Mardi 24 avril 2012

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Audition de M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous accueillons M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé. Monsieur le directeur général, je souhaite que vous nous apportiez des précisions sur les enseignements et les suites que l'on peut tirer des affaires relatives aux prothèses mammaires et de hanche.

Nous attendons également de vous des éléments portant sur la médecine esthétique, la formation des médecins et l'encadrement des interventions, qui tendent de plus en plus à se répandre dans les officines commerciales, ce qui pose la question de l'interdiction de certains actes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - L'actualité récente a été marquée par la répétition d'incidents relatifs à la sécurité de dispositifs médicaux implantables. Pourquoi le dispositif de sécurité sanitaire et de matériovigilance n'a-t-il pas été en mesure d'identifier plus tôt les défaillances des prothèses PIP ? En dehors de ce cas, qui relève plutôt de la fraude, pourquoi l'alerte est-elle d'abord donnée ailleurs qu'en France, par exemple en Australie dans l'affaire des prothèses de hanche De Puy ? Quelles mesures ont été prises par la DGS, tutelle de l'Afssaps, pour prévenir la récurrence de tels événements ou, en tout cas, pour permettre leur détection plus rapidement ?

M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé. - Je souhaite souligner l'importance de la déclaration des effets indésirables ainsi que des signaux de matériovigilance. En l'occurrence, la détection n'a pas été optimale. En effet, jusqu'à l'inspection sur site réalisée par l'Afssaps en mars 2010, il y a eu très peu de déclarations d'effets indésirables.

En 2009, nous avons enregistré quarante déclarations d'effets indésirables des prothèses PIP. Leur nombre a été multiplié par onze entre mars 2010 et décembre 2011. Les dernières données du recueil de l'Afssaps font apparaître, pour le seul mois de mars 2012, près de deux cents déclarations de rupture.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Des ruptures se sont certainement produites avant le début de l'affaire. Comment, dès lors, procéder aux vérifications nécessaires ?

M. Jean-Yves Grall. - L'organisation de la surveillance des prothèses mises sur le marché pose problème. Les organismes notifiés et l'Afssaps, confrontés à une fraude caractérisée, n'ont pas donné l'alarme.

Nous proposons de réorganiser le système des vigilances, en facilitant les déclarations, grâce à la mise en place d'un portail unique, par exemple en prévoyant un retour systématique de la déclaration faite par le déclarant et en impliquant le niveau régional de manière systématique. Le fabricant doit faire connaître à l'Afssaps les avis des autorités étrangères sur un produit. Il semble également nécessaire de sérier les dispositifs : les dispositifs médicaux de classe III devraient faire l'objet d'une inspection annuelle par l'Afssaps. Tout cela requiert une modification de la législation européenne. Peut-être faudrait-il également s'inspirer de ce qui existe pour les médicaments, avec une étude préalable avant autorisation de mise sur le marché, si les études pré- et post-exposition ne suffisent pas.

M. Bernard Cazeau, rapporteur- Comment travaillez-vous avec l'Afssaps et la Haute Autorité de santé (HAS) pour assurer le suivi après commercialisation ? Un article paru aujourd'hui est très dur à l'égard du système actuel.

M. Jean-Yves Grall. - Nous assurons le pilotage et la tutelle de l'Afssaps, qui est chargée du contrôle. Nos relations avec elle vont être régies par un contrat d'objectifs et de performance. La HAS, chargée de l'évaluation technique des dispositifs médicaux par la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, la CNEDiMTS, est indépendante, mais nous devrions pouvoir collaborer via une convention.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Tout cela est bien vague.

M. Jean-Yves Grall. - Avec l'Afssaps, les modalités de contrôle seront définies par le contrat d'objectifs et de performance qui sera établi d'ici quatre mois.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Le marquage CE s'avérant insuffisant, faut-il rendre obligatoires les essais cliniques pré et post-inscription ?

M. Jean-Yves Grall. - Le calcul d'un rapport bénéfices-risques semble, en tout cas, nécessaire pour les dispositifs à haut risque. De tels essais, même s'ils sont intéressants, seraient insuffisants. Il faut s'aligner sur la procédure applicable au médicament, avec des dispositifs d'autorisation de mise sur le marché.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Cela vaut-il pour la surveillance ?

M. Jean-Yves Grall. - Cela vaut pour l'établissement des conditions laissant apparaître qu'un dispositif peut être mis sur le marché.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Pour tous les dispositifs de classe III ?

M. Jean-Yves Grall. - Oui.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Êtes-vous favorable à la création de registres ?

M. Jean-Yves Grall. - C'est un outil de suivi très utile, mais un registre doit être exhaustif. Il en existe déjà un pour les prothèses de hanche.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Mais il ne semble pas être performant ni complet.

M. Jean-Yves Grall. - Les inscriptions ou déclarations sont trop peu nombreuses. Toute la question est de savoir comment les rendre nécessaires, voire obligatoires. Peut-être en conditionnant la procédure de remboursement à cette inscription.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Il semble que, jusqu'à présent, on se souciait peu de ce problème.

M. Jean-Yves Grall. - La réflexion portant sur la révision de la réglementation européenne applicable aux dispositifs médicaux est en cours. Elle avait débuté bien avant le scandale des prothèses PIP, mais le processus est long.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Faut-il élargir l'accès aux bases de données existantes, comme Eudamed ?

M. Jean-Yves Grall. - Ce serait utile. La transparence de l'information permet l'alerte et donc la sécurité.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - J'en viens aux questions sur la médecine esthétique. Savez-vous combien de médecins la pratiquent et quels sont les actes les plus fréquents ?

M. Jean-Yves Grall. - Je n'ai pas d'éléments chiffrés. Les actes de médecine esthétique peuvent être pratiqués par plusieurs spécialités différentes, car la discipline de médecine esthétique n'existe pas en tant que telle.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - La formation des médecins est-elle suffisante ? Comment l'améliorer ?

M. Jean-Yves Grall. - Encadrer la médecine esthétique est une nécessité absolue. La formation devrait être spécifique. Un diplôme universitaire ne suffit pas : je suis pour une formation définie nationalement, comme un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC). Cette formation spécifique, homogène et de haut niveau doit non seulement concerner les gestes, mais également prendre en compte les effets dans le temps et la prise en charge des complications.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Que pensez-vous de la controverse relative à l'utilisation d'acide hyaluronique par les chirurgiens-dentistes ? Qu'est-ce qui a amené la DGS et la direction générale de l'offre de soins (DGOS) à écrire à l'ordre des chirurgiens-dentistes ?

M. Jean-Yves Grall. - C'est le résultat d'une saisine de l'ordre des médecins et de celui des chirurgiens-dentistes. Nous avons ainsi rappelé la réglementation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Ce n'est pas ce que nous avons entendu dire. J'aimerais que vous me confirmiez par écrit que vous avez bien été saisi par l'ordre des chirurgiens-dentistes.

La DGS contribue-t-elle à informer les patients sur les risques liés à la médecine et à la chirurgie esthétiques ?

M. Jean-Yves Grall. - Cela existe déjà pour la lipolyse, et nous allons continuer dans cette direction.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Que pensez-vous du développement du tourisme « esthétique » ? Pèse-t-il sur le système de soins français ?

M. Jean-Yves Grall. - Il peut peser en cas de complications liées à l'intervention, qui seraient prises en charge en France. Comme ce phénomène se développe, j'appelle à la vigilance sur la qualité des interventions.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - On propose des séjours à l'étranger, comprenant un séjour en milieu médical puis des soins en milieu hôtelier. Comment réglementer ces pratiques ?

M. Jean-Yves Grall. - Cela touche surtout la chirurgie esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - En effet, et c'est le plus grave !

M. Jean-Yves Grall. - Il faut travailler sur le sujet avec la DGOS, voir si cela entraîne des complications susceptibles d'être prises en charge par notre système de soins. La mesure du phénomène est peut-être malaisée.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Que vous inspire le développement d'actes à visée esthétique pratiqués par des gens qui ne sont ni médecins ni dentistes ? On m'a par exemple invité à Toulon pour voir un nouveau laser...

M. Jean-Yves Grall. - La situation n'est pas satisfaisante. Il y a, de fait, un vide réglementaire, qui peut être utilisé par certains professionnels pour développer des actes à visée esthétique sans limite sécuritaire. Nous travaillons donc à un meilleur encadrement. Un décret devrait préciser prochainement la qualification et la formation des professionnels pouvant pratiquer des actes à risque sérieux, ainsi que les conditions dans lesquelles ils pourront être réalisés. Trois décrets sont en préparation, sur les médecins, les chirurgiens-dentistes et les esthéticiens. Le premier est prêt, les deux autres sont en préparation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quand seront-ils publiés ?

M. Jean-Yves Grall. - Le premier a été transmis à l'autorité signataire, nous en attendons la publication.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Comment comptez-vous rebondir après l'annulation partielle par le Conseil d'Etat du décret du 11 avril 2011 relatif à l'interdiction des techniques de lyse adipocytaire ?

M. Jean-Yves Grall. - Nous avons fait appel à la HAS et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'Anses, pour reformuler le décret. Nous sommes dans l'attente de leur réponse. Nous avons également demandé l'avis de la HAS sur les risques liés à l'utilisation des produits de comblement, des ultraviolets et de la mésothérapie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - A Périgueux, deux « bars à sourire » ont ouvert cette semaine. Comment s'assurer du respect de la réglementation par ces établissements, notamment en matière de concentration de produits utilisés ?

M. Jean-Yves Grall. - Une directive européenne du 20 septembre 2011 prévoit que les produits de blanchiment contenant entre 0,1 % et 6 % de peroxyde d'hydrogène seront réservés aux chirurgiens-dentistes. Elle est en cours de transposition. L'opération de blanchiment doit être précédée d'un examen dentaire pour éviter des douleurs éventuelles.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Dans les « bars à sourire », la concentration doit donc être inférieure à 0,1 % ?

M. Jean-Yves Grall. - De toute façon, ce produit exige un examen préalable de la dentition.

Nous avons publié, le 5 décembre 2011, un communiqué de presse commun avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour attirer l'attention du public sur ce sujet. Par ailleurs, une campagne d'inspection est en cours avec l'Afssaps et la DGCCRF.

Se pose un autre problème, celui de l'exposition à la lumière bleue des diodes, qui n'est pas sans danger pour les yeux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Des études scientifiques récentes rappellent les effets néfastes de l'exposition de la peau aux UV artificiels. Ne faudrait-il pas, tout au moins, renforcer l'information des utilisateurs sachant qu'il est difficile d'interdire la vente de tels produits ?

M. Jean-Yves Grall. - Il faudrait déjà se poser la question de l'accès à des appareils à UV personnels que l'on peut utiliser soi-même !

La réglementation applicable aux cabines à UV, en matière de formation des professionnels, de contrôle des pratiques et des appareils, a été renforcée depuis 1997. La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) a alourdi les sanctions. Elles peuvent être d'ordre administratif et financier. Enfin, une campagne d'information ponctuelle, menée par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, l'Inpes, a été réalisée. Elle sera suivie d'une campagne permanente sur le sujet.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - S'agissant de la matériovigilance, l'obligation de déclaration doit-elle peser d'abord sur les fabricants ou les utilisateurs ?

Est-il nécessaire de clarifier dans la loi la définition des actes à visée esthétique dangereux ?

Enfin, la responsabilité est-elle bien établie en matière de médecine esthétique, notamment en ce qui concerne la charge de la preuve en cas de conséquences néfastes ?

M. Jean-Yves Grall. - L'obligation de déclaration, en ce qui concerne la matériovigilance, doit peser sur tous, fournisseurs comme professionnels. Le signalement d'effets indésirables est un des éléments de vigie de notre système de sécurité sanitaire. Nous devons la rendre la plus efficiente possible.

Un décret fixera une liste aussi complète que possible des actes à visée esthétique.

Pour ce qui est de la médecine esthétique, la responsabilité incombe clairement à l'effecteur de l'acte.

M. René-Paul Savary. - Je souhaiterais obtenir des précisions par rapport aux propositions que vous avez faites relatives à l'évaluation, la formation des médecins. Mais qu'en est-il de l'harmonisation des règles en Europe ? La surveillance des dispositifs médicaux devrait-elle être plus longue que celle applicable aux médicaments ? Quid des implantations réalisées à l'étranger ?

M. Jean-Yves Grall. - Nous avons demandé à la Commission européenne que les firmes aient obligation de faire savoir si des problèmes ont été rencontrés dans d'autres pays. Une meilleure coopération entre les Etats est également nécessaire : l'affaire des prothèses PIP l'illustre. Nous réclamons ces deux points auprès des autorités européennes.

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Le tourisme esthétique se développe. Les éventuelles complications sont-elles prises en charge par la sécurité sociale, à quel taux et selon quels critères ? Les médecins ne peuvent-ils pas dénoncer ces pratiques quand ils en ont connaissance ?

M. Jean-Yves Grall. - Les pathologies sont prises en charge par la sécurité sociale au tarif habituel. Le signalement des complications doit entrer dans les moeurs des professionnels. Ce point est très important, et nous sommes en train d'y travailler.

Audition de MM. Stanislas Martin, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés, Axel Thonier, sous-directeur en charge du secteur industrie, santé et logement, Alain Boulanger, chef du bureau produits et prestations de santé et services à la personne, et Daniel Miles, membre du bureau produits et prestations de santé et services à la personne, à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous accueillons MM. Stanislas Martin, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés, Axel Thonier, sous-directeur en charge du secteur industrie, santé et logement, Alain Boulanger, chef du bureau produits et prestations de santé et services à la personne, et Daniel Miles, membre du bureau produits et prestations de santé et services à la personne, à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Vous vous trouvez au coeur des questions qui nous intéressent et nous souhaitons aborder avec vous des thèmes aussi variés que le problème de la contrefaçon sur le marché des dispositifs médicaux implantables, les pratiques tarifaires anticoncurrentielles ou la fraude sur Internet. Nous souhaitons également recueillir votre avis sur l'encadrement des produits à visée esthétique, dont l'offre est abondante et qui sont parfois présentés dans la presse comme des produits miracles alors qu'ils ne sont pas sans danger, ainsi que sur le tourisme à visée esthétique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Parmi les dispositifs médicaux implantables contrôlés par la DGCCRF, quelle est la proportion de produits qui ont été saisis comme ne satisfaisant pas aux obligations communautaires de sécurité sanitaire (marquage CE, règles d'étiquetage et de conditionnement, contrefaçon, péremption, etc.) ? Certains types de dispositifs médicaux implantables sont-ils plus concernés par la fraude et la contrefaçon que d'autres ?

M. Stanislas Martin, chef du service de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés à la DGCCRF. - La DGCCRF assure trois missions différentes : la régulation concurrentielle des marchés en lien avec l'Autorité de la concurrence, la protection économique des consommateurs et la sécurité des consommateurs. C'est cette dernière mission qui vous intéresse. La DGCCRF compte environ 2 800 agents répartis sur l'ensemble du territoire et compétents pour assurer l'ensemble de ces trois missions. La partie santé représente quinze personnes en administration centrale et une vingtaine de personnes en région, soit huit à neuf personnes en équivalent temps plein. Dans le sujet qui vous intéresse, la DGCCRF apporte un regard de généraliste, ses agents n'ayant pas de compétence médicale. En matière de surveillance du marché, elle détient en effet des pouvoirs de police générale, qui s'effacent derrière les pouvoirs de police spéciale qui existent par ailleurs.

De fait, les dispositifs médicaux implantables ne sont pas contrôlés par la DGCCRF : tout le dispositif de matériovigilance est organisé autour de l'Afssaps et la DGCCRF n'a pas accès aux informations de ce dispositif. L'accès à ces informations ne fait d'ailleurs pas partie de nos revendications puisque nous serions dans l'incapacité de les interpréter compte tenu de l'absence de compétences médicales en notre sein. C'est l'Afssaps qui détient les compétences médicales nécessaires à cette interprétation.

Au plan juridique, le pouvoir de la DGCCRF dans le domaine des dispositifs médicaux est doublement restreint. D'une part, c'est l'Afssaps qui détient le pouvoir de police spéciale, la DGCCRF n'ayant qu'un pouvoir de police générale. D'autre part, l'article L. 221-8 du code de la consommation prévoit que lorsqu'une police spéciale existe, la DGCCRF n'est habilitée à prendre que les mesures relevant de l'article L. 221-5 de ce même code, à savoir les mesures d'urgence, donc les retraits de produits du marché en cas de danger grave et immédiat. Ces retraits requièrent un arrêté conjoint avec le ministère de la santé. Pour déterminer si le danger est grave et immédiat, il est, une fois encore, nécessaire de bénéficier de compétences médicales. Dans le champ des dispositifs médicaux, c'est donc principalement l'Afssaps qui intervient.

Un protocole conclu avec cette agence en 2006 nous permet de répartir nos interventions en fonction de l'autorité la mieux placée face à un type de problème donné. De manière générale, l'Afssaps intervient principalement au stade de la fabrication des produits destinés aux professionnels de santé, la DGCCRF intervenant de manière privilégiée au stade de la distribution des produits directement destinés aux consommateurs individuels, comme par exemple les pansements.

Compte tenu de cette organisation juridique et technique, nous n'avons pas identifié de produits comme ne satisfaisant pas aux obligations communautaires de sécurité sanitaire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Vous n'intervenez donc pas sur les dispositifs médicaux implantés ?

M. Stanislas Martin. - Non.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Y a-t-il des échanges d'informations avec l'Afssaps en matière de matériovigilance ?

M. Stanislas Martin. - Elle nous informe après coup pour une bonne coordination de nos administrations. Encore une fois, nous manquons des compétences médicales requises.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Réalisez-vous des inspections dans les lieux de production ?

M. Stanislas Martin. - Cela peut arriver, en complément de nos inspections au stade de la distribution, mais seulement pour les dispositifs médicaux destinés au grand public, et donc pas pour les dispositifs médicaux implantables.

M. Alain Boulanger, chef du bureau produits et prestations de santé et services à la personne. - Il existe trois grands types de dispositifs médicaux relevant de la compétence de la DGCCRF : les produits d'optique, les audioprothèses et les aides techniques telles que fauteuils roulants ou rampes d'escalier. Ces produits étant vendus au grand public, les inspecteurs de la DGCCRF sont les mieux placés pour les contrôler. Les circuits de commercialisation sont les pharmacies, les magasins spécialisés et Internet.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quid des produits à visée esthétique ?

M. Alain Boulanger. - Ils ne correspondent pas à une catégorie juridique, ce qui rend la réponse difficile. Parmi les produis à finalité esthétique, certains sont des dispositifs médicaux et nous retombons donc sur le partage évoqué précédemment, d'autres sont des produits cosmétiques pour lesquels les contrôles sont coordonnés avec l'Afssaps qui détient un pouvoir de police spéciale. Un troisième type de produits à finalité cosmétique rassemble des produits inclassables, ceux qui posent probablement le plus de difficulté et parmi lesquels figurent notamment les produits injectables utilisés pour la lyse adipocytaire, qui ont fait l'objet d'une interdiction en avril 2011. Cette dernière catégorie ne relevant ni des dispositifs médicaux, ni des produits cosmétiques, la DGCCRF retrouve ici sa compétence générale mais celle-ci apparaît difficile à exercer : face au principe de la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne et à la liberté du commerce et de l'industrie, une interdiction requiert un motif de santé publique, lequel ne peut être mis en évidence que par une expertise. Or, l'expertise est réalisée par les agences sanitaires (l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, la Haute Autorité de santé, l'Afssaps, nos laboratoires) et ne parvient donc qu'indirectement à la DGCCRF. S'agissant de la lyse adipocytaire, ce n'est pas le produit qui a été interdit mais la pratique, sur la base de dispositions du code de la santé publique.

Ces « produits frontières » posent de grandes difficultés. La seule obligation qui s'impose est une obligation générale de sécurité, la même que pour les jouets ou les produits alimentaires. C'est une catégorie fourre-tout. Nous nous heurtons ici aux failles de la législation mais ce n'est pas pour autant que nous nous trouvons démunis tant dans les contrôles que dans les pouvoirs de police.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Qu'en est-il du contrôle des produits à visée esthétique vendus sur Internet au regard de la fraude et de la contrefaçon notamment ?

M. Stanislas Martin.  - Lorsque nous contrôlons un produit, nous le faisons à la fois dans les magasins physiques et au sein du commerce électronique. Il existe une législation particulière sur la vente à distance mais qui relève davantage de la protection économique du consommateur, par exemple au sujet des délais de rétractation, que de la sécurité des produits. Certaines commercialisations de médicaments sur Internet peuvent s'avérer problématiques. En revanche, à ce jour, le centre de surveillance du commerce électronique de la DGCCRF, qui intervient dans toutes les enquêtes, n'a pas identifié de fraude particulière liée à la commercialisation de dispositifs médicaux sur Internet. Bien entendu, cela ne signifie pas qu'il n'en existe pas. Ce qui peut éventuellement poser problème, ce sont les sites implantés à l'étranger, surtout hors de l'Union européenne. Dans ce dernier cas, nous sommes démunis : il n'existe pas de stock physique en France. De plus, quand bien même nous déterminerions qu'un produit commercialisé sur un site Internet hors Union européenne est dangereux, ce qui n'est déjà pas évident, nous ne disposerions pas des moyens juridiques nécessaires pour faire cesser sa commercialisation. C'est d'ailleurs pourquoi, fin décembre 2011, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi « renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs ». Ce texte comporte deux dispositions permettant de répondre à ce problème : la première autorise des agents de la DGCCRF à se faire passer pour des consommateurs lorsqu'il n'existe pas d'autre moyen de preuve possible, ce qui leur permettrait donc d'acheter et de se faire livrer le produit avant de l'envoyer au laboratoire pour examen, procédé impossible en l'état actuel du droit ; la seconde fournit la possibilité de demander au juge de fermer l'accès au site Internet à partir du territoire national, soit via l'hébergeur dans l'hypothèse où le site est hébergé en France, soit via le fournisseur d'accès à Internet dans le cas contraire. Cela ne permettrait pas de sanctionner les délits passés mais d'éviter que d'autres consommateurs continuent d'acheter les produits concernés. Ces dispositions ne sont pas spécifiques aux dispositifs médicaux mais nous seraient très utiles pour contrôler les sites de commerce électronique les plus problématiques.

Mme Catherine Génisson. - Pensez-vous qu'il faille élargir votre compétence, et donc les moyens dont vous pourriez disposer pour la surveillance des produits médicaux à visée esthétique, ou estimez-vous souhaitable que cette compétence fasse elle aussi partie des missions, par exemple, de l'Afssaps ?

M. Stanislas Martin. - La répartition actuelle fonctionne car chacun se concentre sur son métier. Si nous devions nous voir conférer des compétences sur d'autres produits plus techniques, comme les dispositifs médicaux implantables, cela supposerait que nous recrutions des médecins et aurait un coût. Nous risquerions en outre de faire double emploi avec l'Afssaps. Transférer à l'Afssaps la compétence sur les produits destinés au grand public ne me paraît pas non plus optimal. Le fait que les contrôles au stade de la distribution soient réalisés par le même acteur permet une certaine synergie.

Mme Catherine Génisson. - Je pensais surtout aux produits tels que le silicone par exemple, qui ne constitue pas qu'un produit médical, loin s'en faut, et qui peut entrer dans la composition d'un dispositif médical. Est-ce un type de produit pour lequel vous avez voix au chapitre ? Qu'en est-il, le cas échéant, de vos compétences et de vos moyens ?

M. Alain Boulanger. - Les modalités actuelles du partage des missions entre la DGCCRF et l'Afssaps, qui tiennent compte des compétences propres à chaque réseau d'inspecteurs, nous paraissent pratiques. Nous estimons que les agents de la DGCCRF sont les plus aptes à contrôler les produits vendus au consommateur final, à un coût économique moindre, dans la mesure où ils opèrent les contrôles de sécurité sanitaire en même temps qu'ils s'acquittent de leurs missions de protection économique du consommateur. Revenir là-dessus supposerait de revoir les moyens affectés à chaque administration. Par ailleurs, lorsqu'il a créé l'Afssaps en 1998, le législateur a voulu la doter d'une part de pouvoirs d'inspection, d'autre part de pouvoirs de police spéciale, pouvoirs particulièrement renforcés. Le législateur partait du constat que les pouvoirs détenus par l'administration en application des règles du code de la consommation étaient insuffisants pour faire face aux défis de sécurité sanitaire posés tant par les médicaments que par les dispositifs médicaux. On a voulu donner un maximum de pouvoirs à l'Afssaps en la dotant d'inspecteurs spécialisés et d'experts, que l'administration du ministère de l'économie n'a donc pas choisi de recruter de son côté.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Comment assurez-vous le contrôle de la qualité des produits à visée esthétique, de l'innocuité de leur utilisation et du respect des mises en garde - je pense par exemple aux produits de blanchiment des dents ? Quel contrôle exercez-vous sur la publicité en faveur de ces produits afin que le client ne soit pas trompé ?

M. Alain Boulanger. - Il faut distinguer les produits cosmétiques d'une part et les produits de consommation courante de l'autre. S'agissant des premiers, c'est l'Afssaps qui dispose des pouvoirs de police spéciale, mais sur le terrain ce sont les inspecteurs de l'Afssaps et de la DGCCRF qui s'assurent conjointement du respect de la réglementation issue de la directive européenne 76/768 CEE du Conseil du 27 juillet 1976 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques (directive « Cosmétiques »), modifiée à plusieurs reprises et transposée dans le code de la santé publique. A partir de juillet 2013, les produits cosmétiques se verront directement appliquer un règlement européen et ses annexes. Concrètement, nous nous rendons sur les lieux, prélevons des échantillons et les faisons analyser pour vérifier leur conformité. Les produits de blanchiment des dents, par exemple, ne peuvent comporter plus de 0,1 % de peroxyde d'hydrogène.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Avez-vous inspecté des « bars à sourire » ?

M. Alain Boulanger. - Oui, certaines inspections sont encore en cours.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Dans le cadre des inspections qui ont déjà été menées à leur terme, avez-vous trouvé des dépassements ?

M. Alain Boulanger. - Oui, nous avons trouvé des produits non conformes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Donc c'est toxique ?

M. Alain Boulanger. - Ce sont des produits que les experts considèrent comme dangereux. Plus précisément, ces produits cosmétiques comportent dans leur composition des substances chimiques qui, effectivement, peuvent être toxiques.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Qu'avez-vous fait dans ces cas-là ?

M. Alain Boulanger. - Le constat ne peut être immédiat car le produit est d'abord envoyé au laboratoire pour analyse. En cas de non-conformité, l'inspecteur qui a procédé au prélèvement prend les mesures qu'il estime utiles pour faire cesser le danger et engager les poursuites.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - C'est-à-dire ?

M. Stanislas Martin. - A partir du moment où le produit qui dépasse les normes admises a été repéré, nous remontons au responsable de la première mise sur le marché pour suspendre la commercialisation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Et le responsable du bar ? Doit-il avoir des diplômes ?

M. Stanislas Martin. - La profession n'est pas réglementée ; aucune qualification n'est requise.

M. Alain Boulanger. - Dans les cas avérés, pour lesquels il n'existe pas encore de compte rendu officiel, aucune mesure de police n'a été mise en oeuvre de la part de l'Afssaps car cela ne s'est pas avéré nécessaire : une fois contactés, les fabricants ont retiré d'eux-mêmes leurs produits du marché.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Ils connaissent pourtant les règles applicables à leurs produits ?

M. Alain Boulanger. - Malheureusement, une ambigüité dans le droit applicable à ces produits a laissé penser à certains fabricants qu'ils étaient en droit de commercialiser des produits dont la concentration en peroxyde d'hydrogène était supérieure à 0,1 % en les rangeant sous le registre des dispositifs médicaux et en se soustrayant à la législation sur les produits cosmétiques. C'est pourquoi la DGCCRF a cru devoir rappeler, au mois de décembre dernier, que la législation sur les produits cosmétiques s'appliquait aux « bars à sourire ». La Commission européenne elle-même a estimé devoir remédier à ce flou dans la réglementation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Venons-en aux lasers à lumière pulsée utilisés pour les épilations.

M. Alain Boulanger. - A priori les lasers, qui sont des dispositifs médicaux, ne sont vendus qu'à des professionnels de santé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - J'ai reçu chez moi, comme consommateur, une invitation à assister à une démonstration d'appareil à lumière pulsée. N'importe qui peut donc en acheter.

M. Alain Boulanger. - La commercialisation de ces produits à lumière pulsée apparaît peu encadrée à l'heure actuelle. Le fabricant est tenu à l'obligation générale de sécurité de ses produits mais il est difficile d'en contrôler l'usage par les particuliers. Le problème est relativement récent. Il se pose surtout depuis que le prix de ces appareils est devenu plus abordable, c'est-à-dire inférieur à 10 000 euros.

En l'absence de législation particulière, laquelle devrait d'ailleurs être mise en regard avec le principe de libre circulation qui prévaut au sein de l'Union européenne, nous ne pouvons que veiller à ce que les notices de ces appareils soient suffisamment précises et comportent les avertissements nécessaires sur les dangers potentiels. L'usage par les professionnels est une autre question mais elle ne regarde pas les agents de la DGCCRF.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Vous êtes donc en demande d'encadrement légal ou réglementaire ?

M. Alain Boulanger. - Oui, nous devons vous l'avouer.

M. Stanislas Martin. - Effectivement, à partir du moment où ces appareils commencent à être diffusés dans le circuit de distribution grand public... Toutefois, l'encadrement risque de constituer une restriction aux échanges impliquant de devoir faire une notification à la Commission européenne sur la base de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques. La suite dépend de la sensibilité des autres Etats membres aux enjeux de santé publique et le débat doit se tenir au niveau communautaire.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Avez-vous identifié d'autres types de produits posant un problème similaire ?

M. Alain Boulanger. - Nous avons demandé à l'Anses et à la HAS un inventaire complet des produits se trouvant sur le marché, de leurs caractéristiques et de leurs risques potentiels. C'est sur cette base-là que nous interviendrons soit directement par une modification réglementaire apportée au code de la consommation, soit en portant l'affaire au niveau communautaire, pour que la Commission européenne s'empare elle-même du sujet, celui-ci dépassant le simple territoire français.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Avez-vous déjà identifié d'autres types de produits qui se situent à la limite de la réglementation et qui mériteraient que le législateur ou le Gouvernement intervienne ?

M. Alain Boulanger. - Les produits qui utilisent des ultrasons s'apparentent à certains dispositifs médicaux et pourraient engendrer des risques pour la santé.

M. Alain Néri. - Je suis surpris du flou des réponses. Quel que soit le prix du produit en question, ce qui importe est son caractère dangereux ou non. Le principe de libre circulation ? On ne compte plus les normes européennes sur tant de produits, et voilà qu'ici, on nous oppose ce principe ?

M. Stanislas Martin. - Tant que ces produits coûtaient très cher, la question de la vente au grand public ne se posait pas. Plus les progrès techniques ont permis de faire baisser les prix, plus les particuliers ont commencé à être intéressés.

Nous ne disons pas que le droit communautaire s'opposerait forcément à une législation ou à une réglementation nationale. Mais si nous voulons réglementer la commercialisation d'un produit sur le territoire national, il faut démontrer à la Commission et aux autres Etats membres que les dispositions envisagées et les objectifs de santé publique poursuivis sont proportionnés à la restriction des échanges qui s'ensuivrait. Dans cette perspective, la saisine de l'Anses va permettre de posséder un dossier scientifique étayé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Que pensez-vous de l'utilisation du terme de massage par des personnes ne disposant d'aucune qualification médicale ou paramédicale ?

M. Stanislas Martin. - L'état du droit, tel que confirmé par la Cour de cassation, veut que le terme de massage soit réservé aux kinésithérapeutes, que le but du massage soit thérapeutique ou non. Conformément à la loi de n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, le terme de massage se distingue de celui de modelage, lequel serait un massage qui resterait plus superficiel... Les esthéticiennes ne peuvent utiliser que ce dernier terme.

La demande des consommateurs est importante. Sur le principe, nous sommes plutôt favorables à l'existence d'une concurrence entre les opérateurs tant que cela ne porte pas atteinte à la santé publique. Dans une décision du 12 octobre 2010, la cour d'appel de Paris a condamné un institut de massage ayant usé du terme de masseur pour exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute mais en appliquant une sanction modérée : au vu « du peu d'entrain manifesté par les pouvoirs publics à faire application de la protection pénale de la profession de masseur-kinésithérapeute si l'on en juge par le nombre d'établissements, proposant des massages de détente, ayant pignon sur rue, il y a lieu d'appliquer une sanction modérée aux deux prévenus ».

A cela s'ajoute la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (directive « services ») qui exclut de son champ d'application tout ce qui relève des soins de santé. Dès lors que le massage n'est pas à but thérapeutique, il tombe donc sous le coup de cette directive : un opérateur qui exerce légalement une activité de masseur autre que thérapeutique dans un Etat membre pourrait, d'assez bon droit à notre sens, se prévaloir de la directive « services » pour qu'on ne lui oppose pas la législation nationale. Sur ce point, la législation ne paraît donc pas très adaptée ni aux évolutions du marché, ni au droit communautaire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Vous n'agissez donc pas face à cette multiplication de salons de massage ?

M. Stanislas Martin. - Cela relève du ministère de la santé, comme pour l'exercice illégal de la médecine.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quel est votre avis sur la réglementation applicable à la profession d'esthéticienne ?

M. Stanislas Martin. - Au-delà de la nécessité de réfléchir à une éventuelle évolution des règles qui distinguent le « massage » du « modelage » afin de mettre notre législation en conformité avec la directive « services », nous n'avons rien à ajouter.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quelle appréciation portez-vous sur le tourisme esthétique ? Que pouvez-vous faire face aux agences touristiques qui proposent des interventions à visée esthétique dans le cadre de séjours à l'étranger ?

M. Stanislas Martin. - Je vois mal comment les pouvoirs publics pourraient intervenir sur des pratiques de ce type au sein de l'Union européenne. A l'extérieur de l'Union européenne, il reste difficile de disqualifier globalement les prestations médicales d'un pays tiers.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Les soins de suite sont souvent assurés dans de simples hôtels. Ce n'est pas adapté !

M. Stanislas Martin. - Encore une fois, nous n'avons pas les compétences médicales.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - La publicité pour la chirurgie esthétique est pourtant interdite.

M. Alain Boulanger. - L'interdiction ne vaut que pour les installations autorisées en France. Mais il n'existe pas d'interdiction de principe de la publicité pour la chirurgie esthétique. Une entreprise étrangère qui fait de la publicité en France est dans son droit.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je vous remercie.

Table ronde sur la place de l'esthétique dans la presse magazine

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Je remercie les participantes à cette table ronde, qui font partie des rédactions des magazines Elle, Marie Claire et Grazia, tout en regrettant que les représentants d'autres magazines n'aient pas souhaité y prendre part. Sachant que vos articles contribuent souvent à créer des tendances et à promouvoir de nouvelles techniques esthétiques, nous souhaiterions comprendre, sans préjugés ni parti pris, comment vous définissez vos sujets, et quelles réponses vous recevez de vos lectrices et lecteurs. Il est d'ailleurs dommage qu'aucun magazine masculin n'ait donné suite à notre invitation.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quelle place accordez-vous à l'esthétique et aux interventions à visée esthétique, médicales ou non, dans la ligne éditoriale de votre magazine ? Avec quelle régularité et sous quel angle ces thèmes sont-ils abordés dans vos colonnes ?

Mme Julie Lasterade, chef du service beauté-santé du magazine Grazia. - Nous traitons au moins deux fois par an, au printemps, à la rentrée et parfois en fin d'année, dans des numéros spéciaux, des thématiques anti-âge. Nous abordons également ces sujets à travers notre couverture de l'actualité, comme ce fut le cas avec les prothèses PIP.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Est-ce que ce sont des sujets médicaux ?

Mme Julie Lasterade. - Pas uniquement, la notion d'anti-âge comprenant aussi bien les crèmes que la médecine et la chirurgie esthétiques, cela dépend du thème de l'article et de l'actualité.

Mme Chantal Jouanno, présidente. -Il y a bien toujours une dimension esthétique dans vos publications, n'est-ce pas ?

Mme Julie Lasterade. - Oui, bien sûr.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Qui traite ces sujets ? Avez-vous des spécialistes dans vos équipes ? Des médecins pour les sujets médicaux ?

Mme Julie Lasterade. - C'est moi, entre autres. Nous interrogeons des médecins, mais ils n'écrivent pas les articles.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Une rubrique est-elle réservée à la santé ?

Mme Julie Lasterade. - Non. Ces sujets apparaissent dans la rubrique beauté. Il n'y a pas, à proprement parler, de section consacrée chaque semaine à la santé dans Grazia, notre couverture dépend plutôt de l'actualité et des tendances.

Mme Monique Le Dolédec, rédactrice en chef adjointe beauté du magazine Elle. - Nous faisons un suivi régulier des évolutions du secteur de l'esthétique, sous différents angles et en fonction de l'actualité. Elle fait environ une accroche par mois sur l'esthétique, soit un numéro sur quatre. Nous réalisons aussi des sujets thématiques réguliers, avec une fois par an des numéros estampillés « Rajeunir » qui comportent une cinquantaine de pages dédiées, « Spécial kilos » ou encore « Cellulite »...

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Voila bien un numéro ambitieux !

Mme Monique Le Dolédec. - Le choix des mots utilisés est très important et fait l'objet, de notre part, d'une longue réflexion. Ainsi, nous n'utilisons plus le terme « maigrir », car c'est une notion à l'intérêt discutable. Tous ces numéros se vendent bien.

Par les sujets traités, nous ne faisons que refléter les préoccupations des femmes qui ont des attentes, des espérances, des envies, mais aussi des méfiances et des interrogations. Nous sommes comme des éponges qui intègrent et répondent à ce qui se passe dans la tête et le corps des femmes. Nous n'avons pas la science exacte mais nous leur apportons des réponses et des éclairages en faisant des enquêtes, en nous renseignant sur les nouveaux produits, en les testant. Notre métier est bien d'aider les femmes.

Nous publions aussi des témoignages sur des sujets ponctuels, plutôt sous l'angle de la psychologie ou de l'estime de soi, comme « La chirurgie esthétique a changé ma vie », ainsi que des articles qui rendent compte de phénomènes qui font l'actualité ou suscitent des polémiques, comme ce fut le cas pour ce que l'on a appelé le « vampire lift », technique qui consiste à réinjecter dans le visage du patient son sang préalablement prélevé après l'avoir passé à la centrifugeuse. Dans des cas pareils, nous enquêtons : il est hors de question d'en faire état sans en savoir plus. Tel a été notre comportement également lorsqu'il s'est agi de parler du laser fractionné ou de la cryothérapie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Mettez-vous en garde contre les risques de ces techniques ?

Mme Monique Le Dolédec. - Bien sûr, c'est notre métier. Nous cherchons continuellement à faire la part des choses, entre le pour et le contre, mais nous nous interdisons de juger : nous mettons les éléments à disposition de nos lectrices, sans stigmatiser celles d'entre elles qui ont recours à ces techniques. Nous les interrogeons plutôt sur leur expérience et les résultats qu'elles estiment avoir obtenus grâce à de telles interventions. Lorsque surgissent des polémiques, comme sur les cabines UVA, le blanchiment des dents ou la qualité du Botox® vendu sur Internet, elles sont traitées plutôt dans la partie généraliste de notre magazine que dans la section beauté afin de les aborder sous un angle plus large.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Comment préparez-vous vos articles ? Quel est le travail de recherche que vous menez ? Vos enquêtes sont-elles toujours approfondies ?

Mme Ariane Goldet, rédactrice en chef santé-beauté-forme du magazine Marie Claire. - Elles le sont d'autant plus qu'il en va de la santé de nos lectrices. En matière d'esthétique, nous ne publions aucun article qui n'a pas été relu ou qui n'a pas fait l'objet d'une véritable enquête.

Mme Monique Le Dolédec. - Nous sommes beaucoup lus, nous n'avons donc pas le droit à l'erreur.

Mme Ariane Goldet. - Et nous faisons confiance aux spécialistes pour nous prévenir si jamais nous avons malgré tout fait une erreur.

Mme Julie Lasterade. - Nous ne pourrions rien écrire si nous n'enquêtions pas.

Mme Monique Le Dolédec. - Nous sommes des journalistes à part entière et, au même titre que des journalistes politiques ou économiques, nous enquêtons sur les sujets qui paraissent dans nos colonnes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Ecrivez-vous sur les ratés ?

Mme Ariane Goldet. - Nous parlons tout autant des points positifs que des points négatifs. Nous présentons le pour et le contre, ce qui nous conduit régulièrement à écrire, par exemple, sur les dangers des injections trop importantes de Botox® qui ont été mis en lumière aux Etats-Unis et se traduisent par des maux de tête. S'agissant des nouvelles techniques, nous précisons toujours que nous n'avons pas assez de recul pour en mesurer pleinement les effets et, le cas échéant, qu'aucune étude scientifique n'a été publiée dans une revue de référence.

M. Alain Néri. - Considérez-vous que vos articles sont scientifiques ou de vulgarisation ?

Mme Ariane Goldet. - Dans mon cas, je considère que nous faisons de la vulgarisation. Marie Claire n'est pas un journal scientifique.

Mme Isabelle Sansonetti, journaliste au magazine Elle. - C'est la même chose pour Elle : nous mettons en garde nos lectrices lorsque les techniques sont nouvelles et nous interrogeons des spécialistes afin de nous faire notre propre idée sur la question.

M. Alain Néri. - La vulgarisation des différentes formes d'interventions esthétiques dans vos colonnes n'encourage-t-elle pas des personnes facilement influençables à courir des risques et à se soumettre à des pratiques sans que leur consentement éclairé ne puisse être établi ?

Mme Ariane Goldet. - Certaines femmes veulent de toute façon recourir à ces techniques, autant qu'elles soient informées des risques qu'elles encourent.

Mme Isabelle Sansonetti. - D'après les échos que je peux en avoir, nos articles les dissuadent parfois. Nous donnons un maximum d'informations sur ce qui existe afin que les femmes aient le plus d'éléments possible avant de décider de recourir à un acte esthétique.

Mme Ariane Goldet. - En outre, il existe aujourd'hui, en réaction au développement des interventions esthétiques, un engouement pour les techniques naturelles, sans risque, à base de massage ou de modelage. Il existe une vraie demande de la part de femmes qui refusent ces pratiques nouvelles. Nous leur fournissons donc aussi des informations à ce sujet.

Mme Julie Lasterade. - Dans Grazia, nous passons plutôt notre temps à mettre en garde les jeunes femmes sur les risques et les précautions à prendre si elles envisagent une intervention esthétique. Notre lectorat étant plus jeune, nous faisons plutôt la promotion de méthodes plus naturelles dans la technique comme dans le résultat.

Mme Ariane Goldet. - Chaque journal a une cible d'âge spécifique. Celle de Grazia est plus jeune. En revanche, il existe une demande d'information de la part de femmes plus âgées. Nous devons y répondre.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Vous êtes en relation avec votre lectorat ?

Mme Ariane Goldet. - Bien sûr. Nos lectrices constituent notre caisse de résonance.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Comment les préoccupations de vos lectrices vous parviennent-elles ?

Mme Ariane Goldet. - Nous sommes non seulement des femmes, mais notre métier de journalistes fait de nous, comme le disait ma consoeur, des éponges : on sent les tendances, on rencontre les acteurs, beaucoup d'informations nous remontent sur ce qui a du succès. Cette intuition des journalistes est complétée par les travaux de nos services de marketing et les tables rondes avec des lectrices que nous organisons régulièrement.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Avez-vous des règles d'éthique en matière de publicité pour le choix des annonceurs ?

Mme Ariane Goldet. - Cela relève du service publicitaire, qui est complètement distinct de la rédaction. Toutefois, je crois savoir que nous n'avons légalement pas le droit de refuser une publicité.

Mme Julie Lasterade. - Je n'ai personnellement jamais vu de publicité pour des produits injectables.

Mme Ariane Goldet. - Pourtant il y en a mais, phénomène plus inquiétant, on voyait il y a quelques années des publicités pour des cliniques privées qu'un magazine ne pouvait pas refuser.

D'ailleurs, sur quels critères pourrions-nous refuser la publicité d'un fabricant et accepter celle d'un autre ? Nous, journalistes, serions assez mal placés pour juger.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - On sait bien que certains produits sont dangereux.

Mme Ariane Goldet. - Un cas s'est récemment présenté avec un produit dangereux. Une firme française, qui cherchait à commercialiser un produit injectable, avait besoin pour celui-ci d'obtenir le marquage CE. Elle l'a demandé dans un autre pays européen puis a pu vendre ce produit en France. Heureusement, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) est intervenue. Les exigences pour obtenir le marquage CE ne sont pas uniformes dans l'Union européenne alors qu'il produit les mêmes effets. Le marquage CE est une garantie mais n'est pas une panacée.

Mme Julie Lasterade. - Le marquage CE est une garantie de production, de conformité à un cahier des charges mais non de sécurité sanitaire. Un produit marqué CE n'est pas forcément inoffensif.

M. Alain Néri. - Vous dites être attentives au souhait d'information et aux préoccupations de vos lectrices et lecteurs en matière de santé et de beauté. Déterminez-vous votre cible sur la base de critères autres que la simple vente de vos journaux ?

Mme Ariane Goldet. - Nous répondons aux attentes de notre lectorat.

M. Alain Néri. - Mais tracez-vous une frontière entre les pratiques qui relèvent de la santé, du bien-être et de la beauté ?

Mme Ariane Goldet. - La distinction entre santé et beauté tient dans l'urgence qui peut être attachée aux questions médicales. En matière de beauté et de lutte contre le vieillissement, on n'est jamais dans l'urgence. Notre conseil aux lectrices est donc de toujours prendre le temps de la réflexion en la matière.

Mme Monique Le Dolédec. - Nous leur recommandons de consulter des spécialistes et de recueillir plusieurs avis. De plus, nous ne sommes pas les seuls à même de dispenser des conseils à ces femmes. Les esthéticiennes, les kinésithérapeutes et surtout les médecins, professionnels diplômés et compétents, doivent eux aussi faire correctement leur métier. Le nôtre est d'informer notre lectorat, le leur est de mettre leurs compétences au service des femmes et des hommes qui viennent les voir. A chacun son métier.

Mme Ariane Goldet. - Le délai de réflexion est essentiel. Tout le monde aspire au rajeunissement et lorsqu'on est face à une telle promesse, on veut y croire et on a tendance à se précipiter. Il faut pouvoir y repenser chez soi, à tête reposée. Je veux insister sur le fait qu'en médecine ou chirurgie esthétique il n'y a jamais d'urgence.

M. Alain Néri. - En somme, vous apportez de l'information sur des bases vérifiées, tout en appelant à la prudence. Vous vous gardez de toute incitation.

Mme Ariane Goldet. - Par rapport à des domaines comme la coiffure ou le maquillage, le caractère incitatif est bien moindre. Nous sommes sensibles aux risques et au caractère aléatoire des résultats en fonction des personnes et des praticiens, d'où notre prudence.

Mme Monique Le Dolédec. - Les techniques de médecine esthétique, bien que moins invasives que la chirurgie esthétique, ne sont jamais anodines ; nous le rappelons toujours.

Mme Ariane Goldet. - Nous précisons également le recul qu'on peut avoir sur certaines techniques. On préfère attendre d'avoir les premiers retours plutôt que de traiter des nouveautés dès leur sortie. Aujourd'hui, comme le prix des études cliniques est très élevé, certains tests se font dans le cabinet du médecin. Nous ne voulons pas que nos lectrices soient des cobayes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Votre ligne éditoriale est-elle tournée vers un certain style de femmes ? Après le style mannequin, qui a fait des ravages en matière d'amaigrissement chez les jeunes, favorisez-vous le modèle d'une femme jeune et dynamique ?

Mme Ariane Goldet. - Marie Claire a une cible très large, qui débute dès dix-sept ans. Nous nous adressons donc à un public très nombreux et diversifié et nous laissons une grande liberté aux femmes, héritage de notre tradition militante et féministe. Nous écrivons des articles comme « Belle avec mes rides » ou « Plus belle à soixante qu'à trente ans » car ils sont le reflet de notre société. Une femme de cinquante-cinq ans aujourd'hui a une apparence beaucoup plus jeune qu'une femme du même âge il y a vingt ans. Avec l'augmentation de l'espérance de vie, le curseur se décale. Désormais, l'esthétique ou la beauté ne sont plus l'essentiel, mais le dynamisme compte aussi beaucoup. L'explosion du marché des tests génétiques est une bonne illustration de cette nouvelle réalité dont l'esthétique ne rend compte que très partiellement.

Mme Monique Le Dolédec. - Je n'ai pas l'impression de travailler pour un journal qui ne vise qu'un type de femmes. Il a un panel très large et même 30 % d'acheteurs. Nous avons sans doute tous des idéaux en tête, d'une image physique et intellectuelle de nous même que l'on souhaiterait atteindre. Mon journal est surtout marqué par un état d'esprit qui met l'accent sur le dynamisme et l'optimisme. Voila ce que nous souhaitons partager avec notre lectorat.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Quelles évolutions de la demande en matière d'esthétique avez-vous pu constater ces dernières années ? Le critère esthétique principal est-il donc désormais plutôt le dynamisme que la beauté ?

Mme Monique Le Dolédec. - Aujourd'hui, les femmes ne veulent pas avoir l'air fatigué. Comme l'expliquent très bien les sociologues, l'apparence a de l'importance vis-à-vis des autres mais aussi de soi-même en ce qu'elle contribue, chaque matin, à définir notre état d'esprit.

Mme Ariane Goldet. - Il est intéressant de noter une autre évolution récente en la matière. Les femmes ne se focalisent plus sur les rides comme il y a vingt ans mais sur la santé et l'éclat de la peau. Nos articles sur le sujet doivent aborder aussi bien l'alimentation que l'hygiène de vie. On sort du champ de la médecine esthétique.

Mme Isabelle Sansonetti. - Les femmes ne veulent pas être transformées et sont plus méfiantes que par le passé vis-à-vis de la chirurgie esthétique. Elles recherchent maintenant une harmonie générale et veulent rester elles-mêmes.

Mme Ariane Goldet. - Les femmes subissent plus jeunes des interventions plus légères, et cela se voit beaucoup moins. On repère facilement une femme plus âgée qui a subi une intervention il y a quelques années. Aujourd'hui, les techniques et les gestes chirurgicaux plus précis, développés notamment par l'école française, la french touch reconnue jusqu'aux Etats-Unis, visent à privilégier le naturel. Les codes américains d'injections du Botox® s'en inspirent afin d'éviter d'en utiliser de trop grandes quantités.

Mme Julie Lasterade. - Il est désormais plus important d'avoir une belle peau, sans pores, mais je trouve cela paradoxal car avec l'arrivée du Botox® et de l'acide hyaluronique les femmes qui y ont recours, même jeunes, changent de tête. Je repère vite ces femmes qui, ayant fait de la mésothérapie, ont un teint plus ciré. Les femmes veulent plus de naturel mais sont prises dans un engrenage.

Mme Ariane Goldet. - Avec le Botox® et l'acide hyaluronique, qui sont résorbables, il faut six mois pour revenir à l'état de départ. L'image qu'on a de soi, son image corporelle, n'est donc pas modifiée, contrairement à ce qui se passe en cas d'intervention définitive, comme un lifting. Cette idée de réversibilité me semble capitale. On peut décider de recommencer ou non. Les femmes qui tombent dans la dysmorphophobie ou l'addiction à ce genre de techniques n'attendent pas que leur apparence revienne à sa forme naturelle. Il faut être prudent sur ce point, et nous disons clairement à nos lectrices qu'il n'est pas recommandé de subir de telles injections plus de deux fois par an.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Des considérations financières n'entrent-elles pas également en jeu ? Et puis il me semble que certaines femmes ont recours à ces techniques par crainte des complications parfois rencontrées en chirurgie esthétique. Les effets du Botox® ne sont pas permanents.

Mme Ariane Goldet. - Ils durent de quatre à six mois, puis le vieillissement revient.

Mme Julie Lasterade. - Il me semble qu'aujourd'hui la chirurgie esthétique s'adresse aux femmes qui ont plus de cinquante ans.

Mme Monique Le Dolédec. - Tout dépend de l'opération envisagée.

Mme Ariane Goldet. - Il est vrai que le nombre d'actes de chirurgie esthétique est en nette diminution. C'est la raison pour laquelle les chirurgiens esthétiques souhaitent faire plus d'injections et sont en opposition sur ce point avec les médecins esthétiques.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Comment expliquez-vous que le phénomène de développement des interventions esthétiques ait moins d'ampleur en France qu'ailleurs ?

Mme Ariane Goldet. - C'est difficile à dire. Les raisons sont sans doute culturelles. En Asie, les femmes ont une culture de la blancheur mais peu de rides. Au Brésil, les interventions concernent bien plus le corps que le visage. On peut toutefois constater l'apparition d'un modèle universel de la femme. Les caractéristiques spécifiques à chaque continent tendent à s'amenuiser face à la mondialisation d'un type féminin. Les Asiatiques se font débrider les yeux, par exemple.

Mme Isabelle Sansonetti. - Mais celles qui vivent hors d'Asie, contrairement à celles qui y vivent, ne les font débrider qu'à moitié, comme si elles voulaient préserver une part de leur identité.

Mme Julie Lasterade. - Dans certains pays, comme aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud, la chirurgie esthétique ou les injections peuvent être un signe extérieur de richesse...

Mme Ariane Goldet. - Comme le bronzage l'était il y a quelques années.

Mme Julie Lasterade. - Mais chez les jeunes, le Botox® devient une mode.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Vous sentez monter un tel phénomène ?

Mme Ariane Goldet. - C'est incontestable.

Mme Julie Lasterade. - Ce n'est absolument plus tabou.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - C'est donc un phénomène de société ?

Mme Ariane Goldet. - Effectivement, et plus on commence jeune, plus le risque est élevé de perdre l'image de soi et de refuser le vieillissement par rapport aux générations qui n'ont connu ces techniques qu'à cinquante ans. Cela va susciter un problème psychologique d'appréhension du vieillissement totalement différent de ce que nous avons connu jusqu'à présent.

Mme Isabelle Sansonetti. - Tous les médecins ne sont pas d'accord sur ce point. Certains disent qu'ils accueillent plus de jeunes dans leur cabinet, d'autres non. En l'absence de statistiques officielles, il est difficile de se prononcer. Peut-être une frange de cette génération a-t-elle recours à cette chirurgie pour imiter celle de ses parents, qui l'a banalisée.

Mme Julie Lasterade. - C'est peut-être un phénomène très parisien.

Mme Ariane Goldet. - En matière de chirurgie mammaire, les demandeuses sont de plus en plus jeunes. Certains chirurgiens sont extrêmement rigoureux sur ce point et refusent d'opérer, si le but est purement esthétique, les jeunes filles de moins de dix-huit ans mais d'autres acceptent.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus dans le domaine de l'esthétique ?

Mme Julie Lasterade. - La chirurgie esthétique est assez bien encadrée alors que la médecine esthétique ne l'est pas du tout. Des personnes se faisant passer pour des médecins proposent des injections de Botox® ou d'acide hyaluronique. Les produits utilisés sont assez mal connus de l'Afssaps. La réaction de la peau et du corps aux produits injectés sur la durée l'est également. Les médecins rechignent à signaler les effets secondaires qu'ils constatent.

Mme Ariane Goldet. - La situation est différente pour le Botox®, pour lequel nous disposons d'un recul de plus vingt ans.

Mme Julie Lasterade. - Effectivement, c'est un médicament qui bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché (AMM). Mais d'autres produits injectables, comme l'acide hyaluronique, ne sont pas des médicaments. Il n'y a donc pas eu d'AMM, les remontées sont très limitées et l'encadrement est faible.

Mme Monique Le Dolédec. - C'est pareil pour les injections anticellulite, qui sont heureusement interdites aujourd'hui.

Mme Ariane Goldet. - Le marché pour ces produits est énorme et mondial, avec une croissance de 12 % et de 8 % par an en Europe et en France. De grosses entreprises l'investissent car elles ont bien compris son potentiel de développement. Certains acteurs issus de pays où les contrôles sont peu rigoureux font du marketing pour leur acide hyaluronique en mettant en avant sa composition spécifique, qui le différencie de la concurrence. Pourtant, plus la formule de ces produits est complexe, à base de molécules et d'ingrédients nouveaux, plus les risques allergiques sont élevés. Ils peuvent agir à retardement et se déclarer plus tard, lors d'une nouvelle injection. Il est indispensable de savoir précisément ce que l'on se fait injecter. Le carnet de suivi esthétique est donc une bonne chose, surtout sur la longue durée. Comment connaître autrement, à soixante ans, les produits qui composaient une injection reçue à trente ans ?

Il existe donc un risque de croisement des allergènes et de multiplication des réactions très important. Nous incitons nos lectrices à choisir les produits les plus simples et à bien regarder la boîte de ceux-ci.

Mme Monique Le Dolédec. - Malheureusement elles refusent de le faire, malgré les mises en garde réitérées dans chacun de nos articles. Elles ne veulent pas savoir.

Mme Ariane Goldet. - Des médecins peu rigoureux, à qui les laboratoires offrent de nouveaux produits, les testent ensuite sur leurs patientes et les leur facturent sans révéler leur véritable composition.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Attention, il ne faut pas faire d'amalgame : ne mettons pas tous les médecins dans le même panier.

Avez-vous consacré des articles au tourisme esthétique ? Si c'est le cas, quel jugement avez-vous porté dessus ?

Mme Monique Le Dolédec. - Nous y avons consacré un article il y a bientôt trois ans : nous étions très circonspects car nous manquions de recul. Nous avions mis en garde nos lectrices sur l'absence de suivi. Il fallait traiter ce sujet car il faisait alors l'actualité, mais nous avons recommandé la prudence.

Mme Isabelle Sansonetti. - Il paraît aberrant d'aller se mettre entre les mains d'un chirurgien qu'on ne rencontre pas avant l'opération et qu'on ne connaît pas.

Mme Monique Le Dolédec. - C'est très souvent une question de coût.

Mme Ariane Goldet. - Il est souvent trois fois moindre.

Par ailleurs, il faut rappeler que la formation des médecins esthétiques est souvent assurée par les fabricants des produits qu'ils utilisent.

Mme Isabelle Sansonetti. - Il n'y a pas de véritable diplôme reconnu en médecine esthétique car le terme « esthétique » est réservé aux chirurgiens plasticiens. Les formations proposées par les sociétés savantes sont assez hétérogènes. Il faudrait créer une formation de médecine esthétique qui soit reconnue par le ministère de la santé afin que les femmes puissent savoir quelle est la qualification de ceux à qui elles s'adressent.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Nous y pensons également, c'est l'objet de notre mission d'information.

Mme Ariane Goldet. - Nous sommes plusieurs à avoir récemment assisté au congrès international de médecine anti-âge à Monaco. Nous avons été affolées...

Mme Isabelle Sansonetti. - Par la foire commerciale !

Mme Ariane Goldet. - ... par le nombre de produits proposés. C'est un marché énorme qui dépasse de loin les injections : machines, gélules, tests génomiques.

Mme Monique Le Dolédec. - Nous souhaitons, afin de protéger nos lectrices, qu'il y ait un véritable encadrement de ce secteur.

Mme Ariane Goldet. - Les femmes et les hommes sont tentés par ces techniques, c'est le cours des choses. On ne pourra pas les en empêcher, il faut donc prendre des mesures pour mieux les protéger.

Mme Monique Le Dolédec. - Nous comptons sur vous !

Mercredi 25 avril 2012

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente. -

Audition de MM. Pierre Chirac, membre de la rédaction de Prescrire, et Mathieu Escot, chargé d'études santé à l'UFC-Que Choisir, au nom du collectif Europe et Médicament

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Alors que l'essentiel de la réglementation relative aux dispositifs médicaux relève des instances européennes, rares sont les collectifs de niveau européen comme le vôtre. Créé en 2002, il réunit des représentants des patients, des professionnels de santé et des mutuelles. Nous souhaitons vous interroger sur ce que vous inspire la répétition d'incidents relatifs à la sécurité de dispositifs médicaux implantables (DMI), mais aussi sur le marché des produits et interventions à visée esthétique, dont nous avons le sentiment qu'il reste peu réglementé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Pouvez-vous, après une brève présentation de votre organisme nous préciser la nature de vos actions ?

M. Pierre Chirac. - Le collectif Europe et Médicament est né en 2002, alors que la Commission européenne entreprenait de réviser le cadre communautaire relatif au médicament. Les projets de règlements et de directives lancés par la Commission se sont succédé, nous avons donc continué notre travail. Notre collectif, constitué de représentants des patients, des soignants, des mutuelles, prend des configurations différentes selon les sujets abordés, et travaille beaucoup en relation avec d'autres collectifs, afin de nous donner plus de poids à l'échelle européenne. Pour les dispositifs médicaux, nous avions répondu à la consultation lancée par la Commission européenne en 2008 avec trois autres collectifs européens, représentant les mêmes acteurs que le nôtre.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quelles sont vos actions ?

M. Pierre Chirac. - Nous assurons une veille sur les projets de la Commission européenne, émettons des propositions lors des consultations sur les projets de règlement ou de directive, dans le domaine du médicament pour l'essentiel.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Vous êtes-vous intéressés aux dispositifs médicaux ?

M. Pierre Chirac. - Outre la consultation que j'ai évoquée, nous suivons aujourd'hui de près le projet de révision de la directive relative aux essais cliniques et de la directive transparence sur le médicament.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Au vu de l'apparente diversité de vos membres, et notamment de la présence de représentants des professionnels de santé, comment gérez-vous les liens d'intérêts susceptibles de survenir ?

M. Pierre Chirac. - Notre fonctionnement est collégial : nous défendons une vision élargie de l'intérêt des acteurs, qui, exigeant des compromis, exclut les positions corporatistes. Aucun groupe ne pourra défendre de position particulière. Nous défendons l'intérêt des patients et poursuivons des objectifs de santé publique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Dans un communiqué de presse daté du 31 janvier dernier, le collectif Europe et Médicament déclare souhaiter un renforcement de l'évaluation des dispositifs médicaux avant leur mise sur le marché. Vous évoquez également les « graves lacunes du circuit d'évaluation et de suivi des dispositifs médicaux et l'échec du système de certification basé sur le marquage CE ». Pouvez-vous préciser vos critiques à l'encontre du système européen de marquage et de surveillance des dispositifs médicaux, et nous présenter vos recommandations ?

M. Pierre Chirac. - Nous avons participé à la consultation lancée par la Commission européenne en 2008 sur la refonte de la directive touchant aux dispositifs médicaux, car nous estimions que bien des progrès restaient à accomplir, notamment en matière d'harmonisation. Plusieurs options nous étaient soumises, allant du statu quo à l'alignement sur la procédure d'autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l'Agence européenne du médicament, telle qu'elle existe pour le médicament. Cela représentait l'encadrement maximal proposé. Nous nous sommes prononcés en faveur d'une AMM, au moins pour les dispositifs médicaux les plus à risque. Hélas, le bilan publié par la Commission fut très décevant, parce que, sur les quelque deux cents participants à la consultation, nombreux étaient les organismes intéressés, au sens financier du terme, fabricants ou organismes notifiés, qui ont fait pencher la balance en faveur du statu quo. Or la Commission n'a considéré que la moyenne du total des réponses.

A la suite du scandale survenu en France avec les prothèses PIP, nous avons donc souhaité intervenir. La Commission européenne voulait renforcer la sécurité dans ce domaine, mais en s'en tenant, pour l'essentiel, à ce qui se passe après la commercialisation - notification d'effets indésirables, traçabilité - et penchait, en amont, contre l'AMM pour les dispositifs médicaux. Cela ne reviendrait qu'à améliorer à la marge le dispositif. Nous avons donc voulu attirer l'attention des Etats membres sur la nécessité de renforcer le cadre communautaire au-delà de ce que proposait la Commission.

M. Mathieu Escot. - J'aimerais apporter le point de vue de l'usager du système de santé. La répétition de scandales, en particulier l'affaire des prothèses PIP, a fait prendre conscience au consommateur de l'absence de contrôle des dispositifs médicaux avant leur mise sur le marché. Comment admettre que ce que l'on va vous implanter dans le corps ne fasse pas l'objet de la même surveillance et des mêmes procédures d'homologation que celles qui s'imposent aux médicaments ? Tout cela a suscité une perte de confiance, y compris à l'égard des autorités sanitaires. Les courriers des lecteurs que nous recevons, les bénévoles spécialisés dans l'aide au litige fournie aux adhérents au sein de nos associations locales, témoignent de cette incompréhension. N'est-il pas scandaleux qu'un pace maker, un dispositif dont votre vie va dépendre, ne subisse pas, en amont, des tests à la hauteur ? Il faut donc rétablir la confiance pour renouer avec une démarche saine. Nous pouvons, en la matière, dresser un parallèle avec le Médiator : l'utilisateur ne peut comprendre l'existence de failles dans un processus qui, de son point de vue, doit être parfait car il touche à sa santé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Comment envisagez-vous l'AMM que vous préconisez ? Comment s'articuleraient les échelons national et européen ?

M. Pierre Chirac. - L'Europe se rapproche de ce qui existait dès avant les années 2000 aux Etats-Unis, où les producteurs doivent communiquer à la Food and Drug Administration (FDA) des renseignements relatifs à l'efficacité et l'innocuité des dispositifs médicaux les plus à risque devant être commercialisés. Pour les patients comme pour les soignants, il n'y a pas de raison de faire la différence entre médicaments et dispositifs médicaux : ils ont aussi besoin, pour ces derniers, de disposer de renseignements sur leurs indications, leurs contre-indications, leurs limites, voire d'informations comparatives. Il est étonnant de constater que le seul contrôle pour les implants porte sur la qualité de la fabrication. Pour le médicament, une directive de 1965 prévoit deux autres critères : l'efficacité et l'innocuité. Or il est essentiel que les patients et les soignants disposent de ces informations, au moins pour les dispositifs médicaux à risque, de classes IIb - à risque potentiel élevé - et III - à risque potentiel critique. Le British Medical Journal, l'une des plus grandes revues médicales mondiales, a ainsi crûment observé que le patient, en Europe, est un « cobaye », car les produits arrivent sur le marché sans avoir été testés. Ce n'est qu'en intégrant les mêmes exigences que celles qui sont requises pour le médicament que les autorités de santé pourront réellement protéger la santé publique et mettre l'information à la disposition des patients.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Ne visez-vous pas trop large avec les classes IIb et III, alors que l'on objecte souvent que la lourdeur des procédures complique l'innovation, notamment pour les PME ? Une liste positive ne serait-elle pas plus pertinente ?

M. Pierre Chirac. - Dans les années 1980, il existait près de deux mille firmes ou PME pharmaceutiques. Beaucoup ont disparu depuis et la santé publique ne s'en porte pas plus mal, au contraire ! Quand on ne contrôle pas, il est naturel que beaucoup de petits acteurs puissent apparaître.

Reste que les petits producteurs doivent pouvoir fabriquer sur le long terme des produits de qualité. Le collectif Europe et Médicament s'intéresse évidemment à l'innovation, mais sous son angle thérapeutique, et non purement technique. Pour vérifier le progrès thérapeutique représenté par un produit, il faut une évaluation clinique, aujourd'hui inexistante, avant toute mise sur le marché, alors qu'on se contente d'un suivi, après commercialisation, sur les effets indésirables. On ne peut raisonner sur le seul risque, il faut aussi s'intéresser à la balance bénéfices-risques : il est des cas où un bénéfice important peut faire admettre un risque, d'autres où aucun risque, même petit, n'est admissible, car il n'y a pas de bénéfice. Pour les dispositifs médicaux qui peuvent être considérés comme des produits de santé, lorsqu'ils cherchent à prévenir ou à traiter des problèmes de santé, une telle balance aide les soignants comme les patients à faire les meilleurs choix.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - L'AMM que vous préconisez devrait-elle être délivrée par l'Agence européenne du médicament ou par les organismes notifiés, en faisant évoluer leurs compétences et les exigences qui pèsent sur eux ?

M. Mathieu Escot. - Nous envisageons plutôt un système s'appuyant sur l'Agence européenne du médicament, dotée de nouvelles prérogatives, sachant que le système actuel a montré ses limites, même s'il est vrai que cela est dû, en partie, à la définition des missions confiées aux organismes notifiés. Pour aller vers un bilan bénéfices-risques, il faut changer de logique et confier l'évaluation à des organismes publics.

M. Pierre Chirac. - Actuellement, pour le médicament, l'Agence européenne du médicament peut s'appuyer sur l'avis des agences nationales. Dans le cas des dispositifs médicaux, l'Agence européenne n'aurait donc pas à faire tout le travail, et les organismes notifiés, s'ils étaient mieux contrôlés par les agences, ne seraient pas nécessairement inutiles.

L'objectif de notre collectif est d'assurer la population d'un niveau de contrôles et d'informations suffisant.

Nous sommes également en faveur d'un contrôle plus exigeant des conflits d'intérêts. Le système actuel repose, pour beaucoup, sur le marquage CE. Or on sait que les experts chargés de contrôler la qualité ont, à un moment donné, travaillé avec les fabricants. Il faut donc que les autorités publiques se dotent d'une capacité d'expertise ou, tout au moins, qu'elles s'appliquent à prévenir les conflits d'intérêts. C'est pourquoi nous estimons qu'il serait bon de s'inspirer de ce qui existe pour le médicament, même si le dispositif n'est pas encore idéal.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Que pensez-vous des moyens européens mis en place pour la surveillance des dispositifs médicaux, et notamment de la base Eudamed ? Seriez-vous favorable à la création d'un système d'identification unique (UDI) pour les dispositifs médicaux présentant le plus de risques ? Que pensez-vous des registres de dispositifs médicaux, comme il en existe dans les pays du nord de l'Europe ou en Australie ? Est-il envisageable de les développer à l'échelle européenne ?

M. Pierre Chirac. - Les registres constituent la première étape du contrôle, qui permet de savoir ce qui existe sur le marché européen. Mais il faut aussi, pour chaque dispositif médical, pouvoir disposer des informations requises pour peser la balance bénéfices-risques, comme le fait la FDA américaine. Sur son site, elle fait apparaître les renseignements pour les dispositifs médicaux de classe III, même si on leur voudrait plus de clarté. Tel est donc notre objectif. Or je crains que les registres européens ne restent de simples listings, sans intérêt pour les patients et les soignants, même s'ils permettraient, à la rigueur, aux autorités de savoir qui fait quoi.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Je songeais aussi au suivi des dispositifs implantés. L'existence d'un registre digne de ce nom, dans le cas des prothèses PIP, aurait par exemple pu alerter sur un nombre de ruptures plus important que pour d'autres prothèses.

M. Pierre Chirac. - Sur Eudamed, je ne puis vous répondre plus précisément, car seules les agences du médicament peuvent y accéder. Si un registre devait être mis en place pour assurer une matériovigilance, il faudra qu'il soit largement accessible et que les patients comme les soignants soient fermement incités à notifier les problèmes. Or, on le sait, les chirurgiens ne l'ont pas fait dans le cas des prothèses PIP. La notification décentralisée, via les centres de pharmacovigilance ou les agences nationales du médicament, plutôt qu'à un lointain organisme européen, nous apparaît, de ce point de vue, le meilleur système. Un registre de suivi des dispositifs médicaux après commercialisation peut donc être important, mais il ne suffit pas : il faut un contrôle en amont, portant sur la balance bénéfices-risques.

M. Mathieu Escot. - Les consommateurs ont aussi un rôle de veille à jouer, d'où la nécessité de leur mise à niveau dans le processus de notification. Pour que les patients puissent faire remonter l'information, il faut aussi lever leurs craintes quant à une possible utilisation de leurs données privées.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Avez-vous établi des comparatifs entre dispositifs médicaux ?

M. Mathieu Escot. - Non.

M. Pierre Chirac. - Si la revue Prescrire, à la rédaction de laquelle j'appartiens, n'a pas de rubrique sur les dispositifs médicaux, c'est bien parce que l'on manque, à leur sujet, d'information scientifique, pas même celle dont on dispose pour les médicaments grâce à l'AMM. Quand existent des essais cliniques, les agences sont soumises de fait à une exigence de transparence quant aux éléments qui ont fondé leur décision.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Vous disposez tout de même d'un certain nombre d'informations, par exemple à propos des stents.

M. Pierre Chirac. - Cela ne représente presque rien, comparé à ce dont nous disposons pour le médicament, alors qu'il y a beaucoup plus de dispositifs médicaux sur le marché.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - C'est bien le but de notre mission que de rechercher un système qui fonctionne. Pensez-vous qu'il faille renforcer l'information des professionnels et des consommateurs européens sur les dispositifs médicaux, déficients ou non, et avez-vous des propositions en ce sens ? Cela pourrait passer, par exemple, par un site Internet transparent et indépendant, à l'instar de ce qu'a mis en place le gouvernement de l'Etat de Victoria en Australie, avec le Better Health Channel.

M. Mathieu Escot. - Il existe un réel besoin d'information. Les consommateurs, au premier chef, veulent des données sur la balance bénéfices-risques et des instructions d'utilisation précises. Des études menées au niveau européen ont montré que de réelles carences existaient en la matière. L'information qui leur est délivrée doit être pure de tout biais. Il est donc essentiel de s'assurer que le patient, qui n'est pas un expert, puisse disposer d'une information qui ne porte pas la marque de divers intérêts. Il se pratique parfois, en amont, des tests auprès des consommateurs sur l'information qui leur est délivrée. Ils aident à vérifier ce qui est bien compris, ce qui mériterait d'être amélioré : cela vaudrait la peine de développer ces pratiques.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous avons rencontré des associations de patientes, dont les représentants nous ont dit que le problème n'est pas tant l'information disponible que les modalités de sa transmission. Les patients ne sont pas toujours psychologiquement prêts à entendre les mises en garde.

M. Mathieu Escot. - Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), dont l'UFC-Que Choisir est membre, a mené une enquête au niveau européen sur les prothèses mammaires, qui a bien fait apparaître ce besoin d'information.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Dans la perspective de la révision, annoncée par le commissaire Dalli, de la réglementation européenne relative à la surveillance et à la sécurité des dispositifs médicaux, votre organisme a-t-il approché la Commission et formulé des propositions ? Disposez-vous d'informations sur les travaux en cours et que pensez-vous des orientations retenues ?

M. Pierre Chirac. - L'idée d'une révision remonte à plus loin : la première consultation, lancée par la direction générale « entreprises », a eu lieu en 2008. La synthèse qu'en a retirée la Commission nous semble, je l'ai dit, biaisée, puisqu'elle ne fait que recommander de s'en tenir au statu quo, comme l'ont souhaité les firmes et les organismes notifiés. C'est regrettable. Sans doute le scandale PIP, qui, à la différence du Mediator, n'est pas seulement franco-français, suscitera des réactions des Etats membres : il se pourrait que les gouvernements, les parlementaires et, au-delà, la société civile, poussent la Commission à aller plus loin dans ses propositions, qui sont pour l'instant tout à fait insuffisantes. Notre collectif, avec d'autres, va être reçu à Bruxelles, le 30 mai, par le directeur adjoint de cabinet de M. Dalli. Nous allons défendre nos idées, mais nous manquons d'informations sur les travaux en cours. C'est une vraie boîte noire : vous en savez sûrement plus que nous !

M. Mathieu Escot. - Le BEUC, impliqué auprès de la Commission par des actions de lobbying et des rencontres diverses, a été associé, en amont, au projet de résolution du Parlement européen, qui va être adopté sous peu et rejoint en grande partie les orientations aujourd'hui évoquées : renforcement, dans l'immédiat, des contrôles et réforme, à terme, de la réglementation, pour aller vers une forme d'AMM.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Que vous inspire le développement rapide, ces dernières années, de la médecine esthétique et des interventions non médicales à visée esthétique ? Quels dangers particuliers pour la santé des patients avez-vous identifiés dans ces pratiques ? Selon vous, quelles modalités faudrait-il mettre en place pour un meilleur encadrement de ce secteur où la réglementation reste floue et parfois mal respectée ?

M. Pierre Chirac. - Cela sort un peu de nos compétences. Nous avions cependant répondu, lors de la consultation de 2008, au point 4, qui portait sur les dispositifs médicaux invasifs sans visée médicale, que, dès lors qu'un dispositif est implantable, il doit relever, fût-il à but purement esthétique, des principes applicables aux DMI, en raison du risque potentiel critique pour la santé. Le doute doit toujours bénéficier au patient et conduire à l'adoption du statut le plus protecteur.

M. René-Paul Savary. - Vous vous déclarez en faveur d'une procédure européenne, mais plus on est éloigné, moins on est sûr du résultat. Vous avez parlé de l'opacité de la Commission ou des conflits d'intérêts parmi les experts. Si la procédure européenne, vers laquelle il faut sans doute aller, n'est pas garantie, on court un risque. On le voit pour les AMM pour les médicaments : une autorisation refusée en France peut être accordée dans un autre pays.

M. Pierre Chirac. - Ce n'est pas la règle.

M. René-Paul Savary. - Mais c'est le fait ! Si l'on prend des mesures différentes d'un pays à l'autre, nous n'aurons fait que compliquer le système. Il existe bien, au niveau national, un système de protection ; peut-être cela vaudrait-il la peine de l'améliorer, en renforçant le contrôle de l'Etat sur les agences, en lui octroyant plus de moyens, plutôt que d'inventer de toutes pièces un nouveau système, forcément complexe ? J'ajoute que, si l'on met en place des procédures trop contraignantes, on risque de pénaliser l'innovation. Pourquoi ne pas envisager une procédure intermédiaire, en prévoyant une AMM, non par dispositif, mais par grands types de produits ou de matériaux utilisés, comme le silicone, assortie d'un système de suivi plus précis, par la création d'un registre, par exemple ?

M. Pierre Chirac. - L'AMM incorporera, en tout état de cause, de nouveaux critères, nécessairement documentés par des évaluations cliniques, permettant d'établir une balance bénéfices-risques. Pour le médicament, il existe différents canaux, certains obligatoires, d'autres facultatifs. Les AMM purement nationales sont rares, hors génériques. Pour les dispositifs médicaux, nous défendons avant tout certains principes : contrôle sur critères cliniques et non uniquement sur la qualité de fabrication, et mise à disposition d'informations validées par les autorités.

Une procédure par type de produits ? Pourquoi pas, si les connaissances scientifiques le permettent. Les producteurs mettent en avant l'innovation. Or ce qui compte avant tout pour les patients et les soignants, c'est l'intérêt thérapeutique. On sait combien de nouveaux médicaments ont peu d'intérêt thérapeutique. Il faut donc que la collectivité fixe un certain nombre de principes pertinents dans ce domaine.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Le critère de l'intérêt thérapeutique est compréhensible, mais y incluez-vous l'intérêt thérapeutique psychologique, comme cela peut être le cas pour les prothèses posées à des fins de reconstruction ?

M. Pierre Chirac. - C'est en effet à prendre en compte. Il en va de même pour le Viagra, qui n'a pas qu'un seul usage récréatif : il sert aussi à certains patients, qui ont été opérés, par exemple, à se reconstruire. Les prothèses mammaires ont aussi ce rôle. La dimension psychologique fait donc, bien entendu, partie intégrante de l'intérêt thérapeutique.

Audition de M. Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Depuis plusieurs années, votre association cherche à mettre en place un registre exhaustif des prothèses de cheville. Merci de nous donner aujourd'hui l'opportunité d'entendre votre témoignage, notamment sur les difficultés que vous avez rencontrées dans la constitution de ce registre.

Le scandale des prothèses PIP comme l'affaire concernant les prothèses de hanche DePuy nous ont laissé penser que, si nous avions eu des registres bien renseignés, peut-être l'alerte aurait-elle pu être donnée plus tôt et les pouvoirs publics auraient-ils pu mieux anticiper les dispositions à prendre pour la protection des patients. Parallèlement, nous constatons que le renseignement des registres, au-delà de leur constitution, pose des problèmes pratiques aux professionnels de santé ainsi que des problèmes d'accessibilité aux fichiers correspondants.

M. Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied. - Permettez-moi, tout d'abord, de dire quelques mots sur l'organisme que je représente. L'Association française de chirurgie du pied (AFCP) est une société savante associée à la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (Sofcot) que vous avez déjà auditionnée. Je souhaite vous apporter un éclairage pratique sur le thème des registres de dispositifs médicaux implantables, en m'appuyant sur le cas des prothèses de cheville. Qu'apporte un registre ? Est-il complémentaire de la matériovigilance et des données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur.- Quelles raisons ont poussé l'AFCP à créer ce registre ? Dans quelle mesure s'est-elle inspirée d'autres modèles français ou étrangers ? Pourriez-vous décrire la nature des informations collectées dans ce registre ? Comment fonctionne-t-il ? A quelles difficultés concrètes la mise en place de ce registre se heurte-t-elle ? Est-ce réservé à la chirurgie du pied ou avez-vous l'intention de l'élargir ? Les explantations sont-elles également renseignées ?

M. Jean-Luc Besse. - Avant les scandales du Mediator et des prothèses PIP, l'AFCP a été elle-même confrontée à une affaire concernant les prothèses de cheville. Les prothèses de cheville donnent lieu à environ six cents poses chaque année et il s'agit d'un dispositif remboursable en nom de marque, donc très contrôlé. En 2004, quatre modèles de prothèses de cheville avaient été autorisés sur le marché. En 2006, l'AFCP a réalisé une grande étude multicentrique des douze principaux centres poseurs : on a répertorié plus de six cents implants, et aucun de ces quatre types de prothèses ne posait de problème.

En 2008, dans le cadre d'un contrat d'évaluation, j'ai lancé une alerte au sujet d'une des quatre prothèses qui se caractérisait par un taux d'ostéolyse élevé, ayant pour conséquence des descellements, à trois ans de recul. S'ensuit, en France, une polémique intense. J'ai alerté également l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Après beaucoup d'hésitations, la société qui commercialisait le produit l'a retiré du marché au début de 2009. Depuis, quatre publications internationales ont confirmé sa nocivité, à 100 % pour la dernière étude qui date de 2011.

A la suite de ces remous qui ont menacé de faire éclater notre société, avec l'ancien président de l'AFCP, le docteur Michel Maestro, nous avons décidé, en 2008, de créer un registre. Ce registre poursuivait un but scientifique, d'évaluation de nos pratiques. Le contexte réglementaire nous a semblé favorable, puisque nous nous placions en remboursement en nom de marque qui contraint les industriels à fournir des données exhaustives sur leurs produits en vue d'obtenir des remboursements et des autorisations du Comité économique des produits de santé (Ceps).

Le registre n'a d'intérêt que s'il est exhaustif. Or, la France accuse dans ce domaine un retard considérable par rapport à des pays comme la Suède, dont le premier registre date de 1975, ou même la Roumanie (2001) et la Slovaquie (2003). Notre seul registre sur les prothèses de hanche date de 2006, et peut être qualifié d'échec puisqu'il se caractérise par un taux de remplissage de 1 %.

Une très intéressante étude a été réalisée par la société Calling, publiée en 2007 dans la revue Bone and Joint Surgery, pour identifier les critères garantissant l'efficacité d'un registre, à partir de quinze registres existants. J'ai étudié les quatre registres de prothèses de cheville existants, ceux de la Suède, Norvège, Finlande et Nouvelle-Zélande, qui existent depuis la fin des années 1980 avec des remplissages qui atteignent les 95 %.

La première étape consiste à déterminer les informations qu'il convient d'inscrire dans le registre. Celles-ci sont de trois types :

- les données épidémiologiques : quelles sont les indications, quel type d'intervention a été pratiqué, quel implant a été posé pour en assurer la traçabilité à travers un numéro ;

- les fiches de reprise ou de révision et les fiches de suivi. Seule l'expérience sur dix ans permettra d'évaluer le service rendu par la prothèse. Ces fiches permettent ainsi de connaître le motif de la reprise, s'il y a des douleurs, la radiographie, etc. On a ainsi défini trois catégories de reprises : la reprise facilement authentifiable quand l'implant a failli et qu'il est nécessaire de le remplacer pour bloquer l'articulation (arthrodèse) ; des réinterventions avec ablation partielle d'une ou plusieurs pièces ; l'échec complet.

Dans certains registres, comme en Suisse ou en Nouvelle-Zélande, les chirurgiens ont la possibilité de rentrer les scores fonctionnels, la mobilité, la douleur et les données radiologiques. Le registre est très important, car il permet de suivre les courbes de survie. Dans le cas des prothèses de cheville, les séries-concepteurs les plus fréquentes correspondent à des courbes de survie à dix ans de 85 %. Au niveau de la hanche, on situe de 95 % à 99 %. Concernant les prothèses ASR, ce sont les registres étrangers qui nous ont fait voir qu'à cinq ans la courbe de survie était insuffisante par rapport à la moyenne. Dans les registres scandinaves, les courbes de survie des prothèses de cheville sont comprises entre 60 % et 70 %.

En France, on compte six cents prothèses de cheville par an, pour cent quarante-huit poseurs : il est difficile d'obtenir des données fiables en matière de matériovigilance quand un chirurgien pose une ou deux prothèses par an !

Quelles sont nos difficultés ? Ce registre n'est pas encore en place aujourd'hui, bien que nous y travaillions sans relâche depuis deux ans. D'abord, il doit être exhaustif. Or, l'expérience en France des prothèses de hanche montre que si l'on ne compte que sur la bonne volonté des acteurs, le taux de remplissage n'est que d'à peine 1 %. Il n'existe pas, dans notre pays, d'obligation réglementaire en ce sens - à la différence d'autres pays comme la Finlande où le remboursement est lié au renseignement du registre. Enfin, le nerf de la guerre est l'argent, il faut le financer ! Pour la Sofcot, le coût d'une prothèse est d'un euro. Si demain, tous les chirurgiens remplissaient le registre, cela coûterait 150 000 euros à la Sofcot, ce qui n'est pas soutenable. Les deux conditions à réunir afin que le registre soit opérationnel sont donc les suivantes :

- il doit être géré par une société savante et non par les industriels ;

- en revanche, les financements ne peuvent être que gouvernementaux.

L'AFCP est un petit organisme de trois cents membres qui ne dégage un bénéfice que de 3 000 euros par an. Ainsi, afin de contourner ces deux écueils et du fait des exigences de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS), qui doit disposer de données, nous avons obtenu l'aide des industriels. Le registre est monté en parallèle avec une unité de recherche au sein des hospices et ce sont les industriels qui vont financer le travail réalisé par cette unité clinique : ils vont fournir en temps réel le nom des poseurs, et l'unité clinique ira identifier à partir du registre les chirurgiens qui ne l'auront pas renseigné afin de les resolliciter. Le problème est que les industriels souhaitaient obtenir les données dont nous, nous voulions être propriétaires. A cet égard, le Snitem a exercé un lobbying négatif. Aucun industriel ne semble avoir intérêt à ce que ce projet voie le jour de peur que cette obligation de contribuer au financement d'un registre crée un précédent...

Deuxième écueil : le remplissage du registre. En particulier, si le patient est réopéré : comment savoir qu'une explantation a été réalisée ? Nous avons imaginé la création d'un passeport patient, comme pour les porteurs de stents. L'idée était d'investir le patient dans son suivi en l'amenant à lui-même déclarer s'il avait été réopéré. Elle a été fraîchement accueillie.

La situation est aujourd'hui bloquée. Nous avons signé un contrat avec une unité de recherche clinique des hospices civils de Lyon. Le coût s'établit à 32 euros par prothèse pour les industriels, auquel s'ajoute le coût des analyses statistiques. Nous attendons le feu vert de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) depuis octobre 2011, alors que nous pensions l'obtenir dès le début de cette année, après l'accord de sa sous-section compétente, le comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS). Celui-ci a rendu un premier avis - pas complètement favorable - en nous demandant de supprimer les références à la Haute Autorité de santé (HAS). Finalement, l'accord du CCTIRS a été obtenu au début du mois de janvier 2012. Nous avons eu la faiblesse de croire que la Cnil allait rapidement entériner la décision du CCTIRS. Or, quatre mois se sont écoulés depuis l'accord du CCTIRS et nous n'avons toujours pas reçu de réponse. L'AFCP s'est ainsi fendue d'un communiqué : « l'AFCP, grâce à laquelle un scandale de même nature que celui des prothèses mammaires PIP a pu être évité, s'étonne que les mêmes lourdeurs administratives qui ont conduit aux catastrophes évoquées ne soient pas levées par les tutelles de ces organismes de contrôle ». Depuis quatre mois, nous remuons ciel et terre auprès de la HAS et l'Afssaps pour demander que l'une de ces autorités se manifeste sur l'importance de ce registre, en vain. Ce qui est d'autant plus incompréhensible que la HAS aura besoin de ces données pour décider du renouvellement du remboursement en 2015. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à être auditionnés.

Aujourd'hui, nous disposons d'un registre opérationnel, avec une partie du financement, mais il nous manque ce dernier accord alors que nous attendons depuis sept mois.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quelle appréciation portez-vous sur la capacité à identifier et à contacter rapidement les porteurs d'un type de prothèse déficient fournie par le registre ?

M. Jean-Luc Besse. - La capacité à identifier est bonne et nous pourrons réagir en temps réel en examinant les informations saisies, puisque le registre est géré par une unité de recherche clinique, publique et hospitalière. S'agissant des événements indésirables, nous avons, toutefois, une inquiétude. La CNEDiMTS, dans le cadre de la procédure de remboursement en nom de marque, a demandé aux industriels de fournir une étude s'appuyant sur un protocole de données complètes sur les prothèses. S'ajoute donc au registre une étude de cohorte : les industriels devront fournir toutes les informations concernant quatre cents à cinq cents prothèses selon des méthodes statistiques. Ainsi, en plus du registre, sur deux cents patients par type de prothèse, l'unité de recherche clinique rappellera tous les patients, un, deux puis quatre ans plus tard, pour savoir s'ils ont été réopérés. Cela nous permettra de contrôler l'exactitude des informations de notre registre. Si nous constatons des différences notables, cela signifiera que la réglementation française n'est pas propice à l'établissement de registres fiables.

M. Bernard Cazeau, rapporteur.- Comment l'imposer ?

M. Jean-Luc Besse. - Deux pistes existent :

- la première est législative, comme dans certains pays scandinaves tels que la Finlande, où la loi conditionne le remboursement au remplissage des registres. En France, le chirurgien est bien obligé de remplir un certain nombre de données du PMSI pour obtenir le remboursement du groupe homogène de séjour (GHS). Pourquoi ne pas appliquer la même logique aux implants à risque ? Cette piste est tout de même plus contraignante que la seconde ;

- la seconde est l'accréditation. C'est déjà le cas pour la base de données « Epithor » dans laquelle les chirurgiens thoraciques doivent renseigner les opérations qu'ils ont réalisées, les complications survenues, etc., et ce afin d'obtenir leur accréditation auprès des organismes qui gèrent le cancer. Les chirurgiens orthopédistes doivent aujourd'hui déclarer les événements indésirables sur « Orthorisque », afin que leur assurance soit, en partie, prise en charge.

M. Bernard Cazeau, rapporteur.- Les statistiques établies à partir du registre de l'AFCP permettraient-elles d'améliorer les technologies répertoriées et envisageriez-vous de partager ces données avec les fabricants ?

M. Jean-Luc Besse. - Les données d'un registre ne sont pas scientifiques au sens strict. Si l'on entre trop d'informations, il s'agit d'une étude de cohorte destinée à analyser la qualité de vie ou les résultats fonctionnels. Le registre informe sur le taux de complication, de réintervention et la courbe de survie à dix ans. Par exemple, quand sur la prothèse de hanche ASR nous sommes sur des courbes de survie de 95 % à 98 %, si sur un registre à cinq ans nous nous situons déjà à 80 %, cela signifie qu'il faut arrêter...

Nous allons partager nos données avec les industriels car nous avons passé un contrat avec eux : ils financent une partie du registre, car ils ont besoin de ces données pour le Ceps. Mais l'AFCP doit rester la propriétaire des données individuelles. Les industriels auront accès aux données statistiques et aux rapports annuels. Parallèlement, le grand public doit pouvoir consulter les données générales sur les prothèses sur le site des sociétés savantes.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Comment inciter les médecins à mieux déclarer les événements indésirables ?

M. Jean-Luc Besse. - Il y a un problème d'ordre culturel, du fait de l'absence d'obligation règlementaire. Dès lors que les patients auront un passeport, ils seront demandeurs d'information. Sur des dispositifs spécifiques, les patients sont de plus en plus au courant de ce qu'ils peuvent en attendre.

La matériovigilance ne fonctionne pas très bien car la déclaration est très subjective. Que déclarer ? Les bris de prothèses ou de plaques ? Les ostéolyses, phénomènes d'usure du revêtement des prothèses, doivent-elles être considérées comme normales ou anormales ? L'absence de retour de l'Afssaps quand on fait une déclaration est aussi critiquable, c'est en particulier la remontée que j'ai des responsables d'établissement. J'en ai fait l'expérience quand je me suis interrogé sur la fréquence des ostéolyses peut-être dues à la qualité des revêtements. Il aurait fallu que celui qui a déclaré puisse également suggérer des pistes sur l'origine de la complication, du moins avoir son mot à dire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur.- La création d'un registre des dispositifs médicaux à risque devrait-elle être décidée par les pouvoirs publics ? Un tel registre à l'échelle européenne vous paraît-il concevable ? Quel pourrait être le rôle des sociétés savantes dans sa mise en place ?

M. Jean-Luc Besse. - Oui, il revient aux pouvoirs publics de s'emparer du problème. L'échec du registre sur les prothèses de hanche l'a prouvé. Il faut donc, soit modifier la législation, soit instaurer des accréditations, avec des incitations financières. Dans certains pays, si vous remplissez convenablement vos données, vous obtenez des avantages en matière d'assurance notamment.

Les registres sont aussi indispensables. Le PMSI ne signale pas la nature des implants posés et les codes de la Cnam ne permettent pas de suivre les dossiers des patients. Il existe trois codes de la classification commune des actes médicaux (CCAM) pour les prothèses : mise en place d'une prothèse (on sait ainsi qu'on en pose 580) ; ablation de prothèses (on sait ainsi qu'on en enlève 150) ; ablation de prothèse accompagnée d'une arthrodèse. Mais le cas du patient à qui on a enlevé une prothèse qu'on a ensuite remplacée par une autre n'apparaît pas dans ce circuit.

Les registres constituent aussi le seul moyen de lutter contre les conflits d'intérêts, et de contourner les lobbies : les registres exhaustifs se feront dans le seul intérêt des patients. Beaucoup de dispositifs médicaux sont conçus avec l'aide de chirurgiens et d'équipes réputées. Le problème peut aussi être sociétal : quand les chirurgiens sont influents et membres d'une société savante, ils peuvent utiliser cette dernière pour régler des problèmes concernant des dispositifs médicaux. Le but d'un registre exhaustif est de se placer au-dessus de tous ces intérêts personnels et de se ranger derrière celui du patient. Pour autant, les registres ne doivent concerner que les dispositifs les plus à risque.

M. Bernard Cazeau, rapporteur.- Peut-on constituer des registres pour les prothèses de la hanche, malgré leur plus grand nombre ?

M. Jean-Luc Besse. - L'exemple de la Suède nous prouve que c'est possible : son registre est rempli à 97 % pour les prothèses de hanche, à 99 % pour les prothèses du genou, à 82 % pour les prothèses de cheville. La législation y est différente, comme en Suisse.

M. René-Paul Savary. - Qui remplit le registre ?

M. Jean-Luc Besse. - Ce ne peut être que le chirurgien.

M. René-Paul Savary. - En France, c'est la sécurité sociale qui connaît toutes les opérations, qu'elle cote : compte tenu des précisions nécessaires au remboursement des actes, ne serait-il pas plus simple de lui confier également ce rôle scientifique ? Quant à l'accréditation, elle contraint à multiplier les démarches. Allons au plus rapide.

M. Jean-Luc Besse. - En théorie, vous avez raison mais il y a des obstacles pratiques. S'agissant du codage, on n'a rien inventé, on s'est simplement aligné sur ce qui se fait dans d'autres pays. Une fois qu'on vous a posé une prothèse, on vous attribue un code, mais, pour autant, si trois ans après la pose il faut refaire un ligament, le lien avec une possible défectuosité de la prothèse ne sera pas forcément établi. Seul le registre permet de suivre au long cours le patient et tout ce qui lui arrive.

S'agissant des consultations : idéalement, quand je fais une étude clinique sur les prothèses de cheville, je revois les patients à six mois, à un an, à deux ans, à cinq ans, à dix ans... Le problème est qu'après cinq ans, le chirurgien ne dispose plus du temps suffisant pour revoir en consultation les patients auxquels il a posé une prothèse car il voit de nouveaux patients et les opère. Souvent, le patient est donc réopéré par quelqu'un d'autre. Le registre permet précisément un tel suivi, à condition d'associer un numéro à la prothèse et que tout le monde joue le jeu.

Les données de la sécurité sociale et du PMSI sont complémentaires ; d'ailleurs, elles ont permis de montrer que, si sur 580 prothèses de cheville posées, on en enlevait 150, c'est qu'il y avait un problème. Pour autant, ces données ne remplacent pas celles du registre.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Que pensez-vous de l'initiative de la Global Harmonisation Task Force sur l'identification des dispositifs médicaux à partir du système UDI (Unique Device Identification) ?

M. Jean-Luc Besse. - C'est indispensable. Nous avons trop de référencements différents. Faut-il procéder au niveau européen ou au niveau international ? Je crois qu'il faut commencer par une harmonisation européenne car une prothèse portant le même nom aux Etats-Unis peut avoir un traitement de surface différent du modèle européen.

M. Bernard Cazeau, rapporteur.- La création d'un registre des essais cliniques vous semble-t-elle une idée pertinente afin d'améliorer le suivi et la qualité des dispositifs médicaux mis sur le marché ainsi que l'information des praticiens et des autorités sanitaires ? Cela constituerait-il une amélioration par rapport à la situation actuelle et, si oui, quelle échelle (nationale, européenne) serait la plus appropriée ?

M. Jean-Luc Besse. - Il existe déjà une base de données, le Clinical Trial, qui ne répertorie que les déclarations d'essais cliniques, il ne s'agit donc que des études les plus pertinentes. Beaucoup d'études ne sont pas déclarées. La publication pose de vrais problèmes quand les résultats de l'étude ne sont pas favorables. Lorsque vous procédez à une étude randomisée, à partir de la comparaison de deux techniques chirurgicales, en établissant un protocole et en définissant un nombre d'inclus, si vous constatez, au bout de dix à quinze inclusions, de grosses complications pour un groupe, alors éthiquement vous arrêtez. Or, une telle étude est pratiquement impubliable.

Alors que tout le monde était ligué contre moi, les résultats défavorables de mon étude, conduite dans le cadre de mon contrat d'évaluation clinique avec le fabricant de la prothèse, n'ont pas pu être publiés en France. Je n'ai pu les publier que dans une revue internationale. Par chance, d'autres publications sont venues confirmer peu après mes résultats.

Sur le fond, je suis d'accord pour qu'on constitue une base recueillant les données des essais cliniques, mais il faut s'entendre sur ce que l'on publie, notamment les études défavorables.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Les registres, tels qu'ils existent en Suède, ne peuvent-ils être étendus à toute l'Europe puisque les marchés sont européens ?

M. Jean-Luc Besse. - Il existe des projets de registres européens. L'European Foot and Ankle Society travaille sur ce type de projet. Mais rien qu'à l'échelle de la France, c'est le parcours du combattant. D'un pays à un autre, les numéros d'identification sont différents. De plus, sur les quinze registres que j'ai examinés à l'étranger, six requièrent l'accord du patient. Au Royaume-Uni par exemple, seuls 68 % des patients acceptent que leurs informations soient intégrées dans un registre. Il faudrait harmoniser les législations. Par le passé, un projet de registre européen sur les prothèses de cheville aurait permis de récupérer, non pas les données individuelles et nominatives, mais les données analytiques pour les centraliser. En outre, les quatre modèles de prothèses de cheville agréés en France ne sont pas les plus posés en Europe.

Comment créer un registre européen avec des législations différentes ? Un registre européen réunissant des données remplies à plus de 90 % en Suède, où c'est obligatoire, et des données remplies à seulement 1 % en France, n'a plus aucun sens.

M. René-Paul Savary. - On voit bien que le registre est efficace pour une prothèse spécifique. Il devient difficilement tenable dès qu'on aborde un dispositif destiné à un traitement de masse. On demande de plus en plus de garanties aux praticiens : accréditation, PMSI, codages de l'assurance maladie, etc. Attention à ne pas éloigner les professionnels de santé de leur occupation principale. Il faut améliorer la sécurité certes, mais sans pénaliser la réalisation des actes.

M. Jean-Luc Besse. - Je ne suis pas tout à fait d'accord. S'agissant des prothèses de cheville, nous avons calculé que le remplissage du registre ne prendrait pas plus de trois minutes pour quelques items de départ. A titre personnel, quand je suis au bloc opératoire, je dois remplir le PMSI, à partir d'un logiciel plus ou moins manipulable. Compte tenu de la pénurie de secrétariat, c'est à nous de taper nos comptes rendus. Mon logiciel nécessaire à la prescription postopératoire me demande quatre fois plus de temps que ce que je vais consacrer à un registre... Les Scandinaves ont su mettre en place des registres qui fonctionnent. Veut-on assister à des scandales à répétition, ou se donner le moyen de les éviter ?