Mercredi 16 juin 2010

- Présidence de M. Bruno Retailleau, président -

Audition de Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto, déléguée à la solidarité pour la Charente-Maritime, et de MM. Philippe Bellec et Eric Verlhac, délégués à la solidarité pour la Vendée

M. Bruno Retailleau, président. - Nous auditionnons aujourd'hui Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto, déléguée à la solidarité pour la Charente-Maritime, et MM. Philippe Bellec et Eric Verlhac, délégués à la solidarité pour la Vendée. C'est, pour nous, l'occasion d'en savoir davantage sur cette fonction et sur leur rôle dans l'apaisement des inquiétudes liées à la cartographie avant le débat de ce soir en séance publique.

Pour commencer, peut-être pourriez-vous vous présenter et nous indiquer votre parcours antérieur afin que nous puissions comprendre les raisons qui ont poussé vos supérieurs hiérarchiques à vous envoyer sur le front ?

M. Eric Verlhac, délégué à la solidarité pour la Vendée. - Je suis inspecteur général à l'administration du Développement durable, membre de la section de l'aménagement durable des territoires. J'ai été en charge de grands dossiers : le Mont Saint-Michel, l'évaluation de la loi ZRR - soit celle sur les zones de revitalisation rurale - préalablement au travail de M. Mercier sur les secteurs ruraux, ou encore le logement des plus défavorisés. Mes secteurs d'activité sont donc l'aménagement du territoire et le développement durable. J'ai fait carrière au sein de plusieurs ministères : l'Outre-mer, la Justice, l'Equipement, les Collectivités locales et le Logement social.

M. Philippe Bellec, délégué à la solidarité pour la Vendée. - Inspecteur à l'administration du développement durable, j'ai principalement travaillé dans les domaines de l'aménagement du territoire, du transport et de développement durable au sein de différentes administrations : le ministère de l'Equipement, la délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale, le secrétariat général pour les affaires régionales au sein du ministère de l'Intérieur en tant que chargé de mission et, plus récemment, au sein des conseils régionaux, le Limousin, puis la Bourgogne, en qualité de directeur général adjoint.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto, déléguée à la solidarité pour la Charente-Maritime. - Je suis inspectrice générale à l'administration du Développement durable, membre de la première section du conseil général de l'environnement et du développement durable. Cette section est dédiée aux questions sociales et sociétales. Par questions sociétales, nous entendons essentiellement les considérations liées à la gouvernance et à l'information. J'ai été nommée déléguée à la solidarité en Charente-Maritime à ce titre, mais aussi eu égard à ma bonne connaissance des questions littorales car j'ai passé une grande partie de ma carrière au sein de l'administration maritime du ministère de l'Equipement. J'ai également participé à de grandes négociations sociales : la réforme des dockers en 1992-1993 ou la négociation des RTT en qualité de directrice de l'administration au sein de l'Éducation nationale. Enfin, précisons que je représente mes deux autres collègues, délégués à la solidarité pour la Charente-Maritime, retenus aujourd'hui.

M. Bruno Retailleau, président. - Quelle feuille de route vous a-t-on fixée ? Correspondait-elle aux demandes sur le terrain ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Le 13 avril, le Premier ministre a annoncé la nomination de délégués à la solidarité chargés, était-il dit, de « recevoir toutes les personnes qui souhaitent des explications » sur les critères qui ont été choisis par l'État pour la délimitation des zones et sur les procédures d'indemnisation et qui souhaitent « faire valoir leurs arguments lorsqu'ils contestent ces critères. » Cette triple mission a été confirmée par M. Borloo, ministre d'État, dans un courrier en date du 15 avril adressé aux maires ainsi que par la lettre de mission du vice-président du conseil général en date du 16 avril. Enfin, concernant la Charente-Maritime, le préfet a reprécisé ces éléments dans une lettre du 21 avril envoyée aux maires.

M. Bruno Retailleau, président. - En a-t-il été de même en Vendée ?

M. Eric Verlhac. - Oui, si ce n'est que le préfet n'a pas envoyé de courrier.

M. Philippe Bellec. - Pour autant, nous avons débuté notre mission par une rencontre avec les deux maires concernés. Le préfet avait donc diffusé l'information. La situation est différente en Vendée : deux communes seulement sont classées en zone noire, dite de solidarité...

M. Bruno Retailleau, président. - Combien de personnes avez-vous rencontré ? Continuez-vous à en recevoir ?

M. Philippe Bellec. - En Vendée, nous avons procédé à 55 entretiens. Les personnes rencontrées ont appris notre existence par les médias, les maires et le bouche-à-oreille.

M. Bruno Retailleau, président. - Autrement dit, les personnes concernées n'ont pas reçu de lettres individuelles...

M. Philippe Bellec. - Exact. La nature des entretiens était très diverse : certains souhaitaient obtenir des informations, une dizaine de personnes a demandé le classement en zone de solidarité, entre 27 et 30 personnes voulaient en être exclues. De nombreuses personnes nous ont également fait part de leur doléances en matière d'assurance, y compris à l'extérieur des zones de solidarité, ou de problèmes spécifiques pour les terrains nus.

M. Bruno Retailleau, président. - Quid de la Charente-Maritime ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Le préfet a organisé une conférence de presse au cours de laquelle il nous a présentés. L'information a été bien relayée par les médias et des éléments d'information ont été postés sur le site de la préfecture. Nous avons ensuite convenu des modalités d'entretien avec les maires. Le préfet souhaitant que les délégués soient au plus près des populations concernées, les entretiens ont eu lieu dans les mairies. En outre, chacun des trois délégués avait une spécialisation géographique. De fait, la situation est très différente entre la Vendée et la Charente-Maritime où 17 communes sont incluses dans les zones de solidarité ou les zones jaunes. Si une grande part du littoral est donc touchée, les problématiques sociologiques sont différentes à Charron et à l'Ile de Ré. Les maires nous ont aimablement reçus, malgré leurs récriminations à l'égard de l'État. Ils étaient satisfaits qu'un représentant de l'État en chair et en os puisse fournir des réponses à toutes les questions des sinistrés. Certaines communes, comme Aytré, ont simplement organisé des réunions publiques pour annoncer nos heures de permanence.

M. Bruno Retailleau, président. - Avez-vous également reçu en mairie en Vendée ?

M. Eric Verlhac. - Oui, à la mairie de La Faute-sur-Mer.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - D'autres mairies ont pris en main la situation : elles ont contacté les sinistrés et organisé des rencontres. A Charron, commune très touchée par la tempête, nous avons ainsi organisé des séances collectives rassemblant entre 10 et 25 personnes pour fournir des informations sur les modalités d'acquisition à l'amiable et d'expropriation et préféré des rencontres individuelles avec les personnes qui contestaient le zonage ou connaissaient un grand nombre de problèmes personnels.

M. Bruno Retailleau, président. - Quelle était la durée moyenne de ces entretiens individuels ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Entre 45 minutes et une heure. En Charente-Maritime, nous avons joué un rôle d'interface. La préfecture avait déjà mis sur pied des cellules dédiées à l'acquisition à l'amiable, aux problèmes d'assurance, à la médiation du crédit, au relogement et aux questions sociales ainsi qu'à l'accompagnement psychologique. En somme, notre tâche était de sérier les problèmes ; nous étions une espèce de « super numéro vert ».

M. Alain Anziani, rapporteur de la mission. - Nous avons reçu la semaine dernière des propriétaires des zones noires. Ils nous ont dit n'avoir rencontré aucun délégué. Comment expliquer cette situation ?

M. Bruno Retailleau, président. - Êtes-vous encore sur le terrain ?

M. Eric Verlhac. - Notre mission est terminée. Nous avons été sur place durant cinq semaines.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - En Charente-Maritime, notre mission n'est pas encore achevée. Nous avons pris du retard car les zones orange sont en train d'être précisées. Un des mes collègues n'a pas pu encore rencontrer les sinistrés. En tant que responsable du secteur Nord, de Charron à Aytré, j'ai reçu 180 personnes, représentant 150 foyers.

M. Eric Verlhac. - Le préfet de Vendée a mis en place un dispositif d'accueil comparable à celui qu'a décrit ma collègue de Charente-Maritime. Lorsque nous sommes arrivés, un tri avait déjà été fait entre les demandes et des réponses avaient été apportées.

Quant aux associations, il me semble difficile qu'elles n'aient pas eu vent de notre existence alors que notre intervention a été relayée par les médias et, durant un mois et demi, sur le site de la préfecture. En outre, une personne qui a assisté à une assemblée à La Faute-sur-Mer m'a confirmé que notre action était connue. Peut-être les associations n'étaient-elles pas formées alors...

M. Bruno Retailleau, président. - Pourquoi considérer votre mission achevée ?

M. Philippe Bellec. - Le préfet a constaté que les demandes diminuaient. De plus, elles portaient sur des questions étrangères à notre coeur de cible -par exemple, un désaccord avec l'assurance sur l'estimation d'un bien ou des informations sur les matériaux à utiliser dans les maisons sinistrées. En outre, le préfet vient de lancer une mission temporaire d'expertise.

M. Bruno Retailleau, président. - Soit, mais pourquoi ne pas envisager de vous déplacer une journée par semaine pour continuer de répondre aux questions des populations ? La mission d'expertise ne fait pas doublon avec votre mission, qui est axée sur la médiation. Son cahier des charges est différent du vôtre.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - En Charente-Maritime, le préfet a souhaité maintenir la mission. Nous sommes encore sur le terrain un jour par semaine et assurons un suivi téléphonique depuis Paris.

M. Eric Verlhac. - La situation en Vendée est différente. L'objectif initial de notre mission n'était-il pas de répondre aux interrogations sur le zonage ? Moi et mon collègue avons constaté que les sinistrés, qui avaient au départ une position très tranchée, avaient évolué.

M. Bruno Retailleau, président. - Était-ce avant ou après que France Domaine a fait des propositions ?

M. Eric Verlhac. - Non, avant. Les sinistrés venaient alors s'enquérir du déroulement de la procédure.

M. Michel Doublet. - Vous notez des améliorations en fin de mission. Néanmoins, en Charente-Maritime, les élus et la population sont contre le classement en zone noire. Je ne parle pas de Charron où l'on ne dénombre qu'une vingtaine de récalcitrants sur environ 150 propriétaires.

M. Eric Verlhac. - J'évoquais la Vendée, non la Charente-Maritime, et j'ai parlé d'évolution, non d'amélioration.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - La situation à Charron est particulière : une majorité de personnes souhaitait partir. Sur les 180 propriétaires, on comptait seulement 27 récalcitrants et, parmi eux, certains ont déjà accepté les conditions d'indemnisation. Aytré, où l'on déplore aussi des morts et où la mairie tenait un discours d'opposition, enregistre le plus fort pourcentage de propriétaires ayant accepté les propositions de France Domaine. De fait, dans les zones noires, une majorité de personnes ont rapidement demandé à s'inscrire dans la procédure d'acquisition à l'amiable, ce qui ne préjugeait pas de leur décision finale.

M. Michel Doublet. - La contestation est plus forte dans les communes plus éloignées telles que Chatelaillon, Yves, Fouras, Port-des-Barques, l'île d'Oléron... Les propositions de France Domaine sont supérieures de 30% à la valeur estimée des biens, rien d'étonnant à ce que les propriétaires des maisons inondées les acceptent ! En revanche, les propriétaires de maisons où il n'y a pas eu un centimètre d'eau sont défavorables à l'expulsion et à l'indemnisation.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Le délégué à la solidarité responsable de cette zone n'a pas encore rencontré les personnes concernées car le zonage était en suspens. Pour autant, je note que la situation à Charron, où la contestation était forte, a rapidement évolué dès qu'y sont parvenues des informations sur le zonage montrant la cohérence de la démarche de l'État. Il y a aussi un effet d'entraînement parmi les propriétaires : il était plus facile d'envisager un départ dès lors que les voisins avaient décidé de quitter les lieux.

M. Bruno Retailleau, président. - Il ne faut pas confondre mission d'expertise et mission de médiation. Pourquoi ne pas envisager que les délégués à la solidarité pour la Vendée restent en place ? La procédure sera longue. Le ministre ne vous a-t-il pas donné pour mission de « recevoir toutes les personnes qui souhaitent des explications » ?

M. Philippe Bellec. - Nous les avons reçues.

M. Bruno Retailleau, président. - Est-il normal que les associations de victimes de La Faute-sur-Mer et d'Aiguillon-sur-Mer ne puissent pas rencontrer les délégués quand les autres, de l'autre côté des limites départementales, le peuvent ?

M. Philippe Bellec. - La demande des personnes que nous avons rencontrées était que nous procédions à des constats, à des expertises au cas par cas. N'aurait-on pas semé la confusion en maintenant une mission d'écoute aux côtés de la mission d'expertise ?

M. Bruno Retailleau, président. - Une mission temporaire d'expertise a-t-elle été également lancée en Charente-Maritime ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Sa création a été annoncée, sans être confirmée. La situation est différente en Charente-Maritime car l'on nous a demandé de recueillir en direct les observations des personnes qui contestaient le zonage. Je me suis moi-même déplacé à Charron et à Nieul-sur-Mer avec le responsable de l'association de défense. Avant, le seul canal d'expression de ces personnes étaient les médias et les associations. Le rapport que je rendrai au préfet comportera ces observations qui serviront à la mission d'expertise.

M. Bruno Retailleau, président. - Peut-on en conclure que la mission a été plus utile en Charente-Maritime qu'en Vendée ?

M. Philippe Bellec. - Non, nous avons transmis nos observations à notre hiérarchie au fil des semaines. Le réexamen des zones de solidarité est plus avancé en Vendée qu'en Charente-Maritime...

M. Bruno Retailleau, président. - ...selon un système de vases communicants : la zone en Vendée se réduit à mesure qu'elle s'élargit en Charente-Maritime.

M. Philippe Bellec. - L'évolution annoncée par le Gouvernement sur le tracé des zones va dans le sens de nos propositions. En Vendée, moins de sites étant concernés et la zone inondée étant plus limitée, les entretiens ont utilement mis en lumière la nécessité de prendre en compte les situations particulières pour procéder à un réajustement conforme aux souhaits de nos interlocuteurs.

M. Bruno Retailleau, président. - Est-ce à dire que la définition des premiers périmètres était trop hâtive ?

M. Philippe Bellec. - Non. Si l'État n'avait pas pris une décision rapidement, on le lui aurait également reproché. Dans tous les cas, il y aurait eu contestation.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Plutôt qu'une logique de guichet, pourquoi n'avoir pas adopté une logique proactive en allant au-devant des sinistrés ? A La Faute-sur-Mer et à L'Aiguillon-sur-Mer, des sinistrés ne connaissaient pas votre existence.

M. Philippe Bellec. - L'information est pourtant largement passée : nous avons même reçu des propriétaires de maisons secondaires...

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Ce dispositif repose effectivement sur une démarche volontaire des personnes. Nous avons reçu les personnes prioritaires, soit les propriétaires des zones de solidarité, puis ceux des zones jaunes et ceux hors zones. Nous répondons à toutes les sollicitations.

M. Bruno Retailleau, président. - A votre avis, pourquoi la population a-t-elle réagi si vivement au zonage ?

M. Eric Verlhac. - Apprendre que sa maison serait détruite a provoqué un choc psychologique, sans oublier la peur éprouvée durant la tempête. En expliquant les garanties et le processus juridique, nous avons progressivement réussi à apaiser ces inquiétudes.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Les sinistrés ont eu l'impression de perdre toute maîtrise sur la situation. La notion d'expropriation leur a fait peur. Pour eux, elle équivalait à celle d'expulsion.

M. Bruno Retailleau, président. - De fait, le résultat est comparable...

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Non, car il s'agit d'un processus long d'acquisition à l'amiable. Nous leur avons montré que l'étape de l'enquête publique, de la déclaration d'utilité publique et de l'expropriation n'était pas le bâton après la carotte. Dans de nombreux cas, expliquer ce processus a apaisé des angoisses très vives.

M. Bruno Retailleau, président. - Sans être géomètre ni hydraulicien, vous êtes responsable du développement durable. Que pensez-vous des critères de zonage ?

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Je n'ai pas d'avis scientifique sur la question.

M. Bruno Retailleau, président. - Donc, ils vous semblent justes...

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Ce qui m'a frappé, concernant les critères de zonages, c'est le déficit d'explication. Les personnes se sont réappropriées les critères en retenant ce qu'il y avait de plus palpable pour eux, par exemple le niveau d'eau à l'intérieur des maisons. Or certaines maisons classées en zone noire, construites sur des remblais, ce qui est fréquent dans les régions marécageuses, n'ont pas été inondées. D'où une grande incompréhension. Chacun voulait voir le niveau de l'eau dans sa parcelle, sans comprendre la cohérence de la démarche en termes d'urbanisme. Il s'agissait de délimiter des zones tout en évitant un phénomène de mitage qui aurait été ingérable. Une fois cette démarche détaillée, les personnes ont mieux compris que leur maison, quand bien même elle n'avait pas été inondée, pouvait être classée dans telle ou telle zone.

M. Bruno Retailleau, président. - Et en Vendée ?

M. Philippe Bellec. - Après l'annonce du classement en zones noires, l'émotion a été si vive que les explications techniques, au début, n'ont pas été entendues. Autre source d'incompréhension, la délimitation des zones n'est pas été seulement fonction de la tempête Xynthia, mais aussi de simulations de phénomènes climatiques semblables. Or, dans de nombreux cas, malgré toutes les informations que détiennent les services de l'État sur la topographie en Vendée, nous sommes incapables de savoir si la maison a été ou non construite sur trois parpaings au-dessus du sol naturel. Recevoir les personnes de manière individuelle a constitué une bonne préparation de la phase actuelle d'examen sur le terrain. Il est désormais possible d'envisager un aménagement des zones de solidarité. Si nous nous attendions à des échanges musclés, les personnes rencontrées ont réagi de manière rationnelle lorsqu'elles ont mesuré que leur maison, si elle n'avait pas été touchée par la tempête Xynthia, se trouvait dans une zone à risques. La réaction n'a pas été épidermique, sauf au démarrage.

M. Bruno Retailleau, président. - Je m'émeus, au nom de la mission, que la gestion de telles crises ne soit pas harmonieuse dans deux départements, de surcroît limitrophes. Voilà un bel exemple de fragmentation ! Pour vous, les délégués à la solidarité ont-ils un rôle à jouer dans la procédure d'expropriation ? C'est le rôle des commissaires enquêteurs...

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Peut-être le commissaire enquêteur voudra-t-il nous entendre... Notre travail trouve plutôt sa conclusion dans la mission d'expertise...

M. Philippe Bellec. - ...et le rapport de la mission interministérielle.

Mme Marie-Françoise Simon-Rovetto. - Permettez-moi d'insister sur notre rôle d'interface et la nécessité de répéter les informations basiques pour qu'elles soient assimilées en temps de crise.

M. Bruno Retailleau, président. - La pédagogie est l'art de la répétition... Je vous remercie de votre présence.

Audition de M. Takanori Isogai, premier secrétaire de l'ambassade du Japon, et de M. Yasushi Masaki, ministre en charge des affaires politiques auprès de l'ambassade du Japon

M. Bruno Retailleau, président. - Au nom de la mission d'information, je remercie M. le premier secrétaire de l'ambassade du Japon, ainsi que M. le ministre en charge des affaires politiques auprès de cette ambassade.

Comme vous le savez, la tempête Xynthia a causé la mort de 53 personnes. Notre mission s'est constituée très vite pour tirer les leçons de ce drame, tout en sachant que nous ne pourrons pas échapper totalement aux risques climatiques. Hier encore, nous avons déploré 11 à 15 décès dans le Var.

Le Japon a une vaste culture du risque sismique, mais il a aussi subi des submersions marines. Vous avez donc beaucoup à nous apprendre.

M. Yasushi Masaki, ministre en charge des affaires politiques auprès de l'ambassade du Japon. - Nous sommes très honorés d'être aujourd'hui devant vous.

J'exprime nos condoléances sincères à toutes les familles endeuillées, dont nous partageons la souffrance.

Nous formulons les meilleurs voeux pour vos efforts de reconstruction. J'éprouve une énorme sympathie pour les habitants de la région, car j'ai effectué un stage à la préfecture de la Roche-sur-Yon il y a 24 ans, dans le cadre de mon stage à l'ENA.

Malheureusement, notre pays a subi de nombreuses catastrophes naturelles. Espérons que notre expérience en ce domaine vous sera utile. Si vous le souhaitez, notre coopération pourra se prolonger à l'avenir.

M. Bruno Retailleau, président. - Je suis très heureux d'apprendre que vous avez fait un stage à la Roche-sur-Yon. J'espère que vous avez pu aller sur le terrain.

M. Takanori Isogai, premier secrétaire de l'ambassade du Japon. - Plus particulièrement chargé de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du logement, je vous présenterai le système japonais de gestion des risques naturels. La première partie de cette présentation sera très globale.

Commençons par le bilan des catastrophes naturelles au Japon, un pays touché par des tremblements de terre, des tsunamis, des éruptions volcaniques, des typhons, des pluies diluviennes et même des avalanches de neige.

Les tremblements de terre représentent un risque majeur, puisqu'au cours des dix dernières années, un événement sismique sur cinq s'est déroulé au Japon. D'autre part, des typhons traversent chaque année notre pays, avec un record historique de dix typhons en 2004. De nombreux décès sont imputables aux glissements de terrain dus à la pluie.

Depuis 1945, le nombre de morts tend à décroître, sauf en 1995, année marquée par le terrible séisme de Kobé. Pour l'essentiel, l'amélioration est due au perfectionnement des prévisions et des communications. Après le typhon de 1959, une loi a été votée en 1961 pour organiser la gestion des risques naturels, depuis la prévention jusqu'à l'aide aux sinistrés, en passant par les secours. Nous avons ensuite tiré les leçons amères des 5000 morts et disparus déplorés en 1995. Depuis cette date, la politique de gestion des risques naturels a été renforcée. Avec plus de 300 morts et disparus, l'année 2004 est exceptionnelle en raison du très grand nombre de typhons.

En mémoire du grand séisme du 1er septembre 1923, qui a fait plus de 140 000 morts à Koto, dans la région de Tokyo, le 1er septembre est devenu « jour de gestion des risques ». Des exercices d'évacuation sont organisés dans le Japon à grande échelle.

La région de Sanriku a subi deux tsunamis majeurs en 1896 et 1933.

Pourquoi y a-t-il tant de catastrophes naturelles au Japon ? Les régions montagneuses couvrent 70 % du territoire. La surface inondable, soit 10 % du total, concentre 60 % de la population et 75 % des biens. Les pluies diluviennes provoquent des inondations même dans les centres des villes. On constate l'accroissement tendanciel des grosses précipitations, mais j'ignore s'il y a un lien avec le changement climatique.

Le Japon comporte trois niveaux d'administration : l'État, les départements et les communes. Les ministères comportent des services déconcentrés, mais il n'y a pas d'équivalent du préfet. On dénombre 47 départements et 1 700 communes qui ont à leur tête respectivement un gouverneur et un maire élus. Pour conforter la gestion des risques, un ministre est spécifiquement chargé de cette mission depuis 2001. Un service permanent assure cette mission sous son autorité, en liaison avec les ministères via le « Secrétariat de cabinet ». S'ajoute un organisme interministériel : le Conseil national de gestion des risques, présidé par le Premier ministre et associant tous les ministres, la Banque centrale du Japon, la télévision, les télécommunications et la Croix-Rouge japonaise.

M. Bruno Retailleau, président. - Des élus siègent-ils à ce conseil ?

M. Takanori Isogai. - Non, mais des experts et des chercheurs. La gestion des risques naturels concerne de vastes domaines et beaucoup d'administrations. De nombreuses coordinations horizontales et verticales sont donc nécessaires.

Nous arrivons ainsi au plan de gestion des catastrophes. Lorsqu'elles établissent ou modifient leur plan, les collectivités territoriales doivent en discuter avec l'État pour que soit maintenue la cohérence d'ensemble. Juridiquement, la commune est responsable au premier chef, le département et l'État n'intervenant qu'en fonction des nécessités. Nous retrouvons une sorte de principe de subsidiarité. En pratique, les communes jouent un rôle majeur.

J'en viens à la deuxième partie de mon exposé, qui porte sur la gestion des risques dans la zone littorale.

Le Japon comporte 35 000 kilomètres de côtes et 9 000 kilomètres de digues.

Les conditions naturelles à risque sont aggravées par la concentration de la population et des biens sur la zone littorale. Ainsi, les grandes agglomérations de Tokyo, Osaka et Isé abritent 4 millions de personnes vivant au-dessous du niveau de la mer. Les digues sont donc nécessaires. Hélas, elles sont vétustes : beaucoup ont été construites avant 1965. J'ajoute qu'entre 1978 et 1993, l'érosion marine s'est poursuivie à un rythme deux fois plus élevé qu'auparavant. Plus de 1300 hectares de plage ont ainsi disparu pendant cette période, une surface supérieure à celle du XVIe arrondissement de Paris.

Il faut donc aménager en urgence les côtes, alors que les budgets sont insuffisants : les crédits destinés aux travaux publics ont fondu des deux tiers depuis 1991. Nous sommes contraints de fixer des priorités, mais aussi d'innover pour mettre en oeuvre des protections moins coûteuses.

En principe, les côtes sont gérées par les départements, mais cette tâche peut être ponctuellement déléguée aux communes, aux ports ou à un gestionnaire spécifique. L'État intervient dans deux cas : pour les îles frontalières et lorsque des travaux exceptionnels sont nécessaires.

Je passe au système d'alerte. En cas de lames déferlantes ou de tempête, l'agence de météorologie informe les communes, qui organisent l'évacuation de la population. Bien entendu, l'information est aussi transmise aux départements, à l'État, à la police, à la presse et à la télévision. Les critères d'alerte sont convenus d'avance. Je précise que, dans six zones, l'alerte est directement transmise à l'État, les départements étant les destinataires premiers dans 120 cas. Depuis le mois de mai, nous disposons d'un nouveau système d'alerte permettant de prévoir la hauteur de la mer.

Nous abordons maintenant le lien entre risques naturels et occupations du sol. Les communes peuvent restreindre la construction dans les zones à risque, dont 30 % sont menacées par l'eau.

Pour informer la population, les administrations établissent une cartographie dénommée « hazard map », où figurent les zones à risques et les routes d'évacuation. Cette carte des risques d'inondations n'est pas opposable aux tiers.

En 2008, une lame déferlante a tué deux personnes à Toyama, où 16 habitants ont été blessés. À la suite de cette catastrophe, le ministère de l'aménagement du territoire et des infrastructures a créé un comité d'étude consacré aux lames déferlantes. Leur cause se situe en haute mer, lorsqu'une basse pression atmosphérique est combinée à de forts vents. En 2008, la hauteur exceptionnelle de cette vague a été supérieure à celle des digues ! En outre, celles-ci avait subi une importante érosion. Le rapport a formellement recommandé de reconstruire les digues et tous les ouvrages d'art. Il a aussi réclamé une enquête d'urgence sur l'érosion des côtes.

Les critères d'alerte ont été clarifiés. Une force d'assistance technique face à l'urgence, dénommée « Technical emergency control force », a été créée. En cas de catastrophe majeure, une équipe disposant des équipements adéquats apporte aux collectivités territoriales les conseils techniques portant sur les travaux à réaliser en urgence, mais aussi sur les moyens de rétablir la vie économique.

J'en suis parvenu à la troisième partie de mon intervention, qui porte sur l'indemnisation des victimes. Je mentionnerai tout d'abord le versement d'allocations décès, les exonérations d'impôts et l'attribution de prêts à des conditions préférentielles.

L'assurance privée intervient aussi, mais les risques sismiques et volcaniques ne sont pas assurables, non plus que les tsunamis ou les incendies liés aux séismes. Une assurance publique a été créée en 1968 pour couvrir tous ces risques.

Enfin, la loi relative à l'aide à la reconstruction permet de verser des allocations personnelles pouvant atteindre 3 millions de yens, soit l'équivalent de 27 000 euros pour reconstruire une maison.

M. Bruno Retailleau, président. - Cela peut suffire ?

M. Takanori Isogai. - Oui.

Cette allocation a été créée en 1999, car le séisme de Kobé avait détruit de nombreux logements, alors que seuls 10 % des ménages étaient assurés contre les tremblements de terre. Initialement, il s'agissait de couvrir les dépenses de première nécessité ; la reconstruction de logements n'a été introduite qu'en 2004. Depuis, le dispositif a été simplifié. En outre, ses destinataires potentiels sont devenus plus nombreux, puisque les critères d'âge et de revenus ont disparu. Ainsi, l'allocation est versée dès lors qu'une catastrophe importante a détruit plus de dix maisons individuelles dans une commune ou plus de 100 dans un département.

L'allocation comporte deux parties : la première est attribuée en fonction des dégâts, la seconde dépend des moyens de l'allocataire. Le versement de base, soit 1 million de yens, est attribuée lorsque le logement est totalement ou très largement détruit, ou encore lorsqu'il doit être évacué pour une longue période, par exemple en raison d'émanations de gaz toxique provoqué par une éruption. La partie supplémentaire s'échelonne entre 500 000 yens et 2 millions, selon qu'il faut louer ou reconstruire une maison.

Au nom de la solidarité, tous les départements financent le fonds d'aide à la reconstruction, qui verse ces allocations via les collectivités territoriales. J'ajoute que l'État rembourse au fonds la moitié des sommes remises aux sinistrés. En 2009, 850 millions de yens ont été distribués. En dix ans, l'équivalent de 205 millions d'euros ont été alloués aux victimes des catastrophes naturelles.

M. Bruno Retailleau, président. - Je vous remercie, d'autant plus que nous avions dû reporter votre audition.

Votre présentation qui a correspondu à ce que nous attendions nous sera très utile. Je pense que vous nous aiderez à améliorer notre système, car votre pays connaît toute la palette des risques naturels.

Le niveau de la mer est-il monté au cours du XXe siècle ? Avez-vous des prévisions pour le XXIe ?

M. Takanori Isogai. - Je ne dispose pas de chiffres, mais je vous les communiquerai.

M. Bruno Retailleau, président. - Pensez-vous pouvoir prévoir les conséquences d'une surcote de l'eau en mer ?

M. Takanori Isogai. - L'agence météorologique communique des prévisions de niveau de la mer pour chaque commune.

M. Bruno Retailleau, président. - Vous êtes en avance sur nous.

Pourquoi la vitesse de l'érosion a-t-elle doublé en dix ans ?

M. Takanori Isogai. - C'est le résultat d'un ensemble de causes associant l'affaissement des terrains, l'incidence des séismes et le tassement des sols artificiels.

M. Bruno Retailleau, président. - Avez-vous constaté une accélération des événements climatiques exceptionnels ? Sont-ils favorisés par le changement climatique ?

M. Takanori Isogai. - Nous ignorons les causes du changement climatique, mais il va relever le niveau de la mer.

M. Bruno Retailleau, président. - Quels critères président au choix des digues à restaurer ? Certaines communes sont-elles abandonnées au risque de submersion ?

M. Takanori Isogai. - Je ne connais pas tous les critères, qui sont nombreux et techniques. Je me renseignerai auprès des services concernés.

M. Bruno Retailleau, président. - Les défenses contre la mer sont-elles toujours des ouvrages construits par l'homme ?

M. Takanori Isogai. - Il me semble que oui.

M. Bruno Retailleau, président. - Quelle est la part de la population vivant sur le littoral ?

M. Takanori Isogai. - Comme je vous l'ai dit, 10 % du territoire japonais est inondable, soit en raison du littoral, soit en raison des rivières. Environ 620 communes sont situées le long du littoral. Ce sont probablement les plus peuplées, car le Japon est montagneux à 70 %.

M. Bruno Retailleau, président. - Votre expérience vous inspire-t-elle des leçons à tirer de Xynthia ? En 2008, vous avez déploré deux morts. Pourquoi y en a-t-il eu 53 en France cette année ?

M. Takanori Isogai. - Ma réponse n'engage que moi, mais je vois deux raisons. La première tient au meilleur état des digues japonaises, malgré leur vétusté. La deuxième est que notre population est mieux informée. Sa sensibilisation et son éducation sont problématiques, mais les résultats sont plus poussés qu'en France.

M. Bruno Retailleau, président. - Vous êtes sans doute plus disciplinés que nous. Comment entretenir la conscience du risque ?

M. Takanori Isogai. - Outre la hazard map, la conduite en cas de catastrophe naturelle est enseignée à l'école.

M. Bruno Retailleau, président. - Comment la hazard map est-elle diffusée au public ?

M. Takanori Isogai. - Cet outil destiné au grand public est distribué à la population. Il est à sa disposition dans les mairies, mais aussi sur Internet.

M. Bruno Retailleau, président. - Je vous remercie au nom de mes collègues.

Nous sommes sensibles aux condoléances que vous avez exprimées envers les familles endeuillées par Xynthia et les pluies d'hier.

M. Michel Boutant. - Après une catastrophe naturelle, qui participe aux opérations de secours ? Les forces armées, la réserve ? Le Japon possède-t-il une force de sécurité civile ?

M. Takanori Isogai. - Tout dépend de l'ampleur de la catastrophe. Dans les cas les plus graves, l'armée d'autodéfense peut intervenir aux côtés des policiers et des pompiers.

M. Yasushi Masaki. - Pour des raisons historiques, il existe une forte réticence au Japon envers l'appel aux forces armées, mais elles ont dû intervenir lors du séisme de Kobé. Depuis, les maires hésitent de moins en moins à solliciter les militaires.

Audition de M. François Ewald, professeur titulaire de la chaire d'assurances au conservatoire national des arts et métiers, directeur de l'école nationale des assurances

M. Bruno Retailleau, président. - Nos sociétés ont occulté le risque. Or, avec le réchauffement climatique, nous devons nous préparer à des évènements de plus en plus fréquents. À vos yeux, monsieur le professeur, quels sont les mécanismes en oeuvre dans la population qui expliquent que l'on ait perdu cette « culture du risque » ? Pouvez-vous nous aider à mieux comprendre cette psychologie collective ?

M. François Ewald. - Je suis tenté de vous répondre : « qu'entendez-vous par culture du risque » ?

M. Bruno Retailleau, président. - Les comportements, les organisations qui permettent à une société de répondre aux risques. Vous avez publié une tribune fort intéressante sur Xynthia dans Les Échos. Quelle analyse faites-vous du risque dans nos sociétés ? Vous avez libre cours !

M. François Ewald. - C'est une question terriblement générale...

La question du risque, c'est la question de la confiance. Les hommes naissent dans un environnement incertain : la question de savoir à quoi ou à qui se fier est fondamentale. « Confiance » est synonyme d' « assurance » : les hommes veulent vivre confiants, assurés, rassurés. Avec l'assurance, l'incertitude ne disparaît pas mais est affrontée autrement. La recherche de ce bien est fondamentale dans la culture européenne, et ce depuis les Grecs. Elle est au coeur du projet de la philosophie : dès le début du Discours de la Méthode, Descartes annonce vouloir « marcher avec assurance en cette vie ».

Disposer ou non de cette qualité de vie qu'est la confiance change la nature de la vie. Ainsi, l'avare vivra un enfer si sa fortune s'accompagne de l'angoisse de la perdre, tout comme l'amoureux jaloux. La confiance est ce qui fait la valeur des autres biens.

La confiance se trouve à travers cinq « institutions » majeures. La première est la religion : je m'en remets à la Providence, et je retrouve la quiétude. Vient ensuite le savoir : si j'épuise la causalité des choses par la connaissance, je réduis l'incertitude. Troisièmement, le travail sur soi : les morales antiques proposent des techniques pour ne pas être affecté par le sort ; aujourd'hui, la médecine de la dépression permet à l'individu de s'accommoder d'une certaine vulnérabilité. D'où le succès des magazines de philosophie et autres ouvrages de développement personnel. Quatrième institution : l'État. Dans la théorie hobbesienne du droit naturel, les hommes acceptent de renoncer à leur liberté pour jouir de la sécurité. Enfin, l'instauration de l'assurance apporte une solution financière.

Les fonctions régaliennes de l'État - la police, la justice, l'armée - ne représentent 5% que du budget global, l'assurance sociale et privée, 90% ! La religion n'a pas disparu mais me semble désormais marginale ; la science est devenue plus inquiétante que rassurante ; la confiance dans l'État s'amoindrit, d'où la recherche croissante de solutions individualisées, médicales, morales ou psychologiques. Reste les prestations d'assurance, qu'il s'agisse d'une économie collective - l'État providence - ou individuelle.

Le besoin de confiance a toutefois pour corollaire une certaine capacité à s'illusionner. La confiance est une valeur ambiguë : elle facilite les relations sociales, mais c'est aussi une dépendance, une perte de liberté...

M. Bruno Retailleau, président. - Vous vous êtes intéressé à Xynthia. Comment lisez-vous les évènements qui ont suivi, les réactions de l'État ou de la population ?

M. François Ewald. - Dans un univers incertain, l'État cherche à se requalifier comme le garant de la sécurité. Le Président de la République ne cesse de se présenter en grand protecteur, défenseur des victimes... Le sentiment de manque de confiance conduit à une forme de surenchère publique.

L'histoire de Xynthia est triste : les gens avaient une telle confiance dans l'information donnée qu'ils se sont retrouvés piégés par ce qui devait les protéger. Il y a un paradoxe entre la volonté protectrice de l'État et la manipulation schématique des instruments de protection ; un décalage entre les informations disponibles sur l'état des digues, la force des vents ou de la marée, et la non-évacuation des habitants !

S'il fallait se retirer de tous les endroits dangereux, le territoire français serait désertique ! L'histoire de l'homme, c'est sa capacité à rendre disponibles des terres qui ne l'étaient pas. La nature est fondamentalement hostile, les jardiniers le savent bien ! Ce n'est pas parce qu'un territoire est inondable qu'il doit par principe être inhabitable.

M. Bruno Retailleau, président. - Le système d'assurance en France est-il suffisamment robuste pour réassurer l'homme dans sa relation à la nature ?

M. François Ewald. - À mes yeux, le régime des catastrophes naturelles est un dispositif d'aménagement du territoire.

M. Bruno Retailleau, président. - C'est un point de vue original !

M. François Ewald. - Le régime de 1982 traduit l'obligation de solidarité en cas de calamité naturelle prévue par le Préambule de 1946 : il garantit l'aide de la Nation en tout point du territoire, quelle que soit la vulnérabilité de celui-ci. Dès lors, pour que tous les territoires soient à égalité face au risque, il est juste que contribuent même ceux qui n'y sont pas exposés. Le système fonctionne presque trop bien, puisqu'il donne de la valeur à des endroits qui ne devraient pas être valorisés !

M. Alain Anziani, rapporteur. - C'est oublier que le code de l'urbanisme, notamment, interdit parfois la construction !

M. Bruno Retailleau, président. - Le régime des catastrophes naturelles n'est pas un chèque en blanc !

M. François Ewald. - L'assurance protège une valeur. Le régime des catastrophes naturelles donne une valeur à des zones du territoire qui en seraient sinon dépourvues.

M. Alain Anziani, rapporteur. - Autant dire qu'indemniser une victime d'un accident de la circulation revient à favoriser la conduite irresponsable : on prend le raisonnement à l'envers !

M. François Ewald. - Je n'ai pas achevé ma démonstration ! Le régime des catastrophes naturelles peut être envisagé de deux manières. D'abord, je l'ai dit, comme un principe d'aménagement du territoire. Une maison qui, du jour au lendemain, n'est plus assurable voit son prix chuter. Cela ne justifie bien évidemment pas que l'on construise des immeubles sur l'île de la Jatte du moment qu'ils sont assurés ! Une autre vision est d'inciter à l'individualisation, de valoriser la prévention au point de dire que la solidarité nationale ne joue que lorsqu'un effort a été fait pour réduire les risques. Mais une vraie différenciation sur le territoire serait compliquée à mettre en oeuvre.

M. Bruno Retailleau, président. - Pensez-vous que le régime des catastrophes naturelles pousse au crime ?

M. François Ewald. - Il joue dans deux directions : d'une part, dans une vision solidariste classique, pour homogénéiser le territoire...

M. Bruno Retailleau, président. - Vision très française !

M. François Ewald. - La philosophie de l'aménagement du territoire repose sur le principe d'égalité : où que je sois sur le territoire, j'ai accès aux mêmes services. La loi de 1982 a d'abord été interprétée sous cet angle. Si l'on fait jouer tous les instruments de prévention, on dispose au contraire de toute une technologie qui renchérit l'assurance et crée de la différenciation : c'est la tendance actuelle. Loin d'être antithétiques, ces deux visions sont compatibles.

M. Bruno Retailleau, président. - Comment lier davantage protection et prévention, pour que le régime assurantiel assure mieux la gestion du risque ex ante ?

M. François Ewald. - Il y a une contradiction : si l'on fait jouer des mécanismes assurantiels purs, certaines zones ne seront plus assurées, au risque de provoquer des mouvements de populations !

M. Bruno Retailleau, président. - Pourquoi les pouvoirs publics sont-ils si malhabiles dans la gestion des risques ?

M. François Ewald. - Nous nous gargarisons du principe de précaution, instrument à la fois sommaire et efficace de la gestion des risques, mais n'avons guère la culture de la préparation, très développée aux États-Unis.

En 1982, la réalité des catastrophes naturelles était mal connue. L'assurance était aussi celle des élus, qui jusqu'alors devaient aller quémander des secours à Paris en cas de calamité ! Avec la loi de 1982, le risque a été transféré aux assureurs. Aujourd'hui, l'information est pléthorique : les entreprises s'adressent à des agences spécialisées dans l'information sur les catastrophes naturelles. Pourquoi l'administration n'a-t-elle pas disposé de ces services ? Il est vrai que ce sont des informations sensibles, confidentielles. De même, la loi Kouchner de 2002 excluait certaines informations médicales du commerce social ou économique. Mais l'administration gère sommairement des situations qui pourraient l'être plus finement - sachant qu'une information différenciée sur chaque parcelle de terrain est plus délicate à gérer, là où le principe de précaution réduit les marges d'erreur ! Choisir la conduite adaptée, c'est sortir du tout ou rien...

M. Bruno Retailleau, président. - Pensez-vous que la loi de 1982 doive être réformée, et si oui, dans quel sens ?

M. François Ewald. - Je dis que les instruments d'information dont nous disposons peuvent compliquer considérablement l'utilisation de la loi de 1982, pas qu'il faut supprimer la solidarité.

M. Bruno Retailleau, président. - À entendre M. Bernard Spitz, président de la Fédération française des assurances, la participation des assurances à la prévention ne se ferait pas par le biais tarifaire mais plutôt via un système de mutualisation.

M. François Ewald. - Après l'inondation meurtrière de Vaison-la-Romaine, en 1992, un débat a opposé Denis Kessler, alors président de la Fédération des assurances à Jacques Vandier, patron de la Macif, qui avait résilié des contrats. Au premier qui estimait que le régime de 1982 excluait la sélection, le second répondit que le rôle d'un assureur est précisément de sélectionner les risques ! Ils étaient à front renversé.

Il y a différentes conduites face au risque. Je peux décider de ne pas l'affronter. Je peux l'affronter sans prendre de mesures particulières : c'est l'auto-assurance. Je peux faire de la prévention, afin de réduire la probabilité que le risque se réalise : il n'y a alors aucune incitation à s'assurer. Enfin, je peux recourir à l'assurance, qui garantit une compensation financière ex post si l'évènement se produit. Ces comportements sont alternatifs. Si l'État s'affiche comme grand organisateur de la prévention, il réduit la matière assurable ; sans prévention, on augmente le risque, car le comportement change selon que l'on est assuré ou non : c'est l'aléa moral.

M. Alain Anziani, rapporteur. - M. Boaretto, médiateur des assurances, a évoqué une volonté de reconnaissance publique dans le régime des catastrophes naturelles.

M. François Ewald. - Les catastrophes naturelles sont des risques politiques. Au XIXe siècle, bon nombre d'interventions au Parlement étaient des demandes de secours !

M. Alain Anziani, rapporteur. - Le politique joue aussi le rôle d'un médiateur !

M. François Ewald. - Traiter une catastrophe nationale comme un évènement purement physique ou géologique, c'est occulter une réalité qui est profondément politique ! M. Borloo l'a perçu à ses dépens quand il a défendu les zones noires. Des valeurs profondes sont en jeu dans ces réactions.

Les commissions administratives servent à objectiver un risque anormal et à traiter une situation. Faut-il rendre cet instrument purement mécanique ? Peut-être, si l'on espère que l'administration remplace le gouvernement des hommes...

M. Alain Anziani, rapporteur. - Dans votre tribune, vous rappelez que nous sommes à l'âge de la démocratie participative, dont le principe a été constitutionnalisé dans la Charte de l'environnement. Cela doit-il être le premier réflexe du politique à chaque catastrophe naturelle ?

M. François Ewald. - Ça commence avant ! De nombreuses lois instaurent cette démocratie participative, par exemple avec les comités locaux d'information pour les risques industriels. L'article 7 de la Charte de l'environnement consacre le droit de la population à être informée et à participer aux décisions. Ces droits s'exercent dans le cadre d'une loi... qui n'a jamais vu le jour ! Avec Xynthia, il y a un sentiment de faute, et donc une sur-réaction qui fait l'impasse sur la médiation ; la population réagit, et on lui cède.

Sans doute ai-je été trop vague sur le thème de la culture du risque...

M. Alain Anziani, rapporteur. - Le sujet mériterait un livre ! Le risque est au coeur des activités humaines. Quand Marco Polo part en voyage, il prend un risque : l'histoire de l'homme, c'est l'histoire du risque !

M. François Ewald. - Au Moyen Âge, la culture du chevalier, dont la valeur dépend de sa capacité à exposer sa vie, est une culture du risque. Mais le marchand aussi a une culture du risque : quand l'armateur lance ses navires autour du monde, il calcule le risque pris et le transfère. Le bourgeois n'aime pas le risque. Les plus grands acteurs économiques ont une valorisation toute relative  du risque: toutes les techniques de gouvernance, de produits dérivés, visent en fait à transférer le risque !

L'aversion au risque est saine : elle encourage la prudence. Le courage est une vertu, pas la témérité : le « risquophile » ne trouvera jamais de banquier ! C'est pourquoi je suis très réservé devant les discours convenus faisant l'éloge du risque, si en vogue aux grandes heures de la mondialisation financière.

Audition de MM. François Gérard, ingénieur général des eaux, des ponts et des forêts, en charge du plan « digues », Philippe Dumas, inspecteur général des finances, Michel Rouzeau, inspecteur général de l'administration, et Xavier Martin, ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, co-auteurs du rapport de la mission interministérielle sur la tempête Xynthia

M. François Gérard, ingénieur général des eaux, des ponts et des forêts, a souligné que la mission interministérielle, qui relève des ministères en charge de l'écologie, de l'économie, du budget et de l'intérieur, a été constituée le 3 mars 2010 par le Gouvernement. Elle s'est rendue sur le terrain la veille de sa constitution officielle. Elle a remis un pré-rapport sous dix jours. Son rapport final, commandé sous deux mois, a finalement été réalisé en un peu moins de trois mois, vu l'ampleur des travaux d'instruction à mener.

M. François Gérard a rappelé que la mission avait pour objectif d'établir un état des lieux et de présenter des recommandations sur les sujets suivants :

- le recensement des lieux menacés et des digues censées les protéger ;

- l'établissement des circonstances dans lesquelles s'est produite la submersion marine provoquée par la tempête ;

- l'analyse du fonctionnement du dispositif d'alerte et de la mise en oeuvre des secours ;

- l'élaboration des plans de prévention des risques ;

- les principes d'un plan d'action intégrant l'ensemble des axes de la prévention des risques et de la gestion du trait de côte, y compris dans ses conséquences financières ;

- les responsabilités de gestion sur les ouvrages de protection contre les inondations et le financement des travaux sur ces ouvrages ;

- le dispositif d'assurance contre les catastrophes naturelles, dit régime « catnat ».

M. François Gérard a précisé que le système de vigilance et d'alerte a bien fonctionné pour les vents forts et les crues, mais n'a pas correctement anticipé l'inondation par submersion. Les messages d'alerte n'ont pas attiré suffisamment l'attention des préfets et des maires.

M. Alain Anziani, rapporteur, a constaté une incompréhension à ce niveau entre ces deux catégories d'acteurs.

M. François Gérard s'est félicité de la bonne anticipation des évènements, bien que le contenu des messages d'alerte n'ait été décryptable que par des spécialistes et n'ait pas fait de recommandations quant aux décisions à prendre. La direction de la sécurité civile (DSC) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) travaillent, avec des organismes spécialisés, à élaborer un système de vigilance donnant une anticipation de la hauteur d'eau sur les côtes. La mission a recommandé qu'un service compétent au sein de chaque direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) informe directement les maires en cas de procédure d'alerte et les aide à gérer la crise.

Il a ajouté que la réactivité des secours a été globalement excellente, les quelques dysfonctionnements relevés pouvant être corrigés par la suite, la DSC ayant déjà fait des préconisations sur ce point. Le fait que la tempête ait concentré ses effets sur un territoire littoral situé entre deux commandements opérationnels de zone a quelque peu retardé les interventions. Le passage en vigilance rouge a toutefois permis de pré-positionner utilement les secours.

M. François Gérard a ensuite noté que le manque de culture du risque s'est avéré particulièrement prégnant. Si le risque de vent fort et de tempête est désormais bien acclimaté parmi la population, ce n'est pas le cas de celui de submersion. L'évacuation des populations exposées n'a aucunement été anticipée. Il conviendrait de rendre obligatoire l'adoption d'un plan communal de sauvegarde (PCS) dès la prescription - et non pas seulement l'adoption - d'un plan de prévention des risques naturels (PPRN).

Le corpus normatif régissant ce dernier type de plan est relativement complet. Une enquête de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a même conclu que le dispositif français en la matière était parmi les plus aboutis. Les critiques émises par la mission portent sur la sous-estimation de l'aléa de référence, l'absence de valeur ajoutée des « porters à connaissance », l'ancienneté des documents d'urbanisme et l'absence de contraintes particulières dans les autorisations d'occupation des sols.

M. Xavier Martin, ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, en charge du plan « digues, a relevé que la tempête Xynthia a été d'une intensité inimaginable, d'où la faible pertinence des aléas de référence. La directive ministérielle assimile ce dernier à l'aléa historique le plus fort connu ou à l'évènement centennal statistique si celui-ci est supérieur. Or, aucune étude historique sérieuse n'a été menée, à de rares exceptions près, et ce alors que des vimers, caractérisés par la conjonction entre une marée astrologique et une marée météorologique, sont répertoriés depuis le XVIème siècle. Ces précédents, dont la réalité est bien tangible, n'ont pas été retenus comme aléas de référence pour bâtir les PPR ; leur ont été préférées des extrapolations et modélisations mathématiques fort théoriques et sujettes à controverse.

M. François Gérard, ingénieur général des eaux, des ponts et des forêts, a noté que la mission interministérielle a préconisé de reprendre l'atlas des inondations sur l'ensemble du littoral atlantique, voire national, ce sur quoi travaille le ministère en charge de l'écologie ; d'adopter des PPR dans les zones en étant dépourvues et de renforcer ceux existants ; de s'inspirer des risques cycloniques et sismiques en matière de zonage ; et de prévoir des mesures générales de prévention pour l'inondation, ce que permet une disposition introduite par voie d'amendement dans le projet de loi portant engagement national pour l'environnement.

M. Alain Anziani, rapporteur, s'est demandé s'il fallait imposer une date butoir pour l'adoption des PPR.

M. Xavier Martin a constaté que le problème est davantage la négociation entre les différents acteurs sur le degré de l'aléa de référence, les communes ayant tendance à le minorer, au contraire de l'Etat. Il lui paraissait donc essentiel, dans ce cas, de se référer à des études historiques objectives. Il a déclaré qu'il fallait par ailleurs que la population se réhabitue à vivre avec le risque, et n'hésite pas à se retirer des territoires où celui-ci est majeur.

Mme Marie-France Beaufils a considéré qu'il serait opportun de travailler à une simulation des risques au vu des données actuelles.

M. Xavier Martin, ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, en charge du plan « digues, a relevé que la modélisation numérique n'est efficace que si elle est réalisée avec un haut degré de précision. Or, il a estimé que les instruments en ce domaine sont encore relativement grossiers. Sur le modèle de ce qui a été fait pour l'estuaire de la Gironde, et s'est révélé fort efficace durant la tempête Xynthia, quatre à cinq années d'effort en coopérant avec de nombreux acteurs sont nécessaires pour obtenir des résultats significatifs.

M. François Gérard, ingénieur général des eaux, des ponts et des forêts, a observé que les constats réalisés par la mission interministérielle suite à ladite tempête rejoignent ceux faits par les services d'inspection de façon régulière.

M. Xavier Martin a ajouté que la stratégie de protection doit être d'un niveau identique sur l'ensemble du territoire français, ou tout au moins dans des régions homogènes.

M. Alain Anziani, rapporteur, a noté que la tempête Xynthia était un évènement certes localisé, mais dont les enseignements doivent être généralisés.

M. François Gérard a reconnu que les ouvrages de protection contre la mer sont mal connus car leur recensement est ancien. Si le décret de 2007 sur les digues et barrages impose de les répertorier, leurs propriétaires sont peu ou mal identifiés. L'article 33 de la loi de 1807 sur les digues, toujours en vigueur, permet cependant à l'Etat et aux collectivités locales de se substituer à eux en cas de défaillance de leur part.

En réponse à M. Alain Anziani, rapporteur, qui lui a demandé s'il avait inspecté l'état des digues, M. François Gérard a remarqué qu'il avait dressé un constat général, sans le préciser pour chaque territoire. Il a ajouté que la mission a proposé trois scénarios d'évolution pour la gestion des digues et du cordon dunaire :

- le statu quo aménagé, scénario où l'Etat inciterait les intervenants à se regrouper dans le cadre de territoires à risque et, le cas échéant, à consentir des délégations de maîtrise d'ouvrage à des acteurs de niveau supérieur ;

- le transfert de la gestion des digues à des communes, à leurs groupements ou aux départements ;

- la constitution au niveau national d'un établissement public administratif national chef de file pour, au minimum, exercer en matière de politique d'entretien des digues des fonctions d'animation, de coordination et d'élaboration de schémas stratégiques de programmation financière.

M. Éric Doligé a souligné les similitudes entre les inondations provoquées par la tempête Katrina à la Nouvelle-Orléans, le 30 août 2005, et la submersion qui a résulté du passage de Xynthia. Le constat, les défaillances et les conséquences à en tirer sont d'ores et déjà connues : les digues ainsi que les autres ouvrages de protection ne sont pas correctement recensés, leurs niveaux de sécurité sont très variables et, enfin, les responsabilités des différents propriétaires restent incertaines. Il convient d'aller au-delà de la réalisation d'un énième rapport et de prendre le plus rapidement possible les mesures adéquates, en veillant avec vigilance à leur mise en oeuvre effective.

M. Michel Rouzeau, inspecteur général de l'administration, a précisé que les trois scénarios n'ont pas été hiérarchisés entre eux, à la fois parce que la commande passée à la mission d'inspection ne l'exigeait pas et parce que chacun d'entre eux présentait des faiblesses. En effet, le statu quo serait particulièrement malvenu suite au passage de Xynthia. Le fait de confier la responsabilité de la gestion des digues aux collectivités territoriales apparaît, quant à lui, problématique dans un contexte de polémique sur les transferts de compétences et leurs modalités de compensation par l'Etat. Enfin, la gestion par un établissement public national laisse en suspens la question du partage des coûts entre l'Etat et les collectivités.

M. François Gérard a déclaré que la réflexion sur les ouvrages de protection doit s'insérer dans une approche globale du risque de submersion marine et de gestion du trait de côte. Des outils existants pourraient être étendus à ce risque spécifique. Ainsi, les programmes d'action de prévention des inondations (PAPI), lancés par l'Etat sur une base contractuelle avec les collectivités, devraient être étendus à la submersion marine. Le versement d'aides serait alors conditionné par leur existence. Par ailleurs, les normes de construction pourraient être plus contraignantes. En outre, la gestion du risque de submersion marine doit être cohérente avec la gestion du trait de côte.

M. Xavier Martin, ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts, a estimé que l'analyse de l'état des digues et de leur contribution à leur protection constitue la question centrale. Leur capacité à faire face aux crues centennales n'est qu'un objectif de niveau intermédiaire. Le niveau de protection pourrait être beaucoup plus élevé mais il s'agit d'un arbitrage coût/efficacité pour les pouvoirs publics.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité savoir si les techniques de construction sont parfaitement maîtrisées et si les matériaux utilisés sont parmi les plus résistants. Les Pays-Bas, pour leur part, ont développé une maîtrise technique particulière s'agissant d'ouvrages faisant alterner le sable et l'argile, comme l'a mis en évidence la mission lors de son déplacement.

M. Xavier Martin a indiqué que les techniques sont aujourd'hui aussi bien maîtrisées en France qu'ailleurs, mais que leurs coûts sont très variables. La réalisation d'ouvrages de moindre qualité tels que des tas de terre ou la simple formation de talus, ne peut constituer une solution de remplacement au regard de la construction de digues modernes, conformes aux techniques de génie civil actuelles, mais plus onéreuses.

M. Alain Anziani a souhaité connaître les propositions de la mission interministérielle en matière d'assurances, en particulier sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (« catnat ») et sur le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) dit fonds Barnier.

M. Philippe Dumas, inspecteur général des finances, a rappelé que suite à l'épisode de la sécheresse de 2003, le régime catnat a été étudié en 2005 par une précédente mission interministérielle, qui avait formulé de nombreuses recommandations, dont aucune n'a, à ce jour, été effectivement retenue, ni mise en oeuvre. Il en est de même pour les conclusions, rendues publiques en 2009, par le groupe de travail de la commission des finances du Sénat.

S'agissant des forces du régime catnat, il convient de relever qu'il est fondé sur une synthèse - propre à la France - entre une logique de solidarité nationale et des mécanismes assuranciels privés. Il constitue donc un équilibre satisfaisant, globalement perçu de façon positive.

Fondé sur une cotisation additionnelle aux contrats multirisques, ce régime a de plus été jusqu'à présent rentable pour les assureurs et réassureurs. Sa situation après s'être détérioré de 1992 à 2003, s'est redressée depuis lors, revenant à un niveau comparable et même supérieur à la moyenne des années 1996-2002.

En outre, la solidité financière de la Caisse centrale de réassurance (CCR), détenue à 100 % par l'Etat et qui, en raison de la garantie illimitée que lui accorde ce dernier, jouit d'une position de premier ordre sur le marché français de la réassurance des catastrophes naturelles, s'est sensiblement renforcée depuis 2004. L'amélioration de ses capacités correspond à une anticipation de l'occurrence de catastrophes de grande ampleur, c'est-à-dire d'un coût supérieur à dix milliards d'euros.

Pour ce qui concerne les faiblesses du régime, M. Philippe Dumas a mentionné trois éléments principaux :

- un cadre juridique peu précis en raison de l'utilisation par la loi des deux notions « d'intensité anormale » d'un agent naturel et de « cause déterminante » des dégâts matériels que doit avoir constitué cette intensité ;

- un recours insuffisant à l'expertise scientifique qui contraste avec un appel trop fréquent à des généralistes ;

- des mécanismes insuffisants d'incitation à la prévention. Ce point est le plus délicat et doit donc être souligné.

M. Philippe Dumas a indiqué que, par ailleurs, un renforcement significatif de la mise en oeuvre sur le terrain de la politique de prévention des risques d'inondation est apparu indispensable à la mission interministérielle. Celle-ci recommande à cet égard, contre l'avis des sociétés d'assurance, une modulation des primes catnat en fonction de l'exposition aux risques naturels et du respect des dispositions légales et réglementaires. Le caractère modeste des surprimes, aujourd'hui de l'ordre de 20 euros par contrat, ne serait pas remis en cause, y compris par une modulation de 35 % qui ne porterait leur montant qu'à 27 euros. Une indication explicite du coût de la surprime catnat alliée à un travail pédagogique auprès des assurés contribuerait à responsabiliser les individus. Les franchises pourraient elles aussi faire avantageusement l'objet de modulations. En outre, la légitimité de la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait renforcée par la participation de personnalités scientifiques au processus de décision ainsi que par une publicité des motifs de l'acte pris à cette fin.

M. Philippe Dumas a souligné qu'il convient parallèlement de veiller à la mise à disposition de moyens financiers conséquents. La mission interministérielle juge que le fonds Barnier constitue l'instrument le plus approprié en matière de financement par l'Etat. Elle souligne qu'il devra faire face à trois nouvelles dépenses qui vont résulter de la tempête Xynthia :

- le rachat des biens situés dans les zones de solidarité pour un montant compris entre 400 et 700 millions d'euros ;

- dans le cadre du plan « digues », la réfection des ouvrages de protection dont le coût global reste incertain. D'après M. Jean-Louis Borloo, ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, le montant des ressources mobilisables sur le FNPRM affectées à leur financement serai de l'ordre de 470 millions d'euros sur six ans (lettre au Premier ministre en date du 10 mai 2010). Cette évaluation - qui ne repose pas sur un recensement précis des ouvrages - ainsi que cette durée n'ont pas encore été arbitrées au niveau interministériel ;

- la réalisation des PPR littoraux.

S'agissant du rythme de dégagement des ressources mobilisables du fonds Barnier, son produit annuel est de 140 millions d'euros issu d'un prélèvement de 12 % sur la surprime catnat - elle-même de 12 % du montant des contrats - sachant que sa trésorerie devrait couvrir une somme initiale d'environ 75 millions d'euros et que ses recettes récurrentes représentent 70 millions d'euros chaque année, à condition de renoncer à d'autres dépenses ou de les différer. Les ministères chargés de l'économie et du budget évaluent quant à eux plutôt à 100 millions d'euros le flux annuel qu'il serait nécessaire de mobiliser sur le fonds, ce qui impliquerait de revoir les priorités de celui-ci.

M. Philippe Dumas a indiqué que les arbitrages à rendre au niveau interministériel vont donc devoir porter sur les éléments suivants :

- le montant et le rythme des travaux sur les ouvrages de protection ;

- le montant des dépenses hors Xynthia susceptibles d'être annulées ou différées au cours des cinq prochaines années ;

- le cas échéant, d'éventuelles recettes complémentaires pour le fonds.

M. Philippe Dumas a fait valoir que, dans cette dernière hypothèse, les pistes suivantes peuvent être mentionnées :

- l'affectation au fonds d'une part significative (50 à 75 %) du produit net d'une modulation des primes catnat. A titre d'hypothèse, si 10 % des assurés voyaient leur prime catnat - en moyenne de 20 euros par contrat - augmenter de 25 % par cette modulation, le produit pour le fonds serait de l'ordre de 15 à 20 millions d'euros ;

- le relèvement du taux de base des primes catnat elles-mêmes (12 % actuellement, soit un produit annuel de 1,3 milliard d'euros). L'affectation au fonds Barnier de la totalité de cette augmentation représenterait autour de 100 millions d'euros de ressources nouvelles, pour une augmentation de 1 % du taux de ces primes ;

- la voie d'une augmentation du taux des prélèvements opérés sur les primes catnat au profit du fonds Barnier paraît très délicate. En effet, ces prélèvements ont déjà fortement augmenté ces dernières années. Fixés initialement à 2 %, ils ont ainsi été portés à leur niveau actuel de 12 % par étapes successives, pour la dernière fois en 2009.

M. Michel Rouzeau, inspecteur général de l'administration, a ajouté que la piste d'un prélèvement exceptionnel sur les réserves de la Caisse centrale de réassurance (CCR) ne saurait être exclue de la liste des recettes complémentaires envisageables. La situation financière de cet organisme est particulièrement favorable puisque le total de sa provision d'égalisation et de sa réserve au titre des activités de réassurance des catastrophes naturelles dépasse aujourd'hui trois milliards d'euros contre 0,9 seulement en 2004.

M. Philippe Dumas, inspecteur général des finances, a ensuite fait part de modes de financement par les collectivités territoriales, pour la part qui leur incombera en matière de travaux de réfection des digues. Deux axes sont envisagés :

- un scénario dans lequel la loi autoriserait, éventuellement pendant une période de cinq ans renouvelable, les communes sur le territoire desquelles sont situés un ou plusieurs ouvrages de protection contre les inondations à percevoir une taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties. Cette taxe additionnelle pouvant être le cas échéant limitée aux parcelles et aux immeubles situés dans les zones à risque protégées par ces ouvrages ;

- un autre scénario, fondé sur la perception effective par les collectivités territoriales de la redevance de participation aux dépenses engagées sur les ouvrages en cause, prévue par l'article L. 211-7 du code de l'environnement. Elle serait mise à la charge des propriétaires de biens protégés.

M. Alain Anziani, rapporteur, a souhaité avoir des précisions sur le montant du prélèvement exceptionnel qui pourrait être opéré sur les réserves de la CCR.

M. Michel Rouzeau, inspecteur général de l'administration, a indiqué que ce montant n'a pas été précisément chiffré mais qu'il ne devra pas, en tout état de cause, affecter significativement les montants des réserves de la CCR. De l'ordre de trois milliards d'euros, ces dernières sont à rapprocher des besoins estimés : environ 400 millions d'euros pour les acquisitions amiables et quelques centaines de millions d'euros pour le plan digues.

M. Philippe Dumas, inspecteur général des finances, a invité à distinguer au sein de cette enveloppe de trois milliards d'euros, la part de réserves proprement dites des provisions d'égalisation. Celles-ci sans avoir le statut juridique de fonds propre peuvent y être assimilées et contribuent à un mécanisme de lissage pluriannuel.

M. Michel Rouzeau a observé le caractère fluctuant des résultats annuels de la CCR : ils ont ainsi représenté 262 millions d'euros en 2005 et 711 millions d'euros en 2008. Il faudra donc veiller à ce que le montant du prélèvement exceptionnel sur les réserves de la CCR n'affecte pas brutalement le produit de ses résultats annuels.