Mardi 6 juillet 2010

- Présidence de M. Jean-Pierre Godefroy, président -

Examen du rapport d'information

La mission d'information procède à l'examen du rapport de la mission.

M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le projet de rapport de la mission d'information sur le mal-être au travail, qui a commencé ses travaux il y a maintenant près de six mois.

Avant de donner la parole à notre rapporteur, je souhaitais vous indiquer que nous avons organisé, au total, trente-six auditions ou tables rondes, qui nous ont permis de rencontrer plusieurs dizaines d'interlocuteurs, venus d'horizons très variés.

Nous avons également effectué deux déplacements sur le terrain. Le premier, le 25 mars dernier, s'est déroulé au Technocentre de Renault à Guyancourt ; vous le savez, plusieurs suicides se sont produits sur ce site et nous souhaitions mieux en comprendre les raisons et prendre connaissance des actions engagées par l'entreprise pour améliorer la situation. Ce déplacement fut, à mon avis, très instructif, dans la mesure où les informations qui nous ont été données étaient précises et détaillées ; on peut cependant regretter de n'avoir pu visiter l'ensemble du site ni rencontrer directement des salariés.

Le second déplacement, le 8 juin, nous a menés dans un centre d'appels de France Telecom, situé à Ivry-sur-Seine ; cette entreprise est devenue, aux yeux de beaucoup de Français, le symbole du mal-être au travail et il était important que nous nous rendions compte par nous-mêmes de la situation et que nous rencontrions ses dirigeants. Nous avons pu échanger directement avec les salariés et avons entendu les points de vue complémentaires de la direction et des organisations syndicales. Si des efforts ont été accomplis, à l'évidence, pour rendre le travail plus agréable dans les centres d'appels, il demeure que le métier de téléopérateur reste psychologiquement exigeant et offre très peu de perspectives de carrière.

Ces précisions étant apportées, je cède la parole à Gérard Dériot, qui va nous présenter ses conclusions, puis nous ouvrirons le débat.

M. Gérard Dériot, rapporteur. - Au terme de nos travaux, il est d'abord possible d'établir un diagnostic : à l'évidence, le mal-être au travail progresse dans notre pays, même s'il n'est pas une spécificité française. Il touche tous les secteurs d'activité, les employés comme les cadres sans oublier les chefs d'entreprise.  

Plus d'un salarié sur cinq se plaint de devoir gérer une charge de travail excessive et 30 % déclarent être victimes d'agressions verbales ou souffrir de conflits de valeurs, c'est-à-dire de l'obligation d'accomplir dans leur travail des choses qu'ils désapprouvent.

De son côté, l'INRS a cherché à évaluer le coût économique du stress et constate également que le phénomène serait en progression. Sa première estimation, en 2002, faisait état d'un coût compris entre 830 millions et 1,6 milliard d'euros. L'actualisation effectuée en 2009 a abouti à un résultat compris, a minima, entre 2 et 3 milliards d'euros.

Les statistiques de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale révèlent également, depuis plusieurs années, une augmentation préoccupante du nombre de cas de troubles musculo-squelettiques (TMS), qui sont typiquement des pathologies de surcharge. En ce qui concerne les suicides, la branche ne collecte les données que depuis 2007, ce qui ne permet pas d'avoir beaucoup de recul. Il n'en reste pas moins vrai que c'est la médiatisation des suicides survenus dans de grandes entreprises, comme France Telecom ou Renault, qui a fait de la question du mal-être au travail un véritable problème de société.

Comment expliquer l'ampleur prise par ce phénomène ? Il est, pour partie, la conséquence de la recherche de la performance à tout prix, qui met les salariés sous pression et qui s'accompagne de l'apparition de nouvelles formes de taylorisme.

Cette évolution est particulièrement sensible dans le secteur des services, qui emploie plus des deux tiers des actifs. Il avait été longtemps épargné par cette méthode d'organisation du travail, qui vise à augmenter la productivité en spécialisant les tâches et en éliminant les gestes inutiles : ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. L'exemple des centres d'appels est, sur ce point, parlant : les salariés doivent suivre un script préétabli, leurs tâches sont répétitives, le respect des procédures est soumis à un contrôle permanent et les salariés se voient généralement assigner des objectifs de rendement élevés.

Par ailleurs, plus de 70 % des salariés sont aujourd'hui au contact du public, soit physiquement soit par téléphone, et cette proportion augmente. Or, cela accroît le risque d'être victime d'agressions ou d'incivilités : les agents publics sont souvent en première ligne, mais c'est également le cas de nombreux salariés du secteur privé.

La recherche de la performance n'est cependant pas nouvelle et elle ne saurait donc expliquer à elle seule le malaise actuel. Un autre élément d'explication est à trouver dans l'isolement croissant des salariés.

Autrefois, le mal-être au travail était pris en charge par des collectifs qui assuraient solidarité et entraide. Or, l'individualisation des rapports de travail, la chasse aux « temps morts », la sous-traitance en cascade, le développement des outils de communication électroniques qui, à la fois, connectent et isolent, pour ne citer que ces principaux facteurs, ont affaibli les collectifs de travail et laissent, trop souvent, les salariés seuls face à leur souffrance. Vécue sur le mode de l'échec individuel, cette souffrance tend à être analysée en termes psychologiques, même lorsqu'elle trouve son origine dans des problèmes très concrets d'organisation ou de management.

Un troisième facteur explicatif réside dans la perte de sens du travail. La souffrance apparaît lorsque les salariés ne comprennent plus les objectifs qui leur sont assignés ou lorsqu'ils ont le sentiment que leur travail n'est pas reconnu à sa juste valeur. La distance croissante entre les dirigeants et leurs subordonnés est source d'incompréhensions : cette distance peut être géographique, dans les grands groupes, mais elle peut résulter aussi d'une méconnaissance, par les managers, des métiers de leurs collaborateurs, ce qui les empêche de fixer des objectifs réalistes et de prendre la mesure des efforts accomplis.

Par ailleurs, il est dans notre culture française de valoriser la satisfaction du travail bien fait : cet aspect subjectif cadre mal avec les méthodes d'évaluation actuelles, d'origine anglo-saxonne, qui apprécient le travail à partir de grilles exhaustives mesurant notamment le « savoir-être ». S'y ajoute, dans le secteur public, une inquiétude spécifique quant à l'avenir des valeurs du service public.

Enfin, deux facteurs aggravent le sentiment de mal-être au travail : le stress des transports et la « double journée » des femmes. En outre, l'attachement des Français à l'idée de carrière, combiné à la peur du chômage, fait que beaucoup de salariés hésitent à quitter leur entreprise quand ils s'y sentent mal, ce qui n'est pas forcément le cas dans d'autres pays étrangers.

Avant de proposer des solutions, il nous faut dresser le bilan des nombreuses initiatives qui ont été prises depuis que le thème du mal-être au travail s'est imposé dans le débat public.

Comme vous le savez, les partenaires sociaux ont conclu, en juillet 2008, un accord sur le stress au travail, puis, en mars 2010, un accord sur le harcèlement et la violence au travail. Ces accords rappellent la responsabilité de l'employeur et formulent des préconisations.

Le Gouvernement a également pris des initiatives. En octobre 2009, l'ancien ministre du travail, Xavier Darcos, a lancé un plan d'urgence pour la prévention du stress au travail. Il a notamment demandé aux 1 500 entreprises employant plus de mille salariés d'ouvrir, avant le 1er février 2010, des négociations sur le stress, afin de décliner l'accord interprofessionnel de 2008.

Le 18 février, trois listes, rouge, orange et verte, ont été rendues publiques : elles classaient les entreprises en fonction de l'état d'avancement de ces négociations. Cette méthode, qui misait sur la pression de l'opinion et des médias pour inciter les entreprises à agir, a été vivement critiquée, à tel point que les listes orange et rouge ont été retirées des pages internet dès le lendemain, d'autant que des erreurs entachaient leur crédibilité. Il ne faut pas y attacher, à mon avis, une importance excessive : il suffit, après tout, pour figurer sur la liste verte, d'avoir conclu un accord mais aucune exigence n'est posée concernant son contenu.

Le ministre Eric Woerth, quand nous l'avons auditionné, nous a donné des indications sur le deuxième plan Santé au travail, qui couvre la période 2010-2014. La prévention des risques psychosociaux est un des axes majeurs de ce plan qui prévoit, notamment, de mettre en place des indicateurs statistiques nationaux, de diffuser des outils d'aide à la prévention, de favoriser la mise en place d'actions d'information et d'outils de diagnostic, de prendre en compte la prévention des risques psychosociaux à l'occasion des processus de restructuration des entreprises et de développer la formation des acteurs de l'entreprise.

En novembre 2009, un accord sur la santé et la sécurité au travail a été signé, pour la première fois, dans la fonction publique. Il prévoit de porter une attention toute particulière aux risques psychosociaux. Un plan national de lutte contre ces risques va être défini et décliné localement.

Enfin, je rappelle que des employeurs, privés ou publics, ont pris des initiatives, en particulier lorsque des drames se sont produits dans certaines de leurs unités. Le rapport présente ainsi, pour donner quelques exemples, les mesures mises en oeuvre par PSA Peugeot Citroën, par Renault, sur le site du Technocentre, et par France Telecom.

J'en arrive aux propositions et recommandations que nous pourrions formuler. Nous devons nous attacher, je pense, à prolonger et conforter les nombreuses actions engagées.

Sur le plan juridique, le code du travail prohibe le harcèlement, sexuel ou moral, et impose déjà à l'employeur de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette obligation est formulée en termes très généraux et gagnerait sans doute à être précisée. Nous pourrions, par exemple, ajouter dans le code une disposition qui indiquerait que l'organisation du travail et les méthodes de gestion mises en oeuvre par l'employeur ne doivent pas mettre en danger la sécurité des travailleurs, porter une atteinte sérieuse à leur santé ni compromettre leurs droits et leur dignité. Nous pourrions également mentionner la charge psychosociale du poste de travail parmi les risques que l'employeur a l'obligation d'évaluer, en application de l'article L. 4121-3 du code du travail.

Ces deux compléments ne créeraient pas d'obligations nouvelles à la charge des employeurs en matière de santé et de sécurité mais ils auraient le mérite de préciser les textes et de marquer la volonté du législateur que ces questions fassent l'objet d'une vigilance accrue. Ils auraient aussi une vertu pédagogique, en attirant l'attention des employeurs sur ces risques émergents.

Le rapport formule ensuite des recommandations en matière de management, la première portant sur la formation. Les cadres gagneraient à être mieux formés à la gestion d'équipes et à disposer d'un socle minimum de connaissances sur la relation entre santé et travail. Je signale, à ce sujet, qu'un réseau francophone de formation en santé au travail a été lancé, en septembre 2009, à l'initiative des ministères du travail et de l'enseignement supérieur. Il vise à fédérer les compétences de plusieurs organismes publics, organisations professionnelles, centres de formation et entreprises. Sa première tâche va consister à élaborer un référentiel de compétences en santé au travail, ayant vocation à être diffusé auprès des entreprises et des écoles de management.

La deuxième recommandation consisterait à revenir aux fondamentaux du management, ce qui implique de redonner toute leur place aux comportements individuels, au détriment des procédures préétablies, et de corriger certains excès en matière d'individualisation. Sur ce point, je précise que je suis réservé sur l'intérêt des démarches de certification : elles conduisent trop souvent à contrôler le respect formel d'une norme plutôt que de s'attacher aux effets réels des mesures de prévention engagées.

J'ajoute que, pour inciter les managers à se préoccuper du bien-être des salariés, une part de leur rémunération variable pourrait dépendre d'indicateurs sociaux et de santé au travail.

Enfin, une attention particulière devrait être portée aux très petites entreprises (TPE) et aux PME. Le dialogue social doit jouer ici un rôle essentiel, que ce soit au niveau des branches ou au niveau territorial, afin d'élaborer des plans d'action « clefs en main » dont les entreprise pourraient se saisir.

Le troisième volet de nos propositions porte sur les acteurs de la prévention des risques professionnels.

Je ne m'attarderai pas sur l'Anact, l'INRS et la direction des risques professionnels de la sécurité sociale, dont le travail utile devrait être encore mieux connu et coordonné. Je souhaite dire un mot, en revanche, de la médecine du travail, qui doit être prochainement réformée. Il s'agit d'une institution en crise, à en juger par le peu d'attractivité de cette profession et les doutes récurrents sur son indépendance vis-à-vis des employeurs. Le projet de réforme est critiqué par les médecins du travail qui craignent, notamment, que certaines de leurs attributions ne soient confiées à des généralistes.

Notre commission des affaires sociales aura l'occasion de se prononcer sur cette réforme, qui n'est pas encore connue dans le détail. A ce stade, je propose que la mission défende deux principes essentiels : d'abord, la nécessité de revaloriser la profession de médecin du travail ; ensuite, le renforcement de son indépendance, ce qui pourrait être obtenu par le rattachement des services de santé au travail à une structure paritaire.

Le CHSCT est un autre acteur essentiel de la prévention des risques professionnels. Une négociation est en cours sur une éventuelle réforme des institutions représentatives du personnel et nous devrions donc connaître, dans quelques mois, les propositions des partenaires sociaux sur ce thème. Cela ne nous empêche pas de formuler des suggestions de nature à renforcer et revaloriser les CHSCT : la première serait de procéder à l'élection directe de leurs membres, afin de leur donner plus de légitimité et de provoquer des débats réguliers, dans les entreprises, sur la santé et la sécurité au travail ; la deuxième pourrait consister à renforcer leurs moyens d'action, par exemple en augmentant les délégations horaires des élus ; la troisième serait de mieux former les élus au CHSCT, en particulier sur les nouveaux risques pour la santé psychologique des salariés.

Lorsque les mesures de prévention ont échoué, la détection et l'accompagnement des salariés en souffrance s'avèrent naturellement indispensables. La création de lignes d'écoute dans les entreprises peut être un instrument utile pour faire bénéficier les salariés d'un premier soutien psychologique. Mais la vigilance de tous les acteurs - managers, collègues, élus du personnel, délégués syndicaux - est requise pour repérer les situations de détresse. En dehors de l'entreprise, une sensibilisation des médecins de ville aux liens entre santé et travail serait utile, dans la mesure où les personnes qui souffrent se tournent souvent plus spontanément vers leur médecin traitant que vers leur médecin du travail.

Pour terminer, se pose la question de la réparation des préjudices causés par le stress ou la souffrance au travail. La branche AT-MP de la sécurité sociale indemnise un nombre croissant de victimes de TMS, mais plus rarement les personnes atteintes de maladies psychologiques. Faut-il, dès lors, compléter les tableaux de maladies professionnelles de façon à indemniser plus facilement les victimes de dépression ou d'accidents cardiaques causés par le travail ?

La difficulté réside dans le fait qu'il est quasiment impossible de faire la part entre les facteurs professionnels et les facteurs personnels dans le déclenchement de ces pathologies. Une exception pourrait peut-être toutefois être envisagée : celle du stress post-traumatique consécutif à un accident ou à une agression. Il devrait être assez facile d'établir, dans ce cas, le lien de causalité entre un événement lié au travail et l'apparition de la maladie.

Il est également envisageable d'assouplir les critères devant être remplis pour qu'une maladie professionnelle soit reconnue par la voie de la procédure complémentaire. Actuellement, je vous rappelle qu'il est exigé un taux d'incapacité d'au moins 25%, ce qui est un pourcentage élevé.

En conclusion, je voudrais souligner que la recherche du bien-être au travail et l'efficacité économique ne sont pas antinomiques ; elles vont, au contraire, de pair puisque des salariés heureux et fiers de leur travail donneront le meilleur d'eux-mêmes. La lutte contre le mal-être au travail est d'autant plus urgente que la perspective d'un allongement de la durée d'activité impose plus que jamais de réduire toutes les formes de pénibilité.

M. Alain Gournac. - La détection du mal-être est un des plus graves problèmes à résoudre. Renault ou PSA ont pris des mesures contre le stress mais seulement après que des drames se sont produits. Il faudrait pouvoir détecter bien en amont une éventuelle dégradation du climat dans l'entreprise.

Je partage l'analyse du rapporteur quand il dénonce le manque de formation des managers. Dans notre pays, on critique quand cela ne va pas, mais on ne sait pas féliciter lorsque le travail est bien fait.

Concernant les médecins du travail, il est effectivement difficile d'être indépendant quand c'est l'entreprise qui vous paye. Il faut donc revaloriser la médecine du travail et la rendre indépendante, sans négliger les liens nécessaires avec les médecins de ville. Je suis par ailleurs favorable à l'élection directe des membres du CHSCT.

Il est scandaleux que les conditions de travail poussent certains salariés à des actes désespérés. Il est scandaleux que l'encadrement ne mesure pas les conséquences des consignes qu'il impose à ses subordonnés. Mais j'ai un grand regret, monsieur le rapporteur, c'est que vous ne parliez pas assez de la participation, dont je suis un grand défenseur. La participation mise en place par le général de Gaulle incite le salarié à être solidaire d'une entreprise dans laquelle il se sent lui-même considéré.

M. Dominique Leclerc. - Les recommandations du rapport rejoignent celles défendues par la Mecss en matière de pénibilité. La réflexion sur le maintien dans l'emploi devra être approfondie dans les mois à venir.

M. Jacky Le Menn. - Sans flagornerie aucune, j'avoue que ce rapport est un des meilleurs que j'ai eu l'occasion de connaître. J'ai tenté de recenser ses principales novations. D'abord, il met l'accent sur les aspects psychosociaux du mal-être au travail, ce qui contribuera à prévenir celui-ci. Il insiste sur la nécessité de recréer du collectif - en réaction contre les excès de l'individualisation du travail - et de revoir la formation des managers. Il préconise de revaloriser la médecine du travail, la perception qu'on en a et sa position sur l'échelle des professions médicales. Il recommande, à juste titre, de conforter les CHSCT. Ce sont les seuls lieux où se rencontrent employeurs, salariés, médecins et inspecteurs du travail, c'est là qu'on peut agir contre le mal-être au travail.

Mais je regrette que le rapport n'approfondisse pas davantage la question des TPE et des PME où, souvent, le paternalisme peut masquer le mal-être au travail.

J'ai bien aimé votre conclusion selon laquelle bien-être au travail et efficacité économique ne sont pas antinomiques. Il n'est pas plus cher de travailler dans de bonnes conditions car on travaille mieux et avec moins de coûts indirects. Mais cela, il faut parvenir à en convaincre les employeurs.

Mme Annie David. - J'ai apprécié moi aussi le contenu de cette mission qui nous a permis de rencontrer des gens divers dont la vision s'appuyait soit sur des études, soit sur un vécu personnel. Je souscris tout à fait au constat du rapport.

Cela dit, je regrette le peu de place qu'il accorde à l'incidence des réorganisations d'entreprises et à l'impact psychosocial qu'elles ont sur les salariés, d'autant qu'elles sont de plus en plus fréquentes, et parfois contradictoires. Songez à la situation du technicien qui se retrouve téléopérateur... J'approuve les propositions du rapport mais je serais tentée d'aller plus loin en inscrivant, dans le code du travail, les risques psychosociaux résultant des réorganisations et restructurations.

La perte de sens du travail vient de la distance physique entre les salariés et leur management, mais aussi de l'absence d'objectifs partagés, qui ne peuvent exister dans les entreprises lorsque les salaires varient de 1 à 400. Les managers de proximité souffrent eux aussi de l'éloignement de la direction générale : il faudrait leur permettre d'avoir davantage de capacité d'initiative et d'autonomie.

Je suis d'accord avec ce qui est recommandé pour les TPE et PME mais je signale que les députés de la majorité viennent de s'opposer à la création de commissions paritaires territoriales, qui auraient pourtant pu apporter un appui précieux aux TPE.

J'approuve les propositions sur la médecine du travail mais, là encore, je serais d'avis d'aller plus loin, en la rattachant par exemple au ministère de la santé, mais c'est une proposition à débattre.

Je regrette que l'accord national de juillet 2008 sur le stress au travail n'ait pas de déclinaison législative. Les entreprises qui figuraient sur la liste rouge n'avaient même pas conclu d'accord de méthode, ce qui est pourtant peu de chose.

Je déposerai une contribution qui, sans contredire les orientations du rapport, proposera d'aller plus loin sur certains points.

M. André Lardeux. - Dans le travail comme en beaucoup d'autres domaines, notre société a oublié le seul combat qui vaille : l'homme.

Concernant le code du travail, on nous propose de formuler certaines dispositions plus précisément. Or ce code, deux fois plus gros, par exemple, que le code du travail canadien, est déjà un fourre-tout et, à trop le préciser, on risque d'affaiblir la force de ses dispositions.

Le rapporteur recommande de revaloriser la profession de médecin du travail, ce qui passerait sans doute par une hausse de leur rémunération ; il propose aussi une réforme du CHSCT et l'assouplissement des critères pour qu'une maladie professionnelle soit reconnue par la voie de la procédure complémentaire. Le coût de ces mesures a-t-il été évalué ? Certes, comme l'a dit Jacky Le Menn, la prévention permet de faire des économies à long terme, mais, dans l'immédiat, elle a un coût.

M. Jean Desessard. - Le rapporteur a eu raison de soulever les problèmes posés par le taylorisme, par la perte de sens du travail et par le délitement de la solidarité au travail, découlant de la disparition des temps de pause par exemple. Il aurait pu évoquer également la solidarité au sein des organisations syndicales. Je regrette aussi qu'il n'ait pas mentionné l'évolution d'entreprises telles que France Telecom, dont les employés, pénétrés du sens du service public, doivent désormais se plier à des objectifs commerciaux.

De nos jours, beaucoup de Français souffrent au travail : le malaise des salariés de France Telecom et des centres d'appel est l'arbre qui cache la forêt. Cela tient d'abord à l'individualisme ambiant : les gens veulent désormais être personnellement reconnus et n'adhèrent plus à des projets collectifs. En outre, on privilégie aujourd'hui, ce qui nous inquiète beaucoup en tant qu'écologistes, le court terme au lieu de poursuivre des projets dans la durée.

N'oublions pas non plus la concurrence internationale : certaines entreprises françaises, confrontées à des concurrents implantés dans des pays où les normes sociales et environnementales sont moins exigeantes, adoptent des modes de management incompatibles avec le bien-être au travail.

Mme Sylvie Desmarescaux. - Je partage l'avis de mes collègues sur la médecine du travail. Je ferai seulement observer à Gérard Dériot, qui semble distinguer la prévention de la détection du mal-être, que l'une ne va pas sans l'autre. Il faudrait également penser aux jeunes qui s'apprêtent à entrer dans le monde du travail et sont déjà inquiets, parce qu'ils ont entendu parler de la souffrance au travail et parfois parce qu'ils ont sous les yeux l'exemple de leurs parents.

M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Vos propos et ceux de Dominique Leclerc sont complémentaires. J'ai moi-même commencé à travailler à l'âge de quinze ans et il était rassurant d'être pris en charge par un collègue plus ancien qui connaissait les rouages de l'entreprise.

Mme Annie David. - Il ne faut pas négliger, de ce point de vue, les problèmes des apprentis.

M. Gérard Dériot, rapporteur. - Malgré quelques divergences bien normales, nous avons travaillé dans un esprit d'ouverture, et je m'en réjouis. Comme l'a rappelé Alain Gournac, la participation est évidemment un moyen de reconnaître le travail des salariés et cette question est abordée dans le rapport.

Comme l'a suggéré Dominique Leclerc, il faut être attentif aux conditions de travail des seniors car, demain, nous travaillerons plus longtemps. Nous aurons l'occasion d'en parler lors de la réforme des retraites. Les seniors peuvent contribuer à aider les jeunes à mieux s'intégrer dans les entreprises.

La situation particulière des TPE est évoquée dans le rapport et il est exact que les députés veulent revenir sur la création des commissions paritaires dans le projet de loi en cours d'examen.

Je partage les observations d'Annie David sur les problèmes posés par les réorganisations d'entreprise et l'éloignement entre les salariés et leur encadrement. Il arrive que les technologies de l'information aient pour conséquence paradoxale d'isoler les gens. Le rapport évoque aussi la nécessité de donner plus de liberté aux managers, parfois contraints d'appliquer des procédures préétablies. Quant à la médecine du travail, une réforme est en préparation, qui nous donnera l'occasion d'un débat approfondi.

Les listes verte, orange et rouge ont suscité de vives réactions, ce qui était conforme à l'intention du ministère, qui voulait ainsi inciter les entreprises les moins vertueuses à entamer des discussions. Mais il ne fallait pas les mettre à l'index car elles participent à l'activité économique du pays.

Pour répondre à l'objection d'André Lardeux, je dirai qu'il est utile d'inscrire dans le code du travail la notion de « troubles psychosociaux », qui n'y figure pas. Il s'agit là d'une proposition précisément circonscrite, cohérente avec les réflexions conduites par la mission. Faire supporter à la branche AT-MP de la sécurité sociale la réparation d'un plus grand nombre de préjudices causés par la souffrance au travail aurait, certes, un coût mais il est difficile à évaluer.

Il est possible, pour répondre à Jean Desessard, que la concurrence internationale soit une des sources du mal-être au travail. Mais nous ne pouvons y échapper si nous voulons continuer à vendre des Airbus à l'étranger. La concurrence est un stimulant indispensable de la vie économique, même s'il faut veiller à éviter les dérapages.

Sylvie Desmarescaux, enfin, a raison de se soucier des jeunes, dont les problèmes doivent être mis en relation avec ceux que rencontrent les seniors, et de souligner que la détection est aussi une forme de prévention.

La mission adopte le rapport à l'unanimité.