Mardi 24 mai 2011

- Présidence de M. François Autain, président -

Table ronde sur la pharmacovigilance en France

M. François Autain, président. - Nous allons poursuivre nos travaux avec l'audition de M. Jacques Caron, responsable du centre de pharmacovigilance de Lille, Mme Françoise Haramburu, responsable du centre de pharmacovigilance de Bordeaux, M. Jean-Pierre Kantelip, responsable du centre de pharmacovigilance de Besançon, et Mme Marie-Christine Perault, responsable du centre de pharmacovigilance de Poitiers, présidente de l'Association française des centres de pharmacovigilance.

Nous avons souhaité vous auditionner ensemble afin d'évoquer les nombreux dysfonctionnements de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) en général, et de la pharmacovigilance en particulier par rapport au Mediator.

Vous aurez l'occasion chacun d'intervenir, puis vous répondrez aux questions posées par le rapporteur et nos collègues. Cette audition est ouverte à la presse. Elle fera l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site du Sénat et éventuellement sur la chaîne Public Sénat. Etant donné que cette audition est soumise à l'article L. 4113-13 du code de la santé public, pourriez-vous présenter vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé, ou des organismes de conseil intervenant sur cette production ? Monsieur Jean-Pierre Kantelip, pouvez-vous vous présenter ?

M. Jean-Pierre Kantelip, responsable du centre de pharmacovigilance de Besançon. - Je suis le directeur du centre régional de pharmacovigilance de Besançon. Je n'ai ni conflit d'intérêts ni lien avec ces sociétés.

Mme Françoise Haramburu, responsable du centre de pharmacovigilance de Dijon. - Je n'ai pas de conflit d'intérêts. Je tiens à préciser que je suis membre d'Arme-pharmacovigilance, association de recherche méthodologique en pharmacovigilance. Je fais également partie d'un groupe de travail sur l'actualisation de la méthode d'imputabilité. Comme plusieurs d'entre nous, je participe à plusieurs groupes de travail sur l'amélioration des bonnes pratiques en matière de pharmacovigilance.

M. François Autain, président. - Avez-vous d'autres liens d'intérêts ? Nous avons parlé de cette association lors de l'audition du Docteur Bernard Bégaud.

Mme Marie-Christine Pérault, responsable du centre de pharmacovigilance de Poitiers, présidente de l'Association française des centres de pharmacovigilance. - Je suis la présidente de l'association française ces centres régionaux de pharmacovigilance. J'ai aussi été élue du conseil d'administration de la société française de pharmacologie. A ce titre, j'ai côtoyé un salarié du groupe Servier, que vous avez par ailleurs auditionné.

M. François Autain, président. - Je crois savoir de qui vous parlez. Je ne sais si on peut considérer ce lien comme un conflit d'intérêts.

M. Jacques Caron, responsable du centre de pharmacovigilance de Lille. - Je n'ai aucun lien avec des sociétés pharmaceutiques.

M. François Autain, président. - Je vous remercie. J'invite Jean-Pierre Kantelip à intervenir en préambule.

M. Jean-Pierre Kantelip. - Je propose d'expliquer ma situation. Je suis professeur de pharmacologie à la faculté de médecine de Besançon, et chef de service de pharmacologie et toxicologie du CHU de Besançon. Je suis également le directeur du centre régional de pharmacovigilance de Franche-Comté.

Ma carrière s'est déroulée en deux périodes. J'ai été formé à la pharmacologie à Clermont-Ferrand, puis je suis me suis installé à Besançon en 1988. J'ai été nommé professeur en 1991. Il y avait à l'époque deux structures de pharmacologie à Besançon, dont une avait en charge la pharmacovigilance. J'ai été recruté puis nommé sur la partie hospitalière, dans un service que le recteur dirigeait à l'époque. Je suis venu à Besançon pour lui succéder. Il s'occupait d'exploration fonctionnelle.

Suite au départ de MM. Magnin et Bechtel, les deux services ont été fusionnés. Les explorations fonctionnelles ont été redistribuées. A partir de septembre 1999, je suis devenu le directeur du centre régional de pharmacovigilance. J'ai pris la suite des travaux de M. Bechtel que j'ai supervisés. Ils étaient menés par son adjointe qui est devenue mon adjointe des travaux de la pharmacovigilance.

M. François Autain, président. - Cette personne est-elle signataire avec le professeur Bechtel des rapports sur l'Isoméride et le Mediator ?

M. Jean-Pierre Kantelip. - Oui.

M. François Autain, président. - Nous aurions souhaité convier le professeur Bechtel à nos débats, mais il n'a pas souhaité venir.

M. Jean-Pierre Kantelip. - Je n'ai plus de relation avec cette personne depuis longtemps, mais j'ai pris en charge la suite de ses dossiers. En ce qui concerne l'histoire de la pharmacovigilance à Besançon, j'ai pris la direction du centre en septembre 1999. Le centre de pharmacovigilance a changé de lieux. Il y a deux hôpitaux dans cette ville. Le centre de pharmacovigilance a été déménagé dans l'hôpital central. J'ai commencé à participer aux travaux du comité technique à partir de septembre 1999.

Mon travail a surtout consisté à implanter des correspondants de pharmacovigilance dans les hôpitaux de la région. J'ai été investi de la mission sur le Mediator à partir de 2004, en association avec Mme David-Laroche qui poursuivait les enquêtes confiées en 1998 sur les effets indésirables du Mediator. J'ai cosigné avec elle les rapports qu'elle a instruits et rédigés en 2005, 2007 et 2009. A la suite des travaux et de l'enquête sur les anorexigènes et l'Isoméride, l'enquête sur le Mediator a été confiée au centre de pharmacovigilance.

Ensuite, l'enquête a progressivement évolué avec des mises au point, initialement sur les effets addictogènes éventuels du Mediator, puis sur les cas d'hypertension artérielle pulmonaire, enfin sur les valvulopathies. Mme David-Laroche a instruit ces cas. Pour les cas d'hypertension artérielle pulmonaire imputables au Mediator, elle a demandé à un service, qui avait expertisé les cas relatifs aux anorexigènes et à l'Isoméride, de poursuivre son étude. Ces cas ont par la suite été présentés au sein du comité technique et à la commission nationale de pharmacovigilance.

Je suis intervenu après le départ à la retraite de Mme David-Laroche en juillet 2009, après un long congé maladie qui était terminé lors de la relance de l'enquête sur les hypertensions artérielles pulmonaires.

M. François Autain, président. - Faisons-nous intervenir chaque personne ?

Mme Françoise Haramburu. - Je n'ai pas prévu d'intervenir.

Mme Marie-Christine Pérault. - Moi non plus.

M. Jacques Caron. - J'ai dirigé la commission nationale de pharmacovigilance de 2001 à 2004, puis lors d'un second mandat de 2004 à 2007. Je suis de nouveau le Président de la commission nationale de pharmacovigilance.

M. François Autain, président. - C'est aussi à ce titre que nous vous avons invité.

M. Jacques Caron. - J'ai déjà été auditionné par le Sénat lors de la mission d'information sur les médicaments. Nous nous sommes déjà rencontrés à cette occasion.

M. François Autain, président. - Voulez-vous intervenir sur le Mediator ?

M. Jacques Caron. - Nous sommes venus pour répondre aux questions. Je pensais que vous mettiez en situation les différentes interventions.

M. François Autain, président. - Cette interprétation est tout à fait légitime. Madame le rapporteur, vous avez la parole.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - J'ai posé les mêmes questions à l'ensemble des participants à cette table ronde : comment expliquez-vous qu'aucun signal de pharmacovigilance n'ait été enregistré sur le Mediator avant 1999 ? Certains considèrent que la pharmacovigilance française s'est montrée trop prudente dans l'analyse des cas signalés, notamment au regard de la problématique énoncée en Italie. Quelle est votre analyse de la situation ? Comment la pharmacovigilance s'est-elle comportée ? Monsieur Caron, vous étiez directement concerné par cette question.

M. Jacques Caron. - J'ai été surtout concerné à partir de la fin de l'année 2001 et du début de l'année 2002. Je vais répondre aux deux questions. Tout d'abord, je souhaiterais rappeler que le premier signal a été détecté tardivement dans notre pays. Vous faites remonter ce signal à 1999, date de la première notification d'hypertension artérielle pulmonaire. Les centres de pharmacovigilance recueillent des informations de manière correcte sur le territoire français. Dans le dossier du Mediator, la relation entre le médicament et la norfenfluramine a été mise en évidence tardivement, alors qu'elle était présente depuis longtemps. Nous savions que la norfenfluramine était un métabolite du Mediator.

Pour quelle raison n'y a-t-il pas eu de notification ? Il y a douze ans, nous attendions la notification spontanée en pharmacovigilance des cas d'hypertension artérielle pulmonaire. La notification n'a pas eu lieu en 1999 alors que le produit était anciennement commercialisé dans notre pays. Quelle en est la raison ? Nous n'avons pas communiqué suffisamment tôt les préoccupations concernant le Mediator aux prescripteurs de ce pays. C'est le point de départ important de l'affaire.

M. François Autain, président. - Le Mediator est-il un anorexigène ? J'invite les quatre intervenants à répondre à cette question. Je parle de la situation actuelle, puis nous envisagerons la situation telle qu'elle était en 1995-2000, lorsque les premiers problèmes sont apparus.

M. Jacques Caron. - La dénomination internationale nous permettait de penser que ce produit était classé parmi les anorexigènes. En revanche, la classification clinique de ce produit en anorexigène est plus difficile à statuer. En tout cas, le produit a été utilisé dans ce but.

Mme Marie-Christine Pérault. - Actuellement, je vous répondrais positivement : cette molécule est un anorexigène. Il était plus difficile de tenir cette affirmation de façon aussi certaine il y a quelques années. Un certain nombre de doutes perduraient.

M. François Autain, président. - Pour quelle raison peut-on dire qu'il s'agit d'un anorexigène, ce qu'on ne pouvait pas faire dans les années 90 ?

Mme Marie-Christine Pérault. - Au niveau des études cliniques, le développement n'ayant pas été effectué dans le but de fixer l'anorexigène, nous avons mis en évidence un effet thérapeutique qui n'est pas le principal effet du médicament, celui sur lequel nous aurions dû nous attarder.

M. François Autain, président. - Il eût été utile de s'intéresser à cette époque à la littérature qui paraissait sur le Mediator. J'ai noté dans le rapport de l'Igas qu'il existait des publications qui remontaient aux années 70, indiquant clairement que le benflluorex était un puissant anorexigène. Les publications de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ou de l'Agence du médicament à propos de ce médicament sont frustrantes. Qu'est-ce qui interdit à un pharmacologue de faire appel à ceux qui ont déjà expérimenté ce produit ? Pourquoi ne l'a-t-on pas fait ? Est-ce que ça ne se fait pas ? J'ai l'impression que nous nous sommes limités à la thèse du laboratoire, qui n'a toujours pas changé, alors que vous donnez l'impression d'avoir évolué. Comment peut-on expliquer cette évolution ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les non-médecins prétendent que le Mediator est un anorexigène sans connaître toutes les propriétés de ce type de médicament.

M. François Autain, président. - M. Caron n'est pas un spécialiste des anorexigènes.

M. Jacques Caron. - La structure chimique du benflluorex le rattachait aux anorexigènes. Nous le savions de très longue date.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quelles sont ces propriétés ?

M. Jacques Caron. - Je rappelle que l'on s'intéressait plus au versant négatif du médicament.

M. François Autain, président. - Cela signifierait qu'il aurait des versants positifs. Pourriez-vous les décrire ? Il ne nous est pas apparu que le Mediator en avait de nombreux.

M. Jacques Caron. - Je n'ai pas tenu un tel propos. Il est apparu dans des études que le Mediator diminuait l'hémoglobine glyquée dans un pourcentage non négligeable, même si ce n'était pas extraordinaire. La structure et les effets secondaires très indésirables du Mediator l'ont rattaché à sa classe pharmacologique initiale, à savoir que c'est un produit anorexigène et amphétaminique. C'est un anorexigène dans le sens où il coupe la faim, même s'il est difficile d'être affirmatif sur cette question.

M. François Autain, président. - Je suis troublé par vos hésitations. Avez-vous lu ce rapport ?

M. Jacques Caron. - Bien entendu.

M. François Autain, président. - En 1974, l'inspection générale des affaires sociales (Igas) indique dans son rapport que la revue Psycho-pharmacologia, qui est peut-être une revue de référence, mais que je ne connais pas, publie les résultats d'une étude financée par les laboratoires Servier, indiquant que le benflluorex est un anorexigène très puissant. Déjà en 1974, on considérait que ce médicament avait cet effet. Je veux bien qu'on ait des hésitations aujourd'hui, mais il faut les motiver. Cette étude n'était pas opposée au produit, mais financée par Servier. Avez-vous eu connaissance de cette étude ?

M. Jacques Caron. - Nous en avons eu connaissance très tardivement.

M. François Autain, président. - Je suis dans la même situation, sauf que je ne travaillais pas dans la pharmacovigilance. Comment expliquez-vous que des médecins généralistes aient pu identifier avec précision la nature de ce produit dès 1974 ? Comment expliquer que des médecins a priori non compétents puissent déterminer la nature exacte d'un produit, alors que l'Afssaps et les centres régionaux ne soient pas parvenus à émettre un raisonnement différent de celui des laboratoires ? Madame Haramburu, le Mediator est-il ou non un anorexigène ?

Mme Françoise Haramburu. - Le Mediator est d'abord une amphétamine. Un effet coupe-faim est constaté, mais il est peu utile en thérapeutique car il fait maigrir ponctuellement, avant de faire reprendre des kilos, ce qui est plus dangereux en termes de risque cardiovasculaire que le surpoids. Nous avons beaucoup parlé de sa structure. Or je ne sais pas ce que cela signifie. Cet argument est présenté par les laboratoires Servier pour le distinguer des amphétamines.

M. François Autain, président. - Pourquoi la DCI du Mediator n'est-il pas relié au segment-clé des amphétamines ?

Mme Françoise Haramburu. - Je ne sais pas répondre à cette question. Ce produit a été volontairement distingué des amphétamines. Le point commun des effets indésirables des médicaments à base de norfenfluramine est l'hypertension pulmonaire. Nous avons, il y longtemps à l'hôpital à Bordeaux, utilisé le benflluorex dans la lutte contre le diabète. Les effets immédiats sont ceux d'une amphétamine : mauvaise tolérance, vertige, etc. Ces symptômes rattachaient le Mediator aux amphétamines. Ceci dit, au tout début, nous ne pouvions pas imaginer le développement de valvulopathies, qui ont été découvertes aux Etats-Unis. Nous ne connaissions en Europe que des cas d'hypertension artérielle pulmonaire.

M. François Autain, président. - La valvulopathie est apparue en raison de l'association de médicaments ?

M. Jacques Caron. - Elle est effectivement liée à une interaction de ces deux produits au niveau pulmonaire.

M. François Autain, président. - Nous avons observé cette situation aux Etats-Unis. Comment expliquez-vous que la pharmacovigilance ou la pharmacologie de l'Afssaps n'aient pas été capables de développer un raisonnement autonome qui soit différent de celui du laboratoire ? Pourquoi jusqu'à une date récente l'Afssaps tenait-elle le même discours que le laboratoire alors que ce point de vue n'était pas scientifique ?

Mme Françoise Haramburu. - Je n'ai pas de réponse à cette question importante. J'ai découvert l'existence du rapport italien du professeur Pimpinella en lisant le rapport de l'Igas en janvier 2011.

M. François Autain, président. - N'aviez-vous pas connaissance de l'étude italienne ? Ne faisiez-vous pas partie du comité technique ou de la commission de pharmacovigilance ?

Mme Françoise Haramburu. - J'ai été membre suppléant de la commission de pharmacovigilance mais je n'ai pas entendu parler de cette étude italienne jusqu'au rapport de l'Igas.

M. François Autain, président. - Quelle en est la raison ?

Mme Françoise Haramburu. - Je n'ai pas d'explication.

M. François Autain, président. - Il est anormal qu'un rapport établi à la demande du centre de spécialités pharmaceutiques (CSP), c'est-à-dire l'autorité européenne de l'époque, qui passe par la structure de pharmacovigilance présidée par Mme Castot, comprenne deux volets, l'un réalisé par l'Italie, l'autre par la France. Il apparaît étonnant que la France n'ait pas eu connaissance de l'autre étude. Vous vous étonnez, mais vous êtes incapable de nous dire ce qui aurait pu se passer.

Mme Françoise Haramburu. - J'ai eu jusqu'à récemment très peu de retour sur les débats européens sur le Mediator.

M. François Autain, président. - Vous n'avez pas de retour sur les débats au niveau national ?

Mme Françoise Haramburu. - Non, sur les débats au niveau européen.

M. François Autain, président. - Jean-Pierre Kantelip, le benflluorex est-il un anorexigène ou un antidiabétique ?

M. Jean-Pierre Kantelip. - C'est un anorexigène. En se référant à son métabolisme principal qui est la norfenfluramine, et en retraçant la bibliographie de cette molécule, celle-ci entre dans la catégorie des dérivés amphétaminiques. Elle peut être classée dans les manuels de pharmacologie anciens. En effet, les manuels de pharmacologie actuels ne comportent plus de chapitre sur les anorexigènes. Les documents des années 80 évoquent ces métabolites. Elle est classée parmi les anorexigènes. Sur ce point, je peux donner mon opinion sur l'action de ce médicament utilisé par les collègues comme un coupe-faim, donc comme un anorexigène.

M. François Autain, président. - Est-ce un anorexigène ?

M. Jean-Pierre Kantelip. - Oui.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Partagez-vous les propos du docteur Emmanuel Canet des laboratoires Servier ? Celui-ci a déclaré à la commission que « la fenfluramine et la dexfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique, alors que pour le benflluorex, la norfenfluramine ne représente environ que 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métabolites qui sont d'une autre nature. Le benflluorex ne donne pas naissance à la fenfluramine. »

Le rapport de l'Igas rappelle que l'état anorexigène a été rapporté dans les études de pharmacologie chez l'animal, mais il y a une différence majeure entre le métabolisme du rat et celui de l'homme pour ce qui concerne le benflluorex. Chez le rat, après administration du benflluorex, la norfenfluramine est le métabolite principal. Elle est retrouvée en quantité très supérieure au métabolite S1475, qui est le métabolite principal retrouvé après administration du benflluorex chez l'homme. Nous sommes donc à un niveau d'exposition à la norfenfluramine différent, et un ratio de composés circulants totalement inverse selon que la pharmacologie est faite chez le rat ou chez l'homme. Cela permet de comprendre pourquoi chez le rat, on est capable de mettre en évidence des taux d'exposition élevés de norfenfluramine d'une activité de type anorexigène, que l'on ne constate pas chez l'homme.

M. Emmanuel Canet ajoute « qu'un certain nombre d'autres antidiabétiques ont un effet bénéfique sur le poids. Je pense à la metformine, aux agonistes du GPL-1, et même à l'insuline qui a un effet central sur la prise alimentaire. Pour autant, on ne dit pas que ce sont des produits de type anorexigène. »

Je ne suis ni médecin, ni pharmacien. En tant que pharmacologues, partagez-vous cette analyse ?

M. Jacques Caron. - C'est plutôt au rapporteur du dossier qui connaît bien le dossier pharmacocinétique d'y répondre. Nous ne sommes pas des spécialistes de pharmacocinétique ou de pharmacodynamique, mais des effets indésirables du médicament. Dans ce domaine, notre discipline est partagée entre pharmacologues expérimentaux, pharmacologues cliniciens dont je fais partie, pharmacogénéticiens, etc. Je ne possède pas le dossier pharmacocinétique contrairement à un pharmacogénéticien. L'exposition en norfenfluramine du benflluorex chez l'homme était identique en partie à l'exposition entraînée par exemple par l'Isoméride. Nous nous sommes effectivement égarés en 1999. Quelques années plus tard, nous nous sommes aperçus que l'exposition pouvait être identique en norfenfluramine chez les sujets soumis à 450 milligrammes de benflluorex ou à 30 ou 60 milligrammes d'Isoméride.

Mme Marie-Christine Pérault. - Je ne peux que confirmer les propos de M. Caron, raison pour laquelle je ne comprends pas les propos de M. Canet sur le rat. La norfenfluramine ne peut être négligée même avec une quantité faible chez l'homme.

Mme Françoise Haramburu. - Je suis d'accord avec mes collègues.

M. François Autain, président. - Avec qui êtes-vous d'accord ?

Mme Françoise Haramburu. - Je suis d'accord avec les explications de Jacques Caron. Par ailleurs, la metformine fait baisser le poids dans le diabète de type 2. L'objectif est de savoir si un résultat similaire peut être obtenu par un régime, ou plutôt par une modification complète du comportement alimentaire, dans une société où la perte de poids est souhaitée, où le mode de vie de l'industrie alimentaire favorise la prise de poids, donc l'évolution du diabète. La réponse au surpoids ne se trouve pas forcément dans un médicament.

M. Jean-Pierre Kantelip. - D'anciennes études sur le métabolisme révélaient des discordances entre les concentrations plasmatiques et les concentrations en norfenfluramine. A ma connaissance, il n'y a pas eu d'autres vérifications pour expliquer cette discordance. Le taux de concentration en norfenfluramine après administration de 450 milligrammes de benflluorex était identique dans les autres produits qui comprenaient la même molécule. Le reste est constitué d'hypothèses. Nous ne pouvons pas comparer les études chez le rat avec celles menées chez l'homme. En outre, il conviendrait d'avoir des précisions sur la manière dont ces études métaboliques ont été menées, en précisant leur méthodologie et les techniques datant du passé.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - La pharmacologie française s'est-elle montrée trop prudente dans l'analyse des cas ? Pouvez-vous nous répondre ? Cette question est régulièrement posée dans le cadre de la mission d'information. Un certain nombre de médicaments est mis sur le marché selon un modèle pasteurien. Lorsque ces médicaments sont appliqués pour des pathologies chroniques, le dysfonctionnement pour la population prise en charge génère des effets indésirables en raison d'une inadéquation du modèle par rapport à la population. Est-ce pour cette raison que la pharmacovigilance se montre parfois prudente ? Prenez-vous cette donnée en considération ?

M. Jacques Caron. - Certainement, mais ce dossier a été établi par les successions fréquentes d'anorexigènes qui sont des amphétaminiques. Dans les cas qu'il nous a été donné d'examiner, la prescription d'Isoméride et de Pondéral a été suivie de prescription de benflluorex. En pharmacovigilance, nous raisonnons en termes de critères chronologiques. Les valvulopathies apparaissaient sous Isoméride puis étaient confirmés bien plus tard, alors que le patient avait été transféré de l'Isoméride au benflluorex. Il y a eu un chevauchement de ces dossiers relatifs aux anorexigènes. Le benflluorex a été identifié comme une amphétamine à juste titre par les pharmacologues.

M. François Autain, président. - Le Mediator était-il considéré par le pharmacologue comme une amphétamine dans les années 90 ?

M. Jacques Caron. - Oui.

M. François Autain, président. - Je suis très surpris par cette affirmation. M. Bechtel, lors de la rédaction de son rapport de 1998 sur le benflluorex, indiquait en conclusion de son analyse pharmacocinétique et du métabolisme du médicament : « nous rappellerons que malgré la production de norfenfluramine, la propriété pharmacodynamique d'anorexigène n'a jamais été attribuée au benflluorex ». En 1998, les pharmacologues étaient d'accord avec le laboratoire. Ils tenaient les même propos que Servier. Je me permets de vous rappeler que M. Bechtel et Mme David-Laroche tenaient un propos similaire à celui du Laboratoire.

M. Jacques Caron. - J'ai argumenté sur la notion de structure amphétaminique du Mediator.

M. François Autain, président. - A cette époque, les pharmacologues tenaient le même propos, malgré un rapport rendu public en 1999 ou 2000. La nature anorexigène du benflluorex n'était pas reconnue par les pharmacologues de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).

M. Jacques Caron. - Il faut interroger les personnes qui connaissent bien le sujet : chimistes, toxicologues, etc. Nous ne pouvons parler pour l'Afssaps dans sa globalité. Des personnes de l'Afssaps connaissaient bien mieux que moi la structure et les propriétés pharmacodynamiques du Mediator.

M. François Autain, président. - Je me permets de citer un rapport confidentiel résultant d'une enquête officielle. M. Bechtel et Mme David-Laroche s'expriment au nom de l'Afssaps, car ils ont été chargés de l'enquête par cette agence. Nous n'allons pas interroger l'ensemble des parties. Il faut simplement se fonder sur les faits. Le rapport démontre que ces pharmacologues désignés par l'Afssaps estimaient que le benflluorex n'était pas un anorexigène.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - J'ai posé une question sur l'inadéquation du modèle par rapport à la population qui prend un médicament. Vous avez précédemment employé deux mots, d'une part le besoin de signal potentiel, d'autre part le recueil de données. Vous ajoutez le critère chronologique. Cette inadéquation joue-t-elle pour que vous ayez une collecte suffisante de données avant de déclencher un signal réel ? Comment travaillez-vous à partir du recueil des données ? Nous voulons comprendre votre méthode. Nous menons une mission d'évaluation de contrôle de la politique sanitaire. Nous avons besoin de comprendre pour faire évoluer les institutions. Ce sujet est-il un élément important ?

Mme Marie-Christine Pérault. - Je propose de décrire comment nous travaillons. Nous vérifions la chronologie des faits lorsque nous recevons une observation : le médicament a-t-il été pris ? Un effet indésirable est-il survenu ? Lorsqu'un effet indésirable est nouveau, il est porté à la connaissance des centres régionaux de pharmacovigilance afin de vérifier que le même effet n'est pas survenu. La collecte d'un ou deux signaux déclenche une alerte pour faire que l'on s'intéresse précisément à ce produit. Un nombre limité de signaux est suffisant. Un ou deux signaux suffisent pour déclencher une enquête et surveiller le produit de façon très stricte. Nous n'avons pas besoin de nombreux cas, mais d'un cas bien documenté et d'une observation médicale qui tienne la route, à savoir un diagnostic clinique.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment l'enquête se déroule-t-elle ?

Mme Marie-Christine Pérault. - Nous étudions désormais tous les cas survenus sur le territoire français. Nous pouvons dorénavant demander des précisions à l'Europe et analyser la bibliographie parue sur le sujet. Vous avez évoqué une analyse bibliographique.

M. François Autain, président. - Ce n'est apparemment pas une bonne bibliographie, la revue que j'ai citée n'ayant pas une bonne cote.

Mme Marie-Christine Pérault. - La cote des revues n'a pas d'importance. Nous avons besoin en pharmacovigilance de cas publiés pour nous mettre en alerte. L'impact factor n'a pas de rapport avec la gravité des effets indésirables d'un médicament. Ce qui est important pour la bibliographie est que vous avez pris l'époque des années 90. Or nous disposions dans les années 90 de moyens réduits pour effectuer une recherche bibliographique. Nous recevions des livrets une fois par semaine sur la littérature internationale que nous devions éplucher. Il est possible que notre vigilance n'ait pas été maximale et que nous soyons passés à côté d'éléments importants. Actuellement, nous disposons d'outils plus performants. L'abstract que vous avez cité, publié en 2003, était un résumé de publications qui étaient très difficiles à trouver à cette époque. Je ne prétends pas que nous n'avons pas commis d'erreurs, mais il faut se replacer dans le contexte de l'époque. Nous avons besoin de l'appui de professionnels pour nous aider dans notre tâche.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment voyez-vous l'articulation entre les études épidémiologiques à partir de données de la Cnam et la pharmacovigilance ? Le dispositif français manque-t-il d'une structure adaptée pour mener à bien ces études ?

Mme Françoise Haramburu. - Les études sont très utiles, mais nous ne pouvions certainement pas les faire à l'époque du Mediator, en 1999 ou au début des années 2000. Les bases de données de la Cnam n'étaient pas disponibles à l'époque. Elles sont utiles dans certains cas, mais elles n'apportent pas toujours de réponse. Une étude pharmaco-épidémiologique n'apporte pas tous les éléments. Il ne faut pas s'en priver pour autant dans certains dossiers où elles sont indispensables.

M. François Autain, président. - Votre propos est très important. Vous indiquez que l'étude pharmaco-épidémiologique rétrospective n'est pas suffisante pour déterminer les effets indésirables d'un produit. L'étude pharmaco-épidémiologique rétrospective sur le Mediator qui donne des estimations de cinq cents à deux mille morts est-elle insuffisante ?

Mme Françoise Haramburu. - Ce n'est pas ce que je prétends. Cette étude a emporté la conviction. De nombreuses personnes étaient convaincues du risque, mais il a fallu cette étude pour entraîner la décision d'interdire le médicament. Je ne suis pas certain qu'elle apportera des informations nouvelles. Je pense qu'une décision devra être prise même si l'étude n'est pas concluante.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les éléments ont entraîné l'interdiction du Mediator sont-ils liés à des critères cliniques ?

Mme Françoise Haramburu. - Nous disposons de faits expérimentaux et cliniques, c'est-à-dire de nombreux éléments réunis. Dans l'éventualité où l'étude de la Cnam n'apportait pas de nouvelles informations, nous devons tout de même nous demander s'il convient de donner la prééminence à l'étude pharmaco-épidémiologique ou à l'ensemble des éléments pharmacologiques et toxicologiques réunis.

M. François Autain, président. - Vous indiquez que les études pharmaco-épidémiologiques ne sont pas suffisantes.

Mme Françoise Haramburu. - Je dis plutôt qu'elles n'apportent pas de réponse dans tous les cas.

M. François Autain, président. - Certes, mais le seul fait que le Mediator ait des effets indésirables ne suffit pas à emporter la conviction. L'observation en 1999 de deux cas cliniques, dont l'un est contesté et l'autre concerne une insuffisance aortique de Marseille. Un cas est incontestable, l'hypertension artérielle pulmonaire survenue en 1999. Cet élément était insuffisant, sans quoi le Mediator aurait été retiré. Il n'a pas été possible de prendre une telle décision à cette époque. Si nous avions pu faire une étude pharmacologique rétrospective, nous aurions pu détecter un certain nombre de cas. Une étude rétrospective permet de compléter la recherche. Je ne pense pas qu'une étude pharmaco-épidémiologique puisse démentir des faits cliniques. Que voulez-vous dire en affirmant que ce type d'étude peut être insuffisant ? Elle vient compléter les observations effectuées d'un point de vue clinique.

Mme Françoise Haramburu. - En 1999 et 2000, il n'était pas possible d'effectuer ce type d'étude sur le benflluorex. Nous aurions emporté la conviction si nous n'avions pu le faire. Nous n'avons souvent pas besoin de mener des études longues d'une dizaine d'années pour obtenir des résultats probants. Les études pharmaco-épidémiologiques sont très utiles dans certaines situations, mais il ne faut pas retarder la décision pour autant.

M. François Autain, président. - Je partage votre point de vue. Le rapport de l'Igas évoque l'article du professeur Bernard Bégaud dans le traité de pharmacologie du Professeur Giroud : « un seul cas peut, à la limite, suffire à démontrer la capacité que possède un médicament de produire un effet donné ». Ce cas est-il suffisant pour retirer ce médicament ? Faut-il un grand nombre de cas ? Si oui, combien de cas ? Y a-t-il des normes ? L'étude pharmaco-épidémiologique n'est qu'un moyen de retarder le retrait de ce médicament qui provoque des cancers de la vessie en nombre suffisant pour l'interdire. Il semble intéressant d'effectuer une étude pharmaco-épidémiologique après le retrait du médicament pour en évaluer les dégâts. Est-ce concevable ?

Mme Françoise Haramburu. - Oui.

M. François Autain, président. - La pharmacovigilance est confrontée à un problème de sous-notification. L'apparition d'un cas signifie qu'il y en a peut-être vingt. Vous comprenez la problématique. Pouvez-vous répondre ou faire des commentaires sur ce point ?

Mme Françoise Haramburu. - Il n'y a pas de cas général. Dans certains moments, même l'absence de cas est suffisante pour interdire un médicament. Par exemple, nous n'allons pas attendre d'avoir un doute sur la toxicité du parabène en attente d'un désastre pour le retirer. Ce n'est pas un médicament, mais il peut être utilisé comme conservateur de certains médicaments. Tout dépend du cas de figure. Très peu de cas suffisent pour prendre une décision susceptible de sauver des milliers de vies.

M. François Autain, président. - La pharmacovigilance doit-elle être préventive pour être efficace ?

Mme Françoise Haramburu. - Oui.

M. François Autain, président. - Nous devrions lancer moins de médicaments sur le marché, et nous aurons moins de problèmes, ou plutôt nous aurions des médicaments efficaces qui amèneront moins de difficultés. Ou encore ces difficultés concerneraient des médicaments inefficaces, ce qui générerait moins de difficultés pour prendre des décisions.

Vous avez évoqué un médicament inutile qui a été classé ASMR 5 par la commission de la transparence. Cela signifie qu'il n'aurait pas dû être mis sur le marché ou pris en charge par la sécurité sociale. C'est un problème en amont, davantage qu'en aval. La commission de pharmacovigilance a fait son travail dans ce domaine. Vous avez demandé la suspension de ce médicament, mais cette demande n'a pas été suivie, ce qu'on peut regretter.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Je souhaite revenir sur la relation entre les études épidémiologiques et les données cliniques. Quelle est la robustesse des études pharmacologiques rétrospectives ? Un certain nombre de cardiologues qui se sont exprimés devant la commission prétendent que la méthodologie de la Cnam utilise le PMSI, outil économique précieux, mais qui a des insuffisances. Les cardiologues expliquent que la Cnam n'a pas de code pour les valvulopathies médicamenteuses. Les auteurs de l'étude ont tenté de recenser toutes les insuffisances, quelles qu'en soient les causes. Ils ont fait appel à un code binaire, alors qu'en France les valvulopathies sont rarement d'origine rhumatismale. Les épidémiologistes et les médecins, qui disposaient de données cliniques pour s'accorder, ont eu un dialogue de sourds.

En tant que pharmacologues, vous avez besoin d'éléments de plus en plus robustes pour mener vos enquêtes. Vous pouvez agir auprès de la Cnam pour que les éléments et les codes soient modifiés, ou pour rencontrer un certain nombre de données cliniques. Comment répondez-vous à ce que disait le professeur Acar par rapport à toutes ces insuffisances ? Quelle est la robustesse des études pharmaco-épidémiologiques de manière rétrospective ?

M. Jacques Caron. - Il faut être très prudent. Une étude pharmaco-épidémiologique présente ses limites : elle est rétrospective. De nombreux biais sont possibles. Deux études aux résultats concordants plutôt qu'une sont plus pertinentes. En ce qui concerne le traitement hormonal de la ménopause, des dizaines d'études pharmaco-épidémiologiques rétrospectives ont été additionnées. Elles concluaient toutes que le traitement était coronaro-protecteur. Une étude bien faite, prospective, menée aux Etats-Unis, prouvait l'inverse. Il faut accepter cette situation.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous aurez bientôt le RU 486. Il y a eu au moins un cas.

M. Jacques Caron. - Je n'ai pas compris votre allusion. Les études pharmaco-épidémiologiques sont un outil extrêmement important qui va se développer, dont la finesse va s'améliorer, mais il faut les accepter avec cette logique et le bon sens requis. Il était extrêmement difficile de statuer sur un cas en 1999. Le bruit de fond de l'hypertension pulmonaire est permanent. La distinction entre le bruit de fond et un cas réel est extrêmement difficile.

M. François Autain, président. - Pensez-vous que l'on pouvait suspendre le médicament dès cette époque ? Sinon, que pouvions-nous faire qui ne l'a pas été ? Imaginez que l'on préconise pour le Mediator une enquête équivalente à celle commandée pour l'Isoméride du type International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS). Etait-ce envisageable ? Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

M. Jacques Caron. - Le benflluorex n'a-t-il pas été inclus dans l'IPPHS ?

M. François Autain, président. - Non. C'est justement le problème. J'ai interrogé plusieurs personnes sur ce sujet, notamment le professeur Lucien Abenhaïm. Je ne comprends pas que l'on ait pu étudier l'impact des fenfluramines sans s'occuper du Mediator. En outre, certains cas analysés ne concernaient pas des malades qui prenaient de l'Isoméride, mais aussi du Mediator. Nous enregistrons quatre ou cinq cas dans le rapport de 1994 sur l'Isoméride. Le rapport Bechtel relève le nombre d'hypertensions artérielles pulmonaires consécutifs à la prise. Quatre ou cinq patients prenaient de l'Isoméride, mais aussi du Mediator.

Nous aurions pu nous poser une question à partir de ces cas. Nous aurions dû nous demander pourquoi ce médicament produit par Servier aurait pu avoir un rôle dans l'apparition de l'hypertension artérielle. Nous aurions pu commander une étude sur le benflluorex. Cela n'a pas été fait. Nous avons simplement commandé une étude qui n'a donné des résultats qu'au bout de sept ou huit ans. Avez-vous des réponses à apporter à cette question ? Pourquoi avoir tant attendu ? Quelqu'un souhaite-t-il répondre ?

Mme Françoise Haramburu. - Le benflluorex n'est pas le seul médicament pour lequel des études ont été longues à produire.

M. François Autain, président. - Est-ce une consolation ?

Mme Françoise Haramburu. - Lorsque un médicament n'a pas une grande utilité, c'est, selon moi, une perte de temps et d'argent de mener des études. Il aurait fallu le retirer en 1999.

M. François Autain, président. - Vous étiez sans doute très isolée à tenir cette position, sans quoi le médicament aurait été retiré.

Mme Françoise Haramburu. - Je m'en veux de ne pas l'avoir dit assez fort.

M. François Autain, président. - Que pense le président de la commission nationale de pharmacovigilance de cette question ?

M. Jacques Caron. - Le signal existait à cette époque. Il était extrêmement difficile de l'interpréter en l'état. Face à la faible efficacité de ce produit, nous pouvions nous interroger sur l'opportunité de le laisser sur le marché. Je lui reconnais une petite efficacité au niveau de l'hémoglobine glyquée. Mon objectivité s'arrête sur ce point.

M. François Autain, président. - Je n'ai pas d'avis personnel. Je m'en remets à l'avis de la commission de la transparence, qui considère que ce médicament n'était pas suffisamment efficace pour que nous puissions recommander son remboursement par la sécurité sociale. Cet avis émis en 1999 a été rappelé en 2006. Je n'ai pas de position personnelle sur ce sujet.

M. Jacques Caron. - La position du comité technique de pharmacovigilance a évolué car nous avons demandé la réévaluation du rapport bénéfices-risques du Mediator en 2005. Nous étions beaucoup plus précis en 2007 lorsque nous nous sommes fermement interrogés sur l'intérêt de ce produit et en se prononçant pour un rapport bénéfices-risques défavorable.

M. François Autain, président. - Cette procédure a été particulièrement longue.

M. Jacques Caron. - Je ne le nie pas.

M. François Autain, président. - Quelle en est la raison ?

M. Jacques Caron. - L'Europe s'est emparée du dossier du benflluorex. A ce moment, nous avons le sentiment que le dossier s'éloigne, que le problème doit être transposé au niveau européen, ce qui est bien entendu une erreur. L'Europe a eu besoin de temps pour réagir. Elle n'a même pas réagi concernant ce dossier, puis les observations sont arrivées de façon lente et fragmentée. En 2005, nous nous sommes aperçus que des cas d'hypertension pulmonaire étaient évidents, ce qui nous amène à réévaluer le rapport bénéfices-risques du médicament en 2007.

M. François Autain, président. - Ce problème pourrait perdurer aujourd'hui sans l'intervention d'Irène Frachon. Cette situation est désespérante.

Mme Virginie Klès. - Comme vous le rappelez souvent, au-delà de comprendre ce qui s'est passé, l'objectif des travaux de cette commission est que ce que nous avons connu avec le Mediator ne se reproduise pas et d'améliorer l'avenir. Je souhaiterais revenir sur le sujet des études épidémiologiques rétrospectives et prospectives. Je partage le point de vue sur les études pharmaco-épidémiologique rétrospectives, dans la mesure où un outil statistique doit être adapté a priori à ce que l'on cherche à démontrer, jusque dans la construction des échantillons ou la construction expérimentale du recueil des données.

La méthodologie rétrospective peut ne pas apporter des réponses proches de la vérité ou des éléments dont nous sentons pourtant qu'ils sont pertinents. La méthode n'est pas idéale car nous récupérons des données prouvées pour les manipuler et les adapter à l'outil statistique. Cette approche est nécessairement négative. Nous n'avons pas effectué systématiquement des études épidémiologiques prospectives. Lorsque l'efficacité d'un médicament n'est pas prouvée, il ne faut pas le commercialiser plutôt que de perdre de l'argent en effectuant une étude.

Sur un médicament qui a une efficacité, vous semble-t-il possible d'établir des critères simples permettant d'enclencher une étude épidémiologique prospective adaptée à vos besoins sur le médicament ? Comment peut-on faire pour mettre en place cette étude épidémiologique prospective sans attendre les effets indésirables du médicament ?

Mme Françoise Haramburu. - La difficulté des études prospectives est liée au fait que l'on travaille souvent sur un risque très faible en pharmacovigilance qui nous oblige à suivre des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de patients. Avec trois mille patients, vous êtes certain de trouver un cas ayant une incidence d'1 sur 3 000. Or nous travaillons sur des incidences faibles d'1 sur 10 000 ou 1 sur 100 000. Des études prospectives supposent de suivre énormément de patients pour évaluer un impact.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Malgré les difficultés des études prospectives, de quoi auriez-vous besoin ?

Mme Marie-Christine Pérault. - Nous aurions besoin en France de bases qui nous permettent de travailler correctement. Certains critiquent l'Internet protocol multicast standards initiative (IPMSI). Ce système n'était pas idéal, mais il nous a permis de progresser. Il comporte quelques atouts malgré toutes les erreurs envisagées. Nous avons besoin d'effectuer des études rétrospectives et de travailler sur des études cas non-cas qui nous permettent de valider nos idées. La France doit se doter de moyens conséquents si nous devons mener des études prospectives. Il y a très peu de cohortes en France par rapport aux pays scandinaves ou du Nord. Il est fondamental de constituer ces grandes cohortes qui nous permettent de construire une étude scientifique sérieuse. Nous avons pu le faire concernant la cohorte E3N, mise en place par des chercheurs de l'Institut national de la santé et de la rechercher médicale (Inserm).

M. François Autain, président. - En quoi consiste une cohorte, s'il vous plaît ?

Mme Marie-Christine Pérault. - La cohorte est liée au fait d'inclure à un moment donné tous les patients présentant une caractéristique homogène et de les suivre au cours du temps : exposition ou non à un médicament, mise en évidence d'une exposition, etc.

M. François Autain, président. - Les cohortes remplacent-elles les études ?

Mme Marie-Christine Pérault. - Certes, mais nous n'avons pas d'expérience de la cohorte en France.

M. François Autain, président. - Nous n'avons pas non plus la culture de l'étude pharmaco-épidémiologique prospective. Nous ne pouvons pas trouver un langage commun. Ce sont deux approches différentes.

Mme Marie-Christine Pérault. - Etant donné que nous évoquons les données épidémiologiques, je souhaiterais rappeler que les professionnels de santé britanniques disposent de la base GPRD. Il serait aisé d'implanter quelques données médicales supplémentaires dans la base de la sécurité sociale. La construction de ce genre de base dépend de la volonté des pouvoirs publics.

M. François Autain, président. - S'agit-il davantage d'une base que d'une cohorte ?

Mme Marie-Christine Pérault. - Il y a plusieurs possibilités. Nous étudions dans les plans de gestion de risque si nous avons besoin de certains types d'étude pour une molécule donnée. Ce type de réflexion est basée sur le fait, quand nous suivons des médicaments pour une mise sur le marché européenne, d'effectuer des études pharmaco-épidémiologiques. Or, ces études sont généralement prévues dans d'autres pays que la France, ce qui est regrettable. En effet, cela ne permet pas de voir à quoi la population française est exposée.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous affirmez que l'étude comporte un certain nombre d'erreurs. Aurait-il été possible de les démasquer pour avoir une étude plus fine ? Sinon, pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? Nos entreprises pharmaceutiques ont-elles la faculté de limiter les signaux de pharmacovigilance ? Cela fut-il le cas sur le Mediator ? Pourquoi ces erreurs n'ont-elles pas été dénoncées ? Les estimations portent sur une base de 500 à 2 000 morts. Une erreur dans l'évaluation serait dramatique.

Mme Marie-Christine Pérault. - Catherine Hill estime que le Mediator a causé près de 500 décès. C'est une estimation. Elle a expliqué dans son article les biais qu'elle a rencontrés au cours de son étude. L'étude de Mme Fournier et M. Zureik est construite différemment. L'objectif de ces études consistait à estimer le nombre de patients et décès, sans autre vocation. Catherine Hill a été très précise sur ce sujet : elle n'avait pas d'autre objectif que de conforter une hypothèse établie.

M. François Autain, président. - Catherine Hill a été très précise lorsqu'elle est venue au Sénat, en indiquant qu'il s'agissait d'une estimation de la réalité. Son estimation est l'outil qui permet de se rapprocher le plus de ce qui s'est passé dans la réalité. Je ne pense pas que l'on soit en mesure de produire une étude qui permette d'approcher de plus près de ce qui s'est passé dans la réalité. Il sera très difficile de procéder à cet examen. Il est parfois nécessaire d'avoir recours à ce type d'outil pour approcher la réalité. Vous êtes d'accord avec cette affirmation ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les entreprises pharmaceutiques tentent-elles de limiter la pharmacovigilance ?

Mme Marie-Christine Pérault. - Oui. Tout dépend de quelle manière la firme enregistre le signal qu'elle reçoit. Nous reprochons beaucoup aux entreprises pharmaceutiques de ne pas tenir compte des entités cliniques. Le codage MedDRA permet d'« exploser » une entité clinique. Un syndrome est divisé en de nombreux symptômes. Lorsqu'on interroge la base de données pour identifier des événements similaires, par exemple pour le Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (Dress Syndrome), notre recherche s'effectue à plusieurs niveaux. L'arborescence MedDRA impose de reconstituer a posteriori une entité clinique, ce qui est difficile pour nous.

M. Jacques Caron. - Cela peut nous amener à interpréter un cas différemment selon la recherche que nous effectuons dans la base. Globalement, nous parlons un même langage de pharmacovigilance industrielle. L'objectif de l'enquête est de nous réunir, c'est-à-dire de confronter nos données afin de parvenir à un consensus. L'enquête nous offre un aperçu assez exact de la réalité.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le Mediator a-t-il été prescrit dans les hôpitaux ?

M. Jean-Pierre Kantelip. - A ma connaissance, il n'a pas été prescrit dans les hôpitaux où je travaille et que je connais.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Sur l'évaluation de contrôle du médicament, faut-il fusionner le comité national de pharmacovigilance (CNPV) et la commission de l'AMM ? Comment éviter que la première soit subordonnée aux réunions de la seconde ? La CNPV doit-elle disposer d'un pouvoir de suspension d'un médicament présentant des risques ? Quelle procédure proposeriez-vous dans ce cas ?

M. François Autain, président. - Que proposez-vous pour améliorer la procédure ? Nous avons un avant-goût d'une réunion commune avec celle que nous avons visionnée sur le site de l'Afssaps. Considérez-vous que cela constitue un progrès ou que nous devons créer un meilleur dispositif ? M. Jacques Caron, qu'en pensez-vous en tant que président de l'Association nationale de pharmacovigilance ?

M. Jacques Caron. - L'augmentation des prérogatives de la commission nationale de pharmacovigilance me semble nécessaire. Je ne sais si les instances doivent continuer de fonctionner de manière parallèle ou fusionner. Nous apprenons toujours au contact des uns et des autres. La commission d'AMM confie des informations importantes à la CNPV. Encore faut-il que nous puissions confronter nos données de manière paritaire. Encore faut-il que le président de la CNPV ne se présente pas seul au sein de la commission d'AMM pour défendre un dossier.

La stricte parité serait nécessaire si nous mettions en place des réunions mixtes, commission d'AMM et CNPV. Par ailleurs, nous pouvons imaginer que la commission nationale de pharmacovigilance puisse statuer sur un médicament de façon ferme et définitive afin qu'un problème soit très rapidement réglé. Ce projet peut être rapidement mis en application.

Je ne pense pas qu'il faille détacher le post-AMM du pré-AMM.

Nous tirons en partie nos informations du pré-AMM. Nous en avons besoin, et encore plus actuellement. Nous ne sommes pas des spécialistes de toxicologie ou de pharmacocinétique. Nous maîtrisons mal certaines informations en raison du manque de spécialistes qui nous permette d'appréhender ces informations de manière claire, didactique et efficace. J'ai toujours été étonné que la commission nationale de pharmacovigilance ne contienne pas de toxicologue, qu'il existe un groupe PGR/PPI qui se réunisse sans intégrer officiellement des représentants de la commission nationale de pharmacovigilance. Je suis favorable à une restructuration de la CNPV.

M. François Autain, président. - Votre propos est inquiétant car le groupe PGR/PPI assure la prise en considération des plans de gestion des risques et de l'examen des études post-AMM, dont nous constatons qu'elles ne sont pas réalisées comme il se doit. Je suis étonné que vous ne soyez pas partie prenante de ce groupe.

M. Jacques Caron. - Ce groupe de travail donne des avis sans avoir des représentants officiels au niveau de la CNPV.

M. François Autain, président. - Souhaiterez-vous qu'il soit présent dans la commission ?

M. Jacques Caron. - Oui. Je souhaite que ce groupe soit représenté au sein de la commission. Nous nous nourrissons des données du pré-AMM. Les deux instances ne doivent pas fonctionner en parallèle. Nous avons besoin d'informations. La création d'une commission paritaire avancée par notre nouveau directeur général est une solution qui me paraît à envisager.

M. François Autain, président. - S'agit-il de la commission qui s'est réunie dernièrement à propos de l'Actos ?

M. Jacques Caron. - Cette commission n'était pas composée de manière paritaire car elle regroupait trois ou quatre personnes de la CNPV. Nous étions noyés au sein de la commission d'AMM.

M. François Autain, président. - Le rapport de force vous était défavorable.

M. Jacques Caron. - En 2007, nous étions convaincus de l'importance de retirer le Mediator. Nous nous sommes retrouvés isolés au sein de la commission d'AMM.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - La présence de cardiologues est-elle souhaitable en raison des types de pathologies ?

M. Jacques Caron. - Bien entendu.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Faut-il élargir les compétences de la pharmacovigilance pour une meilleure prise en compte du risque lié au médicament ?

Mme Marie-Christine Pérault. - Le champ de compétence de la pharmacovigilance doit évoluer avec la directive européenne sur ce point. Il conviendra de veiller à ce que la pharmacovigilance soit davantage intégrée à la gestion de risques médicamenteux.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - La France a-t-elle influencé Bruxelles ?

M. François Autain, président. - La Commission européenne sera vraisemblablement influencée avec retard.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - J'ai siégé dix ans au Parlement européen. J'ai constaté que nous ne prenions pas, contrairement aux anglo-saxons, les discussions en amont. Avez-vous envie d'élargir le champ de la pharmacovigilance ?

Mme Marie-Christine Pérault. - Nous avons participé aux travaux de l'association des centres régionaux de pharmacovigilance. Nous avons alerté les représentants français de divers sujets qui nous paraissaient problématiques. Le cabinet de Mme Roselyne Bachelot a accepté de nous recevoir pour discuter de ce problème. Il nous paraissait déraisonnable que la pharmacovigilance doive être assurée uniquement par les industries du médicament.

M. François Autain, président. - Cette évolution a failli avoir lieu !

Mme Marie-Christine Pérault. - Nous avons revendiqué une pharmacovigilance forte. Nous avons reçu du soutien pour qu'une pharmacovigilance forte, financée par les états, soit maintenue. Nous étions initialement menacés de disparition. Je ne suis plus informée de ce qui se passe. Le champ de compétence de la pharmacovigilance sera élargi. L'erreur médicamenteuse doit intégrer notre champ de compétence, ce qui nous ouvrira vers des collègues pharmaciens en vue d'accroître la culture de la pharmacovigilance.

Nous avons essayé de défendre au mieux les intérêts de la pharmacovigilance publique, mais nous n'avons pas été entendus sur certains points. Nous voyons que dorénavant une commission donnera les AMM et une autre commission donnera un avis sur la pharmacovigilance. En cas de désaccord, l'équivalent de la commission d'AMM devrait justifier pour quelle raison elle ne suit pas l'avis de la seconde. Pour la première fois, cette décision reconnaît à la pharmacovigilance une existence et un rôle dans la décision. Le fait que les membres de la commission d'AMM doivent justifier leur décision est une évolution importante.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Faut-il renforcer le contrôle des prescriptions hors AMM ?

M. François Autain, président. - Quel degré d'autonomie doit-on accorder à la commission de pharmacovigilance ? La commission nationale de pharmacovigilance n'est pas une instance majeure. Tout avis qu'elle émet doit transiter par la commission d'AMM. Les avis relatifs à la suspension des médicaments ou sur les effets indésirables d'un médicament ne devraient pas transiter par la commission d'AMM, mais être confiés directement au directeur général qui alors prendrait sa décision.

En conclusion, je serais favorable à ce que la commission nationale de pharmacovigilance prenne plus de poids qu'actuellement. Cela éviterait de vous retrouver en situation minoritaire comme vous l'étiez à propos de l'Actos, alors que vous disposez de tous les éléments pour prendre la bonne décision. Pour ma part, je défendrais plutôt ce type de proposition dans le cadre de notre mission. Je voudrais votre avis sur ce sujet.

M. Jacques Caron. - Cette deuxième solution est envisageable. Une troisième solution consiste à réunir cette commission paritaire en cas de désaccord entre la CNPV et la commission AMM. Les différents scénarii présentent des avantages et des inconvénients. Je pense qu'il faut accorder davantage de prérogatives à la commission nationale de pharmacovigilance. Cependant, il ne faut pas la couper de l'AMM afin de favoriser un échange indispensable entre ces deux instances.

M. François Autain, président. - Certains prétendent que la commission d'AMM éprouve quelques difficultés à retirer les médicaments qu'elle met sur le marché, alors que la commission nationale de pharmacovigilance en a moins.

Mme Françoise Haramburu. - Je pense que l'on peut donner un avis favorable sur un médicament, puis changer d'avis. Il n'y a aucune honte à changer d'avis. En outre, les membres de la commission d'AMM sont renouvelés tous les trois ans.

M. François Autain, président. - Une commission paritaire vous aurait-elle permis de retirer l'Actos ?

M. Jacques Caron. - Je ne veux pas préjuger, mais il y a eu une opposition très claire entre la CNPV et la commission d'AMM sur ce point.

M. François Autain, président. - L'opposition était identique à celle rencontrée sur le Mediator.

M. Jacques Caron. - La confrontation des arguments de la CNPV et de l'AMM au sein d'une commission paritaire aurait permis de prendre une décision plus structurée.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Nous pouvons également imaginer plusieurs scénarii susceptibles de fonctionner selon les problématiques auxquelles nous sommes confrontés.

Faut-il renforcer le contrôle des prescriptions en dehors de l'AMM ? Dans l'affirmative, de quelle manière cela peut-il avoir lieu ? En ce qui concerne les signalements de pharmacovigilance, le signalement direct par les patients doit-il être encouragé ?

M. Jacques Caron. - Bien entendu, il faut mieux appréhender et évaluer la prescription en dehors de l'AMM. La prescription peut être parfois justifiée. Il faut le rappeler dans les hôpitaux où 30 % des prescriptions sont effectuées en dehors de l'AMM. Nous explorons un domaine peu connu qui mérite une attention particulière. Les données de l'assurance maladie et les évaluations sont de plus en plus importantes dans nos dossiers de pharmacovigilance. Une prescription en dehors de l'AMM ne peut être acceptée sur un grand nombre de produits. Ce motif doit modifier notre raisonnement face à un problème de pharmacovigilance.

Le second point que je veux souligner est la nécessité de se doter d'un outil de communication qui puisse toucher l'ensemble des praticiens. En informant les praticiens sur les risques potentiels avérés, nous pourrions infléchir une prescription en dehors de l'AMM. Nous ne disposons pas actuellement d'un outil de communication adapté des enjeux auxquels nous serons confrontés dans quelques années. Nous devons pouvoir intéresser les praticiens à notre démarche, sans les inonder d'informations, mais en leur donnant les informations qui permettent d'identifier un cas par l'intermédiaire d'un bilan de pharmacovigilance qui leur est fourni.

Si nous ne nous dotons pas de cet outil de communication, nous manquerons une des actions importantes de pharmacovigilance et favoriserons un mauvais usage du médicament. Ils reçoivent actuellement un document au milieu d'un grand nombre de courriers et qui finit malheureusement souvent à la poubelle sans être lu. Combien de médecins s'intéressent-ils à la documentation de l'Afssaps ?

M. François Autain, président. - L'Afssaps doit-il être « prescripteur » du système dont vous recommandez la mise en place ?

M. Jacques Caron. - Oui. C'est une action extrêmement importante, également en termes de remontée d'informations.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - A propos de remontée d'informations, il existe un problème spécifique concernant les outils de pharmacovigilance liés aux médicaments destinés aux enfants. Les médicaments pédiatriques sont rarement mis sur le marché. Ils donnent parfois lieu des erreurs de dosage. Cette problématique spécifique sur la pédiatrie risque de se poser également pour la population gériatrique. Est-ce une préoccupation actuelle de la pharmacovigilance d'avoir un regard spécifique sur la pédiatrie et la gériatrie ? Nous avons malheureusement peu parlé des enfants et des personnes âgées au cours de notre mission.

M. Jean-Pierre Kantelip. - Je voudrais revenir sur la pharmacovigilance de terrain, que l'on est obligé de mener avec nos moyens. Concernant le premier point sur la pédiatrie, je confirme que peu d'études sont faites par les firmes. Cette situation traduit un manque important pour juger de l'efficacité, mais surtout de la sécurité des médicaments destinés aux enfants. Le système est balbutiant. Je le vois dans mon établissement. En revanche, ce système se développe davantage avec le milieu gériatrique. Nous pouvons commencer notre étude avec les centres de long séjour, mettre en place une formation continue et faire apparaître une surveillance des effets indésirables.

A la base, la pharmacovigilance est un travail relationnel, personnel, qui nécessite des moyens humains. Il est difficile de mener une pharmacovigilance régionale exhaustive. Nous menons des missions d'enquête, des missions de santé publique au niveau du terrain. Je suis impliqué très personnellement sur ce sujet. Chaque centre de pharmacovigilance souffre de difficultés de fonctionnement car les petits centres sont amenés à se renouveler régulièrement, avec des missions complexes et des perspectives dans des domaines peu explorés comme la pédiatrie et des domaines actuellement plus explorés comme la gériatrie.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Cette situation est-elle davantage liée au problème des centres de pharmacovigilance qu'au fait qu'il n'y a pas de dosage spécifique des médicaments pédiatriques ? Le nombre limité de médicaments pédiatriques est-il lié à un problème de moyens des centres de pharmacovigilance ?

M. Jean-Pierre Kantelip. - Non, cela vient aussi de l'industrie qui lance peu de médicaments pédiatriques.

M. Jacques Caron. - Il n'y a pas suffisamment d'essais cliniques sur les sujets âgés de plus de soixante-quinze ans. Cependant, deux centres de pharmacovigilance à Tours et à l'hôpital Cochin de Paris consacrent leur activité à la pharmacovigilance pédiatrique. Les deux représentants remplissent leur rôle au niveau du CRPV en se chargeant des dossiers pédiatriques. Quant à la gériatrie, nous gérons beaucoup de dossiers. Certains centres se sont spécialisés, et la pharmacovigilance est souvent à destination de sujets âgés, insuffisants rénaux, etc.

En conclusion, nous manquons effectivement de moyens. A Lille, nous disposons d'1,3 équivalent temps plein (ETP) pour assurer une pharmacovigilance régionale de plus de 4 millions d'habitants. C'est dérisoire !

M. François Autain, président. - L'essentiel est fait une fois que les médicaments sont vendus. Le reste est « à la fortune du pot ».

Mme Marie-Christine Pérault. - Une circulaire de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (Dhos) de 2005 prévoyait une modélisation du nombre de praticiens hospitaliers nécessaire à la CNPV. Nous sommes en 2011. Nous sommes loin d'avoir atteint le modèle préconisé par cette circulaire de la Dhos.

M. François Autain, président. - Nous pourrions rappeler ce modèle.

Mme Marie-Christine Pérault. - Il serait bon que vous puissiez constater la différence entre les préconisations et la réalité pour faire fonctionner correctement les commissions de pharmacovigilance. En ce qui concerne le signalement des patients, nous avons travaillé sur une fiche pour que les patients puissent déclarer les effets indésirables. Cette fiche est théoriquement en cours de relecture ou validation. Il serait important que cette possibilité officielle du patient de déclarer les effets indésirables d'un médicament soit mise en oeuvre.

M. François Autain, président. - Cette modalité est offerte. Vous n'avez pas besoin d'attendre la transposition de la directive. Nous attendons simplement les décrets d'application. Leur publication prend un certain temps. Nous ferons le nécessaire pour rappeler au Gouvernement la nécessité que ces décrets paraissent le plus rapidement possible.

Mme Marie-Christine Pérault. - Ces informations très intéressantes nous apportent une autre vue que celle apportée par les professionnels de santé.

M. François Autain, président. - Je partage votre point de vue. Mesdames Messieurs, Mes chers collègues, nous disposons encore d'une minute pour clore nos débats.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Nous sommes en mai 2011. Avez-vous aujourd'hui dans vos dossiers de pharmacovigilance un certain nombre de médicaments qui vous inquiètent à part l'Actos ? En dehors de ceux connus médiatiquement, d'autres pourraient-ils nous préoccuper, en admettant que nous remettions notre rapport le 28 juin ?

M. Jacques Caron. - Je dois prendre la parole sur ce sujet. Je n'ai jamais connu dans le secteur de la pharmacovigilance de période où il n'y a pas eu plusieurs dossiers qui nous inquiétaient très régulièrement. Depuis vingt-cinq ans que je travaille sur ce sujet, il n'y a jamais de période durant laquelle nous avons eu le sentiment qu'il n'y avait pas de problème.

M. François Autain, président. - Merci Mesdames, Messieurs, mes chers collègues. La séance est close.

Audition de M. André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé

M. François Autain, président. - Nous accueillons M. André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé. Nous avons souhaité vous auditionner car la publication de votre livre Un air de santé vous a amené à établir des propositions sur le statut du lanceur d'alerte. Nous allons déborder de ce cadre, mais c'est essentiellement ce problème qui nous intéresse. Nous envisageons d'émettre des propositions allant dans ce sens. Nous souhaitons vous entendre pour présenter des propositions dans ce domaine. Vous savez que cette audition est ouverte à la presse. En ce qui concerne vos liens d'intérêts, je n'ai pas à vous poser la question traditionnelle car vous n'êtes pas médecin. Nous pouvons passer au coeur du sujet. Je vous transmets la parole.

M. André Cicolella. - Je vous remercie de m'avoir invité. La question des lanceurs d'alerte, je pense y avoir contribué par ce livre, ayant été moi-même en situation de lanceur d'alerte sur les éthers de glycol. Je travaillais à l'époque à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). A cette occasion, j'ai piloté un grand programme de recherche européen avec une quinzaine d'équipes. Quelques jours avant le colloque international censé dresser le bilan de cette étude, j'ai été licencié pour faute lourde et le colloque a été annulé. A l'étranger, le Whistleblower Protection Act donne une certaine protection aux lanceurs d'alerte.

Je suis à l'origine de la première jurisprudence sur la protection des lanceurs d'alerte, qui a reconnu aux salariés le droit de désobéir, c'est-à-dire de ne plus être soumis au principe de subordination hiérarchique en cas de risque pour la santé publique. La première jurisprudence a été prononcée par la Cour de cassation en l'an 2000, basée sur un jugement de la Cour d'appel de Nancy rendu en 1998 sur mon cas. Cela m'a amené à créer la fondation science citoyenne, qui a initié une proposition de loi. Il est important de comprendre le lien entre alerte et expertise qui n'est pas nécessairement compris immédiatement.

C'est une fausse bonne idée de raisonner en termes de statut du lanceur d'alerte. En effet, le lanceur d'alerte n'est pas un métier, mais une situation dans laquelle on se trouve. Il faut protéger l'alerte, ce qui suppose de protéger l'expertise et le processus d'expertise. Il n'est pas souhaitable de gérer le problème en aval. Il faut le gérer en amont en dehors de toute situation de crise en vue de protéger la santé publique. Pour ce faire, il faut dans tous les lieux de production de connaissance et d'expertise avoir des dispositifs qui permettent de gérer les contradictions autour de l'expertise et de l'alerte. Comment s'expriment-elles sans que cela se traduise par des mesures de sanction ? Je l'ai vécu directement en ayant été licencié pour avoir organisé un colloque sur les éthers de glycol.

Le lien entre alerte et expertise suppose de comprendre correctement l'enjeu de la déontologie de l'expertise. L'analyse de la littérature scientifique amène à se poser un certain nombre de questions. Il faut étudier les conflits d'intérêts et traiter cette question. Un autre aspect est encore plus important : la déontologie de l'expertise. Sur quels critères prend-on une décision sur les parabènes, pour reprendre l'actualité récente ? J'ai été interviewé abondamment sur ce sujet, notamment dans le quotidien Le Monde. Les données chez l'animal montrent une remise en cause des mécanismes de reproduction chez le rat après l'exposition orale au parabène, ou la consommation de produits alimentaires utilisant les parabènes comme conservateur.

En février 2011, une étude parue dans la meilleure revue de santé environnementale, Environnemental Health Perspectives, a analysé une population d'hommes ayant consulté dans un centre de fertilité. Cette étude a mis en évidence une relation entre l'imprégnation du parabène et l'atteinte du sperme, et notamment de l'acide désoxyribonucléique (ADN). Les données sur l'animal existent depuis plusieurs années. Nous avons la première confirmation de cette atteinte du parabène chez l'homme.

A partir de quel moment une agence doit-elle statuer ? Il y a un conflit sur cette question. Il faut prendre une décision à partir du moment où nous disposons des données expérimentales chez l'animal. Tout ce qui est acquis pour le rongeur doit être considéré comme ayant une implication pour l'homme. Nous avons de nombreux points communs avec le rat. Le fait d'être des mammifères est une proximité importante. Or nous disposons des données sur les animaux. A partir de ces données expérimentales, on aurait dû considérer un risque pour l'homme. Nous avons eu confirmation en février 2011 du risque constitué par le parabène pour l'homme. Or je n'avais pas noté de réaction immédiate des autorités compétentes à cette question.

M. François Autain, président. - Rien ne s'est passé avant l'article paru dans le quotidien Le Monde.

M. André Cicolella. - Cette situation est relativement courante mais je continue à la considérer comme anormale. Une agence doit se baser sur le fait non pas que des articles paraissent dans la presse, mais que des données scientifiques sont publiées. Je comprends qu'il n'y est pas de réaction dans les vingt-quatre heures, mais un délai de trois mois est excessif. En outre, j'ai reçu la version électronique des conclusions de cette étude quelques mois avant février 2011. Nous avions posé la question des parabènes en octobre 2008, d'ailleurs juste avant la création du Réseau environnement santé, une population fragile, en posant la question des nourrissons pour lesquels on utilise des lingettes qui contiennent les cinq parabènes induisant un risque de pénétration cutanée. En effet, la peau est la principale voie d'exposition de cette substance. L'Afssaps ne nous a pas répondu. Il a fallu attendre quelque temps pour qu'il soit répondu qu'elle se préoccupait du problème. Nous n'avions pas jusqu'à présent considéré que les parabènes présentaient un tel risque. Les études récentes ont présenté un risque de cancer du sein lié au parabène. Enfin, les études récentes ont complété le tableau des risques liés au parabène.

A qui s'adresser si nous estimons que l'agence ne réagit pas dans les délais impartis ? L'agence peut défendre son point de vue. Pour le moment, la seule manière de gérer cette question est de s'adresser à la presse et aux médias. Le Réseau environnement santé a aujourd'hui suffisamment de crédibilité pour être écouté, mais ce fonctionnement est anormal.

M. François Autain, président. - Cet article dans Le Monde n'est-il paru qu'à la suite de l'intervention de votre réseau ?

M. André Cicolella. - Non. L'article fait référence à un rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), mais la question des perturbateurs endocriniens est liée à notre action menée depuis quelques mois. Le Sénat a voté à l'unanimité l'interdiction du bisphénol dans les biberons. C'est la première décision politique importante considérant qu'il y a suffisamment de données scientifiques pour prendre des décisions, alors que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), devenue l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) n'a toujours pas pris de décision officielle sur cette question.

M. François Autain, président. - Le Sénat est un lanceur d'alerte !

M. André Cicolella. - Vous aurez l'occasion de récidiver sur le parabène, le bisphénol et les phtalates. En effet, les députés ont voté l'interdiction de ces molécules. Le message politique consiste à dire que nous avons suffisamment de données, que nous poursuivons la veille systématique sur un certain nombre de substances. Il y a eu trente études au cours des derniers mois sur les phtalates. Nous avons suffisamment de données pour prendre des décisions. Le vote des députés dans ce domaine me semble totalement justifié.

En réponse à votre question sur les perturbateurs endocriniens, le colloque que nous avons organisé à l'Assemblée nationale le 14 septembre portait sur le thème suivant : « Perturbateurs endocriniens, changement de paradigme pour l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux ».

Nous avons organisé un second colloque au mois d'avril 2011, au Muséum d'histoire naturelle, sur le thème « Biodiversité et perturbateurs endocriniens ». Sur le plan scientifique, nous avons suffisamment d'informations aujourd'hui pour considérer que les substances classées comme perturbateurs endocriniens ne peuvent plus être analysées comme des substances chimiques. Nous assistons à un changement de paradigme résumé en cinq points aux Etats-Unis.

Le premier point est lié au fait que c'est la période qui fait le poison, et non la dose, c'est-à-dire la période d'exposition, pendant la gestation, qui induit des effets sanitaires.

Le second point vient d'un effet différé du produit. L'exposition au distilbène, même courte, a été très dangereuse. L'exposition de quelques semaines à ce médicament a eu des impacts sur la première génération (cancers du sein, malformations génitales), et la seconde génération (malformation génitale liée au fait que leur grand-mère a pris un médicament cinquante ans auparavant), alors que la vision pharmacologique portait uniquement sur la durée de la vie de la personne qui avait pris le médicament.

Le troisième point est l'effet cocktail. L'étude publiée en février montre que lorsqu'il y a co-exposition chez les hommes entre butylparabène et bisphénol qui sont deux perturbateurs endocriniens, il y a un effet de synergie. Des essais ont révélé, par exemple pour les effets anti-androgéniques, selon une interview de Gordon Kemp dans un documentaire que « 0+0+0 = 60 » est une caractéristique des perturbateurs endocriniens.

Le quatrième point concerne la dose. La relation dose/effet du perturbateur endocrinien suit une courbe en cloche : l'effet grandit au fur et à mesure que la dose diminue. En effet, la forte dose induit une suppression des récepteurs qui annule l'effet.

Le cinquième point est l'effet transgénérationnel que j'ai évoqué dans le cas du distilbène : il y a une exposition durant la gestation à la génération F0 et des effets aux générations en F1, F2, F3. Nous disposons de données sur l'impact sur l'arrière-petit-fils d'une consommation de bisphénol au niveau de l'arrière-grand-mère. Nous avons une illustration de la nécessité de réfléchir à la déontologie de l'expertise, puisqu'il révèle un véritable problème de dysfonctionnement lorsqu'une agence ne tient pas compte de cette question.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Je vous remercie pour cette analyse et le fait de ne pas opposer expertise au lancement d'alertes. Pensez-vous qu'à un moment donné, avant d'aller devant les médias, il serait opportun qu'un lanceur d'alerte qui a découvert un dysfonctionnement puisse en informer les institutions comme la commission nationale de pharmacovigilance ? Nous avons évoqué plusieurs scénarii qui donnent la possibilité aux institutions d'auditionner des personnes sur tel ou tel médicament. En cas de découverte, pourrait-il y avoir une relation automatique entre le lanceur d'alerte et la commission nationale de pharmacovigilance ?

M. André Cicolella. - Oui, il faut envisager ce cas de figure.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Dans les réformes qui seraient à apporter, quelles seraient vos suggestions ?

M. André Cicolella. - J'insiste beaucoup sur la déontologie de l'expertise. Il faut que nous puissions saisir une instance. Ce pourrait être une Haute Autorité de l'expertise, une sorte de commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) de l'expertise, qui dispose d'une autorité pour définir la déontologie de l'expertise et la faire respecter. A l'heure actuelle, il n'existe aucune instance qui puisse être saisie pour prendre en considération votre désaccord. En cas de refus, votre insubordination s'accompagne d'une sanction, avec une gradation d'effets pour la carrière personnelle sans aller jusqu'au licenciement, par exemple une mise au placard, une perte de moyens, une absence de promotion, etc.

D'une manière générale, il est important qu'une instance puisse être saisie en cas de conflits tant en interne qu'externe. Prenons l'exemple, des médicaments qui comportent de l'aspartame. Il est extraordinaire qu'une substance consommée par 200 millions de personnes, non seulement dans l'alimentation, mais aussi incluse dans les médicaments pour enfants, soit associée à une dose journalière admissible (DJA) sur la base d'études datant de 1973 et 1974 qui n'ont jamais été publiées dans une revue scientifique. Or, ces études sont totalement fausses. Nous disposons des témoignages de toxicologues de la Food and Drug Administration (FDA) de l'époque devant le Sénat américain. Ils affirment que des tumeurs retirées chez des animaux étaient replacées dans l'expérience. Cette procédure est tout à fait anormale. Ces études ont néanmoins servi de base à la DJA en 1980.

En 2011, trois études ont été faites depuis sur la cancérogénicité par l'Institut Ramazzini, centre de recherche toxicologique dont les travaux sont reconnus par l'ensemble de la communauté scientifique. Nous avons invité le directeur scientifique de l'Institut Ramazzini à la faculté de médecine en 2011. Les trois études n'ont pas été retenues, et nous continuons d'utiliser des études manifestement véreuses pour justifier une DJA. Qui saisir aujourd'hui, à part les médias ?

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Pourrait-on saisir les instances sanitaires, la Haute Autorité de santé, les agences sanitaires et les présidents de la commission des affaires sanitaires de l'Assemblée nationale et du Sénat ? En Italie, chaque année, les présidents de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat présentent leurs réflexions. Ne pourrait-on pas déclencher une alerte si l'on était saisi officiellement ?

M. François Autain, président. - Il ne faut pas trop saisir.... Qui trop embrasse, mal étreint.

M. André Cicolella. - Le rôle des commissions des Parlements est important pour le contrôle de la Haute Autorité de santé. J'imagine difficilement que les parlementaires aient un avis sur chaque problème afférent à la déontologie de l'expertise.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Une copie pourrait leur être transmise.

M. André Cicolella. - La Haute Autorité de santé a des comptes à rendre, notamment aux parlementaires. Mais c'est un échelon différent. Nous avons besoin d'un échelon qui n'existe pas aujourd'hui. J'entends d'avance les critiques que ce serait une usine à gaz, mais cela simplifierait au contraire le dispositif. Actuellement, des comités font fonction de commissions de déontologie, mais ils n'ont aucun compte à rendre. Ils définissent eux-mêmes leur déontologie. En cas de conflit, personne n'analyse le conflit. Nous avons besoin d'une instance qui dispose d'une vision d'ensemble et doive rendre des comptes dans un rapport annuel au Parlement. Si les élus étaient saisis en permanence de toutes ces questions, ils seraient submergés.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Oui, par exemple un rapport annuel montrant l'évolution de l'état de la science. Dans le domaine des cellules souche, je lis tous les quinze jours une revue scientifique sur le sujet. Nul ne le fera si nous ne le faisons pas. Si une instance donnait l'état de la science, nous pourrions alors peut-être saisir les autorités.

M. André Cicolella. - Ce point relève d'un autre sujet. La veille scientifique n'est aujourd'hui pas effectuée correctement par les agences sanitaires. Nous effectuons de la vieille scientifique sur le bisphénol au niveau de notre réseau pour prouver qu'il y a un dysfonctionnement. Enfin, la Haute Autorité de santé devrait superviser cette activité.

M. François Autain, président. - Il existe une fonction de veille à l'Institut national de veille sanitaire.

M. André Cicolella. - Il s'agit d'une veille sanitaire qui a vocation à produire des connaissances sur la situation sanitaire de la population, localement et nationalement. La veille scientifique d'une agence consiste à étudier le contenu de la littérature scientifique et à l'analyser en vue de produire des résumés disponibles en fonction de l'évolution des connaissances.

M. François Autain, président. - Cette veille devrait normalement exister.

M. André Cicolella. - Des organismes comme l'Anses sont en charge de produire des rapports, mais dans des délais assez longs. Et surtout, quelles conséquences en sont tirées ? Le bulletin de veille de l'Anses est intéressant, mais il ne permet de ne tirer aucune conséquence. L'Anses devrait réagir à partir du moment où une publication confirme que l'impact du parabène chez l'homme est identique à celui notifié chez le rat. Nous avons l'impression qu'il faut que les données s'accumulent pour avoir une certitude absolue et agir.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - La situation est-elle identique pour l'aspartame ?

M. André Cicolella. - L'aspartame est la quintessence du dysfonctionnement de la veille scientifique, avec des conflits d'intérêts évidents, et les résultats des études varient en fonction des financements. Cette situation est malheureusement commune.

M. François Autain, président. - L'aspartame relève du périmètre de l'Anses, et non de l'Afssaps.

M. André Cicolella. - Pour partie, car l'aspartame est utilisé dans les médicaments et l'alimentation, comme le parabène qui est un conservateur également utilisé dans l'alimentation.

M. François Autain, président. - Existe-t-il d'autres médicaments que le distilbène dans cette situation ?

M. André Cicolella. - Je n'ai pas de connaissance d'ensemble. Je remarque un dysfonctionnement sur deux sujets.

M. François Autain, président. - Vous avez évoqué les phtalates.

M. André Cicolella. - Ce sujet concerne aussi les cosmétiques.

M. François Autain, président. - Les phtalates interviennent-ils dans la composition de certains médicaments ?

M. André Cicolella. - Ce n'est à ma connaissance pas le cas.

M. François Autain, président. - Je retire ma question.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Lors de la mission d'enquête parlementaire du Sénat sur la grippe A (H1N1)v, il nous avait été dit que des études auraient été faites sur le vaccin induisant des problèmes respiratoires. Avez-vous été informés de la conséquence de la grippe A (H1N1)v sur l'homme ?

M. André Cicolella. - Non. Je n'ai pas d'élément sur ce sujet.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Pensez-vous qu'il soit préférable de créer une instance plutôt que d'ouvrir les commissions sanitaires (autorisation de mise sur le marché, transparence, pharmacovigilance) aux seules associations de patients sans lien d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?

M. André Cicolella. - Cette proposition est difficile à mettre en oeuvre car elle suppose une grande disponibilité et des moyens. Ce sujet soulève la question du financement des associations, car il serait impossible de fonctionner sans moyens. Les membres des associations doivent pouvoir venir siéger en faisant avancer le débat. Le mouvement associatif ne dispose pas d'une manière générale de cette capacité. Nous le vivons très concrètement en tant que réseau : nous n'allons pas nous positionner comme une contre-agence. Le fait d'être présent dans ces commissions supposerait une capacité de financement bien supérieure à celle du mouvement associatif. Par ailleurs, nous sommes confrontés à un problème plus général de financement des experts et des centres de recherche.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Avez-vous des propositions pour l'expertise ? L'essentiel est-il de créer une veille scientifique pourvue d'une dimension déontologique ?

M. André Cicolella. - Il faut faire en sorte que l'ensemble des disciplines scientifiques soient représentées dans l'expertise. J'ai travaillé sur d'autres dossiers qui recoupaient les questions du médicament, en particulier les éthers de glycol. A cette occasion, j'ai constaté des dysfonctionnements similaires. La seconde expertise de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur les éthers de glycol pour actualiser les connaissances a été publiée en 2006. Le comité d'experts réunissait cinq personnes dont deux provenaient du même laboratoire. Cette situation était problématique. En outre, il y avait un conflit d'intérêts dans ce comité car l'Afssaps, directement impliquée dans une intoxication mortelle liée à une autorisation donnée pour un médicament utilisant l'éther de glycol, était présente dans ce comité. Il faut aussi veiller à ce que ce type de conflit d'intérêts soit pris en considération. Le problème de la composition du comité en matière de diversité des disciplines scientifiques fait partie de la déontologie de l'expertise.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Comment constituer une base publique centralisant toutes les données sur le médicament, ne dépendant pas du financement de l'industrie ? Est-ce le sujet majeur ou la veille scientifique est-elle plus importante ?

M. André Cicolella. - Ce n'est pas contradictoire. Les observations concernent le domaine de la pharmacovigilance, qui constitue un autre aspect du problème. Ma compétence ne porte pas précisément sur ce champ.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Que pensez-vous de l'introduction dans le droit français des actions de groupe dans le domaine sanitaire ?

M. André Cicolella. - Une telle décision permettra évidemment de faire progresser la santé publique en France.

M. François Autain, président. - Je souhaite poser une dernière question concernant la création de cette Haute Autorité que vous préconisez pour vérifier l'authenticité d'une alerte. Nous souhaiterions créer une instance, une autorité indépendante chargée de contrôler l'expertise. Or cette autorité pourrait être en charge du contrôle des lanceurs d'alerte.

M. André Cicolella. - C'est exact. Cette autorité pourrait aussi être chargée de faire le tri dans les alertes. La création de ce dispositif peut attirer un certain nombre de gens qui lanceront des alertes pour exister. Cela ne signifie pas qu'une alerte même en apparence folklorique ne présente aucun intérêt.

M. François Autain, président. - Le temps imparti est révolu. Je vous remercie Monsieur Cicolella, pour votre intervention.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - Quels médicaments contiennent des parabènes ?

M. André Cicolella. - Le quotidien Le Monde dresse une liste impressionnante de ces médicaments, comprenant notamment la Biafine, le Primpéran, la Josacine, le Zinnat et le Sargenor.

Audition de Mme Patricia Brunko, chef d'unité, et Mme Irène Sacristan-Sanchez, chef d'unité adjoint « produits pharmaceutiques » au sein de la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne

M. François Autain, président. - Je vous rappelle que cette mission est ouverte à la presse et qu'elle fait l'objet d'un enregistrement en vue d'une éventuelle diffusion sur la chaîne Public Sénat. Vous avez la parole.

Mme Patricia Brunko, chef d'unité « produits pharmaceutiques » à la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne. - Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous présenter une brève description du cadre européen sur les médicaments. Si vous le permettez, nous interviendrons en deux parties. J'interviendrai tout d'abord en décrivant le système d'autorisation de mise sur le marché et de pharmacovigilance, puis Irène Sacristan-Sanchez interviendra plus précisément sur le « stress-test » de la nouvelle directive relative à la pharmacovigilance, appliqué au cas du Mediator, ainsi que sur la proposition relative à l'information des patients.

La réglementation pharmaceutique européenne est issue d'une longue évolution, la première directive datant de 1965. Celle-ci comportait deux aspects principaux : le principe d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les médicaments et l'harmonisation des conditions de cette mise sur le marché, selon trois critères, la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments, sur lesquels sont encore aujourd'hui basées toutes les évaluations.

Le système a évolué. Durant les années quatre-vingt-dix, nous nous sommes dotés d'une architecture institutionnelle et procédurale qui a introduit des mécanismes plus structurés que par le passé.

Le premier point très important a été la création de l'Agence européenne des médicaments (EMA) qui a un rôle de coordination. Les autorités sanitaires nationales mettent leur expertise à la disposition de l'Agence. Celle-ci s'appuie donc sur les ressources scientifiques des Etats membres, pour bâtir son avis sur la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments. Les compétences de l'Agence sont encadrées par la législation et varient selon la procédure d'AMM. Il existe en effet deux voies pour l'autorisation du médicament. La procédure centralisée vaut pour une autorisation du médicament au niveau européen, sur la base d'un avis scientifique de l'Agence, en vue d'une diffusion du produit dans tous les Etats membres de l'Union européenne.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - A quelle sanction s'exposerait un Etat qui refuserait la commercialisation sur son territoire d'un médicament bénéficiant de l'AMM européenne ?

Mme Patricia Brunko. - Le cadre réglementaire européen s'applique à tous les Etats membres. S'il s'agit d'un médicament qui passe par la procédure centralisée, les Etats membres sont tenus d'en accepter la mise sur le marché sur leurs territoires.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Parfois, l'ensemble des vingt-sept Etats membres ne votent pas de façon unanime, comme nous l'avons vu dans le cas de l'Arcoxia.

Mme Patricia Brunko. - La procédure se déroule en deux étapes. La première est l'étape scientifique qui correspond à l'élaboration de l'avis rendu par l'Agence à la Commission européenne. La seconde est l'étape décisionnelle, qui associe la Commission européenne et les Etats membres. Chaque projet de décision de la Commission européenne est soumis au « comité permanent », dans lequel tous les Etats membres qui y sont représentés peuvent demander un débat. Un tel débat a lieu dès lors qu'un Etat le demande. Les « opinions » du comité permanent sont adoptées à la majorité qualifiée, selon une pondération attribuée à chaque Etat membre. Ce n'est qu'en cas d'avis positif que la Commission européenne peut conclure le processus décisionnel. L'Etat membre décide s'il souhaite poser ou non la question au comité permanent.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Un Etat européen qui agirait comme un lanceur d'alerte s'expose-t-il à une sanction ?

Mme Patricia Brunko. - Il est rarissime qu'un Etat membre vote négativement au sein du comité. La décision s'applique à tous les Etats membres dès lors que le comité s'exprime en faveur de l'autorisation à la majorité qualifiée. J'insiste sur le fait qu'il est rarissime qu'un Etat membre s'oppose à une décision de la Commission.

Il faut aussi savoir qu'il existe des procédures nationales en matière d'AMM. A partir de 1998, la reconnaissance mutuelle des autorisations de mise sur le marché est devenue obligatoire pour tous les médicaments mis sur le marché selon une procédure nationale. On dénombre trois types de procédures sur les AMM : la procédure centralisée, la procédure nationale suite à une reconnaissance mutuelle, et la procédure purement nationale (valable pour les médicaments commercialisés avant 1998).

M. François Autain, président. - En quoi consiste la procédure décentralisée ? S'agit-il d'une quatrième possibilité ?

Mme Patricia Brunko. - C'est une question de terminologie. Les autorisations sont centralisées ou décentralisées.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quelles raisons ont motivé la suppression du renouvellement quinquennal des AMM à partir de 2004 ?

Mme Irène Sacristan-Sanchez, chef d'unité adjoint « produits pharmaceutiques » au sein de la direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne. - Je me propose de répondre à cette question. Tout d'abord, nous n'avons pas complètement supprimé ce système. Nous avons maintenu une procédure de renouvellement. Lorsque le premier renouvellement intervient au bout de cinq ans, il appartient aux autorités de décider si un renouvellement ultérieur est nécessaire. L'objectif des révisions de 2004 et 2010 était de concentrer les ressources des autorités compétentes sur des évaluations plus importantes.

M. François Autain, président. - Considérez-vous que le renouvellement d'AMM n'est pas important ?

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Nous avons constaté que lors du renouvellement, nous reproduisions les évaluations menées durant l'autorisation de mise sur le marché. Les entreprises pharmaceutiques doivent soumettre des rapports périodiques de sécurité sur leurs médicaments. Il arrive un moment où nous connaissons le profil de sécurité et d'efficacité d'un médicament de manière approfondie, les obligations de pharmacovigilance se poursuivant durant toute la vie de l'AMM. Dans la mesure où le renouvellement n'ajoute pas nécessairement de nouvelles données, il n'apparaît pas nécessaire d'en maintenir la systématicité. De cette manière, l'autorité compétente peut décider, au cas par cas, de demander un renouvellement. De plus, le fait de ne pas demander un renouvellement n'empêche pas l'autorité de suspendre ou retirer à tout moment un médicament.

M. François Autain, président. - Dans quelles conditions un Etat peut-il retirer un médicament avant même que la Commission européenne n'ait pris cette décision ? Nous avons observé par le passé que certains médicaments ont été retirés de certains pays sans l'être au niveau européen. Dans quelles conditions cette situation est-elle envisageable ?

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Il convient préalablement de distinguer les médicaments autorisés nationalement de ceux qui sont autorisés de manière centralisée. La Commission est chargée de retirer les médicaments autorisés de manière centralisée, notamment lorsqu'elle est alertée par un Etat membre qui constate un problème sur le terrain. Votre question vise plutôt les médicaments autorisés nationalement.

M. François Autain, président. - Je me suis sans doute mal exprimé. Nous pourrions trouver des médicaments mis sur le marché par l'Agence européenne, puis retirés par l'Agence d'un Etat. Cette situation est-elle possible ? A-t-elle jamais eu lieu ? Un Etat qui prend cette décision encourt-il une sanction de la part de la Commission européenne ?

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Un Etat membre ne peut adopter l'acte administratif de retrait - cette prérogative appartient à la Commission européenne -, mais il peut retirer immédiatement des produits de son marché s'il juge qu'ils présentent des risques. A cette occasion, il saisit l'Agence européenne, qui entame une évaluation au niveau de l'Union européenne. La Commission retire l'autorisation à l'issue de la procédure. Dans l'attente, je le répète, l'Etat peut décider de suspendre la commercialisation d'un produit sur son marché.

M. François Autain, président. - Je vous invite à poursuivre votre présentation.

Mme Patricia Brunko. - La majorité des autorisations sont au final données au niveau national. Pour ces médicaments, le suivi est effectué par les Etats membres, notamment le suivi de pharmacovigilance. Cela changera en 2012 avec la mise en place de la nouvelle législation de pharmacovigilance. L'Agence européenne n'intervient pour des médicaments autorisés au niveau national que lorsqu'elle est saisie par un Etat membre, la Commission ou le titulaire d'une AMM. Les conditions de ces saisines sont définies dans la législation.

Je vous ai présenté un résumé très schématique des procédures d'autorisation. L'autre point qui nous intéresse est la pharmacovigilance. C'est en 1993 que nous avons introduit pour la première fois des dispositions de pharmacovigilance dans une directive communautaire, même si les conditions de retrait étaient déjà prévues par ailleurs. Ma collègue l'a déjà expliqué, un Etat membre a toujours eu la possibilité de suspendre une autorisation nationale à tout moment ou de suspendre la commercialisation d'un produit autorisé au niveau central. En conclusion, les Etats membres ont toujours eu les moyens d'agir à leur niveau.

La pharmacovigilance a été introduite progressivement dans la législation communautaire. Nous avons d'abord imposé aux Etats membres de surveiller les médicaments sur le marché, sans prévoir de procédure de coordination. Les mécanismes formels de coordination ont été introduits en 2004. Je rappelle toutefois qu'il existait déjà auparavant au sein de l'EMA, le groupe de travail de pharmacovigilance qui avait un rôle formel dans le cas des médicaments autorisés de façon centralisée. Pour les autres médicaments, ce groupe était utilisé de manière informelle par les Etats membres comme une plateforme pour échanger des informations.

A la faveur de la révision de 2004, le rôle de coordination joué par l'EMA en ce qui concerne les produits autorisés nationalement a été accru. Ce rôle a encore été renforcé en 2010. Cette évolution récente représente véritablement un bond en avant pour l'Agence en matière de pharmacovigilance.

Je propose de livrer quelques exemples pour vous expliquer à quel point cette évolution est significative. A présent, les effets indésirables sont pris en compte dans l'évaluation globale du médicament non seulement lorsque le médicament est utilisé selon les termes de l'autorisation, mais aussi dans des conditions dites « hors AMM ».

M. François Autain, président. - S'agit-il d'un changement radical par rapport à aujourd'hui ?

Mme Patricia Brunko. - Oui, car aujourd'hui, au sens de la définition européenne, un effet indésirable est un effet observé dans l'utilisation normale d'un médicament.

M. François Autain, président. - Je n'avais pas le sentiment qu'on écartait les effets indésirables qui étaient liés à un médicament prescrit en dehors de son AMM. Par exemple, le Mediator a été utilisé en dehors de son AMM. Or, il me semble qu'on ne fait pas le tri entre les effets indésirables en fonction de l'usage qui a été fait de ce médicament.

Mme Patricia Brunko. - Jusqu'à présent, l'obligation de notifier les effets indésirables ne concernait que les utilisations dans le cadre normal de l'AMM. A présent, un fabricant informé d'un effet indésirable qui se produit même en dehors de l'AMM doit le notifier.

M. François Autain, président. - Je pensais plutôt aux usagers et aux professionnels de santé.

Mme Patricia Brunko. - L'obligation de notifier des effets indésirables repose sur le titulaire de l'AMM qui collecte les données, et aussi sur les Etats membres qui ont la responsabilité de répercuter l'information au niveau européen.

M. François Autain, président. - Le laboratoire est-il le seul à collecter ces données ? En France, nous avons des centres de pharmacovigilance chargés de collecter les effets indésirables en France. Les laboratoires n'ont pas le monopole de la collecte.

Mme Patricia Brunko. - Ce sont les titulaires de l'AMM et les Etats membres qui ont cette responsabilité. Le fait que l'obligation de notification soit étendue à présent à toute utilisation du médicament constitue une évolution importante.

M. François Autain, président. - Cela me semble une évolution normale.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Cette évolution semble aller de soi, mais elle est pourtant très importante car elle a des conséquences sur l'évaluation du rapport bénéfices-risques et sur les motifs de retrait d'un médicament du marché. La législation actuelle permet de retirer ou suspendre une autorisation dès lors qu'un Etat considère que ce rapport est négatif dans les conditions prévues de l'utilisation du médicament. A partir de 2012, il sera possible de faire de même pour des constats faits dans le cadre d'une utilisation hors AMM. Cette décision est très importante car elle offre de nouveaux moyens aux Etats membres et à l'EMA, en ce qui concerne les produits centralisés, en cas de problème de sécurité sur un médicament.

Mme Patricia Brunko. - Il est important de savoir également que la nouvelle législation donne la possibilité aux patients et aux médecins de notifier directement les effets indésirables. Jusqu'à présent, il n'était écrit nulle part que le patient pouvait signaler ces effets.

M. François Autain, président. - Cette possibilité est prévue dans le droit français.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Nous tentons de nous assurer à la fois que cette possibilité existe dans tous les Etats membres et de mettre en place des voies de notification plus directes.

M. François Autain, président. - Pourquoi pas une communication des effets indésirables plus directe, mais selon moi, elle doit continuer de passer par l'Etat.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Le rôle des Etats reste essentiel pour effectuer le lien avec le patient, le médecin pour s'assurer de la qualité de l'information, pour éviter les doubles notifications, etc.

M. François Autain, président. - Nous sommes d'accord : les Etats membres ne sont pas court-circuités par cette directive ?

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Non.

Mme Patricia Brunko. - Le but de la législation européenne est de procéder à une harmonisation. Certains Etats membres s'inscrivent éventuellement déjà dans la perspective tracée par la nouvelle législation mais il n'en demeure pas moins qu'un effort d'harmonisation est nécessaire.

Un autre élément important en matière de pharmacovigilance est la création du comité consultatif pour l'évaluation des risques en matière de pharmacovigilance qui remplacera en 2012 au sein de l'Agence européenne du médicament, l'actuel groupe de travail de pharmacovigilance. Ce comité devra apporter son assistance et son expertise dans la prise de décision au comité des médicaments à usage humain, chargé de rendre des avis sur la qualité, la sécurité et l'efficacité des médicaments dans le cadre des procédures d'autorisation centralisées, et au groupe de coordination des Etats membres, compétent dans le domaine des procédures d'autorisation nationales. Les conclusions de ce comité devront être suivies d'effets.

D'autres outils sont introduits dans la législation, notamment les plans de gestion des risques pour tous les nouveaux médicaments et la possibilité d'assortir une autorisation de certaines conditions liées à la sécurité du médicament, y compris la réalisation de certaines études post-AMM, qui peuvent être assorties de conditions de délais. En cas de dépassement du délai, il sera possible d'agir de manière proportionnée...

M. François Autain, président. - Prendrez-vous des sanctions contre les laboratoires ?

Mme Patricia Brunko. - Nous reconsidérons l'AMM, mais un règlement autorise l'application de pénalités.

M. François Autain, président. - S'agit-il de sanctions financières ?

Mme Patricia Brunko. - Les sanctions financières peuvent être élevées dans ce cas. Lorsque nous demandons des études post-autorisation, nous devons solliciter un outil pour nous assurer que cette étude est réalisée.

M. François Autain, président. - Est-ce ce qu'il se passe actuellement ?

Ce qui est important de retenir, c'est que les études post-AMM demandées devront être effectivement réalisées dans le délai imparti et ne pas être reportées indéfiniment.

Mme Patricia Brunko. - Non, mais il est important de disposer d'un système qui permette de prendre des sanctions.

M. François Autain, président. - En France, nous observons que ces études post-AMM ne sont pas réalisées.

Mme Patricia Brunko. - Cet outil permet de fixer un délai pour la réalisation de ces études.

M. François Autain, président. - Nous espérons que cela sera de nature à favoriser la mise en place de ces études qui ne sont pour le moment pas réalisées dans des délais acceptables.

Mme Patricia Brunko. - Cet outil vise à résoudre ce problème. Un délai est désormais imparti. Nous verrons quelles mesures doivent être prises si le délai n'est pas respecté.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les dispositifs de contrôle post-AMM incluent les rapports périodiques actualisés de sécurité, les plans de gestions de risques (PGR), ainsi que les études de sécurité post-autorisation. Quelle est la différence entre ces dispositifs ?

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Le plan de gestion des risques accompagne l'AMM. Il expose la manière dont le laboratoire va assurer le suivi du produit en matière de pharmacovigilance. Les laboratoires pharmaceutiques mettent en place des systèmes de pharmacovigilance qui s'appliquent à certains voire à tous leurs produits. Le plan de gestion des risques est spécifique à chaque produit. Le degré de complexité du PGR est variable selon les produits.

Le rapport périodique de sécurité est un document qui doit être soumis régulièrement aux autorités sanitaires compétentes et qui propose une évaluation des effets indésirables qui ont été recensés par le laboratoire. L'enjeu, ici, n'est pas de savoir comment assurer le suivi en matière de pharmacovigilance, mais de faire connaître les événements indésirables qui se sont produits depuis le dernier rapport dans le cadre de l'utilisation d'un médicament.

Mme Patricia Brunko. - L'Agence centralisera désormais dans une base de données, EudraVigilance, l'ensemble des informations relatives à la pharmacovigilance.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pourquoi les professionnels de santé n'auront-ils qu'un accès limité à cette base de données ?

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - La législation ne précise pas pour l'instant l'accès des professionnels de santé.

M. François Autain, président. - Ce serait tout de même important.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - J'ai cru comprendre que seules les autorités compétentes et les titulaires de l'AMM pourraient bénéficier d'un accès total à EudraVigilance.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - La Commission européenne, l'EMA, et les Etats membres bénéficieront d'un accès illimité à EudraVigilance. Les titulaires de l'AMM disposeront d'un accès à la base de données limité à leurs seuls produits. Par ailleurs, il convient de définir pour l'avenir, l'accès du public, y compris des professionnels de santé. Ce point relève d'une question de protection des données personnelles. Il n'est pas possible de donner un accès total à une base de données qui contient des données personnelles.

M. François Autain, président. - Ces données ne sont-elles pas anonymisées ?

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - L'accès du public, des professionnels de santé ne peut se faire que sur la base de anonymisées.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Si tel est le cas, elles devraient donc être accessibles aux professionnels de santé..

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Je ne sais pas si ces données sont anonymisées. La législation impose de prévoir des accès appropriés tenant compte des exigences en matière de protection des données personnelles. Au-delà, la nouvelle législation vise, d'une manière générale, à améliorer la transparence en matière de pharmacovigilance.

M. François Autain, président. - D'expérience, nous savons que la transparence de l'EMA est loin d'être complète. Nous éprouvons parfois des difficultés à obtenir des informations de sa part. Nous sommes donc assez sceptiques sur ce sujet.

Mme Patricia Brunko. - Nous avons renforcé la transparence avec la nouvelle législation. Les travaux du comité de pharmacovigilance seront publics, au même titre actuellement que les résultats de ses évaluations pour la mise sur le marché. Cette évolution constitue un progrès par rapport à la situation qui prévaut à l'heure actuelle. Il est important de mesurer le chemin parcouru.

Je voudrais encore souligner que la centralisation de toute l'information sur les effets indésirables dans EudraVigilance offrira une meilleure photographie de la situation. Nous pouvons imaginer des effets de basse fréquence qui ne ressortent pas au niveau d'un seul pays. En revanche, avec vingt-sept Etats membres, nous verrons apparaître de manière plus visible certains effets indésirables. Je vous ai donné une image schématique mais complète de l'évolution de la pharmacovigilance et de ses améliorations avec la législation de 2010. Ma collègue va vous présenter les résultats d'une analyse plus fine menée à la suite du problème du Mediator.

M. François Autain, président. - Je vous donne la parole.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Il y a quelques mois, le commissaire chargé de la santé, M. John Dalli, nous a demandé d'effectuer une évaluation du nouveau dispositif de pharmacovigilance, adopté en décembre 2010, à la lumière du cas du Mediator. Les résultats ont été présentés par M. Dalli aux ministres de la santé des Etats membres au début du mois d'avril.

L'évaluation ne portait pas sur le cas Mediator en soi, mais sur la nouvelle législation. Nous avons tenu compte des éléments liés au Mediator en relation avec la législation européenne. Tout d'abord, cela nous a donné la confirmation que les systèmes de pharmacovigilance et les outils associés ont été grandement améliorés. Nous avons identifié toutefois trois points qui pourraient être encore améliorés.

Le premier point porte sur les procédures européennes de pharmacovigilance concernant les médicaments autorisés nationalement. Vous vous rappelez peut-être que lorsque la France a suspendu l'autorisation du Mediator en 2009, cela a déclenché automatiquement une procédure européenne qui a mené au retrait de l'autorisation du médicament dans les quatre pays où il était encore utilisé. Cette procédure s'est appliquée conformément aux dispositions introduites en 2004 dans la législation. D'après ces dispositions, lorsqu'un Etat membre envisage de suspendre, retirer ou modifier une autorisation pour des raisons de pharmacovigilance, cela déclenche automatiquement une évaluation européenne. Cela permet de signaler les problèmes de pharmacovigilance détectés à l'ensemble des pays où le médicament est autorisé.

Cette procédure est maintenue dans la nouvelle législation, mais son automaticité n'est plus de mise. Désormais, une évaluation européenne ne peut être déclenchée que si la Commission européenne ou un Etat membre jugent que des mesures urgentes sont nécessaires. En pratique, cela signifie que si un Etat membre décide de retirer un médicament, tout en estimant qu'il n'y a pas de caractère d'urgence, la procédure européenne n'est pas mise en oeuvre. Les signaux de pharmacovigilance détectés passeraient donc inaperçus dans d'autres Etats membres où le produit est autorisé. Il convient d'améliorer ce point de la législation pour revenir à l'automatisme.

Le deuxième point concerne les actions volontaires des laboratoires. Le Mediator a révélé que des signaux de pharmacovigilance peuvent échapper lorsque le laboratoire retire volontairement un médicament du marché. La nouvelle législation ne résout pas ce problème. Pour le moment, en ce qui concerne la procédure centralisée, nous avons l'instruction du commissaire John Dalli, en cas de retrait volontaire d'interroger le laboratoire sur les motifs de cette décision.

Le troisième point est lié à notre propos sur la transparence. Nous sommes confrontés à une demande accrue de transparence de la part du public concernant le suivi des médicaments. La nouvelle législation y répond au moyen de plusieurs dispositions, notamment en prévoyant de publier une liste des médicaments soumis à une surveillance renforcée. Pourtant, la nouvelle législation n'assure pas que tous les produits qui sont soumis à des conditions de sécurité renforcées seront intégrés dans cette liste. Il reviendra aux autorités compétentes de décider, au cas par cas, de faire figurer certains produits sous surveillance sur ladite liste.

Ce point pourrait être amélioré en permettant au public d'avoir une vue d'ensemble des produits soumis à une surveillance renforcée.

La Commission réfléchit actuellement aux moyens de traduire dans la législation européenne les résultats de son étude.

M. François Autain, président. - Vous indiquez qu'un certain nombre de médicaments seront soumis à des contrôles renforcés. Or, nous n'avons pas d'intérêt à multiplier ces médicaments sous surveillance. La prise de risque sur des médicaments efficaces est logique, alors que nous pouvons nous poser des questions concernant des médicaments dont nous n'avons pas la preuve qu'ils sont supérieurs à ceux qui existent. A l'heure actuelle, les médicaments sur le marché n'ont pas été comparés au préalable avec ceux de la même famille. Or, s'ils ne sont pas plus efficaces, il n'y a aucune raison de les mettre sur le marché. Je suis d'accord avec des contrôles renforcés mais dans la mesure où l'on effectue des tests comparatifs en amont pour ne pas mettre n'importe quel médicament sur le marché.

Une note d'orientation indique que la Commission est en train de remettre en cause ces essais pré-AMM avec des comparateurs et d'encourager des essais versus placebo, qui n'offrent pas de garanties sur l'efficacité du nouveau médicament. Tout médicament comporte des risques, mais je considère que ceux-ci ne sont acceptables que dans la mesure où nous avons affaire à des médicaments qui apportent véritablement un progrès thérapeutique. Or, les orientations de la Commission européenne sur ce sujet ne nous tranquillisent pas.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - J'aimerais apporter des précisions. En ce qui concerne la procédure d'autorisation des médicaments, le fait d'avoir introduit dans la législation des possibilités nouvelles pour assortir les AMM de conditions ne signifie pas que l'on a diminué les exigences dans l'évaluation du rapport bénéfices-risques.

M. François Autain, président. - Il sera nécessaire d'apporter les preuves de votre propos dans les semaines et mois qui viennent.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - La manière dont les autorités compétentes évaluent les médicaments n'a pas changé sur ce point. Cependant, dans la législation européenne relative à l'autorisation des médicaments, et plus généralement dans toute législation sur les médicaments, on s'attache à évaluer la qualité, la sécurité, l'efficacité des médicaments, mais sans exiger une comparaison avec d'autres médicaments.

M. François Autain, président. - C'est exact, et c'est très regrettable.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Cependant, la Commission n'encourage pas les placebos plus que d'autres types d'essais.

M. François Autain, président. - La Commission a tort de ne pas le faire.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - La législation européenne se limite à établir la procédure d'autorisation des essais cliniques mais ne détermine pas la façon dont ils sont conduits.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Il nous a été dit que l'Agence européenne du médicament conseillerait de privilégier le placebo dans les essais cliniques.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - En Europe, il faut une autorisation pour effectuer un essai clinique. Or, cette autorisation est nécessairement nationale. L'Agence européenne est incompétente dans ce domaine.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pourquoi une directive sur les essais cliniques dans ces conditions ?

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - Cette directive vise simplement à harmoniser au niveau européen la manière dont les essais cliniques sont autorisés, mais elle n'octroie aucune compétence à la Commission européenne en la matière.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - La directive invitera nécessairement les Etats membres à modifier leur législation sur les essais cliniques.

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - La directive prévoit que l'essai clinique soit systématiquement examiné par un comité éthique national. Les exigences éthiques des divers Etats membres ne seront pas harmonisées. Le comité national doit déterminer dans chaque cas s'il est éthiquement justifié de comparer le médicament avec le placebo.

Il existe également des lignes directrices (guidelines) en matière d'éthique pour les essais cliniques. Par exemple, la déclaration d'Helsinki qui est le standard international et qui n'exclut pas les placebos. Il y a aussi les lignes directrices du comité des médicaments à usage humain de l'EMA qui, par pathologie, et en fonction des cas, décrivent parfois les conditions dans lesquelles les placebos sont éthiquement justifiés ou non. Mais la décision finale revient toujours aux comités nationaux.

M. François Autain, président. - Ce n'est pas un problème d'éthique !

Mme Irène Sacristan-Sanchez. - La législation européenne n'impose pas la comparaison. Un essai clinique est basé sur la procédure d'autorisation nationale. La Commission européenne n'intervient pas dans ce domaine.

M. François Autain, président. - J'aurais préféré que la Commission européenne estime que le placebo constitue une procédure d'exception, ce qui éviterait de mettre sur le marché des médicaments qui n'apportent aucune amélioration.

Mme Patricia Brunko. - Je voudrais donner un complément d'information. Le problème du comparateur est lié au fait que la législation prévoit que chaque médicament est évalué pour son propre mérite. Ce point est important car il permet une plus grande diversité de médicaments pour traiter certaines pathologies.

M. François Autain, président. - Dans certaines pathologies, on n'en manque pas ! 150 antihypertenseurs. C'est plus qu'il ne faut pour guérir.

Mme Patricia Brunko. - Certains peuvent être plus indiqués que d'autres dans des sous-groupes de population. Dans l'éventualité où nous commencerions à comparer et que l'on n'autoriserait que le meilleur, ce ne serait pas nécessairement le meilleur pour chaque sous-groupe. De plus, cela évite les problèmes de monopole.

M. François Autain, président. - La procédure centralisée n'est peut-être pas la bonne méthode dans ces conditions. Il faudrait laisser les agences nationales adapter les médicaments à leurs différents groupes de population.

Mme Patricia Brunko. - Il ne s'agit pas de groupes de population par Etat membre, mais de facteurs intrinsèques à certaines personnes. Il existe une logique dans le fait de ne pas toujours comparer. Ce système est pensé de manière très sérieuse.

M. François Autain, président. - Nous vous remercions pour votre intervention.

Audition de MM. Pierre Aucouturier et Alain Trautmann, membres de l'Association Sauvons la recherche

M. François Autain, président. - Je vous remercie d'avoir bien voulu attendre pour être auditionnés. Je vous rappelle que cette audition est enregistrée en vue d'une diffusion sur le site Internet du Sénat. Elle pourra aussi être diffusée sur la chaîne Public Sénat. Je ne pense pas que vous n'avez pas à déclarer de conflits d'intérêts, puisque vous n'êtes pas médecins. Nous sommes intéressés par l'évolution de la recherche dans notre pays. J'ai été sensibilisé à vos publications, en particulier sur votre site Internet, où vous êtes très critique sur les orientations que prend actuellement la recherche, notamment dans le domaine pharmaceutique. J'aimerais vous entendre sur ce sujet.

M. Alain Trautmann, membre de l'Association Sauvons la recherche. - Je vous remercie de nous avoir invités.

M. Alain Trautmann. - Nous représentons l'association Sauvons la Recherche. Je suis chercheur d'immunologie et d'hématologie à l'hôpital Cochin. Mon voisin Pierre Aucouturier est professeur de médecine à l'hôpital Saint-Antoine.

M. Pierre Aucouturier, membre de l'Association Sauvons la recherche. - Je n'ai aucun conflit d'intérêts.

M. Alain Trautmann. - Il est professeur de médecin, mais non médecin. Angélica Keller est chercheur en biologie, jeune retraitée. Nous ne sommes pas spécialistes de pharmacovigilance, mais nous sommes des chercheurs dans des structures publiques. J'aimerais parler brièvement de deux points en relation avec le Mediator. Pourquoi le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sont-ils des institutions importantes en matière de santé publique ? Dans quelle mesure les évolutions récentes de ces établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) sont inquiétantes, y compris par rapport à ces questions de santé publique ?

Ces institutions fournissent un vivier d'experts dans toutes les disciplines, tous les domaines de santé publique, y compris sur les questions qu'ils ne se sont jamais posées. Lors de l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), nous avons trouvé des spécialistes de cette question dans les EPST. Il est nécessaire que des scientifiques puissent travailler dans tous les domaines, y compris ceux dont on ne perçoit pas l'utilité immédiate.

Les EPST sont également importantes car elles donnent un cadre pour effectuer des recherches indépendantes des intérêts privés, notamment dans le domaine épidémiologique Nous avons discuté avec Pierre Meneton de l'Inserm qui a travaillé sur le sel. Il s'est heurté à de nombreuses personnes lors de ses recherches. Il a publié un bref article dans lequel il a montré l'influence des sources de financement sur les conclusions des articles scientifiques.

M. François Autain, président. - Pourriez-vous donner la référence de votre article ?

M. Alain Trautmann - Cet article est paru dans un numéro récent de Biofutur. Pierre Meneton distingue les articles qui informent des dangers du tabac, de l'amiante, de l'alcool, du sucre et des phtalates de ceux qui ne prévoient aucun danger. Or, les articles qui disent qu'il n'y a pas de danger sont financés par des industries privées. Prenons un autre exemple : la moitié des articles prétendent que les abeilles disparaissent en raison du Gaucho, l'autre moitié des articles sont d'un avis contraire. Cependant, les articles qui disent que cette situation n'a rien à voir avec le Gaucho sont financés par Monsanto. Dans les agences comme l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), les experts peuvent travailler honnêtement sans tenir compte de ce facteur et être leurrés. Il est extrêmement important que des structures puissent effectuer des études sur des questions de santé publique sans dépendre d'un financement par des intérêts privés.

Pour l'ensemble de ces raisons, les EPST doivent être considérés comme des structures à protéger. L'évolution récente de ces établissements est-elle satisfaisante ? Pour moi et d'autres, elle est inquiétante. Nous nous apercevons qu'une part croissante du financement des laboratoires publics provient du privé. Ce n'est pas important quantitativement, les laboratoires privés finançant de petites opérations au bon endroit, ce qui crée un effet de levier leur permettant d'influer, surtout dans les laboratoires dont les crédits de base diminuent et sont à l'affût de tout complément de financement.

Les laboratoires privés peuvent être influents dans la recherche publique sans investir beaucoup d'argent. Sanofi-Aventis a effectué d'énormes économies en matière de recherche en licenciant près de 20 % de ses effectifs, en préférant sous-traiter la recherche dans le public. Ils investissent quelques millions d'euros correspondant à 1 % ou 0,1 % de ce qu'ils ont économisé en licenciant les chercheurs. De plus en plus de laboratoires sont financés par Sanofi-Aventis. Ils perdront immanquablement leur autonomie. Les faits sont là : on sait que l'influence de la source de financement sur les résultats est très importante.

J'ai assisté à une réunion de directeurs d'unité du CNRS. Le programme action thématique et incitative sur programme (ATIP) du CNRS, qui concerne des postes de jeunes chercheurs, est financé en grande partie par Sanofi-Aventis. Cette situation est anormale. Le CNRS devrait avoir suffisamment de fonds sans devoir faire appel aux entreprises privées. C'est clairement l'une des évolutions récentes du système de la recherche en France. Dans de plus en plus d'endroits, le privé s'insinue dans le fonctionnement normal des laboratoires publics. Le portail du site Internet de l'Agence nationale de la recherche (ANR) décrit les entreprises privées qui proposent des contrats de trois à six mois, assortis de sommes d'argent conséquentes. Cette évolution me semble parfaitement malsaine.

M. François Autain, président. - Cette évolution est-elle particulière à la France ou l'observe-t-on dans les autres pays européens et aux Etats-Unis ?

M. Alain Trautmann - Je ne sais vous répondre en ce qui concerne l'évolution récente. L'idée selon laquelle la recherche aux Etats-Unis serait largement soutenue par les entreprises est fausse. Le National Institutes of health (NIH), équivalent de l'Inserm en France, dispose de moyens très conséquents. Le budget du NIH est vingt-cinq fois supérieur à celui de l'Inserm, ce qui signifie que les Etats-Unis investissent massivement dans la recherche publique même en considérant que la population américaine est cinq fois plus importante qu'en France. En outre, le NIH est financé par le privé et le mécénat. En France, les mécènes investissent dans l'art, et non dans la recherche. Aux Etats-Unis, Howard Hugues a investi une fortune dans des laboratoires entièrement libres de leurs travaux. La Fondation Howard Hugues est libre de toute pression aux Etats-Unis. En conclusion, les systèmes de recherche français et américain sont très différents. Le NIH a néanmoins eu à se préoccuper de conflits d'intérêts, un certain nombre de ses chercheurs travaillant pour des laboratoires privés.

M. François Autain, président. - Les financements mixtes génèrent un conflit d'intérêts permanent.

M. Alain Trautmann - Les évolutions récentes du système de recherche en France sont liées aux pressions politiques. Des choix de plus en plus importants et détaillés, qui relèveraient normalement de la communauté scientifique, sont effectués au niveau des ministères.

M. François Autain, président. - Pensez-vous que les choix effectués par les politiques ne correspondent pas à l'attente ou aux besoins de la population ?

M. Alain Trautmann - Les choix majeurs du domaine de la recherche consistent à financer, par exemple, les grandes installations de physique. Pour ces projets, il est naturel que les gouvernements et les représentants élus au Parlement prennent la décision. En revanche, le politique est nécessairement incompétent dans le détail de l'activité de recherche. Il ne sait pas dans mon domaine, l'immunologie, s'il vaut mieux travailler sur les maladies infectieuses ou la relation entre immunologie et cancer. Aucun homme politique n'est compétent dans ce domaine. Ce choix doit être laissé à la communauté scientifique qui sait où il convient d'accentuer les efforts. Ce niveau de détail de l'activité scientifique doit être laissé aux scientifiques. Or, nous constatons une intrusion de plus en plus grande du politique dans la recherche. Un nombre croissant de choix scientifiques est effectué par le politique.

L'ANR est la seule agence de recherche au monde dépourvue de conseil scientifique. Les choix sont effectués par le ministère au sein duquel tous les lobbies peuvent essayer de s'exprimer. Nous serons confrontés à de graves dérives si nous laissons les politiques choisir sur la base de quelques experts qui sont leurs copains. Il y a quelques années, le financement de la recherche, qui correspondait pour une large part au financement de bases de données des EPST, le CNRS et l'Inserm, provenait de ces organismes pour 40 % à 60 %. Désormais, de 15 % à 20 % des fonds viennent du CNRS et de l'Inserm, le reste étant versé par des fonds comme l'ANR dont le profil a été défini très largement par des non-scientifiques. C'est une intrusion du politique à un niveau où il ne devrait pas intervenir. Le politique doit intervenir au niveau global, et non à ce niveau. Or, il le fait de plus en plus en lien avec l'industrie.

Dans le dernier contrat d'objectifs de l'Inserm, la direction souligne qu'il est important de travailler pour la prochaine période sur divers sujets. J'ai consulté un document des entreprises du médicament (Leem), qui représente l'industrie du médicament. Or ce document stipulait qu'il était important de créer des biobanques, d'effectuer de l'e-médecine, etc. L'ensemble de ces axes de travail définis par l'industrie du médicament figuraient dans le contrat d'objectifs de l'Inserm.

M. François Autain, président. - Le Leem dispose d'un membre dans le conseil d'administration de l'Inserm.

M. Alain Trautmann - Il y a plus encore, avec une grande précarité. Les lobbies sont autant de pouvoirs retirés à la communauté scientifique. Il existe un conseil scientifique à l'Inserm, au CNRS, etc. Or, l'avis des conseils scientifiques qui peut s'y exprimer est de moins en moins pris en compte. L'un des derniers conseils scientifiques de l'Inserm devait donner son avis sur le contrat d'objectifs qui était auparavant un contrat d'objectifs et de moyens, et est maintenant, dirais-je, un contrat d'objectifs sans moyens. Le conseil scientifique de l'Inserm, qui n'est pas composé de gauchistes, a voté à l'unanimité contre ce contrat d'objectifs. Une semaine plus tard, le document a été proposé au conseil d'administration de l'Inserm qui l'a adopté. L'avis unanime du conseil scientifique n'a servi à rien. Les EPST reçoivent chaque année moins d'argent pour les crédits de fonctionnement de base, avec une diminution de 15 % en 2010 et 2011. Et quand les scientifiques s'expriment, on s'assoit sur leur avis. Cette évolution n'est pas saine pour la recherche.

M. François Autain, président. - Les ressources consacrées par l'Etat à la recherche diminuent-elles ?

M. Alain Trautmann - En écoutant Mme Valérie Pécresse, les ressources augmentent de façon impressionnante. Or, les statistiques de l'Observatoire des sciences et techniques révèlent que les fonds consacrés à la recherche n'ont pas augmenté depuis 2000. Cependant, cette enveloppe inclut le crédit d'impôt recherche, qui augmente énormément pour avoir atteint de 5 ou 6 milliards d'euros par an. Il peut avoir de l'utilité pour les petites et moyennes entreprises (PME), mais n'a aucune utilité incitative pour les grandes entreprises comme Saint-Gobain ou plus encore Sanofi-Aventis qui licencie et perçoit simultanément le crédit d'impôt recherche (CIR). Le montant du CIR est dix fois supérieur au budget de fonctionnement des laboratoires du CNRS. La diminution du CIR de 10 % pour doter le CNRS doublerait le budget de ses laboratoires.

A ma connaissance, les moyens de la recherche stagnent en France, alors que l'Allemagne et les pays nordiques constatent une augmentation importante des crédits. Cette évolution est difficile à constater dans la mesure où le discours officiel est lié à l'idée qu'il y a une forte augmentation. Cette augmentation n'est pas réelle.

Enfin, des pressions politiques peuvent être exercées au niveau des choix, ce qui pose la question de la santé publique et de la vigilance. Une enquête a été récemment demandée à l'Inserm sur les perturbateurs endocriniens ou phtalates. Le rapport d'enquête a mené à la conclusion que ces molécules étaient dangereuses. Or quelqu'un a demandé aux experts de se taire. Il s'agit d'Arnold Munnich.

M. François Autain, président. - Cette personne m'a récemment invité avec le laboratoire Novartis. Je ne pourrai malheureusement y aller. Il est très connu.

M. Alain Trautmann - C'est le conseiller du président Nicolas Sarkozy en matière de recherche biologique. Ces pressions deviennent problématiques.

M. François Autain, président. - Je comprends.

M. Pierre Aucouturier. - Je m'exprimerai très brièvement pour apporter des précisions sur le fonctionnement des agences qui sont impliquées dans l'évaluation de la recherche. Comme Alain Trautmann vient de le préciser, les résultats de la politique récente de la recherche en France sont liés à une perte de pouvoir des EPST, de leur capacité de décision et d'orientation de la politique scientifique du pays. En outre, il y a eu la mise en place importante des agences d'évaluation que sont l'Agence nationale de la recherche et l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, chargée de proposer des appels d'offres pour des financements de projets financés à court terme, de deux à quatre ans, tandis que pour sa part l'ARS est chargée de l'évaluation des structures.

Nous avons le sentiment que cette décision vise à démontrer la force et l'autonomie du CNRS et de l'Inserm, impliquées dans la recherche publique. Le Gouvernement avait mis en avant la volonté de recentrer la recherche autour de structures d'évaluation qui permettraient de simplifier l'évaluation et de la rendre plus objective, indépendante et transparente, comme annoncé dans le pacte de la recherche en 2006. Le résultat est exactement le contraire. L'Agence nationale de la recherche n'a effectivement pas de conseil scientifique mais elle fonctionne au moyen de comités thématiques. Chaque appel d'offres comprend un comité d'évaluation et un comité de pilotage. Ces comités sont composés de membres non connus de la communauté scientifique au moment des appels d'offres, c'est-à-dire dont l'identité n'est révélée qu'a posteriori. En outre, l'ensemble des membres des comités sont nommés par le directeur de l'ANR.

Le détail du fonctionnement de l'évaluation, sujet sur lequel nous pouvons faire l'analogie avec les agences sanitaires, n'est jamais rendu public. Les comités ne rendent public qu'un résumé extrêmement bref des conclusions effectuées à l'issue de leur délibérations. Enfin, il n'y a aucune mémoire des décisions prises au fil du temps alors que les comités sont renouvelés. Il n'y a pas de possibilité de réponse, contrairement au NIH dont les projets sont par ailleurs développés pour cinq ans, et non deux ou trois ans comme pour l'ANR.

Tel est le constat du fonctionnement de l'évaluation de la recherche, l'ANR a aussi vocation à piloter les orientations scientifiques. Un certain nombre d'appels d'offres sont cités avec des moyens fléchés pour chaque thème. Le système se met en place de manière pyramidale. L'organisation des appels d'offres s'effectue au niveau de la direction des agences. Il s'agit de recherches sur projet pour lesquelles on nous demande d'annoncer ce que nous comptons trouver. Or, chacun sait qu'aucune grande découverte n'émerge à partir d'un programme qui connaît les découvertes qu'il est susceptible de faire.

M. François Autain, président. - Nous trouvons souvent ce qu'on ne cherche pas, comme le prouvent toutes les grandes découvertes.

M. Pierre Aucouturier. - Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas structurer le programme de recherche. Les financeurs nous demandent de prédire les retombées sociétales des projets. L'un des problèmes majeurs ressentis par la communauté des chercheurs est que le système actuel demande avant tout aux chercheurs de produire. Aucune découverte ne se fera pas dans les domaines où l'on ne sait pas dire quelles seront les retombées et la rentabilité investie.

Une idée simple passe très facilement auprès du grand public : la recherche doit servir à quelque chose. Pour le grand public, il faudrait que les chercheurs puissent par leur travail donner accès à des retombées immédiatement palpables. Bien évidemment, le fait de favoriser l'innovation et la recherche appliquée s'effectue au détriment de la démarche d'acquisition des connaissances fondamentales. Cette situation est extrêmement préjudiciable à l'avenir, car les retombées des progrès de la connaissance se mesurent en décennies.

En conclusion, je souhaitais livrer l'exemple de la maladie d'Alzheimer, à laquelle des sommes importantes sont consacrées. En effet, ce sujet intéresse particulièrement les pays développés. Cette maladie constitue un enjeu extrêmement important pour toutes les grandes industries pharmaceutiques. Or, c'est une maladie devant laquelle nous sommes totalement démunis d'un point de vue thérapeutique. Les médicaments utilisés dans ce domaine, comme les anticholinestérases sont discutés. Les entreprises pharmaceutiques se tournent vers l'immunothérapie qui consiste à comprendre et utiliser les éléments du système de défense immunitaire pour combattre la maladie, par des approches vaccinales consistant à susciter des éléments de réponse contre les dépôts de protéine nocifs dans le cerveau.

Si l'idée de départ est assez pertinente, l'enjeu financier de la découverte de soins contre la maladie d'Alzheimer étant considérable, cette maladie étant fréquente dans les pays riches, les premiers essais ont été lancés extrêmement rapidement. Un premier essai multicentrique international a été mis en place en 2001 par une société importante, Elan Pharmaceuticals. Il a dû être arrêté rapidement en raison de complications inflammatoires du cerveau chez 6 % des patients. L'essai a été immédiatement interrompu, alors que les résultats étaient prometteurs chez la souris.

M. François Autain, président. - La maladie d'Alzheimer existe chez la souris ?

M. Pierre Aucouturier. - La maladie n'existe pas chez la souris, mais des souris génétiquement modifiées expriment un transgène et développent une maladie qui ressemble à Alzheimer, et la question se pose de la pertinence de ces modèles par rapport à la maladie naturelle. Les essais vaccinaux ont bien marché chez la souris, mais ceux qui ont été entrepris très rapidement chez l'homme, ont constitué un échec. De la même manière, d'autres essais d'immunothérapie ont été lancés par les grandes entreprises pharmaceutiques dans le monde, basés sur une approche visant à éviter les complications inflammatoires. Les premiers résultats décrivent un effet quasiment nul, mais en revanche il y a moins d'effets secondaires.

Finalement, à cause de cette incitation à obtenir des résultats à tout prix, on oublie qu'on ne connaît rien de l'interaction entre le système immunitaire et la maladie d'Alzheimer. Il faudrait financer dans la perspective d'un vaccin dans dix ou vingt ans des recherches cognitives sur la connaissance de l'évolution de cette pathologie. Or il est extrêmement difficile avec le système actuel de la recherche d'obtenir des moyens pour effectuer ce genre de recherches.

M. François Autain, président. - Il faut un retour sur investissement rapide. La recherche fondamentale n'est pas compatible avec le mode de financement actuel de notre recherche. A terme, compte tenu de l'évolution que nous observons, nous pouvons imaginer qu'il n'y aura plus qu'une recherche appliquée qui sera mise en oeuvre.

M. Pierre Aucouturier. - C'est illusoire de croire qu'il ne peut y avoir qu'une recherche appliquée.

M. François Autain, président. - C'est une des raisons pour lesquelles les laboratoires ne font plus aucune découverte, suite à quoi ils ferment leurs centres de recherche plutôt que de les développer. Mais c'est vrai qu'on les attend dans le domaine de la recherche publique. Il apparaît un certain nombre de convergences entre les intérêts des parties.

Mme Angélica Keller. - Je voudrais intervenir sur le CNRS. J'ai été chercheur du CNRS après avoir été formée à l'étranger. Le CNRS était auparavant envié à l'étranger, non pour des salaires mirobolants en comparaison avec les Etats-Unis et l'Allemagne, mais pour son indépendance. Nous avions des crédits récurrents qui permettent aux laboratoires de faire de la recherche fondamentale et de fonctionner sans objectif de rendement et d'application dans les deux ou quatre ans. Nous sommes en train de perdre cette indépendance. Le fait que la recherche soit financée principalement par une agence comme l'ANR fait que les chercheurs formés, qui ont une thèse, disposent de contrats de deux à quatre ans.

De cette manière, la formation d'une population de jeunes chercheurs se trouve dans des situations extrêmement précaires. Comment peut-on mener des projets de recherche fondamentale dans une telle situation ? En outre, la révision générale des politiques publiques (RGPP) est en train d'être mise en place au niveau du CNRS. Par exemple, j'ai pris ma retraite il y a un an. Je n'ai évidemment pas été remplacée. Le vivier des chercheurs qui ont développé des techniques très complexes durant des années disparaît. Nous perdons un savoir-faire important par cette disposition de postes à long terme.

M. François Autain, président. - Merci pour cette contribution. Vous avez répondu lors de votre intervention aux questions que nous souhaitions vous poser. Vous n'oublierez pas de nous transmettre l'article auquel vous avez fait référence. Nous tirerons sûrement le meilleur profit de vos contributions. Je vous remercie.

Jeudi 26 mai 2011

- Présidence de M. François Autain, président. -

Audition de MM. Pierre Joly, président, et Patrice Queneau, membre de l'Académie de médecine

M. François Autain, président. - Nous recevons ce matin M. Pierre Joly, président de l'Académie de médecine, et M. Patrice Queneau, auteur d'un rapport publié en 1998 sur « La iatrogénie médicamenteuse et sa prévention » et qui motive sa présence aujourd'hui.

Cette séance est ouverte à la presse et fera l'objet d'une publication sur le site du Sénat et éventuellement d'une diffusion sur la chaine Public Sénat.

En vertu de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander si vous avez des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ou si vous avez des liens avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits.

M. Pierre Joly, président de l'Académie de médecine. - Jusqu'en 1993, j'étais le président de la Fédération internationale des industries du médicament. Depuis lors, j'ai cessé toute activité dans ce domaine.

M. Patrice Queneau, membre de l'Académie de médecine. - Un de mes fils est cadre dans les laboratoires Servier et il travaille dans un service qui achemine des produits de base à l'étranger.

En outre, je possède quelques actions dans une entreprise familiale qui vend des bandes élastiques et de contention. En revanche, je n'ai jamais été salarié d'une entreprise pharmaceutique.

M. François Autain, président. - Lorsqu'un médecin s'exprime ou quand il publie un article, il devrait préciser ses liens d'intérêts mais la législation n'est pas respectée. Pourquoi ?

M. Pierre Joly. - L'année dernière, je fais approuver un règlement en matière de conflit d'intérêts par l'Académie de médecine. Je me suis rendu compte que si ces règles n'étaient pas appliquées, c'était par manque d'habitude. Désormais, un membre du Conseil de l'Ordre est chargé de veiller à la bonne application de cette règle.

M. Patrice Queneau. - Je me réjouis d'être reçu par le Sénat sur un thème qui dépasse largement celui du seul Mediator. L'enseignement initial et continu fait peu de place à la thérapeutique. Cette discipline passionne, ou du moins, passionnait, assez peu.

Les universités, les jurys d'agrégation, certaines sociétés scientifiques n'accordent à la thérapeutique qu'une place mineure par rapport au diagnostic.

En 1992, grâce à l'Académie de médecine, j'ai publié un rapport intitulé : « Accidents médicamenteux : fréquence, nature et prévention ». Je n'arrivais pas à le faire paraître ailleurs.

L'Académie de médecine m'a chargé d'un rapport d'étape sur la sécurité du médicament et la pharmacovigilance. Or, la bibliographie française est très pauvre sur le sujet. Heureusement que l'Académie a écouté le professeur Paul Lechat, père de Philippe Lechat, directeur de l'évaluation des médicaments de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps).

Pendant des années, j'ai essayé de convaincre les ministres et les élus de tous bords de la nécessité d'un enseignement de qualité en matière thérapeutique. En fin de cursus, les professeurs ne consacraient en effet que très peu de temps à la thérapeutique, « cinq dernières minutes ». Je veux rendre hommage aux personnes qui m'ont aidé à me faire entendre. J'ai ainsi réussi à rencontrer M. Jacques Barrot lorsqu'il était ministre : il m'a donné une mission sur l'iatrogénie. J'ai auditionné une cinquantaine de personnalités avant de publier le rapport de 1998 que vous avez évoqué et qui reste d'actualité.

M. Pierre Joly. - La formation des médecins face aux médicaments pourrait effectivement être améliorée.

Je voudrais revenir sur la position de l'Académie face au Mediator.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Notre mission a pour but d'évaluer et de contrôler les politiques mises en place par les pouvoirs publics. D'autres instances sont chargées de l'aspect judicaire. Je le dis d'autant plus que certains prétendent que les missions parlementaires n'ont pas respecté la présomption d'innocence.

M. François Autain, président. - Un article du Figaro ne doit pas vous troubler. Les chiens aboient, la caravane passe.

M. Pierre Joly. - L'Académie a estimé qu'elle n'avait pas à se prononcer sur les aspects judiciaires du dossier. L'affaire du Mediator a cependant fait apparaître un certain nombre de dysfonctionnements qui nous ont amenés à réagir immédiatement. Dès la fin de l'année dernière, nous avons confié au doyen Queneau le soin de réfléchir sur les dysfonctionnements qui intéressent le Mediator, mais aussi l'ensemble des médicaments.

La publication de la liste de soixante-dix sept médicaments sous surveillance a eu un effet calamiteux et l'Académie a essayé de rassurer les malades : à l'époque, trois malades sur dix ont renoncé en partie ou en totalité à leurs traitements. Parfois des diabétiques ont cessé de prendre leur insuline !

M. François Autain. - Renoncer à l'Actos n'est pas grave ...

M. Pierre Joly. - Les pharmaciens, et il faut leur rendre hommage, ont réussi à convaincre un tiers de ces personnes à reprendre leurs traitements, mais environ 20 % des malades ont encore refusé leur traitement. Nous avons réagi vivement et le Conseil de l'Ordre des médecins a relayé notre point de vue en rappelant que la prise de médicament n'était jamais anodine et qu'il ne fallait pas interrompre un traitement sans en parler préalablement à son prescripteur.

M. Patrice Queneau présentera la semaine prochaine à l'Académie son premier rapport d'étape et nous allons vous faire part de l'essentiel de nos préoccupations.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Pouvez-vous nous donner les principales préconisations ? A l'occasion du rapport sur le Vioxx de 2006, nous avions proposé un certain nombre de pistes. Si elles avaient été suivies, nous n'en serions peut-être pas là aujourd'hui.

M. Pierre Joly. - Nous proposons tout d'abord des « recommandations relatives à la réglementation actuelle et sa mise en application ». Nous préconisons le développement de la notification des effets indésirables par l'ensemble des professionnels mais aussi des patients. Pour le Mediator, le système de pharmacovigilance n'a pas bien fonctionné pour diverses raisons pratiques, alors que le principe était excellent. La procédure est en effet compliquée, les médecins qui ont signalé des faits ne sont pas tenus au courant des suites données à leur intervention et ils craignent d'éventuelles suites judicaires en cas de problème thérapeutique.

Nous faisons également des recommandations sur la notification des effets indésirables par le médecin prescripteur et sur la formation du prescripteur en pharmaco-thérapeutique : depuis des années, l'Académie déplore la modestie de l'enseignement que reçoit le corps médical en matière de thérapeutique et de pharmacologie. Les médecins doivent être vraiment formés pour comprendre les effets des médicaments. Or, certaines facultés consacrent plus de temps à l'enseignement de l'anglais qu'à celui de la pharmacologie. Pourtant, l'un des actes médicaux les plus importants, c'est la prescription. Il faut arrêter de former à demi les médecins !

M. Patrice Queneau. - Nous nous sommes interrogés sur les raisons qui expliquent la considérable sous-notification.

M. François Autain, président. - Le taux de déclaration est de 5 %.

M. Patrice Queneau. - Tout à fait.

Quand le médecin prescripteur constate un accident chez un de ses patients, il craint d'être mis en cause. En outre, les formulaires de premières notifications sont beaucoup trop compliquées alors qu'il ne s'agit que d'un « peut-être ». Mais ce premier recueil de données est indispensable. Faut-il indemniser dès la première notification ou à partir de la deuxième notification, qui prend beaucoup plus de temps ?

En outre, il va falloir enseigner la notification, et imposer le retour d'information statistique mais aussi individuel auprès des notificateurs.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment passer de la notification à l'imputabilité ? Un médicament est mis sur le marché à partir d'une norme pasteurienne alors qu'il est utilisé pour soigner des pathologies chroniques.

M. Pierre Joly. - Il y a trois éléments fondamentaux : la vigilance, l'imputabilité, qui est une étape essentielle, et l'épidémiologie qui, dans notre pays, est aussi mal enseignée que la pharmacologie.

Une fois le médicament découvert, des études sont menées sur des cohortes de quatre à cinq mille personnes. Les mailles du filet sont serrées, mais pas assez. Une fois le médicament mis sur le marché, il va en effet être consommé par 100 000, voire 1 million de personnes : la dimension change complètement. Des patients avec de petits dérèglements pathologiques, qui pouvaient ne pas figurer dans le panel de départ, vont être concernés par les effets du médicament mis sur le marché. C'est pourquoi nous souhaitons, après la mise sur le marché, une autre étude qui porterait sur un grand nombre de malades pour obtenir des données statistiques bien plus fiables.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous souhaitez donc une étude après l'AMM mais avant l'étude post-AMM.

M. Pierre Joly. - Il faut que cette étude soit menée une fois le médicament mis sur le marché. La pharmacovigilance est certes nécessaire, mais il faut aussi que la puissance publique demande une véritable expérimentation épidémiologique au laboratoire, même si cela coûtera un peu d'argent aux laboratoires.

M. François Autain, président. - L'assurance maladie remboursera !

M. Pierre Joly. - Ce n'est pas si simple...

M. François Autain, président. - Ne serait-il pas plus rationnel de mettre moins de médicaments sur le marché, d'autant qu'un médicament inutile peut quand même se révéler toxique ? Une telle méthode serait révolutionnaire mais permettrait de lutter contre les effets indésirables. Malgré tous les moyens dont elle dispose, la pharmacovigilance ne parvient pas à déterminer tous les effets indésirables, tant ils sont nombreux et parfois masqués. Au cours de cette mission, nous avons très peu parlé d'iatrogénie médicamenteuse.

M. Pierre Joly. - En ce qui concerne le nombre de médicaments, la situation est complexe : le médicament n'a pas un effet identique pour tout le monde. Les effets varient en fonction des individus.

M. François Autain, président. - Il existe cent cinquante hypertenseurs : est-ce vraiment nécessaire ?

M. Pierre Joly. - Des structures étatiques sont là pour y veiller, comme l'Afssaps.

M. François Autain, président. - Mais elles ne jouent pas leur rôle ! Il faudrait ne rembourser que les médicaments qui apportent un véritable progrès thérapeutique.

M. Pierre Joly. - Cette proposition en elle-même n'a rien de choquant. Certaines structures ne jouent sans doute pas tout leur rôle. Cela dit, les choses, dans la pratique, sont complexes. Qu'est-ce que le progrès thérapeutique ? Un exemple : depuis 1945, l'efficacité des antibiotiques s'est considérablement améliorée, mais grâce à de petites évolutions successives.

Interne, juste après la guerre, j'ai été dans un service de phtisiologie, comme on disait alors, qui traitait les tuberculeux. Nous n'arrivions pas à l'époque à sauver les jeunes femmes qui faisaient des méningites tuberculeuses : neuf sur dix mouraient, pour ne pas dire dix sur dix, dans des conditions affreuses, après trépanation, perte des cheveux, cachexie. La streptomycine est arrivée : cet antibiotique était parfaitement efficace, mais il rendait sourd de façon irréversible. En y ajoutant trois fois rien, nous avons disposé du jour au lendemain d'un médicament qui ne provoquait que de légères surdités. Un autre médicament, l'isoniazide était très efficace, mais il s'oxydait très rapidement au contact de l'air et il se révélait inefficace lorsqu'il était ingéré. Un confrère a eu l'idée de le mettre sous forme liquide et c'est ainsi qu'est né le PAS. En dix mois, nous avons inversé le pronostic : neuf jeunes femmes sur dix guérissaient. Il faut bien avoir à l'esprit que les améliorations des médicaments sont le plus souvent progressives. Il est donc toujours dangereux de vouloir être plus sélectif.

M. François Autain, président. - Il ne s'agit pas de sélectivité mais de privilégier les médicaments qui apportent un véritable progrès thérapeutique.

M. Pierre Joly. - Il faut faire attention à ne pas juger la thérapeutique sur les médicaments de l'instant.

M. François Autain, président. - Il ne s'agit pas des médicaments de l'instant mais de ceux qui sont sur le marché depuis des années ! Pour l'hypertension, les diurétiques restent les médicaments les plus efficaces. Ce n'est pas parce qu'un médicament est vieux qu'il n'est pas efficace.

M. Pierre Joly. - Certes ! Mais il ne faut pas mettre de freins à la capacité d'innovation des chercheurs. Quand nous sommes devant un éventail de produits, il faut bien évidemment ne prendre que ceux qui sont les plus efficaces.

M. Patrice Queneau. - Un nouveau médicament fait l'objet d'évaluations qui aboutissent à un service médical rendu. Il n'acquière sa commercialisation que pour autant qu'il améliore le service médical rendu (SMR). Mais je regrette que l'on ne procède pas à une réévaluation régulière des médicaments. Une chose est de disposer d'une gamme variée de médicaments, une autre de multiplier à l'excès leur déclinaison.

L'ancienneté ne préjuge pas de l'efficacité, mais sur les cent cinquante hypertenseurs, il convient sans doute d'en supprimer quelques-uns.

M. François Autain, président. - Surtout, il faut cesser d'en ajouter !

M. Patrice Queneau. - C'est plus discutable. Il ne faut en ajouter que si l'amélioration du service médical rendu (ASMR) est prouvée. Lorsqu'il y a pléthore et qu'un nouveau médicament est mis sur le marché, il faut réévaluer ceux qui sont sur le marché et en supprimer certains.

M. François Autain, président. - Vous avez proposé en 1998 de créer un observatoire national de l'iatrogénie et de la vigilance thérapeutique. Est-ce toujours d'actualité ?

M. Patrice Queneau. - Oui, car il faut développer la pharmaco-épidémiologie. Quand on se trouve face à un accident probablement imputé à un médicament, on essaye de voir dans quelles conditions il survient. Dans ce cas, les signaux sont très importants

Il est indispensable d'observer le médicament après qu'il a obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) dans telle ou telle région ou tel ou tel pays de l'Union pendant plusieurs années, sur une large population. Ces études permettraient de repérer l'accident exceptionnel, tardif ou inattendu. Il ne s'agit pas de récuser la pharmacovigilance, mais d'aborder la question d'une autre manière.

L'imputabilité est une question délicate : les médicaments sont évalués initialement sur des populations âgées de vingt à soixante-cinq ans, qui prennent lesdits médicaments en monothérapie. Mais la majorité des médicaments sont prescrits chez des malades à risque, souvent âgés, à qui l'on a prescrit d'autres médicaments. D'où des interactions difficiles à maîtriser.

L'imputabilité est un problème qui, à ce jour, n'est pas réglé. Mon étude sur le bon usage de l'automédication m'a amené à interroger des chefs de services d'urgence qui voient des malades ayant subi des accidents médicamenteux. Il devient extrêmement difficile d'imputer un accident dès que l'on quitte la monothérapie. Les méthodes d'imputabilité sont beaucoup trop centrées sur l'épure du malade « parfait ». Comment savoir à quoi est due une perte de conscience chez un malade qui prend trois hypertenseurs, trois psychotropes et un traitement pour la prostate ? Il faudrait disposer de méthodes d'imputabilité qui prendraient en compte non pas le médicament, mais le malade.

M. François Autain, président. - Prescrire trois hypertenseurs et trois psychotropes, est-ce raisonnable ?

M. Patrice Queneau. - Il convient en effet de pratiquer « l'art de prescrire », mais les trois hypertenseurs peuvent être nécessaires.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les résultats des méthodes d'imputabilité qui ont une source épidémiologique exclusive ne sont valables qu'en monothérapie. Il faut donc croiser ces résultats avec des données cliniques.

M. Patrice Queneau. - Ce qui n'est pas suffisamment le cas à l'heure actuelle.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Dans le cas du Mediator, les patients étudiés étaient-ils en monothérapie ? Nous nous sommes rendu compte qu'il était impossible de croiser les données épidémiologiques avec les données cliniques.

M. Patrice Queneau. - Nous avons besoin de médecins cliniciens dans les structures d'évaluation, surtout que l'imputabilité n'a rien de mathématique. Tous les paramètres doivent être pris en compte.

M. François Autain, président. - Dans son livre, Mme Irène Frachon parle de la lettre de l'Académie nationale de médecine que les médecins reçoivent et dans laquelle figurait une pleine page de publicité pour les laboratoires Servier. Je ne conteste pas le fait qu'une société savante puisse utiliser la publicité d'un laboratoire, mais est-il possible de parler d'indépendance, de liberté d'esprit ? Les finances de l'Académie dépendent-elles des laboratoires ?

M. Pierre Joly. - Les ressources de l'Académie frisent le ridicule : une dotation de l'État de 300 000 euros, qui suffit tout juste à payer le chauffage, l'électricité et les autres frais de base. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'Académie soit sollicitée pour des partenariats portant sur des actions strictement culturelles. J'ai instauré l'an dernier un contrat de coopération culturelle : ainsi le rôle de chacun sera clair et l'autonomie de notre institution respectée. Vous évoquez un passé lointain...

M. François Autain, président. - Pas si lointain, un an seulement.

M. Pierre Joly. - Nous ne sommes pas stipendiés pour trois francs et six sous ! Un de mes prédécesseurs a accepté que Servier prenne en charge les frais de routage de notre Lettre, que nous ne pouvions assumer.

M. François Autain, président. - Les laboratoires Servier seraient-ils philanthropes ?

M. Pierre Joly. - Ils ont comme les autres le droit d'être un mécène. Je souhaite pour ma part des collaborations culturelles avec des fonctions bien définies pour chaque partenaire, consignées dans des contrats rendus publics.

M. François Autain, président. - Avez-vous signé beaucoup de contrats ? Quelle somme représentent-ils ?

M. Pierre Joly. - Moins de 50 000 euros. C'est accessoire. Je le répète, personne au sein de l'Académie ni du conseil n'a jamais ressenti la moindre gêne à l'égard de Servier. Le livre que vous citez nous fait un procès d'intention. Que dire ? C'est le style moderne... Mais quand, dans un congrès, les pochettes distribuées aux participants portent le logo d'une banque, personne ne se sent otage de cette banque !

M. François Autain, président. - Les contrats et leurs montants seront prochainement en ligne ?

M. Pierre Joly. - Oui. Le contrat avec Servier est du reste en cours de signature, car ce mécénat n'était auparavant pas formalisé, ce qui est malsain. Cette contractualisation me tient à coeur.

L'Académie remplit bien son rôle scientifique, ses fonctions de santé publique. Mais nos médecins enseignent aussi à l'étranger, nos chirurgiens opèrent à coeur ouvert en Chine, notre médecine a dans le monde une aura très grande : lorsque le patron de l'Institut Pasteur arrive au Brésil on déroule le tapis rouge, ce que l'on ne fait pas pour le ministre de la santé. Il faut exploiter cela, c'est un moyen peu coûteux de s'implanter dans un pays, quitte à créer des petites structures avec des sponsors.

Je vous assure les yeux dans les yeux que les laboratoires ne sont pas notre problème.

M. François Autain, président. - Il est heureux pour vous que les laboratoires considèrent l'Académie de médecine comme leur problème.

M. Pierre Joly. - Ils trouvent certes leur intérêt, mais lorsque vous faites un don à la Croix rouge, vous êtes heureux de rendre service, sans en retirer d'autre profit !

M. François Autain, président. - Les laboratoires font-ils des dons à la Croix rouge ? Je n'en suis pas certain. Je prends note du fait que, pour vous, ce sont des philanthropes.

M. Pierre Joly. - Ils peuvent avoir une vocation de mécènes.

M. Gilbert Barbier. - Combien d'heures seraient nécessaires dans la formation initiale pour former valablement les étudiants à la pharmacologie et à la thérapeutique ? Comme ces disciplines évoluent constamment, quelle formation continue pourrait-on envisager, afin que les médecins soient vraiment responsables et informés ?

M. Patrice Queneau. - Est-ce le nombre d'heures qui importe ? Je crois que l'enseignement initial dans cette matière doit viser à sensibiliser les étudiants. Il y a lieu de renforcer l'enseignement en pharmacologie là où il est faible - car il y a entre facultés une grande hétérogénéité. Entre soixante et quatre-vingts heures d'enseignement me sembleraient suffisantes pour constituer un socle solide. Quant à la thérapeutique, elle ne se résume pas aux seuls médicaments, il faut aussi prendre en compte la conduite, la décision, le choix d'une prescription : tout cela s'apprend à la faculté, mais aussi au pied du lit du malade. Le suivi est également fondamental : tolérance du médicament, observance par le patient...

Les étudiants apprennent par intérêt pour la matière, mais aussi pour réussir les épreuves : or l'examen de fin de deuxième cycle a des modalités discutables et je plaide depuis toujours pour un « permis de prescrire », délivré après une épreuve comportant des questions techniques et des cas concrets et complexes... et un oral. Cela existe dans de nombreux pays. Il est crucial d'évaluer ainsi la compétence à devenir médecin, d'autant que dès l'entrée en troisième cycle on attend des étudiants une compétence en matière de soins : je trouve inadmissible qu'en première année d'internat, des futurs médecins soient désemparés s'il leur faut prendre une décision durant leur garde à l'hôpital.

Audition de MM. Gérald Simonneau et Marc Humbert

M. François Autain, président. - Nous recevons MM. Gérald Simonneau, professeur des universités, chef de service de pneumologie et réanimation respiratoire, coordinateur du Centre de référence national pour l'hypertension artérielle pulmonaire sévère et Marc Humbert, professeur des universités, praticien hospitalier dans le service de pneumologie et réanimation respiratoire, à l'hôpital Antoine Béclère.

D'abord la question rituelle : avez-vous des liens avec l'industrie pharmaceutique ?

M. Marc Humbert, professeur des universités. - Oui, car dans le cadre de nos recherches, et de l'innovation thérapeutique en particulier, nous procédons à des essais thérapeutiques de concert avec les laboratoires Actélion, Bayer, GSK, Novartis, Pfizer, United Therapeutics et Lilly. Mais nous n'avons aucun conflit d'intérêts avec Servier.

M. Gérald Simonneau, professeur des universités. - Un petit historique de l'Isoméride, d'abord : l'hypertension pulmonaire est une maladie rare qui peut être idiopathique - sans cause connue - ou due à des maladies ou des médicaments. L'hypertension pulmonaire (HP) idiopathique représente deux cas par million d'habitants par an, soit cent cinquante cas en France. L'hypertension pulmonaire est aussi associée aux risques causés par les anorexigènes. Dans les années soixante a été observée une épidémie due à l'aminorex, un coupe-faim amphétaminique voisin du benfluorex, vendu en Suisse, Autriche et Allemagne. Le nombre de cas d'hypertension pulmonaire a brutalement augmenté après la mise sur le marché de ce médicament, et chuté après le retrait, au bout de trois ans, en 1967.

A la fin des années 80, nous avons été alertés sur une relation de cause à effet entre les coupe-faim et des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP). Nous avons dés lors interrogé les malades : 25 % d'entre eux prenaient de la fenfluramine, contre un risque d'HTP de 5 % dans le total de la population saine. Servier a été obligé de réaliser une étude cas-contrôles pour étudier ce lien : il en a chargé le docteur Abenhaïm, lequel en 1995 est arrivé au même résultat que nous dans nos observations cliniques, un risque multiplié par cinq en cas de prise de médicament à base de benfluorex, par vingt-cinq en cas d'exposition prolongée. Le produit n'est pas retiré mais on considère alors qu'il doit être encadré, réservé aux diabétiques, etc. Or, moins de six mois après, en 1996, la Food and Drug Administration autorise sa mise sur le marché ! Nous étions en mauvaise posture, Servier a contre-attaqué. Mais nous avons été sauvés, si je puis dire, par les valvulopathies, car un an après le groupe de Rochester à la Mayo Clinic met en évidence des valvulopathies cardiaques chez les patients exposés à l'Isoméride. Le produit a donc été retiré du marché mondial en 1997 comme tous les amphétaminiques. Comme beaucoup de coupe-faim étaient préparés en cocktails par les pharmaciens, l'Afssaps a interdit le benfluorex dans les préparations magistrales, dosées par les pharmaciens, mais les comprimés n'ont pas été retirés du marché.

M. François Autain, président. - Quelle en est l'explication ?

M. Gérald Simonneau. - Je ne me l'explique pas.

M. François Autain, président. - Comment avez-vous réagi ?

M. Gérald Simonneau. - Nous n'étions pas au courant ! En 1999, un médecin de Saint-Antoine nous adresse un patient qui souffre d'hypertension idiopathique et nous indique que ce patient a pris du benfluorex, substance que le cardiologue pense proche de l'Isoméride. Cette molécule ne faisait à l'époque l'objet d'aucune information dans le Vidal. Mais le dictionnaire critique des médicaments d'Henri Pradal expliquait dés 1978 que le benfluorex était très proche de l'Isoméride. Je préviens l'Afssaps et apprends que onze cas étaient déjà décelés, parmi des patients atteints d'HTAP et qui prenaient du Mediator. Une expertise a été menée en 1998.

M. François Autain. - Vous faites allusion au rapport Bechtel ?

M. Gérald Simonneau. - Oui. Les cas examinés en 1998 étaient compliqués : tous ces patients avaient pris de l'Isoméride, puis du Mediator, aucun cas n'était pur. Mais la plupart des patients qui prenaient dans le passé de l'Isoméride étaient passés au Mediator : il avait bien fallu que quelqu'un informe les médecins de la parenté entre les deux médicaments !

M. François Autain, président. - Personne n'a de souvenirs à ce sujet...

M. Gérald Simonneau. - En tout cas ce relais systématique suscite chez moi une suspicion forte.

M. François Autain, président. - Oui, on se pose des questions.

M. Gérald Simonneau. - Entre 1999 et 2005, il y a eu peu de cas d'hypertension pulmonaire médicamenteuse, sans doute parce que la consommation de Mediator n'a augmenté que progressivement : 150 000 malades en 1999, 450 000 en 2005. L'Afssaps n'a délivré aucune information aux médecins et rien n'a été dit sur le Mediator. Il est vrai qu'une alerte aurait consisté à dire : « ce produit est similaire à un autre déjà retiré du marché ; et selon les diabétologues il ne sert à rien ». Bref, l'alerte aurait tué le produit. Il fallait soit le retirer, soit ne rien dire.

M. François Autain. - On pouvait retirer à ce moment-là, selon vous.

M. Gérald Simonneau. - Dès que j'ai su que le métabolite actif était la norfenfluramine, j'ai pensé que le produit n'avait plus sa place. Du reste, il était retiré des préparations magistrales ! Quoi qu'il en soit, un effet toxique médicamenteux rare, en l'absence d'alerte et d'information des médecins, est presque impossible à découvrir.

M. Marc Humbert. - La structuration en centre de référence et centre de compétence nous permet d'interroger l'ensemble des centres spécialisés dans l'hypertension pulmonaire, recenser les cas et les analyser. Rien n'est simple, les causes sont nombreuses et chaque cas exige un examen très détaillé. Début avril, nous avons pu établir un premier rapport portant sur quatre-vingt-cinq cas. Une mise à jour sera effectuée régulièrement. Un cathétérisme cardiaque est systématiquement effectué lorsqu'une HTAP est identifiée, pour déterminer si les causes de la pression élevée proviennent d'une maladie pulmonaire ou cardiaque - il existe aussi des cas mixtes. Sur ces quatre-vingt-cinq cas, soixante-dix se sont révélés pré-capillaires, autrement dit relevant purement de causes pulmonaires, deux post-capillaires - causes cardiaques - et treize mixtes. La durée moyenne d'exposition est de quarante-neuf mois en moyenne, un temps plus long que dans le cas de l'Isoméride. Les atteintes pulmonaires se rencontrent chez les patients les plus exposés. Le délai entre l'exposition et le diagnostic est de huit ans et demi. Il apparaît que 24 % au moins des patients ont été exposés à l'Isoméride avant le Mediator.

L'effet de l'alerte est évident, et instructif  pour l'avenir : en 1999, nous entamons les investigations, à partir du premier cas dans notre centre, mais c'est seulement entre 2006 et 2008 que le nombre de cas a commencé à augmenter, et à cette période les rumeurs et les interrogations commençaient à se répandre, avant l'alerte. Certains cas avaient été considérés comme idiopathiques en 2002 ; ils ont été réexaminés après l'alerte Mediator.

Les patients exposés au Mediator sont des gens plus âgés que ceux qui prenaient des anorexigènes dans les années quatre-vingt : soixante ans en moyenne. Ils sont plus « ronds », la proportion d'hommes est un peu plus élevée, et dans 80 % il existe un facteur de risque cardio-vasculaire - diabète, hypertension artérielle - qui n'est pas un facteur de risque d'HTAP, je le précise, et qui pourrait correspondre éventuellement à une partie de l'indication du Mediator.

La plupart des malades que nous voyons présentent une pathologie sévère, ils marchent deux fois plus lentement que la moyenne de la population, leur pression artérielle est trois fois supérieure à la normale, la pompe cardiaque a un débit de 2,4 en moyenne et non de 3. Le coeur souffre. Sur ces soixante-dix patients, huit sont décédés, deux ont subi une transplantation pulmonaire, mais l'un d'eux est décédé des suites de l'opération. Dans les années 80, les personnes qui prenaient des anorexigènes n'étaient pas toujours des obèses, elles étaient seulement soucieuses de rentrer dans leur maillot de bain l'été suivant. La durée de l'exposition est de trente mois pour le benfluorex, six pour la fenfluramine. Il se peut qu'il y ait des différences entre les produits, plus de valves et quelques HTAP pour le Mediator, plus de HTAP et moins de valves avec l'Isoméride, du moins en France car les observations ne sont pas les mêmes aux Etats-Unis.

M. François Autain, président. - A cause d'une association avec un autre médicament.

M. Marc Humbert. - Oui, le fen-phen. C'est aussi que les malades sont beaucoup plus obèses.

Une circonstance rend l'analyse parfois complexe : la combinaison, liée à l'âge, entre maladie vasculaire et maladie cardiaque. Pour la première fois valvulopathie et HTAP coexistent chez les mêmes patients. Cela concerne 28 % des patients - 23 % chez les pré-capillaires. C'est une particularité de l'épisode Mediator.

J'en viens à la pharmacovigilance. Entre 1999 et 2007, il y a eu seulement quatre déclarations ; ensuite, plus de cinquante. Après l'alerte et la prise de conscience, le questionnaire a été adapté, on a demandé aux patients quels médicaments ils prenaient et pourquoi. Pour poser ces questions, il faut une motivation. Le lanceur d'alerte joue un rôle moteur.

M. Gérald Simonneau. - Et encore tous les cas ne sont-ils pas déclarés ! Certains centres régionaux disent qu'ils n'en ont pas encore eu le temps, que tout est trop compliqué. Il serait utile de simplifier les formalités, une réflexion est en cours...

M. Marc Humbert. - En dépit de l'alerte et de la médiatisation, nous n'en sommes qu'à 70 % de déclarations. Il y a un décalage de plusieurs mois.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - N'y a-t-il jamais eu de publications scientifiques ?

M. Marc Humbert. - Si ! Le CHU de Brest et l'hôpital Antoine Béclère-Paris Sud ont publié cinq cas en 2009, le New England Journal of medecine a publié de très beaux papiers sur les coupe-faim...

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - et sur la présence de norfenfluramine dans le métabolite du benfluorex ?

M. Gérald Simonneau. - Il y a eu une revue générale en 2007 dans la plus grande revue de cardiologie américaine.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Mais rien entre 1967 et 2007 ?

M. Gérald Simonneau. - Si : M. François Brenot avait fait une publication en 1993, le New England Journal a publié l'étude du docteur Abenhaïm, la revue Chest a publié tous nos cas, il y a eu aussi en 2002 une étude sur le fenfluoramine, plus particulièrement sur les cas retardés, une publication en 2007 sur l'atteinte des valves cardiaques et sur l'hypertension pulmonaire due au benfluorex. Et bien sûr, il y a eu la publication du docteur Frachon sur les valvulopathies.

M. Marc Humbert. - Il y a toujours eu des papiers anglais sur les anorexigènes. Le cas benfluorex était plus complexe, parce qu'il n'avait pas clairement une indication d'anorexigène.

M. Gérald Simonneau. - Le congrès mondial de 1973 à Genève avait été organisé en raison de l'épidémie liée à l'aminorex.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous collaboré avec les équipes de Servier ?

M. Gérald Simonneau. - Jusqu'à l'étude confiée par Servier au docteur Lucien Abenhaïm, le déni était total au sein de ce laboratoire et une collaboration avec les équipes de chercheurs était impensable. De nombreux cas leur ont été signalés, une vingtaine par an, en même temps qu'ils l'étaient auprès de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Mais ce n'est qu'après de multiples pressions que l'agence a ordonné une étude en 1992. Ce fut difficile à obtenir !

M. Marc Humbert. - Les cas nous remontent, certains sans facteur de risque associé autre que médicamenteux. Sur les soixante-dix cas purement pré-capillaires, quarante-neuf étaient dans ce cas.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les patients prenaient exclusivement ce médicament ?

M. Marc Humbert. - J'ai précisé que 24 % des patients avaient pris de l'Isoméride avant de prendre du Mediator.

M. Gérald Simonneau. - Ce qui signifie que 76 % des patients n'en avaient pas pris.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Mais prenaient-ils d'autres médicaments ?

M. Marc Humbert. - Dans une population de soixante ans présentant des risques cardiovasculaires, on prend forcément des médicaments, mais seul le Mediator émerge comme facteur de risque de l'HTAP.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quid des interactions entre médicaments ?

M. Marc Humbert. - Elles sont scientifiquement difficiles à démontrer.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Les essais réalisés par les laboratoires sont-ils publiés, qu'ils soient positifs ou négatifs ? Doit-on imaginer une base de données de tous les essais, qu'ils aient ou non abouti à une AMM ?

M. Gérald Simonneau. - Il existe un registre international de tous les essais. Et un essai ne peut donner lieu à une publication s'il n'a pas été déclaré au début. Par ailleurs, la toxicité - qui n'est pas l'inefficacité - n'est pas détectable sur quelques centaines de patients, lorsque les effets secondaires sont rares - pour l'Isoméride par exemple, ils apparaissent dans un cas sur 10 000. En revanche, pour l'hypertension pulmonaire, lorsque la molécule déclenche la maladie sur un terrain prédisposé, une prise de quelques semaines suffit. Le médicament déclenche la maladie - dans un cas sur 10 000, certes, mais c'est beaucoup pour un médicament qui ne sert à rien...

M. François Autain, président. - Que pensez-vous des études telles que celle de Mme Catherine Hill ? Etes-vous d'accord avec son évaluation du nombre de morts ?

M. Gérald Simonneau. - Il s'agit des valvulopathies et je ne peux me prononcer sur le nombre de morts, d'autant que pour un médicament qui ne sert à rien, un mort est un mort de trop.

M. François Autain, président. - Je suis d'accord avec vous.

M. Gilbert Barbier. - Pour prouver la responsabilité du médicament, un examen anatomo-pathologique est-il le seul argument concret  que l'on puisse apporter à ceux qui nient le danger du médicament ?

M. Gérald Simonneau. - Pour les valvulopathies, l'examen montre des signes spécifiques.

M. Gilbert Barbier. - Et pour l'hypertension idiopathique, on ne recherche pas des explications ?

M. Gérald Simonneau. - Dans notre réseau, 40 % des cas sont inexpliqués. Il y a les causes génétiques, les coupe-faim, certes.

M. Gilbert Barbier. - Recherche-ton une réceptivité particulière à l'Isoméride ?

M. Gérald Simonneau. - Quand le facteur de risque entraîne la maladie dans 1 cas sur 10 000, c'est qu'il y a d'autres facteurs de risque. Des patients atteints du virus VIH, seuls 0,5 % développent la maladie. Quand la toxicité est directe, 100 % des patients sont théoriquement touchés.

M. Gilbert Barbier. - A quel stade aurait-il fallu agir ? En 1998, après l'expertise du professeur Bechtel de Besançon ? En 1999, après les premières alertes auprès de l'Afssaps ? En 2001, lorsque l'Agence italienne du médicament a dit la nocivité du médicament ?

M. Gérald Simonneau. - Les laboratoires Servier ont longtemps caché aux cliniciens que le métabolite actif du Mediator était la norfenfluramine, dont la toxicité était connue ! Ensuite, des erreurs sont intervenues à tous les niveaux ; il n'y a pas un responsable, c'est tout le système qui a dysfonctionné. Les premiers cas analysés, en 1995, avaient pris de l'Isoméride, il était impossible de conclure.... En 1999, on rapportait un cas de valvulopathie, un cas de HTAP, tout le monde savait que le produit dégageait de la norfenfluramine, les diabétologues estimaient que le Mediator était un mauvais produit : la messe aurait du être dite ! Le retrait du produit des préparations magistrales était preuve que sa toxicité était identifiée !

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - En Italie, il n'a pas été retiré des préparations magistrales.

M. Marc Humbert. - Le 17 juin 1999, nous avons envoyé un mail à notre collègue de Bologne pour l'informer de nos problèmes avec le benfluorex. Il nous a répondu n'avoir pas connaissance de cas semblables, mais n'avoir pas posé la question sur ce produit, qui n'était pas présenté comme un anorexigène. Le Mediaxal, le Mediator italien, n'a été qu'à moitié retiré du marché ; il est resté autorisé dans les préparations magistrales jusqu'en 2005.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment améliorer la notification des effets indésirables et mieux prendre en compte les notifications directes par les patients, le cas échéant avec le concours d'un médecin généraliste ou spécialiste ? Les urgences sont-elles un bon relais ?

M. Marc Humbert. - Mon service a recruté, sur ses fonds propres, une pharmacienne, responsable des interrogatoires médicamenteux. Elle est chargée d'interroger cent patients consécutifs sur tous les médicaments qu'ils ont pris au cours des années précédentes, car il faut tenir compte du temps de latence.

Nous avons décidé que tous les médicaments suspects seraient déclarés : on peut donc s'attendre à une explosion du nombre d'alertes de pharmacovigilance. Il faut distinguer les complications rares entraînées par des médicaments prescrits de façon rare comme le dasatinib, qui a fait l'objet d'une alerte ; les complications rares entraînées par un médicament prescrit fréquemment ; les complications fréquentes d'un médicament prescrit fréquemment.

M. François Autain, président. - Le professeur Queneau préconise de créer à l'hôpital des comités de lutte contre la iatrogénie médicamenteuse (Cli). Est-ce ce que vous mettez en place ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - N'est-ce pas au service de pharmacie de l'hôpital de dédier les moyens nécessaires pour l'ensemble des services ?

M. Gérald Simonneau. - Ce serait possible, mais compliqué. Mieux vaut réfléchir, tester différentes méthodes, avant de multiplier les comités...

M. Marc Humbert. - Cette pharmacienne a été recrutée en accord avec la pharmacie de l'hôpital.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le professeur Queneau souhaitait que les patients puissent notifier les effets indésirables de médicaments.

M. François Autain, président. - La loi le permet déjà !

M. Marc Humbert. - Nous pouvons êtres des lanceurs d'alerte, mais il y a sept mille maladies rares... L'imputabilité est difficile à établir, car on nous dit qu'il n'y a pas de lien de causalité ! Il faut lancer les alertes, de façon raisonnable. L'hôpital est-il le lieu idéal ? Pour les complications rares, oui ; pour les complications fréquentes, c'est le cabinet.

M. Gérald Simonneau. - Le « lien de causalité » est délicat à démontrer, même dans le rapport entre tabac et cancer du poumon. On sait que cela augmente le risque. Mais en disant qu'il n'y a pas de lien de causalité, on laisse entendre qu'il n'y a pas de relation de cause à effet : « circulez, il n'y a rien à voir » ! Attention au langage employé.

M. Gilbert Barbier . - Quid du rapport bénéfices-risques ?

M. Marc Humbert. - Il est déterminant. Pour la HTAP, le Mediator ne servait à rien. Le dasatinib, en revanche, peut sauver des vies. Si le rapport bénéfices-risques est intéressant, il faut l'intégrer dans la réflexion.

M. Gérald Simonneau. - Dans le cas du Mediator, le bénéfice était faible, et le risque fort !

Audition de M. Michel Pot, ancien secrétaire général de l'Afssaps

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Vous avez déclaré que l'affaire du Mediator relevait d'une « banale incompétence du service public ». Pourriez-vous nous expliquer cette assertion ? L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), agence qui dispose d'une certaine indépendance, fait-elle partie de ce service public ?

M. Michel Pot, ancien secrétaire général de l'Afssaps - A cette seconde question, je réponds oui sans hésitation : l'Afssaps est le bras armé du service public.

Permettez-moi de revenir sur la déclaration que vous citez. J'ai été pendant sept ans secrétaire général chargé des fonctions d'appui : finances, ressources humaines, informatique. Je ne m'occupais pas de sécurité sanitaire, ce n'est pas mon métier. J'ai découvert les informations concernant le Mediator en novembre 2010, comme beaucoup ; j'ai appris dans la presse que des signaux existaient mais n'avaient pas été reçus par l'Agence.

Lorsque l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a conduit sa mission à l'Afssaps en janvier, elle n'a pas jugé bon de m'interroger. Elle s'est attachée à l'aspect scientifique et historique du Mediator. Ma crainte était que l'on oublie l'importance du management : l'Agence est dirigée par des hommes, et le management compte beaucoup dans le bon et le mauvais fonctionnement d'une institution. Je pensais avoir quelque chose à dire à ce sujet.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous demandé à être auditionné par l'Igas ?

M. Michel Pot. - Non, l'Igas décide en toute liberté de son champ d'intervention. Dans ces documents, qui n'étaient pas adressés à l'Igas mais dont les inspecteurs ont eu connaissance avant la publication de leur rapport, je notais quelques dysfonctionnements dans la chaîne hiérarchique du service de surveillance du marché et de la pharmacovigilance. J'y disais que la non-réceptivité des signaux et la mauvaise gestion du système méritaient investigation. Je ne visais que ce secteur particulier, et suis navré de voir l'opprobre retomber sur l'Agence dans son ensemble, où l'on fait un travail sensationnel.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment articuler pharmacovigilance, AMM et transparence ? Quelles réformes de structure proposez-vous ? Quel rôle devrait jouer le ministre dans le dispositif de sécurité du médicament ?

M. Michel Pot. - Je m'inquiète de voir que cette affaire conduit à remettre en cause les structures existantes. Pour ma part, c'est le management seul que je mets en cause. Il est certes surprenant d'avoir, d'un côté, une commission d'AMM, de l'autre une commission de transparence qui ne s'exprime pas pour ne pas empiéter sur le domaine de la première...

J'ai trouvé dans le rapport de l'Igas confirmation de ce que j'avais présupposé en lisant la presse. Les dysfonctionnements du service chargé de recueillir les signaux et de les faire exploiter sont impressionnants. L'étude demandée à Servier à la fin des années 1990 a mis neuf ans à être réalisée ! Preuve qu'il y avait bien un problème de compétence au sein du service de surveillance du marché, qui n'a pas suivi le déroulement de l'opération.

M. François Autain, président. - Il s'agit de l'étude Regulate ?

M. Michel Pot - Il s'agit de l'étude sur les conséquences, notamment cardiologiques, du Mediator, qui est devenue par la suite l'étude Regulate. Le rapport l'évoque page 9 et page 71. Sans ce délai, on aurait connu les conséquences cardiologiques du Mediator dès 2001-2002 !

M. François Autain, président. - Pourquoi a-t-on autant tardé ?

M. Michel Pot - Je ne sais, mais c'est une question secondaire. Le problème n'est pas la structure, mais les personnes en charge.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Le directeur général de l'Afssaps était-il en position de surmonter les contradictions entre la commission de pharmacovigilance et la commission d'AMM ?

M. Michel Pot - Le rapport de l'Igas souligne que les deux commissions ont en effet rendu des avis contradictoires. Etonnamment, l'affaire semble avoir été traitée par e-mail par le directeur général, qui s'est rangé à l'avis de la commission d'AMM, la dernière à avoir parlé... Le rôle des responsables est pourtant d'apprécier et de départager les avis des experts. Il n'y a pas de vérité scientifique absolue. A la lecture du rapport de l'Igas, la manière dont a été traitée l'affaire laisse perplexe.

L'information des experts par l'administration de pharmacovigilance a également été défaillante. Le comité de pharmacovigilance n'a pas été informé des cas de pharmacovigilance, des échanges au niveau européen, du retrait du médicament en Espagne après un cas de valvulopathie. Il faut en tirer les leçons.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment concilier la nécessité pour l'Afssaps de participer aux travaux de l'EMA (European Medicines Agency) et ses missions propres ?

M. Michel Pot - Le partage de compétences est assez clair. L'Europe voit son champ de compétences s'élargir progressivement ; le reste de la gestion relève du plan national. Sur le long terme, il y a une montée en puissance du fait européen.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Comment doit être financée l'Afssaps ?

M. Michel Pot - Le financement de l'Agence lui pose un problème d'image. J'étais en charge, avec l'agent comptable, de percevoir les impôts prélevés sur les laboratoires ; nous n'avions aucune relation avec les laboratoires, et étions d'ailleurs strictement contrôlés. Je n'ai donc pas d'états d'âme à ce que l'Afssaps soit financée à 80 % ou 100 % par ces taxes parafiscales. Nous avons expliqué que ce mode de financement ne compromettait pas l'Agence, sans être entendus. Peut-être, faut-il un autre circuit de financement pour laver l'Afssaps de tout soupçon.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Par exemple ?

M. Michel Pot - On peut imaginer que les laboratoires versent leur contribution au budget général, et qu'elle soit ensuite rapatriée à l'Afssaps, sous forme de subvention. Attention toutefois à ce que ce rapatriement se fasse bien à l'euro près ; sinon, l'Agence aura plus de mal à investir et à s'équiper, notamment en systèmes d'information et en matériel de laboratoire.

M. François Autain, président. - Si le nombre de dossiers instruits par l'Afssaps devait baisser, ses ressources diminueraient également. Elle serait alors contente d'avoir une autre source de financement ! Aujourd'hui, les taxes parafiscales acquittées par les laboratoires financent des actions qui devraient relever de l'Etat, comme la veille ou le contrôle. La participation de l'Etat est passée de 50 % à 20 % puis à 0 %. Il faut nuancer les jugements sur le mode de financement actuel.

M. Michel Pot - Sans doute. Reste que le financement était contrôlé par l'agent comptable et moi-même, et n'avait aucun impact sur l'action opérationnelle.

Je saisis cette occasion pour demander aux parlementaires que vous êtes de nous aider à améliorer le contrôle de ces services publics. Pendant mes sept années à l'Afssaps, le contrôle parlementaire sur l'Agence s'est limité à la fixation d'indicateurs, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) - en l'occurrence, le délai de l'AMM - et à des questionnaires parlementaires sur l'exécution, le budget et les grands évènements de l'Agence.

L'Afssaps avait été contrôlée par la Cour des comptes en 2006 ; celle-ci, dont ce n'est pourtant pas le métier, avait attiré l'attention sur la pharmacovigilance, citant le Mediator. J'ai été choqué de voir que tout le monde l'avait oublié ! Si je ne l'avais pas signalé à l'Igas, cela ne figurerait même pas dans son rapport !

M. François Autain, président. - Il s'agit bien du fameux rapport de la Cour des comptes où le directeur de l'Afssaps disait que le Mediator était retiré du marché ?

M. Michel Pot - Il s'agissait d'une erreur de plume, qui a été corrigée. Tout le monde avait oublié ce rapport. Les établissements comme l'Afssaps ne sont pas suffisamment audités, et les audits ne sont pas exploités. Le service de pharmacovigilance a fait l'objet d'un audit en 2002, qui portait essentiellement sur les fonctions centrales. La Cour des comptes a repris en 2006 les critiques de la revue Prescrire.

Un service essentiel comme la pharmacovigilance devrait être audité tous les trois ou quatre ans. Les parlementaires devraient demander à connaître la date du dernier audit, ses conclusions, son suivi.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - J'ai dit lors de notre réunion avec l'Agence en Seine-Saint-Denis, qu'il est dommage que nous n'exercions notre mission de contrôle qu'en période de crise.

En 2006, le Sénat a publié un rapport sur le Vioxx. Si ses préconisations avaient été prises en compte, nous n'en serions peut-être pas là, sept ans plus tard ! En Italie, le président de la commission parlementaire chargée de la santé conduit chaque année une mission de contrôle des institutions ou de la politique sanitaire.

M. Gilbert Barbier. - L'Afssaps prend des décisions souveraines. Le travail du rapporteur pour avis du budget de l'Agence ne porte en rien sur les décisions techniques et scientifiques. La responsabilité du directeur de l'Afssaps devrait-elle être modulée par l'obligation d'informer l'exécutif, ou le Parlement ? J'ai été étonné d'entendre le ministre Jean-François Mattei dire ne pas avoir été au courant des problèmes relatifs au Mediator...

Par ailleurs, le circuit de l'Afssaps paraît assez fermé par rapport aux agences européennes ou mondiales ; on l'a vu avec cette affaire du Mediator.

M. Michel Pot - Loin de moi l'idée que les parlementaires devraient exercer un contrôle sur les aspects scientifiques : je parlais du contrôle sur le fonctionnement administratif. Même les comités techniques de pharmacovigilance n'étaient pas au courant des informations dont disposait le service ! Vous avez les moyens de contrôler les services-cibles, leur management, via les questionnaires parlementaires.

Audition de Mme Anne Prigent, directeur des rédactions d'Impact Médecine et de Prescriptions Santé

M. François Autain, président. - En auditionnant l'une de vos consoeurs, Madame, nous avons appris que vous étiez l'auteur de plusieurs articles relatifs aux laboratoires Servier, signés du pseudonyme « Dr Claire Bonnot ». Un responsable de la presse médicale que nous avons entendu a estimé anormal que le pseudonyme d'un journaliste ne figure pas dans l'ours.

Mme Anne Prigent, directeur des rédactions d'Impact Médecine et de Prescriptions Santé. - Cela m'étonne. Les noms de journalistes ne figurent pas tous dans les ours.

Docteur en pharmacie, j'ai d'abord exercé en officine. Les médecins connaissent peu le médicament. Souhaitant transmettre l'information, je me suis orientée vers la presse pharmaceutique : j'ai ainsi écrit dans Le Quotidien du pharmacien, Le Quotidien du médecin, Le Moniteur des Pharmacie. J'ai été embauchée par le groupe Impact il y dix ans. Depuis trois ans, je dirige la rédaction d'Impact Médecine.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Quelle place tient la publicité dans le modèle économique des publications pour lesquelles vous travaillez ?

Mme Anne Prigent. - Les abonnements représentent le quart du chiffre d'affaires du groupe.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Avez-vous déjà subi des pressions de la part des annonceurs ? La publicité a-t-elle une influence sur le contenu rédactionnel ? Comment y remédier ?

Mme Anne Prigent. - La publicité n'influe nullement sur le contenu rédactionnel. Il s'agit d'un journal professionnel à destination des médecins généralistes, auxquels nous apportons des informations professionnelles pour les aider à exercer au mieux leur profession. Nous sommes donc conduits à traiter plus souvent d'affections fréquentes, comme le diabète, que de maladies rares, même si nous ne les oublions pas.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. -Comment Impact Médecine et Prescriptions Santé ont-ils rendu compte de l'affaire du Mediator ? Disposez-vous d'un comité de lecture ? Les articles sont-ils signés par des journalistes ou des scientifiques ? Des règles déontologiques spécifiques s'appliquent-elles aux auteurs d'articles ?

Mme Anne Prigent. - Prescriptions Santé est un mensuel qui s'adresse aux équipes marketing de l'industrie pharmaceutique : c'est un cas à part.

Impact Médecine a évoqué le Mediator au moment de son retrait, en 2009. Nous n'avons pas parlé du livre d'Irène Frachon, qui expliquait rétrospectivement les circonstances du retrait : cela ne relevait pas de l'information pratique du médecin. La presse grand public a commencé à parler du Mediator en octobre 2010, avec les études Cnam 1 puis 2. Que pouvait répondre le médecin aux patients? Il n'y avait pas d'éléments tangibles. Nous avons immédiatement rendu compte de la conférence de presse de l'Afssaps, qui évaluait le nombre de décès entre cinq cents et mille : il fallait que les médecins rappellent les patients ayant pris du Mediator. Nous avons ensuite rendu compte du rapport de l'Igas, dont la conférence de presse se tenait le samedi ; nous bouclions le mardi, pour une parution le jeudi. Je me souviens avoir titré : « Xavier Bertrand, Reformator ».

Nos règles déontologiques sont celles de la presse et les règles de santé publique. Nous avons comme journalistes à la fois des scientifiques et des non-scientifiques. Des médecins et des pharmaciens contribuent, comme pigistes. Le directeur de la rédaction des revues spécialistes est médecin. Nous n'avons pas de comité de relecture.

Mme Marie-Thérèse Hermange , rapporteur. - Avez-vous des attentes vis-à-vis des pouvoirs publics en matière de réglementation ou de soutien à la presse médicale ? Les laboratoires ont-ils une attitude particulière à votre égard ?

Mme Anne Prigent. - Les pratiques se sont assainies, généralement en réaction à des crises sanitaires, comme l'affaire du Vioxx. Il y a eu la création de l'Agence du médicament en 1993, des retraits de médicaments, la charte de la visite médicale...

M. François Autain, président. - La Haute Autorité de santé (HAS) juge que cette charte ne sert à rien. Relativisons.

Mme Anne Prigent. - Nous avons toujours participé aux débats, par exemple en 2010, sur la grippe H1N1, avec la HAS et l'Afssaps. De telles relations me semblent claires et normales.

M. François Autain, président. - A quelle occasion Impact médecin est-il devenu Impact médecine ?

Mme Anne Prigent. - J'ai commencé mon travail à Impact médecin. Lorsque la dénomination a changé, j'étais simple journaliste, éloignée de la rédaction générale. Pour autant que je me souvienne, nous avons perdu le bénéfice de la commission paritaire, celle-ci ayant des doutes sur les abonnements payants, mais nous avons été réintégrés deux mois plus tard, après avoir apporté les preuves de leur effectivité.

M. François Autain, président. - Mme Virginie Bagouet m'a fait parvenir un courriel d'où il ressort que les industriels concernés relisaient avant publication ce qui les concernait. Je citerai l'exemple d'un article consacré à l'ivabradine, un bradycardisant commercialisé par les laboratoires Servier sous le nom de Procoralan. Mme Bagouet vous a transmis son texte, que vous avez adressé aux laboratoires Servier pour correction. Alors que vous l'avez publié dans la rédaction, après approbation par le laboratoire, vous n'avez pas informé le lecteur de cette relecture. Pourquoi ? M. Gérard Kouchner nous a dit il s'agissait là d'une obligation éthique. Vous en être abstenue correspondait-il à une pratique habituelle de votre publication, ou s'agissait-il d'un traitement de faveur réservé à Servier ?

Mme Anne Prigent. - L'article traitait de l'étude Systolic heart failure treatment with the inhibitor ivabradine trial (SHIFT-ivabradine), dont tout le monde parlait à l'époque, même à la radio. La hot line mise en place à Stockholm par la Société européenne de cardiologie était en anglais, rapide et orale. Nous devions donc éviter tout retard dans la publication. L'étude en question était coordonnée par le professeur Komajda, qui présidait la Société française de cardiologie. N'ayant pu le joindre, je me suis tournée vers les laboratoires Servier, pour validation des chiffres. Il ne s'agissait que d'une vérification.

M. François Autain, président. - Consulter le laboratoire ne semble pas vous poser problème.

Mme Anne Prigent. - J'aurais été bien plus gênée par la publication d'une erreur. Au demeurant, la seule rectification opérée par le laboratoire était désavantageuse pour le médicament, puisque le rédacteur initial de l'article avait surestimé la baisse de la fréquence cardiaque procurée par l'ivabradine.

Au demeurant, nous nous sommes adressés à la seule direction médicale.

M. François Autain, président. - C'est tout de même le laboratoire !

Mme Anne Prigent. - Comme rédacteur en chef, je vérifie les données avant de les publier.

M. François Autain, président. - Vous auriez tout de même pu faire savoir aux lecteurs que l'article avait été corrigé par le laboratoire, dont la publicité ne manque pas dans votre publication.

Mme Anne Prigent. - Je ne suis pas certaine qu'il aurait été utile d'indiquer la modification d'un chiffre...

J'ai pour devoir de recouper les informations publiées dans mon journal. Etre en contact avec une direction scientifique ne me semble pas choquant.

M. François Autain, président. - Est-il exact que vous publiez surtout des articles portant sur les produits des laboratoires Servier ou de ses filiales ? Telle semble être la spécialité de « Claire Bonnot ».

Mme Anne Prigent. - Non. « Claire Bonnot » n'écrit pas spécifiquement sur Servier. Symétriquement, elle ne dispose d'aucun monopole au sujet de ce laboratoire.

M. François Autain, président. - Mme Bagouet m'a communiqué le texte de plusieurs articles, corrigés puis publiés sous son nom. L'un d'eux comportait in fine le paragraphe suivant : « Par ailleurs, une étude de quarante cas de valvulopathie chez des patients ayant été traités avec du benfluorex, publiée en ligne le 31 décembre dans European Journal of Echocardiography, montre que 40 % des patients présentaient également une hypertension artérielle pulmonaire. Jusqu'à présent, la pharmacovigilance n'avait pas permis de mettre en évidence un excès de risque d'hypertension artérielle pulmonaire chez les patients ayant pris les traitements contenant du benfluorex, contrairement à ceux traités avec du chlorhydrate de dexfenfluramine (Isoméride). »

Pourquoi avoir supprimé ce paragraphe ?

Mme Anne Prigent. - Impact médecine a pour fonction d'apporter des informations pratiques aux généralistes. L'article dont vous parlez annonçait la mise en place d'un numéro vert par l'Afssaps. Nous appliquons le principe « un papier, une idée ».

M. François Autain, président. - Il s'agissait en l'occurrence d'une information nouvelle et importante. Pourquoi en avoir privé les médecins ?

Mme Anne Prigent. - L'article ne portait pas sur les hypertensions artérielles pulmonaires.

M. François Autain, président. - L'information rendait pourtant le recours au numéro vert encore plus indispensable.

Mme Anne Prigent. - Les médecins savaient déjà que le benfluorex avait des effets secondaires.

M. François Autain, président. - Avez-vous publié cette information par la suite ?

Mme Anne Prigent. - Je ne sais pas.

M. François Autain, président. - Pour vous, elle n'était pas très importante...

Je sais bien que vos rapports avec les laboratoires Servier se bornent strictement à la sphère scientifique, mais, pour être crédible, vous auriez dû publier aussi des informations qui ne soient pas systématiquement favorables à ses médicaments.

Mme Anne Prigent. - Nous en avons publié !

M. François Autain, président. - Pas celle-là !

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. - Je précise que notre mission n'est pas judiciaire.

M. François Autain, président. - C'est exact : nous devons comprendre et nous informer, pas condamner.

Mme Anne Prigent. - Notre hebdomadaire s'accompagne d'un site mis à jour quotidiennement. Je ne peux tout me rappeler. Je vais donc vérifier ce que nous avons publié.

M. François Autain, président. - Je vous remercie.