Mercredi 16 avril 2014

- Présidence de M. Michel Savin, président -

Table ronde sur le sport féminin professionnel

La séance est ouverte à 14 heures.

M. Michel Savin, président. - Je remercie chacun des participants à cette table ronde. Si le sport féminin professionnel est depuis longtemps développé dans de nombreuses disciplines individuelles comme le tennis, le judo, la natation ou l'escrime, on assiste à une montée en puissance des équipes féminines dans le football, le basketball, le handball. Le développement de ces disciplines collectives rencontre-t-il des freins dès lors que des femmes les pratiquent ? Qu'en est-il, en particulier, des infrastructures, de l'encadrement ? Comment les collectivités territoriales aident-elles le sport professionnel féminin ? Est-ce aujourd'hui devenu une priorité ? Que dire, enfin, de l'intérêt des sponsors et du public pour les compétitions féminines ? Et de la couverture médiatique ? Le sport féminin peut-il voler de ses propres ailes ou bien est-il voué à se développer parallèlement au sport masculin, dans les mêmes clubs et en partageant les installations ?

Pour débattre de ces sujets, je suis très heureux d'accueillir Mme Véronique Pecqueux-Rolland, ex-internationale de handball féminin, membre du Bureau directeur de la fédération française de handball ; Mme Nathalie Dechy, ancienne joueuse de tennis professionnelle, membre du Comité de pilotage de Roland-Garros ; Mme Marie-Françoise Potereau, présidente de l'association Fémix Sports, directrice technique nationale (DTN) adjointe de la fédération française de hockey sur glace ; MM. Patrick Iliou et Olivier Blanc, directeurs généraux adjoints de l'Olympique Lyonnais (OL), et M. Laurent Arnaud, directeur d'OL Fondation.

Mme Véronique Pecqueux-Rolland, ex internationale de handball féminin, membre du Bureau directeur de la fédération française de handball. - Effectivement, j'ai eu une carrière professionnelle dans le handball entre 1990 et 2009, avec 302 sélections en équipe de France - nous avons été vice-championnes du monde en 1999 et championnes du monde en 2003 - et j'ai joué principalement dans deux clubs professionnels, Dijon et Besançon.

Le sport professionnel féminin subit les décalages qui existent partout dans la société entre les sexes, des différenciations qui sont un héritage de l'histoire. Et il est évident que, pour un club féminin, il est toujours plus difficile d'obtenir des soutiens, en particulier des subventions, que pour un club masculin de même niveau.

Mme Nathalie Dechy, ancienne joueuse de tennis professionnelle, membre du Comité de pilotage de Roland Garros. - J'ai été joueuse de tennis professionnelle entre 1994 et 2009, où j'ai participé à l'ensemble des tournois du « Grand Chelem », en particulier au sein de l'équipe de France. Après avoir arrêté ma carrière, j'ai repris une formation universitaire et travaillé sur le sponsoring dans le sport féminin et son importance dans la professionnalisation du sport féminin, avant de devenir conseillère sportive pour le tournoi de Roland-Garros - je participe notamment à la programmation des matchs féminins, un enjeu très important puisque l'intérêt du public est directement lié à la possibilité de regarder des matchs de haut niveau.

Le tennis est le sport le plus « favorable » aux femmes, parce qu'il est particulièrement riche et surtout parce que les tournois du « Grand Chelem » mettent systématiquement en compétition autant de femmes que d'hommes, sur les mêmes courts et les mêmes périodes : c'est unique et c'est un exemple pour les autres sports. L'économie du tennis féminin français, ensuite, dispose de deux atouts importants : la fédération française de tennis, grâce à Roland-Garros, bénéficie de moyens importants, qui irriguent l'ensemble du territoire en soutien du tennis féminin ; GDF-Suez, ensuite, est un sponsor très engagé, qui soutient le développement du tennis féminin notamment par des tournois en région.

Le sport féminin est un sport jeune, des progrès importants ont été faits ces dernières années - je pense notamment aux « 24 heures de sport au féminin » -, une dynamique est lancée et il faut continuer d'avancer.

Mme Marie-Françoise Potereau, présidente de l'association Fémix Sports, directrice technique nationale (DTN) adjointe de la fédération française de hockey sur glace. - J'ai été cycliste de haut niveau pendant 14 ans puis exercé les fonctions de DTN adjoint du cyclisme puis DTN ajointe du hockey sur glace, avant d'être missionnée par le ministère des sports, sur la féminisation des sports - un axe d'action décidé au lendemain des Assises du sport au féminin, tenues en 2000 sous l'impulsion de Marie-George Buffet.

Avec le ministère, nous travaillons à accroître la pratique du sport par les femmes, mais aussi l'accès des femmes aux métiers et à l'encadrement des pratiques sportives - éducateur sportif, entraîneur, cadre technique, direction de clubs... Nous travaillons au sein du comité interministériel aux droits des femmes, qui a élaboré une feuille de route suivie d'année en année ; je crois qu'il y a une prise de conscience, 69 fédérations sportives disposent d'un plan de féminisation - il y en avait 12 il y a quatre ans -, nous proposons et diffusons des méthodes, organisons des colloques sur le sport au féminin et nous avons également co-organisé les « 24 heures de sport au féminin » le 1er février dernier.

Nous ne devons pas relâcher nos efforts, parce que si des progrès ont été faits, le chemin est encore long pour voir les femmes prendre toute leur place dans le sport français - je suis du reste plus favorable à des binômes homme-femme, à la mixité plutôt qu'à une application stricte de la parité. Il y a aujourd'hui sept femmes DTN contre une il y a quatre ans ; dans l'encadrement de l'équipe de France des derniers Jeux olympiques, il y avait 5 techniciennes sur 22, mais aucune femme parmi les 18 médecins sportifs : c'est dire qu'il y a encore du chemin à faire !

M. Olivier Blanc. - Je suis directeur général adjoint de l'Olympique lyonnais (OL), où je suis entré en 1989 - j'ai donc connu toute l'ascension du club, qui avait une longue histoire mais était alors en deuxième division. J'ai été à l'initiative, en 2004, de la création d'une section féminine de l'OL. La section féminine du Football club de Lyon (FCL) était en difficulté, les collectivités locales et les dirigeants du FCL nous proposaient de la soutenir ; cependant, nous avons préféré intégrer cette section à l'OL, pour la développer sur des bases professionnelles - parce que le football féminin est un vrai football, qui peut se développer comme le football masculin. Aussi avons-nous intégré pleinement cette section dans notre politique générale du club, y compris dans notre école de formation, l'Académie du football. La section féminine dispose de la marque OL - pour tous les supports - et nous lui avons dédié des infrastructures professionnelles.

Cette expérience, qui a maintenant dix ans, est un succès, les résultats sont là. Cependant, on constate un véritable problème pour l'accès des femmes aux postes d'encadrement, y compris dans les clubs féminins : il n'y a pas assez de candidates, il faut faire un effort dans la formation des jeunes femmes et trouver des voies originales pour que des sportives, une fois leur carrière terminée, parviennent à des postes de responsabilité.

M. Michel Savin, président. - Que pensez-vous du rôle des collectivités locales dans le développement du sport au féminin ? Pour le tennis, par exemple, les partenaires principaux de tournois en région sont-ils des collectivités territoriales ? On voit aussi que, si le sport féminin obtient de très bons résultats pour les équipes nationales, jusqu'aux titres suprêmes, les choses sont bien plus compliquées pour les clubs : comment expliquer ce décalage et que faire pour y remédier ?

Mme Véronique Pecqueux-Rolland. - Les collectivités locales sont les premiers interlocuteurs des clubs pour les subventions et elles doivent faire des choix, parce que les demandes sont évidemment nombreuses. C'est dans ces arbitrages que les clubs féminins passent trop souvent après les clubs masculins, en particulier pour des subventions. Or, ces difficultés arrivent au moment où des sports féminins se professionnalisent et où il faut, justement, les soutenir dans cette transformation.

Mme Nathalie Dechy. - Pour se diffuser, le sport féminin a besoin de résultats - c'est le cas pour les sports individuels comme le tennis, et pour les sports collectifs, comme le foot, on le voit avec l'OL, ou comme le handball. Le développement passe par le triptyque médias/intérêt économique/sponsors, qui se mobilisent avec les résultats des sportives. Les collectivités jouent un rôle essentiel pour les clubs et elles peuvent faire progresser l'ensemble du sport féminin en faisant un lien entre leur engagement au quotidien dans les clubs et le sport professionnel ; je pense, en particulier, à l'organisation d'événements, comme des tournois, qui sont mobilisateurs - aussi bien pour le public que pour les médias, donc les sponsors.

M. Michel Savin, président. - D'autres tournois de tennis que ceux du « Grand Chelem » ont-il cette règle de mettre en compétition un nombre égal d'hommes et de femmes ?

Mme Nathalie Dechy. - Non, les autres circuits organisent séparément des tournois féminins et masculins. Les collectivités comptent dans certains tournois, par exemple celui de Strasbourg. Pour celui de Toulouse par exemple, il y a aussi les sponsors privés, comme La Dépêche du Midi.

Mme Véronique Pecqueux-Rolland. - Le soutien des collectivités locales est nécessaire, mais il ne peut pas suffire au développement du sport féminin, il faut des résultats, qui font aussi la médiation, et réciproquement. C'est ce qui s'est passé avec l'équipe de France de handball : personne ne nous connaissait, puis il y a eu la demi-finale contre la Norvège en 1999 - et nous nous sommes propulsées dans un autre monde.

Mme Marie-Françoise Potereau. - La médiatisation est un facteur déterminant aussi pour l'engagement des collectivités locales, en particulier pour qu'elles soutiennent le sport féminin. Les Jeux olympiques sont un levier également, en promouvant au féminin tous les sports en compétition, y compris la boxe, qui y a fait son entrée aux JO de Londres.

La question, cependant, reste de parvenir à ce que les collectivités locales soutiennent plus en amont le sport au féminin. Il y a des sujets très simples mais déterminants, comme l'accès aux salles de sports à des horaires qui facilitent la pratique - des clubs se plaignent qu'on ne les laisse accéder aux équipements que tard le soir, à des heures où les parents hésitent à envoyer leurs filles faire du sport.

Les femmes cyclistes ne sont pas professionnelles, il leur faut passer par des métiers qui leur permettent de continuer à s'entraîner - j'étais, pour ma part, monitrice de ski... -, ce qui est une difficulté supplémentaire à surmonter. Seul un petit nombre de sports sont professionnels pour les femmes : le tennis, le handball et le football sont en fait des exceptions. Un progrès consisterait, je le vois pour le hockey sur glace, à trouver un statut qui permette aux femmes de s'entraîner suffisamment, car le niveau exige désormais un entraînement quasi quotidien.

M. Olivier Blanc. - L'OL ayant décidé d'intégrer en son sein une section féminine plutôt que de créer un club féminin à proprement parler, il ne reçoit pas de subvention qui vise spécifiquement le sport féminin. Cependant, conformément à la volonté du président Jean-Michel Aulas, la section féminine dispose d'un budget important, les joueuses bénéficient du statut fédéral et nous les accompagnons pour leur après-carrière. Quant à la participation des collectivités locales, elle nous importe évidemment, mais il y a longtemps que le football est financé par d'autres circuits.

M. Jean-Jacques Lozach. - Aux côtés des éléments les plus visibles du soutien des collectivités locales, comme l'organisation de tournois, d'événements, les subventions aux clubs, il y a des aides individuelles aux sportifs : en avez-vous bénéficié dans votre carrière ? Que pensez-vous de ce système : faut-il le maintenir, en faire davantage profiter les femmes ?

Mme Véronique Pecqueux-Rolland. - J'en ai bénéficié et je crois important de maintenir ce type d'aides, qui comptent sur la voie de la professionnalisation.

Mme Marie-Françoise Potereau. - Moi aussi, et même modestes, ces aides m'ont été un support quand, non professionnelle, je travaillais comme monitrice de ski, tout en m'entraînant tous les jours à vélo.

Cependant, je crois qu'il faudrait une ligne directrice pour ces aides, à tout le moins harmoniser leur usage, car la diversité, de l'aide individuelle à l'aide collective, aux infrastructures, à la formation, à la reconversion, entraîne des incohérences.

Mme Nathalie Dechy. - J'étais autonome financièrement dès l'âge de 16 ans et je dois vous avouer que je ne me souviens pas si j'ai bénéficié, ou non, d'une aide individuelle de la part d'une collectivité locale - c'est aussi que ce type d'aide compte très peu dans le budget d'une joueuse de tennis professionnelle, où le moindre déplacement dans un tournoi du « Grand Chelem » coûte plusieurs dizaines de milliers d'euros.

Cependant, ces aides sont utiles à de très jeunes joueuses, qui ont plus de mal à se lancer que les joueurs, du fait que l'économie tennistique féminine n'est pas aussi florissante que la masculine. La fédération française de tennis réfléchit aux moyens de compenser cette différence, sur le plan du financement aussi bien que pour la formation ou la reconversion : il faudrait, effectivement, aider davantage les filles, qui disposent de bien moins de moyens que les garçons au cours et après leur carrière.

M. Olivier Blanc. - Le football féminin a surtout besoin de formation, il n'y a rien avant l'âge de 15 ans, les centres sont encore trop peu nombreux et trop éloignés des lieux de résidence des jeunes femmes. L'excellence nationale étant regroupée dans le centre de Clairefontaine, une joueuse de l'OL doit s'y former la semaine et jouer le week-end avec Lyon, alors qu'elle pourrait se former au centre de Vaulx-en-Velin, bien plus proche de chez ses parents : il y a peut-être des assouplissements à trouver, et, certainement, à renforcer la formation en général.

Nous avons confié une mission dans ce sens à Sonia Bompastor, qui a fait un état des lieux et proposé des améliorations sur la formation. Les collectivités locales pourraient jouer un rôle plus important sur ces questions, comme elles le font pour la formation des jeunes au football masculin.

M. Dominique Bailly. - Les collectivités locales sont très sensibles au levier de médiatisation des grandes manifestations sportives et elles sont en première ligne pour les organiser - je pense par exemple à la Fed-Cup de tennis organisée à Liévin en 2010, ou encore aux phases finales de basketball féminin à Orchies, sans oublier que pour ces dernières, les collectivités ont déboursé quelque 600 000 euros. C'est bien le signe que les collectivités ont compris combien le sport féminin est un vecteur de communication, mais aussi de développement local.

Mme Nathalie Dechy. - Sans le soutien public que j'ai reçu, je n'aurais jamais eu la carrière que j'ai connue, parce que mes parents, tous les deux enseignants, n'avaient certainement pas les moyens de financer mes premiers déplacements.

Mme Marie-Françoise Potereau. - Dans certaines disciplines, comme le hockey sur glace, la réussite de clubs entraîne une forme de concentration de l'aide et il faut songer alors à une régulation, pour un certain équilibre entre les clubs.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Comment aider au mieux le sport féminin ? Les événements médiatisés sont bien sûr un levier intéressant pour les collectivités, mais cela suppose une spécialisation pour un sport qui n'a rien d'évident, même si on nous le demande de manière récurrente, parce qu'à l'échelon local, de très nombreux sports sont pratiqués, les demandes nous viennent de partout - nos moyens sont faibles par rapport aux besoins, c'est vrai à Arras, très active dans le sport, comme pour bien d'autres villes. Les fédérations, à ce titre, ne mesurent peut-être pas toute l'importance qu'il y a à coopérer avec les collectivités locales, le plus en amont possible.

L'idée d'harmoniser l'usage des subsides apportés par les collectivités, ensuite, me paraît parfaitement illusoire, elle revient à nier l'autonomie de décision qui prévaut dans la décentralisation - et dans la clause générale de compétence, mais nous y reviendrons peut-être dans un autre débat.

M. Michel Savin, président. - D'autres clubs que l'OL se distinguent-ils par leur soutien au football féminin ?

M. Olivier Blanc. - Le premier club à développer le football féminin professionnel a été Montpellier, il y a une quinzaine d'années ; l'OL s'y est mis ensuite, avec plus de moyens ; puis le PSG a suivi, l'OM, Guingamp, et maintenant Toulouse et Saint-Etienne. La fédération française de football et la ligue veulent aller plus loin. Cependant, nous sommes encore loin de la situation allemande, où le pays compte un million de licenciées et où tous les clubs de Ligue 1 ont une section féminine qui dispose de tous les éléments de la marque de leur club.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Dans certaines villes, comme à Rodez pour le football, c'est l'équipe féminine qui est la locomotive, obtenant les meilleurs résultats - même si l'équipe masculine a toujours le terrain d'honneur et les honneurs de la presse.

Je m'interroge sur le budget que l'OL consacre à son équipe féminine : d'où viennent ses ressources et comment les matchs sont-ils retransmis ?

M. Olivier Blanc. - La section féminine dispose d'un budget de 5 millions d'euros, un tiers provenant de sponsors et deux tiers du budget général de l'OL. Eurosport et France Télévisions retransmettent une quinzaine de matchs par an et, sachant que la production coûte cher et que les clubs sont libres de leur politique commerciale pour la retransmission des droits, nous sommes peu exigeants financièrement, préférant mettre l'accent sur la visibilité, l'exposition de notre équipe féminine.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Accède-t-elle au stade de Gerland ?

M. Olivier Blanc. - Elle bénéficie de l'ensemble des attributs de la marque OL et il lui arrive de jouer à Gerland, ce qui démultiplie le public : dans une demi-finale de la Champions League contre Arsenal, 25 000 spectateurs sont venus et ont pu goûter à cette ambiance si conviviale du football féminin, loin de ce qu'on peut connaître avec le football masculin.

Mme Danielle Michel. - Quelle était votre motivation initiale, à l'OL, pour développer le football féminin ? Quels bénéfices en attendiez-vous ?

M. Olivier Blanc. - On nous l'a demandé au tout départ, pour aider la section féminine du FCL, puis nous y sommes allés pour gagner. Le handball et le volleyball féminins, par exemple, étaient déjà bien reconnus et nous avons estimé, c'était le choix du président Aulas, que le football féminin professionnel avait de l'avenir, que nous parviendrions à le développer. La section, aujourd'hui, coûte environ 3 millions d'euros à l'OL, mais nous sommes convaincus qu'elle parviendra à l'équilibre et qu'elle a un fort avenir à l'échelle européenne.

Mme Nathalie Dechy. - Le football féminin véhicule une autre image et peut secourir le football masculin, dont l'image s'est ternie ces dernières années. Je me souviens d'une couverture que le journal L'Équipe a consacré au football féminin, avec ce titre : « Elles rendent le sourire » !

M. Olivier Blanc. - Les valeurs véhiculées par le football féminin sont différentes de celles du football masculin, le public est très différent également, beaucoup plus familial, convivial, festif.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Le club de football féminin d'Arras dispose d'un budget de 250 000 euros, vingt fois moins que pour l'OL : comment espérer une égalité des chances avec de tels écarts ?

M. Olivier Blanc. - La fédération française de football (FFF) y réfléchit parce qu'effectivement, si les grandes équipes jouent le rôle de locomotives pour l'ensemble du football féminin, on ne peut organiser des matchs se soldant par des scores à 10-0 sans lui faire perdre de la crédibilité. Cependant, les choses changent, les écarts moyens diminuent.

Quant aux retombées d'images, c'est évident à l'intérieur même d'un club comme l'OL : on a vu des joueurs changer de comportement par la simple présence et par les résultats de la section féminine.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Quand l'équipe féminine de l'OL vient jouer à Rodez, le match se déroule dans notre meilleur stade, le public vient nombreux et l'ambiance est toute différente de celle d'un match entre équipes masculines, c'est certain.

Pour faire avancer le sport féminin, la féminisation des structures, ne pensez-vous pas qu'on devrait être davantage prescriptif : obliger, par exemple, tous les clubs de haut niveau à disposer d'une section féminine ou encore accorder systématiquement plus de moyens publics au sport féminin ? Car on sait bien que la médiatisation ne suffira pas à compenser l'écart...

Mme Nathalie Dechy. - Je crois que nous ferons déjà un grand pas en encourageant l'accès des femmes aux postes dirigeants, la conciliation avec la vie de famille ou encore une répartition plus juste des moyens matériels et financiers. Le sport féminin est un sport jeune, la concurrence y est moins forte, il y a des avantages pour les sponsors à s'y investir, les retombées peuvent être plus rapides : il faut valoriser ces atouts. Le terme de parité me gêne, surtout pour le sport de compétition ; je préfère la sensibilisation et la notion de justice.

Mme Véronique Pecqueux-Rolland. - Je suis sur la même ligne, il n'y a pas à imposer la parité, mais à donner ses chances à tout le monde, surtout que ce n'est pas la guerre entre les clubs féminins et masculins. Il faut faire davantage découvrir le sport féminin, ses prouesses et ses valeurs : le public suivra. La coupe du monde de rugby féminin se déroulera en France au mois d'août, j'ai eu la chance de rencontrer notre équipe de France, elles sont formidables : il faut le faire savoir, le public se régalera !

M. Michel Savin, président. - Est-il plus difficile, pour des équipes féminines, d'attirer des sponsors ?

Mme Véronique Pecqueux-Rolland. - Oui, parce que les sponsors sont sollicités de partout et que les équipes féminines étant moins suivies par le public, il y a moins de retombées de notoriété. Mais les équipes féminines ont d'autres atouts, d'autres valeurs à promouvoir.

M. Michel Savin, président. - Elles peuvent également capter des sponsors plus petits, qui ne compteraient pas dans le sport masculin.

Mme Véronique Pecqueux-Rolland. - C'est certain et l'ambiance est également différente dans le public, plus conviviale, ce qui change la perspective du sponsoring.

M. Olivier Blanc. - Sur la parité, je dirai qu'à l'OL, nous nous sommes situés d'emblée sur le plan professionnel : nous travaillons avec des sportives de haut niveau, des compétitrices plutôt que « des femmes qui jouent au foot », notre perspective n'est pas de faire du travail social. Ensuite, je crois qu'il manque effectivement des moyens humains et financiers pour faire accéder les femmes aux postes d'encadrement - et que sur ce plan, les collectivités locales peuvent jouer un rôle plus important.

Enfin, le football féminin fait valoir des atouts que n'a pas le football masculin, aussi bien d'ordre économique, en offrant un « ticket d'entrée » bien moins coûteux, mais aussi sur les valeurs de travail, de solidarité, d'engagement. Je pense à une entreprise de bâtiment et travaux publics (BTP), sponsor de l'OL : chaque déplacement de l'équipe féminine mobilise l'entreprise au grand complet, ce sont des moments de communication interne très denses.

M. Patrick Iliou, directeur général adjoint de l'Olympique Lyonnais (OL). - L'équipe féminine est intégrée à l'ensemble de nos structures, nous la traitons à égalité et mettons des moyens à disposition qui sont comparables à ceux mobilisés pour l'équipe masculine - un centre d'entraînement, un terrain dédié, un espace de vie. Dans nos relations avec les sponsors, nous mettons en avant les mêmes arguments que pour les garçons : l'image positive, les performances, l'intérêt du public. Et le sponsoring du football féminin crée des liens très forts : dans l'entreprise du BTP que cite Olivier Blanc, les salariés sont en grande partie des hommes, mais tout le monde est fier que l'entreprise soutienne l'équipe féminine de l'OL, chaque visite est effectivement très mobilisatrice. Je crois que nous devons valoriser le sport féminin, le traiter à égalité avec le sport masculin : c'est le choix qu'a fait le président Aulas et nous croyons que ce modèle économique sera gagnant.

M. Laurent Arnaud, directeur d'OL Fondation. - Les partenaires, effectivement, viennent chercher les valeurs du sport féminin, qui ne sont pas toujours les mêmes ou qui n'ont pas la même image que celles du sport masculin. Je crois que pour développer davantage le soutien aux équipes féminines, il serait utile de le traiter fiscalement comme un don plutôt que comme du sponsoring.

Mme Nathalie Dechy. - Effectivement, cette différence se justifierait par le fait que le sponsoring vise à renforcer la notoriété, grâce à la visibilité, alors que le soutien aux équipes féminines vise plutôt d'autres valeurs.

Mme Véronique Pecqueux-Rolland. - À Dijon, nous avons mis en place du mécénat, qui intéressait davantage certaines entreprises que le sponsoring.

Mme Françoise Boog. - J'admire particulièrement les sportives de haut niveau, parce qu'elles doivent faire leurs preuves davantage que les hommes, avec moins de soutien alors qu'il leur faut s'entraîner tout autant : n'y a-t-il pas des mesures publiques compensatoires ?

Mme Marie-Françoise Potereau. - Il y a des conventions d'insertion professionnelle, passées entre l'État, l'employeur et le sportif de haut niveau, au travers desquelles l'État complète le salaire pour un temps partiel qui peut aller entre 20 % et 50 % du temps plein. Des fédérations sportives ont également des partenariats pour l'accueil de sportifs de haut niveau, par exemple avec les Douanes, l'armée, la police nationale - mais le nombre de places diminue constamment. Il y a, enfin, de grandes entreprises qui participent à ce type d'action, par exemple EDF. Il faut compter aussi avec le parcours de vie des femmes, qui veulent souvent devenir mères, à un âge où leur carrière sportive n'est pas toujours terminée, et qui ne reprennent pas ensuite.

Mme Nathalie Dechy. - C'est pourquoi les filles arrêtent leur carrière plus tôt que les hommes.

Mme Véronique Pecqueux-Rolland. - Je peux en porter témoignage, pour avoir entendu des responsables de clubs de handball faire une sorte de pression pour garder leurs joueuses - et parce que quand j'ai décidé d'avoir mon premier enfant, j'ai mis ma carrière entre parenthèses pendant un certain temps, avant de la reprendre, ce qui a été une expérience fabuleuse.

Mme Marie-Françoise Potereau. - Il y a eu des progrès sur ce point : les femmes conservent désormais leur statut de sportive de haut niveau pendant leur congé maternité, alors qu'elles devaient tout suspendre il y a encore quelques années pour avoir un enfant.

Mme Françoise Boog. - Vous regrettez qu'il n'y ait pas plus de femmes dans l'encadrement du sport, mais envisagez-vous, à l'OL, que des équipes masculines puissent être encadrées par des femmes ?

M. Olivier Blanc, directeur général adjoint de l'Olympique Lyonnais (OL). - Nous en sommes encore très loin ! Nous allons remplacer l'entraîneur de l'équipe féminine et avons commencé à prospecter : nous recevons bien plus d'offres d'hommes que de femmes, c'est dire que la formation des femmes fait défaut, et que les collectivités locales pourraient jouer ici un plus grand rôle.

Mme Françoise Boog. - Et au-delà du football, dans tous les sports.

M. Olivier Blanc. - C'est vrai. Les choses avancent doucement : notre responsable de la sécurité du stade de Gerland est une femme.

Mme Marie-Françoise Potereau. - Nous y travaillons avec le ministère. Cependant, lorsqu'on a parlé d'une parité pour 2017 dans le Comité national olympique, les fédérations ont protesté et demandé fermement que l'échéance soit repoussée à 2024 : il n'y a aujourd'hui que 13,5 % de femmes parmi les présidents de fédérations.

C'est pourquoi nous conduisons des sensibilisations et des formations, en particulier un module « Réussir au féminin et oser s'engager » : une difficulté vient de ce que les femmes osent moins, se projettent moins que les hommes dans les postes à responsabilité ou de direction. Nous pouvons, j'en suis convaincue, faire changer les choses - et cela vaut pour la société tout entière. Nous informons également sur les plans de féminisation, qui sont portés à la connaissance des collectivités locales.

M. Olivier Blanc. - Il y a beaucoup à faire, également, du côté des anciennes joueuses, qui ont le vécu et l'amour de leur club.

Mme Marie-Françoise Potereau. - Il faut également prendre en compte la condition physique - par exemple pour être arbitre dans des sports collectifs comme le football ou le hockey sur glace, il faut tenir un rythme éprouvant. Cela implique d'ouvrir aux femmes davantage de sessions à la préparation physique pour les métiers du sport, nous nous y employons.

Mme Nathalie Dechy. - En sport, quand on ne progresse pas, on recule : il faut continuer à aller de l'avant pour le sport au féminin.

M. Michel Savin, président. - Merci pour votre participation.

Audition de M. Mathieu Moreuil, directeur de l'action européenne de la première division de football au Royaume-Uni (Premier League)

M. Michel Savin, président. - Nous avons plaisir à retrouver Mathieu Moreuil, que nous avions rencontré à Londres lors de notre visite du club Arsenal.

L'action socio-éducative des clubs professionnels, qui fait partie de vos missions, est peu développée en France. En savoir davantage sur l'action des clubs anglais en ce domaine nous intéresserait. Nous aimerions connaître la répartition des droits TV entre les clubs, savoir quelle part va à ce type d'action et quel rôle y joue la Fondation de la Premier League. Nous souhaiterions des précisions sur les questions touchant à la propriété des stades et à l'action des collectivités territoriales. Les activités européennes qui sont les vôtres, enfin, vous donnent une vision sur les systèmes retenus par d'autres pays d'Europe ; pourriez-vous nous la faire partager ?

M. Mathieu Moreuil, directeur de l'action européenne de la Premier League. - Je vous remercie de votre invitation qui m'honore. Mes fonctions à la Premier League, comme responsable des actions européennes, consistent à nouer des contacts avec les institutions européennes, qui jouent un rôle croissant sur le modèle sportif du football et du sport professionnel en général, et à faire le lien entre l'organisation sportive à laquelle j'appartiens et ces institutions. Mon activité couvre à la fois les règles de gouvernance du sport - qui concernent les agents sportifs, les transfert de joueurs, les problèmes de racisme et de violences dans les stades, les questions d'équité financière, etc. - et les règles de dimension plus juridique liées aux droits des médias, aux paris sportifs, à la redistribution en faveur du sport de la part des opérateurs et à la protection des contenus - que la ligue anglaise vend à plus de 200 pays - pour préserver des revenus qui bénéficient au sport amateur et professionnel. Je travaille beaucoup à Bruxelles, en interaction avec d'autres ligues européennes, notamment française et allemande, dans le cadre de la fédération des ligues européennes, avec les fédération européenne et internationale de football, l'Union des associations européennes de football (UEFA) et la fédération internationale de football association (FIFA), ainsi qu'avec les représentants d'autres sports, comme le rugby, le handball ou le basketball, afin de mener une action de lobbying commune sur les questions de droit - protection des contenus, réinvestissement dans le sport amateur, protection contre le dopage et le trucage de match, intégrité du sport.

Les clubs anglais mènent une action sociale et éducative significative : 15 % des droits médias de la Premier League - 1,9 milliard par an - bénéficient à d'autres que les vingt clubs de première division qu'elle représente, c'est à dire à d'autres clubs, ainsi qu'à d'autres sports. Il est rare qu'une société - car c'est la forme dans laquelle s'est constituée la ligue - reverse une telle part de son chiffre d'affaires.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Vous connaissez bien le système anglais et d'autres systèmes européens et nous avons eu avec vous des échanges de grande qualité lors de notre déplacement en Angleterre. Notre mission essaie de faire la lumière sur les relations entre les collectivités territoriales et le sport professionnel, et de dégager quelques pistes d'amélioration, visant à préserver un modèle vertueux alors qu'émerge, en France, un nouveau modèle économique du foot, et que les collectivités ont de moins en moins de moyens à consacrer au sport professionnel.

Il semble qu'en Angleterre, l'action redistributive des fondations créées par les clubs soit importante, en faveur du football mais aussi d'actions socio-éducatives. Lors de notre déplacement en Angleterre, vous nous aviez ainsi expliqué comment le club Arsenal s'impliquait dans la réhabilitation du quartier où il est installé, en participant à la rénovation d'une école.

M. Mathieu Moreuil. - Pour la saison 2012-2013, les 15 % que j'ai évoqués ont représenté 192,2 millions de livres sterling. Tout ne va pas au sport amateur et aux actions socio-éducatives ; une part, 50 millions, revient à la ligue de football anglaise, qui réunit les 92 clubs professionnels que compte l'Angleterre, à quoi s'ajoutent 4,5 millions, fléchés vers les centres de formation des jeunes. Une action de solidarité, à hauteur de 2 millions, est également menée en faveur des clubs non professionnels réunis dans ce que l'on appelle la Conference. Les paiements de compensation, enfin, aident les clubs relégués en deuxième division à encaisser le choc. Une part des crédits va également aux syndicats de joueurs professionnels, via un fond qui peut être sollicité en cas de blessure d'un joueur l'obligeant à mettre prématurément un terme à sa carrière. Enfin, 3,5 millions sont consacrés à l'arbitrage professionnel et nous avons également une association des managers.

Restent donc 35 à 40 millions véritablement dédiés aux projets socio-éducatifs, dont la répartition n'est pas définie, à la façon française, par la loi mais par des contrats dont décident nos actionnaires, les clubs. Une part de ces crédits, 12 millions, est dédiée aux infrastructures, à la construction de stades, via la Fondation du football, financée à parts égales par la ligue, la fédération et le Gouvernement. Une autre part, 3 millions, va au financement de projets socio-éducatifs dans le monde, par exemple pour le développement du coaching dans les pays africains et sud-américains, opération que nous menons en collaboration avec le British Council. Une troisième part va aux projets socio-éducatifs réalisés, au niveau local, par chacun des vingt clubs de la Premier League. C'est le projet dit Creating Chances, auquel sont affectés quelque 20 millions, et dont le monitoring est assuré par le Premier League Charitable Fund (PLCF), qui évalue les projets des clubs et contrôle leur mise en oeuvre. Six agents de la Premier League y sont affectés. Parmi ces programmes, le Kicks, qui vise à l'intégration par le sport des jeunes des quartiers sensibles, action menée en coopération avec la police. Il s'agit à la fois d'éviter de laisser les jeunes à l'abandon dans la rue et de lever la barrière des préjugés qui peut s'élever entre ces jeunes et la police. Autre programme, le Reading Stars, grâce auquel des joueurs des grands clubs se rendent dans les écoles pour donner aux jeunes le goût de la lecture en parlant des grands livres qui les ont marqués. Quant au Premier League 4 sports, il vise à développer la pratique d'autres sports que le football dans les écoles - judo, volleyball, tennis de table, hockey sur gazon...

Tous les clubs mènent ce type de projets, et la PLCF les évalue : si les critères ne sont pas respectés, le club doit payer lui-même. Nous nous efforçons de créer des synergies, pour obtenir un effet multiplicateur. Avec la fédération et le gouvernement, dans la Football Foundation, avec la police, qui, dans le programme Kicks, met à disposition des agents, avec le British Council sur les projets à l'international, mais aussi avec des sponsors, comme Barclays, sur les projets socio-éducatifs.

Chaque club met aussi en place, localement, des projets individuels, puisque tous doivent obligatoirement avoir une fondation pour recevoir les fonds de la Premier League. Mais ces fondations reçoivent aussi un soutien de la part de financeurs privés. C'est ainsi qu'Arsenal a créé un programme avec les écoles de quartier, le programme Double Club, pour inciter les élèves à apprendre les langues étrangères. J'y ai vu Bacary Sagna donner des cours de français. Des collaborations se sont nouées avec l'Institut français, le Goethe, le Cervantes...

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Les collectivités locales abondent-elles les budgets de ces fondations ?

M. Mathieu Moreuil. - À ma connaissance, il existe très peu de subventions des collectivités locales. La commune d'Islington, où se trouve Arsenal, par exemple, ne finance pas. On est plutôt dans la logique anglo-saxonne du community project. Manchester City est l'un des rares clubs à avoir bénéficié d'un stade construit sur fonds publics, parce que c'était le stade des Commonwealth Games, en échange de quoi, accord a été passé avec le Council of Manchester pour que le club participe à la réhabilitation d'un quartier à l'est. C'est le seul exemple, à ma connaissance, d'interaction poussée entre un club et une collectivité. On est plutôt dans la logique inverse : ce sont les collectivités qui en appellent à la responsabilité sociale des clubs.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Voilà qui est pour nous inhabituel. En France, les clubs se tournent beaucoup vers les collectivités territoriales, pour l'amélioration et l'entretien des stades, voire pour abonder leur budget de fonctionnement. Faut-il y voir une différence dans l'architecture réglementaire ou dans les mentalités ?

M. Mathieu Moreuil. - Le sport reste un phénomène éminemment national. Le football est ainsi structuré selon la tradition propre à chaque pays. La ligue anglaise de foot professionnel existe depuis 1886. La séparation entre les clubs et la fédération est donc intervenue à la fin du XIXsiècle. Les clubs sont donc depuis longtemps structurés comme des entreprises classiques, certes investis d'une responsabilité sociale mais qui, étant des sociétés, ne reçoivent pas d'aides publiques. On est loin du modèle latin.

Il y a, en Angleterre, très peu de régulation par la loi. C'est le royaume de la Common Law. Les clubs sont structurés en sociétés, et le football est un business. Il existe bien des interactions avec la puissance publique, mais elles prennent rarement la forme de financements. Je ne vois guère que le cas de Manchester, que j'ai cité, ou celui du stade olympique.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Sur le stade olympique, la ligue a-t-elle été consultée, en amont, quant à l'avenir de l'infrastructure ? Il semble que son attribution à West Ham ait exigé des travaux, pour qu'il puisse être dédié à la pratique du foot.

M. Mathieu Moreuil. - Il y a eu des contacts entre les instances du football anglais et le comité d'organisation des Jeux olympiques, et nous poussions pour que soit prévue l'utilisation ultérieure du stade, mais nous avons été accueillis avec une certaine condescendance. Cela participe de ce modèle économique du football, où l'on considère que c'est aux clubs à construire leur stade. Si une réutilisation par le foot avait été pensée en amont, la mairie de Londres n'aurait pas eu à engager de travaux. Après de nombreux procès et de nombreuses contestations, le stade a, finalement, été attribué à West Ham. Les choses se seraient passées autrement si la concertation avait vraiment eu lieu en amont.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Le modèle d'organisation du foot que vous décrivez se retrouve-t-il dans d'autres disciplines sportives en Angleterre ?

M. Mathieu Moreuil. - Absolument, le sport y est professionnalisé. Des subventions publiques sont attribuées à des fédérations sportives qui n'ont pas une exposition médiatique aussi importante que le foot. Elles passent par deux organismes, Sport England pour la pratique amateur, et UK Sports pour les élites. Dans l'un et l'autre cas, les critères d'évaluation sont très sévères et si ces organismes jugent qu'une fédération ne les remplit pas, comme cela est arrivé pour le basketball, les subventions sont coupées. C'est la logique conservatrice du gouvernement britannique, qui va aider les plus performants, en ciblant les subventions plutôt que de saupoudrer. C'est sans doute ce qui explique que les Britanniques soient bien placés dans quelques sports, mais que la pratique de beaucoup d'autres ne soit pas du tout répandue, parce qu'ils ne sont pas du tout aidés. Quant aux grands sports professionnels, comme le rugby, ils reçoivent très peu d'aides publiques et les stades appartiennent aux clubs et aux fédérations. Comme Wembley appartient à la fédération de football, Twickenham appartient à la fédération de rugby. On est bien sur un modèle de séparation entre puissance publique et entités professionnelles, responsabilisées.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Comment se fait la répartition des crédits entre les vingt clubs de première division ?

M. Mathieu Moreuil. - Elle est très égalitaire, « quasi communiste » pour reprendre le mot de notre chief executive. Il s'agit de réduire les écarts pour valoriser la compétition, qui perdrait de son intérêt si elle était dominée par un ou deux grands clubs. C'est un peu la même logique que le système américain, avec la draft ou le salary cap. Les crédits se répartissent en deux pots. Les droits récoltés au Royaume-Uni, d'abord, qui sont répartis selon un système proche de celui de la France : 50 % à égalité, 25 % selon la position en fin de championnat, 25 % en fonction de l'affichage médiatique - sachant que seuls 280 matchs sur 360 sont diffusés, pour encourager les gens à aller dans les stades. Vient ensuite une deuxième enveloppe, à l'international, répartie égalitairement. Sur les droits de la Premier League en Chine, par exemple, les vingt clubs touchent autant, bien que les grands clubs y soient pour davantage. Si bien que la différence de dotation entre clubs est minime : la fourchette va de 1 à 1,4 quand elle va de 1 à 17 en Espagne, de 1 à 7 en Allemagne et de 1 à 4 ou 5 en France.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - C'est la ligue qui édicte ces règles ?

M. Mathieu Moreuil. - Ce sont les clubs, la ligue n'est que gestionnaire. Nous essayons certes de les convaincre de mettre en place des règles de contrôle financier, de reverser le plus possible aux projets socio-éducatifs. Reste que les clubs considèrent, et ils nous le rappellent souvent, que c'est leur argent. Ce qui n'interdit pas la transparence : les règles qu'ils ont définies sont réunies dans un manuel et publiées sur Internet.

M. Michel Savin, président. - Existe-t-il, dans d'autres pays européens, des actions menées via des fondations ?

M. Mathieu Moreuil. - Les clubs mènent de telles actions, notamment via les grandes ligues, comme la Bundesliga allemande, qui pousse les clubs et leurs supporters à s'investir dans leur communauté. Des actions existent aussi en Espagne, mais ce sont les clubs qui agissent à titre individuel, car la ligue, qui ne gère pas les droits, a des pouvoirs très limités. Le Real Madrid et le Barça mènent des actions caritatives. Aucune organisation sportive, cependant, n'est autant impliquée que la Premier League, qui dédie 15 % des droits et une quinzaine des membres de son staff, sur quatre-vingt-dix, à ces programmes.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Quelle est la situation financière du foot anglais ? Quelles procédures, quelles règles de gestion ont été mises en place pour la contenir ? Quid des règles de fair-play financier ? Une réflexion sur le plafond salarial, le salary cap, est-elle engagée ? Sachant que votre modèle économique repose sur l'exposition médiatique, la tentation existe-t-elle, comme elle apparaît ailleurs, de resserrer la ligue et d'aller vers un modèle de ligue fermée, pour éviter l'aléa sportif ?

M. Mathieu Moreuil. - On parle beaucoup du modèle américain de ligue fermée. Nous ne sommes pas sur cette ligne. L'Angleterre compte 92 clubs professionnels sur un territoire grand comme deux régions françaises. C'est dire combien le maillage est dense. Il serait impossible de faire accepter une ligue fermée à ces clubs, dont chacun rêve d'accéder à la première division et se bat pour éviter la relégation. Et cela fait partie du show.

En matière financière, il a toujours existé des règles, contrairement à ce que l'on pense. Ce sont les règles qui s'appliquent à toute entreprise. Les comptes des clubs anglais sont disponibles en ligne, ce qui est loin d'être le cas partout en Europe. Sur les principes de fair-play financier, l'accord de la ligue anglaise sans faille, mais le diable est dans les détails : c'est sur leur mise en oeuvre que demeurent des divergences. L'UEFA, dans ses règles de fair-play financier, considère que les clubs ne doivent pas dépenser plus que ce qu'ils gagnent ; en Angleterre, on considère qu'ils ne peuvent pas dépenser plus que ce qu'ils possèdent. Nous ne sommes pas loin de l'approche qui est celle de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) en France. Il s'agit d'éviter de donner un avantage aux clubs qui gagnent le plus, au risque de figer les situations. Or, toute l'histoire du football anglais de la Premier League est fondée sur l'émergence de nouveaux acteurs, pour que le challenge reste permanent. Nous avons donc formalisé notre propre version du fair-play financier, à laquelle deux règles sont venues s'ajouter cette saison : une règle de limitation des déficits cumulés, qui ne doivent pas dépasser 105 millions sur une période donnée, la ligue pouvant prendre des sanctions si des garanties en actifs ne peuvent être apportées et une forme de salary cap, version light, les clubs dépassant un certain montant de masse salariale devant le justifier et adopter des règles de provisionnement.

Le fait est que si la situation financière du foot anglais est bonne, demeurent des préoccupations quant à l'endettement des clubs et à l'inflation de la masse salariale. La dette des clubs, importante puisqu'ils ont dû acheter leur stade, doit aussi se mesurer, cependant, en tenant compte des actifs que représentent ces équipements. Ce n'est pas rien que de posséder des terrains au coeur de Londres, par exemple. Ce que nous essayons de faire, c'est de mettre en place des outils destinés à contenir l'endettement et l'inflation de la masse salariale. Il s'agit d'éviter que l'augmentation des revenus bénéficie, pour l'essentiel, aux agents et aux salaires des joueurs. Nous essayons, au contraire, de faire en sorte que ces sommes soient réinvesties dans les infrastructures, la formation des jeunes, les projets socio éducatifs, pour créer un cercle vertueux.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Le tarif des places dans les clubs de la Premier League mais aussi dans les autres m'a frappé. Je suis un supporter de Lens, et puis vous dire que les tarifs sont plus bas, ce qui nous attire du monde. Comment expliquer des tarifs si élevés, à niveau de vie comparable ?

M. Mathieu Moreuil. - Il est vrai que le prix des places peut être élevé. Ce sont les clubs, entités commerciales, qui fixent les tarifs. Or, le taux de remplissage pour les matchs de Premier League est de l'ordre de 95 %.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Il faut donc être riche pour faire partie du public ?

M. Mathieu Moreuil. - Les stades sont très remplis. Je suis sans cesse sollicité par des gens qui cherchent désespérément des places ! Si l'on fixait les prix plus bas, on aurait des difficultés.

Il ne faut pas garder les yeux fixés, comme cela est souvent le cas, sur les seuls tarifs d'Arsenal. L'étude conduite tous les ans par la BBC, le Price of Football Survey, montre, il est vrai, que les prix sont élevés, mais quand l'abonnement le moins cher d'Arsenal atteint 985 livres, celui de Manchester City reste à 275 livres - autour de 300 euros. Il faut donc relativiser. Nous aimerions certes que soient proposées davantage d'offres promotionnelles, mais la ligue n'a guère de moyens d'agir sur les tarifs. Cela dit, le ticket le moins cher dans les vingt clubs de Premier League va de 15 à 40 livres. C'est un tarif comparable à celui d'autres spectacles.

Mme Françoise Boog. - Quelle est la place du football féminin ?

M. Mathieu Moreuil. - Elle va croissant. Le football féminin est très dynamique. La ligue semi-professionnelle, gérée par la fédération, est en plein essor. J'ai même été sollicité par nos collègues de l'Olympique lyonnais, qui dominent tellement le football féminin que cela devient pour eux un problème, et qu'ils voudraient bien se susciter des challengers. Nous développons également une ligue des moins de 21 ans qui fonctionne très bien.

Mme Françoise Boog. - Ces équipes féminines sont-elles liées aux clubs professionnels de la ligue ?

M. Mathieu Moreuil. - Absolument. La plupart des grands clubs de la Premier League ou de la Football League sont concernés. Un championnat a été mis en place, que gère la fédération.

Mme Françoise Boog. - Mais cela reste semi professionnel ?

M. Mathieu Moreuil. - C'est que toutes les joueuses ne sont pas sous contrat professionnel, bien que la majorité, je crois, le soit.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Quelles sont pour vous les faiblesses dans l'organisation du football professionnel français ? On entend beaucoup dire que le fait que les clubs ne soient pas propriétaires de leurs infrastructures serait un frein à leur développement, et qu'ils n'attirent pas autant de spectateurs qu'en Angleterre ou en Allemagne parce qu'ils n'ont pas la maîtrise du fonctionnement de leurs stades. Le modèle anglais, ou allemand, est-il, à votre sens, transposable en France ?

M. Mathieu Moreuil. - La ligue française fait bien son boulot. Si faiblesse il y a, cela tient à trois facteurs. Les infrastructures, d'abord. Il est difficile pour un club de rivaliser commercialement avec les grands clubs européens s'il n'est pas propriétaire de son outil de travail et ne peuvent développer leur offre commerciale. Le fait est qu'en Angleterre, les clubs en difficulté sont ceux qui ne sont pas propriétaires de leur stade - c'est le cas de Portsmouth, par exemple. Or, en France, très peu le sont. Cela dit, il faudra bien rénover les stades pour l'Euro 2016. Sans doute le contribuable devra mettre la main à la poche, mais il ne faut pas se leurrer : on met souvent en avant le modèle allemand, mais tous leurs stades ont été rénovés, sur fonds publics, pour la coupe du Monde 2006...

L'autre frein tient au fait que l'on a du mal à accepter, en France, l'idée que le foot est un business, ce qui ne facilite pas le développement, quand en Angleterre, on l'assume clairement, même si l'on n'oublie pas la responsabilité sociale et l'exigence d'appuyer le développement du sport amateur. Enfin, il n'y règne pas la même culture du foot qu'en Angleterre ou en Allemagne. Outre qu'il est de bon ton, dans une posture pseudo-intellectuelle, de le regarder de haut, le foot est en concurrence avec d'autres sports, comme le rugby, très présent dans certaines régions. Il en va tout autrement en Angleterre, où la première question que l'on pose à quelqu'un que l'on ne connaît pas vise à savoir quel est son club. Car tout le monde est supporter d'un club. De foot, il va sans dire. Même si les choses peuvent changer, même si un bel Euro, une équipe triomphante, peuvent gagner bien des coeurs, cela reste une difficulté structurante pour le football français.

M. Stéphane Mazars, rapporteur. - Je vous remercie pour ces échanges.

La réunion est levée à 17 heures 10.