Jeudi 31 janvier 2013

. - Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président -

Examen de l'étude de faisabilité de MM. Jean-Claude Lenoir, sénateur, et Christian Bataille, député, sur les « techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste »

M. Bruno Sido, sénateur, président. - Une information tout d'abord : nos rapporteurs, M. Denis Baupin, député, et Mme Fabienne Keller, sénateur, ont créé un blog hébergé par le Sénat.

Je précise qu'il s'agit d'un blog des rapporteurs, comme notre collègue Christian Gaudin, en avait créé un dans le cadre de son étude sur l'Antarctique en 2006, et non d'un blog de l'Office.

Nous allons maintenant examiner l'étude de faisabilité présentée par nos collègues Jean-Claude Lenoir et Christian Bataille sur les « techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste ».

Une série de dispositions de notre Règlement stipulent que nos délibérations doivent rester secrètes jusqu'à l'adoption définitive de nos rapports. Ces dispositions sont obsolètes en ce qu'elles renvoient à une période où l'Office ne publiait pas les comptes rendus de ses travaux, ce qui n'est plus le cas depuis longtemps.

C'est pourquoi nous pouvons autoriser nos rapporteurs, surtout sur un sujet aussi sensible que celui qu'ils vont aborder, à communiquer avec la presse, après présentation de leur étude de faisabilité à l'Office.

M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, rapporteur. - C'est à l'initiative de M. Daniel Raoul, président de la Commission des affaires économiques du Sénat, que l'Office parlementaire a été saisi sur « les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste ».

C'est l'occasion, pour l'Office parlementaire, d'étudier la problématique des hydrocarbures non conventionnels, qui a surgi en France fin 2010, pour aboutir, un peu dans la précipitation, à la loi du 13 juillet 2011. Il serait regrettable que la loi du 13 juillet 2011, qui a proscrit la fracturation hydraulique pour l'exploitation des mines d'hydrocarbures, conduise à s'interdire toute réflexion et recherche dans ce domaine.

L'Office parlementaire paraît l'enceinte idéale pour mener une réflexion aussi dépassionnée que possible sur ce sujet sensible pour l'opinion et les médias.

Je vous rappelle, par ailleurs, qu'en 2011, la facture énergétique de la France a battu un record, en atteignant 61,4 Mds€, ce qui représente 88 % de notre déficit commercial. Si la France exporte de l'électricité, elle importe en revanche massivement pétrole et gaz. Cette situation n'est pas seulement coûteuse d'un point de vue économique ; elle génère aussi une dépendance à l'égard de nos principaux fournisseurs. Dans ce contexte, comment ne pas s'intéresser, au moins au titre de la recherche, aux éventuelles ressources de notre sous-sol national, Outre-mer (en Guyane) ou en métropole ?

Nos auditions préliminaires confirment l'intérêt de cette saisine sur les techniques alternatives. En effet :

- la fracturation hydraulique est une pratique qui évolue très rapidement ;

- et il existe d'autres pistes susceptibles de justifier un effort de recherche dans l'objectif d'évaluer leur faisabilité et leur impact environnemental.

L'interdiction édictée en France semble inciter les opérateurs à faire évoluer leurs pratiques afin de les rendre plus respectueuses de l'environnement et plus compatibles avec le contexte européen.

En premier lieu, que sont ces hydrocarbures non conventionnels ?

Leur spécificité ne tient pas à leur nature mais aux techniques nécessaires à leur exploitation.

En ce qui concerne la terminologie : nos auditions préliminaires nous conduisent à penser que les termes « gaz de schiste », employés dans notre lettre de saisine, sont doublement inappropriés.

D'une part, ces termes excluent les huiles ou pétrole de schiste dont l'exploitation soulève pourtant des interrogations similaires à celle du gaz de schiste. Ces huiles pourraient constituer une partie importante des ressources françaises récupérables, notamment en Ile de France. Il convient donc de les intégrer à notre étude.

D'autre part, les experts sont unanimes à désapprouver l'emploi du mot « schiste », qui provient d'une mauvaise traduction de l'anglais « shale ». En français, le mot « schiste » est employé pour désigner soit une roche sédimentaire argileuse (en anglais, shale), soit une roche feuilletée obtenue en raison d'une augmentation très élevée de la pression et de la température (en anglais, schist). Seule la première catégorie de schiste est susceptible de renfermer des hydrocarbures.

C'est pourquoi il paraît préférable de retenir l'appellation « hydrocarbures non conventionnels ». Ces termes permettent par ailleurs d'englober trois types de gisements :

- les hydrocarbures de roche-mère : il s'agit des huiles et gaz de « shale », dispersés au sein d'une roche argileuse (argilite), non poreuse ;

- les gaz de réservoir compact qui se sont accumulés dans des réservoirs difficiles à exploiter, car emprisonnés dans des roches imperméables où la pression est très forte ;

- le gaz de houille ou grisou, dispersé dans des gisements de charbon. D'après des informations récentes, il serait toutefois possible d'exploiter ce gaz de houille en France sans procéder par fracturation grâce à des drains horizontaux qui seraient suffisants, étant donné la fracturation naturelle du charbon.

Ce qui est non conventionnel, ce n'est évidemment pas la nature de l'hydrocarbure récupéré, mais la roche dans laquelle il se trouve, les conditions dans lesquelles il est retenu dans cette roche et les techniques nécessaires à son exploitation.

Les hydrocarbures non conventionnels se trouvant dans un milieu imperméable, leur production nécessite de créer une perméabilité de façon artificielle en fissurant la roche (sauf dans le cas précité de certains gaz de houille).

La technique la plus employée actuellement est la fracturation hydraulique. Cette technique existe depuis 1947. Elle consiste, à partir de forages horizontaux, à injecter de l'eau à très haute pression pour créer des fissures qui sont maintenues ouvertes par l'emploi de sable et d'additifs chimiques. Les fissures ainsi créées viennent interconnecter le réseau déjà existant de fissures naturelles, ce qui permet de drainer les hydrocarbures.

Au contraire des réserves non conventionnelles, les gisements dits aujourd'hui, a contrario, « conventionnels » se caractérisent par l'existence d'une accumulation liquide ou gazeuse située dans une roche poreuse et perméable, ce qui permet une extraction classique par forage et éventuellement par pompage, sans nécessiter d'autres étapes de traitement.

Revenons maintenant sur l'essor récent de la production de ces hydrocarbures.

Cet essor résulte de la conjonction d'évolutions techniques et de conditions économiques ayant rendu cette production rentable. Au niveau mondial, de nombreuses incertitudes sur les ressources demeurent.

Aux États-Unis, la production de gaz non conventionnel s'est accrue très rapidement dans la seconde moitié de la décennie 2000, car le prix élevé du gaz a rentabilisé le développement de techniques permettant la récupération d'une ressource auparavant considérée comme non exploitable.

Grâce à cette ressource, les États-Unis deviendraient autonomes (c'est-à-dire exportateurs nets) en gaz d'ici 2021 et en pétrole d'ici 2030. Ceci représente une révolution économique et géopolitique majeure et inattendue puisque les États-Unis avaient entrepris la construction de terminaux destinés à l'importation de gaz, équipés de centrales de regazéification, qui ont dû être arrêtés.

Les retombées économiques de cette révolution dans le domaine énergétique sont importantes car les grands groupes pétrochimiques sont incités à multiplier les investissements sur le sol américain, en conséquence de la baisse du prix du gaz. Un million d'emploi pourrait être créés aux États-Unis d'ici 2025, en lien avec cette production non conventionnelle.

Il faut ajouter que les groupes chimiques européens pourraient être incités à délocaliser leur production dans un pays bien connu d'eux et présentant peu de risques.

A l'heure actuelle, États-Unis et Canada sont à l'origine de la quasi-totalité de la production mondiale de ces hydrocarbures non conventionnels. Mais ceux-ci suscitent l'intérêt de nombreux autres États dans le monde.

L'Australie, la Chine, l'Algérie, l'Ukraine ont, par exemple, manifesté leur intérêt pour l'exploration et pour l'exploitation.

En Europe, la situation est contrastée. Les évaluations disponibles des ressources reposent sur des modèles théoriques et des données éparses fournies par l'Agence américaine d'information sur l'énergie (Energy Information Administration - EIA). Celle-ci a estimé la ressource techniquement récupérable en gaz de roche mère dans les pays européens à 18 000 milliards de m3, la Pologne paraissant être le pays d'Europe le plus richement doté (5.300 Mds m3), devant la France (5.100 Mds m3).

Certains pays démarrent la prospection (Pologne, Royaume-Uni, Danemark), d'autres ont mis en place un moratoire (Allemagne, Pays-Bas).

Deux pays ont interdit la fracturation hydraulique (France, Bulgarie).

La Pologne est probablement, en Europe, le pays le plus avancé dans l'exploration de son potentiel. C'est en effet une perspective pour les Polonais de réduire considérablement leur dépendance à l'égard de Gazprom, fournisseur de 60 % du gaz polonais et de 25 % du gaz européen.

Il convient d'ajouter que tous les gisements techniquement récupérables ne sont pas effectivement exploitables, pour des raisons d'accessibilité ou de rentabilité. Il faut donc distinguer la ressource techniquement récupérable de la réserve, qui dépend des conditions économiques.

Les estimations pour les États-Unis et le Canada sont plus fiables que celles réalisées pour l'Europe, en raison de la maturité plus grande de l'exploration et de l'exploitation dans ces pays. Les pays européens ne connaissent à ce jour que très imparfaitement les ressources de leur sous-sol. C'est notamment vrai en France, où les organismes publics auditionnés pour la réalisation de la présente étude de faisabilité se réfèrent tous, pour l'évaluation des ressources françaises, à des sources américaines ou internationales.

Si les organismes compétents ont été sollicités pour des études dans la plupart des pays d'Europe, ce n'est pas le cas en France, alors même que la loi de 2011 ne l'exclut pas complètement.

Pourtant, en France, il serait possible de procéder à de premières quantifications des ressources du sous-sol français à partir des connaissances et des modèles existants, pour deux bassins : le bassin du sud-est et celui de Paris.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. - L'expérience accumulée, essentiellement aux États-Unis, a mis en évidence les risques associés à l'exploration et à la production d'hydrocarbures non conventionnels.

Nos auditions préliminaires nous conduisent toutefois à penser que les techniques évoluent très rapidement. D'une part, dans les pays explorant ou exploitant ces hydrocarbures, notamment aux États-Unis, les pouvoirs publics mettent progressivement en place des réglementations spécifiques ; d'autre part, afin d'améliorer l'acceptabilité sociale de leur activité, les opérateurs sont enclins à mieux prendre en compte les considérations environnementales.

Quels sont les risques éventuellement associés à l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels ?

- Tout d'abord, son impact quantitatif sur la ressource en eau est régulièrement mis en avant, puisque chaque forage nécessite 8 000 à 20 000 m3 d'eau, ce qui peut créer des conflits d'usage.

- Ensuite, il existerait un risque de migration des gaz ou des produits utilisés pour la fracturation. Les nappes phréatiques étant proches de la surface du sol, leur contamination du fait de la fracturation hydraulique, à  3 000 m de profondeur, est très peu probable. S'il y a un risque de pollution du sol et des nappes phréatiques, il est plutôt imputable à la qualité du forage et des installations en surface. Ce risque n'est pas fondamentalement différent de celui qui est associé à un forage conventionnel mais le nombre de puits nécessaires est supérieur.

- Par ailleurs, la fracturation hydraulique pourrait entraîner le drainage d'éléments contenus dans la roche (métaux lourds, éléments radioactifs). Une bonne connaissance de cette roche est donc indispensable.

- On impute aussi à la fracturation hydraulique un risque de sismicité induite : la fracturation hydraulique crée dans la plupart des cas des microséismes de très faible amplitude, sans danger en surface. Néanmoins des séismes ont été attribués à l'exploitation d'hydrocarbures non conventionnels au Texas et en Arkansas, non pas en lien avec la fracturation hydraulique, mais en raison de la réinjection d'eaux usées dans le sous-sol. Au Royaume-Uni, en 2011, deux séismes de faible magnitude pourraient être liés à la fracturation hydraulique, dans un puits d'exploration de la région de Blackpool.

- Ensuite, les travaux d'exploration et d'exploitation entraînent inévitablement des nuisances locales : emprise au sol, impact sur les paysages, passages de camions. Ces nuisances sont temporaires (6 à 18 mois).

- Enfin, le bilan de l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels sur le climat est l'objet de controverses. Aux États-Unis, l'usage croissant du gaz, en lieu et place du charbon et du pétrole, pour produire de l'électricité, a contribué à une réduction des émissions de CO2. Mais des fuites de méthane lors de la production, du transport et de l'utilisation du gaz pourraient avoir un impact négatif. Sur un siècle, le méthane a un effet sur le changement climatique 25 fois plus important que le CO2. Les experts auditionnés nous ont confirmé qu'à ce jour aucune étude sur ce sujet n'était complètement probante.

Les techniques de production des hydrocarbures non conventionnels ne sont pas figées mais, au contraire, évolutives.

Le débat sur les conséquences environnementales de la fracturation hydraulique est vif tant en Europe qu'aux États-Unis et au Canada. Il a conduit, dans la plupart des pays, à une réflexion sur les moyens de limiter les risques grâce à des réglementations et à des contrôles destinés à modifier les pratiques.

L'un des enjeux de cette réglementation est la limitation du nombre d'additifs chimiques utilisés dans les fluides de fracturation. L'industrie a développé l'utilisation de produits alimentaires (tels que le haricot de guar), et envisage l'usage de produits biodégradables ou d'autres techniques, tels que des rayons UV, qui viendraient se substituer aux biocides utilisés pour désinfecter le fluide de fracturation.

L'impact sur les paysages peut être réduit en regroupant plusieurs puits à partir d'une seule plateforme de forage, qui pourrait héberger jusqu'à plus de quinze puits.

Le nombre de camionnages peut également être réduit, si l'on parvient à diminuer les quantités d'eau nécessaire, ou si l'on utilise d'autres techniques de fracturation à partir de fluides moins volumineux.

De façon plus générale, les procédés de fracturation évoluent : Schlumberger a, par exemple, développé une technique de fracturation hydraulique dite « avec canaux » qui consomme significativement moins d'eau que la fracturation classique.

Nous entendons examiner l'ensemble des voies d'amélioration de la fracturation hydraulique, esquissées lors de nos premières auditions.

Nous entendons examiner aussi les techniques de substitution à la fracturation hydraulique. La plupart ne sont pour le moment qu'au stade de la R&D. Tous les experts auditionnés sont d'avis qu'elles ne pourront être employées avant au minimum une décennie.

Il s'agit notamment :

- de l'électro-fissuration, consistant à fissurer la roche sous l'effet d'un courant électrique ;

- de la fracturation thermique par modification de la température de la roche-mère ;

- de la fracturation par injection d'un fluide autre que l'eau, tel que du CO2 supercritique (employé à titre expérimental par Chevron), ou encore de l'hélium, de l'azote ou d'une « mousse » (émulsion stable eau/gaz).

Ces techniques présenteraient l'avantage de ne pas nécessiter d'eau. Elles devraient permettre de diminuer le nombre d'additifs employés (sauf dans le cas de la mousse), une partie de ces additifs servant à empêcher la sédimentation du sable dans l'eau, ce qui ne deviendrait plus nécessaire.

La seule technique alternative à la fracturation hydraulique réellement opérationnelle à ce jour est la fracturation au propane, employée en Amérique du nord.

Le propane est utilisé depuis 40 ans dans le cadre de la production conventionnelle. Injecté sous forme de liquide ou de gel, il est récupéré sous forme gazeuse. Cette technique présente l'intérêt de limiter voire supprimer le recours à des agents chimiques. En outre, le propane peut être recyclé et réutilisé presque intégralement. Les volumes à gérer seraient moindres que pour la fracturation hydraulique, réduisant d'autant le besoin de transport en surface. Les risques industriels associés sont ceux inhérents à l'usage de gaz naturel (risque d'explosion).

En conclusion, la technique interdite par la loi du 13 juillet 2011, à savoir la fracturation hydraulique, a déjà beaucoup évolué. Il s'agit d'une technique ancienne qui se transforme rapidement sous l'effet de considérations environnementales de plus en plus partagées.

Par ailleurs, une technique alternative opérationnelle existe : il s'agit de la stimulation au propane, qui mériterait un plus ample examen. D'autres technologies sont envisagées en recherche et susceptibles d'aboutir à des applications d'ici une dizaine d'années.

Les auditions préliminaires réalisées confirment donc pleinement l'intérêt de la saisine de la commission des affaires économiques du Sénat.

Un simple ajustement des termes de cette saisine est suggéré : il s'agit de remplacer les termes « gaz de schiste » par ceux d'« hydrocarbures non conventionnels », pour les raisons évoquées.

L'intitulé de l'étude pourrait donc être le suivant : « Les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels »

Du point de vue de la méthode, nous suggérons l'organisation d'une audition ouverte à la presse en avril prochain.

Nous proposons également de nous rendre en Amérique du Nord où le retour d'expérience de l'exploration et de l'exploitation est le plus grand. Aux États-Unis, de même qu'au Canada, les préoccupations environnementales ont conduit à un réexamen du cadre réglementaire et des modes de production. Enfin, c'est en Amérique du Nord que des techniques alternatives sont d'ores et déjà expérimentées (stimulation au propane).

En Europe, le pays le plus avancé sur la voie de l'exploration de son potentiel en hydrocarbures non conventionnels est la Pologne. C'est pourquoi nous envisageons de nous y rendre, ainsi éventuellement qu'au Royaume-Uni, si cela se révélait utile après un examen plus approfondi.

Enfin, nous proposons d'inscrire notre étude dans un calendrier qui lui permettrait d'apporter une contribution au débat national sur la transition énergétique. C'est pourquoi nous envisageons un rapport d'étape au printemps prochain, puis un rapport final à l'automne.

M. Bruno Sido. - Je partage votre sentiment concernant l'intitulé de l'étude, mais ne risque-t-on pas de perdre en visibilité, en excluant les termes « gaz de schiste » ?

Avez-vous une idée des réserves françaises probables ? En Pologne, l'entreprise Exxon s'est retirée. Les réserves ont été réévaluées à la baisse. Or s'il n'y a pas de gaz de schiste, le débat est clos.

Les microséismes sont-ils systématiques lors de fracturations hydrauliques ?

Si l'on recherche du gaz, c'est que son utilisation serait moins polluante que celle du charbon. Or on entend aujourd'hui que le gaz serait au moins aussi polluant que le charbon, en raison de fuites lors de la production. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

M. Christian Bataille. - Avec ce nouveau titre, il s'agit d'embrasser tant les gaz de roche mère que le pétrole et le grisou, qui redevient exploitable en Lorraine et dans le Nord Pas de Calais. Nous proposons donc un titre globalisant pour que l'étude porte sur un bouquet de ressources énergétiques.

Sur les microséismes, nous avons interrogé Schlumberger, qui représente le haut niveau mondial de la technologie du secteur, sans équivalent en France, même si cette entreprise est d'origine française. Les microséismes sont inhérents à l'exploitation. Mais ils sont interprétés ensuite par l'opinion comme un danger.

Sur les effets du gaz, il faut préciser, s'agissant de la stimulation au propane, que l'emploi du gaz est limité. Le mot « stimulation » reflète le fait que ce gaz est utilisé en début d'exploitation d'un gisement et non pas de façon continue. Il est récupéré en quasi-totalité (plus de 90 %).

M. Jean-Claude Lenoir. - Les mots sont très importants : parler de gaz de schiste est un contresens. Il n'y a pas que du gaz, et il n'y a pas de rapport avec le schiste. Aujourd'hui, dans les régions où les réserves de schiste sont importantes, les habitants s'interrogent sur la présence de gaz. Or cela est sans lien. Parler d'hydrocarbures non conventionnels est, d'un point de vue scientifique, plus conforme à la réalité.

En ce qui concerne le propane, son utilisation est courte dans le temps. On crée des fissures qui sont ensuite maintenue en l'état par l'injection de sable ou de céramique. Les hydrocarbures peuvent ensuite être exploités pendant plusieurs années.

La question des réserves est évidemment essentielle. Il faut explorer : c'est la raison pour laquelle nous avons besoin de techniques alternatives. On en est réduit aujourd'hui à des évaluations venues d'ailleurs, notamment des Américains. Les géologues américains connaissent peut-être mieux la réalité de notre sous-sol que nous. Des techniques d'exploitation acceptables sont nécessaires pour répondre à cette question essentielle : y-a-t-il ou non des réserves dans notre sous-sol ?

M. Marcel-Pierre Cléach, sénateur. - Pour l'opinion publique non avertie, « hydrocarbures » signifie « pétrole ». Or la saisine porte sur les gaz. Ne peut-on pas trouver un intitulé qui reflète mieux l'esprit de la saisine ?

Le film Gasland a fait des dégâts considérables dans l'opinion publique, notamment en raison d'une scène au cours de laquelle du gaz sort d'un robinet de cuisine. Il faudrait revoir ce film, peut-être rencontrer les équipes de montage, pour savoir comment il a été réalisé.

M. Marcel Deneux, sénateur. - C'est maintenant connu : cette séquence est issue d'un montage. Le gaz sortait directement d'une tourbière. Le phénomène n'a rien à voir avec les gaz de schiste. C'est une escroquerie intellectuelle.

M. Christian Bataille. - Il y a un important travail à faire auprès des médias. L'émission récemment diffusée sur la chaîne Arte, au sujet des gaz de schiste, porte également une vision unilatérale. C'est très facile de jouer sur le sensationnel, de frapper les esprits. Il faut retrousser nos manches pour expliquer que les phénomènes décrits sont soit des montages, soit proviennent d'erreurs nées de la précipitation d'exploitants individuels qui ont fait un peu n'importe quoi aux États-Unis, avant que la situation ne soit reprise en mains par des entreprises plus professionnelles.

M. Marcel-Pierre Cléach. - C'est un rapport qui sera extrêmement important, sous les feux des médias et de certains partis politiques et mouvements écologistes. Il faudra avoir une communication très forte, notamment au moment du rapport d'étape, pour amener l'opinion publique à réfléchir.

Par ailleurs, je pense qu'il faudra que vous vous intéressiez à la refonte du code minier, car c'est l'un des facteurs d'acceptabilité de l'exploration et de l'exploitation des gaz de schiste. Cette acceptabilité serait accrue si les propriétaires du sol et du sous-sol pouvaient être intéressés à l'exploitation par l'instauration d'une redevance, fût-elle modeste.

M. Christian Bataille. - Il faudra en effet évoquer l'évolution du code minier vers plus de souplesse, de façon à ce que les propriétaires du sol soient parties prenantes à une éventuelle richesse du sous-sol.

M. Jean-Marc Pastor, sénateur. - Les questions énergétiques sont devenues centrales. Comment pourrez-vous vous positionner dans le débat sur la transition énergétique ? Votre rapport final est prévu pour octobre. Le débat risque d'être alors terminé.

L'acceptation sociétale de la nouveauté scientifique est devenue un enjeu majeur non seulement en France mais aussi dans d'autres pays. La modification du titre de votre étude me paraît souhaitable. Mais avez-vous prévu, par ailleurs, d'effectuer des comparaisons internationales non seulement du point de vue de la technique mais aussi du point de vue de l'acceptation sociétale ? Quels sont les dispositifs qui, à l'étranger, ont permis de contrecarrer des opposants dont la communication est très organisée ? Votre étude ne devrait-elle pas comporter un volet médiatique fort ?

Dans cette étude, comme dans celle que j'ai entreprise avec Laurent Kalinowski sur l'hydrogène, il est question de territoires et d'énergies. La réforme du code minier semble s'inscrire aussi dans cette perspective. Il serait intéressant de procéder à des rapprochements entre nos études sur cette question de l'implication des acteurs locaux comme parties prenantes aux problématiques énergétiques. L'acceptabilité sociale des évolutions scientifiques et technologiques en dépend. En effet, si les acteurs locaux ne sont qu'observateurs, ils seront opposants.

M. Jean-Claude Lenoir. - Nous sommes parfaitement conscients que nos travaux doivent s'articuler avec le calendrier du Débat national sur la transition énergétique. J'appartiens au Conseil national du débat sur la transition énergétique. J'entends assurer un lien entre ce Conseil national et les travaux de l'Office parlementaire. Nous avons prévu un rapport d'étape fin avril, précisément pour nous inscrire dans ce calendrier et nourrir les travaux du Débat.

Il est de notre rôle à nous, hommes politiques, de formuler des propositions qui prennent en compte la dimension sociétale de ce sujet. Nous ne sommes pas des scientifiques ni des ingénieurs ; nous sommes amenés à examiner ce dossier pour nous tourner vers l'opinion. Il faut lui dire que nous utiliserons encore du gaz pendant des décennies. Or aujourd'hui nous sommes dépendants. Si nos travaux amenaient à suggérer des techniques alternatives acceptables, le gaz que nous trouverions sous nos pieds ne viendrait pas s'ajouter à celui que nous achetons mais s'y substituer. La dimension économique de ce débat est considérable. Le montant de notre facture énergétique suggère ce que nous pourrions gagner à exploiter nos propres réserves, à supposer que nous en ayons - et il faut demeurer prudent sur ce point.

Ce qui se passe aux États-Unis doit être étudié avec attention : c'est une vraie révolution. Elle est d'abord technique, lorsqu'on voit que les terminaux méthaniers construits pour l'importation sont en voie d'être fermés. On remarquera d'ailleurs que les États-Unis ne prévoient pas d'exporter leur gaz mais plutôt de le garder ; en revanche, ils exporteront leur charbon, notamment à des pays européens... ce qui revient à dire que les États-Unis vont exporter leurs émissions de CO2 en Europe.

Si l'on pouvait établir un lien entre le territoire et les ressources qu'il recèle, on pourrait assister à une véritable révolution sociétale. Nous ne serions pas des citoyens qui subissent mais des citoyens qui participent et tirent parti de leurs ressources et des techniques employées.

M. Marcel Deneux. - Je partage globalement votre approche : c'est une question politique et d'opinion publique. Il faudra faire beaucoup de pédagogie car nous avons affaire à des passions difficiles à raisonner.

En premier lieu, il y a une incertitude scientifique réelle sur nos réserves. Il faudrait lever cette ambigüité.

Le Parlement européen a récemment adopté plusieurs résolutions au sujet du gaz de schiste. Je vous suggère d'entendre le rapporteur polonais de ces résolutions, qui est francophone.

Je partage vos orientations s'agissant du code minier. Les retombées économiques sont un facteur d'acceptabilité sociale. On le voit dans le cas de l'éolien. C'est ce qui s'est produit aussi lors de l'implantation des centrales nucléaires, qui ont généré une manne pour les collectivités. Il est hors de question d'aller jusqu'à modifier le droit du sous-sol pour le rapprocher du droit américain, mais il faut qu'il y ait des retombées économiques locales.

On sait que le méthane pollue davantage que le CO2, mais il n'a pas été retenu dans les discussions internationales sur le protocole de Kyoto à cause de l'opposition de la Chine et de l'Inde. Les principales sources d'émission de méthane sont les rizières non cultivées et les bovins.

L'argument économique est déterminant mais, d'après mon expérience, il n'est pas de nature à convaincre les opposants. Il faudra être très attentif à la pédagogie.

M. Christian Bataille. - Tout d'abord, la technologie que nous avons relevée comme alternative est la stimulation au propane

M. Marcel Deneux. - A ce sujet, d'ailleurs, la Commission des affaires économiques du Sénat a auditionné, en 2011, une entreprise canadienne. Nous savions déjà qu'il existait une technologie alternative.

M. Christian Bataille. - Les remarques de notre collègue Marcel Deneux relèvent, pour beaucoup, de l'aval de notre étude. Nous nous intéresserons en priorité aux technologies alternatives à la fracturation hydraulique et aux possibilités d'explorer et, éventuellement, d'exploiter le gaz de schiste. Nous ne négligerons toutefois aucun aspect du problème. La question des hydrocarbures non conventionnels a été particulièrement maltraitée dans notre pays, qui est le plus « nihiliste » avec la Bulgarie.

S'agissant de l'intitulé, peut-être faut-il en effet ajouter à ce que nous proposons, à savoir « hydrocarbures non conventionnels », la mention « gaz et pétrole de schiste », pour faire le lien avec ce que la loi du 13 juillet 2011 a interdit.

M. Bruno Sido. - Peut-être pourrait-on remplacer « gaz de schiste » par « hydrocarbures pétroliers et gaziers ».

Mme Chantal Jouanno, sénatrice. - Je n'ai pas un a priori très positif à l'égard de ce type d'énergie pour la France. Néanmoins, nous avons besoin d'objectiver le débat car, comme souvent dans notre pays, l'idéologie passe avant la connaissance des faits, tant d'ailleurs pour les opposants que pour les partisans.

Je pense très important de pouvoir disposer d'une estimation plus précise du potentiel plutôt que de raisonner sur de pures hypothèses. Nous avons le devoir de savoir avant de pouvoir tirer des conclusions. Il est important de s'interroger sur les conséquences éventuelles d'une exploitation des hydrocarbures non conventionnels sur notre bilan d'émissions de gaz à effet de serre. Il faut aussi évaluer son impact sur l'emprise au sol, en région parisienne, et sur la ressource en eau, dans les Cévennes. Ces aspects seront déterminants dans la décision d'exploiter ou non ce type de ressources.

Je préconiserais aussi, même si la lettre de mission est très ciblée, de distinguer les enjeux en France et notre position à l'international. Il ne faudrait pas que la France ait une position complètement fermée en Europe pour des raisons qui lui seraient internes. En effet, l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels peut avoir un impact sur les émissions de CO2 en Europe, ainsi qu'un impact important à long terme dans la négociation de nos contrats gaziers. Si nous ne connaissons pas notre propre potentiel, nous serons plus faibles vis-à-vis de la Russie ou d'autres pays. En ce sens, les hydrocarbures non conventionnels pourraient être intéressants pour la transition énergétique à l'échelle internationale.

Il faut rappeler aussi les différents intérêts en jeu dans ce débat. Rien n'est anodin dans les prises de position des uns et des autres.

M. Jean-Claude Lenoir. - Au fond, deux questions préalables à celles de notre saisine se posent. En premier lieu, la France a-t-elle besoin de gaz ? La réponse est : oui, et pour longtemps. Peut-être qu'à plus long terme nous pourrons nous en passer, mais ce n'est pas le cas pour les prochaines décennies. En second lieu : y-a-t-il du gaz dans notre sous-sol ? Pour le savoir, il faut explorer, et pour explorer, il faut disposer de techniques acceptables. Comme l'a répondu le philosophe Alain à l'un de ses élèves qui prétendait qu'au Laos, les éléphants marchaient sur l'eau : « Il faut aller voir ». Je pense qu'il faut aller voir si nous avons des hydrocarbures non conventionnels. Le débat français est peut-être complètement décalé par rapport à la réalité. On ne peut pas se soustraire à l'obligation de savoir, d'autant que, comme le souligne Chantal Jouanno, cette connaissance aura un impact sur notre relation à nos fournisseurs. C'est le cas aux États-Unis, où la relation avec les pays producteurs évolue.

M. Christian Bataille. - Bien que nous possédions les compétences nécessaires, nous connaissons mal notre sous-sol. Je l'ai mesuré lorsque j'ai été missionné pour rechercher un site de laboratoire pour les déchets nucléaires. Nous avions alors dû commander des études au BRGM et à d'autres organismes pour pallier la méconnaissance du sous-sol français. On en est toujours là. Il faut approfondir une connaissance encore embryonnaire, s'agissant du bassin parisien ou des bassins miniers de Lorraine et du Nord Pas de Calais, où il faut rechercher le grisou. Les habitants de ces deux dernières régions n'ont pas de préjugé défavorable à l'extraction d'hydrocarbures. Au contraire, cette perspective paraît susceptible de les faire rebondir dans un contexte marqué par de graves difficultés.

M. Michel Berson, sénateur. - Les travaux de l'Office visent deux objectifs : un objectif politique et un objectif économique. L'objectif politique est de montrer combien la France, aujourd'hui, se singularise, à l'échelon international et en particulier, européen, en interdisant tant l'exploration que l'exploitation de ses hydrocarbures non conventionnels. De grands pays industrialisés et émergents ont compris l'utilité de ces hydrocarbures sur la voie de l'indépendance énergétique. Même en Europe, la Grande-Bretagne et l'Allemagne ne ferment pas la porte à l'exploration et à l'exploitation. En France, en revanche, nous interdisons non seulement l'exploitation mais aussi l'exploration, ce qui paralyse les travaux de nos chercheurs. La recherche devrait être libre. On ne peut pas interdire de penser. En revanche, les résultats de la recherche, eux, peuvent faire l'objet d'une réglementation.

Ensuite, je partage vos orientations et je trouve notamment judicieux d'élargir le champ d'investigation du rapport, comme vous le suggérez, peut-être en employant l'expression : « gaz et huiles de schiste », même si le terme de « schiste » semble inapproprié.

Votre calendrier est également important. Un débat sur la transition énergétique a été engagé. J'aurais d'ailleurs souhaité que l'on parle de « partage » plutôt que de « transition ». Nous sommes ici au coeur du débat public. Ce débat doit être nourri car de nombreux préjugés circulent, faisant courir le risque de l'obscurantisme. Ce sujet est de la plus haute importance et je me félicite que l'OPECST en soit saisi.

M. Christian Bataille. - A l'Office, nous sommes souvent confrontés à l'« obscurantisme » que vous évoquez. Le film Gasland et celui diffusé récemment par Arte en sont l'illustration. Beaucoup de contrevérités circulent. Notre travail sera de restaurer de la rationalité.

Pour l'intitulé, nous proposons de reprendre celui de notre communiqué de presse, dans lequel figure la mention : « gaz et huiles de schiste ».

M. Bruno Sido. - Je pense que l'intitulé du rapport pourrait être :

- soit, « les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels (« gaz et huiles de schiste ») » ;

- soit, « les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures pétroliers et gaziers non conventionnels ».

M. Christian Bataille. - Je penche plutôt pour la première formule, qui donne la traduction en langage courant, répandu dans l'opinion, des termes « hydrocarbures non conventionnels ».

M. Bruno Sido. - Cette proposition fait consensus.

Puis l'OPECST a approuvé à l'unanimité l'étude de faisabilité présentée par les deux rapporteurs.