Mardi 27 mars 2012

 - Présidence de M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur -

Audition de M. Robert Ophele, sous-gouverneur à la Banque de France

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous êtes sous-gouverneur à la Banque de France après avoir été directeur général des opérations, c'est-à-dire responsable de la mise en oeuvre de la politique monétaire du pays. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation malgré les contraintes de calendrier. Les règlementations de la Banque de France et de la BCE se réfèrent aux notations émises par les agences de notation pour juger de la qualité d'un actif. Comment, par ailleurs, dans votre activité de cotation, évaluez-vous les entreprises et quel regard la Banque de France porte-t-elle sur celle des agences de notation ? Nous nous interrogeons sur l'utilité de ces dernières ainsi que sur leur la part de responsabilité dans la situation que connaissent certains pays, certaines collectivités et entreprises. On est un peu addict des agences de notation, et nous partageons les questions de nos concitoyens.

M. Robert Ophèle, sous-gouverneur à la Banque de France. - Le rôle et la place des agences de notation affectent la stabilité financière et interpellent donc les banques centrales. Quel rôle ont-elles dans les opérations des banques centrales ? La notation a un impact sur de nombreuses opérations financières pour lesquelles des actifs doivent être apportés en garantie, en collatéral ; le périmètre des actifs éligibles à la banque centrale est déterminant. En revanche, l'éligibilité aux opérations de la banque centrale n'est plus un critère retenu dans le cadre de la future règlementation sur la liquidité des banques, ce que je regrette.

Après la crise de 2008, en partie imputable aux notations exagérément favorables des agences sur la qualité des produits financiers adossés aux prêts à l'habitat américain, le G20 a décidé de réduire la dépendance de la sphère financière aux agences de notation et a fixé parmi ses priorités la réforme de leur réglementation et de leur supervision. Le Comité de stabilité financière (FSB) a ainsi décliné en octobre 2010 une dizaine de principes pour réduire la dépendance aux agences de notation. Le FSB a invité les banques centrales à développer leur propres analyses de risque afin d'éviter la prise en compte automatique des notations des agences. Où en est-on à la Banque de France et dans l'Eurosystème ? S'agissant des titres négociables, nous utilisons largement les notations des agences, mais en les assortissant de contrôles et de correctifs. Quant aux créances privées, nous favorisons les notations internes des banques et celles des banques centrales. Naturellement, l'ampleur du recours effectif à ces notations dépend du degré de maturité des mesures des risques pratiquées par les banques et de l'implication des banques centrales dans l'activité de notation.

Pour les titres négociables, les notations d'agences restent des références incontournables : il n'y a pas et l'on ne prépare pas de notation propre aux banques centrales. Mais cette dépendance est limitée par trois éléments : seule la meilleure notation des titres non adossés à des actifs est retenue par l'Eurosystème, ce qui rend l'éligibilité moins sensible aux éventuelles dégradations décidées par l'une ou l'autre des agences de notation.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Et pour les ABS ? Ces actifs titrisés ont un répondant moindre.

M. Robert Ophèle. - C'est pourquoi on demande alors deux notations.

En second lieu, la notation n'est pas le seul critère retenu dans notre analyse. Ainsi, les ABS à structure complexe ne sont pas éligibles, quelles que soient les notations obtenues. A l'inverse, des titres souverains des pays sous programme sont restés éligibles alors que leur notation tombait en deçà des seuils de droit commun. Nous favorisons progressivement les produits dont les acteurs de marché sont à même de juger de la qualité, sans avoir besoin de recourir mécaniquement à la notation des agences. C'est bien ce que nous visons pour les titres collatéralisés : les caractéristiques des actifs sous-jacents seront suivies par l'ensemble du marché grâce à des infrastructures dédiées ; y adhérer conditionnera l'éligibilité de ces produits aux opérations de l'Eurosystème.

Enfin, s'agissant des actifs non négociables, à savoir les créances privées, leur importance dépend de la capacité des banques centrales à évaluer les entreprises. C'est au coeur de la politique de la Banque de France, qui s'intéresse de près au financement de l'économie réelle. Elle est passée d'accords préalables de réescompte à un contrôle a posteriori et à la notation des entreprises grâce à un dispositif très important : la Banque de France est devenue une agence de notation et elle note environ 260 000 entreprises françaises. La moitié des actifs déposés en garantie à la Banque de France pour les opérations de banque centrale est d'ailleurs constituée par des créances privées. Cette proportion est inférieure à 20 % dans le reste de l'Eurosystème, ce qui traduit l'absence de mécanisme de notation banque centrale dans la plupart des autres pays de l'Union européenne, puisque seule la Bundesbank, la Banque d'Autriche et la Banque d'Espagne en disposent. Leurs outils sont cependant plus modestes que les nôtres ; ainsi la Bundesbank ne note que 30 000 entreprises.

La place des créances privées dans le refinancement a tendance à progresser car les banques peuvent également s'appuyer sur leurs outils internes d'appréciation du risque, lorsque ces outils ont été validés par les superviseurs bancaires dans le cadre de la réglementation de leur solvabilité. Il s'agit des CRD avec la CRD4 en cours de finalisation.

Indépendamment du type d'actifs mobilisés, les pratiques de l'Eurosystème évoluent afin de limiter la dépendance de nos opérations aux notations, quelles qu'elles soient : avant la crise de 2008, nous n'acceptions que les notations d'excellence avec des décotes très faibles. Depuis, nous avons descendu le seuil d'acceptabilité et augmenté les décotes associées afin de réduire les effets couperets tout en garantissant une prise de risque maîtrisée par la banque centrale en cas de non-remboursement des emprunts. Aujourd'hui, nous allons jusqu'à des signatures équivalent à un double B, évidemment avec des décotes appropriées.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Cela est-il dû au contexte économique actuel ?

M. Robert Ophèle. - Depuis 2008, l'Euro-système est passé de A à BBB. En début d'année, le Conseil des gouverneurs a accepté que les pays qui pouvaient s'appuyer sur un dispositif d'évaluation fiable élargissent encore cette gamme. Grâce à notre système Fiben, nous avons saisi cette opportunité pour aller jusqu'à BB. Les initiatives nationales sont coordonnées par la BCE. Ainsi, lorsque nous acceptons du papier en garantie des opérations que nous menons, nous estimons son risque de défaut sur un an : pour les notations de type A, cette probabilité de défaut va jusqu'à 0,10 %, pour le triple B à 0,40 % et pour le double B à 1 %.

Les opérations des banques centrales garanties par des actifs c'est d'abord le refinancement des banques. Dans l'Eurosystème, il se monte actuellement à 1 200 milliards, et 180 milliards pour la Banque de France. Ces actifs éligibles garantissent également le fonctionnement du système de paiement de gros montants de l'Euro-système, nommé Target, et qui permet de faire circuler les fonds à l'intérieur de la zone euro afin d'assurer l'unicité du marché. Ce système fonctionne avec une irrévocabilité au fil de l'eau des opérations passées, ce qui peut conduire les établissements en cours de journée à être à découvert. Tout cela est donc garanti par le pool de collatéral que j'évoquais à l'instant.

L'Euro-système s'avance prudemment mais résolument dans la voie d'une réduction de la place des notations des agences, et la Banque de France est un des moteurs de cette évolution.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Comment expliquer cette évolution ?

M. Robert Ophèle. - En France une agence de notation évalue de 200 à 300 émetteurs. Cela ne suffit pas, voilà pourquoi la Banque de France a développé un système de notation complémentaire. De plus, un papier pouvait, du jour au lendemain, perdre son éligibilité parce qu'il avait perdu un cran de notation, ce qui était économiquement dangereux, d'où notre système plus granulaire. En outre, lors de la crise souveraine, certaines décisions des agences de notation sont intervenues à contretemps. Faisant partie de la troïka avec la Commission et le FMI, la BCE ne pouvait accepter que ses appréciations soient remises en cause par les notations des agences. Tout en utilisant leur travail des agences, nous nous réservons donc une pleine liberté d'en modifier les conséquences pour nos propres opérations.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Il y a donc de grandes différences entre les agences et vous-même.

M. Robert Ophèle. - En effet.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Nous sommes en pleine interrogation...

M. Robert del Picchia. - Les banques centrales vont noter, mais pourquoi leurs analyses inspireraient-elles plus confiance que celles des agences de notation ?

M. Robert Ophèle. - L'Eurosystème s'interroge en permanence sur notre rôle en la matière. Au démarrage de Union monétaire, seulement quatre pays avaient une activité de notation de leurs entreprises nationales. Une harmonisation ? La tentation aurait été forte de la réaliser par le bas. Nous ne pouvions en effet demander à toutes les banques centrales de noter leurs entreprises car le système est très coûteux et long à mettre en place. L'Eurosystème a alors été tenté d'abandonner toute référence à la notation par les banques centrales. Nous avons fait valoir qu'appuyer le refinancement du système bancaire sur les crédits effectivement donnés aux entreprises paraissait au moins aussi sûr que de l'accorder sur la base de titres complexes fabriqués par des ingénieurs financiers.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Les diagnostics sont-ils payants ?

M. Robert Ophèle. - Nous notons les entreprises sur la base des informations que nous collectons et à l'issue d'un dialogue avec le chef d'entreprise, qui connaît sa notation. Quand nous contrôlons un établissement bancaire, nous avons ainsi une idée précise de la qualité de son portefeuille de crédits aux entreprises. Le système bancaire paye pour avoir accès à ces notations qui ne sont pas publiques, et il fournit des informations. Nous ne notons pas les titres, mais la viabilité des entreprises à trois ans. En revanche, personne, dans la communauté des banques centrales ne note les banques ou les souverains. Si nous analysons la qualité de la signature de chaque établissement ou la solidité financière des Etats, le Conseil des gouverneurs de la BCE, interrogé par la Commission au début de l'année dernière, a jugé inopportun de les noter. Les banques centrales ne font pas crédit aux entreprises, mais aux banques ; de même, l'Eurosystème a acheté des titres portugais, espagnols, italiens... Avoir une activité publique de notation de souverains lorsqu'on est susceptible de détenir des titres de ces pays serait délicat. L'idée est donc moins de transformer les banques centrales en agences de notation, que de proposer une notation qui aide les entreprises et le système financier à avoir un accès plus facile au refinancement des banques centrales.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Pourquoi refuser de rendre publiques vos notations ? La Banque de France me semble insoupçonnable alors que les actionnaires des agences de notation détiennent des titres des sociétés qu'elles notent.

M. Robert del Picchia. - La transparence, c'est toujours mieux !

M. Robert Ophèle. - Noter, mais pour qui ? J'y insiste, nous notons des entreprises, non des titres. Derrière, c'est la notation des crédits qui est en cause. Sur les 260 000 entreprises que nous notons, combien émettent des titres ? A qui donc pourraient servir ces notations ? Pas aux investisseurs, en tous cas.

M. Robert del Picchia. - Les entreprises ont besoin d'asseoir leur crédibilité pour emprunter.

M. Robert Ophèle. - Les banques, comme toutes les parties intéressées, disposent de nos notations. Nous réfléchissons avec les parties prenantes de la place à l'utilisation de cette notation en cas de titrisation à partir de ces crédits. La publicité de nos notations de PME auprès du grand public pourrait avoir des effets pervers sur leur activité.

M. Robert del Picchia. - C'est ce que la Commission européenne demande.

M. Robert Ophèle. - Il y a une grande différence entre crédits et titres négociables sur des marchés, d'où notre réflexion sur la titrisation possible de ces crédits.

M. Charles Revet. - Au début de votre intervention, vous avez dit qu'il n'y aurait pas d'incidence sur la réglementation de la liquidité des banques. Pouvez-vous développer ?

Y a-t-il des différences entre les notations Banque de France et celles des agences de notation ? Sur quels critères notez-vous ?

Enfin, vous notez 260 000 entreprises, mais pas les banques alors qu'elles jouent un rôle économique majeur et parfois destructeur. N'avez-vous pas un devoir d'alerte envers l'Etat ?

M. Robert Ophèle. - La banque centrale souhaite savoir de quels fonds disposent les banques en cas de problème de liquidité. En France, nous tenons compte du caractère mobilisable des actifs. Un volet de Bâle III est consacré à la solvabilité et un autre à la liquidité, puisque la crise a surtout été due à un défaut de liquidité, comme l'a montré Northern Rock. Il a donc été prévu des ratios à court et à long termes pour déterminer une liquidité minimale des établissements. Je regrette que ces ratios ne tiennent pas compte des actifs mobilisables auprès des banques centrales. Cette possibilité n'a pas été retenue au niveau mondial car le refinancement direct des banques tient une place beaucoup moins importante dans le système nord-américain que chez nous : l'apport de liquidité par la FED aux Etats-Unis s'opère par des achats de titres et non pas par un refinancement des banques. Il a donc été décidé que le système bancaire devait couvrir ses besoins de liquidité sans avoir besoin du pompier banque centrale.

Je préside régulièrement au nom du Gouverneur les collèges de l'Autorité de Contrôle Prudentiel, et je puis vous assurer que nous surveillons de près la solidité du système bancaire, même si nous ne le notons pas. En cas de problème, nous demandons que des mesures appropriées soient prises. Tous les superviseurs du monde ont un système de rating interne afin de disposer d'indicateurs d'alerte. En revanche, il serait extraordinairement contreproductif de rendre publique notre notation.

Sur les 260 000 entreprises que nous notons, seulement quelques unes le sont également par les agences de notation. En général, la Banque de France est un peu plus favorable que les agences : elles notent les émissions de titre, nous nous prononçons sur la viabilité des entreprises à trois ans. Nous regardons d'abord l'équilibre financier, que nous pondérons ensuite par le secteur. Les agences, elles, regardent d'abord le secteur dans lequel travaille l'entreprise et, déterminent ensuite un intervalle de notation à l'intérieur duquel les entreprises évoluent. Or notre système de notation est moins cyclique que celui des agences, moins volatil.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Quels sont les rapports de la Banque de France avec les agences de notation ? La réglementation ne devrait-elle pas être différente entre le souverain et le non-souverain ? Enfin, il n'est pas logique que la note de la France ayant été dégradée, celle de grandes entreprises françaises l'ait été automatiquement.

M. Robert Ophèle. - La Banque de France n'a pas de relation directe avec les agences, contrairement à l'AMF. Pour ce qui est de l'Eurosystème, c'est la BCE qui, chaque année, examine la méthodologie et les résultats des notations des agences. Nous sommes sur une liste unique, un papier jugé éligible l'est n'importe où dans l'Eurosystème.

Pour le souverain, les choses sont différentes puisque les informations - rapports officiels, budgets, travaux du Parlement - sont facilement accessibles. Tel n'est pas le cas pour les entreprises pour lesquelles les sources d'informations sont plus rares. La notation des agences sur un souverain a bien évidemment des répercussions au-delà du souverain, sur les autres émetteurs. C'est pourquoi le régulateur européen des agences de notation, l'ESMA, doit être intransigeant.

M. François Fortassin. - Les agences de notation existent depuis longtemps et jusqu'à peu, on n'en parlait pas en dehors des milieux financiers. Pourquoi intéressent-elles aujourd'hui le café du commerce ?

Ne faudrait-il pas rappeler certaines vérités élémentaires ? Pourquoi faut-il être au moins à la commission des finances pour savoir ...

M. Charles Revet. - Tout le monde ne peut pas y être...

M. François Fortassin. - ...que la Grèce était insolvable alors que d'autres pays manquaient de liquidités. Or, on a assisté à un amalgame qui n'avait pas lieu d'être, si bien que l'opinion publique a eu le sentiment que la situation était catastrophique dans toute l'Europe.

M. Robert Ophèle. - La mondialisation de la finance explique sans doute la sensibilisation accrue aux notations. Deux tiers des titres étant détenus par des non-résidents, il faut les rassurer sur la qualité des signatures qu'ils ont acquises. En outre, l'ingénierie financière s'est développée, les montages financiers sont devenus très complexes, incompréhensibles pour des investisseurs même raisonnablement avertis. Pour toutes ces raisons, un jugement de tiers était indispensable. Enfin, nous avons tous besoin de faire de la pédagogie.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Pourquoi ne notez-vous pas les collectivités territoriales, alors qu'elles investissent beaucoup ? En outre, elles ont de plus en plus de mal à emprunter.

M. Robert Ophèle. - Une notation de qualité requiert un recul statistique d'au moins cinq ans. Jusqu'à ces derniers temps, Dexia avait une grande importance et elle dispose d'un système modèle interne interne reconnu par l'Eurosystème pour déterminer l'éligibilité de ses actifs.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Certes, mais je connais une commune de 61 habitants à qui Dexia a prêté 350 000 euros, si bien que tous les habitants sont partis.

M. François Fortassin. - Autre effet pervers, quand une banque refuse un crédit à une collectivité, celle-ci signe un PPP avec une entreprise privée ce qui, in fine, lui coûte plus cher.

M. Robert Ophèle. - Siégeant à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, je suis sensible à vos préoccupations.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Merci pour toutes ces informations utiles.

- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, présidente -

Audition de M. Steven Maijoor, président de l'Autorité européenne des marchés financiers

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - L'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), qui surveille désormais les agences de notation, a récemment rendu un rapport assez critique sur leur fonctionnement, soulignant en particulier que certaines agences se livraient à des notations sans disposer du personnel suffisant. Certains anciens membres de ces agences ont corroboré ces critiques, s'agissant des entreprises.

M. Steven Maijoor, président de l'Autorité européenne des marchés financiers. - Merci pour l'attention que vous portez à nos travaux. Je salue le travail de votre mission sur les agences de notations dont l'AEMF a la responsabilité au niveau de l'Union européenne, à la suite de CRD1 (conditions générales et organisation) et 2 (rôle des agences sur le marché). Depuis le 1er juillet 2011, l'AEMF est devenu l'organisation de surveillance exclusive des seize agences de notation dans l'Union européenne, comme le préconisait le rapport Larosière. En tant qu'organe de régulation de ces agences, nous disposons des outils nécessaires pour mener notre travail à bien. Nous pouvons demander des informations, conduire des inspections, prendre des mesures de surveillance et même infliger des amendes. Nous étudions la méthodologie des agences, pour qu'elle soit rigoureuse, continue et publique ; nous examinons en outre tout ce qui a trait aux conflits d'intérêts. Nous sommes là pour surveiller les agences et leurs systèmes internes de contrôle, non pour les noter ni pour nous prononcer sur les notations émises. Bien entendu, les agences les plus importantes à l'international se trouvent aux Etats-Unis et nous souhaiterions que les agences européennes puissent se développer à l'international.

Disposant désormais d'un système d'approbation officielle (endorsement), nous avons annoncé la 15 mars que les Etats-Unis, le Canada, Hong Kong et Singapour étaient désormais considérés comme disposant d'agences de notation aussi rigoureuses qu'en Europe. Nous essayons de conclure des accords de coopération avec l'Argentine, le Mexique et le Brésil.

En septembre, nous avons procédé à nos premières visites sur place auprès des big three et nous avons examiné leur fonctionnement afin de savoir si elles répondaient à nos exigences. Nous avons identifié un certain nombre de lacunes : les méthodologies doivent être plus transparentes, les décisions internes enregistrées et les fonctions de contrôle améliorées. Nous avons ensuite émis des recommandations aussi bien sur les ressources, que sur la rotation des personnes et des experts que nous avons identifiée comme une source de défaillance, ou encore sur les contrôles internes. Ces différentes fonctions, nous y avons insisté dans le rapport, sont à améliorer. Ce faisant, nous avons jeté les bases de l'activité de l'AEMF.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous avez souligné dans votre exposé, dont je vous remercie, les violations de la réglementation commises par les agences de la notation. Dans le même temps, vous reconnaissez la validité des notations délivrées par ces mêmes agences. Faut-il y voir une contradiction ?

M. Steven Maijoor. - Pas tout à fait, car il y a deux types d'évaluation. Pour l'approbation, l'on considère la qualité du système de surveillance et de réglementation des agences de notation ; nous vérifions alors que le système appliqué aux Etats-Unis est aussi efficace que le nôtre, que nous partageons les mêmes objectifs et le même niveau d'investigation. Je signale, qu'en cas de difficulté, il est prévu des échanges d'information avec leur organisme fédéral de contrôle des marchés financiers, la Securities and Exchange Commission. La seconde concerne le fonctionnement interne des agences de notation. Et, malgré la qualité du système de surveillance américain, il n'est pas exclu d'identifier une défaillance au sein d'une de leurs agences de notation.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Il y a donc reconnaissance des notations par les agences américaines en Europe. La réciproque est-elle vraie aux Etats-Unis ou à Singapour ?

M. Steven Maijoor. - Précisons : le fait d'avoir identifié certaines faiblesses ne signifie pas que nous ne reconnaissons pas les notes émises par ces agences en Europe. Dans l'hypothèse où nous serions préoccupés par la qualité d'une notation, des mesures sont possibles qui vont jusqu'à déclarer telle ou telle note inutilisable en Europe. Nous l'avons rappelé dans notre rapport public ; celui-ci, il faut le souligner, constituait un premier travail. D'autres mesures sont envisageables.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Le 10 novembre dernier, Standards & Poor's a délivré un message erroné sur la note de la France. Selon vous, quelle est la branche de l'agence en cause dans cette affaire, celle de Francfort ou celle de Londres ? Qui se charge de l'enquête ? Quelles sanctions sont envisageables ?

M. Steven Maijoor. - Il m'est impossible, en tant que président de l'autorité de surveillance, de me prononcer sur une affaire en cours. En revanche, je puis vous réaffirmer toute l'attention que nous lui portons. Nous travaillons sur ce dossier en liaison avec l'AMF, qui a lancé une enquête. De fait, si les abus de marché relèvent du niveau national, les questions relatives aux agences de notation et à leur système informatique relèvent de notre responsabilité.

De manière plus générale, les contrôles internes, en particulier ceux portant sur le système informatique, sont pour nous des éléments-clés de la surveillance. D'où la demande, que nous avons adressée aux trois grandes agences de notation, de mener une enquête approfondie sur ce point précis, depuis la création de la note jusqu'à sa publication sur le marché. Quant aux sanctions, elles vont de l'amende jusqu'à la suspension de la notation.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - En tant qu'autorité européenne, avez-vous la capacité de sanctionner une agence de notation qui, opérant depuis Londres, commettrait une erreur d'appréciation sur la situation française ? La question est importante, car il n'y a guère de frontières dans le domaine de la finance.

M. Steven Maijoor. - Je vais m'efforcer de mieux expliquer ce que nous faisons. La surveillance des agences de notation relève de l'entière responsabilité de l'AEMF, sauf dans des cas très particuliers. Par exemple, si un individu travaillant au sein d'une agence de notation viole le secret professionnel, l'enquête sera du ressort de l'autorité nationale.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Selon vous, quel doit être le rythme des notations : une fois par an ?

M. Steven Maijoor. - Notre responsabilité consiste à dire que la note, pour être qualitative, doit résulter d'une procédure très rigoureuse, une procédure qui tienne compte des développements économiques importants, systémiques et durables. Limiter les possibilités de publication amoindrirait la qualité de la note : les agences de notation seraient, encore plus qu'elles ne le sont aujourd'hui, en retard sur les marchés. En revanche, l'AEMF a le pouvoir d'enquêter si la publication d'une note a semblé intervenir à un moment particulièrement peu propice.

M. Charles Revet. - Les auditions, auxquelles a procédé notre mission, ont fait ressortir un fait : les procédures de notation sont très différentes selon les agences de notation. Y a-t-il des règles minimales que les agences doivent respecter pour noter Etats et entreprises ?

M. Steven Maijoor. - Notre objectif est de créer un cadre réglementaire plus strict pour assurer la qualité des notations. Pour ce faire, il importe d'introduire des contrôles internes adéquats aussi bien sur la création de la note que sur sa publication. Ceux-ci, par définition, limitent la capacité d'initiative personnelle afin que la note, c'est notre recommandation, ressorte de la responsabilité globale de l'agence de notation. Afin d'améliorer la fonction de contrôle interne, nous recommandons, entre autres, l'institution d'un comité de notation indépendant de l'analyste concerné et de la présence d'un administrateur indépendant, qui auront la charge de veiller à la qualité des notations et à la transmission des informations pertinentes. La qualité de la note doit dépendre de la structure, non de l'individu.

M. Charles Revet. - Certes, mais vous constatez vous-mêmes des lacunes. Avez-vous mis au point un cahier des charges ?

M. Steven Maijoor. - Tout à fait. D'après la réglementation en vigueur, sont nécessaires une fonction de compliance, pour éliminer le risque de non-conformité, et une fonction de contrôle interne telle que le conseil d'administration soit responsable des publications publiées. Sans proposer un modèle, nous insistons sur la note comme émanation de l'entreprise, je l'ai dit. Il y a des marges de manoeuvre dans ce domaine : après nos missions d'inspection, nous avons recommandé aux trois agences, exigé même, l'indépendance des membres des comités de notation ainsi que d'un administrateur.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Aucune agence n'avait prévu la déconfiture de Freddie Mac et Fannie Mae il y a quatre ans. Sommes-nous à l'abri d'une nouvelle crise des subprimes ? De nouvelles formes de titrisation sont-elles à l'oeuvre ?

M. Steven Maijoor. - Les agences, à cette époque, n'étaient pas réglementées, une erreur d'ailleurs très surprenante au vu de leur importance pour les marchés financiers. La piètre affaire à laquelle vous faites référence constitue un très mauvais chapitre de notre histoire financière. Même si une organisation de soixante-dix personnes à Paris n'apporte pas une garantie absolue, le cadre règlementaire a complètement changé en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, à Singapour et à Hong Kong.

Autre difficulté, des secteurs entiers du marché échappent à la surveillance : les produits dérivés, le gré à gré, le système de compensation entre banques... Tout cela change. Il faut, outre une réglementation des agences de notation, une surveillance plus globale des marchés. Ces améliorations sont-elles de nature à prévenir une nouvelle crise ? Difficile de l'affirmer ; en revanche, nous avons progressé.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Quelle est votre position sur les projets de régime de responsabilité des agences de notation ?

M. Steven Maijoor. - Le conseil de l'AEMF n'a pas pris position. A titre personnel, je pense qu'il existe une règle fondamentale : si le produit ou le service ne tient pas les promesses du vendeur, une demande de remboursement ou de compensation est fondée. Elle s'applique aussi pour des agences de notation qui se seraient rendues coupables de négligence. La notation étant un des éléments de la vie financière, établir un système de responsabilité raisonnable est nécessaire ; un régime trop lourd ferait fuir les investisseurs, un système sans responsabilité aucune n'est pas souhaitable non plus.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Après la crise des subprimes en 2007-2008, le bureau de la commission des finances s'est rendu aux Etats-Unis. A ma grande stupéfaction, nous nous sommes entendus dire à la SEC que toutes les précautions avaient été prises, qu'aucune responsabilité n'était engagée dans l'affaire Madoff. Un raisonnement qui dépasse l'entendement ! Autre explication avancée dans le cas d'Enron, les analyses étaient fausses parce que les informations transmises par l'entreprise l'étaient. Peut-on se satisfaire de ces explications ?

M. Steven Maijoor. - D'où l'importance des contrôles internes sur lesquels je viens d'insister et qu'il faut développer. Si ceux-ci ne sont pas respectés, l'agence est en défaut et peut être considérée responsable de la mauvaise qualité de la note. En revanche, si les informations sur lesquelles se fondent l'audit sont mensongères, nous sommes dans un autre cas. On peut imaginer d'autres situations dans le monde des audits. Si les analystes avaient eu accès aux bonnes informations concernant Enron, leur conclusion aurait été différente. Une méthodologie rigoureuse garantit la qualité du produit.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - La réponse des agences de notation est-elle acceptable ?

M. Steven Maijoor. - Je ne viens pas devant vous défendre telle ou telle agence, mon propos est d'insister sur la qualité de la méthodologie et l'indépendance. Les analystes n'étant pas des inspecteurs de police, ils n'ont pas le pouvoir d'enquêter sur la validité des données. Cependant, ils doivent s'assurer de leur qualité.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Quelle est l'articulation entre l'AEMF et les autorités nationales ?

M. Steven Maijoor. - Nous avons la responsabilité de la surveillance, je l'ai rappelé. Cela ne nous empêche pas de nous appuyer sur les autorités nationales, en particulier, lorsque nous rencontrons des problèmes de langue pour évaluer une petite agence de notation qui se situerait dans un pays européen non anglophone ou francophone. Il revient également aux autorités nationales de nous signaler d'éventuelles violations de nos règles. De fait, nos connaissances sont parfois insuffisantes pour identifier certains produits structurés.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Facturez-vous vos contrôles ?

M. Steven Maijoor. - Les agences de notation versent à l'AEMF une contribution fixe, qu'elles aient été ou non contrôlées.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Quel est son montant ?

M. Steven Maijoor. - La somme globale est de 3 millions d'euros, sachant que les trois grandes agences en versent 90 %.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - La notation n'est pas une prestation de service comme les autres. L'oligopole des trois grandes agences sur le marché de la notation ne fait-il pas obstacle à l'application de vos recommandations ? Vous paraît-il devoir perdurer ?

M. Steven Maijoor. - Personne ne peut être à l'aise avec l'idée d'un oligopole. Cela dit, pour mener des activités dans ce secteur très particulier de la notation, les sociétés doivent atteindre une taille critique pour prétendre à une reconnaissance internationale. La réputation est très importante. En outre, nous avons enregistré pas moins de 16 agences européennes et, dans les années à venir, la concurrence s'accroîtra avec l'arrivée des cabinets d'audits et de consulting sur ce marché.

Notre souci à nous, autorité de contrôle européenne, est surtout d'obtenir une meilleure prise en compte de l'intérêt public dans le travail de ces sociétés privées.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous avez évoqué un nouveau programme informatique pour détecter les éventuelles infractions des agences. A moins que la faute ne soit évidente, je ne comprends pas comment un tel outil identifiera les défaillances...

M. Steven Maijoor. - Nous disposons de différentes sortes d'outils informatiques. Nos principales sources d'information sont les inspections. Nous les concentrons sur les domaines que nous jugeons risqués. Le rapport confidentiel, qui accompagne notre rapport public, recense les risques et problèmes que nous avons identifiés au sein de certaines agences. A la charge de ces dernières, maintenant, de nous présenter des projets pour réduire ces risques.

Autre élément important pour l'information du public, notre site web recensera toutes les notations publiées depuis dix ans. Enfin, nous sommes en train de recueillir davantage d'informations auprès des agences de notation sur leur fonctionnement interne.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Je vous remercie.

Table ronde sur la pertinence du modèle et de la méthodologie des agences de notation

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Nous accueillons M. Adrian Blundell-Wignall, directeur-adjoint de la direction des affaires financières et des entreprises, conseiller spécial en charge des marchés financiers au cabinet du secrétaire général à l'OCDE ; M. Jacques Delpla, économiste à BNP-Paribas, membre du conseil d'analyse économique ; et, enfin, M. Paul Jorion, docteur en sciences sociales, ancien trader et chroniqueur au Monde économie.

M. Jacques Delpla. - Je suis très honoré de venir devant le Sénat. La crise des subprimes de 2007-2008 a représenté un Fukushima pour les agences de notation. Après ce test ultime, complet et systémique, pourquoi ne pas les avoir fermées ?

Après cette introduction, j'en viens au sujet de notre débat : les agences se sont-elles trompées concernant les dettes souveraines ? N'en déplaisent à nos hommes politiques, il faut leur reprocher d'avoir été en retard sur la crise, non de l'avoir précipitée. En somme, elles regardent dans le rétroviseur plutôt que vers l'avenir ; il faut donc les remplacer. L'exemple grec est éclairant : avec deux ans de recul, la crise apparaît liée à une trop forte dette publique, à une explosion des dépenses publiques et à une augmentation massive et déraisonnable de leur PIB nominal en décrochage avec la production réelle. Comme l'Irlande et la Grèce, et dans une moindre mesure le Portugal, la Grèce semblait avoir pris des anabolisants... Dès 2009, leur niveau de dette, nous le savions, était devenu insoutenable ; l'Union européenne aurait alors dû racheter l'intégralité de la dette grecque. La France était sur cette ligne, l'Allemagne s'y opposait au nom de l'aléa moral ; outre-Rhin, cette solution était également considérée contraire à la lettre et à l'esprit des traités européens, ce qui n'est pas tout à fait faux. En bref, la réaction des agences de notation a été trop lente. Dans ce cas, et contrairement aux phénomènes observés pour la crise des subprimes, nul conflit d'intérêt n'était à déplorer : les Etats ne paie pas les agences de notation pour noter leur dette souveraine.

Pourquoi le défaut souverain sera-t-il plus important que prévu dans la zone euro ? Reprenons le triangle d'impossibilité de Mundell : on ne peut avoir à la fois autonomie de la politique monétaire, taux de change fixes et liberté de circulation des capitaux. Raison pour laquelle nous avons renoncé à la liberté monétaire lors de la création de la zone euro. D'où un nouveau triangle des impossibilités en cas de dette excessive et de perte de compétitivité dans la zone euro : interdiction des dévaluations, prohibition de l'inflation et restructuration de la dette. En fait, pour résorber une dette publique excessive en situation de perte de compétitivité, il n'y a que les solutions suivantes : l'inflation et la dévaluation, solution adoptée par la France dans les années 1970 ; la répression financière que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis de Truman ont utilisée après 1945 pour sortir de la crise ; une forte croissance nominale - impossible en Grèce, en Espagne et au Portugal ; ajustement budgétaire pour faire baisser les taux d'intérêt - idée défendue par M. Trichet, qui est en réalité une histoire pour les petits enfants : le cas de la Suède dans les années 1990 n'est pas reproductible aujourd'hui dans les pays d'Europe du sud.

La diminution massive des déficits primaires constitue la solution mais le risque est d'en faire trop et trop brutalement, au point de contracter les bases fiscales sans réduire la dette. Il faut aussi prendre en compte le risque démocratique en se rappelant qu'Hitler n'est pas venu au pouvoir du fait de l'hyper-inflation de 1923 mais de la politique déflationniste de Brüning entre 1930 et 1932. En conséquence, c'est le défaut ou la restructuration. C'est déjà le cas pour la Grèce, cela devrait venir pour le Portugal, c'est de plus en plus pressant pour l'Espagne, une interrogation demeurant pour l'Italie. Or les agences de notation n'ont pas compris que cela était indispensable pour éviter un effondrement de l'euro ou la montée des extrémismes.

Je recommanderais, outre de balayer les agences actuelles, de créer une agence européenne non pas publique mais indépendante, sur le modèle des fondations universitaires ; ce qui, compte tenu des barrières à l'entrée, exige au départ une dotation des autorités de Bruxelles et nationales, les Etats s'abstenant ensuite de toute intervention. Il conviendrait surtout que soient placées à la tête de cette agence des personnes réellement compétentes, le capital humain des agences de notation étant globalement de mauvaise qualité ; on n'y trouve par exemple aucun économiste de renom. Il faudrait moins de diplômés des écoles de commerce et davantage d'experts, notamment titulaires de doctorats. Il conviendrait aussi d'élargir l'éventail des notes, à la fois en créant une note supérieure au triple A et en instituant plus de dégradés dans les notes de défaut.

Pour sortir de ces problèmes, je propose aussi de mettre en place en Europe un système reposant sur la distinction entre dette bleue et dette rouge.

M. Paul Jorion, docteur en sciences sociales, ancien trader, chroniqueur au Monde-Économie. - Sur la base de mon expérience au sein des entreprises clientes des agences ainsi que de banques californiennes émettrices de prêts hypothécaires, j'estime particulièrement difficile la tâche des agences -prévoir un risque de crédit associé à un instrument de dette- ce qui suppose une connaissance de l'avenir fondée sur le comportement de l'émetteur, alors même que les modèles utilisés sont de très mauvaise qualité, bien qu'acceptés dans la mesure où il n'en est pas de meilleurs. Pour certains instruments, on ne connaît pas de meilleure méthode que l'observation historique d'instruments comparables dans des circonstances similaires, tandis que les effets non linéaires sont difficiles à prévoir et que, pour certains produits comme les CDO, les méthodes utilisées n'offrent aucune robustesse. On ne peut se contenter de multiplier par quatre ou cinq le dernier risque observé...

Tout ceci, les agences le savent. On peut même assister, comme lors de la crise des start-up, à un effet boule de neige ou de prophétie autoréalisatrice, après que la détérioration de la notation d'Enron par une des agences a été intégrée par les autres comme facteur d'appréciation du risque.

La crise des subprimes a mis en lumière le fait qu'en tant qu'entreprises privées cherchant à accroître leur chiffre d'affaires, leur bénéfice et leur part de marché, les agences ont pu accepter de noter des produits pour lesquels elles savaient qu'aucune méthode ne s'appliquait. Les choses ont toutefois changé, Standard & Poor's ayant récemment refusé de noter un instrument de dette émis par General Motors -ce qui normalement aurait dû tuer le marché ; mais le gouvernement américain a, pour des raisons politiques, apporté sa garantie... Si la soumission à la logique de marchés a des effets délétères, la création d'agences publiques en aurait de pervers si les Etats font prévaloir des considérations de politique intérieure.

M. Adrian Blundell-Wignall, directeur-adjoint de la direction des affaires financières et des entreprises, conseiller spécial en charge des marchés financiers au cabinet du secrétaire général de l'OCDE. - Mes diverses expériences m'ayant permis d'aborder la question des agences de notation, à la fois du point de vue du secteur public et du secteur privé, il me semble aujourd'hui que celles-ci sont confrontées à cinq problèmes principaux.

Tout d'abord, il s'agit d'oligopoles naturels, du fait de la nécessité pour chaque agence de disposer d'une taille lui permettant d'évaluer plusieurs centaines de milliers d'émissions. Leurs notations sont utilisées par les organismes de tutelle, tels que le comité de Bâle ou la BCE, ainsi que dans les benchmarks des fonds d'investissement ou de pension. L'inflation des notes consécutives à l'arrivée de Fitch a d'ailleurs montré que l'arrivée d'un nouvel acteur de poids n'était pas sans poser de problèmes.

Ensuite, dans la mesure où il s'agit d'entreprises privées vendant un bien public, il est difficile d'éviter l'adoption de comportements opportunistes.

De plus, des conflits d'intérêts peuvent survenir dans la mesure où l'émetteur paye pour sa notation même si je n'estime pas, comme Paul Jorion, qu'il s'agisse de comportements délibérés. A quoi s'ajoute un manque de vigilance -on a pu noter un CDO assuré par un rehausseur de crédit sans se préoccuper de la qualité de ce dernier.

Se posent aussi des problèmes de méthodologie du fait notamment de l'existence de biais de linéarité, la prise en compte d'une centaine de facteurs aboutissant à noyer dans la masse ceux qui pourraient être décisifs à un instant donné.

Enfin, des questions se posent quant à la façon dont les notations sont utilisées par les marchés, la sous-estimation de la crise européenne en amont de celle-ci donnant ensuite lieu à des comportements d'accentuation du cycle. Notons toutefois qu'à propos de la dette souveraine de la Grèce, Standard & Poor's a surtout dégradé sa note entre mai et septembre 2011, soit avant l'augmentation du spread de taux avec l'Allemagne ; on peut considérer qu'elle a fait son travail quand il le fallait.

Si la loi américaine proscrit désormais toute référence aux notations dans la réglementation publique, demeure le problème des effets de seuil. En cas de dégradation d'un titre, les gestionnaires de fonds, du fait de leurs processus de benchmark, sont amenés à le vendre de façon massive. Pour y répondre, je recommande de mieux structurer le secteur. Les autorités de tutelle américaine et européenne ont déjà adopté des règlementations plus cohérentes et mieux coordonnées. Il conviendrait aussi de rendre publiques les notations passées, et de séparer, comme cela a été décidé en Europe et aux Etats-Unis, l'activité de notation de la vente de services annexes.

Ma recommandation principale est la création d'un nouveau modèle économique par la création d'une plateforme servant d'intermédiaire entre les émetteurs, qui verseraient une redevance sur la base d'un barème préétabli, et l'ensemble des agences, c'est à dire pas seulement les trois grandes, entre lesquelles le nouvel organisme répartirait les missions. Ceci devrait casser les liens malsains, générateurs de conflits d'intérêts.

M. Jacques Delpla. - Pourquoi a-t-on besoin des agences de notation ? Parce que des milliers de titres de dettes sont émis chaque année, dont les investisseurs n'ont pas les moyens d'apprécier eux-mêmes la qualité. Sans agence de notation, le marché financier ne pourrait plus fonctionner et l'on devrait se contenter d'un modèle bancaire dont on connaît les limites. Mais lorsqu'Adrian Blundell-Wignall dit que les barrières à l'entrée tiennent au besoin de crédibilité, je ne peux que rappeler que les trois grandes agences ont massivement failli. Que dirait-on si on maintenait en fonction les régulateurs après un accident nucléaire, au motif qu'ils sont là depuis quinze ans ?

Que faut-il ne pas faire ? Sans doute ce que propose Michel Barnier, à savoir interdire la notation des dettes souveraines des pays « en détresse », c'est à dire sous programme. La belle affaire ! Dans la mesure où le rating permet d'évaluer un risque, le supprimer serait la pire des choses. Voyez le cas grec : la crédibilité des responsables politiques européens, qui ont juré qu'il n'y aurait pas de défaut en Grèce avant de pressurer leurs banques pour en accepter un, est en lambeaux. Pire encore, alors que la dette souveraine pouvait auparavant être regardée comme une dette senior, en Grèce, les investisseurs normaux se retrouvent aujourd'hui au rang de junior 4, c'est à dire venant non seulement après le FMI et les Etats, ce qui peut se comprendre au regard de la théorie du pompier, mais aussi après la BCE, alors que cette dernière rachète la dette grecque sur le marché secondaire dans des conditions identiques à celles des autres investisseurs. Il y a des raisons politiques à tout cela, mais quand même... De surcroît, le gouvernement grec a annoncé que les fonds de pension de son pays seraient remboursés de leurs pertes dans les trois ans à venir. Comment dans ce contexte annoncer que l'on ne notera plus les États en détresse ?

M. Paul Jorion.- Tout le monde est conscient du travail important et difficile qu'accomplissent les agences ; personne ne peut imaginer qu'il soit le fait de chaque émetteur.

Alors qu'elles délivrent un service de type public, les agences sont soumises à la pression excessive de leurs actionnaires, comme le sont plus généralement les entreprises dans le système capitaliste. De surcroît, on leur demande de disposer d'une connaissance supérieure à celle des experts des différents domaines, voire d'adopter des méthodologies différentes de celles appliquées au sein des banques centrales, du FMI ou de la banque mondiale. Celles de l'establishment ne sont pas nécessairement les meilleures ; mais on voit mal comment elles auraient pu jusqu'à maintenant faire autrement.

Comme nous le rappelle « l'effet falaise », notre capacité à prévoir l'avenir en termes de cycles économiques ou de destin individuel des entreprises est très limitée du fait notamment du décalage entre connaissance réelle de l'évolution économique et modèles théoriques. Il y a même des modèles dont on sait qu'ils sont faux, tels que celui de Black & Scholes pour le pricing des options, que l'on se contente d'adapter arbitrairement. L'acceptation de modèles faux est une maladie endémique ; on ne peut reprocher aux agences d'en être atteintes.

Lorsqu'un produit ne peut pas être évalué, il faudrait en interdire la commercialisation. Nonobstant les mesures consistant, après avoir songé à démanteler les entreprises présentant un risque systémique, à augmenter les provisions prévues dans le cadre de Bâle III, si de telles mesures d'interdiction ne sont pas prises, les crises que nous avons connues se reproduiront.

M. Charles Revet. - Hors des cercles de spécialistes, nombreux sont ceux qui ont découvert l'existence des agences de notation à l'occasion de la crise. Lorsque M. Delpla propose la suppression des trois grandes agences, en évalue-t-il les conséquences ? Un baromètre étant nécessaire, comment remettre ensuite en place un système régulateur indépendant et non commandité par les émetteurs ?

M. Jacques Delpla. - Je n'ai pas appelé à détruire le thermomètre. Je pense qu'il est déjà cassé. Les dirigeants européens ont été complaisants, ils protestent mais ils ne font rien. On ne peut pas garder ceux qui se sont autant trompés, dont le capital humain et la méthodologie sont si pauvres, les regards si partiels. Je propose le modèle de la fondation indépendante, pourvue de personnels compétents et crédibles. L'idée d'une plateforme, comme le suggère M. Blundell-Wignall, est excellente. En effet, les agences sont esclaves de leurs maîtres, ces derniers étant parfois moins les émetteurs des titres que les banques qui servent d'intermédiaires... Il faudrait d'ailleurs interdire pendant un certain délai aux salariés d'une agence de travailler dans une banque...

M. François Fortassin. - Quelle place ces agences accordent-elles au facteur humain lié aux pertes d'emplois ou de matière grise ? Les conséquences de difficultés chez Airbus, par exemple, sont sans commune mesure avec celles d'une fabrique de casseroles...

M. Adrian Blundell-Wignall. - La fonction des agences est uniquement d'évaluer la solvabilité de l'emprunteur. Les questions que vous évoquez sont affaire de politique économique.

M. Jacques Delpla. - Elles évaluent la probabilité de défaut, rien d'autre.

M. Paul Jorion.- On peut reprocher aux agences de considérer une entreprise en particulier sans avoir une vision d'ensemble du secteur. C'est pour cette raison, par exemple, que mes prévisions sur la situation du secteur de l'immobilier résidentiel aux Etats-Unis étaient meilleures que celles des agences. On commence à y réfléchir dans la zone euro. Il ne faut pas perdre de vue que les États, à la différence des entreprises, ne paient pas les agences.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Monsieur Blundell-Wignall, vous proposez une nouvelle méthode de rémunération ; êtes-vous favorable à la transparence des prix comme c'est le cas pour un audit ?

M. Adrian Blundell-Wignall. - La transparence est un élément très important. De même que la plateforme proposée devrait être transparente, les méthodes des agences devront l'être, faute de quoi, les entreprises iront vers celles qui leur donneront les plus jolies notes...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Les erreurs commises par les agences posent le problème de leur compétence et de leur indépendance. Problème de compétence du fait de l'absence d'approche intégrée, les conditions de la prise de décision étant quant à elles assez floues puisqu'on se contente parfois d'évoquer des conférences téléphoniques. Problème d'indépendance aussi car, même si, à écouter M. Delpla, il n'y a pas eu de conflits d'intérêts à propos de la Grèce puisque les agences n'étaient pas rémunérées par l'Etat, les objectifs commerciaux de ces sociétés sont totalement incompatibles avec le caractère de bien public de la notation. Au vu de la place prise par les considérations de marketing ou de publicité, je ne vois pas où est l'indépendance ! Au final, ça fait beaucoup !

Je suis pour ma part très intéressée par l'idée de créer un intermédiaire entre les émetteurs et les agences.

M. Jean-Pierre Leleux. - Je pense comme M. Delpla qu'il faut repartir sur de nouvelles bases.

Quant aux critères des agences - cela vaut pour les entrants comme pour les historiques -, les considérations liées à l'innovation des entreprises, à leur politique sociale ou au respect de l'environnement devraient être prises en compte, qui sont aussi signes de bonne santé.

Compte tenu de la prédominance des agences américaines, on a évoqué l'idée d'une agence européenne ou même euro-méditerranéenne. Celle-ci pourrait-elle être créée par les grands assureurs européens, par exemple ?

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Comme M. Delpla, je serais plutôt pour en finir avec les agences actuelles, qui se sont beaucoup trompées... Je suis très étonné de voir qu'en dépit de leurs erreurs, leur chiffre d'affaires continue d'augmenter et que leurs marges sont toujours aussi confortables.

Ne faudrait-il pas distinguer les agences qui notent les entreprises de celles qui évaluent les États, en créant pour ces derniers une sorte d'AIEA, capable de tirer la sonnette d'alarme si nécessaire ?

M. Paul Jorion.- Je ne crois pas que la solution soit la création de nouvelles agences. Nous sommes face à des questions de fond et non de concurrence. La proposition de plateforme contredit la logique de marché dans laquelle elle s'inscrit.

Dans la mesure où les agences délivrent un service de nature publique, il faut les placer hors de cette logique de marché et mettre fin à un fonctionnement fondé sur le secret commercial et sur la nécessité de rendre compte à des actionnaires. Sinon, quelle transparence peut-on attendre ? Peut-on confier l'évaluation des risques systémiques à des entreprises suivant une logique de profit ? Le comportement de Goldman Sachs, qui a sciemment parié sur l'effondrement du système, montre que non.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Il semble que vous n'adhériez pas à l'idée d'une sorte d'AIEA de la notation. Lorsque Goldman Sachs a « bidouillé » les comptes de la Grèce, une telle agence aurait pu tirer la sonnette d'alarme. Qu'en est-il d'ailleurs des liens entre les agences et les banques ?

M. Paul Jorion.- A propos de Goldman Sachs, j'évoquais l'affaire des CDO synthétiques et non le cas de la Grèce ; dans celui-ci, les politiques, qui savaient, ont fermé les yeux ; Eurostat les avait alertés. L'important était de permettre l'entrée de la Grèce dans la zone euro.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Mais l'AIEA est indépendante et lorsqu'un problème survient, tout le monde en est informé.

M. Jacques Delpla. - Il me faut bien critiquer les États, à commencer par la France. Bruxelles a proposé la création d'une forme d'AIEA financière consistant, suivant l'exemple suédois initié par l'économiste Lars Calmfors, en des comités budgétaires indépendants dans chacun des pays, recueillant les prévisions du gouvernement et du Parlement et procédant à leur évaluation. La France a mis son véto - l'actuel gouvernement est d'ailleurs suivi sur ce point par l'opposition.

M. François Fortassin. - Pourquoi cette opposition?

M. Jacques Delpla. - Officiellement, nous sommes tellement bons que nous n'avons pas besoin de ce comité. Officieusement, chacun sait que sur ces questions nous ne sommes pas au clair ; nous serions même plutôt moins bons que les autres...

Les Etats sont aussi responsables : avec les différentes réglementations bancaires et assurantielles récentes ils ont « cocooné » l'épargnant au point qu'il n'y a presque plus de risques... Les émetteurs en viennent à imaginer tous les montages possibles pour rendre les dettes plus attrayantes. En Europe continentale, il n'y a ainsi plus d'acheteurs de dettes risquées.

Comme Mme Des Esgaulx, je constate des manques de compétence et d'indépendance. Mais connaissez-vous quelqu'un qui travaille dans une des ces agences ? C'est la « Firme » ! On est indépendant quand on a une réputation à préserver ; or les personnels des agences rêvent tous de pantoufler dans une banque... Il faut qu'au sein des conseils des agences siègent de grands économistes internationaux.

M. Adrian Blundell-Wignall. - Je reviens à l'idée de la plateforme. Elle permettrait d'apporter une solution au problème du suivisme, dans la mesure où les dossiers seraient attribués aux agences en fonction de leurs performances. La plateforme permettrait aussi de changer les relations entre les agences et les banques ; on sait qu'aujourd'hui des agences disposent de bureaux au sein de certains établissements bancaires - je pense aux liens entre Moody's et Citibank.

Quant aux critères environnementaux ou plus généraux, ils sont bien sûr pris en compte par les agences car le non respect des normes environnementales peut menacer directement l'activité des entreprises.

La création d'une agence publique en charge des dettes souveraines serait pire que tout. Faut-il vraiment tuer le messager ? Imagine-t-on l'Allemagne, principal contributeur budgétaire de l'Europe, accepter qu'une telle agence dégrade la note d'un pays en difficulté ? Ce rôle ne pourrait pas non plus être joué par l'OCDE qui a seulement les moyens de procéder à des notations pour les crédits à l'exportation, ni par le FMI dans la mesure où ses interventions l'amènent à aller au devant de l'aléa moral le plus total. Cette agence doit être privée et, si je suis d'accord avec beaucoup des arguments avancés par M. Jorion, je ne partage pas son idée selon laquelle la plateforme serait en contradiction avec la logique de marché. Prenez les autorités boursières : elles peuvent suspendre une cotation en cas de problème... La création d'une plateforme briserait l'oligopole sans perturber la concurrence.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous faîtes un procès d'intention à la proposition d' « AIEA de notation » ; l'AIEA regroupe des experts de différents Etats qui, bien que n'étant pas sans lien avec les acteurs de leur pays d'origine, parviennent tout à fait à s'en abstraire pour exprimer des avis objectifs.

M. Adrian Blundell-Wignall. - Il ne faut pas d'agence publique, c'est une question de crédibilité ; nous parlons ici de produits d'expérience, de biens publics. Le système bancaire européen est malade ; on n'entend pourtant jamais les représentants des autorités nationales à l'OCDE, au FMI ou au FESF reconnaître que les banques de leur pays ont des problèmes. Madame Lagarde a d'ailleurs complètement changé de discours sur ce sujet en passant de Bercy au FMI. Beaucoup d'établissements financiers ont été insolvables pendant la crise. Trouvez-vous que tout cela est clair ?

M. Jacques Delpla. - Une agence de notation européenne publique n'aurait aucune crédibilité. A la différence de l'AIEA, que les intervenants sur le marché des matières premières prennent peu en considération, les agences de notation ont pour raison d'être de convaincre les acheteurs. Personne ne croira une agence liée, d'une façon ou d'une autre, aux Trésors nationaux. Dès son arrivée en Grèce, M. Junker a indiqué qu'il fallait commencer par une décote massive de la dette avant de réformer - et tous les Etats étaient contre...

La proposition sur la table à Bruxelles, qui est reprise par l'OCDE dans un rapport publié ce matin, consiste en la mise en place de comités budgétaires indépendants. La France est contre. Mon idée est de créer une sorte de fondation bénéficiant de dotations publiques, après le versement desquelles les Trésors nationaux jetteraient la clé dans la rivière...

Une entreprise privée, le cabinet Roland Berger, tente actuellement de constituer une agence de notation mais elle ne marche visiblement pas très bien, confrontée à des problèmes de taille et de financement.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Nous disons des choses qui ne sont pas très différentes.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Je vous remercie.

Mercredi 28 mars 2012

- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, présidente -

Table ronde sur le financement du secteur public local

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Nous accueillons M. Claude Dilain, sénateur, conseiller général de Seine-Saint-Denis, ancien maire de Clichy-sous-Bois, M. Vincent Berjot, directeur des finances de la ville de Paris, et M. Dominique Vanon, directeur général adjoint en charge des ressources, des infrastructures et du patrimoine au conseil général de la Meuse.

Quelle est, messieurs, votre expérience des agences de notation ?

M. Claude Dilain, sénateur, conseiller général de Seine-Seine-Denis, ancien maire de Clichy-sous-Bois. - Je m'exprimerai en tant qu'ancien maire de Clichy-sous-Bois. Notre rapport avec les agences de notation a été très singulier. Nous avons demandé à être notés dans la croisade que nous menions pour une meilleure péréquation entre villes. De fait, on nous disait souvent, même si cela n'était pas explicite, que notre pauvreté était liée à une mauvaise gestion. Pour démontrer qu'elle était structurelle, nous avons sollicité l'agence Moody's qui nous a notés en 2008, 2009 et 2010. À la surprise de tous, nous avons obtenu la note des États-Unis : AA+ ! Bien sûr, cela nous a permis d'emprunter à de meilleurs taux, mais cela -car nous recourons peu à l'endettement, et certaines années pas du tout- n'était pas la principale motivation.

M. Vincent Berjot, directeur des finances de la ville de Paris. - Depuis plusieurs années, Paris se finance sur les marchés obligataires ; notre expérience est donc très différente de celle de Clichy-sous-Bois. L'année 2011 a été assez particulière : en raison du contexte national, nous avons eu des relations très régulières avec les agences de notation ; l'objectif étant de montrer qu'une dégradation nationale ne devait pas forcément avoir d'impact sur une collectivité locale.

M. Dominique Vanon, directeur général adjoint en charge des ressources, des infrastructures et du patrimoine au conseil général de la Meuse. - La Meuse se trouve dans une situation intermédiaire. La notation a commencé en 1992 ; après une année d'interruption en 2006-2007, elle a été réactivée en 2008. Nous étions alors en grande difficulté financière. Nos élus ont donc voulu, en sus du regard de la Chambre régionale des comptes, bénéficier de celui des agences de notation.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Favorable à la péréquation, je sais aussi que la qualité de la gestion intervient. Pour revenir sur les propos de M. Dilain, je suis surpris que vous ne vous soyez pas appuyés sur votre statut de « bon élève » pour emprunter dans des conditions très intéressantes. Toutes les collectivités locales le font.

M. Claude Dilain. - J'ai été élu en 1995. La ville était alors dans une situation financière dramatique, nous en étions au dépôt de bilan. Le préfet n'avait même pas validé le budget de mon prédécesseur, ni équilibré, ni sincère. À l'endettement de la ville, il fallait ajouter celui de deux sociétés d'économie mixte dont nous étions actionnaires à 80 %. En sus, il fallait répondre à la demande des habitants, qui sont très pauvres.

Grâce à notre travail politique, qui n'était pas simple, nous avons réussi à remettre de l'ordre. Après ce programme de réparation, qui est aujourd'hui clos, mon successeur peut maintenant lancer un programme d'investissement en se fondant, le cas échéant, sur l'emprunt.

M. Jean-Pierre Caffet. - Au moment où Clichy-sous-Bois s'apprête donc à revenir à l'emprunt, pourquoi ne recourt-elle pas aux agences de notation ? Il y a là un paradoxe.

M. Claude Dilain. - Chat échaudé craint l'eau froide... La vile empruntera peut-être, mais dans des conditions raisonnables pour ne pas retomber dans les mêmes ornières.

En outre, nous avons cessé la notation en raison du discours politique sur les agences de notation. Certaines « collectivités amies » ont souffert.

M. Jean-Pierre Caffet. - Le recours aux agences de notation a-t-il permis de faire avancer la péréquation ?

M. Claude Dilain. - Peu... Autre point, il faut payer pour être noté. L'an dernier, sans que nous n'ayons rien demandé, le magazine Challenge a établi un classement des villes de Seine-Saint-Denis. Ma ville a obtenu la meilleure note ! Les retombées médiatiques, dans ce cas, ont été nombreuses.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Pourquoi Moody's ? Et pour quel coût ?

M. Claude Dilain. - Nous avons procédé à un appel d'offres. Le coût était de 15 000 euros. Une équipe de Moody's s'est déplacée pendant plusieurs jours et a travaillé plusieurs semaines. Nous ne pensions pas obtenir une telle note !

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Et à Paris ?

M. Vincent Berjot. - Nous sommes notés par Fitch et Standard & Poor's. Le coût est composé d'une part forfaitaire de l'ordre de 30 000 à 60 000 euros et d'une part sur les émissions (de 30 000 à 50 000 euros par agence pour une émission de 500 millions d'euros), soit 150 000 euros par an pour des économies de l'ordre de 60 millions d'euros sur quinze ans.

M. Christian Favier. - Quels sont les critères des agences de notation ?

M. Dominique Vanon. - Nous avons sélectionné Standard & Poor's à Paris par appel d'offres également. Un point de base environ, voilà le coût de la notation. Nous avons intérêt à cette démarche qui complète les audits à la pièce de la chambre régionale des comptes. De fait, les agences de notation s'intéressent davantage aux process, à la situation politique et aux interactions entre l'exécutif local et l'administration.

M. Jean-Pierre Caffet. - Vous tirez donc un intérêt du recours à la notation. Un gain d'un point de base sur les émissions, cela représente 5 millions d'euros d'économies par an pour Paris ! Quels sont les autres avantages ? Cela vous permet-il d'améliorer la gestion des collectivités ?

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Juste ! En tirez-vous une meilleure connaissance des finances de vos villes ? Est-ce l'équivalent de consultants ?

Dans mon département, le Gers, la commune de Golfech, très riche en raison de la présence d'une centrale nucléaire, se paie une piscine olympique chauffée...

M. Jean-Pierre Caffet et M. Claude Dilain. - Il faut de la péréquation !

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Oui, je suis pour la péréquation ! Mais pourquoi la note des collectivités locales est-elle alignée sur celle des Etats ?

M. Vincent Berjot. - Effectivement ! Nous avons beaucoup débattu de cette question avec les agences de notation, sans grand succès car elles considèrent que les collectivités françaises, contrairement aux espagnoles ou allemandes, sont très liées financièrement à l'État. Lequel contribue pour une part importante à leurs finances par ses dotations et ne se porte pas garant pour autant de façon automatique en cas de défaut.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx - Les agences de notation tiennent le même discours sur les grandes entreprises ; ce n'est pas cohérent ! Il y a là un vrai problème dans l'attitude des agences de notation.

M. Dominique Vanon. - Le court terme est très tendu actuellement ; or il est important pour le financement. D'où l'intérêt de la notation.

Les agences de notation ne sont pas des consultants, elles le rappellent toujours. En tant qu'auditeurs, elles demandent de nombreux documents et un investissement de 30 jours environ la première année, puis de dix jours en régime de croisière.

Le rapport à l'État ? Avant la réforme de la taxe professionnelle, notre autonomie financière était de 34 % ; elle est tombée à 17 %.

M. Dominique de Legge. - L'État est, certes, pourvoyeur des collectivités locales. Pour être complet, il faudrait aussi tenir compte de la capacité des habitants à payer. Les agences de notation le font-elles ?

M. Dominique Vanon. - Parmi leurs premiers critères, il y a effectivement le revenu par habitant.

M. Vincent Berjot. - L'environnement économique est leur point important : le chômage, le taux de création des entreprises.

Ensuite, les agences de notation avaient fait oeuvre de pédagogie ; si la note nationale est dégradée, celle des collectivités locales le sera aussi, avaient-elles prévenu. Cela dit, la note intrinsèque de Paris est restée stable. Il y a peut-être là un problème de méthodologie...

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. -Votre objectif est-il celui d'améliorer la gestion ou d'obtenir la meilleure note ?

M. Claude Dilain. - Les deux !

M. Vincent Berjot. - Notre premier objectif est la bonne gestion, quoique notre note soit automatiquement dégradée si celle de l'État l'est.

M. Dominique Vanon. - Question essentielle ! Vous faut-il modifier une politique publique pour obtenir une meilleure note ? Nous portons désormais un regard différent sur les agences de notation ; celles-ci n'ont pas le même objectif que les collectivités locales. Pour résorber une dette et obtenir AA+, cela est simple, il faut cesser l'investissement. Voulons-nous en arriver là ?

M. Claude Dilain. - Très juste ! Certains sont même allés jusqu'à dire, dans le débat, qu'une bonne note est le reflet d'une ville gérée par un mauvais maire, un maire qui n'investirait pas. En fait, il faut naviguer entre les deux. On ne peut pas piloter l'oeil rivé sur les rentrées financières, ni les dégrader, pour ne pas insulter l'avenir.

M. Vincent Berjot. - Oui, cela n'aurait pas de sens.

Le maire a un programme de mandature et des politiques à mener.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Je serai plus radical : les objectifs du maire et ceux des agences de notation sont différents. L'idéal est de répondre aux demandes des citoyens tout en satisfaisant aux critères des agences de notation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Maire d'une petite ville de 20 000 habitants, me financer sur le marché obligataire me semble une affaire compliquée. Quelle est la difficulté réelle d'accéder à ces marchés ? Faut-il un staff très technique pour se lancer dans cette aventure ?

M. Vincent Berjot. - La notation n'est pas une obligation juridique pour aller sur les marchés obligataires. C'est une pratique pour se faire connaître auprès des investisseurs. L'aventure est intéressante à partir d'un certain volume d'émissions.

Reste le financement bancaire. L'an dernier, la Caisse des dépôts et consignations a débloqué des crédits car les nouveaux instruments, la joint venture de La Poste et de la Caisse des dépôts et consignations, entre autres, ne sont pas encore opérationnels.

M. Claude Dilain. - Clichy-sous-Bois s'est financé une fois sur le marché obligataire, au sein d'un pool où nous étions aux côtés de collectivités prestigieuses. Compte tenu des difficultés de trésorerie, de l'assèchement du crédit et des critères de Bâle III, les grosses collectivités devront se tourner vers les marchés plutôt que vers les banques. En revanche, je n'ai pas le sentiment que cela coûte moins cher.

M. Vincent Berjot. - Tout dépend du volume : Paris emprunte 350 millions d'euros environ par an. Nous ne pourrions pas emprunter autant aux banques actuellement. Les conditions de taux du marché obligataire nous sont plus favorables.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Que pensez-vous de l'agence de financement des collectivités locales ?

M. Dominique Vanon. - Il y a des cas différents : les collectivités locales peuvent s'associer en un véhicule, ce qui est plus lisible pour les investisseurs. La Meuse, bon an mal an, empruntait 15 à 20 millions d'euros ; cette année, 5 millions d'euros. D'où l'intérêt d'un véhicule pour agréger les demandes, qui est plus intéressant pour le court terme et moins cher vu les marges bancaires.

M. Dominique de Legge. - Si la grille de lecture -la note- est identique, les propositions ne sont-elles pas toutes semblables ?

M. Vincent Berjot. - Il y a un jeu de négociation en fonction de la rencontre de l'offre et de la demande. Nos taux sont très liés à ceux de l'État français et aux obligations assimilables du Trésor. Donc tout dépend de l'attitude des marchés envers la France à l'instant « t ».

M. Dominique Vanon. - En 2007-2008, quand nous étions dans le trou, aucune banque ne venait nous voir, sinon Dexia -mais c'est un autre problème. Depuis la notation, elles reviennent. Ce sont désormais elles qui demandent des rendez-vous. La notation devient le principal outil de lecture car le centre de décisions est désormais non régional, mais national.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - L'agence de financement des collectivités territoriales, il faudra aussi qu'elle soit notée ? Comment faire pour qu'elle obtienne une bonne note ?

M. Vincent Berjot. - J'ai peu suivi ce sujet, je ne puis vous répondre.

Table ronde sur le financement des entreprises sur les marchés obligataires

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Nous accueillons maintenant MM. Bertrand Badré, directeur financier du groupe Société générale, Ross McInnes, directeur général délégué en charge des finances du groupe Safran et Hervé Philippe, directeur général délégué et chief financial officer du groupe Havas, que je remercie d'être présents parmi nous.

M. Bertrand Badré, directeur financier du groupe Société générale. - Comme directeur financier du groupe Crédit agricole de 2007 à 2011 et dans mes fonctions actuelles, j'ai eu des relations diverses et variées avec les agences de notation. Je serai heureux d'en parler.

M. Ross McInnes, directeur général délégué en charge des finances du groupe Safran. - Le groupe Safran ne recourt pas aux agences de notation, contrairement aux groupes Thalès et Beghin-Say pour lesquels j'ai travaillé auparavant. Je sais donc les avantages et les contraintes de la notation.

M. Hervé Philippe, directeur général délégué et chief financial officer du groupe Havas. - Nous avons fait certaines opérations sur le marché obligataire. Je vous expliquerai pourquoi nous n'avons pas eu davantage recours aux agences de notation, même si nous ne l'excluons pas à l'avenir.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Comment vivez-vous la notation des entreprises ? Êtes-vous satisfaits des agences de notation ?

M. Bertrand Badré. - Je suis sans doute de nous trois le plus grand utilisateur des agences de notation. Celles-ci sont indispensables. Elles ont une utilité indéniable et répondent à un besoin même si le système tel qu'en partie dévoyé lors de la crise des subprimes est déséquilibré.

Travaillant pour un groupe coté, je ne saurais être hostile au marché. Cela dit, les agences de notation sont des entreprises à but lucratif, ce qui explique une partie des dévoiements constatés. En outre, les mesures d'économies au quotidien signifient que de moins en moins d'analystes déterminent leur notation de plus en plus rapidement.

La relation est déséquilibrée en raison du développement du marché, et d'une déresponsabilisation collective : tous, collectivement, nous nous sommes réfugiés, de la Banque centrale européenne au petit investisseur, derrière le confort d'une « opinion » donnée par une tiers peu évalué.

Il faut retrouver un équilibre dans le contexte d'une crise unique, qui force chacun, y compris les agences de notation, à s'adapter.

Leur méthodologie qui est un élément clé dans cette crise n'est pas stable. Trop souvent, et de plus en plus, parce qu'elles sont soumises à diverses pressions, nous ne connaissons pas la manière dont s'opèrent les contrôles que nous subissons. Exemple : Moody's a dégradé brusquement au début de l'année la notation de 114 banques européennes. Ce n'est pas anodin. Outre la notation de long terme, il y a la notation de court terme. Une vingtaine de banques sur 40 grandes peuvent passer de P1 à P2, ce qui posera un problème structurel d'accès au financement de court terme.

Sans être adepte de la théorie du complot, il y a un biais anglo-saxon très clair : leur approche est fondée sur les normes de la comptabilité d'outre-Atlantique.

Leur rôle procyclique devrait les obliger à une plus grande responsabilité.

La profession réfléchit aux agences de notation. Elles se sont construit de formidables barrières à l'entrée. Les Chinois ont essayé d'entrer sur le marché, ce n'est pas évident. De plus en plus, les agences de notation ont accès à des informations confidentielles, de la même manière que les commissaires aux comptes qui sont, eux, une profession réglementée. Entre autres données, on peut penser aux stress tests qui ne sont pas publiés ou aux refinancements auprès de la BCE. C'est en soi une barrière à l'entrée.

Cela dit, les agences de notation sont un élément structurant dans le financement des banques, donc de notre économie.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Quel paradoxe ! Vous êtes un peu schizophrène : le thermomètre est irresponsable, dites-vous, mais donnerait de la fièvre au malade. Pourquoi ont-elles seules accès à des informations confidentielles ? L'intérêt du marché n'est-il pas de multiplier le nombre des agences ?

Ne faut-il distinguer les agences de notation qui notent les entreprises de celles qui notent les États ? De fait, l'objectif d'une entreprise est le profit, ce n'est pas celui des collectivités ou de l'État.

N'y a-t-il pas une possibilité de conflit d'intérêt ? Une agence de notation qui dégrade un État ne change pas l'univers. Mais l'intérêt payé aux banques va augmenter. Peut-il y avoir connivence ?

M. Jean-Pierre Caffet. - Vous nous expliquez que les agences de notation sont indispensables. Or nous avons ici deux entreprises de grande taille qui n'y ont pas recours ! Sont-elles si indispensables ? Rencontrez-vous les mêmes problèmes de financement ?

M. Bertrand Badré. - Non.

M. Jean-Pierre Caffet. - Pourquoi vous en passez-vous ? Doit-on y avoir recours ?

M. Bertrand Badré. - Une banque emprunte tous les jours des milliards, contrairement à l'entreprise. Une banque est plus proche d'un État par le volume de l'endettement.

Bien sûr, il y a une forme de schizophrénie. L'évaluation par des tiers occupe tout le paysage, le thermomètre doit rester à sa place, être étalonné selon des méthodes connues pour retrouver la valeur qu'il a perdue.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. -Tout de même ! Les agences de notation n'ont pas hurlé avant la déconfiture de Lehman Brothers. Le silence fut-il de la pudeur ou de l'ignorance ?

M. Bertrand Badré. - Trois jours avant la faillite de Lehman Brothers, je rencontrais le président de Stantard & Poor's. « Il faudra expliquer à quoi vous servez » lui avais-je dit. Nous y sommes toujours. Je n'ai pas, moi, la réponse. Le lanceur d'alerte extérieur ne doit pas être seul.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - C'était le début d'une catastrophe planétaire. Elle n'a pas été perçue en temps utile. Il est incompréhensible que les agences n'aient pas tiré la sonnette d'alarme. À moins qu'elles n'aient fait preuve de cynisme.

M. Bertrand Badré. - Il n'y a pas que les agences de notation ; il y a eu aussi les régulateurs américains, trop nombreux, entre lesquels les banques se sont faufilées. Sans parler des fraudes chez Lehman Brothers.

Sur la Grèce, on a dit que l'Europe savait, mais elle n'a rien dit ! Les agences de notation ne sont pas seules responsables

M. Ross McInnes. - Une entreprise, pour des raisons structurelles, a recours à la dette de manière plus modeste que les États. L'endettement de Safran, avec un chiffre d'affaires de 13-14 milliards d'euros, est de l'ordre de 1 milliard.

La notation résulte de la désintermédiation. Les entreprises européennes, qui ont davantage recours au financement bancaire que les entreprises anglo-saxonnes, doivent diversifier leurs sources de financement, comme l'État et les collectivités locales. Or quand on se soumet au marché, qui est moins cher, il faut accepter le jugement d'autrui, celui des agences de notation.

Safran n'y a pas recours pour une raison très pratique : nous émettons des obligations de long terme seulement tous les deux à trois ans. Notre position est d'aller voir les investisseurs institutionnels aux États-Unis sans passer par le truchement d'une agence de notation. Car ces investisseurs ont leurs ressources pour analyser notre crédit.

Un émetteur avec un volume très important et répété doit, lui, passer sous les fourches caudines des agences de notation. Il n'est pas exclu que nous y recourions un jour.

Il importe de bien comprendre les critères utilisés par les agences de notation. Pour les pays qui ont une tradition de retraite par capitalisation, et où nous sommes présents, les changements d'évaluation ont été brutaux. Les engagements de rachats minoritaires, la trésorerie non disponible, sont des critères techniques corrects. Aux émetteurs de comprendre qu'ils en sont comptables, au sens noble du terme, durant une longue période. Mais une agence de notation ne doit pas changer les critères trop brusquement.

M. Hervé Philippe. - Havas est une société de communication qui n'émet que de manière épisodique.

Le recours à diverses formes de financement est très utile pour les entreprises, le marché obligatoire limitant la contrainte des banques.

Dans le cas de Havas, le rapport coût-avantage de la notation nous a paru défavorable. Nous aurions pu économiser 50 points de base sur notre émission. Cette notation permettait aussi un choix plus large d'investisseurs. Mais compte tenu de la taille modeste de nos opérations, ce n'était pas un problème. Nous n'avons pas voulu entrer dans un engrenage.

Nous préférons surpayer une émission que de subir ce contrôle dans la durée afin de ne pas limiter notre liberté de gestion financière. Pour exemple, l'achat de notre siège social aurait pu perturber notre notation et, donc, notre accès au financement. L'offre de rachat de nos actions aurait pu aussi être mal perçue.

Nous allons vers une période de désintermédiation, on l'a dit. Pour devenir un émetteur plus régulier et plus important, nous devrons peut-être accepter d'être notés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Les agences de notation n'ont-elles pas inventé le « papier noté » ? Ce sont des entreprises comme les autres. Elles ont créé de toutes pièces un produit qu'elles cherchent à vendre.

M. Bertrand Badré. - Les agences de notation ont gagné en importance à mesure que l'endettement des pays développés a augmenté au début des années 1980.

La note AAA est presque devenue un mot de la langue courante. Censées noter l'émetteur, les agences de notation en sont venues à évaluer chaque produit émis.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Les taux des émissions sont-ils les mêmes pour les États et les entreprises ?

M. Bertrand Badré. - L'actif sans risque qu'était la signature de l'État est aujourd'hui remis en cause. La théorie, c'est qu'en fonction du risque de l'entreprise, le taux augmente. Résultat, certaines entreprises sont mieux notées que leurs États.

Les banques sont très proches des États, par leur volume de dette et par la régularité de leurs émissions.

Nous avons un grand programme d'émissions à court terme. Les banques ont partie liée avec les États. La notation des entreprises est très différente.

M. Jean-Pierre Caffet. - Un groupe industriel et un groupe de communication ici présents n'ont pas besoin des agences de notation. La notion de bilan coût-avantage que vous avez mentionnée est très intéressante à cet égard. Que faut-il en conclure ? Interrogeons-nous sur l'économie réelle, par rapport à l'économie financière.

M. Bertrand Badré. - Je n'apprécie guère cette distinction.

M. Jean-Pierre Caffet. - Je conviens qu'elle est facile. L'activité des banques est indispensable.

Mais comment utilisez-vous les agences de notation ?

Sont-ce des consultants ou un moyen d'obtenir de l'argent à moindre coût ?

M. Ross McInnes. - Précisons : dans l'état actuel de notre endettement et de la fréquence de nos besoins, le recours à la notation n'est pas indispensable, mais je n'exclus pas d'y avoir recours un jour.

La notation apporte de la souplesse. Tout est question de choix. Si nous décidons d'avoir la souplesse et le prix, nous devons rendre des comptes. Nous ne craignons pas le jugement d'autrui. Il importe que les émetteurs y soient préparés. Il faut un « contrat » très clair avec les agences de notation, en indiquant comment peut évoluer le profil financier de l'entreprise.

Cela ne me choque pas que des gens inventent un produit et fassent des marges !

M. Bertrand Badré. - Le péché originel, c'est la notation des produits structurés américains dans les années 2000. Fort heureusement, il y a été mis fin. Il ne me viendrait pas à l'idée de prendre les agences de notation comme consultants.

Nous empruntons tous les jours. Il y a une dimension industrielle à ce processus, comparable à celui des normes ISO. Il est indispensable, mais il doit être bien fait. Il faut réduire les dysfonctionnements.

Pour moi, l'exemple le plus frappant est la Banque centrale européenne. Elle a les moyens d'évaluer les émetteurs sans passer par des tiers. Au lieu de cela, on a conceptualisé le recours à la notation.

Chaque dégradation entraîne des conséquences économiques immédiates, en raison du nombre de contrats qui stipulent en tel cas une augmentation des garanties, y compris ceux signés par de grandes organisations internationales.

M. Hervé Philippe. - Qui utilise les agences ? Les investisseurs, qui ont de l'argent à placer. Pour eux, c'est plus simple. Mais certains font le travail d'analyse eux-mêmes. L'exemple de Safran aux États-Unis est éclairant. Le rating des agences simplifie la tâche des investisseurs, mais en France, certains fonds d'assurance vie utilisent les agences, alors que d'autres font l'effort d'analyser eux-mêmes.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Y a-t-il une différence de nature entre une agence qui évalue le risque d'une entreprise et celle qui note un État ou une collectivité ? Vous ne m'avez pas répondu sur les risques de connivence avec les banques...

Les agences de notation seraient indispensables ? Pourtant, elles n'ont vu venir ni Lehman Brothers ni Enron ni les subprimes. Vous-même avez investi en Grèce. Est-ce une conséquence de la déresponsabilisation que vous avez évoquée ?

M. Bertrand Badré. - Indispensable était peut-être un mot trop fort. Ce qui est indispensable, c'est de se soumettre à un jugement extérieur. Les agences de notation sont très utiles. Si la note d'un État baisse, celle de ses banques diminuera aussi.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Cela ne vous choque-t-il pas ?

M. Bertrand Badré. - C'est ainsi que fonctionne l'économie aujourd'hui. En 2008, les États ont garanti les banques.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - C'était un autre contexte. Pourquoi une banque serait liée à un État, si la qualité de leur gestion est différente ?

M. Bertrand Badré. - Comparez la taille du bilan des banques et du PNB d'un pays. En France et en Allemagne, le bilan des banques représente 300 % du PNB. En 2008, c'est la puissance publique qui a mis fin à la crise. Qu'on le veuille ou non, c'est ainsi : banques et États entretiennent un lien très fort sans qu'il y ait connivence. Cela nous a d'ailleurs coûté cher !

Sur la Grèce, il faut distinguer l'État grec des entreprises grecques. Au Crédit agricole, je m'étais opposé à l'achat de dette grecque à partir de ma propre analyse.

Le banquier doit ensuite choisir à qui il prête dans l'économie grecque.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Pourquoi les agences de notation actuelles ont accès seules aux informations confidentielles ?

M. Bertrand Badré. - Cela s'est fait ainsi. Elles ne publient pas ces informations mais les utilisent pour former leur propre jugement. Nous aurions du mal à revenir sur cette règle aujourd'hui. Mais cela vaut la peine d'y réfléchir si l'on veut favoriser l'arrivée de nouveaux entrants.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Faut-il un type d'agence pour les États et les collectivités, un autre pour les entreprises ?

M. Bertrand Badré. - Pas nécessairement. Sur le fond, c'st le même travail. L'État a l'éternité pour lui, quoique l'histoire récente prouve que ce ne soit pas aussi simple. L'État, contrairement aux entreprises, ne paie pas pour sa notation.

M. François Fortassin. - Quid des responsabilités ? Si les Grecs sont responsables en grande partie, ils ne sont pas les seuls. Aujourd'hui, la démocratie est en jeu dans ce pays. Les institutions européennes, les banques et les agences s'éparpillent comme une volée de moineaux. Que ceux qui ont des responsabilités les assument ! Ce n'est pas ce qui transparait dans l'opinion publique.

M. Bertrand Badré. - Le contrôle parlementaire du budget, par exemple, n'a pas été fait en Grèce. L'Union européenne a aussi versé des milliards d'euros de fonds structurels pendant trente ans...

M. François Fortassin. - ...sans en vérifier l'utilisation !

M. Bertrand Badré. - ...Est-ce le lieu et le moment de mener cette analyse ? Nous sommes bien au-delà de la question des agences de notation. Il y a eu un aveuglement général, une faillite collective !

M. François Fortassin. - Je retiens le mot !

M. Ross McInnes. - M. Badré a souligné à quel point l'État et les banques ont partie liée. L'exemple de l'Irlande est significatif. La désintermédiation est une partie de la solution. C'est l'origine même des agences de notation. La désintermédiation est dans l'intérêt général. Ou si l'on veut développer la désintermédiation, l'évaluation par un tiers est nécessaire.

M. Bertrand Badré. - De fait, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, la crise, née de la désintermédiation aux Etats-Unis, conduit à importer cette dernière en Europe. Il faut donc encadrer le processus : outre-Atlantique, 80 % de l'économie est financé par la désintermédiation.

M. Dominique de Legge. - Une question naïve : qui évalue l'évaluateur ? Qui note les agences ?

M. Bertrand Badré. - C'est tout le problème ! Le résoudre suppose de briser la fiction selon laquelle les agences émettent une simple opinion. Si cela est, il faut garantir un droit de réponse et constituer un collège de personnalités extérieures vérifiant la méthodologie de l'évaluateur.

M. Dominique de Legge. - Tel n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Bertrand Badré. - Effectivement.

M. Jean-Pierre Caffet. - Un lien consubstantiel entre le système bancaire et les États ? En Europe, nous avons plutôt traversé une crise de liquidités plus que de solvabilité.

Pour les banques, quelles sont les conséquences de la dégradation de leur note ?

M. Bertrand Badré. - À très court terme, cela signifie davantage de garanties à apporter pour la banque aux investisseurs. Ensuite, le spread augmente, donc le coût de la dette est plus cher. Une réputation entachée peut également faire pression sur le cours des actions.

J'en reviens à l'effet à court terme. Une note P2 empêche purement et simplement les banques d'accéder au financement.

M. Jean-Pierre Caffet. - Quid des effets sur le résultat des banques ?

M. Bertrand Badré. - Prenons l'exemple le plus contre-intuitif : une note dégradée peut conduire à plusieurs milliards de profits comptables car la dette est, elle aussi, diminuée. Pour autant, ces profits représentent de futures pertes car nous conservons notre dette.

Soit dit en passant, les profits sont bienvenus car les nouvelles règles nous obligent à renforcer nos fonds propres.

Autre conséquence pratique, les coûts du refinancement des banques ont augmenté. Cela sera-t-il répercuté sur les consommateurs finaux ? Nul ne le sait encore.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Avez-vous été notés sans l'avoir demandé ? Si vous deviez recourir à une agence de notation, à qui vous adresseriez-vous ? N'y a-t-il pas une différence fondamentale entre États et entreprises ? Pour un État, d'autres éléments entrent en compte que le rating financier ; ils sont, en grande partie, subjectifs. On reproche à la France les faiblesses de la gouvernance économie européenne. L'Allemagne décide de ne plus utiliser le nucléaire ? Aucune agence de notation n'en tient compte ! Tout cela est bien nébuleux.

M. Bertrand Badré. - La gouvernance est également un critère pour les banques. Cela dit, il y a peut-être une différence de nature entre banques et États. Rigueur dans la méthodologie et dans l'application, je suis pour !

Nous avons été notés par les Canadiens (agence DBRS) et les Chinois sans l'avoir demandé. La vision des trois grandes agences reste pourtant essentielle, vu leur poids sur le marché.

M. François Fortassin. - Quel silence assourdissant sur la politique suicidaire énergétique de l'Allemagne ! Leur bilan carbone sera catastrophique : quand les éoliennes ne tourneront pas, ils feront marcher les centrales à charbon.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Et le démantèlement aura un coût ! C'est donc une question de subjectivité !

M. Hervé Philippe. - Si nous recourrions à une agence de notation, nous lancerions un appel d'offres en insistant sur l'élément prix, bien sûr, mais aussi et surtout sur la clarté des critères et la qualité du facteur humain. Qui évalue et comment ? Voilà la question que nous poserions.

M. Ross McInnes. - La notation sauvage a servi à certaines agences de notation pour émerger sur le marché. Elle n'a pas prospéré car la notation suppose un dialogue continu avec les entreprises.

Si nous devions passer par la notation, nous aurions recours à deux agences. Quitte à jouer le jeu, faisons les choses comme les autres acteurs. Surtout, l'important serait un contrat clair sur les éléments financiers et les retraitements opérés par les analystes.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Merci de votre venue. Nous resterons en contact.