Mardi 22 mai 2012

- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, présidente -

Agences de notation et dette souveraine - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Merci, monsieur le Premier président, d'avoir répondu à notre invitation. Notre mission rendra son rapport mi-juin, après avoir examiné l'enquête d'opinion auprès des investisseurs institutionnels que nous avons commandée à l'IFOP et qui nous sera présentée la semaine prochaine.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - C'est un grand plaisir de vous apporter le point de vue de la Cour des comptes sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation. Vous le savez, la Cour n'est pas compétente pour contrôler les agences de notation, alors qu'elle l'est pour les autorités nationales de régulation prudentielle ou des marchés financiers. Elle ne peut donc formuler des jugements sur le caractère rigoureux ou non des méthodes employées par les agences. Elle n'a pas davantage examiné dans ses publications leur réglementation et leur supervision. Cela ne signifie pas que la Cour se désintéresse des agences de notation, de leur rôle et de leur positionnement. Des consultations et des échanges de point de vue ont lieu occasionnellement entre elle et les agences. Elles ont en effet un sujet d'intérêt commun, la dette publique, qualifiée par les agences de « dette souveraine ». Les analyses de la Cour comme celles des agences sont prises en compte par les acteurs financiers mais de profondes différences séparent les missions et les méthodes de travail des agences de celles de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes.

Les agences analysent la dette souveraine d'un Etat, qu'elles assimilent à la dette de l'ensemble des administrations publiques de cet État, elles en tirent un indicateur unique - une note - qui est supposée mesurer la probabilité de défaut de l'émetteur de titres qu'est l'État. Elles adoptent une démarche similaire quand elles notent une collectivité ou un établissement public territorial. La Cour des comptes n'a pas pour mission de mesurer la probabilité de défaut de paiement de l'État - elle ne prend pas en compte cette hypothèse - et les chambres régionales n'envisagent que très exceptionnellement l'hypothèse d'un défaut d'une collectivité. La Cour mène avant tout une analyse de la soutenabilité des finances publiques - et non de solvabilité -, en mettant en évidence les risques qu'entraîne un accroissement de la dette publique. Un endettement trop élevé réduit la marge de manoeuvre de gestion des dépenses publiques : le poids croissant des intérêts peut, à moyen et long terme, remettre en cause l'autonomie de décision d'un État.

Il existe au moins trois autres différences essentielles : les juridictions financières analysent la situation et les perspectives des finances publiques sous des angles multiples ; elles ne résument pas leurs observations à une série de lettres ; elles jouissent d'une indépendance et appliquent des procédures qui garantissent la neutralité, la rigueur et l'impartialité de leurs constats et appréciations, toujours appuyés sur un travail collégial et une contradiction avec les tiers mis en cause.

La Cour livre chaque année en juin une analyse des finances publiques, considérées à la fois globalement et selon leurs trois sous-ensembles - les finances de l'Etat, les finances sociales et les finances locales. Dans ce rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour a enrichi son analyse au cours des dernières années en élargissant son champ d'investigation aux questions macroéconomiques, en particulier l'impact des finances publiques sur la croissance, afin de mieux apprécier la capacité de l'Etat à générer des recettes futures, en relation avec la croissance potentielle et la compétitivité de l'économie. Elle s'est en cela rapprochée du cadre d'analyse des agences de notation. Cependant, elle continue à accorder plus d'importance aux grands équilibres des finances publiques - les soldes comptables, l'évolution des dépenses et des recettes - plutôt qu'à la qualité des systèmes institutionnels français ou européen, qui ne relèvent pas de son domaine de compétence, mais des équilibres constitutionnels et démocratiques. Les agences, en revanche, abordent fréquemment ces sujets. Ainsi, la qualité de la gouvernance européenne a été principalement citée à l'appui de la décision d'une d'entre elles de dégrader la note française en janvier.

L'intérêt des agences pour les investisseurs dans le secteur privé, où le risque de défaut de paiement des créances se manifeste régulièrement, ne peut être contesté. Même dans ce domaine, la pertinence de leur méthodologie et de leurs analyses soulève encore de nombreuses interrogations, ce que la crise des subprimes aux États-Unis a mis en évidence : un certain nombre de sociétés étaient notés triple A juste avant de faire faillite.

Aussi longtemps que les États européens ont été faiblement endettés, l'attention portée aux travaux des agences de notation était négligeable. Depuis une trentaine d'années, un déficit structurel permanent s'étant installé dans de nombreux pays, dont le nôtre, les notations des dettes souveraines fournies à titre gratuit - les agences parlent de notation non sollicitée - ont pris l'importance qu'elles ont aujourd'hui. La première des recettes pour faire en sorte que le rôle et l'influence des agences de notation s'amoindrisse à l'avenir, c'est que les Etats soient plus rigoureux et conduisent un effort de redressement rapide et crédible.

La Cour l'a dit en février dans son rapport public annuel : l'essentiel du chemin à parcourir pour éliminer le déficit structurel de notre pays est encore devant nous et les efforts qui nous restent à faire supposeront des choix difficiles, car ils devront concerner davantage la maîtrise des dépenses que la hausse des recettes publiques, déjà largement mobilisée.

S'agissant des Etats très bien notés comme le nôtre, l'importance des décisions des agences de notations doit être relativisée. Les notes qu'elles établissent mesurent la probabilité d'un défaut de paiement. Or, d'après la documentation publiée par l'une des trois plus grandes agences, cette probabilité, à un horizon de cinq ans, est statistiquement identique pour les émetteurs notés triple A et double A, et égale à zéro. L'information livrée par une dégradation entre ces deux notes est donc très limitée. C'est pourquoi la Cour des comptes, dans son analyse des finances publiques de février 2012, n'a pas évoqué cette dégradation, car elle ne souhaitait pas donner une importance particulière à cet événement. Surtout, les décisions prises par les agences n'ont pas précédé les évolutions des taux d'intérêts constatés sur les différentes dettes souveraines mais les ont suivies. Elles n'ont que tardivement réagi lorsqu'à partir de 2008, les primes de risque de défaut de paiement se sont accrues et différenciées entre les différents pays de la zone euro. Il n'existe pas d'étude convaincante démontrant que les notes attribuées par les agences aient un impact statistiquement significatif sur les taux d'intérêt des emprunts publics. Cependant, leurs décisions peuvent faire évoluer les primes de risque sur les marchés, non parce que le risque est réel, mais parce que les règles prudentielles et comptables ou seulement les mandats de gestion confiés par les investisseurs à des intermédiaires, incitent à acheter mécaniquement les titres les mieux notés.

La Cour des comptes remplit plusieurs fonctions essentielles qui devraient permettre d'assurer durablement la crédibilité de la France aux yeux des observateurs, et de contribuer à limiter ainsi le rôle des agences. La première concerne la qualité des comptes des administrations publiques : la nouvelle directive européenne du 8 novembre 2011 prévoit qu'ils soient soumis à un contrôle interne et à un audit indépendant. C'est sur la base de ces comptes que sont élaborés les comptes nationaux des administrations publiques qui servent d'instrument de mesure pour la surveillance budgétaire européenne. Par ses missions de certification de la comptabilité générale de l'Etat et du régime général de la sécurité sociale, la Cour des comptes fournit une assurance raisonnable que ces comptes publics sont réguliers, sincères, et donnent une image fidèle de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. La certification, que la France est le seul pays européen à avoir à ce point développé pour ses comptes publics, permet aux administrations d'effectuer des progrès continus dans l'amélioration de la qualité comptable.

La Cour n'est pas seule à assumer des missions de certification dans les administrations publiques. Les comptes de nombreux régimes de sécurité sociale sont certifiés par des commissaires aux comptes privés. La comptabilité générale de l'Etat, en droits constatés, certifiée avec réserves par la Cour, ne donne pas seulement une information fiable sur la situation patrimoniale de l'Etat. Elle contribue aussi à améliorer la comptabilité budgétaire, établie en autorisations d'engagement, en encaissements et en décaissements, sur laquelle le législateur fonde son examen de l'exécution du budget. C'est cette comptabilité budgétaire qui reste aujourd'hui essentiellement prise en compte par l'INSEE pour établir la comptabilité nationale, c'est-à-dire le déficit et la dette au sens de Maastricht. Il serait souhaitable que l'effort que représente la production d'une comptabilité générale, bénéficiant d'une assurance raisonnable de qualité, soit davantage valorisé pour établir la comptabilité nationale, plutôt que de continuer à utiliser la comptabilité budgétaire, qui n'est pas certifiée et dont les normes sont moins rigoureuses que celles de la comptabilité générale. Cela exige, dans le respect de l'indépendance tant de la Cour que de l'autorité statistique, un renforcement de la coopération technique entre les deux institutions. J'ai fait savoir tout récemment au directeur général de l'INSEE que la Cour y était prête.

La Cour des comptes a un rôle spécifique à jouer dans le processus d'amélioration de la qualité de l'ensemble des comptes publics. Le législateur lui a confié, par la loi du 29 juillet 2011, la mission de s'assurer que les comptes des administrations publiques sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière, en certifiant elle-même certains comptes, ou en rendant compte au Parlement de la qualité des comptes qu'elle ne certifie pas. Cela suppose d'étendre le champ de la certification des comptes. Sont déjà soumises à une obligation de certification les universités ayant accédé à l'autonomie dans le cadre de la loi. Le législateur a décidé en 2009 de certifier les comptes des principaux établissements hospitaliers. Cependant, faute de textes d'application relatifs au partage des responsabilités entre la Cour des comptes et les commissaires aux comptes privés, la volonté du législateur ne s'est pas encore traduite dans la réalité. Je forme le voeu que de nouvelles dispositions législatives apportent rapidement les précisions nécessaires à la mise en oeuvre concrète de la certification des hôpitaux publics.

La question de la certification des comptes des collectivités territoriales est encore ouverte, depuis le dépôt d'un projet de loi proposant son expérimentation en octobre 2009. La Cour estime qu'il n'y aurait que des avantages à expérimenter la certification des comptes des plus grandes collectivités. Comme pour l'Etat, cela permettrait d'améliorer la qualité et la fiabilité des comptes des collectivités locales, de mieux connaître et évaluer leur patrimoine, leur situation financière et leurs engagement de tous types et, enfin, de les inciter à développer des outils de contrôle interne.

Cette expérimentation de la certification ne devrait concerner que les plus grandes collectivités et établissements territoriaux : un équilibre doit en effet être trouvé afin que les avantages de la certification soient en rapport avec l'ampleur des ressources internes et externes que cette certification impose. Dans ce processus, la Cour des comptes aura à jouer tout son rôle, sans préjudice de la forme et des acteurs d'une telle expérimentation, préalable - si le législateur le souhaite - à une mission légale de certification.

La certification des comptes n'est pas le seul facteur de qualité des comptes et la France dispose d'autres atouts dans son régime de comptabilité publique. La séparation entre ordonnateurs et comptables, ainsi que les règles de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables, dont la Cour garantit la mise en oeuvre, sont des facteurs essentiels de qualité des comptes et de probité des gestionnaires. Il manque encore, aux yeux de la Cour, un régime efficace de mise en oeuvre de la responsabilité de tous les ordonnateurs, élus et ministres compris, afin de mieux garantir la régularité de la gestion et la probité des ordonnateurs, et d'éviter un recours de plus en plus fréquent à la réponse pénale, qui n'est pas toujours la mieux adaptée.

Les différents systèmes comptables publics français doivent encore être améliorés, notamment en développant des comptes consolidés. C'est un passage obligé pour rendre compte des situations de l'ensemble que constitue l'Etat avec ses opérateurs ou de celui que forment les métropoles, les communautés urbaines et les communautés d'agglomération avec leurs communes membres.

La qualité des comptes publics est essentielle, leur harmonisation au niveau européen l'est aussi. Non seulement il n'existe pas de normalisation commune en ce domaine, mais ni les autorités nationales, ni les autorités européennes ne s'en sont vraiment préoccupées jusqu'à récemment. Celles-ci sont favorables à une généralisation de la comptabilité en droits constatés, telle qu'elle existe en France, afin de fiabiliser et de mieux comparer les données de la comptabilité nationale des Etats. Par souci d'uniformisation, les institutions européennes pourraient également favoriser l'application des normes dites IPSAS (International Public Sector Accounting Standards) applicables aux comptes des administrations publiques. La Commission européenne a été chargée par la directive du 8 novembre 2011 d'évaluer l'adéquation de ces normes aux comptes publics des Etats membres. Cet enjeu est essentiel et la Cour a répondu à la consultation organisée par la Commission européenne. La Cour est très réservée sur l'application des normes IPSAS en Europe. Certes, elles ont le mérite d'exister et il convient de s'en inspirer, comme la France l'a fait, pour établir et actualiser les normes applicables à la comptabilité générale de l'Etat. Toutefois, leur application pleine et entière poserait problème. En effet, elles sont calquées sur les normes comptables internationales IFRS (International Financial Reporting Standards) applicables au secteur privé, et elles sont insuffisamment adaptées aux spécificités du secteur public. Elles sont incomplètes - car elles ne couvrent pas d'importantes catégories de dépenses publiques - et instables. Surtout, elles sont élaborées par un organisme dont la légitimité, en matière de comptabilité publique, est contestable, dès lors qu'y siègent essentiellement des experts comptables et que les pouvoirs publics ne sont pas représentés de façon institutionnelle, et encore moins écoutés quand ils s'expriment. Ce sujet de gouvernance est majeur et il mérite toute l'attention des pouvoirs publics : il convient de veiller à ne pas trop déléguer à des comités autonomes et sans légitimité institutionnelle, de surcroît non représentatifs, des responsabilités qui présentent des enjeux importants pour chacun des pays européens. Il est de mon devoir d'alerter la Représentation nationale sur ce sujet, dont les implications sont autant politiques que techniques, avant qu'il ne soit trop tard et que des normes comptables inadéquates soient adoptées pour le secteur public et figées au niveau européen. Je souhaiterais que les responsables politiques ne se réveillent pas trop tard.

La transparence et la fiabilité des comptes publics facilitent l'analyse des dettes souveraines par l'ensemble des investisseurs, qui peuvent ainsi mener leurs propres analyses, sans dépendre de celles des agences de notation. Tous les acteurs, décideurs publics, investisseurs, citoyens, peuvent également s'inspirer des travaux de la Cour, qui livre deux fois par an, en janvier et en juin, une analyse détaillée de la soutenabilité des finances publiques, en formulant des appréciations et des recommandations nuancées, qui ne sauraient être résumées en une note. Le prochain rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques sera remis au Parlement le mois prochain.

Les nouvelles règles européennes d'encadrement et de surveillance des finances publiques renforcent l'importance de ce rapport. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union européenne, signé en mars, ainsi qu'une proposition de règlement européen en cours de discussion, prévoient la mise en place dans chaque Etat membre de « comités budgétaires indépendants », chargés de suivre l'application des règles budgétaires nationales permettant de conforter la trajectoire des finances publiques vers un objectif d'équilibre structurel à moyen terme. En septembre 2011, la Commission européenne a reconnu que la Cour des comptes est indépendante et qu'elle remplit en France les missions d'un tel comité, à l'exception des prévisions macroéconomiques. Les rapports de la Cour accordent une importance croissante au suivi du respect des règles budgétaires inscrites dans les lois de programmation des finances publiques.

Une place sans doute trop grande a été faite aux agences de notation, y compris dans le contexte actuel : la montée des déficits et des dettes publiques en Europe, conjuguée aux insuffisances des règles d'encadrement et de suivi des finances publiques, ont créé un vide que les agences de notation ont rempli.

Nous pourrons contribuer à réduire leur importance de trois manières : tout d'abord, en réduisant les déficits publics, afin d'assurer la soutenabilité des finances publiques. L'effort doit être d'ampleur suffisante, concerner toutes les catégories d'administrations publiques et être équitablement partagé. Ensuite, en renforçant la surveillance des finances publiques, en particulier le suivi de la trajectoire des finances publiques et le respect des règles budgétaires. L'effacement souhaitable à terme de l'importance des agences suppose que les mécanismes de supervision et de surveillance au sein de la zone euro gagnent en effectivité. La Cour s'efforce de jouer tout son rôle pour que le contrôle des finances publiques dans notre pays continue d'être de bonne qualité et de s'améliorer. L'effectivité d'un tel contrôle renforce la crédibilité des pouvoirs publics en matière de finances publiques, ce qui est un atout essentiel pour continuer à emprunter dans de bonnes conditions. Enfin, en améliorant la qualité et la fiabilité des comptes publics, en certifiant les plus importants, en progressant dans leur harmonisation à l'échelle européenne, selon des normes pertinentes et définies par des institutions légitimes.

Sans doute un effort de réglementation des activités des agences de notation est-il également nécessaire, ainsi que la Commission européenne s'y est engagée. Il sera aussi utile de veiller à ce que les règles prudentielles applicables aux activités bancaires et assurantielles, ainsi que les mandats de gestion confiés par des investisseurs à leurs intermédiaires, accordent moins d'importance à la notation des titres souverains, en relativisant l'importance des écarts dans les notations les plus élevées.

Les trois facteurs que j'ai énumérés seront plus efficaces encore que la régulation pour réduire le rôle des agences de notation dans la sphère des finances publiques.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Merci pour cette présentation et pour vos recommandations.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - La qualité du travail de la Cour des comptes n'est mise en cause par personne. Vous avez souligné les différences qui existent entre votre rôle et celui des agences de notations, mais utilisez-vous des critères différents de ceux des agences ?

On a envisagé la création d'une agence publique à travers le réseau des Cour des comptes des différents pays européens. Cette idée va-t-elle voir le jour ?

Les agences de notation ont un rôle croissant dans l'économie et donc, indirectement, dans les finances publiques. Comment responsabiliser ces agences qui ne sont, pour l'instant, que peu régulées ?

M. Didier Migaud. - La Cour des comptes apprécie la soutenabilité des finances publiques sur le moyen terme, alors que les agences de notation s'attachent davantage à apprécier la solvabilité d'une entreprise ou d'un Etat, d'où des raisonnements et des critères différents. L'objectif de la Cour n'est pas de mettre une note mais de resituer les finances publiques dans un contexte particulier et d'apprécier leur soutenabilité à moyen terme.

M. François Ecalle, conseiller maître à la Cour des comptes. - Une des trois agences a présenté ses critères et les pondérations qu'elle utilise. Pour elle, les critères stricts de finances publiques - niveau d'endettement, soldes structurels et soldes stabilisants - participent au quart de la note. Pour la Cour des comptes, c'est davantage.

Pour cette même agence, les facteurs institutionnels - politique, économique, gouvernance - représentent un tiers de la note. Pour la Cour, ces critères ne jouent quasiment pas, surtout s'agissant de la politique.

Les critères financiers - poids de la monnaie du pays, profondeur du marché financier - représentent 20 % de la note alors que nous nous y intéressons beaucoup moins. Les indicateurs macroéconomiques classiques, comme la croissance potentielle et l'inflation, représentent pour cette agence 11 % et nous y accordons une importance égale. Enfin, les critères liés à la situation extérieure du pays - déficit des paiements courants, avoirs en devises - représentent 11 %. Les rapports de la Cour traitent de ce sujet de plus en plus, mais elle n'y accorde sans doute pas encore autant d'importance que les agences.

M. Didier Migaud. - Vous m'avez interrogé sur la mise en place d'un réseau européen de Cours des comptes. Les institutions supérieures de contrôle pourraient jouer un rôle accru pour plus de transparence, de fiabilité, de régularité et de sincérité des comptes publics. Mais les missions et les rôles de ces institutions varient considérablement d'un pays à l'autre. Cela dit, présenter des comptes transparents et fiables n'implique pas qu'ils soient bons !

J'en viens à la responsabilisation des agences de notation : cette question ne relève pas de la Cour des comptes mais du pouvoir politique. Je vous ai dit qu'il fallait relativiser l'impact des notes de ces agences : les marchés n'ont pas tenu compte du passage du triple A au double A. Ils avaient probablement anticipé cette décision en s'appuyant sur d'autres travaux, comme ceux de la Cour, mais aussi de l'OCDE, de la Commission européenne, du FMI.

M. Roger Karoutchi. - Si les Etats étaient bien gérés, l'influence des agences serait réduite à néant. Ce serait mieux pour tout le monde. Mais les réalités étant ce qu'elles sont, la Cour des comptes ne pourrait-elle envisager de mieux communiquer pour donner à ses travaux, beaucoup plus conformes à l'intérêt général, tout le retentissement qu'ils méritent, afin de contrer, en partie, l'influence des agences de notation ? Celles-ci ont en effet un impact considérable et tout à fait disproportionné sur la vie des collectivités locales et des Etats.

Comme vous, je regrette que le texte d'octobre 2009 sur la certification des comptes des collectivités locales n'ait pas abouti.

Quand la France a perdu son triple A, l'Ie-de-France l'a également perdu de façon automatique, sans même que Standard and Poor's ait procédé à une quelconque enquête sur l'équilibre financier de notre région. Comme elle a protesté, l'agence a décidé de créer à son intention le triple petit a ! Allez expliquer cela aux banquiers... Je préfèrerais que nous disposions d'une analyse économique claire, précise et fiable de la Cour des comptes, afin de pouvoir nous présenter tête haute devant les établissements financiers. Les agences de notation ont un comportement spéculatif et subjectif qui peut se révéler dramatique pour nos finances locales.

Je préfèrerais une analyse prévisionniste de la Cour des comptes aux analyses prévisionnelles des agences de notation.

M. Didier Migaud. - La Cour des comptes a, depuis quelques années, contribué, par ses travaux sur la certification, à éclairer l'opinion publique, donc les marchés financiers. Certifier, c'est prendre une photographie, à un moment donné, pour exprimer une opinion sur la qualité des comptes et formuler des recommandations, au-delà de la mission normalement dévolue aux commissaires aux comptes.

Outre ce rapport sur la certification, depuis l'application de la Lolf, nous resituons ces comptes en perspective, dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, où nous apprécions la soutenabilité de celles-ci. Ce rapport est très lu, non seulement par la commission européenne et l'OCDE, mais aussi par les agences de notation et les marchés financiers. La Cour développe dans ces rapports une réflexion approfondie sur la situation des finances publiques françaises. Nous ne sommes pas toujours suivis dans nos recommandations, mais nous essayons de faire partager quelques constats et d'avancer quelques propositions de bon sens.

Ce travail a été mené, de façon différente, dans d'autres pays. La France n'a pas le monopole de la certification des comptes. La question de la comparaison et des normes comptables est dès lors posée au niveau européen, où une réflexion est conduite en ce moment même, que les responsables politiques ont tendance à délaisser. S'ils se réveillent trop tard, un jour ou l'autre, certaines normes pourraient s'imposer en Europe et obliger les Etats qui ne les appliquent pas à s'expliquer. Ces normes sont établies par un comité dont la légitimité n'est pas démontrée. Ce sujet, extrêmement technique en apparence, revêt une dimension politique que les responsables politiques ne soupçonnent pas. Ils devraient s'en saisir.

Toutes les collectivités territoriales n'ont pas besoin d'avoir leurs comptes certifiés, mais pour les plus grandes, au-delà d'un certain montant de budget, nous pourrions expérimenter cette certification, de même que la Cour pourrait, comme elle le fait pour l'Etat ou les services publics, apprécier leur situation financière. Pour l'instant, cette responsabilité n'est pas donnée aux juridictions financières, mais il est possible de la leur conférer. Elles ont montré qu'elles savent faire.

M. François Marc. - Je remercie le président Migaud pour la clarté de son exposé sur l'utilité de la certification et de son analyse sur les agences de notation. De plus en plus de collectivités sont confrontées à la rareté du crédit et à la difficulté de financer leurs projets. La presse économique a souligné hier la nécessité pour les hôpitaux publics de recourir aux emprunts obligataires pour faire face à leurs besoins. La certification des comptes des hôpitaux publics peut-elle être envisagée, dans le cadre d'une extension des missions confiées à la Cour des comptes ? Il s'agit de répondre aux exigences d'information de l'opinion publique et de tous les partenaires financiers. La politique des hôpitaux publics est conditionnée par des décisions de politique générale, au-delà de la politique de santé. Comment produire une analyse sérieuse et susceptible de donner une information objective, sans s'immiscer dans le débat politique ?

Vous disiez que le législateur peut se saisir de cette question. Comment faciliter l'évolution des missions de la Cour des comptes ? Quels moyens mettre en oeuvre pour avancer ? Il importe de garantir rapidement l'information comptable et financière, pour faciliter les financements.

M. Didier Migaud. - Il est en effet essentiel de garantir la sincérité des comptes, ce qui ne revient pas à s'exprimer sur la pertinence des politiques publiques...

M. Jean-Pierre Caffet. - En effet !

M. Didier Migaud. - C'est un exercice auquel s'efforcent couramment les chambres régionales et la Cour : le dernier mot reste toujours au suffrage universel et à ses représentants. Ce n'est d'ailleurs pas parce qu'elles disent certaines choses que les élus du suffrage universel en tiennent compte ! Au moins, cela se fait dans la transparence et amène les responsables politiques à expliciter les raisons de leurs choix. Il faut bien distinguer la politique de la qualité, de la fiabilité et de la sincérité des comptes.

Pour progresser, le législateur devrait aller jusqu'au bout de la volonté qu'il a déjà exprimée sur la certification des comptes, qui a été censurée à trois reprises par le Conseil constitutionnel, pour des raisons différentes. Il faudrait trouver le bon texte, puis décliner la volonté du législateur, pour avancer. La Cour ne demande pas à certifier les comptes de tous les établissements publics hospitaliers, mais seulement de cinq à sept d'entre eux, parmi les plus importants.

Pour les collectivités territoriales, il peut être utile d'expérimenter la certification des comptes, sur la base du volontariat. Au législateur, ensuite, d'en tirer les conséquences. La certification peut contribuer à une bonne qualité des comptes, mais ce n'est pas la seule méthode. On peut aussi envisager une réforme comptable, afin de garantir la qualité des comptes des collectivités. Qu'elle le soit par des juridictions totalement indépendantes à l'égard de l'ensemble des pouvoirs intéresse aussi les banques et les marchés financiers.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je suis tout à fait d'accord sur la qualité des comptes. Quid de la qualité de la notation ? Je ne m'inquiète pas trop pour la notation des entreprises, mais pour les dettes souveraines, au regard des moyens mis en oeuvre par les agences.

Une agence de notation a-t-elle déjà contacté la Cour des comptes ? Ces entreprises commerciales font beaucoup d'argent et bénéficient d'une immense publicité, lorsque leurs annonces font la une des journaux, surtout quand elles concernent des pays qui n'ont pas demandé à être notés, comme la France ou les Etats-Unis. Mais elles n'ont pas intérêt à dépenser de l'argent pour ces notes non sollicitées, puisqu'elles ne peuvent pas, officiellement en tout cas, refacturer les coûts induits.

Je suis très intéressée par les critères de notation des agences que vous avez évoqués : pour un tiers, ils portent sur la gouvernance et sont donc totalement subjectifs. La France a été dégradée essentiellement pour des motifs tenant aux problèmes de la gouvernance européenne.

Nos collectivités n'ont pas le choix : compte tenu des difficultés de liquidité des banques, il leur faudra aller sur le marché obligataire. Qu'elles y aillent armées ! Les agences de notation sont un passage obligé ! Je ne suis pas convaincue que la notation soit comparable pour les entreprises et les dettes souveraines. On me dit qu'il est nécessaire que les investisseurs disposent des mêmes grilles. Mais entre un triple A et un double A, cela revient au même : il n'y a pas de risque de défaut, ce qui est ce qui intéresse les clients des agences. Une agence a-t-elle évoqué avec vous la situation de notre pays ?

M. Didier Migaud. -Oui. Nous sommes en contact avec elles, elles sont en contact avec nous, nous échangeons. Nous les invitons, d'ailleurs. Nous nous entourons de tous les avis, quels qu'ils soient, pour la confection de notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Tous les points de vue nous intéressent, mais nous faisons la part des choses et nous les soumettons à la collégialité et à nos procédures contradictoires, qui enrichissent le débat, avant d'exprimer une opinion, laquelle n'est pas une note, car telle n'est pas notre mission.

Pour les collectivités territoriales, les financements obligataires sont de plus en plus utiles, tout en restant modestes, puisqu'ils ne représentent que 4 % de leurs financements. Il est vrai que les difficultés d'accès au crédit bancaire renforcent leur attrait. De plus en plus de collectivités font appel aux agences de notation. Elles pourraient mettre en valeur le fait que leurs comptes sont certifiés par des juridictions financières.

Il faut s'interroger sur les raisons de l'importance accrue des agences de notation. Si les comptes publics s'amélioraient très sensiblement, votre sujet serait moins d'actualité. Je crois qu'une amélioration des comptes publics est souhaitable et même possible. Elle aurait pour effet de donner moins d'importance aux agences de notation. L'Etat et les collectivités territoriales doivent être plus attentifs au respect de certains équilibres.

M. François Fortassin. - Pour les citoyens, comme pour les élus, les agences sont une épée de Damoclès. Elles sont d'autant plus redoutables qu'on ne sait comment elles fonctionnent. Le terme « dégrader » impliquait, au XIXe siècle, une véritable infamie. Nous y sommes à nouveau !

La différence entre une économie qui marche bien et une qui marche moins bien, c'est la confiance. Comment donner confiance si l'on est dégradé ? Comment mener une véritable action pédagogique ? Avec les chambres régionales des comptes, les élus nouent un dialogue contradictoire, échangent des informations. Des agences, on ne sait rien, on ignore leurs méthodes de travail. Ce défaut de connaissance est préjudiciable. Comment faire pour clarifier leurs méthodes de travail ?

M. Didier Migaud. - Je ne puis sortir de mon rôle. Ce n'est pas à la Cour des comptes de faire des propositions de réglementation qui entrent d'ailleurs dans le champ de votre mission. Vous en ferez certainement. La réflexion dans ce domaine sera d'autant plus pertinente qu'elle s'inscrira dans un contexte européen. La réglementation des agences de notation dépasse le cadre national. Des dispositions ont déjà été prises et il faut sans doute aller plus loin. Des propositions ont été mises sur la table par la Commission et par le Parlement européen...

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Nous les avons vus mercredi dernier.

M. Didier Migaud. - Tout ce qui sera mis en oeuvre pour améliorer la transparence, la sincérité, la fiabilité et la surveillance des comptes et des règles de finances publiques que peut se donner un Etat contribuera à la confiance des investisseurs dans l'économie du pays. Il est difficile de trouver le bon équilibre entre la nécessité de redresser les comptes publics, pour adresser un message positif aux investisseurs, et celle de donner suffisamment confiance à ceux qui investissent pour conforter la croissance, laquelle entraîne d'heureuses conséquences sur le niveau des recettes. Ce compromis relève de la responsabilité politique.

Pour gagner la confiance, les responsables politiques doivent afficher leurs objectifs, les respecter et élaborer des mécanismes de suivi : c'est ce que fait la Cour des comptes. Demain, elle pourrait contribuer, encore davantage qu'aujourd'hui, à alerter les pouvoirs publics sur les écarts de trajectoire par rapport aux engagements des autorités politiques.

Vous pouvez, par vos propositions, contribuer à réduire très sensiblement le rôle des agences de notation par rapport aux Etats et aux dettes souveraines.

M. Christian Namy. - En tant que responsable de collectivité territoriale, je ne vois pas de quelle latitude je pourrais disposer pour produire des comptes qui ne seraient pas fiables et transparents. J'ai régulièrement recours à une agence de notation, je sais quels critères elle utilise pour noter mon département, de telle sorte qu'une relation de confiance s'est établie avec elle. Je n'ai aucune inquiétude sur leur méthode de travail ou les critères de notation de mon département !

M. Didier Migaud. - Je n'évoquerai pas votre département en particulier, que je ne connais pas...

M. Christian Namy. - C'est la Meuse.

M. Didier Migaud. - Je puis vous assurer que, parfois, les situations découvertes par le contrôle des comptes ne sont pas aussi idylliques que certains responsables le pensent... Il y a des marges de progrès ! C'est le regard extérieur porté sur la qualité de vos comptes qui convainc les banques et les prêteurs, lesquels ont besoin de garanties. C'est pourquoi nous soulignons que la certification des comptes peut constituer un progrès. Elle garantit la qualité des comptes publics, dès lors qu'elle est accordée sur la base de certaines normes reconnues par tous.

Tant que l'on reste entre soi et que l'on ne fait pas appel aux investisseurs ou aux emprunts, on peut se dispenser d'un regard extérieur pour qualifier la qualité des comptes publics, mais les prêteurs et les banques ont le droit de demander certaines garanties.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Plane sur notre tête une menace de dégradation, si notre pays ne trouvait pas une certaine consolidation de ses comptes et une certaine croissance, qu'il est très difficile de prévoir : avant-hier, elle était plus faible qu'escomptée, aujourd'hui, l'OCDE a revu à la hausse ses prévisions. Nous sommes dans une position très incertaine. Vous ne pouvez qu'agir indirectement sur la croissance. Mais vous pouvez peser sur la consolidation des comptes. Les intérêts payés par les différents pays n'ont finalement guère été sensibles aux dégradations qu'ils ont subies. Le critère majeur, c'est le spread entre la France ou les autres pays de l'Union européenne et l'Allemagne. Quelles sont les dettes structurelles pesant sur la future note qui nous sera attribuée, auxquelles le gouvernement devrait s'attaquer en priorité, pour éviter la menace que fait planer sur nous Standard and Poor's ?

M. Didier Migaud. - Je vous répondrai fin juin, lors de la remise du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, auquel la Cour travaille actuellement...

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Quel suspense insoutenable !

M. Didier Migaud. -Le gouvernement nous a demandé en outre de faire un point particulier sur les années 2012 et 2013, que nous intégrerons à ce rapport, qui sera remis à une date qui devra être précisée. La Cour s'exprimera, donnera son opinion sur la soutenabilité de nos finances publiques, comme nous l'avons fait ces dernières années.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Tout le monde pensait que la dégradation aurait des conséquences bien supérieures. Aujourd'hui, l'Espagne et l'Italie empruntent à des taux inférieurs à ceux qui étaient prévus. Le spread n'importe-t-il pas davantage que la note ?

M. Didier Migaud. - En effet, cet écart résulte de l'appréciation portée sur la situation de tel ou tel pays. Les taux d'intérêt sont plus bas que ceux que l'on pouvait redouter. La sensibilité aux taux d'intérêt est un sujet en soi, extrêmement sensible, compte tenu de leurs conséquences considérables sur la charge de la dette...

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. -...des entreprises, mais aussi des Etats !

M. Didier Migaud. - Nous examinerons toutes ces questions dans le cadre de la présentation du rapport que j'ai déjà mentionné. Nous ferons le point sur la situation budgétaire de notre pays, en la resituant dans un contexte plus large, en la comparant à celle d'autres pays, pas seulement sur une année donnée, mais dans le cadre d'une trajectoire.

Il est vrai que l'Allemagne connaît des taux historiquement bas, mais nous aussi. Ils sont inférieurs à ceux qui étaient prévus lors de la préparation de la loi de finances. Cela pourrait poser problème si nous connaissions un mouvement inverse, selon son ampleur.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Evoquez-vous dans vos travaux sur la diversification des financements de l'Etat la possibilité de faire appel à l'épargne des Français ?

M. Didier Migaud. - Oui, nous allons remettre un document sur le financement de l'économie, où nous évoquerons l'ensemble des sources possibles. Là aussi, il faut s'efforcer de trouver le meilleur équilibre pour ne pas tarir le financement d'autres besoins. Nous déposerons ce rapport sur le financement de l'économie, en plus de celui sur les finances publiques.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - A quelle échéance ?

M. Didier Migaud. - Avant le 14 juillet !

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Sur le redressement des comptes publics, pouvons-nous envisager d'en savoir un peu plus ?

M. Didier Migaud. - Je préfère ne pas déflorer le sujet à ce stade.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Merci.

Mercredi 23 mai 2012

- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, présidente -

Audition de M. Hervé de Villeroché, chef du service du financement de l'économie auprès de la direction générale du Trésor

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Je vous remercie, monsieur de Villeroché, de votre présence dont j'espère qu'elle nous éclairera sur les positions françaises au sujet du projet de règlement européen sur les agences de notation. Ces agences prennent une place de plus en plus grande car les sources de financement par les banques se sont restreintes : de plus en plus, l'économie et les collectivités se tournent vers les agences de notation, dans un contexte de croissance du marché obligataire.

Pourriez-vous nous résumer les positions françaises ? Existe-t-il des clivages importants dans l'Union européenne et la zone euro ?

La réglementation encadre-t-elle la responsabilité, sujet qui nous préoccupe beaucoup ?

M. Hervé de Villeroché. - La France a été précurseur dans le domaine de la réglementation des agences de notation, dès la crise de 2008, et pendant le G20 de Londres au printemps 2009, où elle a plaidé avec force pour un tel encadrement. Elle n'était pas la seule, les Etats-Unis ont également posé la question de la dépendance aux agences de notation. En Europe, le sujet est plutôt consensuel : il faut réguler. Sur la méthode, les clivages sont faibles, moins sensibles que dans d'autres domaines comme la régulation des banques, des assurances ou des hedge funds.

Plusieurs règlements européens ont d'ores et déjà été adoptés. Le premier date de 2009, il prévoit l'obligation d'enregistrement des agences de notations - 15 agences sont enregistrées à ce jour dont les trois les plus importantes - et traite des questions de transparence, de gouvernance et de conflits d'intérêt, en sortant du cadre strictement national. Il met également en place l'obligation d'informer l'entité notée 12 heures avant la publication de la note, de façon à pouvoir rectifier toute erreur matérielle.

Le second traite de la supervision directe de l'Autorité européenne des marchés financiers et organise le premier transfert de compétence : il est très novateur.

Le troisième est actuellement en discussion entre le Conseil et le Parlement européen. Il traite de la réduction de la dépendance aux notations. Je dois dire à ce propos que les pouvoirs publics, eux aussi, ont d'une certaine manière péché en fixant des règles qui imposaient aux banques, aux gestionnaires, de ne souscrire que des obligations cotées au maximum. Le règlement organise aussi la mise en place d'un régime européen de responsabilité civile. Ce nouveau régime européen de responsabilité civile pour faute lourde s'inspire de la loi française sur la régulation bancaire et financière : nous sommes fiers qu'un principe français ait inspiré une réglementation européenne dans un domaine où l'on se réfère simplement à la « liberté d'opinion ». Le règlement contient aussi des dispositions sur l'encadrement des notations souveraines, sur l'indépendance de l'actionnariat, il envisage de faire passer à une journée le délai de 12 heures - mais il existerait un risque de fuite plus élevé -. Il prévoit l'extension du champ du règlement aux rating outlooks et traite de l'épineuse question de la concurrence, qu'il faudrait encourager dans ce secteur. Or, plus on augmente les obligations à la charge des agences de notation, plus le coût d'entrée sur le marché est élevé. Le nombre d'agences de notation en Europe est trop faible. Nous ne sommes pas pessimistes pour l'avenir : nous avons déjà aujourd'hui une troisième agence. Mais il est difficile pour les pouvoirs publics de susciter la concurrence.

Voilà, en résumé, les principaux points de la réglementation européenne et la position française à leur égard.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Qui a défini le mandat de négociation de la France et quels sont les points d'arbitrage ? Votre nouveau ministre vous-a-t-il donné des instructions ?

M. Hervé de Villeroché. - Nous négocions au nom du gouvernement français, nos positions sont validées par le ministre, mais nous n'avons pas encore eu d'échange avec le nouveau ministre.

M. François Fortassin. - Pour que ces agences soient reconnues, il faudrait créer un climat de confiance, ce qui est loin d'être le cas actuellement. Comment le susciter ?

M. Hervé de Villeroché. - C'est une question difficile. Ce sont les utilisateurs des agences de notation qui décident de leur faire confiance ou non. Depuis 2008-2009, on constate que certains investisseurs, échaudés par la notation AAA des produits structurés, des subprimes, ne se reposent plus entièrement sur les agences de notation : nous n'avons qu'à nous en féliciter. Cela montre la nécessité d'une régulation. Les investisseurs veulent comprendre les risques et si nous parvenons à faire en sorte que d'autres éclairages interviennent, les agences auront retrouvé la place qui doit être la leur.

M. Jean Bizet.- Avez-vous échangé avec vos homologues anglais et allemands ? Peut-on parler d'une concordance de vues avec les Allemands ?

M. Hervé de Villeroché.- Oui, avec les Allemands, c'est plus difficile avec les Anglais, même si nous ne sommes pas sur ce point autant divisés que sur d'autres. Le travail avec l'Allemagne fonctionne bien. Le fait que les Américains et le G20 aient réagi à la toute-puissance des agences de notation a aussi créé une dynamique plus consensuelle au sein des régulateurs financiers.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.- Quelle est la position de la France sur la rotation des agences ? Quelles sont vos instructions à ce sujet ?

M. Hervé de Villeroché. - La France y est favorable, sans en attendre de miracles. Le Conseil, dans un consensus, a décidé de commencer par les produits les plus complexes (la retitrisation), là où le risque est le plus élevé. L'avantage de la rotation, c'est qu'elle permet une plus grande concurrence. Mais il ne faudrait pas que cette rotation ne concerne que les seules agences de notation installées au détriment des nouvelles. Il existe d'autres solutions à examiner, le recours aux appels d'offres par exemple.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - S'il existe un consensus au niveau européen, y compris avec les Anglais dont la philosophie est pourtant différente de la nôtre, pourquoi Moody's a-t-elle choisi de contracter sous la loi anglaise pour ce qui concerne le régime de responsabilité ?

Peut-on espérer une règlementation commune de part et d'autre de l'Atlantique, malgré les différends sur la responsabilité des agences, entre ceux pour qui la note est une opinion, et ceux qui veulent réglementer ?

M. Hervé de Villeroché. - La responsabilité est le sujet qui nous divise le plus et nous nous flattons d'avoir eu gain de cause avec les Britanniques, qui se sont finalement ralliés à nous au sein du Conseil. Les Anglo-saxons opposent à la responsabilité la liberté d'opinion. Le texte européen est très proche de la loi française, nous nous en réjouissons.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Et que penser du choix de Moody's qui décide de contracter sous la loi britannique, si les règles sont les mêmes des deux côtés de la Manche ?

M. Hervé de Villeroché.- Le règlement européen est d'application directe.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Espérez-vous que les Etats-Unis se rallient à la position européenne sur la responsabilité ?

M. Hervé de Villeroché. - Je ne saurais rien affirmer. Je doute qu'ils modifient le Dodd Frank Act.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Pourtant, il se vide peu à peu de son contenu.

M. Hervé de Villeroché. - J'observe la plus grande prudence sur ces questions. L'évaluation du Dodd Frank act est complexe et fait polémique aux Etats-Unis. Cependant, je ne crois pas que la nouvelle réglementation européenne puisse susciter une nouvelle législation aux Etats-Unis.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Les agences de notation sont supranationales, elles sévissent partout dans le monde : pourquoi n'y aurait-il pas une réglementation universelle ?

Le principe d'équivalence peut-il être mis en place pour connaître le degré d'engagement et de responsabilité d'une agence de notation, quel que soit le lieu d'où elle formule son analyse ? Les Anglais serait-ils prêts à l'accepter ?

M. Hervé de Villeroché. - Les grands principes des agences de notation ont été fixés au G20 de Londres. Le principal enjeu est de réduire la dépendance à leur égard dans les réglementations qui encadrent les gestionnaires de fonds, banques assurances, marchés. Les Etats-Unis sont d'accord. Mais la méthode n'est pas claire. Le régime européen de responsabilité constitue une avancée.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous soulignez la volonté de réduire le poids des agences de notation. Or, il semble qu'il se passe l'inverse avec les nouvelles réglementations ...

M. Hervé de Villeroché. - La dépendance est une mauvaise chose quand un acteur s'effondre suite à la dégradation automatique de sa note AAA. Quand la note est un élément parmi d'autres, que le régulateur demande aux entités de faire leur propre évaluation du risque, on réduit la dépendance aux agences.

Aujourd'hui les tensions sur les marchés financiers sont fortes, et ce n'est pas la réglementation qui empêchera les tensions. Les agences de notation ont suffisamment de poids pour jouer un rôle pro- ou contra-cyclique.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Les négociations en cours à Bruxelles ont-elles une chance d'aboutir avant la présidence danoise ? Que pensez-vous d'une agence publique européenne ? L'agence Roland Berger renaît de ses cendres en Allemagne : qu'en dites-vous ?

M. Hervé de Villeroché. - Les négociations européennes sont en bonne voie, le trilogue est engagé, on peut espérer aboutir d'ici cet automne. Nous avons de la sympathie pour le projet Roland Berger, d'autant plus qu'il est soutenu. Quant à une agence publique européenne, il n'existe pas de consensus à ce sujet. Des conflits d'intérêts seraient inévitables, puisqu'elle serait amenée à noter des Etats. Elle a peu de chance de voir le jour.

M. Aymeri de Montesquiou. - Plus il y a de règles, plus on rend difficile la création de nouvelles agences. Peut-on imaginer une défiscalisation, pendant trois ans par exemple, ou est-ce contraire au droit de la fiscalité européenne ?

Les Etats-Unis ont aujourd'hui le monopole des agences de notation. Quels sont les moyens dont nous disposons pour susciter des vocations chez nous, qui leur feraient contrepoids ? Ce serait l'intérêt politique de l'Union Européenne.

Il faudrait inciter à la création d'agences privées - une agence publique serait suspecte de donner son avis sur la dette des Etats. Mais créer une agence coûte cher : 300 millions au départ.

M. Hervé de Villeroché.- On pourrait s'inspirer du système de co-commissariat aux comptes qui fonctionne dans l'audit et a permis de préserver un bon niveau de concurrence, en obligeant les grandes entreprises à recourir à deux commissaires aux comptes. Dans d'autres pays, où ce système n'existe pas, on constate une dépendance plus forte aux quatre grands cabinets d'audit anglo-saxons.

Cette approche pourrait être transposée aux agences de notation. Le règlement prévoit déjà pour les produits structurés une double notation. Il me semble que ce système est plus susceptible d'encourager la concurrence que la création de niches fiscales, qui par ailleurs poserait problème au niveau international.

A terme, ce qui comptera, c'est la crédibilité de la notation.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Puisqu'il existe trois agences, c'est un système de chaises musicales.

M. Hervé de Villeroché. - L'expérience du co-commissariat aux comptes montre que beaucoup d'entreprises choisissent un cabinet d'audit français et un cabinet anglo-saxon.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Un mot sur les difficultés de financement des collectivités territoriales. Les banques sont de plus en plus réticentes à leur égard et les encouragent à se tourner vers le marché obligataire. Qu'en pensez-vous ?

M. Hervé de Villeroché. - Nous sommes très vigilants sur ce sujet. Les collectivités territoriales doivent impérativement trouver à se financer, d'autant que la taille de ce marché - les besoins sont évalués à environ 20 milliards d'euros par an- -n'est pas susceptible d'entraîner un risque systémique. L'attitude des banques s'explique par le retrait de Dexia, qui assumait 40 % de ce marché, et une réticence des banques à prendre le relais. Nous avons cependant obtenu des engagements de leur part. Le gouvernement pour sa part s'est engagé à fournir 5 milliards d'euros, dont 2 milliards sont débloqués. Nous faisons attention à ce que les banques n'en profitent pas pour se désengager : le marché obligataire peut être un recours, mais il ne doit pas être le seul. Je peux vous assurer de notre grand volontarisme à ce sujet.

M. Jean Bizet. - J'ai le sentiment que les Anglo-saxons, au travers du Dodd Frank Act notamment, s'exonèrent des règles prudentielles posées par Bâle 2 et 3 et Solvency II. Nous obligeons les banques européennes à thésauriser 9 à 10 % en fonds propres. Est-ce que nous ne nous mettons pas nous-mêmes dans une situation de distorsion de concurrence vis-à-vis de nos partenaires d'outre-Atlantique ? Avec ces règles, je crains que les entreprises et les collectivités locales françaises ne rencontrent demain des difficultés à trouver des fonds.

M. Hervé de Villeroché.- La question est fondamentale. Nous soutenons la nécessité pour les banques d'avoir plus de fonds propres : la crise a suffisamment démontré le besoin d'un secteur bancaire solide. L'impact des règles est plus important en Europe qu'aux Etats-Unis car le financement y est plus intermédié. Il n'y a pas vraiment de distorsion de concurrence au sein de l'Union européenne.

Il est vrai que nous nous inquiétons de l'attitude des Etats-Unis sur Bâle 3 et Bâle 2,5. Les autorités américaines disent qu'elles vont appliquer les recommandations mais les acteurs du marché ne tiennent pas le même discours.

Cela ne nous dissuadera pas d'appliquer les règles de Bâle pour notre compte. En France, le crédit d'entreprise se porte bien, il est moins cher que dans la zone euro et plus dynamique que la croissance française. Je vous renvoie aux statistiques de la Banque de France. Espérons que la tendance ne s'inverse pas.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Le problème de Dexia n'explique pas à lui seul la pénurie de financement des collectivités territoriales : les règles de Bâle 3 ne prévoient pas de régime adapté aux collectivités territoriales. Si le chiffre de 20 milliards d'euros ne comporte pas de risque systémique, raison de plus pour prévoir une législation spécifique qui permette aux collectivités territoriales de se financer sans passer par le marché obligataire. J'admets qu'on réclame davantage de fonds propres pour les banques, mais la faillite de Dexia n'est pas une affaire de fonds propres. Il y a eu un problème de liquidité, et pas de solvabilité.

Il suffirait d'interdire aux banques de proposer des financements à long terme à partir de fonds de court terme - ce qu'a fait Dexia et que nous, collectivités locales, payons aujourd'hui-.

Je suis maire d'une petite commune de 20 000 habitants, je n'ai pas la possibilité d'aller sur le marché obligataire ! J'ai absolument besoin des banques. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de ne pas mettre sur le même plan les besoins des collectivités territoriales et ceux des entreprises.

M. Hervé de Villeroché.- Pour le Trésor, il est inadmissible que les collectivités territoriales éprouvent des difficultés à trouver des financements. Leurs besoins, 17 milliards d'euros, sont tout à fait à la portée du secteur bancaire français. Dexia apportait 7 milliards, et une dizaine de banques les 10 milliards restant. Nous avons obtenu des banques qu'elles fournissent la même somme cette année. Avec le complément de 5 milliards d'euros fourni par le gouvernement, le financement atteindra le même niveau que les années précédentes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Nous allons surveiller cela.

M. Hervé de Villeroché. - Je partage votre analyse sur le fait qu'il s'agit davantage d'un problème de liquidité que de solvabilité. Le vrai enjeu consiste à trouver des ressources longues dans le bilan bancaire. On demande aux banques d'assurer un flux minimal. Il est vrai que ce marché nous angoisse ; beaucoup d'élus se plaignent.

M. Jean Bizet. - Je ne suis pas inquiet en ce qui concerne l'harmonisation européenne et les règles qui se mettent progressivement en place. C'est le travail de notre commissaire européen Michel Barnier et il va dans le bon sens.

En revanche, les distorsions de concurrence avec les Etats-Unis risquent de perdurer, voire de s'amplifier : notre excès de régulation leur profite, ainsi qu'aux fonds asiatiques. Dans un monde de compétitivité croissante, je crains que les bonnes intentions qui nous animent au niveau européen, ne finissent par nous pénaliser.

M. Hervé de Villeroché. - Je partage tout à fait votre analyse. En Europe, nous avons besoin d'un secteur bancaire bien régulé. Aux Etats-Unis, le financement est moins intermédié, le besoin de régulation est moins fort.

Les Américains ont toutefois signé les communiqués du G20 et des accords de Bâle. Le gouvernement n'est pas dans une optique de non-régulation, mais beaucoup d'observateurs du marché prétendent le contraire.

Enfin, je souligne qu'on nous fait parfois un mauvais procès : l'Europe appliquerait mal les accords de Bâle. C'est tout à fait inexact.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Quel jugement portez-vous sur la nouvelle agence européenne ? A-t-elle les moyens de mettre en place une véritable régulation au niveau européen ?

M. Hervé de Villeroché. - La France a soutenu la création d'une agence de régulation. Nous sommes optimistes à son sujet. Elle fait un bon travail sur les agences de notation.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Je vous remercie.