Mercredi 25 juin 2014

- Présidence de M. Jean-Pierre Godefroy, président. -

Audition de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

La réunion est ouverte à 16 h 15.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Je vous remercie, au nom du président Jean-Pierre Godefroy qui nous rejoindra incessamment, d'avoir répondu à notre invitation.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. - Nous devons à l'Assemblée nationale l'initiative de la proposition de loi soumise à votre examen. En tant que ministre des affaires sociales et de la santé, je partage l'objectif abolitionniste qui la sous-tend. Tout ce qui favorise l'exploitation des femmes et des hommes doit être combattu avec détermination. La prostitution, qui concerne principalement des femmes, mais aussi des hommes, doit l'être.

Elle a changé de visage. Aujourd'hui, 90 % des personnes qui se prostituent en France sont d'origine étrangère. Ces jeunes femmes n'ont aucune famille en France et ne parlent pas notre langue. Elles n'ont souvent pas de titre de séjour et doivent rembourser aux réseaux criminels le coût très élevé de leur immigration - jusqu'à 50 000 euros dans certains cas. Souvent victimes de violences, elles sont contraintes de se prostituer à des tarifs très faibles, pour rembourser les passeurs. Cette situation d'exploitation et de traite d'êtres humains, les pouvoirs publics doivent la combattre avec la plus grande fermeté. C'est ce à quoi s'attelle le Gouvernement. Chaque année, quarante réseaux sont démantelés.

Notre objectif est d'éviter que les femmes et les hommes prostitués ne soient renvoyés à la clandestinité, qui aurait pour conséquence directe la dégradation de leur état de santé. Difficiles à recueillir, les données disponibles sont préoccupantes. Le poids des pathologies infectieuses, notamment des infections sexuellement transmissibles, est supérieur à la moyenne, ainsi que le recours aux substances psycho-actives, les troubles d'ordre psychique, les risques sanitaires liés aux conditions de vie et à la précarité.

L'accès aux soins et aux droits des personnes prostituées accuse un terrible retard. C'est ce que confirme l'étude « Prosanté » dont les conclusions sont sans appel : les personnes prostituées cumulent les indicateurs de précarité. Deux chiffres suffisent à apprécier la situation. Un quart d'entre elles n'a pas de couverture maladie. Plus de la moitié n'a pas de complémentaire santé. Enfin, l'incidence sanitaire des nouvelles formes de prostitution, dans des lieux privés, est peu documentée. Sur les sites internet d'échanges sexuels tarifés, les personnes prostituées seraient particulièrement confrontées à des demandes de rapports non protégés, par des clients eux-mêmes plus exposés aux risques infectieux que la population générale. C'est là un tableau d'ensemble, mais il est difficile, au-delà, de disposer de données plus précises.

Néanmoins, cela signifie que le cadre légal peut influer sur l'accès aux soins des personnes prostituées. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) relève ainsi que la loi pour la sécurité intérieure de 2003 a provoqué une dispersion des prostituées de rue. De nombreuses associations, comme Médecins du Monde ou Aides, ont confirmé cette tendance. L'activité s'est en partie déplacée vers d'autres sites -périphérie des villes, forêts, aires d'autoroute- et vers des lieux clos -domicile, salons de massage-. Cette dispersion s'accompagne de mouvements transfrontaliers qui compliquent encore la donne. C'est ainsi que les pratiques s'adaptent, pour échapper aux contraintes fixées par la loi.

La question qui se pose à la ministre des affaires sociales et de la santé que je suis est celle de l'impact de cet éloignement de la prostitution des centre-villes, voire de l'espace public, sur notre capacité à assurer un suivi social et sanitaire des personnes prostituées.

Les exemples étrangers de pénalisation des clients, en Suède depuis 1999 et en Norvège depuis 2009, appellent à une réelle vigilance. Qu'il soit bien clair qu'il ne s'agit pas pour moi de marquer une opposition à l'évolution souhaitée, mais d'indiquer qu'elle suppose un accompagnement très volontaire, si l'on ne veut pas que le mieux soit l'ennemi du bien et que la pénalisation du client n'aboutisse à aggraver l'isolement de personnes qui sont déjà en situation de précarité.

En Suède, deux rapports officiels, de 2003 et 2010, sont plutôt positifs quant à l'impact de la loi sur les personnes prostituées. Ils indiquent que l'augmentation des violences ne serait pas prouvée par les données de la police et que le développement de la prostitution sur internet ne serait pas imputable à la loi. Le dernier rapport souligne que la criminalisation aurait eu un effet dissuasif pour les clients.

D'autres études sont toutefois plus réservées. Une étude de 2012 souligne notamment la difficulté à estimer l'impact de la loi suédoise sur la réduction de la prostitution. Elle met également en avant les effets non intentionnels de la loi : moindre confiance des personnes prostituées dans les autorités publiques -travailleurs sociaux, police- ; augmentation des violences. Enfin et surtout, ce rapport signale les conséquences inquiétantes de la stigmatisation sur la santé des personnes prostituées.

Le rapport de la commission mondiale sur le VIH et le droit du Programme des Nations Unies pour le développement publié en 2012 estime que la loi suédoise de 1999 a aggravé les conditions de vie des personnes prostituées. Selon la police, si le commerce sexuel dans la rue a diminué de moitié en Suède, il reste, globalement, au niveau qui était le sien avant la loi et est devenu, en grande partie, clandestin.

Dans ce contexte plus complexe, l'enjeu principal consiste donc à renforcer l'accès aux droits, à la prévention et aux soins. Il s'agit de mener des actions de santé auprès des personnes prostituées, en particulier des personnes migrantes, tout en prenant en compte l'émergence d'une nouvelle dynamique d'exposition et de prise de risques. L'évolution de l'activité prostitutionnelle, éloignant les personnes des structures de prévention et de soins, complique le travail de proximité des associations et appelle à adapter les pratiques de prévention.

Il importe donc d'adopter des dispositions de soutien. Certaines figurent dans cette proposition de loi. Il s'agit, tout d'abord, de l'abolition de la pénalisation du racolage. Divers rapports ont montré que cette dernière avait eu pour effet de déplacer les lieux d'exercice de la prostitution, éloignant les personnes prostituées des lieux d'accès aux droits et aux soins, et de complexifier l'intervention des associations de santé.

Il convient, ensuite, de prendre des mesures pour renforcer l'accompagnement des victimes et favoriser leur réinsertion. Je pense, par exemple, à la modification des conditions d'accès à un titre de séjour pour les personnes victimes de la traite ou du proxénétisme, ou encore aux dispositions favorisant la réinsertion et l'accès au logement, ainsi qu'à celles permettant une réparation des dommages physiques sans preuve d'interruption temporaire de travail (ITT) d'un mois.

Il s'agit, également, de sensibiliser le public dès le plus jeune âge, en introduisant à l'école une prévention des comportements prostitutionnels.

Enfin, la création d'un fonds par la proposition de loi facilitera le financement de certaines actions, notamment dans le champ sanitaire et social.

Deux questions demeurent, qui doivent faire l'objet d'une vigilance particulière. Je pense, d'abord, à la santé des personnes prostituées. Je l'ai dit, ces personnes sont particulièrement exposées aux risques sanitaires. Il est absolument nécessaire d'engager une démarche globale pour améliorer leur état de santé. Lors de l'examen de la proposition de loi à l'Assemblée nationale, j'ai soutenu un amendement visant à instaurer un référentiel de réduction des risques en direction des personnes prostituées. Il s'agit de soutenir les associations dans leur démarche consistant, comme elles le disent, à « aller vers », dans l'idée que plus les personnes sont en situation de précarité, moins elles prennent l'initiative, et qu'il ne suffit donc pas de mettre en place des services à leur intention, mais qu'il convient d'engager des actions pour aller au devant d'elles. C'est dans ce cadre qu'elles ont conçu des référentiels. Réduire les risques pour cette population, c'est prévenir les infections sexuellement transmissibles, les dommages sanitaires et psychologiques, mais également les dommages sociaux liés à l'activité prostitutionnelle. C'est une des préconisations du rapport de l'Igas de 2012 sur les enjeux sanitaires de la prostitution.

Ce cadre d'action est d'ores et déjà au programme de travail de la Haute autorité de santé. Il définira les orientations de la politique de réduction des risques en direction des personnes prostituées et donnera des points de repère aux acteurs de terrain. Le ministère des affaires sociales et de la santé pilote cette démarche, qui associe l'ensemble des acteurs concernés, en particulier les associations. Je tenais à attirer votre attention sur cette disposition nouvelle, qui contribue, à mon sens, à l'équilibre d'ensemble du texte.

La prise en charge sociale des personnes prostituées, ensuite, est déterminante. Il faut veiller à ne pas opposer d'un coté les acteurs de la santé et, de l'autre, ceux du social, au prétexte qu'ils seraient guidés par des objectifs ou des principes différents. Pour être efficaces sur le terrain, c'est la complémentarité de leurs actions que nous devons systématiquement rechercher. Or, la coordination entre ces acteurs peut, c'est un euphémisme, être améliorée. Cela passe, par exemple, par des formations communes. Une circulaire interministérielle pourrait renforcer, au niveau des régions, les formations entre professionnels de la santé, du social, de la police et de la justice, comme cela existe en matière de lutte contre les addictions.

Enfin, la proposition de loi prévoit un parcours de sortie de la prostitution, qui permet à la personne d'accéder à des aides et à un appui. J'attire votre attention sur ce point. Nous devons veiller à ne pas laisser penser que seules des personnes sortant de la prostitution auraient droit à des aides. Une certaine souplesse devra être trouvée dans l'application, afin de ne pas remettre en cause l'inconditionnalité des aides. Nous savons que la sortie de la prostitution peut être longue, c'est un parcours difficile qui n'est pas à l'abri des rechutes. Il ne suffit pas de conclure un contrat en en appelant à la responsabilité des personnes concernées. Il s'agit de faire preuve de souplesse et de ne pas réserver notre aide à ceux qui sortent définitivement de la prostitution mais bien plutôt d'accompagner un parcours de sortie de la prostitution.

M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Vos propos viennent conforter les observations de notre rapport d'information sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées.

L'hôpital Ambroise Paré, où nous nous sommes rendus, a développé un système de médiation qui s'appuie sur l'interprétariat. Ne pourrait-on insister auprès des agences régionales de santé pour que ce type de médiation soit développé dans les hôpitaux proches des lieux de prostitution, sachant que les contacts, souvent difficiles à nouer avec les personnes prostituées, s'en trouvent facilités ?

Mme Marisol Touraine, ministre. - C'est mon intention. Cette mesure figurera dans le projet de loi relatif à la santé dont j'ai présenté les orientations. La médiation sanitaire, qui passe par l'interprétariat, y est pleinement reconnue, l'objectif étant de la voir se développer dans les lieux où elle est particulièrement nécessaire.

M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Le bénéfice de l'autorisation provisoire de séjour ne doit pas, à notre sens, être conditionné à une sortie de la prostitution. L'autorisation doit pouvoir être délivrée dans le cadre d'un projet d'insertion - termes que nous préférons à ceux de parcours de sortie. Je crois que sur ce point, nous sommes sur la même longueur d'ondes.

Mme Marisol Touraine, ministre. - Peu importe le choix des termes, l'essentiel est de déterminer si ce doit être explicitement inscrit dans la loi, ou simplement ressortir clairement du débat parlementaire. A vous, législateur, d'en décider. La situation des personnes prostituées n'est pas sans analogies avec celle des personnes en situation de précarité ou d'exclusion. Il ne suffit pas de se lever le matin en décidant d'en sortir pour y arriver ; c'est un chemin semé d'embûches, avec son cortège de problèmes de logement, d'emploi, de santé, qui exige un travail de reconstruction tant individuelle que sociale. Il revient aux pouvoirs publics, Etat et collectivités locales, avec les associations, de mettre le plus de balises possibles le long du parcours, pour donner des repères et des points d'ancrage. Une conditionnalité trop rigoureuse poserait problème. C'est une question de réalisme, nous savons tous, comme élus locaux, que l'accompagnement est souvent au long cours.

M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Quid de l'agrément des associations susceptibles d'accompagner le parcours d'insertion ? Il ne faudrait pas que les conditions soient trop restrictives, au risque d'écarter des associations dont l'ancrage n'est pas national mais local, et qui ont pourtant fait la preuve de leur efficacité.

Mme Marisol Touraine, ministre. - Les critères doivent être élaborés de façon pragmatique. Les conseils généraux, les municipalités, ont coutume de travailler avec les associations. Certaines sont bien connues, d'autres moins. Les pouvoirs publics doivent pouvoir se prononcer sur la qualité du projet d'accompagnement et évaluer de façon ouverte l'efficacité des actions menées.

En matière sociale, deux principes doivent prévaloir : innovation et évaluation. C'est l'efficacité, n'ayons pas peur du mot, qui doit nous guider. Sous réserve que des objectifs précis soient fixés, et qu'une évaluation soit conduite dans la durée, il s'agit de retenir des projets en laissant une place à des acteurs qui proposent des démarches nouvelles. Pour avoir présidé un conseil général, je ne sais que trop que les financements sont bien souvent fléchés d'avance vers des associations qui voient systématiquement leur dotation reconduite, ce qui réduit la marge d'innovation. Certes, il est bon de laisser les actions se développer dans le temps, et c'est pourquoi je suis favorable à des contrats trisannuels, mais il y a un équilibre à trouver. Il ne faut pas non plus s'interdire d'évaluer et de remettre en cause.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Vous avez parlé des pratiques de prévention. Y a-t-il des sujets sur lesquels vous êtes prête à travailler ?

Mme Marisol Touraine, ministre. - Je suis prête à travailler sur beaucoup de sujets, mais ma priorité va aux rapports sexuels protégés. Cela suppose de mettre les personnes prostituées mieux à même de refuser des rapports non protégés. Cela passe par la diffusion de messages d'information, la distribution de préservatifs, etc. L'autre exigence est celle du dépistage. La lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le VIH en particulier passe par un dépistage ciblé. La loi confortera l'usage des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod), qui manque d'une base juridique. On peut cibler ces tests sur les femmes migrantes et les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, deux catégories de population pour lesquelles on sait que le VIH se diffuse le plus. L'accès à d'autres modes de tests pourra être favorisé. Je pense aux autotests, que j'ai autorisés après mûre réflexion. Les associations m'ont convaincue. Dès lors que ces tests peuvent être achetés sur internet, mieux vaut retenir un test de référence, dont la qualité soit garantie. J'ajoute que ce type de test répond à une population qui ne souhaite pas aller dans les lieux publics de dépistage. Ce peut être le cas d'hommes mariés qui mènent une vie sexuelle non assumée avec d'autres hommes, par exemple. Bref, l'autorisation est donnée, et une procédure d'agrément est en cours. Les notices devront s'accompagner d'une information sur les démarches à entreprendre en cas de résultat positif et d'un numéro de téléphone.

M. Michel Bécot. - Nos auditions ont fait apparaître que les policiers s'inquiètent de l'abolition du délit de racolage. Ils craignent, arguant que c'est en discutant avec les personnes prostituées qu'ils obtiennent des informations, que le démantèlement des réseaux de prostitution n'en soit rendu plus difficile.

Mme Marisol Touraine, ministre. - Ce n'est pas du délit de racolage que sont nés ces échanges, vieux comme le monde, entre la police et le milieu de la prostitution. Ce que je constate, en revanche, comme ministre des affaires sociales et de la santé, c'est qu'il a eu pour effet d'éloigner les prostituées, et de les rendre plus méfiantes, ce qui complique la tâche des associations qui cherchent à les accompagner. Seules celles qui parviennent à se fondre dans ce milieu restent en contact. De même, le développement de la prostitution à domicile ou dans des lieux privés, type salons de massage, est un sujet de préoccupation. Ces femmes se retrouvent très isolées.

Mme Hélène Masson-Maret. - Au cours de nos auditions, nous avons entendu des avis très partagés sur la pénalisation du client, qui ont interrogé nos convictions, quand ils ne les ont pas ébranlées. Ce texte veut protéger les personnes prostituées, mais nous voyons bien qu'elles se répartissent au moins dans deux catégories bien différentes : des personnes qui ont choisi cette activité, d'autres qui sont victimes de réseaux de traite ; or, ce texte ne vise pas ces réseaux, qui sont les vrais criminels. On nous a présenté la situation en Suède, où le client est pénalisé : la police file le client, on l'arrête, on lui impose un stage pour qu'il renonce aux services sexuels rémunérés. Tout un arsenal est déployé, imaginez l'effet que cela peut produire sur des individus qui, certes, ont pu avoir une faiblesse, mais qui se sont livrés à un comportement qui reste bien moins répréhensible que celui des criminels des réseaux de traite, contre lesquels ce texte ne fait rien. C'est ce que je crains le plus : ce texte, finalement, s'attaquerait au plus facile, au client, sans inquiéter les réseaux, où prospèrent les vrais délinquants. On m'opposera que s'il n'y a plus de client, il n'y aura plus de personnes prostituées, mais avouez que ce raisonnement est peu réaliste : ce texte risque fort de manquer la véritable cible de la lutte contre la prostitution.

Mme Marisol Touraine, ministre. - Cette proposition de loi n'a pas pour vocation de lutter contre les réseaux, son dispositif s'ajoute aux outils que nous mobilisons déjà contre ces réseaux : nous menons une action déterminée, une quarantaine de réseaux sont démantelés chaque année, ces jours-ci encore dans des salons de massage parisiens. Vous avez raison de souligner leur caractère criminel, la violence que subissent les femmes qui sont entre leurs mains, des femmes auxquelles on retire les passeports, qui doivent se prostituer sans relâche pour rembourser leur dette et qui sont encore victimes de clients agressifs, violents et subissent toutes sortes de sévices. La pénalisation du client ne vise pas les réseaux mais tend à dissuader les clients, du moins une partie d'entre eux, de recourir à la prostitution face au risque pénal. L'expérience suédoise montre que cela fonctionne pour une partie des clients. La pénalisation n'est donc pas, à l'évidence, la seule réponse, mais cela ne doit pas nous interdire d'avancer.

Comme ministre des affaires sociales et de la santé, ensuite, je me soucie de l'accès aux soins et à l'accompagnement social, pour les personnes prostituées, d'abord, mais aussi pour leurs clients. C'est dans ce sens que j'ai alerté contre un basculement accentué dans la clandestinité et que j'ai soutenu l'adoption d'un amendement à l'Assemblée nationale pour faciliter l'accompagnement sanitaire des personnes prostituées.

Mme Catherine Génisson. - Cette proposition de loi nous pose de nombreuses questions, en particulier sur l'action contre les réseaux de prostitution : sachant que la quasi-totalité des personnes prostituées sont victimes de ces réseaux, comment être plus efficaces contre cet esclavage et cette traite tout à fait inacceptables ? Gardons-nous, en particulier, de ne pas rendre ces réseaux plus clandestins encore : à Ambroise Paré, les équipes médicosociales nous ont alertés contre ce risque. L'exemple suédois n'est pas sans équivoque : la prostitution visible a effectivement diminué, mais n'est-ce pas au bénéfice d'une prostitution tout à fait clandestine ? Personne ne répond précisément. Nous demeurons donc interrogatifs et nous devrons rester vigilants sur les effets de ce texte.

Mme Marie-Françoise Gaouyer. - Je partage ces questions. Le procureur italien que nous avons auditionné, a souligné la complémentarité de toute démarche de pénalisation du client avec une législation forte contre les réseaux. J'ajoute que des associations nous ont dit leurs craintes de se voir retirer leur statut de « référentes » pour le suivi des personnes prostituées, dès lors qu'elles se sont exprimées contre la pénalisation du client. Il ne faut pas perdre de vue, non plus, que les délais de réinsertion peuvent être très longs pour les personnes prostituées, qui sont souvent étrangères et qui ne maîtrisent pas notre langue...

Mme Marisol Touraine, ministre. - Je veux rassurer les associations, dont je connais les craintes : leur prise de position contre la pénalisation du client ne sera en aucune manière retenue contre elles. Des associations comme Médecins du monde ou Aides, par exemple, continueront d'être des acteurs incontournables de notre politique d'accès aux soins et d'accompagnement sanitaire et social des personnes prostituées.

J'invite cependant à ne pas céder à une certaine vision romanesque de la prostituée au grand coeur, dont notre littérature abonde et qui est celle d'une prostitution volontaire : la réalité est plutôt celle d'un véritable esclavage, celle de femmes et d'hommes contraints à des rapports sexuels à la chaîne, dans les conditions les plus sordides et qui se retrouvent parfaitement seuls dans leur malheur, loin, très loin de l'image d'escort girl vivant de palace en palace le sac rempli d'argent ! Nous ne pouvons rester inactifs face à cette réalité, c'est l'esprit de cette proposition de loi. Cela n'enlève rien à la lutte déterminée que nous menons contre les réseaux. Cependant, nous devons veiller à ne pas diminuer l'accompagnement sanitaire et social des personnes prostituées, ou bien nous ajouterions de la peine à la peine.

M. Jean-Pierre Godefroy, président. - Le procureur italien que nous avons entendu en vidéo-conférence nous a effectivement présenté le dispositif que nos voisins transalpins ont adopté pour les repentis, qui fait intervenir une protection policière dès le départ de la procédure. En France, la protection n'intervient qu'une fois le procès terminé, c'est bien trop tardif. Notre interlocuteur nous a dit qu'au cours des dix dernières années, en Italie, quelque 11 000 personnes sont sorties de la prostitution grâce à une telle protection.

Madame la ministre, il me reste à vous remercier et à vous assurer que nous partageons vos convictions.

La réunion est levée à 17 h 30.