Mercredi 24 février 2010

- Présidence de M. Jean-Pierre Godefroy, président.

Audition de M. Stéphane Pimbert, directeur général, et Mme Valérie Langevin, psychologue du travail, de l'institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS)

La mission d'information a tout d'abord entendu M. Stéphane Pimbert, directeur général, et Mme Valérie Langevin, psychologue du travail, de l'institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS).

A titre introductif, M. Stéphane Pimbert a présenté l'organisation et les missions de l'INRS. Il s'agit d'une association loi de 1901, sans but lucratif et soumise au contrôle financier de l'Etat, constituée sous l'égide de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam). Cette association, créée en 1947 sous le nom d'institut national de sécurité (INS) et devenue l'institut national de recherche et de sécurité (INRS) en 1968, exerce ses activités au profit des salariés et des entreprises du régime général de la sécurité sociale. Son budget, qui est de l'ordre de 80 millions d'euros, provient en presque totalité du fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) de la Cnam, fonds alimenté par les cotisations accidents du travail-maladies professionnelles payées par les entreprises. L'INRS est géré par un conseil d'administration paritaire, composé de dix-huit membres titulaires, représentant les employeurs et les organisations syndicales de salariés. Plus de six cent cinquante personnes y travaillent, réparties en dix-sept entités ou départements.

L'INRS a pour mission principale de contribuer à la prévention des risques AT-MP, mission elle-même subdivisée en trois actions : l'identification des risques, l'analyse de leurs effets sur la santé des travailleurs et la promotion des moyens de maîtriser ces risques. L'institut publie chaque année près de cent cinquante études et recherches, diffuse environ 3,5 millions de brochures et d'affiches, organise cent soixante sessions de formation et il reçoit 35 000 demandes d'information de la part des citoyens. Son champ d'action est très vaste puisqu'il englobe l'ensemble des risques professionnels (risques chimiques, risques organisationnels, risques psychosociaux...).

L'INRS intervient dans quatre domaines étroitement corrélés :

- les études et recherches : l'institut dispose à cet effet d'une commission scientifique indépendante, la commission études, recherches et assistance (Cera) ;

- l'assistance technique, juridique et médicale : près de 40 % des demandes d'information adressées à l'institut portent sur les risques chimiques, environ 20 % sur les risques psychosociaux ;

- l'information : l'INRS diffuse de nombreuses brochures et affiches à destination des professionnels, publie trois revues périodiques par an et dispose d'un site internet très détaillé ;

- la formation : l'institut dispense des formations à destination des « préventeurs », c'est-à-dire des professionnels qui, sur le terrain, sont chargés de la prévention des risques liés au travail (médecins du travail, ingénieurs sécurité, agents des caisses régionales d'assurance maladie [Cram]). Chaque année, cent soixante sessions de formation sont organisées et environ deux mille stagiaires sont accueillis. Ces chiffres devraient continuer à progresser dans les années à venir car l'INRS reçoit de plus en plus de demandes de formation sur les risques psychosociaux.

Puis, M. Stéphane Pimbert a présenté les travaux de l'institut sur la problématique du stress au travail. L'INRS a en effet mis en place, en 2003, un projet transversal sur cette question, dont l'objectif est :

- de développer les méthodes et les outils pratiques d'objectivation des situations de stress au travail ;

- de mettre en oeuvre des approches de prévention à destination des « préventeurs » de terrain ;

- de rechercher des liens avec les centres étrangers homologues - au Québec notamment ;

- d'élargir cette démarche aux risques psychosociaux.

Pour ce qui est des réalisations concrètes, l'INRS a tout d'abord tenu à développer une approche pluridisciplinaire. En effet, le problème du stress au travail ne concerne pas seulement les salariés qui en sont victimes et les médecins du travail, mais aussi les personnels de direction. Elle a ensuite mis en place des formations à destination des agents des Cram qui sont d'importants acteurs de la prévention. A son initiative, un colloque national a également été organisé en 2007 sur la prévention du stress au travail. Surtout, l'INRS a développé l'offre de prévention en créant de nombreux outils destinés aux dirigeants d'entreprise, comme un tableau de bord pour anticiper les risques psychosociaux. Deux autres projets sont en cours : la réalisation d'une brochure pour aider les chefs d'entreprise à choisir un expert de la prévention des risques professionnels et une étude sur les centres d'appel téléphonique.

Mme Valérie Langevin, psychologue du travail à l'INRS, a précisé que l'INRS travaille depuis 1998 sur la problématique du stress au travail et des risques psychosociaux. Le projet transversal a permis de mettre au point une véritable démarche de prévention des risques professionnels, dont l'objectif est d'inciter les entreprises à identifier les situations de stress au travail et à élaborer des plans d'action pour éviter que celles-ci ne surviennent. La mission de l'INRS consiste donc à encourager les employeurs à agir sur les facteurs collectifs responsables du mal-être au travail. Pour autant, il ne faut pas nier la part des facteurs individuels dans l'émergence de ce phénomène. Cette démarche de prévention à destination des entreprises passe, d'une part, par la diffusion d'outils de sensibilisation et de méthodologie (brochure expliquant les différentes étapes de la démarche de prévention, brochure sur les indicateurs de dépistage des risques psychosociaux), d'autre part, par des offres de formation pour les médecins du travail, les ingénieurs sécurité et les agents des Cram. L'augmentation du nombre de demandes de formation prouve d'ailleurs qu'il y a une réelle prise de conscience de l'importance des risques psychosociaux. L'un des projets actuels de l'INRS est d'adapter tous ces instruments aux petites entreprises afin qu'elles puissent, elles aussi, adopter une démarche de prévention. Pour le moment, force est de reconnaître que les différents outils créés sont surtout utilisés par les entreprises d'au moins cinquante salariés.

L'étude que l'INRS a menée en partenariat avec Arts et Métiers Paris Tech sur le coût du stress professionnel en France a fait l'objet d'une première évaluation en 2002, sur la base de données datant de 2000. Celle-ci fait état d'un coût compris entre 830 millions et 1,6 milliard d'euros. Une actualisation de cette évaluation a été entreprise en 2009 à partir des chiffres datant de 2007. L'estimation du coût a considérablement augmenté puisque celui-ci atteindrait entre 1,9 milliard et 3 milliards d'euros. Ces chiffres, qui intègrent à la fois les coûts directs (dépenses de soins) et les coûts indirects (liés à l'absentéisme, aux cessations d'activité et aux décès prématurés), constituent une évaluation a minima. Les coûts réels du stress sont vraisemblablement nettement supérieurs et ce, pour deux raisons :

- les chercheurs n'ont pris en compte qu'un seul facteur de stress, le « job strain » ou « situation de travail tendue » définie par la combinaison d'une forte pression subie et d'une absence d'autonomie dans la réalisation du travail. Or le « job strain » représente moins d'un tiers des situations de travail fortement stressantes ;

- parmi les pathologies liées au stress, les auteurs n'ont retenu que celles qui font l'objet de nombreuses études : les maladies cardio-vasculaires, la dépression et certains troubles musculo-squelettiques (TMS). D'autres maladies sont donc exclues du champ de l'étude.

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a souhaité connaître les raisons de cette hausse importante du coût du stress au travail. Provient-elle d'une mauvaise évaluation des données en 2000 ou d'une réelle aggravation du phénomène ?

Mme Valérie Langevin a répondu que cette tendance résulte de l'augmentation du pourcentage de salariés exposés à une situation de travail tendue.

Sur les missions de l'INRS, M. Stéphane Pimbert a précisé que l'institut n'a pas un rôle de conseil direct auprès des chefs d'entreprise ; il s'adresse à eux via divers outils. Ce sont les « préventeurs » de terrain qui sont ses interlocuteurs privilégiés.

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a demandé si les membres des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ainsi que les représentants syndicaux font parfois appel à l'INRS.

M. Stéphane Pimbert a confirmé que de nombreux CHSCT formulent des demandes d'aide.

Mme Valérie Langevin a insisté sur le fait que les conseils dispensés par l'institut sont axés sur la démarche de prévention et de sensibilisation des acteurs de terrain. Depuis 2007, on observe une croissance exceptionnelle du nombre des demandes à laquelle l'INRS ne peut faire face. C'est pourquoi, il incite les entreprises à se tourner vers des consultants en prévention des risques professionnels. Pour aider les dirigeants dans leur choix, un guide est en cours d'élaboration.

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a souhaité savoir si toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, utilisent ces brochures. Les PME sont-elles suffisamment réactives ?

Mme Valérie Langevin est convenue que l'usage des outils d'information de l'INRS est essentiellement le fait des entreprises d'au moins cinquante salariés. A l'avenir, l'objectif est aussi de sensibiliser les plus petites entreprises.

M. Gérard Dériot, rapporteur, s'est enquis des principales conclusions de l'étude menée sur les centres d'appel téléphonique.

Mme Valérie Langevin a répondu que les résultats de cette étude ne sont pas encore officiellement connus, mais qu'ils devraient l'être très prochainement.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a alors indiqué que la mission en prendra connaissance dès leur publication. Puis il a soulevé le problème de la violence et du harcèlement au travail. Comment prévenir ces phénomènes ?

Mme Valérie Langevin a expliqué que la démarche de prévention mise en oeuvre pour le stress au travail est également valable pour ces deux risques professionnels. Toute la question est désormais de savoir comment adapter la méthodologie d'analyse des risques AT-MP aux risques psychosociaux.

M. Stéphane Pimbert a précisé que la démarche de prévention des risques psychosociaux doit poursuivre quatre objectifs : apprendre à objectiver ces risques, contribuer à lever le déni qui les entoure, promouvoir une stratégie de prévention en amont, fournir des outils de compréhension et dispenser des formations à l'ensemble des acteurs (médecins du travail, psychologues, managers...).

M. Marc Laménie a demandé si l'INRS s'intéresse aux collectivités locales. Même dans une petite collectivité, des problèmes humains peuvent en effet se poser.

M. Stéphane Pimbert a rappelé que le périmètre d'activité de l'INRS correspond à celui du régime général de la sécurité sociale. Toutefois, l'INRS a des contacts avec la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) dans la mesure où certains de leurs agents sont affiliés au régime général.

Audition de M. Michel Gollac, chercheur au centre de recherche en économie et en statistique (Crest), président du collège d'expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux du travail

La mission d'information a ensuite entendu M. Michel Gollac, chercheur au centre de recherche en économie et en statistique (Crest), président du collège d'expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux du travail.

M. Michel Gollac a d'abord indiqué qu'il n'existe pas, au sein de la communauté scientifique, de définition unanimement reconnue des risques psychosociaux. Le collège d'expertise les définit, pour sa part, comme les risques pour la santé mentale et sociale qui sont créés, au moins en partie, par le travail, à travers des mécanismes sociaux et psychiques. Ce sont donc les causes des risques qui sont psychosociales et non leurs conséquences, lesquelles peuvent prendre la forme d'une maladie mentale, physique ou d'une exclusion sociale.

Certaines organisations créent plus de risques que d'autres mais les caractéristiques individuelles de la personne jouent aussi un rôle ; il est donc intéressant pour le chercheur d'analyser les interactions entre ces deux éléments. La littérature scientifique démontre que les individus sont inégaux devant la santé, mais il est difficile d'en tirer des conséquences concrètes ; il est également établi que certaines organisations diminuent le risque pour tous les salariés. Un élément de complexité supplémentaire découle du fait que les caractéristiques individuelles ne sont pas fixes au cours de la vie : de mauvaises conditions de travail peuvent fragiliser un individu et enclencher ainsi un cercle vicieux.

Il existe deux approches pour réduire les risques psychosociaux dans une entreprise, M. Michel Gollac indiquant sa préférence pour la première :

- l'entreprise peut transformer son organisation dans un sens favorable à la santé des salariés ; des études montrent qu'une telle démarche est économiquement viable ; elle est cependant coûteuse à court terme et les chefs d'entreprise ne sont pas toujours convaincus des bénéfices qu'ils peuvent en retirer à plus long terme ;

- l'entreprise peut privilégier une démarche de prévention et de soins sur une base individuelle : présence d'installations sportives sur le lieu de travail, soutien ou soins psychologiques pour les salariés, numéro vert... Ces mesures peuvent avoir un effet positif à court terme, et ne doivent donc pas être négligées, mais leurs effets à long terme sont mal connus. Elles engendrent, en outre, des effets pervers : elles peuvent inciter l'entreprise à augmenter la pression sur ses salariés ; elles peuvent encourager la tendance de certains salariés au surinvestissement, en créant une dépendance à l'égard de l'entreprise et un sentiment de culpabilité chez ceux qui ne parviennent pas à gérer leur stress malgré les dispositifs mis en place ; enfin, l'entreprise n'est pas encouragée à réformer son organisation.

Des études cliniques soulignent que les caractéristiques qui rendent un salarié vulnérable sont aussi celles qui l'aident à bien travailler : un salarié qui s'investit dans son travail obtient de meilleurs résultats mais est plus exposé en cas de difficultés professionnelles.

M. Michel Gollac s'est ensuite interrogé sur l'existence éventuelle d'une opposition entre nos valeurs démocratiques et l'incitation faite aux individus à modifier leur psychisme. Il a rappelé qu'un tiers des actifs déclarent faire, parfois, dans leur travail des choses qu'ils désapprouvent. Les gens souffrent de ces conflits éthiques, mais peut-on apporter un soutien psychologique à un si grand nombre d'individus ? Par ailleurs, s'il peut être légitime de sélectionner les personnes en fonction de leur psychisme pour les postes à responsabilité élevée, pour lesquels la pression psychologique est forte, il ne serait pas raisonnable de le faire pour les autres salariés car cela conduirait alors à de nombreuses situations d'exclusion.

Les travailleurs indépendants et les chefs d'entreprise sont également affectés par les risques psychosociaux et ils peuvent, comme les salariés, recevoir un soutien individuel. Une action plus structurelle impliquerait de réguler différemment les relations entre clients et fournisseurs ou entre prêteurs et emprunteurs, mais il s'agit là de problèmes très vastes.

Le collège d'expertise a distingué six dimensions de risque psychosocial, cette liste, à caractère provisoire, permettant de classer de façon logique les indicateurs disponibles :

- la première dimension a trait aux exigences excessives imposées aux salariés : quantité de travail, pression temporelle, complexité du travail et difficultés pour concilier vie professionnelle et vie personnelle ;

- la deuxième reflète la charge émotionnelle liée au travail : tensions avec le public, obligation de dissimuler ou de feindre des émotions, contacts avec des situations de souffrance, exigence d'empathie ;

- la troisième tient au manque d'autonomie : procédures rigides, imprévisibilité du travail, sous-utilisation ou stagnation des compétences, manque de participation et de représentation ;

- la quatrième renvoie à la déficience des rapports sociaux : manque de soutien technique et émotionnel, absence ou dysfonctionnements du collectif du travail, défaut de reconnaissance ;

- la cinquième englobe les conflits de valeurs : conflits éthiques et « qualité empêchée », c'est-à-dire impossibilité de faire du bon travail ;

- la sixième mesure l'insécurité de l'emploi et des carrières : contrats courts, temps partiel subi, sentiment que le travail accompli n'est pas soutenable à long terme en raison de son impact négatif sur la santé.

Le collège va poursuivre ses travaux en 2010 pour tenter de mettre au point une classification plus synthétique.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé si la France est bien placée, par rapport à ses voisins européens, en matière de détection et de traitement des risques psychosociaux et a souhaité connaître les principaux indicateurs de risque psychosocial retenus par le collège.

M. Michel Gollac a répondu que la France est dans une position intermédiaire, entre les pays d'Europe orientale et d'Europe du sud, où les risques sont particulièrement élevés, et les Pays-Bas et les pays scandinaves, où ils sont les plus réduits.

La création d'indicateurs est utile, même s'ils ne remplacent pas les études qualitatives qui permettent de mieux comprendre les relations de causalité. Les enquêtes statistiques existantes permettent déjà de suivre de nombreuses variables, de sorte que le collège a dégagé une quarantaine d'indicateurs qui concernent la population générale et ont une signification simple et univoque.

Le grand nombre d'indicateurs les rend difficiles à manipuler et il serait donc souhaitable d'en élaborer de plus synthétiques. Toutefois, certains sujets sont encore mal connus - il n'existe notamment aucun indicateur pour évaluer la prévisibilité du travail - et les enquêtes sont trop espacées. L'enquête « Conditions de travail » est par exemple réalisée seulement une fois tous les sept ans, ce qui empêche d'étudier certains phénomènes émergents : les psychologues insistent, actuellement, sur les effets négatifs des nouvelles méthodes d'évaluation des salariés, mais comme la dernière enquête remonte à cinq ans, les données sont trop anciennes pour corroborer ces observations de terrain. Les effets des variations de la conjoncture économique sont également très mal connus : si on peut supposer qu'un contexte de crise met les salariés et les entreprises sous pression, la charge de travail est plus forte en période de reprise et on ne sait pas lequel de ces deux effets l'emporte.

Mme Jacqueline Chevé a fait observer qu'il y a pourtant eu d'autres crises par le passé.

M. Michel Gollac a répondu que l'enquête « Conditions de travail » a été créée en 1978 et qu'elle est trop espacée dans le temps pour que l'on puisse distinguer les effets de la conjoncture de transformations plus structurelles. Une périodicité de deux ou trois ans serait plus appropriée.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé quelles bonnes pratiques pourraient être recommandées pour réduire les risques psychosociaux et s'il est nécessaire d'améliorer la formation des managers et des autres acteurs de la prévention des risques dans l'entreprise.

M. Michel Gollac a estimé qu'il est plus facile pour une direction d'entreprise de créer de mauvaises que de bonnes conditions de travail. Il faut donc veiller à mettre en place une organisation qui rende possible une expression efficace des salariés, une vie collective et un partage du pouvoir.

Les pratiques clairement néfastes doivent être interdites ; pour les autres, une politique d'incitation paraît plus adaptée. Le marché n'est pas autorégulateur, dans la mesure où les entreprises n'assument généralement pas le coût des risques psychosociaux, ce qui rend l'action publique d'autant plus nécessaire. Pour internaliser les coûts produits par ces risques, on pourrait concevoir une taxe sur les mauvaises conditions de travail ou, au contraire, une subvention aux bonnes conditions de travail, toute la difficulté étant alors d'identifier les bonnes et les mauvaises conditions de travail. Les indicateurs chiffrés ne semblant pas suffisants, ils devraient être complétés par un regard d'expert et par des négociations dans l'entreprise.

Sur la formation des managers, il est regrettable que l'on puisse être nommé à la tête d'une équipe sans rien connaître de l'homme au travail ni de l'homme en société. Les formations dispensées dans les écoles d'ingénieurs ou dans les écoles des cadres de la fonction publique devraient donc être modifiées en ce sens. Les syndicalistes devraient également recevoir une formation de qualité sur ces sujets et l'ensemble des salariés devraient au moins y être sensibilisés.

M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé à Michel Gollac à quelles conclusions il était parvenu dans son ouvrage « Travailler pour être heureux ? » 

M. Michel Gollac a répondu que les observations formulées dans ce livre datent maintenant d'une dizaine d'années, mais qu'elles demeurent d'actualité. Le travail reste une valeur importante, surtout pour ceux qui savent qu'ils risquent d'en être privés, comme les personnes en situation d'emploi précaire et les jeunes. Les salariés éprouvent deux formes d'insatisfaction :

- la première découle des inégalités sociales : être au bas de l'échelle n'est jamais une situation confortable ;

- la seconde résulte de circonstances particulières, liées à l'organisation ou aux conditions de travail en vigueur dans une entreprise donnée : c'est cette souffrance-là que les salariés expriment.

De mieux en mieux formés et informés, les salariés sont aussi plus conscients des facteurs de risques auxquels ils sont exposés et savent qu'ils sont responsables de leur carrière. C'est pourquoi ils vivent douloureusement les situations de travail qui ne correspondent pas à leurs aspirations.

Des sondages suggèrent que 87 % des gens sont satisfaits de leur travail. Ces enquêtes doivent cependant être analysées avec précaution car les chiffres sont différents dès que le questionnement se fait plus précis. Il n'en reste pas moins vrai qu'une minorité de salariés souffre face à la pression du monde du travail et que la gestion de plus en plus individuelle des ressources humaines tend à aggraver ce phénomène. Les salariés en souffrance s'isolent, ce qui accroît leur souffrance et les isole encore plus, selon un modèle de cercle vicieux, dont on retrouve d'autres exemples dans les entreprises. Ainsi, quand le travail devient trop exigeant, la coopération entre les salariés est plus difficile, ce qui rend, en retour, le travail encore plus compliqué. Des formes de régulation et de modération du système sont donc indispensables.

Mme Jacqueline Chevé a jugé bien noir le tableau qui vient d'être dressé puis elle s'est interrogée sur l'impact des trente-cinq heures.

M. Michel Gollac a précisé que les gens qui souffrent au travail sont une minorité, mais qu'ils ne doivent pas être négligés, d'autant que ceux qui ne souffrent pas ne sont pas à l'abri.

Les trente-cinq heures ont eu un impact positif en atténuant les effets de l'intensification du travail pour 80 % des gens concernés mais elles ont détérioré la situation des 20 % restants, par exemple dans le secteur de la santé. Il n'existe pas de preuve que la réduction du temps de travail ait intensifié les rythmes de travail ; elle a en revanche permis aux salariés de bénéficier de plus de temps libre. Certaines PME ont eu du mal à passer aux trente-cinq heures et n'ont pas reçu de soutien particulier de la part de l'Etat ; les salariés n'ont pas toujours été bien défendus lors des négociations.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle a souhaité obtenir des précisions sur le champ couvert par les statistiques exploitées par le collège d'expertise.

M. Michel Gollac a répondu que ces statistiques, produites par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) et la direction de la recherche, de l'évaluation, des études et des statistiques (Drees), sont réalisées à partir des enquêtes « Conditions de travail » et Sumer, qui portent sur des échantillons importants, de l'ordre de 20 000 personnes.

M. Jacky Le Menn a demandé si les statistiques révèlent une corrélation entre le mal-être et l'âge des salariés et si les travailleurs manuels y sont plus vulnérables que les professions intellectuelles.

Mme Muguette Dini a demandé si les femmes et les hommes sont exposés de la même manière au mal-être.

Revenant sur la question des conflits éthiques, M. Jean-Pierre Godefroy, président, a souhaité savoir si certaines professions sont davantage concernées.

Sur la question de l'âge, M. Michel Gollac  a répondu que les statistiques révèlent peu de phénomènes saillants. Toutefois, le pourcentage de gens qui déclarent ne rien apprendre au travail tend à croître avec l'âge ; les entreprises ont souvent tendance à penser que les seniors ne peuvent rien apprendre de nouveau, alors qu'ils ont seulement besoin d'un peu plus de temps. Il est sans doute plus difficile pour les travailleurs manuels de faire face au vieillissement, dans la mesure où ils craignent de perdre leur emploi et où il leur est plus difficile de faire face à une charge de travail intense.

On observe également un malaise propre aux jeunes de moins de vingt-cinq ans, qui est la conséquence de leurs difficultés d'insertion professionnelle : ils peinent à trouver un emploi stable et leur premier emploi souvent ne les satisfait pas.

Sur la question du genre, les hommes apparaissent globalement plus exposés aux contraintes de rythme et les femmes plus fréquemment en contact avec le public. Autrefois, la manière dont les hommes et les femmes géraient leurs mauvaises conditions de travail tendait à conforter leur identité de genre : un homme qui portait des charges lourdes ou qui avait des relations rudes avec ses collègues ne songeait pas à se plaindre car l'acceptation de ces situations confirmait sa masculinité ; de même, une femme acceptait de s'occuper de personnes âgées ou malades, considérant normal de se dévouer pour les autres. Or, ces attitudes évoluent rapidement : il y a vingt ans, les ouvriers qui travaillaient en hauteur sur les chantiers de construction refusaient d'utiliser leurs équipements de protection ; aujourd'hui, seuls quelques vieux ouvriers perpétuent ces attitudes et les plus jeunes raillent ces comportements, qu'ils ne comprennent plus.

Ce changement d'état d'esprit peut donc être favorable à la prévention des risques professionnels mais il fait aussi émerger des souffrances qui étaient autrefois refoulées.

Mme Jacqueline Chevé a demandé si le fait, pour les salariés, de pouvoir exprimer leur souffrance les aide à aller mieux.

M. Michel Gollac a souligné que l'expression, pour être utile, doit être efficace : elle doit être entendue et, si possible, conduire à des changements.

Enfin, les conflits éthiques concernent effectivement un pourcentage élevé de salariés, en particulier dans le secteur de la banque-assurance et dans l'administration.

M. Jacky Le Menn a soulevé le cas de la police nationale, qui se voit imposer des objectifs chiffrés.

M. Michel Gollac a indiqué ne pas disposer d'informations précises sur ce sujet mais a fait observer que la police a une forte tradition d'autorégulation qui peut entrer en conflit avec ce système d'évaluation chiffrée.

Audition de M. Stéphane Sellier, directeur des risques professionnels de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam)

Puis la mission d'information a entendu M. Stéphane Sellier, directeur des risques professionnels de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam).

M. Stéphane Sellier a rappelé que la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) du régime général couvre dix-neuf millions de salariés, hors agriculture, employés dans un peu plus de deux millions d'entreprises. La première mission de la branche est la prévention, qui est assurée par les ingénieurs et techniciens conseils des caisses régionales d'assurance maladie (Cram) ; la seconde est le service des prestations dues en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, qui sont versées par les caisses primaires d'assurance maladie (Cpam).

La mission de prévention a montré son efficacité car, en cinquante ans, le nombre d'accidents du travail a baissé de moitié pour s'établir, en moyenne aujourd'hui, à environ quarante pour mille. Il existe néanmoins des variations importantes selon les secteurs : dans le bâtiment et travaux publics, le taux de sinistralité est par exemple de quatre-vingt-dix pour mille.

Le réseau des « préventeurs » de la branche doit s'adapter à l'émergence de nouveaux risques, ce qui suppose un effort permanent de formation. Les risques psychosociaux représentent un nouveau défi même s'ils ne sont pas totalement inconnus : dès la fin des années quatre-vingt-dix, certains experts, au sein des Cram, avaient signalé l'importance de ces risques et la branche a alors entamé un travail sur ce thème, en partenariat avec l'institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). Au total, la branche va former près de mille personnes à la prévention des risques psychosociaux. Comme elle ne peut matériellement être présente dans toutes les entreprises, elle entend également développer une capacité de conseil pour orienter les entreprises vers des compétences extérieures.

Les partenaires sociaux, gestionnaires de la branche, sont plus investis sur la question du stress au travail depuis la signature de l'accord interprofessionnel de 2008 sur ce sujet. Le stress est désormais un des quatre risques prioritaires que les Cram ont pour mission de prévenir. L'objectif de la branche est que tous ses experts soient compétents sur la question des risques psychosociaux et qu'au sein de chaque Cram une personne puisse accompagner les entreprises dans la durée. La branche visite 3 % à 5 % des entreprises chaque année et les partenaires sociaux ont fixé une priorité à la prévention au sein des petites et moyennes entreprises (PME).

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a souhaité savoir si la branche dispose de statistiques sur l'ampleur du mal-être au travail.

M. Stéphane Sellier a répondu que l'outil statistique de la branche n'est pas adapté pour répondre à cette question car il est orienté vers la reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles. Or, les conséquences des risques psychosociaux ne sont pas significativement prises en charge par la branche : elles ne peuvent guère être assimilées à des accidents du travail, compte tenu de la définition légale et jurisprudentielle de cette notion ; elles sont rarement reconnues comme maladie professionnelle, dans la mesure où il n'existe pas de tableau spécifique permettant de reconnaître les maladies professionnelles liées au mal-être au travail.

Depuis 2007, la branche dénombre néanmoins les suicides déclarés comme accidents du travail. Entre le 1er janvier 2008 et le 30 juin 2009, soixante-douze suicides ont ainsi été signalés. Seuls les salariés couverts par la branche sont concernés, ce qui exclut donc les agriculteurs et les fonctionnaires pour lesquels le nombre de suicides liés au travail est mal connu. Les fonctionnaires employés par France Telecom qui ont attenté à leurs jours ne sont pas pris en compte par cette statistique.

Ces suicides ne sont pas tous survenus sur le lieu de travail, même si un suicide au travail bénéficie d'une présomption d'imputabilité. Ainsi, quarante et un des soixante-douze suicides ont été déclarés par les familles.

Mme Muguette Dini a souhaité savoir si la branche dispose d'éléments sur les tentatives de suicides.

M. Stéphane Sellier a indiqué que la classification des accidents du travail, qui est ancienne, ne permet pas de prendre en compte les tentatives de suicide en tant que telles. Il n'y a donc pas de statistiques disponibles avant une éventuelle refonte de cette classification.

La branche AT-MP finance, au sein des hôpitaux, des centres de consultation des pathologies professionnelles dont la mission est d'établir le lien entre la pathologie dont souffre une personne et son travail. Les consultations liées aux risques psychosociaux, prises en charge par la branche depuis 2007, sont aujourd'hui les plus importantes en nombre, ce qui témoigne de la visibilité accrue de ces problèmes.

La suractivité et le stress favorisent les accidents du travail et les maladies professionnelles, mais sans que l'on puisse savoir précisément dans quelle proportion. Le stress est notamment un facteur avéré de troubles musculo-squelettiques (TMS), dont on dénombre trente-cinq mille nouveaux cas chaque année.

M. Jean-Pierre Godefroy, président, a souhaité savoir dans quelle mesure on peut corréler le stress aux accidents de trajet.

M. Stéphane Sellier a précisé qu'un accident de trajet est un accident survenu entre le domicile et le travail. Il se distingue de l'accident de mission qui survient lorsqu'un salarié, un commercial par exemple, se déplace dans le cadre de son travail. Chaque année, plus de quatre cents décès dus à un accident de la route sont reconnus comme accidents du travail : les trois quarts sont des accidents de trajet et le quart restant des accidents de mission. Le stress joue certainement un rôle, sans que l'on puisse savoir précisément dans quelle mesure.

Il a ensuite fait état des travaux du comité de prévention du risque routier qui réunit tous les régimes de sécurité sociale. Ce comité, qu'il préside, souligne que l'inattention est la première cause d'accident et il préconise l'absence totale d'usage du téléphone portable, même sous la forme de « kit mains-libres ». On voit bien l'enjeu que représente, pour les entreprises, le fait de rester en contact, à tout moment, avec leurs salariés mais des modalités techniques doivent être mises en place qui garantissent leur sécurité.

Mme Jacqueline Chevé a souhaité savoir si la branche compte agréer certains experts pour aider les entreprises à se repérer au milieu d'une offre qui devient foisonnante.

M. Stéphane Sellier a indiqué que la branche élabore, avec l'INRS et l'agence nationale d'amélioration des conditions de travail (Anact), un cahier des charges permettant de cerner les compétences qu'un expert doit posséder pour intervenir utilement en entreprise dans le domaine de la lutte contre le stress au travail. La branche n'entend cependant pas aller jusqu'à la mise en place d'une procédure d'agrément, qui poserait des difficultés juridiques.

En ce qui concerne la réparation, il a estimé qu'il n'est pas réaliste d'envisager d'établir un tableau des maladies professionnelles liées aux risques psychosociaux, en raison du caractère complexe et multifactoriel de ces pathologies.

Il existe cependant un système complémentaire de reconnaissance des maladies professionnelles qui permet, à la suite d'une procédure d'instruction, de reconnaître comme maladie professionnelle des pathologies qui ne sont pas répertoriées dans les tableaux ou qui ne répondent pas à toutes les conditions qu'ils fixent. L'instruction est alors assurée par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) composé d'un médecin conseil de la sécurité sociale, d'un médecin inspecteur du travail et d'un praticien hospitalier.

Chaque année, environ 9 000 demandes sont examinées dans le cadre de la procédure complémentaire et la moitié d'entre elles, environ, aboutissent à une reconnaissance au titre des maladies professionnelles. Actuellement, le système de reconnaissance complémentaire est engorgé par des demandes de reconnaissance de TMS ; le tableau n° 57 qui mentionne ces pathologies, est en effet mal écrit et pose de multiples problèmes d'interprétation, ce qui explique qu'un grand nombre de malades soient contraints de se tourner vers la procédure complémentaire pour tenter d'obtenir une prise en charge. Sollicité il y a déjà deux ans sur ce sujet, le ministère du travail s'est engagé à publier, d'ici la fin du printemps 2010, un décret réformant ce tableau.

Les maladies psychologiques, les dépressions notamment, ne sont pas prises en compte par les tableaux. Seule la procédure complémentaire est donc ouverte aux malades. Chaque année, environ cinq cents demandes sont déposées, mais elles aboutissent à une reconnaissance au titre des maladies professionnelles dans une trentaine de cas seulement.

Ce très faible taux de succès s'explique par les conditions restrictives qui doivent être remplies pour qu'une pathologie soit reconnue comme maladie professionnelle dans le cadre de la procédure complémentaire : d'abord, il appartient au malade d'établir le lien de causalité entre la pathologie et son travail ; ensuite, son état doit être stabilisé ; enfin, le malade doit être atteint d'un taux d'incapacité d'au moins 25 %, ce qui est un pourcentage élevé.

Ainsi, sur les cinq cents dossiers déposés chaque année, seuls 17,5 % sont réellement examinés par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) ; les autres sont écartés d'emblée parce qu'ils ne remplissent pas l'une ou l'autre de ces conditions.

On peut déjà se demander pourquoi un si petit nombre de malades déposent un dossier : est-ce par méconnaissance de la procédure ou parce qu'ils savent que leurs chance de succès sont minces ? On peut ensuite réfléchir à un éventuel assouplissement des critères applicables dans le cadre de la procédure complémentaire, mais il s'agit là d'une question complexe.

M. Marc Laménie a demandé comment se déterminent les modalités pratiques d'intervention du réseau de prévention de la branche.

M. Stéphane Sellier a indiqué que ces interventions reposent sur un travail avec les différentes branches professionnelles, qui permet la définition de thématiques précises sur lesquelles la prévention doit être développée. Il a insisté sur le fait que, malgré l'importance des risques psychosociaux, la branche AT-MP ne peut négliger les autres risques pour lesquels elle est seule à posséder une véritable expertise.