte information, caractérisée par l'impossibilité de pouvoir revenir au tarif une fois l'éligibilité exercée, les distorsions du marché sur un même site, l'augmentation des prix alors que la concurrence aurait dû conduire à leur diminution, la perte de prévisibilité sur ces prix, qui pèse sur les investissements, et enfin la perte de réactivité et de qualité de service des fournisseurs, y compris EDF, dans la maintenance et les réparations. Stigmatisant l'alignement des prix de tous les fournisseurs sur ceux de la bourse Powernext, quelque soit le volume en transaction, il a également regretté la quasi-absence d'offre de contrats long terme, ou la limitation de leur durée à deux ou trois ans assortie de conditions de sortie très pénalisantes, et signalé que les appels d'offre internationaux ne changent pas la donne. Aussi a-t-il mis en garde contre l'ouverture du marché de la fourniture d'électricité aux particuliers qui risquent, selon lui, d'être « piégés » comme l'ont été les industriels. A cet égard, il a observé que si, d'après l'enquête réalisée par la Commission de régulation de l'électricité (CRE) en novembre 2006, seulement 10 % des entreprises considèrent que l'ouverture du marché n'a pas eu d'effets positifs, la grande majorité des entreprises est toutefois sagement restée au tarif régulé.

Puis, qualifiant d'absurde le fonctionnement du marché de l'électricité, M. Franck Roubanovitch a dénoncé le mécanisme de formation des prix qui, assis sur le coût marginal du dernier kilowattheure produit, a un effet inflationniste et ne satisfait, selon lui, à aucune rationalité économique, puisqu'il fait dépendre les prix de long terme du « stress » de court terme. Se référant aux récentes conclusions de l'enquête menée par la Commission européenne, qui a constaté que les résultats de l'ouverture des marchés ont été fortement différents de ceux attendus, il a également pointé le comportement oligopolistique des producteurs qui, pour favoriser une hausse artificielle des prix, ne mettent pas toujours tous leurs moyens en oeuvre, et des fournisseurs, dont il a souligné l'extraordinaire croissance des marges depuis dix ans, tant en France pour EDF que dans les autres pays européens. Il a également stigmatisé les dérives du marché des droits à émission de CO2, observant que certaines entreprises ont indûment facturé à leur clients des droits qui leur avaient été fournis gratuitement, et l'absence de transparence des prix pratiqués par EDF, prenant pour exemple le prix anticipé de l'électricité qui sera produite par l'EPR de Flamanville ou la croissance inexpliquée de 50 % du prix de marché de l'électricité produite aux heures « de base », c'est-à-dire par la filière nucléaire. Pour souligner le caractère largement artificiel du prix de l'électricité, il a fait observer que la seule mise en oeuvre du TaRTAM a conduit, immédiatement et toutes choses égales par ailleurs, à ce que le prix moyen du marché en France, qui était de 2 euros supérieur au prix allemand, lui soit dorénavant inférieur de 3,50 euros.

Indiquant que la majorité des adhérents du CLEEE allaient opter pour ce tarif, dont le niveau est situé à mi-chemin entre le prix réglementé et les prix de marché, M. Franck Roubanovitch a salué la récente publication du décret instituant le mécanisme de compensation des charges, tout en regrettant que le TaRTAM n'encourage pas suffisamment, faute de le valoriser correctement, l'effacement des gros consommateurs les jours ou périodes de pointe. Pour souligner toutefois l'intérêt de ce mécanisme, il a indiqué que les autres stratégies de réaction à l'augmentation imprévue des prix sont soit inadaptées, l'achat d'électricité dans un cadre similaire à celui d'Exeltium n'étant possible que pour les entreprises électro-intensives, soit inefficaces, la solution du groupement d'achat n'ayant par exemple donné aucun résultat satisfaisant pour les établissements d'Accor. Enfin, il a estimé que le caractère théoriquement vertueux de l'augmentation du prix de l'électricité sur le comportement des consommateurs ne peut réellement l'être que si cette augmentation est lissée et régulée, et non erratique et brutale, et qu'en tout état de cause, elle ne doit pas constituer un simple transfert de richesses des consommateurs vers les producteurs.

A cet égard, pour illustrer l'intérêt grandissant des consommateurs pour l'efficacité énergétique, M. Roland Gérard, directeur technique de la FIEV, a cité le protocole RESEDA, signé en 2005 entre les équipementiers automobiles et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), pour réduire, à la suite d'un diagnostic énergétique réalisé par cette agence, les émissions de gaz à effet de serre (GES). Il a ainsi indiqué que 25 % des adhérents de la FIEV ont bénéficié de cette opération, qui a permis d'économiser en moyenne, sur chaque site concerné, 327 mégawattheures d'électricité par an, 3,7 % de la consommation d'énergie et quelque 11.000 tonnes de CO2, résultats qui justifient le lancement prochain de la seconde phase de l'opération, baptisée RESEDA II.

Puis, observant la situation à l'étranger, M. Franck Roubanovitch, président du CLEEE, a estimé que la libéralisation du marché de l'électricité n'a fonctionné nulle part, pas même dans des pays culturellement libéraux comme le Canada ou les Etats-Unis, qui en ont été déçus, et qu'aucune amélioration n'a été apportée en France ou dans les autres pays européens depuis la mise en oeuvre du processus au niveau communautaire. Estimant indispensable de fortement réguler le marché, il a exposé le dispositif en vigueur au Québec, où l'autorité de régulation fixe le prix, dit « patrimonial », de l'hydroélectricité, qui assure une grande partie de la fourniture d'électricité en base de la province, et détermine le prix des autres productions, de semi-base et de pointe, résultant du fonctionnement du marché assuré par des appels d'offre, la combinaison de ces deux mécanismes permettant de déterminer le tarif de l'électricité vendue au consommateur, qui n'a ainsi augmenté que de 14 % en huit ans. Après avoir fait valoir que l'inefficacité du marché européen est démontrée par la convergence des prix nationaux à la hausse, alors que les bouquets des Etats membres sont si différents, il s'est par ailleurs interrogé sur la contradiction majeure du système mis en place qui, alors qu'il prétend introduire plus de concurrence pour favoriser les entrants, conduit en fait à la multiplication des fusions entre les opérateurs devant rapidement aboutir à un oligopole de quelques très grands acteurs sur l'ensemble du marché communautaire.

Pour conclure, il a indiqué que le CLEEE est favorable au maintien d'un tarif réglementé, qui pourrait être progressivement réévalué, pour autant que cela se fasse dans un cadre régulé et en fonction des coûts réels de production de l'électricité, qui doivent tenir compte en France de l'importance de la filière nucléaire pour répondre aux besoins de base.

M. Bruno Sido, président, ayant demandé pour quelles raisons les mécanismes du marché ne fonctionnaient pas dans le cas de l'électricité, M. Franck Roubanovitch et Roland Gérard ont mis en avant trois motifs principaux : l'inélasticité de la demande à l'évolution du prix, en raison de la trop faible marge d'action des consommateurs sur leur consommation et de l'absence de possibilité de stockage ; la faible concurrence résultant de l'importance des coûts d'entrée sur ce marché, qui limite le nombre des acteurs et crée des situations oligopolistiques favorisant des prix élevés ; un effet de ciseau, qui pèse lui aussi sur les prix, entre la croissance régulière de la demande d'électricité, dont le rythme annuel est d'environ 2 % par an depuis dix ans, et la stagnation, voire la réduction, des capacités de production.

Puis M. Bruno Sido, président, observant que les signaux de prix sont en théorie de bons indicateurs du marché, a demandé dans quelle mesure un taux de marge de 10 % pour EDF peut apparaître injustifié par rapport aux entreprises du même secteur, comme Total, ou d'autres secteurs, comme Accor. Reconnaissant que le signal-prix est nécessaire à la réalisation des investissements pour le futur, M. Franck Roubanovitch, président du CLEEE, a répondu que ce n'était pas la marge de 10 % qui était injustifiée, mais le fait qu'elle résulte d'une déconnexion manifeste entre le coût de revient du producteur et le prix acquitté par les consommateurs, observant au passage que le TaRTAM est encore supérieur de 23 % au tarif, alors même que les coûts étaient strictement identiques pour le producteur.

M. Marcel Deneux, rapporteur, après s'être étonné de la tonalité des interventions de ses interlocuteurs et de leurs critiques du fonctionnement d'un marché qui ne fait que suivre des lois bien connues de tous et qu'il est surprenant que les entreprises du CLEEE n'aient pas anticipées, a demandé quelle part représente l'électricité dans les coûts de production de ces entreprises. M. Franck Roubanovitch a tout d'abord relevé que l'expérience de nombreux Etats des Etats-Unis d'Amérique démontre que les anticipations ne sont pas toujours exactes et que le marché de l'électricité nécessite une forte régulation, avant d'indiquer qu'en dépit des différences selon les secteurs concernés, l'énergie représente souvent le premier poste de dépense hors salaires des adhérents du CLEEE (1 à 2 % dans la distribution, 4 à 5 % dans l'hôtellerie, et jusqu'à 10 % et plus dans la papeterie).

Enfin, à M. Jean-Marc Pastor, rapporteur, qui concluait que la présente audition semble confirmer que la libéralisation totale n'est pas adaptée à tous les secteurs, M. Roland Gérard, directeur technique de la FIEV, a précisé que la filière automobile française est totalement engagée dans un environnement concurrentiel et libéralisé, extrêmement rude au demeurant en ce qui concerne les pays d'Asie, mais qu'elle ne pourrait pas préserver sa compétitivité, malgré un effort constant sur la qualité de ses produits, en subissant à la fois une concurrence sur le coût de la main d'oeuvre et une dégradation de son avantage comparatif sur celui de l'énergie.

Auditions de MM. Gérard Vincent, président de l'Union nationale des entreprises locales d'électricité et de gaz (UNELEG), et Gérard Lefranc, vice-président de la Fédération nationale des sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité (FNSICAE)

La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de MM. Gérard Vincent, président de l'Union nationale des entreprises locales d'électricité et de gaz (UNELEG), et Gérard Lefranc, vice-président de la Fédération nationale des sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité (FNSICAE).

Présentant tout d'abord le syndicat professionnel d'entreprises locales de distribution d'électricité ou de gaz créé après l'adoption de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, M. Gérard Vincent, président de l'UNELEG, a précisé que cette union groupe 75 entreprises qui, bien que de forme juridique différente (régies, sociétés d'économie mixte, sociétés d'intérêt collectif agricole d'électricité et une société anonyme à Strasbourg), sont gestionnaires d'une partie du réseau de distribution électrique, fournisseurs d'électricité au tarif ou avec des prix libres, et pour certaines, productrices. Employant 3 500 agents, ces entreprises desservent trois millions d'habitants, gèrent 55 000 kilomètres de réseau, distribuent 17 térawattheures (TWh) d'électricité et produisent 300 mégawatts (MW) chaque année. L'UNELEG est l'un des membres fondateurs de l'Union française de l'électricité (UFE) et appartient à la Confédération européenne des distributeurs d'énergie publics communaux (CEDEC).

M. Gérard Vincent a ensuite fait part de la perplexité et des inquiétudes des gestionnaires des entreprises locales de distribution (ELD) d'électricité suscitées, dès 1986, par les projets d'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité et liées notamment à la distinction entre les activités de distribution et de fourniture, qui étaient assurées jusqu'à présent par le même opérateur. Il a estimé que cette perspective introduit une forte complexité dans l'organisation du système électrique et fait peser un risque d'insécurité d'autant plus important sur le réseau que les systèmes électriques des différents pays européens sont très hétérogènes et que les lieux de production et de consommation sont de plus en plus différents, ce qui provoque des congestions sur le réseau. S'il a souligné, dans ce contexte, le grand intérêt de la programmation pluriannuelle des investissements (PPI), il a toutefois relevé que l'organisation du réseau dépend de ses gestionnaires, dont les décisions sont en dernière analyse commandées par le tarif d'utilisation du réseau public de distribution d'électricité (TURP). A cet égard, il a considéré que ce tarif n'est désormais plus adapté à l'évolution des réseaux et mérite d'être réévalué pour permettre les investissements nécessaires à la satisfaction de la clientèle.

Puis M. Gérard Lefranc, vice-président de la FNSICAE, observant que la qualité des interconnexions est essentielle pour assurer la sécurité énergétique, a affirmé que les ouvrages sont globalement vulnérables, indiquant que si les coupures d'électricité belge de 1999, italienne de 2003 et allemande de 2006 ont des causes différentes, elles sont toutes liées à des problèmes de réseau. Rappelant que les lois de la physique sont différentes des flux de marché, il s'est alors interrogé sur la pertinence de la tendance actuelle à examiner les investissements dans les interconnexions sous l'aspect « création du marché européen », et non plus comme un moyen d'assurer la sécurité des réseaux. Soulignant, en outre, que la production décentralisée de forte puissance se développe sur les réseaux de distribution, en raison notamment de l'obligation d'achat de la production issue de zones de développement de l'éolien (ZDE), il a insisté sur l'importance de sécuriser rapidement les liaisons entre les réseaux de transport et de distribution, d'alléger les procédures administratives de construction des ouvrages et, enfin, de favoriser une gestion coordonnée entre Réseau de transport d'électricité (RTE), les gestionnaires des réseaux de distribution (GRD) et les producteurs pour optimiser les capacités des réseaux de distribution qui, à l'avenir, fonctionneront de plus en plus à la fois en soutirage et en injection. A cet égard, afin que les augmentations de capacité ne se traduisent pas par des situations plus altérées en cas d'incident, il a insisté sur la nécessité d'assurer le financement, soit par le tarif, soit par des contrats annexes, de nouvelles missions conférées au GRD : l'observation des productions raccordées en « haute tension A » (HTA) et la sécurisation des raccordements. Il a en outre proposé qu'une réflexion soit menée sur l'insertion de clauses de service public relatives à la sécurité dans les contrats d'obligation d'achat d'électricité et sur le renforcement des normes techniques permettant que les éoliennes ne se désolidarisent pas trop rapidement du réseau en cas de chute de tension.

Estimant par ailleurs que, pour assurer la sécurité énergétique, la maîtrise de la demande d'électricité (MDE) constitue un complément indispensable aux nouveaux investissements de production, M. Gérard Lefranc a préconisé que la tarification de l'utilisation des réseaux incite les consommateurs à réduire leur demande, que les pénalités liées aux certificats blancs soient affectées à la maîtrise de la demande d'électricité, et non versées au budget de l'Etat, et que les gestionnaires de réseaux soient des acteurs de la politique d'économie d'énergie eu égard à leur connaissance du terrain, à leurs relations privilégiées avec les collectivités territoriales et à leur maîtrise des moyens de télé-actions permettant des délestages individuels ou sélectifs par usage.

S'agissant de la panne du 4 novembre 2006, il a estimé exemplaire l'attitude de la France, de RTE et d'EDF et, soulignant l'inégale répartition des délestages selon les zones desservies par les GRD, recommandé une amélioration des plans particuliers ORSEC dits « Electrosecours », un retour d'expérience programmé entre RTE et les GRD, une coordination entre RTE, EDF-Réseau de distribution et les ELD s'agissant des besoins prioritaires, et enfin la définition de responsabilités individuelles lors des incidents de grande ampleur. S'opposant à l'approche de la Commission de régulation de l'électricité (CRE), qui considère que les GRD sont des utilisateurs du réseau à l'instar des consommateurs et des producteurs, M. Gérard Lefranc a ensuite fait part de son souhait que les prochaines évolutions réglementaires et tarifaires donnent aux GRD-ELD des ressources leur permettant d'assurer leurs nouvelles missions dans la gestion coordonnée du réseau, de pérenniser le financement des investissements dans le réseau existant et d'encourager le développement de nouvelles interconnexions, ainsi que de favoriser la prise en compte des caractéristiques locales des réseaux. De même, il a fait part de son désaccord avec la position de la Commission européenne sur la séparation patrimoniale des GRD et l'extension de la séparation juridique aux ELD desservant moins de 100 000 clients. Pour lui les risques d'atteinte à la concurrence ne sont pas avérés, la notion de distribution en France étant différente de celle des autres Etats membres et les collectivités territoriales assurant le contrôle du GRD. Il a relevé que les conséquences d'une telle évolution consisteraient en une moindre efficacité et une réduction des capacités financières des GRD, en raison de la hausse de leurs charges administratives et de la baisse concomitante de leurs investissements sur les réseaux.

M. Marcel Deneux, rapporteur, a souhaité connaître la position des intervenants en matière d'enfouissement des réseaux et de délestages individuels sélectifs permettant de réduire la consommation. Indiquant que le taux d'enfouissement des lignes était élevé dans les zones gérées par les ELD (65 % des réseaux, dont 86 % en moyenne tension et 57 % en basse tension), M. Gérard Vincent, président de l'UNELEG, a expliqué cette situation par la proximité desdites ELD avec les collectivités territoriales, qui ajoutait aux contraintes de sécurité la prise en compte de préoccupation esthétiques, et par l'affectation des excédents dégagés par la gestion du réseau aux investissements dans la zone de desserte. Il a néanmoins reconnu que, selon les zones, il était plus ou moins aisé de procéder à l'enfouissement des lignes. Si les réparations des réseaux souterrains sont moins nombreuses que sur les lignes aériennes, elles sont cependant plus longues ; les lignes enfouies sont très vulnérables aux incidents survenant lors de travaux de voirie.

S'agissant des délestages, M. Gérard Lefranc, vice-président de la FNSICAE, a indiqué que les nouveaux types de compteurs présentent des fonctionnalités de sélection à distance permettant effectivement d'agir sur la consommation des particuliers. Par ailleurs, aux interrogations de M. Bruno Sido, président, sur la possibilité de conserver le signal tarifaire à partir du 1er juillet 2007, il a répondu que les flux de comptage sont des informations sensibles qui ne seraient accessibles qu'au fournisseur, mais que le tarif de nuit, ainsi que le télédélestage pour des besoins de sécurité, resteraient des fonctionnalités ouvertes.

A la question de M. Marcel Deneux, rapporteur, sur les conséquences des perturbations provoquées par les éoliennes sur les réseaux, MM. Gérard Vincent et Gérard Lefranc ont répondu que le raccordement des éoliennes sur les réseaux de distribution pouvait effectivement créer des difficultés dès lors que ces réseaux ne sont pas configurés pour supporter des injections de charges, ni pour faire « remonter » celles-ci dans le réseau de transport. Aussi ont-ils préconisé que des ouvrages dédiés en injection, éventuellement préfinancés par le producteur en coordination avec RTE, soient mis en place à proximité des sources décentralisées de production d'électricité bénéficiant de l'obligation d'achat et situées dans des zones où la consommation est faible.

Enfin, M. Daniel Raoul a ironisé sur le caractère aléatoire de l'apport de l'électricité d'origine éolienne aux capacités de production ainsi que sur son effet négatif quant à la solidarité électrique, puisque les éoliennes se déconnectent rapidement en cas de variation de la fréquence du réseau, demandant s'il ne faudrait pas obligatoirement associer une centrale thermique à chaque ferme éolienne pour garantir son apport au système électrique. Sur ce point, M. Gérard Lefranc, vice-président de la FNSICAE, a rappelé la suggestion de l'UNELEG d'assortir de missions de service public les contrats d'obligations d'achat.

Audition de M. Jean-Michel Glachant, professeur en sciences économiques à l'université Paris XI

Puis la mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Jean-Michel Glachant, professeur en sciences économiques à l'université Paris XI.

M. Jean-Michel Glachant a tout d'abord rappelé les contraintes spécifiques du marché de l'électricité, s'agissant d'un bien non stockable, nécessitant des capacités de production construites à l'avance, devant être acheminé à tout instant par des réseaux de transport et de distribution et qui est consommé de façon très irrégulière dans le temps. Puis il a relevé que, depuis trente ans, la France est approvisionnée en électricité de façon stable et sûre du fait de ses surcapacités de production, en particulier nucléaires, qu'il a estimées à 10 gigawatt (GW), et de la robustesse des réseaux français, dont il a souligné que la forte connexion avec ceux des pays voisins permettait à notre pays d'importer et d'exporter de l'électricité.

M. Jean-Michel Glachant a ensuite évoqué les inquiétudes que pouvaient susciter les « crises de libéralisation » survenues dans d'autres pays à la veille de l'ouverture totale des marchés de l'électricité et du gaz en Europe. Il est ainsi revenu sur la crise californienne du début des années 2000, expliquant qu'elle avait pour origine la divergence entre les prix du marché de détail, sur lequel le régulateur californien (la Commission californienne des équipements collectifs publics - CPUC) avait autorité, et ceux du marché de gros, relevant du régulateur fédéral (la Commission fédérale de régulation de l'énergie - FERC). Le manque de coopération persistant entre ces deux régulateurs a fait durer ce hiatus des prix jusqu'à entraîner la faillite des fournisseurs californiens. Il a déclaré qu'il s'agissait donc d'une « crise d'autorité » incombant principalement à l'échelon fédéral. Puis il a rappelé la retentissante faillite du courtier d'énergie texan Enron en 2001, indiquant que cette société avait pu créer un « marché virtuel », totalement déconnecté de la réalité physique, à cause la sous-réglementation qui prévalait aux Etats-Unis à l'époque. Il a souligné que l'autorité politique avait tiré les conséquences de ces échecs, le président des Etats-Unis, M. George W. Bush, ayant obtenu en 2002 le remplacement du président de la FERC par celui du régulateur texan ; l'ordre était revenu sur les marchés américains depuis lors.

Puis M. Jean-Michel Glachant a noté que d'autres « crises » avaient eu lieu plus récemment aux Etats-Unis et en Europe, précisant toutefois qu'elles n'avaient pas touché le marché à proprement parler, mais le réseau, rangeant dans cette catégorie :

- la panne ayant affecté le Nord-Est des Etats-Unis et une partie du Canada le 14 août 2003, seuls les gestionnaires de réseau de transport d'électricité (GRT) de Pennsylvanie et du Maryland ayant alors su gérer la situation ;

- la panne du réseau londonien, le 28 août 2003, provoquée par le manque de maintenance du réseau de distribution local ;

- la panne survenue en Italie le 28 septembre 2003, à la suite du non respect de « règles élémentaires d'interconnexion » par le GRT suisse ;

- la défaillance du réseau de l'Europe continentale le 4 novembre 2006, due à une erreur du GRT allemand E.ON Netz.

Ayant observé que la concomitance de telles crises avec le processus de libéralisation des marchés électriques le rend, aux yeux de beaucoup de citoyens, ledit processus responsable de ces pannes, il a insisté sur la nécessité que les GRT accomplissent leur tâche avec le plus grand soin, d'autant plus que leur mission se complexifie avec l'augmentation de la consommation, les changements d'usage de l'électricité et les évolutions des lieux de résidence des Européens.

M. Jean-Michel Glachant a enfin mentionné la troisième « crise » affectant, après celles des marchés et des réseaux, le secteur électrique : la crise des prix. Il a considéré qu'elle déstabilisait d'autant plus les Français que ceux-ci, en raison notamment de la dominante nucléaire du bouquet électrique national, sont habitués à une relative constance de ce point de vue. Il a lié la forte hausse moyenne du prix de l'électricité de ces dernières années à l'évolution du prix du gaz, dont il a remarqué qu'il était lui-même longtemps resté stable.

Dans un tel contexte, il a alors examiné la possibilité, pour la France, de se déconnecter du système européen. Il a tout d'abord jugé qu'une telle éventualité serait très peu profitable, alors même que les surcapacités de production de notre pays peuvent permettre d'alimenter environ 10 millions de consommateurs. Puis il a observé que la France doit parfois importer de l'électricité de ses voisins afin d'équilibrer son réseau, rappelant notamment, à ce sujet, les difficultés rencontrées lors de l'épisode de canicule de l'été 2003. Il a enfin estimé que le développement à long terme d'entreprises comme EDF, Areva ou Alstom ne pouvait s'envisager sans qu'elles s'appuient sur un vaste marché européen ouvert.

M. Jean-Michel Glachant a conclu son propos liminaire en soulignant que des solutions pragmatiques existaient afin de garantir la sécurité d'approvisionnement électrique dans le cadre de marchés libéralisés, celles-ci passant par une régulation des marchés et des réseaux adéquate et cohérente entre pays de l'Union européenne, et une harmonisation des conceptions et des mécanismes techniques au niveau communautaire, les contrôles et les sanctions en cas de manquements devant, en outre, être sévères. Il a enfin suggéré que se réalise une coopération industrielle de l'énergie, associant les Etats membres les plus en pointe sur les questions énergétiques.

Un vaste débat s'est ensuite instauré.

M. Bruno Sido, président, ayant souhaité savoir pour quelles raisons le marché s'ajustait à tout instant sur un prix marginal résultant du coût de l'outil de production le plus cher, M. Jean-Michel Glachant, a expliqué, dès lors que chaque mode de production a un coût particulier (schématiquement, très faible pour l'hydraulique, faible pour le nucléaire, puis de plus en plus élevé pour le charbon, le gaz et enfin le fioul), qu'il existe une douzaine de prix marginaux de l'électricité dépendant du coût de production de la dernière unité à laquelle il a fallu recourir pour équilibrer le réseau. Le prix de l'électricité peut ainsi faire « des bonds », les moyens « d'extrême pointe », très peu utilisés et devant donc être rentabilisés sur une courte période, étant, de ce fait, particulièrement onéreux. Mais un tel fonctionnement nécessite une étroite surveillance du marché afin de s'assurer qu'aucun de ses acteurs ne procède à des manipulations visant à favoriser l'emploi d'unités de production coûteuses pour augmenter artificiellement le prix global de l'électricité.

M. Marcel Deneux, rapporteur, a ensuite souhaité savoir ce qu'il convenait de faire pour éviter la spéculation sur les marchés d'ajustement. En complément, Mme Nicole Bricq s'est interrogée sur la surveillance de la bourse de l'électricité, se demandant, en particulier, si cette mission pourrait revenir à l'Autorité des marchés financiers (AMF). Déclarant tout d'abord que les marchés d'ajustement sont par nature très techniques et peu spéculatifs, M. Jean-Michel Glachant a indiqué que leur gestion revient aux GRT, acteurs les mieux à même de dialoguer avec des vendeurs offrant la garantie qu'ils vont fournir la quantité de produit annoncée, et qui connaissent bien les différentes centrales de production. Il a en revanche reconnu que les marchés à plus long terme peuvent présenter un caractère spéculatif, tout en soulignant les risques financiers considérables attachés à la spéculation sur un produit non stockable. S'agissant de la surveillance des marchés de l'énergie, il a estimé que cette mission devait revenir à une autorité ad hoc en raison de la forte technicité du sujet, en particulier pour analyser correctement les diverses prétendues « anomalies de marché ». Mme Nicole Bricq ayant objecté que l'AMF contrôle efficacement les mouvements spéculatifs sur les marchés financiers, l'intervenant a indiqué qu'il avait étudié en détail le fonctionnement du marché boursier de l'électricité dans plusieurs pays de l'Union européenne pour le compte de la direction générale de la concurrence et que ses travaux l'avaient amené à la conclusion que la prépondérance de la dimension technique dans la compréhension des phénomènes nécessitait bien une autorité spécialisée.

Puis M. Michel Sergent, après avoir rappelé que les réseaux de distribution électrique appartiennent aux collectivités territoriales qui en concèdent la gestion, s'est demandé si la filialisation de cette activité par EDF, rendue nécessaire par la législation européenne, pourrait se traduire, à terme, par une mise en concurrence des réseaux de distribution. En réponse, M. Jean-Michel Glachant a tout d'abord remarqué que les réseaux de distribution doivent eux-mêmes faire l'objet d'une étroite surveillance du fait de l'apparition de nouvelles difficultés de gestion : par exemple, la production décentralisée (en particulier éolienne ou de cogénération) affaiblit la demande appelée au niveau du réseau de transport, mais augmente les flux sur les réseaux de distribution, puisqu'elle est pour l'essentiel consommée localement. Il a ensuite observé que si l'immense majorité des collectivités territoriales ont aujourd'hui confié la gestion de leur réseau de distribution à un même acteur, la filiale d'EDF dénommée ERD, d'autres entreprises comme Electrabel souhaiteraient probablement proposer leurs services à l'avenir. Doutant en revanche, même dans une telle hypothèse, de la mise en concurrence des réseaux de distribution entre eux, en raison de leur petite taille qui ne leur permet pas « d'exporter » de l'électricité, il a jugé que la concurrence porterait exclusivement sur l'obtention des contrats de concession. A cet égard, il a estimé que les collectivités sauraient retenir le meilleur prestataire et non le moins-disant, répétant qu'en tout état de cause une régulation sérieuse s'avérerait nécessaire.

Mme Nicole Bricq ayant ensuite souhaité savoir si l'électricité devait relever des compétences de l'Union européenne, avec une organisation analogue à la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), M. Jean-Michel Glachant a répondu qu'hormis l'activité de transport, la coopération interétatique lui paraissait plus adaptée. Mme Nicole Bricq lui ayant alors demandé quels pays pourraient être précurseurs en la matière, l'intervenant a estimé qu'une entente entre les nouveaux gouvernements français, allemand et britannique serait susceptible de faire avancer efficacement le sujet.

M. Bruno Sido, président, a souhaité savoir si la sécurité d'approvisionnement électrique de la France pouvait vraiment être assurée par un marché européen libéralisé ou s'il n'était pas préférable d'adopter une logique nationale. En réponse, M. Jean-Michel Glachant a déclaré qu'en faisant abstraction de toute considération de coût, une France isolée au sein de l'Europe au plan électrique pourrait globalement assurer son approvisionnement, en rencontrant cependant parfois des difficultés, particulièrement en été. Mais il a estimé que les dégâts industriels et commerciaux d'un tel schéma seraient considérables, une entreprise comme EDF ayant par exemple 13 millions de clients à l'étranger. En outre, après avoir fait valoir qu'en pratique, un tel raisonnement est contraire au « cadre de base » de l'Acte unique de 1986, il a observé que la plupart des pays européens ne considèrent pas l'électricité comme un bien différent des autres et ne partagent pas le sens de la notion de service public qui prévaut en France.

Enfin, M. Bruno Sido, président, ayant souligné que l'approvisionnement électrique soulevait la question de l'indépendance de l'Europe et des pays la composant, a demandé comment le marché pourrait prendre en compte l'effort français dans le domaine nucléaire. En réponse, M. Jean-Michel Glachant a considéré, d'une façon générale, qu'il n'existe pas de contradiction entre la logique de marché et la sécurité d'approvisionnement : la plupart de nos compatriotes ayant les moyens de payer leur électricité, le marché doit pourvoir à leurs besoins, comme dans le cas des autres services publics essentiels ayant une forme commerciale. Rappelant qu'une régulation adéquate constitue une condition nécessaire du fonctionnement sain d'un tel marché, il s'est appuyé sur la qualité du travail effectué par une entreprise privée comme la Compagnie nationale du Rhône pour récuser l'idée qu'un tel encadrement aille jusqu'à confier l'ensemble des missions à un établissement public ad hoc. Ayant souligné que de multiples modalités de fonctionnement de l'activité de production électrique existent dans le monde, de Los Angeles, où cette responsabilité relève d'un département de la municipalité, à la Belgique, où un grand opérateur privé coexiste avec de petites entreprises locales, en passant par la France et son producteur public historique, il a estimé que la sécurité réside avant tout dans la définition de règles et dans le contrôle de leur respect, et non dans le statut du ou des acteurs du marché. Estimant ainsi qu'intrinsèquement, les réseaux de distribution pourraient être régionalisés, il a en revanche convenu que le nucléaire devait avoir une « dimension nationale », à la fois en termes de sécurité et pour assurer un bon retour sur investissement, tout en soulignant que le « national » pouvait avoir un statut aussi bien public que privé, comme l'illustre une entreprise telle que Dassault, à la fois « privée et patriote ». L'intervenant a toutefois conclu qu'en raison des multiples risques liés à l'activité nucléaire et à son intensité capitalistique, il est possible de la confier au secteur public.

Audition de M. Yves Bamberger, directeur de la recherche et du développement d'Electricité de France (EDF)

La mission commune d'information a enfin procédé à l'audition de M. Yves Bamberger, directeur de la recherche et du développement d'Electricité de France (EDF).

Après avoir rappelé que l'électricité représentait aujourd'hui moins de 20 % de la consommation d'énergie en France et que son usage est appelé à croître, en raison de la nécessaire réduction des émissions de dioxyde de carbone (CO2), au cours des décennies à venir, dans tous les secteurs de l'économie et de la vie quotidienne, M. Yves Bamberger, directeur de la recherche et du développement d'EDF, a noté que l'évolution du système électrique français, dont les principales caractéristiques sont une production d'électricité assez largement centralisée et des réseaux de transport et de distribution dont la mission exclusive est d'acheminer cette électricité vers le consommateur, est confrontée à plusieurs défis. Ainsi, le développement de nouvelles technologies de production locale et de stockage d'électricité, avec la multiplication des éoliennes et des panneaux solaires sur les bâtiments ou l'utilisation à moyen terme des véhicules hybrides rechargeables, vont accroître les flux d'électricité sur les réseaux de distribution, les transformant en réseaux de circulation de l'électricité, et augmenter le nombre des acteurs intervenant sur le système électrique. Jugeant que cette évolution est de nature à rendre plus complexe sa gestion, il a estimé que les réseaux devraient s'adapter au cours des vingt prochaines années pour intégrer ces nouvelles formes de production électrique et favoriser la réalisation d'actions de maîtrise de la demande d'énergie (MDE), tout en garantissant au consommateur une bonne qualité de l'électricité.

M. Yves Bamberger a considéré que les efforts en matière de MDE doivent porter sur l'amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments et des modes de chauffage, qui permettra de réduire la consommation d'énergies fossiles et, en conséquence, les émissions de CO2. Or, a-t-il ajouté, compte tenu du faible taux de renouvellement de l'habitat en France (environ 1 % par an, soit un renouvellement total du parc de logements au bout d'un siècle), il est indispensable de concentrer les actions sur les bâtiments existants, notamment sur le chauffage, premier poste de consommation d'énergie des ménages, et sur l'isolation, même s'il est également pertinent d'améliorer la réglementation thermique des bâtiments neufs. A titre d'exemple, il a affirmé que le remplacement entre 2005 et 2020 en France de tous les systèmes de chauffage à fioul ou à gaz par des pompes à chaleur à haut rendement ou des convecteurs électriques performants entraînerait, certes une augmentation de la consommation d'électricité de 4 térawattheures (TWh) par an, mais surtout une réduction de 25 % de la consommation d'énergies fossiles. En outre, à l'horizon 2020-2030, le parc de production français émettra moins de CO2, puisque les centrales à charbon seront remplacées par des centrales à gaz et l'électricité d'origine renouvelable, notamment éolienne, prendra une part croissante dans le mix énergétique national.

Puis, après avoir indiqué qu'EDF investit environ un million d'euros par jour dans ses activités de recherche et développement (R&D), soit un budget total supérieur à 380 millions en 2006, M. Yves Bamberger a indiqué que la direction R&D de l'entreprise s'attache à développer les usages performants de l'électricité. Cette direction emploie 2 000 personnes, dont 300 docteurs et 200 doctorants, ce qui favorise de fortes synergies entre les activités industrielles, de recherche et d'enseignement. Son budget représente 0,8 % du chiffre d'affaires total du groupe, soit une proportion très supérieure à la moyenne mondiale des électriciens, celle des entreprises allemandes s'élevant, à titre d'exemple, à 0,2 %. Il a toutefois souligné que ces chiffres sont à relativiser au regard des spécificités du secteur de l'électricité, dans la mesure où EDF n'est qu'un des acteurs, aux côtés du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et d'Areva, de la recherche dans le domaine du nucléaire, cette situation étant similaire en Allemagne, pays où Siemens conduit ce type de recherches pour le compte des différents producteurs électriques. Par ailleurs, contrairement à d'autres entreprises du secteur, toutes les activités de R&D d'EDF sont regroupées au sein de la même direction et apparaissent donc dans son budget.

M. Yves Bamberger a ensuite présenté les principales activités de R&D du groupe, en précisant qu'elles concernent au premier rang le nucléaire (40 % du total), la gestion de l'optimisation entre l'offre et la demande et les réseaux, ces activités faisant l'objet d'un partenariat avec RTE formalisé par un contrat soumis au contrôle de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Le département R&D travaille également au développement de l'usage de l'électricité, avec les pompes à chaleur, à l'efficacité énergétique, aux énergies renouvelables, en particulier avec l'élaboration de modèles météorologiques pour améliorer les anticipations du productible éolien, et aux technologies de l'information et de l'informatique. Au total, il a noté que l'ensemble de ces activités de recherche est fortement créateur de valeur ajoutée pour EDF.

Il a ainsi mis en avant les travaux effectués, dans le domaine de l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments, de l'intégration des énergies renouvelables dans l'habitat et de l'efficacité énergétique des processus industriels. Sur ce dernier point, il a souligné qu'EDF conseille des industriels afin de les aider à réorienter leurs processus de production en utilisant de l'électricité de substitution des combustibles fossiles. Il a également précisé que le développement d'un parc de véhicules hybrides rechargeables aux réseaux de distribution dans des délais très brefs, 7 à 8 minutes, contre trois heures aujourd'hui, impliquerait de modifier très profondément la structure de ces réseaux. Par ailleurs, la direction R&D travaille à des améliorations de l'efficacité des panneaux solaires, aux réseaux intelligents et aux procédés de stockage de l'électricité. Dans le domaine du nucléaire, les activités de R&D portent sur l'allongement à 60 ans de la durée de vie des centrales nucléaires actuelles, ce qui suppose de réaliser des études fines à l'aide de simulateurs électroniques, EDF ayant acquis l'un des calculateurs les plus puissants en la matière, ainsi que, dans une moindre mesure, sur la préparation de la quatrième génération de centrales nucléaires ou sur les interactions entre l'eau et les centrales de production, ce qui suppose d'effectuer des projections sur le niveau des cours d'eau français à long terme.

Au total, relevant que les trois quarts des activités de R&D ont vocation à trouver des débouchés à court terme, M. Yves Bamberger a indiqué que les objectifs de ces travaux de recherche se résument sous forme de douze défis de la R&D, approuvés par le comité exécutif de l'entreprise. Il a fait valoir que l'objectif principal de ces activités est de développer des outils de simulation directement opérationnels pour améliorer la gestion du parc de production, citant par exemple les travaux portant sur les accumulations de sédiments dans les cours d'eau, qui permettent d'améliorer la gestion des centrales hydro-électriques.

Répondant à M. Bruno Sido, président, qui l'interrogeait sur les possibilités offertes en termes d'efficacité énergétique par le déploiement de compteurs intelligents et sur l'avenir du système tarifaire jour/nuit dans le contexte de séparation fonctionnelle entre les activités de gestion des réseaux de distribution et les activités de fourniture, M. Yves Bamberger, directeur de la recherche et du développement d'EDF, a tout d'abord indiqué que le maintien de la possibilité de faire basculer les compteurs en mode de fonctionnement « nuit », au moyen d'une impulsion à 175 hertz envoyée sur le réseau, dépendait exclusivement du périmètre d'activité que la loi assignerait aux gestionnaires de réseau de distribution (GRD), cette faculté étant interdite si leurs missions étaient strictement limitées aux activités de distribution. Sur la question des compteurs intelligents, il a expliqué que le développement de cette technologie est étudié dans de nombreux pays et que leur déploiement permettrait à la fois de réduire les coûts des distributeurs en matière de relève des compteurs, de supprimer les déclarations frauduleuses et d'avoir une connaissance plus fine des profils de consommation des clients. Sur ce dernier point, la question est de savoir si le compteur intelligent ne doit être utilisé que comme une source d'information permettant de mieux lisser la charge de consommation ou s'il peut également être un instrument de MDE pouvant commander le déclenchement d'appareils électroménagers à certains instants de la journée (domotique). Il a indiqué que dans la plupart des pays, ces deux fonctionnalités sont clairement distinguées et que la France s'achemine vers cette solution.

Après avoir souligné que, pour apprécier la totalité de la recherche dans le secteur énergétique, il était nécessaire de tenir compte des activités menées par d'autres organismes, au premier rang desquels le CEA, M. Daniel Raoul a trouvé paradoxal qu'EDF consacre des sommes aussi importantes pour développer des technologies qui, pour certaines, ne lui profitent pas directement ou, pour d'autres, bénéficient à ses concurrents.

Tout en notant que les compétences acquises par EDF dans les années 1970 pour accroître l'usage de l'électricité et renforcer l'efficacité énergétique ont été recouvrées, à la fin des années 1990, après un ralentissement des efforts de recherche au cours des années 1980, M. Yves Bamberger a considéré que la R&D est fondamentale pour une entreprise comme EDF, désormais soumise, avec le dispositif des certificats d'économies d'énergie institué en 2005, à des obligations de faire réaliser par ses clients des économies d'énergie. Dans ces conditions, il lui a paru logique que l'entreprise identifie les procédés les plus efficaces d'un point de vue technique et économique pour promouvoir ces économies d'énergie, même si ses résultats bénéficient aussi à ses concurrents, sachant que de telles externalités positives existent dans tous les secteurs de l'économie.

M. Daniel Raoul, prenant l'exemple des activités de recherche dans le secteur de l'automobile qui bénéficient à toutes les entreprises de la branche, a alors souligné que les travaux de recherche menés par EDF dans le secteur de l'isolation ne lui bénéficient pas directement, dans la mesure où l'entreprise n'a aucune activité dans le secteur du bâtiment. En réponse, M. Yves Bamberger a réaffirmé qu'au regard des obligations d'économies d'énergie d'EDF, soit 30 TWh sur la période 2006-2009, il est logique que l'entreprise conduise de telles recherches, faute de quoi elle serait astreinte au paiement de pénalités. Il a par ailleurs souligné que les conseils d'amélioration de la performance énergétique des clients industriels délivrés par EDF peuvent également constituer un élément des négociations commerciales entre l'entreprise et ceux-ci sur la facturation de l'électricité livrée. Il a enfin estimé que les activités de R&D confèrent à EDF un avantage transitoire sur ses concurrents et, s'agissant de celles incitant les consommateurs à remplacer des sources d'énergies fossiles par de l'électricité, qu'elles contribuaient à l'élargissement de la taille du marché de cette commodité, dont EDF ne pouvait que bénéficier.

Mme Nicole Bricq s'étant interrogée sur les différentes hypothèses sur lesquelles se fonde le groupe en matière d'évolution de la production et de la consommation d'électricité, qui sont chacune soumises à des tendances contraires, M. Yves Bamberger a admis l'existence d'effets contradictoires sur la production et la consommation d'énergie. Il a ainsi rappelé que le remplacement total, entre 2005 et 2020, des modes de chauffage au fioul ou au gaz par des pompes à chaleur ou des convecteurs conduirait à une hausse de la consommation d'électricité de 0,7 TWh par an, mais permettrait une réduction des émissions de CO2 de 58,3 à 43 millions de tonnes par an. Il a également reconnu que plusieurs hypothèses étaient sous-jacentes aux prévisions de progression de la consommation, en particulier celles portant sur le nombre de véhicules hybrides à l'horizon 2030. Puis il a relevé que la France pâtit, dans l'industrie du bâtiment, d'un manque de personnels qualifiés pour l'installation d'équipements utilisant des énergies renouvelables, ce qui a conduit EDF a signer une convention avec la fédération française du bâtiment. Il a par ailleurs déploré le fait que sur plus de 300.000 rénovations annuelles de bâtiments, seule, une minorité d'opérations porte sur l'amélioration de la performance énergétique et que la France reste en retard par rapport à l'Allemagne en matière d'isolation des bâtiments par l'extérieur.

M. Marcel Deneux, rapporteur, a demandé des précisions sur le nombre de brevets déposés par EDF chaque année, sur les perspectives de réduction des pertes liées au transport d'électricité et sur les potentialités des éoliennes de grande taille.

En réponse, M. Yves Bamberger, directeur de la recherche et du développement d'EDF, a apporté les éléments d'information suivants :

- EDF dépose environ 25 brevets chaque année, ce qui s'inscrit dans la moyenne des électriciens ;

- les pertes liées au transport d'électricité sont évaluées à 3 % de la production, et ce chiffre atteint 5 % dans le domaine de la distribution. EDF ne se désintéresse pas de ce problème, mais les progrès attendus sont lents et peu significatifs, au contraire des résultats concernant l'efficacité énergétique des bâtiments, secteur qui fait donc l'objet d'efforts de recherche importants ;

- les éoliennes posent d'autant plus de problèmes locaux d'acceptation par les populations qu'elles suscitent de réelles nuisances paysagères. Toutefois, les éoliennes de grande taille ont vocation à se développer à l'avenir et les producteurs allemands sont actuellement en train de remplacer les éoliennes les plus petites par des modèles plus grands et plus puissants. En revanche, plutôt que le petit éolien domestique, peu rentable et peu sûr, il est plus efficace d'accroître l'utilisation des panneaux solaires, cette dernière observation ayant suscité un débat technique sur le développement de l'énergie photo-voltaïque, au cours duquel sont intervenus, outre M. Yves Bamberger, MM. Daniel Raoul et Bruno Sido, président.