Mardi 8 février 2011

- Présidence de M. Serge Lagauche, président -

Audition de M. Jean-Philippe d'Issernio, conseiller technique au cabinet du ministre, M. Vincent Moreau, sous-directeur, et Mme Maud Phélizot, chef du bureau de l'enseignement scolaire à la 3e sous-direction du budget, ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État

M. Serge Lagauche, président. - La Cour des comptes a souligné à plusieurs reprises l'incapacité du ministère de l'éducation nationale à évaluer le coût des dispositifs dont les modalités pratiques de mise en place sont définies par rapport à l'euro éducatif, c'est-à-dire en heures-emploi. Partagez-vous ce constat ? La connaissance du coût réel des politiques éducatives constitue-t-elle un enjeu pour la direction du budget ? Le raisonnement par l'euro éducatif ne constitue-t-il pas un frein au pilotage efficace du système ?

M. Jean-Philippe d'Issernio. - La notion d'euro éducatif, que l'on retrouve dans le rapport de la Cour des comptes et dont le ministère de l'éducation nationale fait usage, est fondée sur un ratio moyen nombre d'élèves par nombre d'enseignants, qui ne prend pas en compte les disparités de rémunération. Cette approche moyenne n'est pas le meilleur outil de pilotage financier : elle postule une uniformité du système qui n'est que théorique. On le voit très clairement dans les zones d'éducation prioritaire (ZEP), où l'on observe une concentration beaucoup plus forte qu'ailleurs d'enseignants très jeunes.

Connaître le coût réel des politiques éducatives est un enjeu pour la direction du budget. En matière d'éducation, les initiatives sont d'abord organisationnelles et relèvent à ce titre du ministre de l'éducation nationale, qui assure le pilotage du système. Le ministère du budget s'efforce quant à lui de réguler les moyens.

M. Serge Lagauche, président. - Si la taille du ministère de l'éducation nationale lui permet de lancer des expérimentations sans expertise financière préalable, ne serait-il pas plus opportun de disposer en amont d'éléments chiffrés précis, afin de calibrer l'expérimentation en tenant compte de sa possible généralisation ?

M. Jean-Philippe d'Issernio. - Le chiffrage des expérimentations dépend de leur ampleur et de leur nature. Il est bien évident que la sensibilité aux chiffres n'est pas la même selon que l'on envisage le démarrage ou la généralisation. L'enjeu des lois de finances tient bien dans l'analyse de la performance et la mise en place d'une comptabilité analytique des coûts. Même si les choses ne sont pas encore parfaites, nous avons beaucoup progressé avec l'éducation nationale : les documents budgétaires apportent désormais d'utiles enseignements. Reste qu'il n'est pas possible, dans le cadre de ces documents, de procéder à une évaluation chiffrée des expérimentations en tant que telles.

Mme Françoise Cartron. - Vous nous dites que l'approche, en matière d'éducation, n'est pas budgétaire, mais c'est bien le non-remplacement d'un départ en retraite sur deux qui est exigé depuis trois ans, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Et on ne va pas chercher si le poste est en surnombre ou s'il est utile. On demande à l'éducation nationale, comme aux autres ministères, de participer à la résorption du déficit. Le pilotage est donc bien budgétaire avant d'être éducatif.

Les expérimentations ne sont pas chiffrées, dites-vous. Importante information. Car on les vante comme des réussites, elles font rêver à un monde meilleur, qui n'adviendra cependant pas si l'on est incapable, faute de savoir dès le départ quel en serait le coût, de les généraliser. Car à quoi bon conduire une expérimentation si ce n'est avec l'objectif, en cas de succès, de l'étendre ?

Mme Maryvonne Blondin. - Je rejoins ces propos. Les contraintes budgétaires sont premières. Et les suppressions de postes se font à l'aveugle. Nous étions hier au rectorat de Créteil. J'ai demandé au recteur quels étaient ses critères. Il n'y a rien qui puisse être clairement énoncé. Nous avons également évoqué la possibilité d'estimer, dans le cadre des conseils d'administration des établissements, les coûts salariaux respectifs des personnels de l'État et de ceux des collectivités territoriales : on nous a rétorqué que c'était très difficile, que cela demanderait énormément d'efforts. Étonnant ! Se pose véritablement la question de la transparence. On sait pourtant d'un professeur qu'il est à tel échelon, qu'il a telle ancienneté. Il suffit de faire la multiplication. Les collectivités locales le font. Comment expliquer que l'État ne soit pas capable de le faire ?

M. Yannick Bodin. - J'irai à mon tour dans le même sens. Quand le ministre entame invariablement son propos par ce préambule : « compte tenu des contraintes budgétaires... », il est clair que c'est dans le cadre de ces contraintes budgétaires que sont définies les politiques de l'éducation nationale. On accueille moins d'enfants de moins de trois ans en maternelle, pour de pures raisons budgétaires, et l'on habille après coup cette mesure d'oripeaux pédagogiques. Il serait plus honnête de dire clairement que l'État n'a pas d'argent !

Quant à la manière dont sont lancées les expérimentations, je m'interroge. L'inspecteur d'académie en charge, à Créteil, de celle qui concerne l'aménagement sport-études nous a dit qu'il ne s'acharnerait pas si elle ne fonctionnait pas, mais qu'il n'avait aucune idée, si c'était une réussite, quant à la façon de l'étendre. Pas de quoi être surpris sachant qu'il est incapable de connaître le coût d'un élève dans un collège ou un lycée concerné par l'expérimentation ! Il serait bon de dissiper cet épais brouillard, si l'on veut apprécier le budget de l'éducation nationale.

M. Daniel Dubois. - Je suis membre de la commission des affaires économiques et comprends fort bien que l'on cherche à optimiser le système. Mais il n'est pas normal que l'on ne soit pas capable de valoriser l'expérimentation et de donner des informations territoriales, alors même que les collectivités s'engagent. Nous n'arrivons pas à savoir si ce qu'elles font en partenariat est ou non positif. Nous sommes dans le brouillard absolu. La seule chose certaine, c'est que trop d'enfants ne maîtrisent pas la lecture à la sortie de l'école élémentaire et qu'un étudiant sur deux quitte l'université en cours de première année. Si l'on ne dispose pas d'indicateurs pertinents, on va dans le mur. Les parents sont exigeants, et c'est bien normal : ils veulent des résultats. Je suis choqué que ni le recteur ni l'inspecteur d'académie ne soient en mesure de produire des évaluations tendancielles en CE1 et en CM2 : sans elles, pas de comparaison possible, donc pas de moyen d'évoluer. Sans compter qu'en l'absence d'indicateurs transparents, l'éducation nationale donne l'impression de se replier sur elle-même, ce qui la met en porte à faux vis-à-vis de la société.

M. Serge Lagauche, président. - Il est vrai que si l'on doit savoir ce que coûte un professeur, en fonction de son grade et de son ancienneté, les établissements ne peuvent évaluer les coûts qu'a posteriori, une fois les professeurs affectés. Mais ils peuvent le faire à la rentrée. Dans l'Académie de Créteil, seuls quatre établissements sont concernés par l'expérimentation sur le sport : il doit y avoir moyen de mesurer... J'aimerais savoir si l'éducation nationale est amenée à vous consulter sur les moyens affectés à l'expérimentation, ou si elle fait ce qu'elle veut à l'intérieur du cadre que vous lui donnez. Peut-être disposez-vous aussi d'un fonds de réserve, une poire pour la soif ?

Mme Colette Mélot. - J'estime comme M. Dubois que l'éducation nationale ne peut pas s'exonérer des efforts qu'impose la situation économique. Et je constate que des efforts sont entrepris pour prendre en compte les populations fragilisées, les handicapés : c'est positif. Reste que je souscris à ce qui a été dit sur le défaut de chiffrage, d'évaluation. L'on voudrait connaître le résultat de ses évaluations et ne plus naviguer à vue.

M. Jean-Philippe d'Issernio. - Les orientations générales comme les objectifs de la RGPP sont clairs. A partir de là, un travail important de fond a été mené, avec le maximum d'intelligence et une bonne dose d'innovation, entre l'éducation nationale et Bercy - le ministre de l'éducation nationale y a beaucoup contribué. Chaque fois que possible, nous avons cherché à documenter la manière d'atteindre les objectifs fixés. La mise en place de la masterisation sur les territoires a été un élément important. Nous souscrivons au tournant essentiel qu'a amorcé une mission de l'inspection générale des finances pour décliner les objectifs. Chaque recteur, dans son académie, s'est saisi des leviers dont il disposait - remplacements, surnombres, taille des classes - sur le fondement de l'évaluation qui lui a été fournie du potentiel de chacun. A l'échelle de l'éducation nationale, cela donne des résultats substantiels. Les objectifs ont ainsi été déclinés finement et, c'est une innovation, en tenant compte du contexte, à l'échelle locale plus que nationale. Les économies n'ont pas été imposées sans réflexion, mais au plus près du terrain.

Vous dites qu'on a du mal à valoriser les postes. On sait ce que coûte l'éducation nationale, ce que coûte chaque agent de l'État. Ce qui est compliqué avec un million de personnes peut se faire au niveau d'un établissement. Entre l'approche moyenne et celle par département, voire par établissement, sachant qu'il existe d'importantes différences, on doit pouvoir s'orienter, de même que l'on peut savoir la part des conseils généraux - voilà une piste pour nous. S'agissant de ce que l'on appelle le pilotage de la masse salariale, les chiffres impressionnent (60 milliards avec les pensions !) mais il faut savoir que les incertitudes sur le paiement des professionnels dont il a été question en fin d'année ne concernaient que deux jours de paie des enseignants.

Mme Maryvonne Blondin. - Qui, lorsqu'ils se mettent en grève, voient sans délai venir la sanction financière...

M. Serge Lagauche, président. - Ne nous trompons pas d'interlocuteur : la décision est politique.

M. Jean-Philippe d'Issernio. - La loi organique de 2001 est faite pour responsabiliser au mieux les ministères, qui doivent se comporter en gestionnaires sans que le ministère du budget s'en mêle. Nous nous contentons de leur donner un cadre, ce qui n'empêche pas de conserver des contacts très réguliers pour ajuster les choses au regard des prévisions de la loi de finances initiale. Quant à disposer d'une réserve, la loi organique a rendu les choses parfaitement transparentes. Les gels de crédits en début d'année sont connus de chaque ministère et imputés sur ses crédits : il faut pouvoir assurer les aléas de gestion. Ce sont ces lignes qui sont mobilisées pour les ouvertures de crédit de fin d'année.

J'en viens aux expérimentations : le ministère n'est pas consulté sur leur mise en place. Je ne suis pas certain qu'il serait de bonne politique de demander systématiquement leur avis aux budgétaires, qui ont toujours tendance à voir les risques d'une opération plus que ses opportunités : nous sommes des gens prudents. Sans compter qu'il est avisé de laisser à chacun son autonomie de gestion, étant entendu qu'il est utile de nous associer dès le départ, pour mener de concert les évaluations budgétaires et entreprendre des simulations utiles en vue d'une possible généralisation. Car il est vrai qu'aujourd'hui, nous sommes associés un peu tard...

En revanche, nous suivons de près les expérimentations de plus d'ampleur. Nous nous intéressons au programme CLAIR (collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite), de même qu'à l'expérimentation sur le partage sports-études, laquelle porte aussi sur le temps de travail des élèves, si bien que l'éclairage qu'elle apporte n'est pas forcément budgétaire : on peut admettre que l'expérimentation soit un peu onéreuse, si l'on a bien conscience qu'elle ne saurait être généralisée en l'état - sans compter qu'il faudrait trouver à recruter énormément de professeurs de sport.

Mme Maryvonne Blondin. - A quoi sert donc une expérimentation qui ne peut être généralisée ?

M. Serge Lagauche, président. - Question à poser à l'éducation nationale, pas au ministère du budget.

M. Jean-Philippe d'Issernio. - On parle beaucoup, ces temps-ci, d'autonomie des établissements. Si l'on venait à l'expérimenter, il faudrait y associer de près le ministère du budget. Nous le voyons avec l'autonomie des universités : les acteurs sont peu habitués au maniement de certains concepts...

L'évaluation tendancielle est notre préoccupation permanente. Nous n'avons pas de modélisation fine, qui partirait de la brique élémentaire qu'est l'école. Notre vision est plus macroscopique : elle porte sur des volumes horaires.

M. Daniel Dubois. - La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a été faite pour optimiser la dépense publique. Comment mesurer, au-delà des expérimentations, l'efficacité des deniers consacrés au socle commun ? Des comparaisons internationales, il ressort que nous consacrons plus d'argent public à l'éducation pour moins de résultats. Quels sont nos outils de mesure ? Dispose-t-on d'instruments d'évaluation clairs sur le socle commun à l'école élémentaire ?

M. Serge Lagauche, président. - La nouvelle architecture budgétaire a profondément modifié le décompte des personnels, introduisant deux nouvelles notions, celle d'équivalent temps plein (ETP) et celle d'équivalent temps plein travaillé (ETPT). Compte tenu du chevauchement de l'année scolaire sur l'année civile, les deux décomptes ne se recoupent pas et il n'est pas toujours facile de décrypter les chiffres dans la loi de finances. Quel regard portez-vous sur les pratiques de décompte du ministère ?

M. Jean-Philippe d'Issernio. - La qualité des débats lors de la dernière loi de finances est un sujet de satisfaction pour le budgétaire que je suis. Pour la première fois, la discussion a été menée au fond sur la question des effectifs, déterminant principal de la dépense à l'éducation nationale.

Les deux notions nouvelles auxquelles vous faites référence sont certes un peu technocratiques, mais se complètent utilement. La notion d'ETP est utilisée dans les schémas d'emploi : on fait sortir tout le monde au 31 décembre, on compte, et on les rentre au 1er janvier. Il est vrai que ce décompte pourrait se faire en septembre, mais on sait que les ajustements de rentrée sont souvent difficiles : la date du 1er janvier est plus fiable.

Ce premier décompte n'est cependant pas suffisant : il ne permet pas de savoir ce qu'il se passe le reste de l'année. Échappent à ce décompte les heures supplémentaires, les contrats courts... Le rapport publié en mars par la Cour des comptes a mis en évidence le fait que les schémas d'emploi ne sont pas aussi utiles que prévu, à cause du phénomène des remplacements. D'où l'utilité du décompte en ETPT, qui prend en compte le nombre de jours travaillés, y compris les heures supplémentaires. Quand auparavant, on ne prenait pas en compte les effectifs en deçà de 200 heures, on compte aujourd'hui à la première heure. Se posait aussi le problème des stagiaires, notamment les étudiants de master, dont le nombre doit augmenter : il fallait en rendre compte. S'ajoutent à cela un certain nombre d'emplois de l'enseignement privé, oubliés depuis plusieurs années dans les décomptes.

Aujourd'hui, nous disposons d'une base saine et le chiffre de 965 000 ETPT est fiable : tout est compté.

M. Vincent Moreau. - Le décompte en ETPT, imposé par la Lolf, est identique dans tous les ministères, grâce à un outil de décompte issu des fiches de paie. Le plafond d'emplois est fixé en ETPT mais, pour les documents d'information, on utilise souvent les ETP, plus lisibles.

Le décalage s'explique très naturellement par les dates d'entrée et de sortie. Lorsque l'on vote, dans le budget, le non-remplacement de 16 000 départs à la retraite, la mesure ne prend effet qu'à la rentrée scolaire, pas en année civile pleine. D'où le décalage entre le plafond d'emplois, en ETPT, et le schéma d'emplois, en ETP.

Mme Maryvonne Blondin. - Les assistants d'éducation sont-ils décomptés dans ce cadre ? Ce sont des emplois essentiels, pourvus par le chef d'établissement et recrutés par le ministère. Sur quel budget ?

M. Jean-Philippe d'Issernio. - Les assistants d'éducation sont sous contrat avec les établissements, comme les gestionnaires de vie scolaire et les contrats aidés. Leur rémunération représente entre 1,3 et 1,4 milliard. Ils ne figurent pas dans les plafonds d'ETPT : c'est l'établissement qui passe le contrat, sur crédits délégués du titre VI, pas la personne morale État. Il est difficile, sur un plan théorique, de les inclure dans le même plafond, mais rien n'interdit de les décompter, avec un plafond spécifique.

Mme Françoise Cartron. - On entend beaucoup parler du coût des ZEP, qui seraient grosses consommatrices de crédits. Peut-on connaître le coût d'un élève en ZEP, en intégrant les rémunérations des professeurs, souvent plus jeunes et donc moins onéreux, à comparer, selon les mêmes critères, avec celui d'un élève du lycée Henri IV ? C'est à partir de telles comparaisons que l'on mesurera vraiment l'effort de la nation en faveur de la réduction des inégalités...

M. Jean-Philippe d'Issernio. - On ne sait pas le faire aujourd'hui, mais cela pourrait être demandé dans les documents budgétaires, sachant que seul le ministère de l'éducation nationale a les moyens de réaliser un tel décompte. Cela étant, je ne parierai pas sur les résultats : le nombre d'élèves des classes préparatoires du lycée Henri IV est beaucoup plus élevé que dans beaucoup de lycées.

M. Yannick Bodin. - Une petite expérimentation sur le sujet en Seine-et-Marne serait instructive. Au-dessus de la N 19, au nord, la moyenne d'âge des enseignants est supérieure à 40 ans ; en dessous, au sud, elle est supérieure à quarante ans. Or le nombre de ZEP est deux fois plus important au nord. Et vous avez ainsi la réponse à votre question : le lycée Couperin de Fontainebleau coûte plus cher que celui de Lognes à Marne-la-Vallée.

M. Jean-Philippe d'Issernio. - La taille des classes compte davantage que le salaire des enseignants. Les indicateurs annuels de performance gagneraient à être mieux exploités. Les parlementaires peuvent poser des questions précises sur les projets annuels de performance : la discussion budgétaire mériterait d'être plus fournie sur le sujet...

Reste que la question de l'âge des enseignants en ZEP relève de la politique de gestion des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale, qui a d'ailleurs fait des tentatives pour y répondre, en tentant de fidéliser les professeurs via des contrats d'engagement pluriannuels. Le retour catégoriel a été revalorisé : il représente 200 millions supplémentaires versés aux enseignants. Le choix, ces dernières années, est allé à revaloriser les débuts de carrière. D'autres options sont possibles, comme la revalorisation des postes en ZEP. A nous d'aider le ministère à faire ses choix.

M. Yannick Bodin. - L'implantation géographique des classes préparatoires donne des indications fortes. Elles sont ce qui coûte le plus cher dans un lycée. Voyez leur répartition dans une académie, et vous aurez beaucoup de réponses...

M. Serge Lagauche, président. - Il pourrait cependant y avoir des surprises, eu égard au nombre d'élèves par classe : on y accepte des surcharges pour « dynamiser » le concours.

Pour ce qui est des indicateurs de performance, ils sont parfois mal renseignés, notamment sur la réussite éducative, ou non pertinents, parce qu'ils retiennent des objectifs déjà atteints...

M. Jean-Philippe d'Issernio. - La question est récurrente dans un ministère qui s'occupe de la réforme de l'État. Nous passons beaucoup de temps à essayer de renseigner les indicateurs et à fixer des cibles réalistes. Cependant, ceux de l'éducation nationale ne sont guère d'ordre budgétaire. Comment mesurer et, de surcroît, comment le faire dans le temps ? Nous avons besoin de points fixes, or, dans le primaire, les indicateurs sont difficiles à stabiliser. D'autant que les parents sont souvent réticents à voir mesurer le niveau des élèves... En ce dernier domaine, l'enquête PISA, réalisée tous les trois ans, reste ce dont nous disposons de plus fiable.

M. Claude Bérit-Débat. - Il me semble important de pouvoir évaluer le coût d'une politique éducative, comme celle des ZEP, par rapport à d'autres expériences. On a pour cela besoin d'indicateurs fiables, afin de discuter des moyens et des choix.

M. Daniel Dubois. - Je partage ce point de vue. Nous avons besoin d'une évaluation lisible et constante, pour mesurer en tendance. On ne peut se satisfaire, alors qu'il s'agit du premier budget de l'État, de l'enquête PISA. On nous dit que la croissance dépend de l'éducation et de l'innovation, dont on ignore le coût. On a beau pousser des « cocorico », on sait que les choses se passent beaucoup mieux en Asie.

M. Jean-Philippe d'Issernio. - L'éducation nationale s'efforce de renseigner les indicateurs du socle commun - le ministre s'y est engagé pour 2011. Je rappelle que les premiers projets annuels de performance ne datent que de 2006. Définir des indicateurs et les stabiliser demande du temps et l'on sait d'expérience que le consensus s'effrite quand on descend vers les sujets locaux, plus polémiques. Le ministère du budget est très favorable à un travail sur les indicateurs, qu'il appuiera volontiers.

M. Serge Lagauche, président. - Le problème tient à la rivalité de proximité : on rechigne, en France, à fournir certains renseignements dont on dispose sans difficulté dans des pays comme la Corée ou le Japon.

L'on peut, en partant du rapport de la Cour des comptes, se baser sur les objectifs qu'un établissement se fixe à lui-même. Les a-t-il atteints ? On mesure cela sur un cycle court, de l'ordre de trois ans. On peut s'interroger sur les expérimentations sport-études menées aujourd'hui : les collectivités territoriales manquent d'équipements, il n'y a pas assez d'enseignants... Quant aux programmes sportifs, on nous a simplement expliqué hier que l'on initiait des enfants de milieu défavorisé au golf...

M. Yannick Bodin. - ... ou à l'équitation...

M. Serge Lagauche, président. - Comment juger quand il n'y a pas d'objectifs ?

Je vous remercie de vous être prêtés à ce dialogue, que nous devons interrompre pour rejoindre la séance publique.

Audition de M. Michel Quéré, directeur de l'évaluation, de la prospective et de la performance au ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative

M. Serge Lagauche, président. - Pouvez-vous, monsieur le directeur, nous présenter votre direction, son objet, son organisation interne, ses implantations, sa position dans l'organisation du ministère et ses relations hiérarchiques ou fonctionnelles avec les autres directions du ministère ? Nous aimerions également savoir comment elle initie et construit ses enquêtes, et avec quelles informations ? Le ministre les prend-il en compte ?

La Cour des comptes a souligné l'incapacité du ministère à évaluer le coût des dispositifs qu'il met en oeuvre. Travaillez-vous à mieux connaître le coût réel des politiques éducatives et le raisonnement en dotations horaires plutôt qu'en euros ne gêne-t-il pas un pilotage efficace et une bonne allocation des moyens ? La répartition des responsabilités au sein du ministère vous semble-t-elle claire, équilibrée et pertinente ? Avez-vous étudié l'organisation ou la gestion des rectorats ? Quels objectifs devrait-on leur fixer et comment apprécier leur efficacité ?

Nous aimerions savoir comment vous prenez en compte l'enseignement privé et, enfin, quel est le rôle de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) dans l'élaboration, le suivi et l'évaluation des expérimentations.

M. Michel Quéré. - Je vous remercie de m'avoir convié à cet exercice, auquel je suis venu accompagné de Cédric Afsa, chef du service statistique, et de François Dumas, mon adjoint, en charge du pôle appui.

Placée sous l'autorité du secrétaire général du ministère, la DEPP est une direction support, au même titre que la direction des affaires financières ou celle des affaires juridiques. Nous conservons, j'y reviendrai, des responsabilités en matière d'enseignement supérieur, même si la partie statistique a été scindée en mars 2009.

Les 150 personnes travaillant à la DEPP sont basées rue Dutot, dans le XVarrondissement ; elles se répartissent en deux sous-directions (une sous-direction des synthèses et une sous-direction des évaluations et de la performance scolaire), le pôle appui rassemblant les compétences informatiques, essentielles dans notre fonctionnement, ainsi que le département de la valorisation et de l'édition, la logistique et les ressources humaines.

Service statistique de l'éducation, la DEPP publie son programme d'activité au Bulletin officiel. Nous produisons des statistiques : je vous ai amené Repères et références statistiques ainsi que L'état de l'école, plus ciblé. Voilà le coeur de notre métier de validation des chiffres. C'est pourquoi nous ne comptons pas seulement des personnels de l'éducation nationale, mais aussi des personnels de l'Insee - M. Afsa est administrateur de l'Insee.

Nous développons une activité d'étude et de recherche dans le champ de l'éducation afin d'éclairer le ministre dans sa politique éducative.

Nous apportons enfin une assistance aux autres directions, qui peuvent recourir à notre maîtrise d'ouvrage. Nous mettons notre connaissance des chiffres au service des directions opérationnelles pour construire des tableaux de bords - c'est une fonction importante du pôle support.

Nous assurons une représentation internationale avec Eurostat ou l'OCDE ; ce qui explique que nous conservions, en cette matière, la responsabilité du champ de l'enseignement supérieur.

Notre métier évolue de la réalisation d'enquêtes vers la mobilisation des sources administratives à des fins statistiques. Cette porosité entre la saisie des informations de gestion et leur utilisation à des fins statistiques est une originalité des services statistiques ministériels à la française.

Nos axes thématiques portent sur l'analyse des parcours scolaires et de la trajectoire des jeunes, sur l'évaluation des acquis, ou encore sur le pilotage des établissements et les conditions de vie scolaire, parce que les lignes de force qui traversent la société affectent également l'école. La population d'enseignants n'est pas négligée, elle a beaucoup évolué depuis vingt ans dans son recrutement comme dans sa sociologie.

Afin d'assister les directions opérationnelles, nous disposons, avec la base de données Melusine, d'un constructeur de variables qui alimente les indicateurs de performance. Nous participons à l'évaluation exhaustive en CE1 et en CM2 depuis trois ans. Nous travaillons à des indicateurs synthétiques de performance académique, afin que les académies puissent se comparer et évaluer leur valeur éducative respective, abstraction faite de données qu'elles ne maîtrisent pas, comme le profil socioprofessionnel de la population, qui peut peser sur l'analyse brute de la performance. Nous développons une application APAE (aide au pilotage et à l'autoévaluation des établissements), qui évacue de tels effets, afin de permettre aux établissements de se comparer en mesurant leur seule valeur ajoutée éducative.

L'évaluation des acquis représente un champ d'études important et propice aux comparaisons internationales, de PISA, qui a défrayé la chronique, à Learning to learn. Nous avons ainsi des travaux qui se complètent. Enfin, nous intervenons aussi pour la journée d'information et de citoyenneté : nous construisons, en liaison avec la direction du service national, le test proposé aux jeunes de 17 ans.

Mme Françoise Férat. - Peut-être reviendrez-vous, à titre d'exemple, sur l'évaluation des difficultés de lecture à l'entrée en sixième ?

M. Serge Lagauche, président. - Je rappelle que notre mission porte sur les expérimentations, leur évaluation et leur utilisation...

M. Michel Quéré. - Comment construisons-nous nos enquêtes ? La tendance est de transformer des bases de gestion en bases statistiques, ce qui est moins coûteux. Toutefois, les gains de productivité ne sont pas toujours possibles, et l'on ne peut se passer d'enquêtes en propre, annuellement publiées au Bulletin officiel. C'est le cas sur le climat scolaire, qu'analyse l'enquête Civis, car on manque d'informations sur les faits de violence commis dans les établissements. Les remontées d'informations sont assurées par intranet sécurisé et relayées par les services statistiques académiques qui sont nos correspondants naturels et notre interface déconcentrée, ou par les inspecteurs académiques dans le premier degré.

Le coût de l'éducation est un sujet complexe. La DEPP est responsable de l'élaboration du compte de l'éducation, c'est-à-dire de l'estimation de la dépense intérieure d'éducation ; nous établissons la part respective de l'État, des collectivités territoriales et des ménages. Là aussi, notre responsabilité couvre l'enseignement supérieur. Le calcul de cet agrégat de la comptabilité nationale pour l'ensemble de la formation initiale constitue l'un des apports de la DEPP au débat public.

Pour le reste, notre contribution est plutôt indirecte puisque nous mobilisons nos chiffres et notre capacité de simulation pour construire des scénarios : quels seront les effets de telle mesure et quel en serait le coût ? Je prendrai ici l'exemple du bac pro en trois ans : cette réforme a provoqué ce que nous appelons un effet bourrelet, deux populations soumises à deux régimes se superposant : comment estimer les flux des élèves et leur gestion ? Cette composante est utilisée dans le dialogue de gestion, entre l'administration centrale et les académies.

Nous avons à notre programme d'action pour 2011 le projet, encore inabouti, de reconstruire les dépenses réelles des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) et de leur masse salariale : on fonctionne aujourd'hui plus sur les horaires que sur les coûts.

Je ne suis pas qualifié pour vous répondre sur le partage des responsabilités au sein du ministère. La DEPP assure en effet une mission d'appui, sous l'autorité du secrétaire général du ministère, lequel dispose de structures dotées d'une compétence qui ne m'appartient pas. Je sais cependant que le ministre, très fortement sensibilisé, a confié aux deux inspections générales une mission de réflexion sur le rôle respectif des directions opérationnelles - cela fait bien partie du paysage réflectif.

La question de l'enseignement privé est à la fois intrinsèque et transversale. Responsables de l'estimation et des prévisions d'effectifs, nous disposons des chiffres qui remontent des établissements publics comme de ceux que donne l'enseignement privé. Au-delà, dans la grande majorité de nos enquêtes, les deux critères structurants concernent l'appartenance au public ou au privé et l'appartenance à des zones prioritaires ou non prioritaires.

S'agissant enfin du suivi des expérimentations éducatives, s'il n'est pas courant que la DEPP évalue des expérimentations (c'est de la responsabilité de la direction générale de l'enseignement scolaire -DGESCO), nous sommes en revanche assez souvent associés à l'évaluation ou au comité de pilotage. Nous intervenons ainsi sur l'accompagnement éducatif en collège, à l'EIST (enseignement intégré de science et technologie) ou encore les internats d'excellence et le livret de compétences expérimental. Nous participons en outre à des expérimentations locales qui me tiennent à coeur, l'une portant sur le Pacem (projet pour l'acquisition de compétences par les élèves en mathématiques) en CM1 dans les Bouches-du-Rhône, et l'autre sur le PACEM en sixième dans l'académie de Créteil. Puisque l'enquête PISA 2009 a mis l'illettrisme sur la place publique, on a pensé que les mathématiques constituaient une bonne cible pour adapter la formation continue des enseignants aux difficultés rencontrées par leurs élèves, qu'une évaluation de départ aura mesurée. Nous portons ces expérimentations avec les académies. J'attends l'évaluation de juin mais le rapport d'étape vient de montrer une grande sensibilisation des enseignants. Le lien entre formation et évaluation me semble prometteur.

M. Serge Lagauche, président. - Je vous propose de faire remonter l'ensemble des expérimentations, que nous mettrons à la disposition du rapporteur et des commissaires avant de compléter cette audition.

Mme Maryvonne Blondin. - Voilà en effet la réponse à nos questions.

M. Serge Lagauche, président. - Une fois que nous aurons reçu l'ensemble de vos documents, monsieur le directeur, nous pourrons vous interroger sur des points précis. Nous constatons maintenant qu'il y a de nombreux moyens pour évaluer ce qui se fait. Nous n'avions pourtant reçu jusqu'ici que des réponses évasives. Il nous faudra reprendre cela, tenir une séance de travail entre nous, avant de vous entendre de nouveau sur les expérimentations, comme celle que nous avons vue à Créteil, et l'on verra si vous partagez l'enthousiasme de ceux qui y participent.

Mme Maryvonne Blondin. - Tout à fait !

Mme Colette Mélot. - Très bien.

M. Michel Quéré. - Je dois préciser que les informations ne sont pas homogènes : elles varient suivant l'état d'avancement de l'évaluation.

M. Daniel Dubois. - Précisément, comment décide-t-on d'une expérimentation locale : est-ce le ministre, le recteur, vous ? J'aurais aussi voulu en savoir plus sur l'évaluation du socle commun : comment évalue-t-on la performance du système éducatif en dehors de PISA ? Bref, à quoi sert votre direction ?

Mme Maryvonne Blondin. - Ma question est très proche. Vous êtes responsable de l'évaluation de la dépense d'éducation, mais qui est responsable des choix des expérimentations et des cibles retenues ? Êtes-vous associé à l'élaboration des expérimentations locales et à quoi sert l'expérimentation ?

M. Michel Quéré. - Je vais essayer d'être aussi précis que vous le souhaitez. Le ministère a engagé une réflexion sur la lutte contre l'illettrisme et la DGESCO a lancé une expérimentation. Nous avons souhaité éclairer un autre aspect : comment l'apprentissage du calcul est-il traité ? L'innumérisme est lié à l'illettrisme, ne serait-ce que parce qu'on a du mal à résoudre les exercices quand on n'en comprend pas le libellé. Il s'agissait de compléter la palette d'instruments : c'est un choix du ministre.

Nous en sommes à la troisième itération du socle commun. A chaque fois que la mécanique tourne, on consolide l'exercice et on gagne en finesse interprétative. On utilise le résultat dans l'analyse de performance des académies, ce qui alimente le dialogue de gestion. On pourra progressivement en retirer plus d'informations.

M. Daniel Dubois. - Un mot du brevet informatique et internet (B2i). Comment évalue-t-on, par rapport au milieu urbain, le milieu rural, qui n'est pas toujours desservi en haut débit ?

M. Michel Quéré. - C'est une bonne illustration. Notre programme d'activité pour 2011, en cours de validation, exprime le souci de rechercher, à titre expérimental, une mesure objective des compétences acquises par les élèves à l'issue du socle commun. Le livret personnel de compétences est déclaratif - c'est l'enseignant qui le remplit. Nous avons une mesure avérée pour le CE1 et le CM2 ; nous en avons une, sur échantillon, pour la fin du palier 3. Nous sommes relativement désarmés sur les paliers 6 et 7 : comment objectiver les compétences en citoyenneté, en autonomie, en culture humaniste ? Nous travaillons là-dessus avec la DGESCO. Le B2i est un paramètre important pour l'objectivation.

Le calcul de la dépense d'éducation, dont nous sommes responsables, est un exercice de comptabilité nationale. C'est dans le temps long que l'on mesure l'évolution de la part de l'État, des collectivités et des ménages. L'on a une évaluation de la dépense par niveau territorial.

Mme Maryvonne Blondin. - Voilà l'information que l'on souhaite !

M. Michel Quéré. - En pratique, on retient un groupe qui bénéficie de la mesure évaluée et un autre groupe qui n'en bénéficie pas. C'est ainsi que pour l'enseignement intégré de science et de technologie, l'on a essayé de mesurer sinon l'enthousiasme des élèves, du moins leur intérêt selon qu'il y avait eu manipulation ou non.

M. Serge Lagauche, président. - Nous n'en sommes qu'au début de nos travaux. Même si nous les achevons avec une grande insatisfaction parce que des expérimentations sont en cours, nous pourrons recommander l'accélération de certaines.

Mme Françoise Cartron. - Lorsque vous évaluez le coût des EPLE, y intégrez-vous les professeurs, et avez-vous évalué la désectorisation et l'abandon de la carte scolaire ?

M. Michel Quéré. - Lorsque je suis arrivé à ce poste, voilà un an et demi, j'ai proposé au ministre de lancer des travaux avec des acteurs universitaires. Certains portent sur les effets de l'assouplissement de la carte scolaire. Ils se déroulent en ce moment.

Mme Françoise Cartron. - A quelle échéance s'achèveront-ils ?

M. Michel Quéré. - A l'automne 2010.

M. Cédric Afsa. - Nous ouvrons le chantier des EPLE. Nous disposons des informations sur la masse indiciaire mais nous ne connaissons pas les compléments de rémunération. L'information existe dans d'autres bases. Il faudra aller l'y chercher. Se posera ensuite le redoutable problème du traitement des multiaffectations. 

M. Serge Lagauche, président. - Je vous remercie de vos réponses, mais, vous l'avez compris, il sera indispensable de nous rencontrer de nouveau.

M. Michel Quéré. - L'audition du directeur général de l'enseignement scolaire complètera déjà le panorama que j'ai esquissé.