Mardi 29 septembre 2015

- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures

Audition de M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous reprenons nos travaux en accueillant M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale pour l'élection du président de la République, à la tête de laquelle il a officié en 2007 et en 2012. Il est accompagné de Mme Catherine Bergeal, secrétaire générale du Conseil d'État.

Votre audition est intéressante à plus d'un titre. En effet, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale a été créée par le décret du 8 mars 2001. Elle n'est explicitement prévue par aucune disposition législative, organique ou constitutionnelle. Il s'agit d'un organe temporaire mais la qualité d'autorité administrative indépendante lui a été néanmoins reconnue par le rapport public du Conseil d'État de 2001.

Elle a pour mission de veiller à ce que « tous les candidats bénéficient de la part de l'État des mêmes facilités pour la campagne en vue de l'élection présidentielle ». Elle transmet d'office à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques les irrégularités portées à sa connaissance susceptibles d'affecter les comptes de campagne des candidats. Ses décisions sont susceptibles de recours devant le Conseil d'État.

Au-delà, nous aimerions connaître votre analyse, en tant que vice-président du Conseil d'État, sur les autorités administratives indépendantes, l'intérêt de ce statut et les évolutions nécessaires ainsi que sur les modalités du contrôle que vous exercez sur les décisions prises par ces autorités.

On a le sentiment, s'agissant de la qualification d'autorité administrative indépendante, que la doctrine du Conseil d'État évolue dans le temps et selon l'angle d'attaque. Vous nous l'expliquerez, j'en suis sûre.

J'indique que cette audition est ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo et donnera lieu à la publication d'un compte rendu.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Marc Sauvé et Mme Catherine Bergeal, Secrétaire générale, prêtent successivement serment.

M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République. - Vous m'avez invité à présenter devant vous mon expérience de président ou d'ancien président de deux autorités administratives indépendantes (AAI), la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République et la Commission pour la transparence financière de la vie publique. Vous m'avez également prié de porter un éclairage sur l'évolution de la catégorie des autorités indépendantes, à partir, notamment, des résultats de l'étude conduite en 2001 par le Conseil d'État sur ce sujet. J'aborderai successivement ces trois points.

J'ai présidé à deux reprises, en ma qualité de vice-président du Conseil d'État, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale relative à l'élection du Président de la République (CNCCEP). Cette Commission a été instituée en 1964 dans la perspective de la première élection du Président de la République au suffrage universel direct . Le décret qui l'institue a été refondu en 2001 et vous avez justement rappelé que ce décret n'a pas de base dans la loi organique du 6 novembre 1962. La Commission nationale de contrôle veille à ce que tous les candidats bénéficient des mêmes facilités de la part de l'État et, d'une manière générale, elle s'assure du respect du principe d'égalité et du bon déroulement de la campagne. Elle a été identifiée par le Conseil d'État, dans son étude de 2001, comme une AAI et elle est répertoriée comme telle sur le site Légifrance.

Je souhaite insister sur deux spécificités de cette commission : ses modalités de fonctionnement et ses relations avec les autres autorités impliquées dans l'organisation de la campagne présidentielle.

En premier lieu, le fonctionnement de la Commission nationale de contrôle a ceci de particulier qu'il est intermittent. Par son objet même, l'activité de la Commission est temporellement liée à l'occurrence de la campagne présidentielle ainsi qu'à ses dates d'ouverture et de clôture. Elle oeuvre ainsi, en principe, tous les cinq ans, durant une période d'environ dix semaines. Lors de la dernière campagne, la Commission a été installée le 25 février 2012, soit le lendemain de la publication du décret de convocation des électeurs, et elle s'est réunie à onze reprises entre le 25 février et le 6 mai 2012, puis une douzième fois pour adopter le rapport publié au Journal officiel.

Si cette période apparaît relativement courte, elle concentre cependant une forte activité. Il appartient en effet à la Commission d'homologuer les moyens de propagande des candidats, soit leurs affiches et leurs déclarations avant leur apposition sur les panneaux officiels et leur envoi aux électeurs, mais aussi, depuis 2007, les enregistrements sonores de leur profession de foi avant leur diffusion. Tout au long de la campagne, la Commission s'efforce de prévenir, en amont, d'éventuelles difficultés, en prodiguant des conseils et des avis aux candidats. Cet office préventif est facilité par la désignation de mandataires des candidats, qui sont les interlocuteurs privilégiés de la Commission.

Lorsqu'elle détecte des agissements répréhensibles, la Commission ne peut prononcer elle-même des sanctions. Elle dispose toutefois d'une certaine magistrature morale, que j'ai éprouvée à l'occasion des deux élections présidentielles auxquelles j'ai été conduit à participer, pour faire respecter la réglementation applicable et le principe d'égalité entre les candidats. Elle compte en effet, parmi ses cinq membres, des représentants des plus hautes instances juridictionnelles - Cour de cassation, Cour des comptes, Conseil d'État -, d'où sont également issus le rapporteur général et les rapporteurs. Par ailleurs, en cas d'irrégularités, la Commission peut saisir les autorités compétentes, qu'il s'agisse du Conseil constitutionnel, juge de l'élection, ou d'autres AAI, comme par exemple la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ou encore du procureur de la République, en cas d'infraction pénale.

La Commission est donc une structure bien calibrée au regard de la périodicité et de la nature de ses missions. Je souligne en outre qu'elle est très peu coûteuse. Elle n'a pas de budget propre et ses dépenses éventuelles relèvent du ministère de l'intérieur, mais il n'y en a pas eu jusqu'à présent, et je souligne que ni ses membres, ni son rapporteur général ni ses rapporteurs ne sont, de quelque manière que ce soit, indemnisés.

En second lieu, la place de la Commission nationale de contrôle en fait un acteur utile du bon déroulement de la campagne présidentielle. L'organisation de l'élection du président de la République repose sur l'action combinée de différentes autorités, parmi lesquelles figurent, au premier chef, le Conseil constitutionnel, chargé par l'article 58 de la Constitution de veiller à la régularité de cette élection, mais aussi quatre AAI : le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la Commission des sondages, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et, enfin, compte tenu de l'importance prise par les moyens de communication électronique, la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Cette organisation polycentrique exige une bonne coordination entre l'ensemble de ces AAI, dont les compétences sont distinctes, mais imbriquées. La Commission accorde ainsi une importance particulière à la qualité et à la régularité de ses échanges avec ses partenaires institutionnels. Il faut rappeler, à cet égard, que jusqu'en 1981, la Commission était, hormis le Conseil constitutionnel, la seule institution à intervenir pour la régulation de la campagne. Le paysage institutionnel s'est depuis considérablement complexifié. En matière de régulation de l'audiovisuel, par exemple, c'est désormais le CSA qui se trouve en première ligne. Mais ce que la Commission nationale de contrôle a perdu en responsabilité directe, elle peut l'avoir en partie gagné quand sont soulevés des sujets conduisant à mettre en cause les compétences, l'action et la responsabilité de telle ou telle autorité indépendante.

Au-delà de ce premier cercle, la Commission bénéficie du concours des services centraux et déconcentrés de l'État, en particulier du ministère de l'intérieur et de l'outre-mer ainsi que du ministère des affaires étrangères. Leurs représentants apportent un concours utile à ses délibérations et ils servent de relais efficace, y compris localement sur le territoire national, métropolitain et d'outre-mer, et dans les postes diplomatiques et consulaires.

La réussite de cette coopération à plusieurs niveaux montre qu'en s'en donnant les moyens, il est possible de bien coordonner l'action des différents organes de l'État et de créer des synergies utiles, dans un environnement où « co-travaillent » des AAI, des administrations centrales et des services déconcentrés.

J'en viens à présent à la Commission pour la transparence financière de la vie politique (CTFVP). Cette autorité, créée par la loi du 11 mars 1988, était chargée d'apprécier l'évolution du patrimoine des personnes assujetties par la loi à une obligation déclarative et, le cas échéant, de détecter des enrichissements anormaux. Son champ de compétence, initialement cantonné aux membres du Gouvernement et aux principaux élus locaux, a été étendu en 1995 aux dirigeants des principales entreprises publiques ainsi qu'aux membres du Parlement. Cette commission a été supprimée en décembre 2013, à l'occasion de la création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique par les lois du 11 octobre 2013.

J'aimerais insister sur deux de ses spécificités : son statut d'AAI, d'une part, et ses conditions de fonctionnement, d'autre part.

En premier lieu, sa qualification d'autorité administrative indépendante n'était pas des plus évidentes. Dans son étude de 2001, le Conseil d'État la classait en effet dans la catégorie des organismes qui « paraissent, après hésitation, devoir être qualifiés d'autorité administrative indépendante ». Il relevait en effet que cette commission ne détenait pas de pouvoir de décision et que ses pouvoirs d'investigation étaient très limités. Toutefois, elle pouvait être qualifiée d'AAI « en raison de son pouvoir de révéler des manquements à des obligations visant à renforcer un contrôle démocratique sur le comportement de la classe politique et qui est à l'origine de la procédure pouvant déboucher sur une déclaration d'inéligibilité des auteurs de ces manquements ». Cette interprétation extensive de la notion d'AAI découle de la loi elle-même. Le législateur a en effet qualifié d'AAI certains organismes n'ayant pas de pouvoir de décision.

En second lieu, les conditions de fonctionnement de la Commission présentaient, pour dire les choses avec modération, des points forts et des points faibles.

S'agissant de sa composition, les choix opérés par le législateur ont représenté un atout précieux. La Commission comprenait en effet, parmi ses membres de droit, les plus hauts représentants des plus hautes instances juridictionnelles. Elle était composée de trois membres du Conseil d'État, y compris son vice-président, de trois membres de la Cour de cassation, y compris son premier président et de trois membres de la Cour des comptes, y compris son premier président. La Commission était en outre assistée de rapporteurs choisis parmi les magistrats administratifs, judiciaires ou financiers. Cette composition est apparue comme un double gage d'efficacité et d'autorité : efficacité, car ses membres disposaient de compétences juridiques solides, d'une réelle pratique de l'instruction et d'une culture de la collégialité ; autorité, car ils présentaient, par leurs fonctions juridictionnelles, les plus fortes garanties d'indépendance et d'impartialité.

Pour autant, une telle composition n'a pas été une condition suffisante au bon fonctionnement de la Commission. Celle-ci a en effet demandé avec constance et même un brin d'obstination un renforcement de ses pouvoirs, en particulier d'instruction, afin de mieux assurer ses missions de contrôle des déclarations patrimoniales. Des avancées notables ont été permises par les lois du 14 avril 2011 issues, je tiens à le souligner, de deux propositions de loi. Toutefois, celles-ci sont restées en deçà des propositions émises par la Commission .

Enfin, je souhaiterais souligner combien les conclusions auxquelles est parvenu le Conseil d'État en 2001 m'apparaissent toujours actuelles et pertinentes. L'étude conduite par celui-ci en 2001 marque un point d'inflexion dans sa réflexion. Jusqu'à cette date, le Conseil d'État avait fait preuve d'une attitude réservée à l'égard du développement des autorités administratives indépendantes, qui échappaient à la tripartition des pouvoirs théorisée par Montesquieu dans L'esprit des lois. Par cette étude, il a officiellement pris acte du poids de cette nouvelle catégorie dans l'organisation générale de l'État. Son essor résulte en effet d'un choix clair et constant du législateur depuis 1978 - je ne remonterai pas à 1957, date à laquelle on a créé une autorité indépendante sans en être pleinement conscients, le Conseil supérieur de l'Agence France-Presse. Ce choix a été entériné par les jurisprudences convergentes du juge constitutionnel et du juge administratif, qui ont reconnu l'originalité et la particularité de cette catégorie juridique.

Quatre conclusions l'étude de 2001 méritent d'être mises en exergue. En premier lieu, si les AAI peuvent être une réponse appropriée à un besoin légitime de régulation économique ou de protection des libertés, elles ne sauraient devenir un mode d'administration de droit commun. Leur création doit être pesée au trébuchet : elle doit nécessairement apporter une plus-value par rapport aux solutions institutionnelles classiques. Si ces autorités administratives sont qualifiées d'indépendantes, elles n'ont évidemment pas au sein de l'État le monopole de l'indépendance nécessaire à la sauvegarde de l'intérêt général. Il ne saurait y avoir dans leur dénomination aucun a contrario dépréciatif pour d'autres institutions. Il faut, avant d'y recourir, démontrer l'existence de besoins particuliers d'indépendance et d'expertise qui ne pourraient être satisfaits par des institutions relevant du pouvoir exécutif ou par le renforcement des compétences des autorités juridictionnelles.

Un recours irréfléchi et immodéré aux AAI serait à cet égard susceptible d'entraver à terme l'efficacité de l'action publique. Un tel recours risquerait d'appauvrir les ressources des autres administrations de l'État, de complexifier d'une manière excessive son organisation et de priver de leviers essentiels d'action le pouvoir exécutif, c'est-à-dire l'autorité politique responsable devant le Parlement - le Souverain. Le recours excessif aux AAI pourrait aussi conduire à renforcer une gestion centralisée des affaires publiques. Et même utilisée à bon escient, la formule de l'AAI crée des besoins nouveaux de communication, de coordination et de pilotage, qui méritent d'être traités avec attention.

Que l'on me comprenne bien : les AAI font désormais partie de notre paysage institutionnel, elles ont acquis droit de cité dans le giron de l'État et personne ne songe sérieusement à les contester dans leur principe ; pour autant, elles ne sauraient remettre en cause les principes fondateurs de l'organisation de l'État et compromettre l'accomplissement de ses missions. Le Conseil d'État a par conséquent déjà émis des avis négatifs sur des projets de création de telles instances. C'est certes un temps où ses avis n'étaient pas rendus publics, mais on en trouve quelques échos prudents dans certains rapports publics rappelant que le Conseil d'État n'a pas estimé devoir donner un avis favorable à la création de telle ou telle autorité - je songe notamment à la première mouture de l'Autorité de sûreté nucléaire, le Conseil d'État considérant que la police spéciale des installations nucléaires est si importante qu'elle ne peut pas ne pas relever in fine de la responsabilité d'une autorité exécutive.

En deuxième lieu, il n'est pas apparu réaliste de créer un statut unique d'AAI. Le Conseil d'État s'est efforcé de lever les ambiguïtés qui s'attachent à la nature et au périmètre de cette catégorie, sans chercher à définir un statut commun, mais en montrant, au contraire, la diversité des organisations, des pouvoirs et des moyens. Ces éléments doivent en effet être ajustés pour chaque autorité indépendante en fonction de la nature et de l'ampleur des missions qui leur sont confiées. Cette nécessaire variété n'exclut toutefois pas de reconnaître un socle de règles transversales, garantissant leur indépendance et leur impartialité, dans le respect des exigences constitutionnelles et européennes. Il a ainsi fallu ajuster les statuts de plusieurs autorités indépendantes à la suite de plusieurs décisions de juridictions suprêmes françaises, notamment du Conseil constitutionnel.

L'ajustement des structures et des moyens doit être mené dans la durée, et non pas seulement lors de la création d'une AAI, afin de prendre en compte l'évolution des pratiques ou des secteurs qu'elle supervise. C'est en particulier le cas des autorités chargées de la régulation d'activités économiques ou financières, confrontées à des transformations très rapides. Par conséquent, les AAI doivent rester des structures flexibles, ajustables à l'évolution des besoins et des pratiques, toujours soucieuses de la plus grande efficacité de l'action publique et de son moindre coût. Ce qui peut parfois exiger des rapprochements, des synergies ou des regroupements institutionnels. Cela a déjà été entrepris, notamment à l'occasion de la révision constitutionnelle de 2008, avec la création du Défenseur des droits, mais on peut considérer que l'on n'est pas arrivés au terme de ces rapprochements.

En troisième lieu, l'essor des AAI a créé des besoins nouveaux de coordination et de pilotage, qui restent aujourd'hui encore insatisfaits. L'éclatement des structures de l'État ne saurait nous dispenser d'une compréhension globale et transversale de l'action publique. Cela suppose de clarifier en permanence l'insertion des AAI dans leur environnement institutionnel. Il faut prévenir le chevauchement des compétences, les risques de redondance et de doublon, les dangers de la contradiction voire de stériles rivalités. Les AAI n'ont pas apporté dans l'État la menace de tels fléaux, mais elles ont tout de même accru leur probabilité, en particulier lorsque leur sont dévolus d'importants pouvoirs de sanction. Cette réflexion d'ensemble doit ainsi conduire les pouvoirs publics à aider les AAI à mieux exercer leurs missions et, si nécessaire à mettre à niveau leurs moyens, tout en renforçant en parallèle la crédibilité des structures classiques de l'État, qui ont parfois été dangereusement appauvries par la création de telles autorités auxquelles a pu être transférée la totalité des capacités d'expertise de l'État.

En dernier lieu, j'insisterai sur l'importance d'un contrôle renforcé sur le fonctionnement des AAI, dans le respect de leur indépendance. Comme l'a souligné le Conseil d'État en 2001, « indépendance ne saurait signifier irresponsabilité ». C'est certainement l'un des enseignements les plus importants de ce rapport. Les actes pris par les AAI doivent naturellement pouvoir être déférés au juge, judiciaire ou administratif selon le cas, et respecter les principes d'équité du procès et d'impartialité, chaque fois que des sanctions sont prises et que se trouve en cause le principe de séparation des pouvoirs ou l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Mais, en dehors de ces contrôles juridictionnels qui se sont légitimement développés, il doit exister un contrôle approfondi et régulier par les pouvoirs publics sur la capacité des AAI à assumer les missions qui leur ont été confiées et sur la manière dont ces missions sont exercées. L'indépendance n'exclut ni le dialogue, ni le contrôle. L'insuffisance des outils actuels a été soulignée par l'Office parlementaire d'évaluation de la législation en 2006 et par le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale en 2011. Il y a là, assurément, un vaste chantier de travail.

Sur tous ces sujets, touchant à la création et au fonctionnement des AAI, des diagnostics ont été établis et des préconisations ont été émises qui, je le crois, restent pleinement valides. Si des progrès ont été enregistrés, des avancées nouvelles sont encore attendues, pour renforcer l'efficacité, la cohérence et le suivi de l'action de ces autorités.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je vous remercie de cet exposé très complet. Votre regard sur les AAI était très attendu par les membres de notre commission.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Merci de votre synthèse, que nous attendions en effet, et qui nous sera très profitable.

L'autorité que vous présidez a été qualifiée d'autorité administrative indépendante par le Conseil d'État, dans son rapport public de 2001. Cette conclusion serait-elle la même aujourd'hui ?

M. Jean-Marc Sauvé. - Le Parlement ayant qualifié d'autorités indépendantes des commissions ou instances qui n'ont pas pouvoir de proposition ou de sanction mais sont seulement dotées d'un pouvoir général de contrôle et de saisine d'autres entités, je pense que la Commission de contrôle de la campagne électorale pour l'élection du Président de la République peut toujours être qualifiée d'autorité indépendante. L'autre question qui se pose est la suivante : depuis l'émergence de nombreuses autres autorités indépendantes, cette commission est-elle encore utile ? S'il fallait en dresser le bilan coût-avantage, je dirais qu'elle est une enceinte permettant de réunir toutes les administrations et autorités indépendantes concernées par l'organisation de l'élection présidentielle. Sachant qu'elle ne coûte quasiment rien à l'État, le bénéfice n'en est pas négligeable. La commission Jospin, appelée à réfléchir, en 2012, à une modification de notre cadre constitutionnel et à l'approfondissement de la démocratie dans notre pays m'avait entendu sur ce sujet et avait approuvé, au moins implicitement me semble-t-il, son maintien. Cela dit, si le Gouvernement, qui est à l'origine de la création de cette commission, en 1964, puis de sa refondation, en 2001, entreprenait de la supprimer, je ne soulèverais pas d'objection de principe et je n'irai pas soutenir que l'élection présidentielle encourt des risques sérieux.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quelles réflexions vous inspire l'émergence des primaires ? Je pense en particulier au principe d'égalité entre les candidats.

M. Jean-Marc Sauvé. - C'est une question d'autant plus difficile que la Commission ne commence à remplir son rôle que dans la dernière décade du mois de février précédant l'élection, une fois publié le décret portant convocation des électeurs. Il est clair, cependant, que l'organisation des primaires exerce une influence importante sur la question du financement des campagnes. Le Conseil d'État a déjà été consulté par le Gouvernement, s'agissant des élections municipales, sur la question de l'imputation, sur leur compte de campagne, des dépenses ainsi exposées par les candidats ; la question peut de même se poser pour l'élection présidentielle.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Cette commission est un organe temporaire. Est-ce compatible avec la qualification d'autorité indépendante ? Dans son rapport de 2001, le Conseil d'État jugeait le contraire.

M. Jean-Marc Sauvé. - Mais il a classé la Commission parmi les autorités indépendantes.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Après des hésitations.

M. Jean-Marc Sauvé. - Il est vrai. Mais il l'a fait nonobstant l'absence de pouvoir de sanction, hors la faculté de saisine du Conseil constitutionnel, voire du Parquet en cas de présomption d'infraction pénale, et nonobstant son caractère intermittent. Si le Conseil d'État devait reprendre cette question à nouveaux frais, il pourrait à nouveau avoir des hésitations et trancher différemment. Mais sachant le respect du précédent qui le caractérise, seules des raisons substantielles pourraient le conduire à changer d'avis. J'ajoute que le fait que le vice-président du Conseil d'État préside cette instance est tout à fait étranger à son classement, dans l'étude de 2001, parmi les AAI.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous n'en doutons pas.

Pourquoi les membres de la Commission ne rendent-ils pas de déclaration patrimoniale ni de déclaration d'intérêts ? Lorsque la Commission se constituera, en 2017, le feront-ils ?

M. Jean-Marc Sauvé. - La Commission n'existe aujourd'hui qu'à l'état virtuel. Seuls le Premier président de la Cour de cassation, le Premier président de la Cour des comptes et le vice-président du Conseil d'État peuvent être identifiés avec certitude comme faisant partie du collège. Les autres membres sont désignés avant chaque élection présidentielle. Cependant, la loi du 11 octobre 2013 est claire et parle d'assujettissement à déclaration de patrimoine et d'intérêts des présidents de collège et des membres des autorités indépendantes. J'ai tendance à penser qu'il faudra se conformer à cette obligation. La Haute autorité pour la transparence financière de la vie publique devra prendre position sur ces questions. En classant la Commission, dans son étude de 2001, parmi les autorités indépendantes, le Conseil d'État n'a fait que se risquer lui-même à donner son interprétation. Le législateur a créé des obligations légales : il appartient à la Haute autorité pour la transparence financière de la vie publique de dire, sous le contrôle du juge, si la Commission est ou non assujettie à la loi du 11 octobre 2013. Pour moi, j'aurais plutôt tendance à répondre affirmativement.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - La Commission doit transmettre d'office à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) les irrégularités portées à sa connaissance susceptibles d'affecter les comptes de campagne des candidats. L'a-t-elle déjà fait, notamment en matière d'utilisation par un candidat de moyens liés à l'exercice de son mandat ?

M. Jean-Marc Sauvé. - La Commission n'a jamais eu, sous ma présidence, à dénoncer au Parquet de violation probable ou manifeste des règles de financement. Le fait est que dans le travail de la Commission, la part répressive, qui se traduit par la possibilité de dénoncer une infraction, est moindre que la part préventive, de conseil. Il m'est même arrivé, après avoir été alerté par le rapporteur général de la Commission, d'intervenir l'avant-veille du second tour pour faire savoir au mandataire d'un candidat que si tel agissement envisagé se confirmait, il se heurterait à une prise de position publique de la Commission nationale de contrôle. Nous travaillons dans un laps de temps très bref, au cours duquel nous avons deux réunions hebdomadaires, auxquelles s'ajoute un dispositif de veille permanente. Nous diffusons des messages généraux, et des messages spécifiques lorsque nous avons le sentiment que tel candidat pourrait méconnaître la législation ou s'engager dans un comportement violant manifestement le principe d'égalité entre les candidats. Nous sommes conduits, de même, à émettre des recommandations en matière de presse écrite - l'audiovisuel étant désormais du ressort du CSA.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - En 2012, il y a bien eu constat d'une utilisation de moyens publics par un candidat. Soyons clair, le rôle de notre commission d'enquête est de poser clairement certaines questions. Nombre de nos concitoyens et d'élus locaux comprennent mal que les contrôles sur les comptes de campagne des candidats aux élections départementales ou municipales soient si méticuleux - et il est bien normal qu'ils le soient - tandis que dans le même temps, on voit un ancien président du Conseil constitutionnel déclarer dans ses mémoires que le Conseil a donné sa bénédiction à des pratiques, lors de l'élection présidentielle, qui n'étaient pas des meilleures. C'est là davantage une remarque qu'une question.

Nous avons conscience, au sein de cette commission d'enquête, d'entendre des représentants de la haute fonction publique compétents, qui ont le sens de l'État et des responsabilités, mais nous ne pouvons nous empêcher de constater que les collèges de ces autorités comprennent très régulièrement des représentants du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation. Il est vrai que c'est parfois le législateur lui-même qui en a ainsi décidé, mais il est rare que le Parlement soit à l'origine de la rédaction. Dans les collèges des autorités indépendantes, en excluant les sièges vacants, 544 sièges seraient occupés, au 1er septembre 2015. Parmi les membres de ces collèges, 30 se trouvent en situation de cumul : 27 siègent dans deux AAI, trois dans trois AAI. On a souvent un sentiment de consanguinité, d'endogamie, d'entre-soi dans le processus de désignation des membres de ces AAI. Sur ces 544 sièges, 167, soit plus de 30% sont occupés par des membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou de la Cour de cassation. Sur 42 AAI, seules cinq ne comptent en leur sein aucun membre de l'une de ces trois institutions. La plupart de ceux que nous avons entendus nous objectent que c'est la loi qui l'a voulu ainsi. Dont acte : il faudra que le législateur en tire certaines conclusions. Au demeurant, la composition des AAI n'est pas toujours la conséquence de dispositions législatives.

Je ne mets pas en cause la compétence de ces personnalités, mais il se pose, à mon sens, un problème de fond, vu la multiplication et la diversité de ces autorités indépendantes, vu les pouvoirs qui sont les leurs - ceux du président de l'Autorité de la concurrence sont tels qu'il fait figure de super-ministre.

Sans compter que cela ne doit pas être facile pour vous : comment les grands corps feront-ils face avec la multiplication des AAI? Nous restons parfois admiratifs devant la quantité de travail qu'abattent certains de vos collègues, appelés au four et au moulin, mais cela ne risque-t-il pas, à terme, de poser un problème de fonctionnement aux grands corps de l'État ? Comprenez bien que nous ne sommes pas là pour faire le procès de la haute fonction publique, dont nous connaissons les compétences, mais pour dire ce qui doit être dit.

M. Jean-Marc Sauvé. - Je ne prends pas ces propos en mauvaise part et ne vous répondrai pas en me retranchant derrière l'argument qui veut que le législateur en ait ainsi décidé. Il faut considérer la question des deux côtés, celui des autorités indépendantes et celui des institutions pourvoyeuses.

Pour ce qui concerne les autorités indépendantes, je rappelle ce qu'écrivait le Conseil d'État en 2001, à quoi je souscris pleinement : « même s'il est indispensable de prévoir un noyau dur constitué de personnalités ayant la culture de l'indépendance et la pratique de la collégialité, il faut se méfier de la facilité consistant aÌ prévoir une composition de collège ne comprenant que des membres des juridictions suprêmes et des corps d'inspection. Outre que le vivier en cause a ses propres limites, une telle orientation serait en retrait sur l'objectif souhaitable d'ouverture des instances de régulation aux professionnels dans le domaine économique ». Je pense que les autorités indépendantes, quand elles sont utiles et nécessaires, doivent conjuguer les capacités de personnes qui ont la culture de l'indépendance et de l'impartialité en même temps que celles de personnes dotées de l'expertise technique qui les rapproche du domaine régulé - ce qui n'est évidemment pas sans risques de conflits d'intérêts, et j'ai pu constater, à la lecture de vos auditions, combien parfois la grande proximité entre membres du collège et secteur régulé a pu soulever des interrogations de votre part. Il faut parvenir à un certain brassage des compétences et des cultures, et cela n'est pas aisé. Il n'y a pas, de la part du Conseil d'État, comme j'en suis sûr d'autres grands corps, de volonté de mainmise, mais une disponibilité. Un certain nombre d'institutions de la République recèlent des capacités, ce qui ne veut pas dire que nous revendiquons un monopole.

A la suite du vote de la loi relative au renseignement, j'ai du nommer deux membres du Conseil d'État ayant au moins le grade de conseiller à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Il est vrai que c'est une ponction, car nos ressources ne sont pas sans fond et que nos conseillers ne sont pas interchangeables. C'est ainsi que j'ai désigné un conseiller d'État honoraire et une conseillère qui, devant y être affectée à plein temps, a dû sortir des cadres, via une mise à la retraite. Dans la lettre que je vous ai adressée le 28 juillet, en réponse à vos questions d'une précision légitime, je rappelais que le Conseil d'État, qui, outre son rôle de juge administratif suprême, exerce une fonction consultative sur les projets de loi et règlements et rend des avis sur les difficultés qui peuvent s'élever en matière de politiques publiques, est aussi, depuis 1799, même si cela n'est pas inscrit dans les textes, un vivier de compétences où les pouvoirs publics peuvent puiser pour des missions ponctuelles, ou plus lourdes, par voie de détachement ou de cumul si l'activité concernée n'est pas à temps plein. Lorsque le Président de la République demande au président de la section sociale, Jean-Denis Combrexelle, de réfléchir à la part respective du contrat et de la loi en matière de droit du travail, il fait appel à quelqu'un qui dispose de compétences et d'une expérience susceptibles d'éclairer le débat.

Vous ne m'entendrez jamais dire qu'il est indispensable que le Conseil d'État soit présent partout, mais je pense que mes collègues peuvent apporter une contribution utile à l'exercice de fonctions administratives ou au développement d'une réflexion sur les politiques publiques. De telles activités ne constituent pas une excroissance illégitime, mais font bien partie du coeur de métier du Conseil d'État. Elles vont d'ailleurs au-delà de la participation aux autorités administratives indépendantes. Il n'y a rien d'anormal, par exemple, à ce que le Président de la République me demande, ainsi qu'il l'a fait en mars, à la suite des attentats de janvier, de faire équipe avec l'entraineur de l'équipe de France de handball pour émettre des propositions en vue de la création d'une réserve citoyenne faite pour contribuer à mieux faire vivre les principes de la République.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Certaines autorités administratives indépendantes prennent des décisions, prononcent des sanctions. De son côté, le Conseil d'État ne rend pas que des avis, il juge. Un recours contentieux lié à une autorité à laquelle il a partie peut être porté devant lui. Cela ne pose-t-il pas un problème de principe ? Je dis bien de principe, car les décisions intervenues en la matière ne laissent aucun doute sur son indépendance.

M. Jean-Marc Sauvé. - L'examen des décisions rendues par le Conseil d'État sur des recours dirigés contre des sanctions ou décisions des AAI témoignent en effet de sa totale impartialité. On a pu le voir, notamment, s'agissant de décisions prises par l'Autorité de la concurrence en matière de concentration ou récemment, par le CSA. J'appelle à cet égard votre attention sur le fait que le Conseil d'État, compte tenu de la compétence qui est la sienne, et qui fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, est conduit à être juge des décrets en Conseil d'État, ce qui, au premier, abord, peut surprendre. Dans l'exercice de cette compétence, le taux d'annulation, totale ou partielle, des décrets en Conseil d'État contestés devant lui est de 12% à 16%, selon les années. Lorsque l'on expose cela aux juges de la Cour européenne des droits de l'Homme, ils en sont stupéfaits. C'est que nous assurons une réelle séparation entre la fonction consultative interne et la fonction juridictionnelle. Au-delà, il ne viendrait à l'esprit d'aucun membre de notre haute juridiction de regarder différemment une requête au motif que l'acte contesté a reçu l'estampille du Conseil d'État ou a été pris, à l'extérieur de son enceinte, par un de ses membres.

Il entre dans mes responsabilités de présider le Conseil supérieur des tribunaux administratif et par conséquent soit de proposer au Gouvernement des décisions individuelles de promotion et d'affectation soit d'en prendre moi-même. Ces décisions peuvent être contestées devant le juge administratif. Eh bien je puis vous dire que parmi les décisions prises ou proposées par le vice-président du Conseil d'État dans l'administration de la juridiction administrative et contestées devant le Conseil d'État, le taux d'annulation est supérieur à 10%. Il m'est arrivé de nommer un rapporteur public à la cour administrative d'appel de Nancy. Or, le parapheur ayant mis un peu de temps à m'arriver, je l'ai signé trois semaines après le moment où l'arrêté avait été pris sans me rendre compte que la date d'effet était antérieure à ma signature, si bien que ce rapporteur a été nommé, en somme, rétroactivement. Un requérant a attaqué devant le Conseil d'État des arrêts de la cour administrative d'appel de Nancy sur ce motif. Ces arrêts ont été annulés par le Conseil d'État.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous n'avons aucun doute sur la pratique, mais cela n'empêche pas de poser la question de principe.

M. Jean-Marc Sauvé. - La manière dont nous travaillons vous apporte la réponse. Pas une formation de jugement du Conseil d'État ne s'aventurerait à couvrir une illégalité commise par le vice-président du Conseil d'État.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous n'en avons jamais douté.

Considérez-vous le Conseil d'État comme l'autorité qui décide de la qualification d'autorité administrative indépendante ?

M. Jean-Marc Sauvé. - Non. Nous avons pris position en 2001 compte tenu du sujet d'étude choisi. Ce que nous écrivons dans le cadre d'une étude n'a ni l'autorité de la loi, ni celle de la chose jugée. En revanche, si un membre d'une autorité dont la qualification faisait débat refusait de se soumettre à une déclaration de patrimoine ou à une déclaration d'intérêt, un contentieux pourrait s'élever et le Conseil d'État pourrait alors être conduit à dire, dans le cadre d'un jugement, si telle ou telle instance mérite le label d'autorité administrative indépendante.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez parfaitement compris, Monsieur le Président, que ma question n'était qu'un prologue : la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) et le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ont évoqué, lors de leur audition, le fait que c'est votre intervention qui aurait conduit à ne pas retenir la CNCDH parmi les autorités dont les membres devraient déposer ces deux déclarations.

M. Jean-Marc Sauvé. - Ce m'est l'occasion d'apporter un démenti. Je n'ai pas pris position sur le sujet, et si la question m'avait été posée, j'aurais demandé que le Gouvernement saisisse le Conseil d'État d'une demande d'avis.

Cette question a en réalité été posée au secrétaire général du Gouvernement. Or, dans le cadre des conversations qui peuvent s'établir entre différentes instances publiques, j'ai eu vent de cette question et de la réponse apportée par le secrétariat général du Gouvernement, administration compétente pour apporter une première réponse aux questions qui peuvent se poser sur le champ d'application de la loi.

Il est assez pénible d'entendre dire que le Conseil d'État s'est prononcé lorsqu'il n'a rien dit. Le Conseil d'État se prononce par des avis, par des arrêts. Quand on me sollicite de manière informelle, j'évite de répondre, car je sais bien qu'en me prêtant à de telles consultations, on pourra en livrer sans recul la teneur, alors qu'aucun support de délibération collégiale ne l'appuie. D'où ma circonspection. Et je le répète, de surcroît, la question ne m'a pas été posée.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vu les échanges intervenus au cours de ces deux auditions, dont celle du président de la Haute autorité pour la transparence financière de la vie publique, dont vous avez pu prendre connaissance par leur compte rendu, il était normal que j'aborde le sujet.

En matière de transparence de la vie publique, jugez-vous que la déontologie des membres et agents des AAI soit suffisamment assurée ? Certaines des réponses que nous avons recueillies lors de nos auditions nous ont interpellés. Quand on apprend que le membre du collège d'une AAI à caractère économique se retrouve, quelques mois après sa nomination, au conseil d'administration d'une des plus grandes sociétés de travaux publics, il est normal que l'on se pose des questions. Quand on constate que tel responsable d'une AAI se trouve être celui qui a préparé, au sein d'un cabinet ministériel, sa création, il est normal que le Parlement s'interroge.

M. Jean-Marc Sauvé. - Le problème que vous soulevez est éminemment délicat. Le meilleur moyen de se prémunir contre le risque que vous évoquez est évidemment de puiser dans le vivier des juridictions suprêmes. C'est la meilleure protection contre le risque de conflit d'intérêts ou d'infraction pénale. Mais le but de l'autorité indépendante est de faire coexister, ainsi que je le soulignais, une culture de l'indépendance, de l'impartialité et de la collégialité avec des compétences issues du milieu professionnel qu'il s'agit de réguler. Cela ne va pas sans risques, réels. Pour ma part, j'ai tendance à penser que les règles d'incompatibilité et de prévention des conflits d'intérêts propre à chaque instance constituent une première réponse. Elles sont considérablement renforcées par les lois du 11 octobre 2013, qui obligent les membres des collèges à déposer une double déclaration d'intérêt et de patrimoine. Si bien que les articles du code pénal, anciennement 175 et 175-1, sur la prise illégale d'intérêt et le délit d'ingérence, sont non plus seulement révérés, mais bel et bien appliqués. Sans minimiser les risques, je pense qu'ils peuvent être pris en charge et traités. Et si un membre d'une autorité indépendante prenait intérêt dans une entreprise relevant du secteur qu'il a régulé, il pourrait s'exposer à de sérieux mécomptes.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Parmi les exemples que j'ai cités, l'un concerne le vivier dont vous faites état. Le passage vers les cabinets ministériels, voire vers le privé, est au reste une caractéristique des membres des grands corps...

M. Jean-Marc Sauvé. - L'autorité de nomination doit être attentive au traitement préventif de ce type de situation. Dans certains cas, le vice-président, ou le Premier président nomme, dans d'autres, il propose. Il doit naturellement exercer ces responsabilités en considération de tous les intérêts publics en présence, parmi lesquels l'exigence d'impartialité des délibérations à prendre par l'autorité indépendante. Il serait à mes yeux inconcevable que l'on puisse désigner dans une AAI une personne qui s'y trouverait en conflit d'intérêt structurel. Il peut arriver, dans certaines situations, que le membre d'un collège, en raison d'intérêts personnels ou de fonctions antérieures, doive se déporter. Cela est inévitable, mais c'est tout autre chose qu'une incompatibilité structurelle. Cela est de la responsabilité non seulement des personnes concernées mais des autorités qui nomment ou proposent.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il y a des nominations qui sont directement faites par l'exécutif.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il me semble que l'on pourrait entreprendre de dégager des règles de déontologie. La prévention ne peut pas tout.

Il est un autre point qui nous reste obscur, en dépit de nos auditions, c'est celui des rémunérations. Quid de la rémunération d'un conseiller d'État qui devient président d'une AAI ? Y a-t-il ou non cumul ? On rejoint la question de la déontologie.

M. Jean-Marc Sauvé. - Lorsque je parle de mécanismes préventifs, j'y inclus les règles déontologiques propres aux autorités indépendantes. Indépendamment des mécanismes votés par le législateur, notamment en matière d'incompatibilités, avant, pendant et après, ces règles déontologiques doivent permettre d'éviter, en cours d'exercice, les conflits d'intérêts.

En matière de rémunération, il n'est pas de règle générale. Il faut distinguer deux situations radicalement différentes. Si les fonctions exercées au sein de l'AAI sont à temps plein, elles sont exclusives de toute autre fonction publique et impliquent donc un détachement. Votre commission d'enquête a reçu la liste nominative des membres du Conseil d'État qui sont dans ce cas. Ceux qui exercent des fonctions de président, de membre du collège ou de membre de l'administration de l'autorité sont dans ce cas, et l'institution dont ils sont originaires ne leur verse aucune rémunération. Il existe, à côté de cela, des cas, nombreux - je pense à la Commission des infractions fiscales - dans lesquels l'activité de membre est à temps partiel. L'autorité concernée peut verser ou ne pas verser d'indemnité - c'est le cas de la Commission nationale de contrôle de l'élection présidentielle. Quand rémunération il y a, j'estime qu'elle doit être proportionnelle au temps passé au service de ces autorités. Il existe une grande variété de situation, mais rien n'interdit de mettre les choses sur la table, car il n'y a rien à cacher. Nous avons souvent bien du mal à trouver des membres du Conseil d'État, pour des raison liées à la charge de travail, quand elle est trop lourde, car, ainsi que je l'ai écrit dans ma lettre du 28 juillet, en aucun cas, la participation à temps partiel d'un membre du Conseil d'État à une autorité indépendante comme membre du collège, président ou conseiller juridique des services ne peut entrainer une décharge d'activité au sein du Conseil d'État. Ce travail à temps partiel vient donc au-delà des obligations de service. D'où notre difficulté à trouver des candidats.

Mme Catherine Bergeal, Secrétaire générale du Conseil d'État. - Je précise que les indemnités versées aux membres des AAI font l'objet d'arrêtés, publiés au Journal officiel. Pour prendre un exemple récent, les indemnités des membres du Conseil d'État membres de la Haute autorité pour la transparence financière de la vie publique sont de 150 euros par séance. Il n'est aucune indemnité dont le montant ne soit publié au Journal officiel.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il semble que dans certains cas, elles ne figurent que dans des contrats.

Mme Catherine Bergeal. - Il s'agit alors d'emplois, et non d'activité accessoire. Auquel cas, le Conseil d'État ne verse plus rien à l'intéressé.

M. Pierre-Yves Collombat. - N'est-ce pas une tâche impossible que d'assurer un véritable contrôle de l'élection présidentielle ? Pour des raisons pratiques, d'abord. Ainsi que vous l'avez rappelé, il n'est pas toujours facile de déterminer quand commence la propagande. Et puis, comme le montre une affaire récente, toujours en cours, le contrôle devient très difficile. Un compte de campagne peut-être invalidé pour un dépassement de 300 000 euros alors qu'en l'occurrence, il est question d'une dissimulation à hauteur de 17 millions. L'inventivité des candidats est telle, surtout quand ils sont au pouvoir, qu'il devient très difficile de savoir précisément quelles sont les dépenses engagées.

Surtout, il se pose un problème politique. Est-il envisageable qu'un candidat, une fois élu à 52%, soit dénoncé comme un fraudeur ayant faussé les élections ? Imaginez la situation dans laquelle s'est trouvé Roland Dumas en 1995. Peut-on invalider un candidat élu ? Le seul candidat pénalisé, lors de cette échéance, a été le malheureux Jacques Cheminade, pour l'exemple... Quand à la dernière élection, le candidat qui a vu son compte rejeté n'était pas élu. Eût-ce été possible s'il l'avait été ?

M. Jean-Marc Sauvé. - Je n'ai pas assez d'imagination, Monsieur le sénateur, pour répondre à votre question. Ce que je veux souligner, c'est que c'est le Conseil constitutionnel qui a confirmé le rejet du compte de campagne d'un candidat, lors de la dernière élection présidentielle. J'ajoute que le Conseil constitutionnel ne peut pas invalider l'élection présidentielle, à la différence de ce qu'il peut faire pour un membre du Parlement. Et lorsqu'il rejette le compte de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle, il ne prononce pas non plus son inéligibilité.

Est-il imaginable que le Conseil constitutionnel rejette le compte de campagne d'un candidat élu ? Telle est la formulation qu'il faut donner à votre question. N'étant pas membre du Conseil constitutionnel et n'ayant jamais participé à ses délibérations, je ne saurais y répondre, mais je sais qu'un de ses anciens présidents a écrit un livre de souvenir dans lequel il répond négativement.

M. Pierre-Yves Collombat. - Avouez que c'est un vrai problème. Ma question va au-delà de la morale. Imaginer que quelqu'un qui aurait été clairement élu par le peuple puisse être présenté comme fraudeur pose une réelle difficulté.

M. Jean-Marc Sauvé. - C'est une question si considérable qu'elle ne peut relever, à mes yeux, que du législateur organique. C'est lui qui a fixé les règles relatives au contrôle des dépenses de campagne des candidats à l'élection présidentielle, et les sanctions applicables en cas de rejet du compte de campagne. C'est à ce niveau seul que la question des conséquences peut être traitée. Vous soulevez là un débat très intéressant, mais il ne relève de la compétence ni du Conseil constitutionnel ni d'aucune autorité indépendante. Seul le législateur organique peut s'en saisir.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci de l'excellence de ces réponses, qui vont nourrir notre réflexion.

La réunion est suspendue à 16h30

Audition de M. François Logerot, président, et de M. Régis Lambert, secrétaire général de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

La réunion reprend à 17 heures 04

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous poursuivons nos travaux en recevant M. François Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

La CNCCFP a été créée par la loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques. Définie comme un « organisme collégial » en 1990, le Conseil constitutionnel a estimé qu'elle était une « autorité administrative et non une juridiction ». Qualifiée d'autorité administrative indépendante par le rapport public du Conseil d'État de 2001, elle le fut, de manière expresse, par l'ordonnance du 8 décembre 2003 portant simplifications administratives en matière électorale.

La CNCCFP a pour mission de contrôler les comptes de campagne pour l'ensemble des élections politiques sur le territoire national, sauf dans les plus petites circonscriptions et pour les élections territoriales à Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna.

Les candidats sont tenus de déposer un compte de campagne, que vous contrôlez, retraçant l'ensemble des dépenses électorales et des recettes collectées à cette fin par le mandataire financier. En cas de rejet du compte de campagne, vous transmettez au juge de l'élection qui décide d'une peine d'inéligibilité variant selon la gravité du manquement.

La commission a également pour mission de contrôler le respect par les partis et groupements politiques des règles de financement.

Votre commission est composée de neuf membres, nommés pour cinq ans, par décret ; elle élit son président. En 2014, elle disposait d'un budget de 4,16 millions d'euros et employait 43 personnes.

Vous imaginez bien, monsieur le président, que les questions vont être nombreuses sur les moyens dont vous disposez, vos règles de fonctionnement, votre méthodologie de travail, les causes des dépassements de délais constatés dans certains cas,  etc.

J'indique que cette audition est ouverte au public et à la presse ; elle fera l'objet d'une captation vidéo et donnera lieu à la publication d'un compte-rendu.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Logerot et Régis Lambert prêtent serment.

M. François Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. - C'est un honneur pour moi d'être auditionné aujourd'hui, et une occasion d'échanger avec les parlementaires. Bien sûr, en quelques années, nous avons eu plusieurs fois le loisir de dialoguer, soit avec le Sénat, soit avec l'Assemblée nationale, notamment à l'occasion de rencontres avec les différents rapporteurs. Par ailleurs, je remets annuellement le rapport d'activité de la commission au président du Sénat.

Je me propose tout d'abord d'essayer de répondre à la question suivante : pourquoi une autorité administrative indépendante est-elle chargée de ces missions ? J'essaierai ensuite de donner quelques indications sur la réalité de l'activité de la CNCCFP actuelle, avant de tracer quelques perspectives pour l'avenir proche.

Pourquoi une autorité administrative indépendante ? Je ne ferai pas l'injure au Sénat de rappeler les conditions de création du système actuel de financement politique en France.

Jusqu'en 1988-1990, l'État ne s'occupait que d'organiser les élections. Il finançait certes la campagne officielle, mais les partis politiques, comme les candidats aux élections devaient trouver par eux-mêmes les moyens de leur financement - dons privés, cotisations en ce qui concerne les partis - et chacun sait qu'un certain nombre de dérives ont été constatées, comme des financements la plupart du temps occultes, sans qu'ils soient toujours illicites.

Le législateur a donc posé, en 1988, les principes d'une intervention plus nette de l'État dans le financement de la vie politique, d'abord un financement direct sous deux formes différentes - des subventions annuelles aux partis politiques en fonction de leurs résultats aux élections législatives, et un remboursement, dans certaines conditions et sous un certain plafonnement des dépenses de campagne électorale des candidats aux élections.

On a également instauré un financement indirect, en accordant un avantage fiscal aux donateurs des partis politiques et des candidats, sous réserve de plafond.

Bien entendu, tout ce système nouveau nécessitait un contrôle.

Comment organiser le contrôle de ces financements ? Plusieurs solutions étaient possibles. On pouvait songer à le confier à l'administration, qui a l'habitude de réaliser des contrôles, au moins dans certaines de ses parties, mais compte tenu de la sensibilité du sujet et de la nature politique des activités qu'il s'agissait de financer, le risque résidait dans une suspicion permanente de la part de l'opinion et des médias, et dans le développement d'une bureaucratie excessive.

Par ailleurs, plusieurs administrations pouvaient revendiquer cette responsabilité, comme le ministère de l'intérieur, le ministère de la justice ou celui des finances.

Une autre solution était de confier à la Cour des comptes le soin de contrôler ces nouveaux dispositifs, étant donné son indépendance, sa compétence générale en tant que juridiction spécialisée et administrative, qui a à connaître de l'ensemble des financements publics. Comme vous le savez, la Cour des comptes est notamment habilitée à vérifier les subventions que l'État accorde à des organismes de droit privé.

Toutefois, si les partis politiques sont bien des organismes de droit privé, ils sont cependant de nature particulière, l'article 4 de la Constitution garantissant leur liberté de création et d'activité, ce qui aurait pu poser quelques problèmes en matière de contenu du contrôle que pouvait exercer la Cour des comptes.

Par ailleurs, pour ce qui est des campagnes, il s'agissait d'exercer un certain nombre de contrôles, mais également de distribuer de l'argent public. Or, ce n'est évidemment pas la mission de la Cour des comptes de financer des activités sur crédits publics.

C'est ainsi que la solution d'un organe sui generis, indépendant, non juridictionnel, distinct de l'administration, a fini par l'emporter. On retrouve dans les caractéristiques de l'institution ce qui fait le propre d'une autorité administrative indépendante : c'est bien une autorité puisque, comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, elle a été reconnue d'abord par la jurisprudence comme une autorité administrative indépendante, officiellement par l'ordonnance de 2003.

Pourquoi une autorité ? Ces décisions font grief ; elles sont directement applicables par les préfets ou par le ministère de l'intérieur et elles s'imposent, sous réserve bien entendu du contrôle d'un juge.

En effet, ce n'est pas une juridiction mais une commission administrative soumise au contrôle des juges. Celui-ci s'exerce de façon originale. Nos activités relèvent en fait de deux juges. Le premier est le juge de plein contentieux, rôle actuellement joué par le tribunal administratif de Paris, après avoir été directement celui du Conseil d'État, pour examiner les recours contre nos décisions de réformation des comptes.

Le second juge compétent est celui de l'élection, la loi nous imposant de lui déférer nos constatations de non-dépôt ou de dépôt hors délais des comptes, ainsi que nos décisions de rejet. Il s'agit soit du réseau des tribunaux administratifs et de leur tribunal d'appel, le Conseil d'État, soit du Conseil d'État en direct pour les élections dont il est juge et, enfin du Conseil constitutionnel pour l'élection présidentielle et les élections législatives et sénatoriales.

Quant à son organisation, ainsi que vous l'avez rappelé, elle est constituée par un collège de neuf membres désignés par groupe de trois par chaque président des hautes juridictions que sont le Conseil d'État, la Cour de cassation et la Cour des comptes. Ces désignations se font après avis des bureaux de ces juridictions.

En dehors du collège de neuf membres, qui sont très impliqués, le fonctionnement de la CNCCFP n'est pas conforme à ce que l'on attend d'une commission administrative, qui se réunit d'habitude de façon épisodique tous les deux ou trois mois, voire deux fois par an.

En période de contrôle des comptes, cette activité représente, pour les membres du collège, au moins un gros mi-temps.

Elle s'appuie sur des services, dirigés par un secrétaire général, haut fonctionnaire choisi par le président de la CNCCFP. Il s'agit d'une organisation assez légère, car nous devons nous adapter à un calendrier qui comprend des périodes moins actives que d'autres, lorsqu'il n'y a pas d'élections générales. Il y a cependant tout le temps des élections partielles ; par ailleurs, le contrôle des finances des partis s'exerce tous les ans.

À l'heure actuelle, nous bénéficions de 34 permanents, renforcés, en période d'élections, par une vingtaine de collaborateurs contractuels - actuellement 24 - recrutés pour quelques mois. On compte une cohorte d'environ 180 à 200 rapporteurs, répartis dans toute la France, avec qui nous travaillons par voie d'intranet sécurisé.

Ces rapporteurs sont surtout des fonctionnaires et des magistrats principalement retraités ; en effet, il faut qu'ils soient suffisamment disponibles pendant la période durant laquelle la CNCCFP doit rendre ses décisions. Les retraités ont donc, à cet égard, une plus grande liberté d'action.

Je voudrais à présent apporter quelques indications sur le fonctionnement de la CNCCFP. En premier lieu, il convient de rappeler que les deux rôle de la CNCCFP sont très différents et impliquent des modalités d'intervention assez différentes.

Tout d'abord, la loi du 11 mars 1988 a instauré, à l'égard des partis politiques, des règles censées être compatibles avec la liberté de constitution et d'activité des partis. Elle limitait leurs obligations à un certain nombre de règles comptables, à savoir l'obligation de déposer chaque année au 30 juin les comptes de l'année précédente certifiés par deux commissaires aux comptes, obligation assortie d'un certain nombre de règles, comme la désignation obligatoire d'un mandataire financier pour recueillir des dons, le plafonnement des dons, la limitation puis l'interdiction totale, en 1995, des dons de personnes morales. En contrepartie, l'État accordait, en fonction des résultats électoraux, une aide financière directe aux partis représentés au Parlement ou ayant présenté un nombre suffisant de candidats aux élections législatives.

La loi du 15 janvier 1990 créant la CNCCFP, a rendue celle-ci destinataire des comptes des partis en la chargeant de vérifier le respect par ceux-ci de leurs obligations comptables, et l'a également chargée de publier annuellement leurs comptes, comportant les observations des commissaires aux comptes ou leurs réserves, et ses propres observations.

Ce n'est donc pas un contrôle au sens plein du terme, mais plutôt une surveillance, limitée à certains aspects. Pour autant, ce n'est pas un rôle purement formel, puisque des sanctions sont prévues lorsque le parti ne remplit pas ses obligations comptables. S'il la recevait déjà, il perd l'aide publique jusqu'à nouvel ordre, et ne peut plus participer financièrement à une campagne. En outre, depuis la loi du 11octobre 2013, les dons des particuliers ne bénéficient plus d'avantage fiscal à partir de l'année suivante.

Les étapes suivantes de la législation ont maintenu ce système, mais la même loi d'octobre 2013 a plafonné les dons de personnes physiques à 7 500 euros par an pour tous les partis politiques, ce qui implique la mise en oeuvre par la CNCCFP d'un contrôle destiné à assurer le respect de ce plafond.

Quant au rôle de la CNCCFP à l'égard des candidats aux élections, il s'agit bien d'un véritable contrôle, organisé sur un principe déclaratif, et non sur un principe inquisitorial.

C'est un contrôle qui se veut exhaustif : il ne s'agit pas d'un contrôle par sondage, puisqu'il faut aboutir à définir éventuellement le remboursement par l'État, dès lors que le candidat aura obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés. C'est donc un contrôle complet de toutes les recettes et de toutes les dépenses déclarées dans le compte de campagne, qui doit être assuré par les rapporteurs, puis faire l'objet d'une décision par le collège de la CNCCFP.

Ces travaux débouchent soit sur une décision d'approbation pure et simple, soit sur une décision d'approbation avec réformation, en retranchant éventuellement du compte certaines dépenses considérées comme non électorales ou insuffisamment justifiées, soit, dans un petit nombre de cas, fort heureusement, le rejet du compte s'il ne répond pas aux caractéristiques imposées par le code électoral.

Il faut à cet égard souligner que la CNCCFP n'a aucun pouvoir de surveillance sur les activités de la campagne pendant celle-ci. Certes, nous jouons un rôle préventif en renseignant les candidats, à leur demande, sur leurs droits et devoirs, en éditant des informations sous forme de guide à leur intention et à l'intention de leurs mandataires, mais nous ne pouvons en aucune façon intervenir dans le courant de la campagne sous forme d'injonctions ou d'observations.

Nous pouvons seulement suivre, avec les moyens qui sont les nôtres - presse, sites internet - l'activité des candidats, sans pouvoir intervenir en rien dans leurs activités, car la loi ne nous en a pas donné le pouvoir.

Enfin, il faut rappeler que ce contrôle est soumis à des voies de recours. J'ai déjà évoqué, à ce sujet, le rôle du juge d'élection et du juge de plein contentieux.

Je voudrais souligner quelques contraintes qui s'exercent sur le fonctionnement de la CNCCFP. C'est tout d'abord un cadre juridique assez complexe et évolutif. Complexe, parce que le code électoral est, dans certains cas, extrêmement précis et exigeant à l'égard des candidats et de la CNCCFP. Dans d'autres domaines, il demeure bien plus flou. Il n'y a par exemple pas de véritable définition de la dépense électorale. En fait, c'est la jurisprudence du Conseil d'État et celle du Conseil constitutionnel et sous leur contrôle, la CNCCFP, qui ont dû préciser cette notion.

De plus, la CNCCFP a vu ses compétences s'élargir aux opérations financières du référendum de 2005 sur le traité relatif à l'Union européenne. Le Conseil constitutionnel a ensuite transmis à la CNCCFP, par la voie de la loi, sa compétence à l'égard des comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle, sous réserve d'un recours de plein contentieux devant lui.

Enfin, la loi de 2011 soumet désormais les élections des sénateurs à la législation sur les comptes de campagne, ce qui s'est produit pour la première fois en 2014.

Les élections départementales ont par ailleurs été profondément modifiées ; c'est maintenant la totalité des 2 050 cantons, au lieu des 1 200 auparavant qui sont soumis à la législation des comptes de campagne.

Mais cette législation comporte encore des lacunes, et l'on voit apparaître des domaines nouveaux, où la réglementation est soit absente, soit insuffisante. J'en citerai deux. Il s'agit tout d'abord du problème des dépenses occasionnées par l'organisation de primaires ouvertes par les partis, le code électoral ne comprenant aucune disposition à cet égard. La CNNCFP a eu l'occasion, dans son rapport d'activité, de souligner cette lacune et les difficultés qui pouvaient en découler.

Elle a également mis le doigt sur les grandes difficultés d'application des dispositions que la loi avait prévues pour les comptes de campagne des candidats à l'élection des députés élus par les Français de l'étranger. C'est un domaine où il serait nécessaire de revoir les dispositions actuelles.

D'ailleurs, l'expérience et les constats de la CNCCFP l'ont conduite à formuler des propositions sur lesquelles je pourrais revenir.

Quelques mots encore sur les moyens de la CNCCFP. Son budget est de l'ordre de 6 millions d'euros, avec une difficulté de gestion qui tient à ce qu'il existe un décalage entre les opérations électorales et nos opérations de contrôle. L'activité des rapporteurs chevauche notamment deux années, si bien que nous ne pouvons pas toujours, l'année de l'élection, utiliser la totalité des crédits qui nous sont alloués à cet égard.

Par ailleurs, il s'agit bien entendu de contrôles de masse. Je rappelle que pour les élections législatives de 2012, nous avions dû contrôler 4 382 comptes pour 6 600 candidats, la loi exonérant maintenant du dépôt d'un compte les candidats n'ayant pas obtenu 1 % des suffrages exprimés et n'ayant pas perçu de dons. Lors des municipales de 2014, nous avions contrôlé 4 748 comptes et pour les élections départementales de 2015, nous sommes en train de contrôler 9 097 comptes de binômes de candidats, avant la date limite de fin novembre prochain.

Nos décisions aboutissent également à des remboursements dont le montant global est considérable, puisqu'il atteint 65 millions d'euros pour les élections législatives, entre 45 millions d'euros et 50 millions d'euros pour les élections municipales, et une quarantaine de millions d'euros pour l'élection présidentielle.

Au total, depuis sa création, la CNCCFP a contrôlé environ 110 000 comptes de campagne et a distribué environ 350 millions d'euros.

S'y ajoutent également des contraintes de délais, que vous avez rappelées : deux mois lorsqu'il y a un contentieux électoral, le juge de l'élection étant tenu d'attendre nos décisions avant de se prononcer, et six mois pour les autres. Si ces six mois se trouvaient dépassés sans qu'un compte ait pu être examiné, il serait réputé approuvé, ce qui est évidemment une conséquence fâcheuse, car il peut recéler des irrégularités. La CNCCFP, jusqu'à présent, toutes ces dernières années, s'est donné les moyens de n'approuver aucun compte par prétérition.

S'ajoute également notre activité sur les comptes des partis, qui se déroule surtout entre juin et novembre, lors de leur dépôt. C'est également un contrôle de masse, plus de 400 partis étant tenus de déposer leurs comptes. Chaque année, cinquante à soixante « petits » partis qui n'ont été créés que pour l'occasion d'une élection ne déposent même pas leurs comptes : ce sont des partis qui disparaissent à peu près aussi rapidement qu'ils ont été créés - mais c'est une conséquence de la liberté constitutionnelle que je rappelais tout à l'heure.

Enfin, je signale quelques aspects nouveaux des campagnes électorales. Tout d'abord, les contentieux sont très fréquents pour certaines élections. Ainsi, presque une municipalité sur quatre a fait l'objet d'un contentieux électoral en 2014, ce qui nous oblige à juger les comptes dans les deux mois.

Nous constatons également une certaine augmentation du nombre des dénonciations, soit en parallèle avec un contentieux électoral, soit indépendamment de tout contentieux. Pour nous, ces dénonciations sont de simples éléments d'information. Il n'est pas question de les prendre telles qu'elles sont formulées, mais elles conduisent nos rapporteurs à poser des questions supplémentaires même si, la plupart du temps - fort heureusement - ceci aboutit à démontrer que ces dénonciations ne sont pas fondées, soit que les dépenses incriminées figurent bien dans les comptes de campagnes, soit que les dénonciateurs n'apportent aucun élément tangible à l'appui de leurs affirmations.

Une autre tendance récente consiste en la mutualisation croissante des dépenses entre candidats d'un même parti, ce qui nous oblige, notamment pour des élections sur de vastes circonscriptions, comme les élections européennes ou régionales, à adapter nos méthodes de contrôle et à préférer des contrôles horizontaux entre candidats d'un même parti, plutôt que sur un simple découpage géographique.

Je voudrais, pour conclure, évoquer quelques perspectives.

Tout d'abord, des aménagements nous paraissent encore nécessaires quant au droit applicable, même s'il existe un souhait de la part des candidats et des partis d'une certaine stabilité, à la fois dans les règles et dans la manière dont la jurisprudence les applique.

Je ne citerai qu'un exemple. Nous souhaitons fermement que la loi nous autorise à avoir accès aux comptes des partis politiques, non pas après le dépôt de leurs comptes, mais en temps réel, l'année électorale, pour vérifier dans les comptes des partis, avec l'appui des commissaires aux comptes, les dépenses que les partis ont exactement avancé en faveur de leurs candidats, et qui se retrouvent - ou qui, parfois, ne se retrouvent malheureusement pas - dans les comptes de campagne des candidats.

La CNCCFP a elle-même bien conscience de devoir s'adapter ; tout d'abord, elle doit peut-être perfectionner encore ses règles déontologiques. Les membres de la CNCCFP sont naturellement astreints, comme tous ceux des autorités administratives indépendantes, à déclarer leurs intérêts et leur patrimoine auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Nous sommes également concernés par les nouvelles règles sur les conflits d'intérêts, et je veille personnellement à ce que les membres de la CNCCFP qui pourraient avoir un intérêt vis-à-vis d''un candidat se déportent lorsque le compte de ce candidat vient à être examiné.

Nous songeons également à établir un règlement intérieur pour permettre une avancée sur tous ces sujets.

Nous devons aussi faire face à des défis nouveaux, dont le principal est l'objectif de dématérialisation. L'ère du numérique a déjà largement pénétré la CNCCFP, et nous bénéficions d'un système informatique très sophistiqué assez coûteux, car nous utilisons un progiciel de contrôle des comptes très complexe. Nous pensons qu'il faudra aller vers une dématérialisation d'abord des comptes des partis. C'est sans doute la chose la moins difficile ; elle est déjà en cours avec certains partis, notamment pour l'examen de leurs cotisations et de leurs dons émanant de personnes physiques. Il faudra en venir un jour à la dématérialisation des comptes de campagne et de leurs pièces justificatives, ce qui constitue un gros chantier, qui mettra plusieurs années avant d'aboutir, et qui nécessitera sans doute des moyens supplémentaires.

Enfin, la composition de la CNCCFP est de neuf membres, ainsi que vous l'avez rappelé. Nous sommes astreints par l'ordonnance de juillet 2015 à respecter la parité. Il faut cinq hommes et quatre femmes ou l'inverse, ce qui est actuellement le cas. C'est une contrainte pour les autorités de nomination, d'autant que, dans les hauts grades des juridictions, le nombre de femmes, compte tenu de l'histoire, est encore nettement inférieur à celui des hommes.

De ce point de vue, j'avais exprimé le souhait, en début d'année, lorsque j'ai été interrogé par le Gouvernement, que l'effectif global de la CNCCFP puisse éventuellement être augmenté jusqu'à douze membres, ce qui simplifierait largement la question de la parité, chaque autorité pouvant alors désigner deux hommes et deux femmes alors qu'actuellement c'est un système assez complexe de tirage au sort des trois institutions, afin de respecter la loi.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Monsieur le président, considérez-vous que la CNCCFP possède toutes les caractéristiques d'une autorité administrative indépendante ?

M. François Logerot. - J'ai essayé de répondre à cette question dès le début de mon intervention. Je crois que la CNCCFP est bien une autorité puisqu'elle prend des décisions ; elle est administrative, ses décisions se plaçant sous le contrôle des juges ; pour ce qui est de l'indépendance, celle-ci est garantie par les conditions mêmes de sa composition, et le fait qu'elle élise son président - ce qui n'est pas la règle la plus habituelle des autorités administratives indépendantes, sauf de la CNIL. Durant ses vingt-quatre années d'existence, je crois pouvoir dire que l'indépendance la CNCCFP n'a jamais été sérieusement mise en cause, pas même à l'occasion des décisions les plus délicates qu'elle a pu prendre.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous estimez que le fait que vous soyez élu par un collège constitue un gage d'indépendance. Ne pensez-vous pas qu'une nomination selon la procédure de l'article 13 de la Constitution serait une meilleure solution ?

M. François Logerot. - Ce n'est certainement pas à exclure. Si le législateur estime que la désignation par le Président de République, après avis des commissions des lois des deux assemblées, est préférable, je crois que rien ne s'y opposerait.

Toutefois, sans vouloir me mettre à leur place, certains parlementaires pourraient éprouver quelques réticences à désigner la personne pressentie ou à formuler un avis la concernant alors que celle-ci va présider aux discussions sur leurs comptes de campagne ou, éventuellement, concernant les partis auxquelles ils sont rattachés.

C'est au législateur de prendre la meilleure décision.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les collèges ou les présidents de nombre d'autorités administratives indépendantes sont élus pour cinq ou six ans et ne sont pas renouvelables.

Vous êtes président depuis 2005 ; vous avez été à nouveau élu pour cinq ans en 2015. Cependant, d'une manière générale, considérez-vous que ce soit une bonne solution pour les autorités administratives indépendantes ?

M. François Logerot. - Dans une commission comme la nôtre, le fait que le mandat soit renouvelable peut constituer un avantage pour la continuité et l'homogénéité des décisions. Une autorité comme la CNCCFP doit en effet bénéficier d'une mémoire dans le temps et dans l'espace. Il faut que nous apportions une certaine sécurité aux candidats, même si la jurisprudence ou la loi peuvent changer. De ce point de vue, le fait que la CNCCFP bénéficie d'une mémoire à travers ses membres est très important.

Cela étant, je conçois parfaitement qu'un mandat renouvelable sans limitation puisse être anormal, et je trouverais approprié que l'on décide qu'un mandat n'est pas renouvelable, à condition de pouvoir soit le prolonger quelque peu, jusqu'à six ans par exemple, comme c'est souvent le cas, notamment pour la HATVP, soit de limiter le renouvellement du mandat à une fois. Cela ne me choquerait nullement- même si je constitue l'exception à cette règle.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Comment choisissez-vous les partis ou groupements politiques dont vous contrôlez les comptes ? Pratiquez-vous un contrôle par sondage, un contrôle aléatoire, ou est-ce systématique ?

M. François Logerot. - Contrairement à ce que pensent beaucoup de médias, nous ne vérifions pas les comptes des partis politiques. Ce sont les commissaires aux comptes qui s'en chargent, dans le cadre de leurs obligations professionnelles, de façon il est vrai quelque peu décalée par rapport à ce qu'elles font pour les entreprises. Se poser par exemple la question de la continuité de l'activité pour un parti politique n'a pas le même sens que pour une entreprise...

Cette vérification de premier degré est fondamentale. C'est le commissaire aux comptes qui, d'après les investigations qu'il a pu conduire en cours d'exercice, ou au moment du dépôt des comptes, est capable de dire qu'il n'existe pas de financements irréguliers dans les comptes du parti. Nous n'avons, quant à nous, aucun moyen de nous en rendre compte directement.

Nos contrôles portent sur les comptes tels qu'ils sont certifiés par les commissaires aux comptes, car ceux-ci font soit des réserves, soit des observations. Nous apportons des observations sur des points que les commissaires aux comptes n'ont pu vérifier.

Les commissaires aux comptes ne peuvent pas, par exemple, valablement vérifier les mouvements financiers entre partis politiques : ils sont en effet commissaires aux comptes d'un parti, mais ne savent pas ce qui se passe dans un autre parti, alors que nous établissons, pour notre part, des comparaisons et nous assurons que les sorties que nous trouvons dans les comptes d'un parti politique vers un autre parti politique correspondent bien aux entrées qui figurent dans les comptes de cet autre parti. Ce n'est d'ailleurs pas toujours le cas, du fait notamment de certains chevauchements d'exercices.

Par ailleurs, la loi nous donnant à présent le droit de demander toutes les pièces comptables nécessaires à l'exercice de ce contrôle - existence du mandataire financier, bon exercice de son office, limitation des dons - nous sommes conduits à demander des pièces comptables. Depuis l'exercice 2013, nous nous sommes notamment efforcés de demander des précisions sur les engagements financiers des partis. C'est en effet une zone où les informations données dans les comptes sont tout à fait insuffisantes.

Nous allons, à partir de cette année, demander systématiquement des précisions à tous les partis sur leurs engagements financiers, les conditions de ces engagements, et également sur les critères permettant de dire que, sous couvert de prêts, il n'existe pas de dons camouflés, qui tomberaient sous le coup de l'interdiction posée par la loi.

Cela étant, notre contrôle comporte certaines limitations. Nous avons, par exemple, été désavoués par le Conseil d'État l'année où nous avions, pour un très « petit » parti, constaté que le tiers environ de ses dépenses n'était pas appuyé de pièces justificatives durant trois exercices consécutifs, ainsi que l'avaient souligné les commissaires aux comptes. Nous avions estimé que ce parti n'avait pas correctement répondu à ses obligations, ses opérations n'étant pas toutes appuyées par des justifications suffisantes. Le Conseil d'État a fait valoir que nous n'avions pas le droit de dire que ce parti avait méconnu ses obligations comptables, celui-ci ayant déposé ses comptes et obtenu une certification comptable, même avec réserves.

Pour répondre à votre question, il ne s'agit pas de sondages. Les quelque 360 comptes que nous recevons sont tous examinés. Durant cette période de quelques mois, nous renforçons le pôle consacré aux partis politiques avec deux contractuels, afin de pouvoir exercer ce contrôle dans un délai assez court : dès la fin octobre, nous devons en effet informer le Gouvernement du cas des partis recevant l'aide publique qui n'auraient pas respecté leurs obligations comptables - et il arrive qu'il y en ait deux ou trois par an sur les quarante environ qui perçoivent cette aide. Ils sont alors exclus de la liste des partis qui la recevront l'année suivante.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - La question des moyens humains ne vous a-t-elle pas entraîné à privilégier le contrôle des comptes de campagne par rapport au contrôle du financement des partis politiques ?

M. François Logerot. - C'est la constatation du fait que la charge des comptes de campagne est, dans les circonstances actuelles, nettement plus lourde que celle du contrôle des comptes des partis.

Si, comme nous l'espérons, le législateur nous donne le droit d'enquêter sur les comptes des partis pendant la période d'examen des comptes de campagne, il est certain qu'il faudra que le pôle des partis politiques soit mieux outillé pour répondre aux demandes des rapporteurs.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Selon vos réponses précises aux questions que nous vous avons posées par écrit, on constate peu d'évolutions dans le nombre des agents employés à temps plein, quelles que soient les années, ce qui est logique. On compte par ailleurs peu d'emplois contractuels. Les différences fondamentales doivent donc venir du nombre de rapporteurs. Certaines années ne connaissent aucune élection...

M. François Logerot. - C'est exact, mais lorsque c'est le cas, nous contrôlons encore, au moins pendant les premiers mois, les comptes des élections de l'année précédente. Ainsi, en 2015, le contrôle des élections européennes et des élections sénatoriales s'est poursuivi jusqu'au mois d'avril. En 2013, année sans élections générales, le contrôle des élections législatives s'était poursuivi jusqu'à la fin du mois de février.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Mais entre fin février et le 31 décembre 2013, il y a dix mois !

M. François Logerot. - D'autres tâches nous attendent : tout d'abord, il y a entre dix et trente élections partielles chaque année.

Il nous faut ensuite, pendant ce temps, mettre à jour le guide du candidat. La législation et la jurisprudence évoluent ; nous devons également préparer les élections suivantes, répondre à beaucoup de questions, et recruter des rapporteurs. Sur un contingent de 150 à 200, chaque année, 20 ou 30 rapporteurs nous abandonnent. Ce sont 20 ou 30 remplaçants qu'il faut donc recruter et former, en les faisant bénéficier de sessions de formation.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je n'en disconviens pas, mais enfin, je ne sais si quelques élections partielles, les évolutions à apporter au guide du candidat et la préparation des élections suivantes suffisent à occuper dix mois pleins ! Nous sommes tous soucieux du bon usage des deniers publics : c'est donc une question qui m'apparaissait légitime.

Comment recrutez-vous les collaborateurs occasionnels de la CNCCFP pour analyser les comptes de campagne ?

M. François Logerot. - Il existe deux catégories de collaborateurs occasionnels : on trouve tout d'abord des contractuels, que nous recrutons pour quelques mois pour la période de contrôle des comptes. Ainsi, chaque chargé de mission du pôle « élections » - ils sont huit - est doublé d'un adjoint.

Notre vivier est constitué d'étudiants de master 2, que leurs études occupent encore, mais qui disposent d'un temps suffisant pour apporter leur concours. Pour eux, c'est également une bonne formation, notamment pour ceux qui préparent le diplôme d'administrateur d'élections, un doctorat de droit public ou qui envisagent de se présenter à un concours de la fonction publique.

La seconde catégorie de rapporteurs est constituée de nos rapporteurs occasionnels, qui sont très nombreux. Nous avons quelques filières : certains corps de fonctionnaires ou de magistrats sont plus représentés que d'autres, comme les fonctionnaires des finances, d'anciens magistrats de chambre régionale des comptes. C'est un peu grâce à ce canal que nous parvenons à recruter des rapporteurs supplémentaires, mais c'est une tâche difficile, qui occupe beaucoup le secrétaire général, d'autant qu'on ne peut imposer à ces rapporteurs occasionnels un nombre minimum de comptes. Certains, qui ont d'autres activités - voire des problèmes de santé - ne se chargent pas de plus de trois ou quatre circonscriptions. Nous cherchons donc à optimiser leur activité par rapport à nos besoins.

Je suis très sensible à vos remarques sur le caractère cyclique de nos activités, mais je ne conçois pas que l'on puisse exercer les missions qui sont les nôtres sans avoir un minimum de permanents. Or, le chiffre de 34 permanents comptabilise le dernier des agents du bureau d'ordre jusqu'au secrétaire général. Ceux qui sont vraiment impliqués dans les contrôles eux-mêmes parmi les permanents sont au nombre d'une quinzaine de personnes, pas plus. Je ne pense donc pas que ce soit, pour la collectivité publique, une charge excessive.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Votre réponse m'a intrigué : on constate qu'en 2010, 2011, 2012, 2013, le total des permanents et des vacataires est resté totalement stable. Cela a peu évolué par la suite. On en conclut donc que le recrutement de collaborateurs non permanents chargés de mission de contrôle constitue votre volant de fonctionnement. Selon vos tableaux, vous êtes en général entre 51 et 58 personnes, quelles que soient les années...

M. François Logerot. - Parmi les tâches nouvelles que nous assumons depuis quelques années figure la communication des documents.

La loi du 17 juillet 1978 impose à la CNCCFP, de par sa nature administrative, de tenir à la disposition de tout citoyen tous les documents qu'elle reçoit et tous les documents qu'elle produit.

La communication de nos décisions, une fois les délais juridictionnels passés, ne posent pas de problèmes - sauf à vérifier qu'il n'existe pas de données d'ordre personnel qui devraient être anonymisées dans les décisions, ce qui est quelquefois le cas.

S'agissant des comptes de campagne, et, depuis cette année, des procédures contradictoires conduites avec les candidats, le Conseil d'État ayant estimé que ces procédures recelaient également des documents administratifs communicables, alors que la position de la CNCCFP était au départ différente, c'est une tâche considérable.

Depuis le 1er janvier, nous en sommes à 300 demandes de communication de comptes, à 100 demandes de communication de décisions et à 70 demandes de communication de comptes de partis politiques. Ce sont les communications de comptes de campagne qui posent le plus de problèmes.

Un compte de candidat, au deuxième tour de l'élection présidentielle, représente trente à quarante gros cartons de pièces, qu'il faut regarder une par une, pour vérifier s'il y a lieu d'anonymiser les noms, les lieux, les adresses et les numéros des comptes qui y figurent.

Ainsi, lorsqu'un parti effectue des remboursements de frais à 200 ou 300 militants, tous les ordres de paiement et toutes les pièces justificatives de transport de ces militants doivent être anonymisés. Cinq ou six rapporteurs ne font que cela durant toute l'année ! 1 500 heures de rapporteurs ont déjà été consacrées au "blancottage" des comptes de campagne.

La pièce originale doit être conservée dans son état, surtout si elle fait ensuite l'objet d'une saisie par la brigade financière, ce qui peut arriver, ou qu'il faut la produire dans le cadre d'un contentieux. Nous réalisons une copie de la pièce originale qui est anonymisée. Nous faisons une seconde copie, que nous remettons à la personne qui a demandé la communication du compte.

C'est un rôle extrêmement lourd, qui n'existait qu'à titre anecdotique il y a encore sept ou huit ans. À la suite d'un certain nombre de phénomènes - médiatisation, actualité politique, notamment du fait du rejet du compte de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 - il a pris une extension considérable. Deux ou trois fois par semaine, nos locaux reçoivent la visite d'un journaliste, d'un avocat ou d'un simple citoyen, qui viennent consulter un compte de campagne. C'est là une charge nouvelle qui s'impose à nous.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'est la conséquence de l'avis de la Commission d'accès aux documents administratifs du 23 février 2012 et de l'arrêt du Conseil du Conseil d'État du 27 mars 2015.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Combien de temps conservez-vous les comptes de campagne ?

M. François Logerot. - Nous les conservons trois ans. S'agissant des comptes de l'élection présidentielle, nous avons décidé de les garder un peu plus longtemps, compte tenu notamment de la grande demande de communication, et ceci pour une raison conjoncturelle, mais très importante. En effet, le bâtiment des archives nationales de Fontainebleau, où sont regroupées toutes les archives anciennes de la CNCCFP, est actuellement frappé d'interdiction d'accès. Même les agents des archives nationales n'ont pas le droit d'y accéder, à cause d'effondrements et de dégâts survenus dans la structure du bâtiment. Personnes ne peut y accéder, et nous n'avons pu communiquer certains comptes assez anciens, de 2007 et 2008, pour cette raison.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'est une bonne réponse aux obligations à satisfaire vis-à-vis de la CADA et du Conseil d'État ! C'est d'une efficacité redoutable, même si ce n'était pas prémédité !

Vous avez évoqué les élections présidentielles. Ce qui choque nombre de nos concitoyens et d'élus, c'est la différence de traitement entre un candidat à l'élection présidentielle dont les comptes sont rejetés sans invalidation, et un conseiller départemental ou municipal de base. Quel est votre avis à ce sujet ?

M. François Logerot. - L'élection du Président de la République est régie par une loi organique sui generis qui n'a pas prévu d'autres sanctions que le non-remboursement éventuel des dépenses de campagne. C'est le législateur qui l'a établi et non la CNCCFP.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. -  Avez-vous eu connaissance de cas d'erreur d'expert-comptable ? Certains experts-comptables qui certifient les comptes voient leur responsabilité éventuellement engagée, mais il ne se passe rien par rapport à l'élection. Avez-vous des relations avec les experts-comptables ?

M. François Logerot. - Nous avons bien entendu des relations organisées avec la profession, ne serait-ce que parce que le cadre des comptes, soit celui du parti, soit des comptes de campagne, est établi en accord avec la profession.

D'ailleurs, nous entamons actuellement des discussions pour améliorer la présentation des comptes des partis, car nous constatons que leurs annexes ne sont pas suffisamment explicites, ni complètes ; elles ne renseignent pas exactement sur les moyens que les partis mettent à la disposition de leur candidat. Il existe en effet plusieurs entrées possibles dans les comptes, et il n'y a pas de regroupement de l'ensemble de ces participations ; par ailleurs, on ne trouve actuellement, ainsi que je l'ai déjà expliqué, aucun détail sur les engagements financiers des partis, ce qui paraît important du point de vue de l'information de l'opinion.

S'agissant des comptes de campagne, il faut bien voir que le rôle des experts-comptables n'est en aucune façon de certifier lesdits comptes. La loi oblige à la présentation du compte à la CNCCFP. Ce qui a été heureusement défini par la loi en 2011 consiste à mettre le compte en état d'examen, c'est-à-dire s'assurer, par exemple, qu'il n'existe pas d'erreurs arithmétiques. C'est tout à fait banal, mais c'est la première vérification possible. Il convient également de s'assurer que les imputations comptables sont correctes, que les pièces financières - relevés bancaires ou comptes du mandataire - sont présentées convenablement, ainsi que de la présence des pièces justificatives, et non de leur contenu. Tout le monde sait que les experts-comptables n'ont aucun pouvoir de contrôle sur la gestion. C'est simplement une question de présentation du compte. Le candidat est responsable du compte : c'est lui qui le signe, qui le certifie exact et véritable, et non l'expert.

Bien entendu, la justice pourrait mettre en cause un expert-comptable convaincu par une enquête d'avoir procédé avec le candidat à un certain nombre de maquillages de factures, mais la responsabilité première du compte relève du candidat.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Oui, l'expert-comptable a un rôle très formel et rarement de conseil en la matière. Vous avez expliqué qu'il n'était guère facile de trouver des collaborateurs occasionnels mais on en compte un nombre conséquent. Comment faites-vous pour avoir une unité dans le traitement des dossiers ? On peut penser qu'en fonction du rapporteur, l'appréciation des comptes peut être traitée différemment.

M. François Logerot. - Premièrement, nous diffusons, à l'égard des rapporteurs, un certain nombre de directives précises. Il existe tout d'abord un guide du rapporteur, qui est un document volumineux en permanence mis à jour. Il rappelle toutes les vérifications auxquelles il faut procéder, et les interprétations qu'il faut donner aux réponses reçues.

Par ailleurs, à chaque élection, nous diffusons des consignes à tous les rapporteurs lorsque nous constatons un problème nouveau parmi certaines catégories de candidats, par exemple ceux appartenant à un même parti.

Bien évidemment, personne n'étant parfait, il arrive que certains rapporteurs ne suivent pas les consignes en totalité. Il arrive au contraire que certains autres aillent quelque peu au-delà des consignes, mais les permanents de la CNCCFP, qui retrouvent là leur justification essentielle, jouent un rôle de second degré par rapport au rapporteur.

Tout d'abord, les lettres adressées par les rapporteurs aux candidats dans le cadre de la procédure contradictoire partent de la CNCCFP, sous le regard des chargés de mission permanents. Lorsque le dossier revient avec le rapport, les réponses des candidats et les propositions du rapporteur, le chargé de mission réexamine entièrement le dossier.

Il arrive, de façon variable suivant les élections, dans un cas sur sept ou huit, que le chargé de mission procède à une seconde procédure contradictoire. Cela présente certains inconvénients, quelques candidats pouvant croire le problème réglé ayant répondu une première fois. Or, le rapporteur peut oublier, sur un point important, de formuler une observation ou de demander un document. Cette seconde instruction vient donc compléter et éventuellement rectifier celle du rapporteur.

Enfin, comme dans tout organisme de ce genre, le rapporteur propose et la CNCCFP dispose.

Les rapports sont centralisés entre les mains d'un des rapporteurs généraux membres de la CNCCFP ; seul le président est exonéré de cette fonction ; même le vice-président est responsable d'une filière, comme les autres membres de la CNCCFP. C'est le rapporteur général qui présente les rapports à la commission, assortis de ses propres observations. Il arrive assez fréquemment que le rapporteur général, éclairé par la note de synthèse établie par le chargé de mission, s'écarte des propositions du rapporteur. Si le rapporteur propose un rejet, le rapporteur général peut estimer que l'irrégularité est d'un montant trop faible pour le justifier.

Si le candidat a par exemple accepté un don de 50 euros ou de 100 euros d'une personne morale, comme cela arrive souvent, on ne va pas rejeter le compte pour si peu, d'autant que la CNCCFP dispose depuis trois ans d'un pouvoir de modulation. Elle peut ne pas retenir l'irrégularité justifiant en principe le rejet, mais lui substituer une diminution du remboursement, sous le contrôle du juge.

C'est à partir de la proposition finale du rapporteur général que la CNCCFP prend sa délibération ; il arrive aussi que la CNCCFP ne soit pas unanime, et que l'on soit obligé de voter. Nous apportons donc des garanties aux candidats au-delà de l'activité du rapporteur qui peut, dans certains cas, être soit un peu trop zélé, ou dont le rapport peut au contraire contenir des lacunes.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous disposez donc d'une jurisprudence...

M. François Logerot. - En effet.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Tout n'est donc pas prévu dans la loi, ni dans le règlement.

M. François Logerot. - Il y a la loi, il y a la jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel, qui s'impose évidemment à nous.

Je donnerai un simple exemple : durant des années, la CNCCFP a refusé de rembourser les achats d'objets promotionnels, comme les t-shirts, les casquettes, les stylos portant le nom du candidat. En effet, ces objets sont souvent distribués à des non-électeurs, c'est-à-dire aux enfants des électeurs.

Plus sérieusement, nous considérions que ces distributions, pour sympathiques qu'elles soient, n'alimentaient pas le débat électoral. Cela nous faisait douter de la nature même des dépenses en vue du suffrage des électeurs. Le Conseil d'État nous a donné tort, indiquant qu'aucune disposition du code électoral ne permettait de refuser le remboursement dès lors que ces objets ont bien été achetés dans un but électoral visible - mention du nom du candidat, du slogan du candidat, etc. - et distribués. Nous nous sommes donc inclinés et nous les remboursons dorénavant.

Nous essayons de faire en sorte que notre doctrine soit la plus respectueuse possible de la loi et de la jurisprudence, mais nous sommes obligés de la façonner et de la perfectionner au fil des années, le code électoral étant loin de prévoir toutes les situations.

Par ailleurs, dans les décisions que nous prenons, qui engagent les finances publiques, nous avons également le souci de ne pas mettre à la charge du contribuable des dépenses qui n'ont pas lieu de l'être. Ainsi, nous refusons de rembourser un candidat qui a acheté un ordinateur huit jours avant l'élection, pour les besoins de la campagne, et qui en reporte la totalité du prix dans son compte de campagne. Nous procédons à une réformation de la dépense en ne conservant dans le compte que la valeur d'usage. Il ne reste donc pas grand-chose d'un ordinateur d'une valeur de 1 000 euros, même si l'on s'en est servi une semaine, par rapport à ses trois ans d'existence potentielle, mais nous estimons que ce n'est pas aux contribuables de supporter le coût financier de l'opération.

M. Jean-Léonce Dupont. - Je suis très heureux d'entendre M. le président, avec qui j'ai eu la chance d'avoir un certain nombre d'échanges épistolaires.

J'ai été sensible à sa description de l'irrégularité des tâches ; il existe probablement des moments extraordinairement intenses et difficiles, et d'autres peut-être un peu moins tenus, comme l'a souligné le rapporteur.

Je suis notamment sensible à ce qu'a dit le président de la CNCCFP à propos de la nécessité de s'adapter, car j'ai pu constater, de temps à autre, un certain nombre de dysfonctionnements : pertes de courriers adressés avec accusé de réception, demandes de réponse à la suite d'interrogations de la CNCCFP, alors que le courrier parvient postérieurement au délai imparti, démultiplication de l'ensemble des lettres...

Le président de la CNCCFP l'a rappelé : la commission est là pour sécuriser l'élu contrôlé. Or, ce n'est pas forcément le sentiment que l'on peut en avoir, je le dis calmement...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est pire qu'un contrôle fiscal !

M. Jean-Léonce Dupont. - Quant aux dénonciations, comment sont-elles traitées par le rapporteur ? Le président Logerot parlait d'un quart de dénonciations à la suite des élections municipales.

M. François Logerot. - Un dixième...

M. Jean-Léonce Dupont. - C'est déjà considérable !

Pourquoi le candidat ne peut-il connaître l'auteur de la dénonciation, dans la mesure où il lui revient de prouver qu'il n'a pas commis un acte frauduleux ? On sait qu'il existe quelques spécialistes de recours juridiques abusifs. Il ne serait pas totalement stupide de le vérifier.

Ce qui me frappe surtout, c'est le fait que les demandes émanant de la CNCCFP revêtent souvent une tonalité accusatoire. Je peux illustrer mon propos par des extraits de courriers : "En conséquence, le compte présenté ne comporte pas, comme l'exige la loi, et vraisemblablement pour un montant considérable, la totalité des dépenses relatives à l'élection. Il ne peut donc être considéré comme sincère." C'est bien là une affirmation qui constitue plutôt une accusation qu'une demande d'explications qui, au bout du compte, aboutira ou non à une prise de décision ! Je suis extrêmement impressionné par la tonalité de ces courriers.

Le président Logerot dit qu'il serait idéal, pour des raisons de parité, de porter à douze le nombre de personnalités désignées : cela ne résoudra pas le problème de parité, mais on pourrait y associer un collège de consommateurs, qui pourrait permettre de faire passer quelques messages sur la façon d'organiser les rapports des uns et des autres. Certains candidats ont la chance d'être extrêmement bien entourés juridiquement ; d'autres, qui se lancent dans un certain nombre d'élections, peuvent se retrouver quelque peu démunis et parfois assez déconcertés par la multiplicité des courriers recommandés qu'ils reçoivent.

Enfin, les missions attribuées aux personnes recrutées à titre temporaire tiennent-elles compte de leur origine géographique ? Ces personnes doivent-elles procéder à des déclarations d'intérêts, voire de patrimoine ? Peut-il y avoir déport ou non ? En effet, l'origine géographique pourrait présenter quelques difficultés entre les personnes en question et les élus contrôlés. S'agissant d'étudiants de master 2, la question mérite d'être posée.

Enfin, s'agissant des valeurs d'usage, je suis totalement sensible à ce qu'a dit le président : on ne va pas payer un ordinateur complet pour une utilisation extrêmement courte. Cela étant, peut-être faudrait-il établir des seuils. Le candidat ne peut pas utiliser un matériel qui provient d'une association, d'une entreprise, d'une organisation. Il faut donc que le matériel mis à sa disposition soit inattaquable. Je comprends qu'on ne puisse prendre intégralement en compte certaines dépenses, mais je me mets à la place des candidats, qui n'ont pas forcément une idée précise du calcul de cette valeur d'usage pour figurer dans les comptes soumis à vérification lorsqu'il s'agit d'un téléphone acheté 18 euros, ou d'une imprimante payée 37  !

Voilà quelques remarques directement tirées de l'expérience, ainsi que vous l'aurez compris.

M. François Logerot. - Je suis très sensible à votre observation concernant la tonalité des courriers qui sont adressés aux élus. J'ai déjà eu l'occasion - et je le ferai à nouveau - de donner des directives fermes aux rapporteurs sur ce point, car une chose est de faire une observation ou de demander une explication, une autre est de le faire sans les formes requises.

Je vous remercie de cette remarque, qui ne pourra que m'aider à obtenir des améliorations là où il faut. Cela dit, je souhaiterais que l'on ne généralise pas : certaines lettres sont forcément comminatoires ou imprudentes, en ce sens qu'elles donnent l'impression d'affirmer ce qui n'est pas encore prouvé. Vous dites qu'il appartient au candidat de prouver sa bonne foi. Non, c'est au dénonciateur, lorsqu'il y en a un, ou au requérant devant un contentieux d'apporter des éléments sérieux à l'appui de ses affirmations.

Si le rapporteur estime qu'il manque telle ou telle opération dans un compte de campagne, c'est parce qu'il détient déjà des éléments probants et sérieux, compte tenu des réponses qu'il apporte ou de la précision des éléments fournis par l'extérieur. S'il l'affirme sans avoir ces éléments, il est en tort, et je suis prêt à le reconnaître et à sanctionner ce genre de comportement.

J'ajoute qu'avec les filtres que j'ai évoqués tout à l'heure, ce genre de situation ne doit pas aboutir à des résultats trop dommageables pour le candidat. Si jamais, par extraordinaire, malgré ces filtres et malgré le caractère collégial de la décision - car, avant de rejeter un compte, nous réfléchissons beaucoup - les choses ne se déroulaient pas comme elles le doivent, il existe des voies de recours, comme le recours gracieux, que nous accueillons dans la moitié des cas environ totalement ou en grande partie, ou le recours contentieux.

Il n'est évidemment pas souhaitable d'avoir des milliers de contentieux, mais je relève que les contentieux devant le tribunal administratif de Paris visant nos décisions de réformation se comptent sur les doigts d'une main à chaque élection, ce qui prouve qu'il n'existe pas tellement de décisions erronées.

Quant aux rejets, ils restent très limités, entre 2 % et 4 % suivant le type d'élection. Il s'agit d'un pourcentage très faible, d'autant que la plupart de ces rejets interviennent pour des raisons presque automatiques, la loi l'ayant imposé. Nous rejetons ainsi le compte déposé en retard parce que la loi le dit. Le Conseil d'État considère en outre que, hormis le cas de force majeure, nous n'avons pas à accorder de délai supplémentaire.

La loi impose également une présentation par un expert-comptable qui fait payer ses honoraires. Nous sommes d'ailleurs parfois choqués de voir des honoraires de plusieurs centaines d'euros pour un tout petit compte, qui comporte trois opérations, mais c'est la loi qui l'impose. La CNCCFP a proposé il y a longtemps déjà que les candidats qui n'obtiennent pas au moins 5 % des suffrages exprimés, et qui ne sont donc pas remboursables, ne soient pas astreints à l'obligation de faire présenter leur compte par un expert-comptable. Que le législateur prenne position sur cette proposition !

En ce qui concerne les dénonciations, il s'agit d'une question très délicate. Nos collègues originaires de la Cour de cassation nous ont fait des observations et ont inspiré l'attitude de la CNCCFP, considérant qu'il était légitime que le candidat demande l'identité du dénonciateur, mais qu'il était non moins indispensable que le dénonciateur soit averti de la possibilité de divulgation de son nom. Il arrive, à la suite de l'accusé de réception que nous lui adressons, que le dénonciateur retire son accusation, en ne souhaitant pas prendre de risques. C'est notamment le cas d'agents des collectivités territoriales, lorsqu'ils sont amenés à nous écrire pour dénoncer un élu, à juste titre ou non, le plus souvent sans que cela repose d'ailleurs sur un fondement réel. Nous indiquons au dénonciateur qu'en cas de contentieux, sa lettre figurant dans le dossier, son identité sera connue, les pièces étant à la disposition de l'élu ou de son avocat.

Nous ne pouvons négliger totalement les signalements que nous recevons, mais nous ne les considérons que comme des éléments d'information qui permettent de poser des questions au candidat, mais non d'affirmer péremptoirement la vérité des faits dénoncés. Les faits dénoncés s'avèrent de fait inconsistants ou non prouvés dans 85 % des cas. Dans d'autres cas, il existe une apparence que nous n'arrivons toutefois pas à prouver, faute d'éléments probants. Or, le doute doit bénéficier au candidat.

Enfin, s'agissant de la valeur d'usage, je conçois qu'une réformation de quelques dizaines d'euros puisse paraître pusillanime et dérisoire. Le problème des seuils est difficile. Cela étant, nous maintenons cette doctrine pour une raison de moralité publique. Ce ne sont pas quelques dizaines d'euros qui vont beaucoup entamer le remboursement qui est fait au candidat, mais cela sert à attirer son attention pour l'avenir. Or, il est parfaitement renseigné, grâce au guide du candidat qui figure sur notre site internet et qui est en tout cas très explicite à cet égard.

Certains chargés de mission passent par ailleurs leur journée à répondre au téléphone lors des périodes de préparation de campagne. M. le rapporteur disait que certains étaient peut-être désoeuvrés : ne le croyez pas ! Ils sont au contraire très occupés en période de campagne.

Nous maintenons cette jurisprudence jusqu'à ce que le juge nous dise le contraire, même si le problème pourrait se poser de savoir s'il ne faudrait pas fixer un seuil pour quelques dizaines d'euros.

M. Gérard Cornu. - Je peux vous certifier que, même s'il existe un bon guide du candidat, il est quand même très difficile de remplir les comptes de campagne. Or, on n'est pas toujours accompagné de notre mandataire financier, puisque nous sommes maintenant également tenus d'en établir. On peut parfois commettre des erreurs, une élection sénatoriale représentant beaucoup de déplacements.

Je voudrais connaître votre sentiment, compte tenu de votre grande expérience, sur le fait qu'il existe beaucoup de cas de jurisprudence. Ne pensez-vous pas que le législateur devrait la nettoyer ?

En second lieu, le législateur n'est-il pas allé trop loin dans les conséquences de l'invalidation des comptes de campagne en permettant l'inéligibilité ? Admettons qu'il n'y ait pas de remboursement mais il existe parfois des conséquences terribles, comme l'ont vécu certains de nos anciens collègues après les dernières élections sénatoriales. Ne pensez-vous pas, bien que le législateur l'ait voulu, que l'on est allé trop loin en voulant laver plus blanc que blanc ?

M. François Logerot. - Je crois que nous pouvons parfaitement accueillir votre observation. La loi devrait entériner la jurisprudence, lorsqu'il l'estime légitime et éventuellement la corriger dans d'autres cas.

La loi pourrait au moins, s'agissant de la définition de la dépense électorale, dire ce que disent le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel : la dépense électorale est celle qui est dirigée directement, explicitement, spécifiquement vers l'électeur.

Ce qui pose un grave problème, ce sont les dépenses internes de l'équipe de campagne. Il est certes légitime que le candidat réunisse son équipe de campagne, ses militants et ses sympathisants pour organiser la campagne, répartir les rôles, discuter des thèmes à développer ou de ceux sur lesquels, au contraire, il vaut mieux ne pas trop s'appesantir compte tenu du contexte électoral, etc.

Une chose est de se réunir ; une autre chose est d'en profiter pour organiser des agapes ! Nous éliminons donc fréquemment les dépenses de restauration de l'équipe de campagne. C'est une des causes de réformations les plus fréquentes qui existe.

Je pense que, sur ce terrain, la loi pourrait progresser dans la définition de la dépense électorale. Sur d'autres points, elle pourrait peut-être, si elle l'estime injustifiée, rectifier la jurisprudence. Cela étant, cette jurisprudence est aussi le fruit de l'expérience et d'un certain équilibre qui s'est créé au cours des années. Fort heureusement, celle du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État convergent presque totalement pour les élections législatives, sénatoriales et présidentielles.

C'est une question de choix politique, le plus souvent, qui ne dépend pas de la CNCCFP.

S'agissant de la question de l'inéligibilité, la loi de 2011 a rectifié largement ce régime. Autrefois, seule la bonne foi pouvait permettre au candidat d'échapper à l'inéligibilité en cas de rejet à bon droit de son compte de campagne, le juge de l'élection conservant la capacité de dire que la CNCCFP s'est trompée et a eu tort de rejeter le compte. Depuis 2011, le juge de l'élection est chargé de fixer lui-même le remboursement, sans le renvoyer à la CNCCFP.

La preuve est aujourd'hui renversée. Le juge doit acquérir la conviction qu'il s'agit d'une atteinte grave à un des principes fondamentaux du code électoral, ou qu'il existe une volonté de fraude. Il est assez difficile d'établir la volonté de fraude. L'apparence ne suffit pas. Il faut la démontrer. Nous constatons que l'inéligibilité, notamment pour les élections locales, est bien moins fréquemment prononcée qu'auparavant.

Dans 90 % des cas, le tribunal administratif considère que la CNCCFP a rejeté le compte à bon droit, mais dans un peu plus d'un tiers des cas, le juge administratif estime qu'il n'y a pas lieu à inéligibilité.

Par ailleurs, le fait d'avoir décidé que l'inéligibilité, si elle est prononcée, s'applique à toutes les élections me paraît être un argument de bon sens. Je ne vois pas comment l'on pourrait légitimement se présenter devant les électeurs comme député si l'on vient d'être invalidé en tant que maire, par exemple. Encore une fois, les décisions d'inéligibilité sont toutefois maintenant heureusement bien plus rares.

Vous évoquiez le cas des élections sénatoriales. Le Conseil constitutionnel a été saisi vingt-huit fois par la CNCCFP. Je ne parle pas ici des recours contre l'élection, mais des saisines de la CNCCFP. Dix-sept ont été rejetées, sept pour absence de dépôt et quatre pour dépassement des délais. Sur ces vingt-huit cas, le Conseil constitutionnel n'a prononcé que vingt décisions d'inéligibilité, et une seule concernant un sénateur élu.

Ceci prouve que le juge constitutionnel, qui est pourtant assez strict sur les questions d'inéligibilité, a bien enregistré la nouvelle loi.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il y a trois autres sénateurs qui ont été invalidés, monsieur le président.

M. François Logerot. - Je ne parle pas des recours en annulation déposés par des citoyens ou d'autres candidats, mais de l'invalidation qui a été prononcée à la suite de la saisine par la CNCCFP. Il n'y a qu'un seul cas pour dépenses directes1(*).

M. Jacques Mézard,  rapporteur. -  Non, c'est quatre sénateurs.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je confirme qu'il faut un certain temps pour s'adapter au style épistolaire de la CNCCFP.

Il me semble qu'une partie de ces difficultés, qu'on peut parfois considérer comme du "pinaillage", vient du fait que tous les gens qui vous écrivent ne savent certainement pas ce qu'est une élection, ni qu'ils fassent bien la différence entre une élection municipale ou législative en milieu urbain et une élection sénatoriale en milieu rural. Cela n'a pas grand-chose à voir du point de vue du type de dépenses ! Certains calages doivent être réalisés. Peut-être faudrait-il que vous réalisiez des vade-mecum selon le type d'élection ou de lieux, ce qui éviterait beaucoup d'échanges épistolaires.

Vous avez confirmé que vos sources d'information proviennent de ce que vous déclare généralement le candidat. Or, certains de nos collègues ont connu des problèmes pour avoir déclaré des dépenses qui n'étaient pas passées par le compte du mandataire financier, entraînant des complications.

Il est paradoxal que quelqu'un de bonne foi soit sanctionné parce qu'il a fait preuve d'honnêteté, alors que si certains problèmes peuvent se poser, notamment lors des élections sénatoriales, il existe peut-être une possibilité pour certains caciques locaux d'utiliser des moyens qui ne figurent pas dans le compte de campagne, mais qui sont réels.

Envisagez-vous donc une évolution de votre jurisprudence sur ce point, qui a soulevé certains problèmes ?

M. François Logerot. - C'est une question qui nous préoccupe en permanence.

Un mot sur ce que vous avez dit, qui relève du bon sens, sur les différences entre les terrains électoraux. Le problème vient du fait que le code électoral lui-même ne fait pas de différences, et que ses règles sont partout les mêmes, qu'il s'agisse du milieu urbain, où l'on constate moins de déplacements, ou de plus faible ampleur, mais où il faut beaucoup de bénévoles pour distribuer la propagande électorale, par exemple sur les marchés, et les terrains ruraux, où le candidat ou ses militants doivent se déplacer. C'est coûteux et il faut donc justifier ses frais kilométriques, ce qui est compliqué et quelque peu fastidieux.

À partir du moment où la loi ne fait pas de différences entre les situations, il nous est très difficile d'en faire, d'autant que notre connaissance du contexte local est très limitée. La France est extrêmement diverse, à tous égards. C'est la seule réflexion que je peux faire à ce sujet.

S'agissant des dépenses directes, il est bien évident que si l'on appliquait à la lettre la règle qui veut que seul le mandataire est qualifié pour engager une dépense, ce n'est pas 3 % de rejet que l'on aurait, mais 30 % ou 50 % !

Fort heureusement, la jurisprudence a fixé des limites. Il faut que le total des dépenses directes soit limité par rapport au montant global des dépenses, et négligeable - c'est l'expression du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel - par rapport au plafond des dépenses. Pour ce qui la concerne, la CNCCFP, qui le fait savoir dans son guide du candidat, se fixe autour de 10 % des dépenses et 3 % du plafond. Si l'un des deux plafonds est dépassé - par exemple 25 % des dépenses pour un « petit » compte, mais seulement 2 % du plafond - nous ne rejetons pas le compte de campagne systématiquement : nous regardons ce que sont ces dépenses. Si ce sont de menues dépenses, nous les acceptons.

Je précise que la CNCCFP est plutôt plus large que le juge lorsqu'il a à se prononcer sur ce sujet. Vous pouvez consulter, dans les commentaires du code électoral, les tableaux où figure toute la jurisprudence du Conseil d'État. Elle est souvent plus sévère que nous ne le sommes à propos des dépenses directes.

Voilà un sujet dont le législateur pourrait s'emparer. Cela ne me choquerait nullement, tout en posant la question du remboursement par le mandataire avant le dépôt du compte de campagne, à laquelle il faut tenir, que le législateur fixe un niveau plus élevé à ces pourcentages de dépenses directes. La CNCCFP appliquerait bien entendu la loi. Actuellement, la règle est sans doute excessive.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - On vient de parler des dépenses de restauration, des militants, etc. Si on ne déclare pas ces dépenses, on est également très critiquable. Les candidats ne cherchent pas à faire prendre en charge toutes leurs dépenses par le compte de campagne, au contraire. Certaines personnes craignent, si elles ne déclarent pas tout, de se faire rappeler à l'ordre.

C'est d'autant plus choquant qu'il existe un plafond. Pourquoi ne pas laisser le candidat décider de ce qui est pertinent ? Il peut décider de faire réaliser un objet publicitaire qu'il distribuera, ou trois documents de campagne, dans le respect du plafond.

Les candidats qui déposent un compte de campagne ne savent pas aujourd'hui ce qu'il faut faire. On déclare donc la totalité. J'en suis à ma quinzième élection, j'en parle donc en connaissance de cause. Personnellement, je ne fais pas réaliser la distribution de mes flyers et de mes documents de campagne par La Poste, je les fais distribuer par les militants. Bien évidemment, je les invite pour qu'ils se restaurent ! Il s'agit bien de dépenses. Je ne cherche pas à les faire payer par le compte de campagne, mais si je ne les déclare pas, je me mets en difficulté ! Comment voulez-vous avoir des factures qui sont réglées par le mandataire financier et ne pas les présenter au remboursement ? Il y a encore aujourd'hui bien des zones d'ombre.

Je vous rejoins lorsque vous dites que le législateur devrait s'emparer de tout cela et, au vu de ces difficultés, donner des précisions qui nous aideraient. Si l'on est aujourd'hui en difficulté, c'est peut-être parce que ces précisions n'existent pas.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il est nécessaire que le législateur intervienne à nouveau. Le procès d'intentions fait aux élus et aux élites est réel, comme Jean-Léonce Dupont l'a très justement relevé. On a besoin de candidats, que ceux-ci respectent la loi, mais non qu'ils vivent chaque élection comme un parcours d'obstacles administratifs. Or, c'est ce qu'ils ressentent depuis une série d'élections récentes.

La forme et les dysfonctionnements sont vécus de plus en plus difficilement par une majorité de candidats de toutes sensibilités, dont le but n'est pas de se faire rembourser leurs dépenses par la République, mais de vivre démocratiquement des périodes électorales. Or, tel n'est plus le cas, c'est aussi le rôle des parlementaires de vous le dire.

Vous affirmez - et vous avez raison - qu'il faut que le législateur prenne ses responsabilités, mais le fait de vilipender les élus, en particulier dans les médias, de leur appliquer des règles d'une complexité sans nom, est devenu insupportable.

Il est normal qu'il existe des plafonds, mais il faut un minimum de libertés. C'est de notre responsabilité, et je veillerai que des propositions soient faites en ce sens afin de promouvoir une certaine simplification. Vous nous dites que les deniers publics sont un sujet important, et qu'une valeur d'usage pour un téléphone portable de 18 euros constitue une question de principe. C'est entendu, mais aucune institution de la République ne devrait y échapper ! Ce n'est pas le cas...

Il faut que vous entendiez ce qui nous remonte de partout - élus, battus, sur tous les territoires. C'est pour beaucoup de la responsabilité des exécutifs qui, paniqués par certaines affaires qui n'honorent certes pas la République, je suis le premier à en convenir, proposent des textes dont l'application amène de la complexité et génère une suspicion inacceptable.

Ne pensez pas que nous fassions des déjeuners ou des dîners avec nos équipes de campagne pour le plaisir de manger aux frais de la République ! Si tel était le cas, ce serait une vision surréaliste ! Un contrôle des comptes de campagne est tout à fait normal mais compliquer les choses et suspecter tous les candidats d'utiliser les campagnes pour se mettre un peu d'argent dans la poche, c'est marcher sur la tête !

C'est de notre responsabilité, vous avez raison de le rappeler, et il est urgent de faire preuve de sagesse.

Par ailleurs, nous sommes nous aussi soucieux des deniers de la République. Or, j'ai relevé des dépenses de la CNCCFP relatives à des prestations externes qui ne sont pas neutres : 653 759 euros en 2012, 498 911 euros en 2014. Que représentent-elles ?

En outre, la CNCCFP octroie une prime annuelle à ses agents permanents qui est loin d'être négligeable, puisqu'elle est, pour 2014, de 22 151 euros.

Je sais qu'il existe un nouvel arrêté en matière indemnitaire, mais cela représente presque 2 000 euros par mois pour chacun d'eux !

M. François Logerot. - Je crains qu'il y ait un malentendu entre nous. Les 22 000 euros cités ici représentent la totalité de la prime de fin d'année que le décret me permet d'octroyer à l'ensemble des personnels.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je lis ici la réponse : cela m'étonnait...

M. François Logerot. - C'est le montant total des indemnités versées. Nous avons le droit d'aller jusqu'à 1 000 euros ; la plupart du temps, il s'agit de 500 euros ou de 800 euros par personne.

Sur le plan des avantages et des rémunérations, en conscience, je crois que la CNCCFP n'a vraiment rien à se reprocher.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous ne vous faisons pas de reproches, nous posons des questions.

M. François Logerot. - Je le dis avec force, sachant combien nous payons nos rapporteurs et combien sont indemnisés les rapporteurs généraux, qui passent des journées entières à préparer les séances de la CNCCFP. Je me permets de prendre ici leur défense, sans craindre d'être démenti par toute comparaison qui pourrait être faite.

Quant à votre réflexion d'ordre général sur le fait qu'il ne faut pas que les candidats vivent dans la pression permanente et l'inquiétude en se demandant ce qu'il est possible de faire ou non, je la partage. Je voudrais relativiser les choses : s'il existait un tel rejet parmi les candidats, nous recevrions des centaines de protestations. Or, je n'en reçois que quelques-unes à chaque fois, pas plus.

Je mène systématiquement une enquête pour savoir ce qui s'est passé, et je m'efforce de répondre. Ce qui plaide en notre faveur, ce sont les résultats finaux ! Dans le cas des dernières élections sénatoriales, 57 % des comptes des 499 candidats ayant fait l'objet d'une décision ont été purement et simplement approuvés. Il y a peut-être eu en amont un questionnaire jugé inquisitorial mais, finalement, la CNCCFP a décidé d'approuver les comptes.

Certaines réformations sont en effet intervenues, mais si l'on regarde bien, celles-ci portent souvent sur la limitation des intérêts d'emprunt durant la période précédant le remboursement de l'État. Nous nous sommes en effet aperçus, dans un cas, que le remboursement des intérêts d'emprunt au-delà de la période couverte par le remboursement par l'État aboutissait à des enrichissements sans cause ! Une tête de liste dans une élection régionale nous a fait part de ce qu'elle avait reçu. Cette personne ne savait pas quoi en faire et voulait verser la somme à son parti, ce qui était impossible. Elle avait économisé 38 000 euros d'intérêts par rapport à la somme octroyée. On ne peut accepter un tel enrichissement sans cause !

Les motifs de réformation sont donc récurrents et finalement légers en termes financiers. Je tiens tous les renseignements à votre disposition.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le constat, nous le connaissons. Il existe effectivement une minorité de cas de rejet, quelques cas d'invalidation et d'inéligibilité mais, pour y parvenir, quelle complexité ! On constate une accumulation de contraintes et de difficultés.

Vous affirmez que peu de personnes vous écrivent pour se plaindre : c'est normal. Il ne faut pas relâcher les contrôles, mais il serait bon de disposer de systèmes plus simples et plus clairs. C'est de la responsabilité du législateur, vous avez raison, mais les candidats, quant à eux, vous écrivent peu pour dire ce qu'ils pensent !

M. Jean-Léonce Dupont. - Il faut que vous réalisiez que nous sommes dans une insécurité totale, que nous nous posons des questions à chaque acte. Vous n'imaginez pas à quel point la pression est là !

Je n'ai pas de conseil à vous donner, mais il conviendrait que vous vous dotiez d'une commission consultative qui permette de faire remonter à un collège d'élus le ressenti et la réalité du vécu de chacun. Bien sûr que personne ne vous écrit : ils ont peur, ils n'osent pas ! Ils ne sont pas conseillés juridiquement et n'ont pas capacité à agir pour certains.

Votre travail est immense, et je le respecte, mais on court le risque qu'un certain nombre de personnes ne se présentent plus. Si vous n'en avez pas conscience et que vous êtes persuadé que c'est parce qu'on ne vous écrit pas que cette situation n'existe pas, vous êtes extrêmement loin de la vérité ! Nous sommes dans une insécurité permanente tout au long de la campagne.

Je ne suis pas candidat, mais lorsque je regarde aujourd'hui les élections régionales, démultipliées entre un niveau régional et départemental, où tant de personnes ont la capacité de se lancer dans un certain nombre de dépenses, je me dis que la consolidation ne sera objectivement pas évidente !

Demain, les mandataires financiers et les membres des associations de financement vont pratiquement devenir des permanents de la campagne, afin de suivre tous les actes aboutissant à un engagement financier. Il me semble qu'il s'agit là d'un excès d'application, contraire à l'esprit de départ et à la volonté de contrôle qui est absolument nécessaire !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Qu'en est-il de vos prestations externes, qui tournent en moyenne autour de 500 000 euros à 550 000 euros ?

M. Régis Lambert, secrétaire général de la CNCCFP. - Il s'agit par exemple de dépenses d'affranchissement, de nettoyage, d'impression de documents. Nous avons également fait appel à un consultant externe pour nous aider à la modernisation de l'application informatique.

M. François Logerot. - Le poste des dépenses d'affranchissement est très élevé. Il l'a été particulièrement avec les élections départementales, du fait de l'institution des binômes : tout est en double !

D'ici fin novembre, le vice-président de la CNCCFP ou moi-même auront signé 18 000 décisions, soit deux fois 9 000, chacun des deux membres du binôme devant recevoir la sienne. Cela n'a l'air de rien, mais il y a en permanence des montagnes de parapheurs sur mon bureau. Nous en avons ainsi jusqu'au mois de novembre.

Je suis très sensible aux observations entendues, en particulier celles du sénateur Jean-Léonce Dupont. J'en prends bonne note mais, encore une fois, la CNCCFP s'efforce d'appliquer la loi et la jurisprudence, et de le faire avec égalité dans l'espace et dans le temps. Il ne faut pas que, fin novembre, nous soyons plus ou moins sévères qu'au mois de juin pour le même type d'élection.

Par ailleurs, je sais qu'en France les élections font appel à des candidats qui ne sont pas obligés de se référer à un parti ; dans beaucoup d'autres pays, on ne peut se présenter que si l'on est inscrit dans un parti. Néanmoins, il existe 300 partis en France ; une cinquantaine a une véritable existence, puisqu'ils perçoivent l'aide publique notamment. Je pense que c'est également le rôle des partis que d'apporter une aide logistique et un conseil à leurs candidats.

Quant à nous, la seule chose que nous puissions faire, c'est informer le mieux possible le candidat des dispositions de la loi et des règles de la jurisprudence. C'est ce que nous faisons avec notre guide, qui est à la disposition de tout le monde sur notre site internet. Encore faut-il en prendre connaissance. Pour autant, je prends note des observations que j'ai entendues aujourd'hui.

La réunion est levée à 19 heures

Mercredi 30 septembre 2015

- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 43.

Audition de M. Didier Migaud, président du Haut conseil des finances publiques (HCFP)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, Présidente. - Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux aujourd'hui en recevant Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), dans le cadre de la revue exhaustive des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes à laquelle nous avons décidé de procéder. Votre audition est intéressante à plus d'un titre.

En effet, le Haut Conseil des finances publiques a été qualifié par l'article 11 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, d'« organisme indépendant, placé auprès de la Cour des comptes. Il est présidé par le premier président de la Cour des comptes ».

Dans un courrier que vous nous avez adressé le 22 juin dernier, vous nous indiquez que, selon vous, le HCFP ne relève pas de la catégorie des autorités administratives indépendantes et d'ailleurs le Secrétariat général du Gouvernement considère qu'il s'agit d'une institution « sui generis » qui ne peut être assimilée, en droit, à une autorité administrative indépendante.

Vous nous en direz plus dans votre propos liminaire ainsi que sur la composition du Haut Conseil, ses missions et ses règles de fonctionnement.

Par ailleurs, nous sommes très intéressés de vous entendre en tant que premier magistrat de la Cour des comptes pour que vous nous en disiez plus sur la manière dont la Cour des comptes appréhende les autorités administratives indépendantes et notamment si elle les contrôle effectivement et comment.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Didier Migaud, Premier président, Jérôme Filippini, secrétaire général et Mohammed Adnène Trojette, chargé de mission, prêtent serment.

M. Didier Migaud, Premier Président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques. - À votre demande, je m'exprimerai successivement au titre de mes fonctions de président du Haut Conseil des finances publiques puis de Premier président de la Cour des comptes.

Conformément aux interrogations qui m'ont été adressées, je me propose d'évoquer, dans un premier temps, le statut du HCFP, puis la présence de magistrats de la Cour des comptes au sein de collèges d'autorités administratives indépendantes, et enfin les observations que la Cour des comptes a pu soulever lors des nombreux contrôles qu'elle a menés sur ces organismes.

En ce qui concerne tout d'abord le Haut Conseil des finances publiques, il a été institué en application de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Organisme indépendant et consultatif, le Haut Conseil éclaire les choix du Gouvernement et du Parlement. Il veille à la cohérence de la trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques avec les engagements européens de la France. Pour cela, il apprécie le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et se prononce sur la cohérence des objectifs annuels présentés dans les textes financiers avec les objectifs pluriannuels de finances publiques.

La loi organique de décembre 2012, qui l'institue, a été adoptée à la suite du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, parfois qualifié de « pacte budgétaire européen » de mars 2012. Elle a anticipé l'entrée en vigueur, en mai 2013, du « two pack », paquet législatif européen prévoyant qu'un organisme indépendant valide les prévisions macroéconomiques retenues pour la construction des budgets des États membres.

Pour l'exercice de ses missions, le Haut Conseil des finances publiques est composé d'un collège, désigné selon des dispositions législatives organiques en vigueur, et d'un secrétariat permanent très léger.

Outre le Premier président de la Cour des comptes, qui le préside de droit, son collège comprend dix membres, soit quatre magistrats de la Cour des comptes, désignés par le Premier président, à parité ; quatre membres également nommés à parité, respectivement par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, les Présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat en raison de leurs compétences dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques. Ces membres sont nommés après audition publique conjointe de la commission des finances et de la commission des affaires sociales de l'assemblée concernée. Ils ne peuvent exercer de fonctions publiques électives. Enfin, le HCFP comprend un membre nommé par le président du Conseil économique, social et environnemental en raison de ses compétences dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques et le directeur général de l'Insee, lui aussi membre de droit.

Les déclarations publiques d'intérêts de l'ensemble de ces membres sont publiées sur le site internet du Haut Conseil.

Le secrétariat permanent du Haut Conseil est, quant à lui, constitué de deux magistrats et deux rapporteurs, qui s'appuient sur un nombre réduit d'agents de la Cour des comptes. Ces personnels n'y consacrent qu'une partie de leur temps, essentiellement lors de la préparation des avis.

Le législateur français a choisi de placer cet organisme indépendant « auprès de la Cour des comptes » qui, pour la Commission européenne, remplit les conditions requises pour un comité budgétaire indépendant. Ce statut est à distinguer de celui du Conseil des prélèvements obligatoires ou de la Cour de discipline budgétaire et financière, qui sont des « institutions associées » régies par les dispositions du livre III du code des juridictions financières.

Le Haut Conseil bénéficie de très fortes garanties d'indépendance, en raison de sa composition, et du fait qu'il est « placé auprès » d'une autorité juridictionnelle constitutionnellement située à équidistance du Parlement et du Gouvernement. Néanmoins, il ne doit pas être rangé dans la catégorie des autorités administratives indépendantes, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, ce n'était pas la volonté du législateur de l'y rattacher. Lors de la première lecture du projet de loi organique à l'Assemblée nationale, un amendement parlementaire a précisément porté sur cette question. Cet amendement a été expressément été écarté par le législateur.

Par ailleurs, le Haut conseil, organisme exclusivement consultatif, ne dispose pas d'un pouvoir de réglementation ni d'un pouvoir de sanction. Il émet des avis, qu'il appartient aux pouvoirs publics de suivre ou de ne pas suivre. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles le statut d'autorité administrative indépendante ne lui a pas été conféré - ce qui ne remet pas en cause l'indépendance de ce conseil.

J'en viens à votre deuxième interrogation, qui porte sur la présence de magistrats de la Cour des comptes, en activité, au sein du collège d'une autorité administrative indépendante. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aborderai dans le même temps la question des anciens magistrats.

Je souhaiterais commencer par quatre constats quantitatifs. Premièrement, les fonctions en question concernent à ce jour, selon le périmètre retenu, environ 25 magistrats actifs dans les cadres de la Cour des comptes - je pourrais même dire 26, en me comptant au titre de mes fonctions au sein de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale présidentielle dont vous avez auditionné, je crois, le président hier -, et deux magistrats détachés dans les fonctions de membres de collège, soit le président de l'Autorité des marchés financiers, et un vice-président de l'Autorité de la concurrence.

Deuxièmement, dans la grande majorité des cas - soit dans un peu plus de neuf cas sur dix -, les textes prévoient explicitement la présence d'un membre de la Cour des comptes au sein du collège de l'autorité administrative indépendante. Dans les autres cas, les magistrats sont désignés en tant que personnalités qualifiées.

Troisièmement, ces fonctions sont exercées, pour l'essentiel, par des magistrats ayant atteint ou dépassé le grade de conseillers maîtres. Il s'agit de magistrats expérimentés, dont l'une des missions essentielles au sein de la Cour des comptes est de délibérer, c'est-à-dire de siéger au sein de formations collégiales. Ils mettent ainsi à disposition des qualités d'expérience, de hauteur de vues et des capacités à participer à la production d'une opinion collective au terme d'un débat. Et c'est ce qui est souvent attendu d'une autorité administrative indépendante.

Quatrièmement, les responsabilités exercées dans ces organes par les magistrats et les anciens magistrats de la Cour des comptes recouvrent une réalité sensiblement variée. Les magistrats de la Cour sont en effet : le plus souvent « simple » membre, si je puis dire, titulaire ou suppléant lorsque la distinction existe dans les textes ; parfois vice-président, voire président de l'autorité ; et parfois encore titulaire d'une fonction unique, dans le cas du médiateur du livre et du médiateur du cinéma.

Pour ce qui est de la désignation au sein de l'organe d'une autorité administrative indépendante d'un magistrat ou d'un ancien magistrat de la Cour des comptes, elle procède de plusieurs modalités possibles.

Les textes peuvent prévoir que le Premier président procède à un choix parmi les magistrats en activité ou les magistrats honoraires. Dans ce cas, j'ai pour ainsi dire compétence liée, puisque je suis tenu de procéder à cette désignation. Je reviendrai plus spécifiquement dans quelques instants sur les modalités du choix, lorsqu'il me revient.

Dans d'autres cas, les textes prévoient que les magistrats de la Cour des comptes élisent, en leur sein, celle ou celui d'entre eux qui siégera au sein de l'instance. Dans ces cas-là, le rôle du Premier président est très réduit et consiste à assurer que le vote se déroule dans de parfaites conditions de régularité.

Dans d'autres cas encore, c'est une autorité extérieure à la Cour des comptes - Président de la République, Parlement ou Gouvernement - qui procède, en application de dispositions législatives ou réglementaires, à la désignation. Dans ce cas, il n'appartient pas au Premier président de la Cour des comptes de porter une appréciation sur une décision prise par les pouvoirs publics en vertu du droit en vigueur. Tout au plus suis-je amené, en tant que chef de corps, à prendre les mesures de gestion nécessaires à l'exécution de ces décisions, par exemple le détachement d'un magistrat pour exercer des fonctions de président de l'Autorité des marchés financiers.

Je voudrais m'attarder un instant sur les cas où c'est le Premier président qui procède à la désignation. Le chef de corps que je suis doit en effet remplir plusieurs obligations de niveau constitutionnel et législatif en gardant à l'esprit, d'une part, la nécessité de préserver les capacités de contrôle d'une juridiction dont l'indépendance et les missions sont consacrées constitutionnellement et en exerçant, d'autre part, sa compétence liée de désigner (ou d'autoriser la désignation) d'un magistrat chargé de siéger dans ces autorités administratives indépendantes.

À cet égard, je veux souligner la pertinence et l'importance les dispositions de l'article L. 112-9 du code des juridictions financières, qui autorisent « l'autorité chargée de la désignation [à] porter son choix sur un membre honoraire » de la juridiction. Je me réjouis de cette disposition qui m'autorise, en l'absence de texte expressément contraire, à désigner ou à proposer un magistrat honoraire. Je suis ainsi en mesure de concilier l'objectif de qualité du profil, compte tenu de l'expérience de nos collègues récemment partis en retraite, avec le souci de ne pas faire peser une trop lourde charge sur les effectifs de la juridiction. Comme vous avez pu le constater dans mon propos et dans mes réponses écrites, ce recours aux honoraires permet de pourvoir la moitié des désignations. De temps en temps, le législateur m'impose de désigner des magistrats en activité, à l'instar du Conseil supérieur de l'Agence France-Presse.

Plus généralement, lorsque j'exerce la fonction d'autorité de désignation, je m'appuie sur plusieurs critères, afin de déterminer, compte tenu des candidatures exprimées au sein du corps, celle qui mérite d'être retenue. Parmi ces critères, la compétence et l'expertise sont certes essentielles. Mais des considérations de déontologie et de charge de travail interviennent naturellement et sont tout aussi essentielles. À titre individuel, tous les magistrats de la Cour sont des fonctionnaires de l'État, tenus de respecter les obligations qui s'imposent à eux au regard du statut général de la fonction publique. Ils prêtent un serment qui les engage.

Depuis 2006, une charte interne de déontologie rappelle, à travers des mises en situation précises, le comportement que tout magistrat doit adopter, pour préserver l'indépendance et l'impartialité des juridictions. Cette charte sera confortée par les nouvelles dispositions législatives que les pouvoirs publics souhaiteront adopter dans les semaines qui viennent. Vous devriez être saisis d'un projet de loi sur la déontologie des magistrats, qui comportera des dispositions spécifiques pour les membres de la Cour des comptes.

Lors de la désignation du membre d'une AAI, je procède à un appel à candidatures au sein de la Cour des comptes. Une fois que les candidatures ont été centralisées, je choisis donc le profil à retenir, en m'assurant de sa compatibilité avec l'ensemble des critères que je viens d'évoquer. En cas de doute, je peux solliciter l'avis du collège de déontologie que nous avons mis en place - l'un de ses membres n'est pas un magistrat de la Cour des comptes.

Les magistrats intéressés m'adressent leur candidature sous couvert de leur président de chambre. Cela me permet de m'assurer que la charge de travail supplémentaire sera conciliable avec le programme de contrôle qui incombe au magistrat concerné. Cette préoccupation est d'autant plus constante que la réalisation, en quantité et en qualité, par un magistrat de son programme de travail compte pour l'essentiel de son évaluation annuelle. Elle influe directement sur sa rémunération à la performance. Je note d'ailleurs, à ce titre, qu'il n'est pas rare que les magistrats sollicités pour ce genre de mission extérieure soient aussi parmi les plus performants dans leurs fonctions au sein de la Cour des comptes.

Avant de répondre à vos questions, je souhaite rappeler la nature et les suites données aux contrôles de la Cour des comptes, en ce qui concerne les autorités administratives indépendantes ; ce qui est également l'une de vos préoccupations.

Au regard de leur organisation et de leur mode de financement, la Cour des comptes est compétente pour les contrôler. Elle examine notamment la régularité de leurs recettes et de leurs dépenses, ainsi que la qualité de leur gestion. Elle s'y intéresse non seulement de manière intrinsèque mais aussi par rapport aux missions qui leur sont assignées par leurs textes institutifs. Cet examen peut en conséquence porter sur leur organisation, leurs règles de fonctionnement, l'utilisation de leurs moyens humains, financiers, matériels et immobiliers, ainsi que sur les résultats qu'elles obtiennent au regard desdites missions. La Cour des comptes peut en particulier rechercher si l'AAI paraît avoir atteint les objectifs assignés par le législateur lorsque celui-ci l'a créée, si elle a constitué une doctrine et des critères de décision et si cette doctrine est accessible aux assujettis.

Elle ne porte toutefois pas d'appréciation sur les décisions administratives individuelles ou collectives prises par ces autorités dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions et par rapport aux textes qu'elles ont à appliquer. Son contrôle ne conduit pas la Cour des comptes à se placer sur le terrain de la régularité juridique des décisions prises par ces organismes.

Depuis 2005, la Cour des comptes a conduit 15 contrôles sur les autorités administratives indépendantes mentionnées dans la liste qui nous a été communiquée. Quatre contrôles sont en cours d'instruction et plusieurs AAI ont été contrôlées plusieurs fois pendant la période.

Les suites données à ces contrôles ont pris plusieurs formes différentes : le plus souvent, il s'agit d'observations définitives adressées par le président de chambre à l'AAI. Un contrôle a débouché sur une insertion au rapport sur la sécurité sociale qui concernait la Haute autorité de santé. A deux reprises, j'ai adressé des référés au Premier ministre qui concernaient notamment la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Deux contrôles ont donné lieu à des communications au Parlement : ils concernaient l'Autorité de contrôle prudentielle et de résolution et le Défenseur des droits. Par ailleurs, le Procureur général a été amené, à deux reprises, à adresser des communications sur des points de droit particuliers qui concernaient l'Autorité des marchés financiers et la Commission de régulation de l'énergie.

À l'issue de ces contrôles, la Cour des comptes a formulé des recommandations portant sur les fonctions support des AAI, ainsi que sur leurs missions. Ces recommandations sont moins souvent liées à la nature d'autorité administrative indépendante qu'à la forme que prennent ces organismes, notamment les plus petits d'entre eux. Les problématiques de qualité comptable, de gestion comptable, de politique immobilière sont souvent comparables à ce qui peut être observé pour les petites structures qui relèvent des services du Premier ministre. Dans des structures parfois chargées de la régulation de secteurs très techniques, la gestion des ressources humaines soulève des enjeux complexes, notamment en présence d'agents contractuels.

En ce qui concerne les fonctions supports, la Cour des comptes a ponctuellement suggéré la réduction du nombre de cadre dirigeants, des regroupements de services, la mise en place de politiques de rémunérations cohérentes, le développement de la transparence sur les ressources et l'amélioration de la gestion comptable. En ce qui concerne les missions de certaines autorités administratives indépendantes, il a entre autres été préconisé la mise en place d'indicateurs de suivi de l'activité, une prévention plus active des conflits d'intérêts - cela concernait notamment les activités de la Commission de régulation de l'énergie - le développement de la coopération avec d'autres acteurs, une amélioration des pratiques de contrôle, que ce soit en termes de délais réglementaires ou de procédures et enfin, un suivi du devenir des avis rendus.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Merci, Monsieur le Président, de votre présence et des explications que vous venez de nous donner. Nous souhaitions en effet entendre le Président du Haut Conseil des finances publiques ainsi que le Premier président de la Cour des comptes et recueillir sa vision de ce que sont les autorités administratives indépendantes et de leur devenir, afin d'avancer dans notre propre réflexion.

S'agissant du Haut Conseil des finances publiques, vous nous dîtes que ce n'est pas une autorité administrative indépendante, conformément au souhait du législateur. Mais il existe des autorités administratives indépendantes qui n'ont pas été créées par le législateur, comme vous le savez, et ces dernières sont même nombreuses. La définition de ce qu'est une autorité administrative indépendante me paraît en revanche poser problème : outre la définition résultant de la somme des définitions des trois termes qui en composent l'expression, il serait opportun d'en avoir une définition fixée par la loi. Que le législateur ait considéré dans les débats que le Haut Conseil des finances publiques n'est pas une AAI fournit certes un critère, mais celui-ci est nullement suffisant.

De manière analogue, le fait que votre autorité ne prononce pas de sanction ni ne définisse des réglementations ne constitue pas non plus un critère suffisant. En outre, l'absence de coût réel du Haut Conseil n'est pas non plus un indice probant, puisqu'il existe des AAI qui ne coûtent pratiquement rien, même si, je vous l'accorde, elles ne sont pas nombreuses.

Vous nous dites également que le Haut Conseil n'est pas une AAI en raison du souhait du législateur d'en imbriquer fortement le fonctionnement avec celui de la Cour des comptes. Cet argument, nous pouvons tout à faire l'entendre ; mais lorsque vous ajoutez que « pour l'ensemble de ces raisons, le Haut Conseil des finances publiques ne figure pas dans la liste des quarante autorités administratives publiée sous la responsabilité du Secrétariat général du Gouvernement publiée sur le site legifrance.fr actualisée le 19 décembre 2014 », je ne suis pas personnellement convaincu que le fait que le Secrétaire général du gouvernement distingue entre ce qui est une AAI et ce qui n'en est pas fournisse un critère juridique suffisant dans notre État de droit. Vous connaissez la liste du Conseil d'État et nous avons pu apprécier les propos de l'actuel Secrétaire général du Gouvernement lors de l'une de nos premières auditions. On voit bien d'ailleurs, comme je le dis souvent, où est le pouvoir dans cette République.

Ainsi, lors de la discussion de la loi relative à l'artisanat et au commerce en date du 18 juin 2014, la qualification d'AAI pour la commission nationale d'aménagement commercial, qui avait été retenue par l'Assemblée nationale, avait été, en définitive, supprimée par le Sénat. Pourtant, cette commission reste considérée, notamment par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, comme une autorité administrative indépendante. Ce qui signifie que nous sommes tout de même dans un certain flou juridique qui n'est pas sans m'intriguer.

Je souhaiterais, Monsieur le Président, obtenir votre opinion sur cette définition des autorités administratives indépendantes. On peut aussi s'interroger sur les choix effectués par les États membres de l'Union européenne signataires du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, s'agissant du recours ou non à une structure spécifique analogue à votre Haut Conseil. Ainsi, je souhaiterais obtenir votre vision en tant que Premier président de la Cour des comptes de ce que devrait être une autorité administrative indépendante.

J'observe que nous connaissons non seulement le foisonnement d'autorités administratives indépendantes, mais aussi le fourmillement de hauts conseils divers et variés. Est-ce vraiment le bon moyen d'économiser les deniers publics et de faire fructifier l'intelligence de nos élites que de multiplier de telles instances ? Plus il y en a, moins leur utilité peut apparaître évidente aux yeux de nos concitoyens !

Sur le Haut Conseil des finances publiques, je souhaiterais obtenir plus d'informations concernant le mécanisme prévu en matière de prévention de conflits d'intérêts. Faut-il l'aligner sur le mécanisme des AAI ou doit-il, au contraire, s'en distinguer ?

M. Didier Migaud. - Chacune de vos questions recèle en fait plusieurs interrogations.

Si je me permets de dire que le Haut Conseil des finances publiques n'est pas une autorité administrative indépendante, c'est parce que le législateur en a décidé ainsi. Je ne suis pas certain que la question du statut soit ici essentielle, mais la création du HCFP est la conséquence d'un traité européen qui dispose de la création d'un comité budgétaire totalement indépendant des pouvoirs législatifs et exécutifs tout en ayant la capacité de les éclairer. Mais la question relève du législateur organique : crée-t-on une structure ad hoc ou élargit-on les compétences et les missions de la Cour des comptes ? Certes, celle-ci exerçait déjà les missions de contrôle budgétaire de manière indépendante, à travers notamment le rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, mais elle ne s'autorisait pas à exprimer un point de vue sur la question des hypothèses macroéconomiques. D'ailleurs, elle s'exprime toujours a posteriori, sauf dans le cadre des débats parlementaires d'orientation budgétaire où elle s'efforce de proposer une vision prospective.

Le législateur a, me semble-t-il, assuré un compromis en proposant la création d'une institution rattachée à la Cour des comptes, faisant en sorte qu'elle soit présidée par le Premier président et qu'elle comprenne un nombre important de magistrats, même s'ils ne sont pas majoritaires. Le législateur a également reconnu l'intérêt d'accueillir des personnalités nommées par le pouvoir politique, en raison de leurs compétences économiques et financières, afin qu'elles apportent leur contribution aux avis et analyses que nous pouvons rendre.

Ce qui doit définir une AAI est un autre sujet. Compte tenu de mon passé, je ne trouve pas du tout illégitime que le Parlement définisse ce qu'est une AAI. Il n'appartient pas à la Cour des comptes de porter une appréciation sur la qualité juridique. Nous nous contentons, s'agissant du contrôle des autorités administratives indépendantes, de rechercher si leur gestion est régulière, efficace et efficiente. Nos recommandations peuvent porter sur leur mode de fonctionnement et leurs capacités à mener à bien leurs missions.

Cela dit, sur ce travail, si vous souhaitez que la Cour des comptes apporte sa contribution sur les missions des AAI qui peuvent se recouper et si la commission des finances du Sénat, qui en a la capacité, venait à nous saisir, nous ferions ce travail très volontiers.

À titre personnel, je dirais qu'on peut en effet avoir le sentiment d'une profusion d'autorités administratives indépendantes, qui peuvent être considérées comme autant de démantèlements de l'État. Ces autorités sont néanmoins toujours placées sous le contrôle de la Cour des comptes mais aussi du Parlement, qui peut également exercer un suivi annuel de leurs activités. Vous pourriez obtenir des documents financiers et désigner un rapporteur spécial pour assurer davantage le contrôle du Parlement sur les missions de ces autorités.

C'est important de garantir leur indépendance, mais cette dernière ne doit pas en empêcher le contrôle !

M. Pierre-Yves Collombat. - Mon interrogation porte sur l'indépendance idéologique des membres du HCFP, c'est-à-dire sur l'assentiment des membres économistes, sans parler des membres de la Cour des comptes, quant à une conception unique du développement économique garante d'une certaine forme d'orthodoxie budgétaire et d'apologie de l'économie de l'offre - dont on a pu mesurer les effets désastreux dans d'autres pays, comme en Grèce notamment ! De plus, si le Haut Conseil ne prodigue pas de conseils au Gouvernement en matière de redressement des finances publiques, alors, quel est son rôle ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il fournit tout de même un avis au Parlement !

M. Didier Migaud. - Il peut contribuer effectivement à éclairer l'avis du Parlement dans les décisions que lui-même a à prendre. La composition du Haut Conseil relève d'un traité européen et d'une loi organique.

M. Pierre-Yves Collombat. - Le choix des économistes n'est tout de même pas anodin !

M. Didier Migaud. - Les magistrats de la Cour des comptes n'ont aucun a priori idéologique ! Nous ne raisonnons qu'à partir des critères que le Parlement a fixés, y compris dans le rapport remis récemment à la commission des finances du Sénat sur la masse salariale. Nous nous inscrivons ainsi dans le cadre des objectifs de stabilité qui consistent à vérifier que la dépense n'augmente pas plus que prévue. La Cour des comptes s'efforce de regarder si cet objectif peut être rempli et nous vous proposons un certain nombre de leviers vous permettant par la suite de faire des choix pour remplir ces objectifs, en dehors de toute forme d'a priori dogmatique.

M. Pierre-Yves Collombat. - Certes, sauf que le pouvoir médiatique le perçoit autrement ! Vos rapports soulignent en permanence que le Gouvernement ne fait pas assez d'économies !

M. Didier Migaud. - Ce n'est pas la Cour qui délivre le postulat qu'il faut faire des économies : cette démarche relève des textes que vous votez. De plus, la dépense ne se réduit pas, elle augmente moins rapidement. C'est une nuance, car il est difficile de continuer à parler d'austérité lors que la dépense ne diminue pas.

Outre les magistrats de la Cour des comptes, les personnalités désignées par les autorités politiques sont totalement souveraines dans le choix qu'elles expriment !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Dix experts ne manqueront pas d'exprimer dix avis différents !

M. Didier Migaud. - Les profils sont certes différents. Le Haut Conseil apprécie la crédibilité des hypothèses macroéconomiques qui font traditionnellement débat en France. Le législateur a souhaité qu'un conseil indépendant exprime un avis quant caractère crédible ou non des hypothèses macroéconomiques ; il peut être utile aux parlementaires de disposer un point de vue extérieur exprimé par des personnes en dehors de toute complaisance politique. Il importe ainsi d'apprécier la cohérence de la suite donnée au choix de telle ou telle hypothèse économique, impliquant également le respect des engagements de la France vis-à-vis de ses partenaires européens. Une fois de plus, il s'agit d'un avis.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Mais avec le temps, nous serons plus à même d'évaluer la portée des avis rendus par ce Haut Conseil qui demeure très récent.

M. Didier Migaud. - Et d'évaluer, du même coup, la sagesse des hypothèses retenues. Enfin, il me paraît important que le profil des personnes soit connu et que celles-ci fournissent une déclaration d'intérêt rendue publique. Certes, le HCFP n'est pas une autorité administrative indépendante, mais chaque membre a l'obligation de fournir une telle déclaration qui est publiée sur son site internet. Tout citoyen peut ainsi prendre connaissance des activités principales des membres du Haut Conseil et de vérifier s'il peut y a voir conflit d'intérêt ou non.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez indiqué comment vous désignez les membres des autorités indépendantes issus de la Cour des comptes. Dont acte.

Il n'est pas ici question de faire le procès ni de la Cour des comptes, ni du Conseil d'État ou de la Cour de cassation. Il s'agit de se demander si c'est une bonne chose qu'une part très importante des collèges des AAI soit issue de ces trois corps. Ainsi, sur 544 membres des collèges des autorités administratives indépendantes - il arrive que l'État ne remplisse d'ailleurs pas l'ensemble des collèges de certaines AAI afin de les laisser péricliter - ce sont près de 165 membres qui sont originaires de la Cour des comptes, du Conseil d'État ou de la Cour de cassation et ce, essentiellement - mais pas toujours - en application de dispositions législatives. On a pu par ailleurs constater l'aller-retour de certains membres des grands corps de l'État vers les sociétés privées. La question de la compétence et de l'honnêteté ne se pose pas car globalement, nous avons affaire ici à des personnes qui partagent le sens de l'État et sont compétentes. Loin de véhiculer une vision négative des grands corps de l'État, nous nous interrogeons cependant pour savoir s'il est bon, dans notre République, que plus du tiers des membres des collèges des AAI soit issu de ces derniers. Une telle origine présente certes des avantages, mais aussi de réels inconvénients. C'est pour nous une question de fond.

Dans le même ordre d'idée, vous parlez de profusion ; j'utiliserais plutôt le terme de prolifération. Si cette tendance venait à se poursuivre, comment pourrez-vous « remplir » les collèges de ces autorités ? Je ne suis pas de ceux qui disent qu'à partir d'un certain âge, les personnes ne sont plus compétentes et nous avons pu trouver un exemple d'un membre d'un collège qui, à près de 97 ans participe toujours aux travaux de son collège. Il y a là manifestement un vivier d'hommes et de femmes d'expérience toujours compétents, mais il ne faudrait pas que les AAI deviennent systématiquement la source d'une seconde vie pour les membres des grands corps à la retraite : ce serait excessif !

Comment, par ailleurs, arriver à être à la fois président de chambre à la Cour des comptes et d'une AAI dont les réunions sont fréquentes ? Comment peut-on concilier ces deux activités à pleins temps ? Est-il normal d'autoriser un cumul d'indemnités ?

M. Didier Migaud. - Pourquoi y-a-t-il autant de personnes issues du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou de la Cour de cassation dans les collèges des autorités administratives indépendantes ? Une telle présence s'explique par les critères que vous venez de préciser. En effet, il faut avoir le sens de l'État et de l'intérêt général, la compétence, l'expérience et présenter de réelles garanties d'indépendance ; qualités que les membres de ces trois corps possèdent globalement. De ce fait, ces valeurs en partage expliquent qu'on ait recours à ces personnes pour les collèges des autorités administratives indépendantes. Ces personnes ont-elle le monopole de ces critères ? Sûrement pas ! Mais qui peut réunir tous ces critères qui sont également indispensables pour gagner la confiance de l'opinion publique et des parlementaires envers le travail réalisé par ces autorités administratives indépendantes ?

Les membres de la Cour des comptes qui sont dans les AAI répondent à tous ces critères et s'efforcent de faire convenablement leur travail. L'indépendance n'est pas chose aisée. Le statut de magistrat, source d'indépendance, confère une certaine liberté aux membres de ces juridictions. Ce n'est certes pas suffisant pour garantir cette indépendance : la durée du mandat et son éventuelle reconduction sont également des sujets à part entière. L'inamovibilité ou une désignation pour une durée très longue permet de garantir l'indépendance ; au contraire de la perspective d'un renouvellement à court et moyen termes.

Vous avez évoqué ensuite la question du nombre des autorités administratives indépendantes ; j'ai moi-même évoqué, en tant que chef de corps, mon adhésion à l'idée du resserrement de leur nombre. Je suis toujours attentif, sauf lorsqu'il s'agit de fonctions à temps plein, à l'instar de celle de président de l'Autorité des marchés financiers, qui impliquent un détachement. Il faut également veiller au respect du principe absolu selon lequel les autres fonctions d'un magistrat ne doivent pas remettre en cause son programme de contrôle et de délibérés. Souvent, la présence à temps plein au sein de ces autorités administratives indépendantes n'est pas requise et le magistrat peut s'organiser pour remplir pleinement ses fonctions à la Cour des comptes dans le même temps.

Le cas d'un Président de chambre qui assume concomitamment la présidence d'une AAI est tout-à-fait exceptionnel. Cette situation unique n'empêche pas cette présidente de chambre d'assumer pleinement ses fonctions à la Cour. Ses fonctions, au sein de cette AAI, ne sont pas totalement à temps plein et dépendent des saisines. Mais il faut être attentif à ce que le magistrat exerce ses fonctions pour lesquelles il est rémunéré. Ainsi, outre leur traitement indiciaire, les magistrats bénéficient d'un régime indemnitaire basé à 80 % sur leur niveau d'activité. Un tel mécanisme, qui s'apparente à une véritable prime au rendement, prend en compte l'activité réelle des magistrats. De ce fait, une éventuelle multiplication des AAI poserait problème. Je ne saurais formuler de recommandation, mais je ne pourrais que me réjouir du resserrement du nombre des AAI. Et je regrette lorsque le Parlement m'impose de désigner des membres en activité, comme ce fût le cas pour le Conseil supérieur de l'Agence France-Presse : je n'ai pas su expliquer qu'un magistrat honoraire était en mesure de remplir les mêmes fonctions que son homologue en activité, sans que cela pèse sur le fonctionnement de la Cour des comptes. Certains parlementaires ont d'ailleurs souligné que les parlementaires honoraires n'étaient pas attributaires de fonctions nouvelles. Les choses me paraissent devoir se passer différemment selon qu'on est un élu ou membre d'une juridiction.

M. Pierre-Yves Collombat. - La question de l'indépendance est en effet épineuse. On constate cependant que toutes les carrières ne se font pas exclusivement à l'intérieur des grands corps et le fait de sortir est bien souvent un accélérateur de carrière et les magistrats ne sont pas des bénédictins enfermés dans leur tour d'ivoire. L'indépendance est une question de caractère plus que de statut. Que dire d'ailleurs des membres des grands corps nommés sans passer par les concours administratifs ? Cette porosité ne peut que conduire à questionner l'indépendance que vous évoquez.

Par ailleurs, je reste persuadé qu'on devrait pouvoir trouver en dehors des grands corps des personnes capables de remplir de telles fonctions ! Une plus grande diversité de recrutement permettrait ainsi de remédier au sentiment « d'entre soi » qui caractérise le fonctionnement d'un certain nombre d'autorités administratives indépendantes. L'idée selon laquelle la magistrature confère une indépendance me paraît particulièrement rapide et il faudrait sans doute y regarder d'un peu plus près !

M. Didier Migaud. - Rien n'empêche au législateur d'élargir le recrutement des collèges. Les sorties et les carrières alternées s'avèrent utiles aux juridictions. Elles évitent, justement, ce syndrome d'enfermement dans une tour d'ivoire. Les magistrats ayant exercé des fonctions opérationnelles ont un regard différent sur le contrôle, une fois de retour dans les cadres.

Outre l'indépendance, la collégialité est la règle et innerve le fonctionnement de la Cour des comptes ; elle est la source de toute décision, un rempart contre la dimension partisane qu'on peut toujours reprocher à tel ou tel en fonction de son parcours. Les membres de la Cour des comptes ont une pratique de la collégialité, mais ils ne prétendent nullement avoir le monopole en la matière.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avoir eu dans sa carrière une expérience extérieure peut être considéré comme un élément positif. Il faut de tout !

M. Didier Migaud. - En effet, il faut de tout !

M. Pierre-Yves Collombat. - Certes, mais on n'est pas nécessairement indépendant parce qu'on est magistrat.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Mais un certain nombre de choses me pose problème lorsqu'on avance l'indépendance comme critère de création d'une autorité administrative indépendante. En effet, lorsque des membres de cabinet ministériel, après avoir préparé la création d'une autorité administrative indépendante, en exerce la présidence ou en gère l'administration, vous me permettrez de considérer que ce n'est pas le chemin le plus sage. Nous connaissons ces exemples et ils seront mentionnés dans notre rapport.

J'aurais une dernière question sur la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Comment choisissez-vous les membres de la Cour des comptes qui travaillent pour cette Haute autorité, car son Président, que nous avons auditionné, nous a indiqué qu'il ne choisissait pas ses collaborateurs. Ainsi, comment vous assurez-vous de la neutralité des personnes que vous désignez et dont la mission consiste à contrôler les déclarations fournies par les élus?

M. Didier Migaud. - L'indépendance c'est principalement être à l'abri de toute pression. C'est pourquoi, je serais plus nuancé que vous. Notre statut le garantit même s'il s'agit d'une condition qui peut certes ne pas s'avérer suffisante.

Sur la Haute autorité de la transparence de la vie publique, qui est encore récente, il importe de distinguer entre les collaborateurs, qui travaillent avec le président, et les membres ainsi que les rapporteurs. Ces derniers sont effectivement désignés par le Vice-président du Conseil d'État, le Premier président de la Cour de cassation et le Premier président de la Cour des comptes, puisqu'ils doivent présenter des garanties d'indépendance avérées. Ces nominations nous posent également problème, car à partir du moment où nos magistrats travaillent pour la Haute autorité, ils ont moins de disponibilité pour leurs activités à la Cour des comptes.

Que les rapporteurs soient des membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation me paraît plutôt une garantie, du fait de leur totale indépendance et de leur regard objectif qui est par ailleurs soumis à la collégialité de la Haute autorité. S'agissant des collaborateurs directs, je ne sais comment leur nomination se déroule, mais je doute qu'on puisse imposer au président de la Haute autorité une personne qu'il n'apprécierait pas.

M. Michel Canevet. - Nous avons bien compris, à la lueur de vos propos que le Haut Conseil des finances publiques ne devait pas être identifié à une autorité administrative indépendante, mais plutôt à une autorité consultative émettant des avis comme il en existe un grand nombre dans notre pays. Tout à l'heure, notre rapporteur évoquait les conditions de création des AAI par la loi et il nous faut demeurer vigilants quant l'évolution de leur nombre. Aussi, à l'examen du rapport d'activité du Haut Conseil des finances publiques, j'observe, sur les exercices 2013 et 2014, une très nette différence entre la prévision et l'exécutions de son budget. Est-ce le Haut Conseil qui prépare son budget ou celui-ci relève-t-il de propositions gouvernementales qui sont ultérieurement validées par le Parlement ? Il est manifeste que les prévisions budgétaires du Haut Conseil ont été surdimensionnées par rapport à ses réels besoins.

M. Didier Migaud. - Ces sommes sont peu importantes, mais elles sont prises sur le budget de la Cour des comptes. Le Haut Conseil a été créé et rattaché à la Cour des comptes et est par conséquent financé sur l'enveloppe de l'ensemble des juridictions financières. Mais à partir du moment où un programme a été créé, il nous faut faire apparaître un budget, ce qui n'est pas sans difficulté pour la Cour des comptes. J'ai d'ailleurs proposé à l'époque aux rapporteurs de ne pas créer de programme, à partir du moment où le Haut Conseil était rattaché à la Cour des comptes qui en assurait la gestion.

Il existait également un problème d'affichage puisqu'un budget insignifiant aurait conduit à relativiser l'importance de ce Haut Conseil, récemment créé. Le fait d'avoir un programme complique les choses et n'apporte pas grand-chose ! On se livre à cet exercice de faire apparaître un projet de budget et il m'incombe de le faire exécuter avec un maximum de rigueur.

En outre, le Parlement et le Gouvernement ont souhaité que le Haut Conseil ait la capacité de commander des études à d'autres instances, d'où la nécessité de prévoir des crédits complémentaires. En fait, pour le moment, nous n'avons pas encore éprouvé ce besoin d'où ce décalage entre prévision et exécution, qui n'est nullement une perte. Nous essayons en outre de calculer au plus juste le fonctionnement du Haut Conseil. Pour assurer son indépendance, il faut reconnaître un budget en conséquence à ce Haut Conseil.

Après, la question de savoir si ce Haut Conseil est une autorité administrative indépendante ou une institution sui generis ? Honnêtement, cette qualification n'est pas un sujet pour les membres du Haut Conseil.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est une question pour nous.

M. Didier Migaud. - C'est en effet une question compte tenu du nombre d'autorités administratives indépendantes.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - En plus, votre Haut Conseil dispose d'un programme dédié, alors que toutes les autorités administratives n'en ont pas !

M. Didier Migaud. - Ce programme n'est absolument pas une nécessité !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ces AAI se situent hors-champ du contrôle hiérarchique du Gouvernement ; pourtant leur contrôle est une nécessité. Le contrôle du Parlement se limite pratiquement à l'enregistrement d'un rapport annuel d'activités et ne me paraît ni satisfaisant ni suffisant. Concernant le programme de contrôle de la Cour des comptes, toutes les AAI n'ont pas été, à ce jour, contrôlées par vos services. L'ordonnateur est généralement le président de l'AAI et pour les autorités de taille importante, le comptable est le contrôleur budgétaire et comptable ministériel, mais je ne suis pas certaine que cette répartition des tâches vaut pour l'ensemble.

Quant au Haut Conseil, il ne s'agit pas seulement d'une division de la Cour des comptes, du fait de sa composition élargie à des personnalités extérieures et je pense que c'est une bonne chose.

J'insiste à nouveau sur cette question du contrôle, car plus les travaux de notre commission d'enquête avancent, plus nous nous rendons compte du champ énorme que les AAI représentent dans notre administration française.

M. Didier Migaud. - Madame la Présidente, je m'arrêterais juste sur un dernier point : les autorités administratives indépendantes s'avèrent très diverses les unes des autres, tout en présentant des enjeux très distincts pour les finances publiques. Au-delà de ce constat, en tant que responsable de la programmation des contrôles, il me paraît essentiel de les avoir toutes contrôlées à un horizon de cinq ans. Je le rappellerai aux Présidents de chambres, mais le fait qu'une autorité administrative indépendante ait connaissance d'un contrôle est important. Il faut d'ailleurs que nous nous prenions en compte la durée du mandat de ses membres pour arrêter un ordre de contrôle.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les présidents des autorités administratives indépendantes en sont d'ailleurs demandeurs !

M. Didier Migaud. - Dans le cadre de notre programmation annuelle, nous contrôlons toujours des AAI. Mais il faut veiller à les avoir toutes contrôlées dans le cas d'une programmation pluriannuelle. À moins que vous ne décidiez d'en créer beaucoup d'autres !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je ne pense pas que ce soit une préconisation formulée par notre commission d'enquête !

La réunion est levée à 16 h 08.

Audition de Mme Christine Thin, présidente du commissariat aux comptes (H3C)

La réunion reprend à 16 heures 13

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en recevant Christine Thin, présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C). Vous êtes accompagné de M. Philippe Steing, secrétaire général.

Le H3C, autorité chargée de la régulation et de la supervision de la profession de commissaire aux comptes, a été créé par la loi du 1er août 2003 de sécurité financière. Institué auprès du garde des Sceaux, le H3C a été qualifié d'autorité publique indépendante (API) en 2008.

Cet organisme est doté de ressources propres prélevées sur la profession des commissaires aux comptes. Le H3C promeut les bonnes pratiques professionnelles, émet un avis sur les normes d'exercice professionnel élaborées par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, joue le rôle d'instance d'appel des décisions des commissions régionale en matière de discipline, d'honoraires et d'inscription, supervise des contrôles des commissaires aux comptes et émet des recommandations.

Nous souhaiterions en savoir plus sur les conséquences de votre qualification d'autorité publique indépendante, s'agissant de vos ressources, de votre fonctionnement et des contrôles auxquels vous êtes soumis.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Laurence Thin et M. Philippe Steing prêtent serment.

Mme Christine Thin, présidente du Haut Conseil du commissariat aux comptes. - C'est à la suite des affaires Enron et Parmalat qu'on a assisté à la mise en cause de la surveillance des marchés et des acteurs financiers. Il s'agissait alors de tirer les leçons de cette crise de confiance, et d'améliorer évidemment la stabilité du système financier.

La loi de sécurité financière de 2003, et, au plan européen, une directive de mai 2006 ont été adoptées.

Ces textes ont construit une nouvelle architecture de régulation de l'audit, qui repose sur la mise en place d'autorités publiques de surveillance des auditeurs et sur le renforcement des règles professionnelles, en particulier en matière de déontologie et d'indépendance des auditeurs qui, en France, sont les commissaires aux comptes.

Par la suite, la crise financière de 2008 et la faillite de Lehman Brothers ont amené une nouvelle réaction des instances européennes. C'est ainsi qu'une directive et un règlement, publiés au printemps 2014 et qui seront applicables en juin 2016, ont renforcé la régulation de l'audit en tant qu'élément fondamental de la sécurité des marchés.

En 2003, le H3C constitue donc un des éléments clé de la réponse apportée par la France à la crise de confiance dans les marchés financiers. La loi de sécurité financière met fin à la situation d'autorégulation de la profession en créant le H3C, autorité indépendante de surveillance de la profession de commissaire aux comptes. C'est ainsi que la France a anticipé la directive « audit » de 2006, appelée huitième directive : elle impose à chaque État membre la mise en place d'un système de supervision de l'audit et organise la coopération des régulateurs européens de l'audit.

Par ailleurs, un groupe d'experts, le Groupe européen des organes de supervision de l'audit (EGAOB), a été mis en place par la Commission européenne. Cette instance, présidée par la Commission européenne, organise la coopération entre les régulateurs ; elle assiste également la Commission européenne dans la mise en oeuvre des textes européens. Le H3C, ainsi que ses homologues européens, sont membres de ce groupe.

Le désir de sécurisation de la vie économique a également entrainé la création, dans de nombreux pays tiers, d'organes publics de supervision de l'audit.

Au vu du constat d'une internationalisation des relations financières et de l'existence de grands réseaux mondiaux de l'audit, il est apparu nécessaire aux régulateurs de se concerter, et d'être ainsi en mesure d'apporter des réponses communes aux défaillances qui pourraient être relevées dans les différents pays.

Le H3C a aujourd'hui plus de cinquante homologues dans le monde, sur tous les continents, homologues qui se rassemblent au sein d'un forum international, l'International Forum of Indepedant Audit Regulators (IFIAR), qui permet l'adoption de méthodes de contrôle communes, ainsi que le partage des résultats des contrôles qualité effectués dans les réseaux d'audit à travers le monde.

Par ailleurs, le H3C a mis en place des accords bilatéraux de coopération avec les États-Unis, le Canada et la Suisse.

Ces accords s'inscrivent dans le système de coopération avec les États tiers mis en place par la huitième directive. Ils permettent l'échange d'informations entre autorités de contrôle, ainsi que la réalisation de contrôles conjoints avec notre homologue américain, que ce soit sur le sol français ou sur le sol américain. Le H3C a d'ailleurs conduit une opération de contrôle aux États-Unis.

Ces relations du H3C avec ses homologues font partie de la mission qui lui a été assignée dès sa création par la loi de sécurité financière, inscrite dans le code de commerce.

Aujourd'hui, le H3C a le statut d'autorité publique indépendante (API). C'est un changement qui a été voulu par l'État en 2008, à l'occasion de la transposition dans le droit national de la huitième directive, afin de donner au H3C l'autonomie financière et la personnalité morale.

Auparavant, le H3C était autorité administrative, et ses crédits étaient inscrits au budget du ministère de la justice. Au bout de quelques années, il a été constaté que ce fonctionnement était voué à l'échec, l'État n'étant pas en capacité de doter le H3C de ressources suffisantes ni de recruter des contrôleurs experts de l'audit.

C'est ainsi qu'il a été relevé que les conditions de fonctionnement du H3C ne répondaient pas aux exigences de la directive européenne, notamment en matière de financement.

Au Sénat, le rapporteur du projet de loi de finances pour 2008 avait fait valoir que la Commission européenne étant particulièrement vigilante concernant le financement du système de supervision, il convenait de mettre le plus rapidement possible le H3C en conformité avec les règles communautaires.

Un tel financement devait permettre de répondre plus rapidement et plus efficacement aux missions du H3C, tout en lui permettant de développer son activité internationale ; il devait également assurer la possibilité pour le H3C de remplir l'intégration ses missions et, par là même, de défendre le système de commissariat aux comptes à la française.

Les crédits du H3C ne sont plus inscrits au budget de l'État depuis 2008, l'activité étant financée par des contributions versées par les commissaires aux comptes. Un financement complémentaire est apporté par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) pour rémunérer les contrôleurs qui, à l'origine recrutés par la compagnie, ont été intégrés dans le personnel du H3C depuis 2010.

Le H3C est constitué de douze membres indépendants, dont la moitié est issue de la société civile et repose sur des services placés sous la direction et la responsabilité de Philippe Steing, secrétaire général, ici présent. Cette architecture est classique pour les API. Actuellement une cinquantaine de personnes font partie des services du H3C.

Les contrôles et leur supervision mobilisent deux tiers des moyens du H3C ; il contrôle en effet soit avec ses propres contrôleurs, soit au moyen d'une délégation à des contrôleurs professionnels, délégation strictement encadrée et révisée par les services internes - 1 400 cabinets par an, 1 200 ne détenant pas de mandat dans des sociétés dîtes « entités d'intérêt public » (EIP). Les EIP sont les sociétés cotées, les établissements financiers, les compagnies d'assurance, les mutuelles et, en France - ce qui est un peu particulier - les associations recevant des subventions publiques ou des fonds levés dans le public.

On compte environ 6 600 cabinets en France, les cabinets constituant les unités d'exercice de la profession, 14 000 commissaires aux comptes inscrits, répartis dans lesdits cabinets, générant au total 2,3 milliards d'euros d'honoraires pour l'année 2013.

À l'issue des contrôles, le secrétariat général adresse des recommandations à tous les cabinets contrôlés et peut saisir à toutes fins les procureurs généraux de la situation de ces cabinets, ce qu'il a fait à 260 reprises depuis 2011 au vu des résultats des contrôles. Il ne bénéficie pas, en revanche, de l'exercice direct de l'action disciplinaire.

Le H3C participe également à l'élaboration des normes d'exercice professionnel, qui guident en la sécurisant la démarche du commissaire aux comptes. Il rend des avis sur l'application du code de déontologie et examine les situations pratiques qui lui sont soumises par les commissaires aux comptes, les entreprises ou par les autorités publiques.

Notre action européenne et internationale est en plein essor. Les sujets de régulation de l'audit se traitent aujourd'hui au niveau mondial pour être en adéquation avec la taille des réseaux d'audit et les entités dont ils certifient les comptes.

Nous travaillons quotidiennement avec nos homologues étrangers et les rencontrons plusieurs fois par an.

Une réforme des textes européens de 2014, évoquée rapidement tout à l'heure, va conduire à des modifications substantielles de l'organisation et de certaines des missions du H3C, notamment en matière de procédure disciplinaire. La Chancellerie a été habilitée par le Parlement à traduire dans la législation nationale les exigences du règlement et de la directive par voie d'ordonnance. Celle-ci est en cours de finalisation.

Mais, en toute hypothèse, il nous incombe de veiller à maintenir nos compétences et nos moyens à la hauteur des risques que nous sommes en charge de réguler.

Les enjeux pour l'économie sont importants. Il s'agit d'assurer la crédibilité de la profession, notamment lorsque les commissaires aux comptes opèrent à l'étranger, mais pas seulement et, surtout, de s'assurer, à travers la qualité de l'audit dont nous sommes les garantes, que la fiabilisation des comptes des entreprises, qui est l'essence de la mission des auditeurs, est correctement assurée.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez eu l'amabilité de répondre au questionnaire que nous vous avons adressé, et vous nous avez précisé qu'en avril 2014, les instances européennes avaient adopté une directive renforçant la supervision des auditeurs. Son entrée en vigueur en juin 2016 aura un impact sur les missions et les ressources du H3C en cours d'évaluation. Quelles en sont les conséquences sur votre budget, vos effectifs et votre fonctionnement ?

Mme Christine Thin. - Concrètement, nous savons qu'un certain nombre de missions vont nous incomber dans leur intégralité.

J'ai parlé des contrôles, notamment des cabinets EIP, et expliqué que nous en réalisons nous-mêmes avec nos contrôleurs. En fait, jusqu'à présent, nous menons les contrôles des cabinets intervenant dans les secteurs les plus à risque, systématiquement les quatre plus grands cabinets - les réseaux mondiaux - puis les cabinets qui ont des mandats dans des secteurs particulièrement risqués ou qui sont particulièrement importants.

Nous avions, jusqu'à présent, la possibilité de déléguer une partie de la réalisation matérielle des opérations de contrôle, à l'exception de la supervision générale ; chaque année, le H3C prenait une décision établissant des critères objectifs, qui permettaient de détailler les contrôles réalisés par nos contrôleurs et ceux délégués à la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.

Par ailleurs, tout le secteur non EIP est actuellement contrôlé par des contrôleurs professionnels, dans le cadre des compagnies régionales des commissaires aux comptes.

Par l'effet de la nouvelle législation européenne, il sera impossible de déléguer quelque contrôle EIP que ce soit. Cela va nécessairement nous amener à recruter des contrôleurs supplémentaires pour faire face à l'accroissement de nos tâches.

Par ailleurs, nous ne sommes jusqu'à présent pas dotés du pouvoir d'enquête d'initiative à partir d'un signalement. Nous sommes donc obligés de nous tourner vers le ministère de la justice. L'Autorité des marchés financiers (AMF) peut aussi déclencher des contrôles dans le cadre de sa propre activité, mais ce n'est pas notre cas.

Or la nouvelle réglementation impose que l'autorité compétente, qui doit être mise en place dans chaque État membre, soit dotée d'un pouvoir d'enquête.

Nous devrons également être investis de la responsabilité finale en matière de contrôle, mais aussi de discipline, d'inscription, d'élaboration des normes. La Chancellerie est en train d'affiner ce qu'il faut entendre par cette responsabilité finale.

Vous avez bien compris que notre système disciplinaire, qui est extrêmement complexe, est hérité de l'époque où la profession était autorégulée, avec des commissions de discipline dans l'orbite des cours d'appel, et un appel devant une commission nationale. On a au départ simplement substitué le H3C à la Commission nationale d'appel, mais il s'agit d'un système extrêmement complexe, qui ne nous permet pas aujourd'hui de considérer que nous avons cette responsabilité finale. C'est pourquoi j'évoquais tout à l'heure une réflexion sur la mise à plat du système de procédure disciplinaire.

Il en de même pour ce qui concerne les inscriptions, actuellement décidées dans les chambres régionales d'inscription, qui sont les chambres de discipline statuant sous une autre étiquette. Nous n'en connaissons quant à nous qu'en cas d'appel. Or, nous devons en avoir la responsabilité finale.

La limite du système s'est d'ailleurs révélée au moment où des demandes d'inscription de cabinets de pays tiers de l'Union européenne ont commencé à affluer. Certains se sont vus refuser l'inscription par la chambre régionale compétente à l'égard des cabinets étrangers. Nous ne pouvions être saisis de cette situation que par le biais d'un appel. Ce système étant pratiquement unique à l'échelon mondial du fait de sa complexité, cela a provoqué un peu de flottement à l'époque. C'est ce qui explique qu'il est important que tout ceci soit mis à plat, bien que cela nous impose de nouvelles tâches.

Une autre mission va nous incomber du fait de l'effet direct de la réforme de l'audit : il s'agit de la surveillance de l'état du marché de l'audit, et notamment de la concentration de ce marché.

Le Livre vert de 2010 a constaté la très forte concentration du marché de l'audit sur les quatre grands réseaux mondiaux dans un certain nombre de pays. La France est moins touchée que d'autres par cette concentration ; notre pays dispose en effet d'un très grand nombre de cabinets de commissaires aux comptes dont le domaine est par ailleurs très vaste.

Indépendamment, obligation va à présent être faite aux régulateurs de l'audit européen d'exercer cette surveillance et d'en faire rapport à l'organisme qui contrôlera et coordonnera les régulateurs. Nous devons réaliser le premier rapport pour le mois de juin 2016, date de mise en oeuvre de la réforme de l'audit.

Tout cela va nécessiter des travaux supplémentaires. Nous avons essayé d'en mesurer les conséquences en termes de recrutement ; elles sont limitées, mais compte tenu du niveau des personnels que nous cherchons à recruter, et surtout du niveau des rémunérations du secteur de l'audit, ceci aura un impact financier évident.

M. Philippe Steing, secrétaire général du Haut Conseil du commissariat aux comptes. - Dans l'attente du texte de la Chancellerie, nous avons élaboré des hypothèses hautes et basses. Nous avions pensé qu'une dizaine de personnes supplémentaires seraient nécessaires en renfort, mais il pourrait en fait s'agir de quinze, ou au contraire de cinq.

C'est un chiffre qu'il faut avancer avec prudence, mais qui peut avoir d'importantes conséquences financières, car nous sommes tenus de recruter des personnes extrêmement qualifiées, qui possèdent des spécialités très rares, et donc très coûteuses.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous allez donc devenir un « super ordre » des commissaires aux comptes ! Madame la présidente, vous venez de la Cour de cassation, et c'est une grande satisfaction de voir que le droit va enfin contrôler le chiffre !

Mme Christine Thin. - Vaste question !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'est devenu tellement rare que cela mérite d'être salué.

Depuis 2003, date de sa création, vous présidez cette autorité administrative indépendante, dont je vous avoue que je ne connaissais pas l'existence. C'est dire si vous avez donné satisfaction.

Comment faisiez-vous pour assumer en même temps vos tâches de magistrat à la Cour de cassation et de présidente de cette autorité administrative indépendante ?

Mme Christine Thin. - Cela n'a pas été facile. Je le mets au passé pour deux raisons : je suis en effet aujourd'hui magistrat honoraire et, en outre, le statut du président de la H3C a été réformé en cours de route.

J'ai exercé les deux concurremment pendant cinq ans. Ce fut très compliqué, d'autant que je n'ai pas de véhicule de fonction - c'est un choix. J'ai passé des heures dans les transports en commun pour me rendre de mon bureau de la Cour de cassation à mon bureau du H3C, et vice-versa. Cela a été possible en phase de démarrage, la prise d'activité ayant été progressive.

Au bout d'un moment toutefois, cela n'a plus été envisageable, du fait de l'augmentation des attributions et de l'activité du H3C, et du développement de son activité internationale, qui m'a obligée personnellement à accomplir un certain nombre de déplacements, certes limités dans l'année. En outre, la profession avait besoin de davantage de présence de ma part sur le terrain. J'étais dans l'incapacité de me rendre dans les compagnies régionales, mon emploi du temps étant extrêmement contraint.

C'est pour toutes ces raisons que le législateur a inscrit dans le code de commerce le fait que l'emploi de président du H3C est un emploi à temps complet.

À partir de décembre 2007, j'ai été mise à la disposition du H3C par la Cour de cassation, afin d'exercer ma fonction à temps complet.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Votre activité est importante : depuis 2010, le secrétaire général de la H3C a adressé près de 960 recommandations individuelles aux cabinets EIP contrôlés et plus de 5 600 aux cabinets non EIP. Vous avez saisi le procureur général de la situation de 46 cabinets EIP et de 220 cabinets non EIP. Il y a donc du ménage à faire ! Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Christine Thin. - Les contrôles obéissent à une périodicité. Nous devons contrôler chaque cabinet EIP au moins une fois tous les trois ans, et chaque cabinet non EIP au moins une fois tous les six ans. Le volume des contrôles est de ce fait très important, ainsi que du fait du nombre de cabinets présents sur le territoire.

En outre, nous développons de plus en plus une approche par les risques, en lien avec nos homologues étrangers, pour sélectionner les cabinets que nous contrôlons en priorité, la périodicité de trois ans ou de six ans constituant un minimum obligatoire. Nous avons donc décidé de contrôler chaque grand réseau tous les ans.

Sachez aussi que chaque contrôle se termine par l'envoi d'un document qui peut être un satisfecit mais qui, dans la plupart des cas, comporte des recommandations. Nous avons élaboré une graduation en fonction des améliorations que nous estimons nécessaires. Cela peut aller d'une simple recommandation, avec vérification de sa mise en place lors du contrôle suivant, jusqu'à une recommandation avec un nouveau contrôle rapide, en passant par une demande de mise en place d'un plan d'amélioration, qui doit être ensuite justifié auprès du H3C.

La décision a été prise de saisir les procureurs généraux - qui, en ce domaine, comme en matière pénale, ont l'appréciation de l'opportunité des poursuites, ainsi qu'en matière disciplinaire - des cas d'incompatibilité avérée, de manquements, d'insuffisances, de violation des règles professionnelles réitérées contrôle après contrôle.

Ce sont des cas sérieux, soit de méconnaissance totale des règles professionnelles - cela existe - soit une réitération de ces manquements et un refus de l'intéressé de se conformer aux recommandations qui lui sont adressées.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le nombre de saisines du parquet général a attiré mon attention...

Mme Christine Thin. - Il s'agit d'un chiffre cumulé.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Certes, mais sur cinq ans, vous avez transmis au parquet général les dossiers de 46 cabinets EIP et de 220 cabinets non EIP !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il existe quand même un contrôle des compagnies régionales...

Mme Christine Thin. - Non, les compagnies régionales contrôlent les cabinets non EIP uniquement sur délégation, mais nous centralisons tous les rapports de contrôle, qu'ils soient réalisés par nos propres contrôleurs, par la Compagnie nationale dans les cabinets EIP délégués, ou par les compagnies régionales dans les cabinets non EIP.

Tous les rapports de contrôle sont examinés au sein du H3C. Ces chiffres concernent donc l'intégralité du contrôle des cabinets.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Réalisez-vous un contrôle sur place et non pas uniquement sur pièces ?

Mme Christine Thin. - Bien sûr !

Ce contrôle s'articule autour de deux lignes directrices. La première concerne l'organisation du cabinet - procédures mises en place pour assurer notamment l'indépendance des membres du cabinet appelés à réaliser l'audit, mais aussi des obligations de formation, etc.

En second lieu, on vérifie sur certains mandats la façon dont a été réalisé l'audit et si l'opinion émise par le commissaire aux comptes à l'issue de ses travaux est justifiée, notamment grâce à la documentation qu'il a introduite dans son dossier.

Parmi les manquements et les insuffisances que nous relevons figurent beaucoup d'insuffisances de documentation. Bien souvent, nous ne pouvons dire si l'audit a abouti à une mauvaise opinion ou que les comptes n'auraient pas dû être certifiés, la mauvaise qualité du dossier ne nous permettant pas d'affirmer que cela a été le cas.

Nous relevons par ailleurs des insuffisances dans la conduite même de la mission d'audit. C'est plus fâcheux encore, puisque certaines zones de l'activité de l'entreprise risquent d'avoir échappé au contrôle.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous vous avons demandé dans notre questionnaire un complément de réponse sur le fait que vous aviez présenté des observations dans le cadre de deux pourvois devant le Conseil d'État. Vous nous avez répondu que « ces observations visaient dans un cas la date de prise d'effet de la radiation de la liste des commissaires aux comptes prononcés à titre disciplinaire » et, dans un second cas, « mise en cause de l'impartialité d'un des membres du H3C, compte tenu des autres fonctions exercées par ce membre ».

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mme Christine Thin. - L'impartialité d'un des membres représentant les entreprises a été mise en cause ; le commissaire aux comptes faisant l'objet des poursuites disciplinaires avait été, en 2002 ou 2003, l'un des commissaires aux comptes de l'entreprise dont cette personne est aujourd'hui directeur de l'audit interne.

L'intéressé m'a fourni deux documents, dont une attestation émanant d'un des responsables de l'entreprise en question. Il a été démontré qu'il n'avait jamais été en contact avec ce commissaire aux comptes, le cabinet n'étant plus commissaire aux comptes de l'entreprise, lui-même, en tant que directeur de l'audit interne, étant aujourd'hui encore mis à l'écart de toute relation avec les commissaires aux comptes. Ce prétendu lien n'existait donc pas, et la preuve en a été apportée. Le Conseil d'État a d'ailleurs écarté ce grief.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous nous avez indiqué les liens avec d'autres structures indispensables, en particulier les quatre entités dont vous avez rappelé l'existence. On le comprend face à l'évolution du numérique et de la mondialisation des transactions financières, mais qu'en est-il chez nos voisins européens ? Existe-t-il des autorités équivalentes à la vôtre ou d'autres modes de fonctionnement ?

Mme Christine Thin. - À ma connaissance, du fait des exigences de la huitième directive et de la nouvelle réglementation européenne, il est obligatoire de disposer d'une autorité en charge de la supervision et de la régulation de l'audit. Celle-ci se met en place. Certains pays sont moins avancés que les principaux leaders européens, mais une autorité se met partout en place.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - S'agit-il pour autant d'autorités administratives indépendantes ?

Mme Christine Thin. - Ce sont des autorités indépendantes, sauf peut-être chez certains nouveaux entrants, où l'on peut trouver des autorités adossées à une autorité gouvernementale, mais il existe nécessairement une structure dédiée.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - La question porte sur la nature de l'autorité...

Mme Christine Thin. - Les Allemands ont une commission indépendante.

En Grande-Bretagne, il existe une série de commissions, dont chacune a sa spécialité, et qui sont placées sous l'autorité faîtière d'une commission qui chapeaute toutes ces commissions oeuvrant dans le domaine financier. Un des organismes s'occupe spécifiquement de l'audit.

Aux Pays-Bas, il existe une autorité publique qui joue en même temps le rôle de l'autorité de marché, mais qui comporte en son sein un département autonome dédié à l'audit. La situation est identique en Italie. L'Espagne compte une autorité indépendante, ainsi que le Portugal et les anciens pays de l'Est voient également des autorités indépendantes se mettre en place.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Avez-vous déjà fait l'objet d'un contrôle ?

Mme Christine Thin. - Pas encore ! Nous sommes placés sous le contrôle de la Cour des comptes, qui ne nous a pour l'instant jamais contrôlés. Nous lui adressons scrupuleusement tous les ans notre compte financier, mais je sais que ce contrôle arrivera un jour.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il semblerait que depuis que vous avez été créé, il n'y a jamais eu de contrôle, ni de la Cour des comptes ni du Parlement.

Mme Christine Thin. - C'est vrai. J'ai reçu la semaine dernière une demande de l'inspection des finances, le Premier ministre l'ayant saisie d'une mission de contrôle des différentes autorités administratives et autorités publiques indépendantes.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'est un curieux hasard ! Peut-être le Parlement sert-il encore à quelque chose...

M. Philippe Steing. - Nous remplissons tous les ans un questionnaire pour la commission d'évaluation des politiques publiques. Il existe donc une confrontation avec cette commission. Nous ne sommes tout de même pas « hors sol » !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce n'est pas parce que nous faisons cette constatation que nous pensons que vous fonctionnez n'importe comment ! Il n'y a là aucun lien de cause à effet.

Vous êtes cependant la seule, parmi les AAI financièrement les plus lourdes, à n'avoir jamais subi aucun contrôle de qui que ce soit, en douze ans.

Mme Christine Thin. - Je ne dirai pas que c'est parce qu'un des membres de la Cour des comptes siège au sein du collège ! Cela donne confiance...

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce n'est vraiment pas une exception ! Les autorités administratives indépendantes où ne siège aucun membre de la Cour des comptes, du Conseil d'État ou de la Cour de cassation constituent une espèce extrêmement rare !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous n'êtes pas directement financés par des deniers publics. Ce peut être une explication...

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez cependant fonctionné durant une certaine période avec des crédits budgétaires.

Mme Christine Thin. - Nous n'avions pas de budget propre, ni même de ligne dédiée au sein du budget du ministère de la justice. Les recrutements étaient notamment réalisés par le ministère et nos frais de déplacement étaient également engagés et réglés par le ministère.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Alors même que vous étiez une autorité administrative indépendante ! Vos moyens ne relèvent à présent plus de la Chancellerie, mais de cotisations émanant des commissaires aux comptes : vous prenez l'argent là où il est !

Mme Christine Thin. - Là où le législateur a bien voulu le prendre pour nous le donner ! Cela nous vaut de payer chaque année à l'État 500 000 euros de taxes sur les salaires. Nous abondons donc le budget de l'État.

M. Philippe Steing. - Grâce à notre activité !

Mme Christine Thin. - La France a pour cela un génie particulier que nous ne pouvons que saluer ! On pourrait l'exporter...

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Un commissaire du Gouvernement assiste à vos délibérations. Est-ce compatible avec l'indépendance, et cela vous sert-il à quelque chose ?

Mme Christine Thin. - Oui, c'est utile. Il est là pour exprimer la position des pouvoirs publics, principalement celle du ministère de la justice, puisque c'est un membre de la direction des affaires civiles qui représente le directeur en titre. Il n'a par ailleurs pas de voix délibérative : il est simplement là pour nous apporter un éclairage sur la position gouvernementale, s'il y en a une ou, plus fréquemment, préciser l'interprétation des textes. Sa présence est donc très importante.

Il n'est pas uniquement présent lors des travaux du collège, mais également au moment des travaux des commissions spécialisées. Il n'a pas de pouvoir de décision ; en revanche, le directeur général du Trésor est représenté au sein du collège.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Cela pose quand même une question par rapport à l'indépendance, sans avoir aucun doute sur votre conception de celle-ci, madame.

Mme Christine Thin. - Avant d'être présidente du H3C, j'ai été durant trois ans membre du collège de la Commission des opérations de bourse (COB).

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous l'avons en effet relevé ; nous lisons avec intérêt les curriculum vitae des responsables des autorités administratives indépendantes.

Mme Christine Thin. - C'est à cette occasion que j'ai découvert la notion de creuset.

Ces collèges qui réunissent des personnes d'horizons et d'origines professionnelles diverses, mêlant privé et public, avec des personnes de formation et de sensibilité très différentes, permettent selon moi de voir converger des opinions, des expériences, des modes de raisonnement, des approches diverses et de les fusionner pour aboutir à une décision.

Dans la situation actuelle, la moitié du collège est issue du secteur privé : ce sont des professionnels ou des représentants des entreprises. Les représentants du secteur public sont eux aussi divers. Je pense que c'est de cette confrontation que naît l'indépendance de ce collège.

M. Jean-Léonce Dupont. - Quels sont les rôles et l'utilité respectifs du H3C par rapport à l'ordre ?

Par ailleurs, pour nous convaincre totalement de votre indépendance, pourriez-vous nous dire le nombre de décisions du H3C qui n'ont pas suivi les conclusions du commissaire du Gouvernement ?

Mme Christine Thin. - Tout d'abord, il n'existe pas d'ordre pour les commissaires aux comptes, mais une organisation divisée en commissions régionales et la Compagnie nationale.

La Compagnie nationale est déclarée d'intérêt public ; elle remplit une mission différente de la nôtre en ce sens qu'elle assure une représentation de la profession et veille à ses intérêts. Nous sommes un organe de régulation externe à la profession et n'avons pas la même composition, ni le même statut qu'un ordre professionnel, comme l'ordre des experts-comptables.

La Compagnie nationale, aux termes du texte qui nous a institués, doit apporter son concours à la réalisation de notre mission. C'est pourquoi elle pouvait jusqu'à présent concourir, entre autres, à la réalisation des contrôles.

Il n'y a pas de conclusion formelle du commissaire du Gouvernement ; celui-ci apporte un éclairage. Certes, il est la voix du ministère en charge de ces questions, et a une autorité que lui confère sa connaissance de ces sujets et de la matière, mais ce n'est qu'une voix qui s'exprime.

Je suis hors d'état de vous répondre sur le nombre de délibérations suivant ses « conclusions », la seule chose que je puisse dire, c'est qu'il n'est pas systématiquement suivi.

La réunion est suspendue à 17 heures 03

Audition de M. Christian Noyer, président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

La réunion reprend à 17 h 04

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous achevons notre revue exhaustive des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes en recevant M. Christian Noyer, président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et gouverneur de la Banque de France jusqu'au 31 octobre prochain.

L'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) a été créée par l'ordonnance du 21 janvier 2010, ratifiée par la loi bancaire et financière en octobre 2010. Elle est issue de la fusion des autorités d'agrément et de contrôle des secteurs bancaires et assurantiels. Elle est devenue l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en juillet 2013 suite à la loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Depuis l'origine, elle est qualifiée par la loi d'autorité administrative indépendante.

L'ACPR contrôle les établissements du secteur bancaire et assurantiel, les courtiers et intermédiaires en opérations de banque et services de paiement. De nouvelles missions lui ont été récemment confiées concernant la protection de la clientèle des établissements soumis à son contrôle, le suivi et l'évaluation des mesures de prévention et de résolution des crises bancaires ou encore la surveillance de la séparation entre activités spéculatives et activités utiles au financement de l'économie.

Vous reviendrez certainement sur l'extension de votre champ d'intervention, notamment en raison des mécanismes communautaires mis en place avec la directive Solvabilité II et la création du Mécanisme de résolution unique.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Christian Noyer et Patrick Montagner, secrétaire général adjoint, prêtent serment.

M. Christian Noyer, président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - Vous l'avez rappelé, l'ACPR - alors ACP - a été créée par l'ordonnance du 21 janvier 2010. Cette création a répondu à de multiples défis : adapter la supervision à une réalité de marchés d'acteurs de plus en plus intégrés ou dépendants, renforcer la surveillance macro-prudentielle, répondre aux préoccupations croissantes de protection de la clientèle et faire peser davantage la voix de la France dans les négociations internationales.

Cette mise en place a permis de faire émerger une supervision intégrée des secteurs de la banque, de l'assurance et des mutuelles - modèle qui s'est depuis répandu dans un certain nombre d'autres pays - et d'ajouter à la supervision une nouvelle et importante mission de contrôle des pratiques commerciales.

L'ACPR a reçu dès l'origine un mandat explicite de préservation de la stabilité du système financier. Cette nécessité a pris un relief particulier lors de la crise des crédits hypothécaires à risque qui avait provoqué une prise de conscience internationale sur la nécessité d'une meilleure surveillance des risques financiers. Cette prise de conscience a donné lieu à des initiatives multilatérales - dont la création du Conseil de stabilité financière - ainsi qu'à une réflexion sur l'organisation de la supervision.

La volonté qui a présidé à la création de l'ACP était d'avoir une approche cohérente, en tirant profit de la synergie de missions auparavant réparties entre la Commission bancaire, le comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (CECEI), l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM) et le Comité des entreprises d'assurance (CEA). Plusieurs arguments ont motivé le regroupement de ces quatre autorités et leur adossement à la Banque de France.

C'est tout d'abord la très forte complémentarité des deux secteurs dans notre pays, qui se traduit notamment par l'existence de conglomérats financiers. Au niveau européen, la création de l'ACPR a été justifiée par une convergence progressive des techniques : à la fois celles des établissements et celles des superviseurs.

En définitive, cette création est le fruit du besoin d'une supervision plus intégrée des établissements financiers, d'une part, et d'un souci de simplification et de rationalisation de cette supervision, d'autre part. Les deux secteurs gagnent en effet à être suivis par une autorité capable de comprendre leurs connexions et leurs différences. En outre, les structures nécessaires ont été créées pour bien articuler la mission de l'ACPR avec celle de surveillance des marchés financiers et de protection de l'épargne dévolue à l'Autorité des marchés financiers (AMF). L'adossement de la nouvelle autorité à la Banque de France permet de profiter des synergies entre la supervision et les autres missions de l'établissement. La stabilité financière entière s'en trouve renforcée.

L'Autorité a connu une évolution majeure avec les réponses européennes apportées à la crise des dettes souveraines de 2011. Les fortes connexions entre risque bancaire et risque souverain ainsi que la nécessité de garantir aux citoyens un contrôle bancaire renforcé et homogène en Europe ont conduit au lancement d'un chantier, en juin 2012, visant à la mise en place d'une véritable union bancaire dans la zone euro.

Adossée à une réglementation désormais bien plus uniforme, cette dernière visait à développer trois piliers constitutifs d'une union bancaire : un mécanisme de supervision unique (MSU), un mécanisme de résolution unique (MRU) et un mécanisme uniforme de garantie des dépôts bancaires.

Le MSU modifie profondément la conduite des missions de contrôle bancaires de l'ACPR. Ce dispositif place en effet les établissements de crédit de la zone euro sous supervision directe - pour les établissements les plus importants et avec l'assistance des autorités nationales - ou indirecte de la Banque centrale européenne (BCE). En France, les dix plus grandes banques sont placées depuis novembre 2014 sous supervision directe de la BCE et sont donc contrôlées par des équipes composées d'agents de la BCE et de l'ACPR. La BCE assure clairement le rôle directeur et la responsabilité du pilotage de cet ensemble, mais l'ACPR y est fortement impliquée. Elle a participé à la réalisation d'un exercice d'évaluation du bilan des banques européennes et a détaché plus de 80 agents auprès de la BCE pour la formation des nouvelles équipes à Francfort. Elle continue à fournir l'essentiel des équipes conjointes de contrôle pour les établissements français ainsi que la quasi-intégralité des équipes de contrôle sur place. En outre, l'ACPR s'est beaucoup investie dans les processus de décision du MSU. Son représentant participe activement aux réunions du Conseil de surveillance prudentielle tandis que l'ACPR est le point d'entrée de nombreuses procédures communes. Ses équipes contribuent fortement aux travaux d'harmonisation dont l'importance pour l'avenir de notre secteur financier est essentielle.

À ces missions s'ajoutent la supervision directe, dans le cadre du MSU, des 156 établissements de crédit moins significatifs ainsi que les domaines qui demeurent de sa seule compétence : le contrôle de la commercialisation des produits, de la prévention du blanchiment de capitaux, de la séparation des activités menées pour compte propre et des règles d'ordre prudentiel relatives à la prestation de services d'investissement ou à la compensation d'instruments financiers.

Le « pilier » MRU appelle également une forte implication stratégique de l'ACPR dans les instances européennes. L'entrée en vigueur de la directive BRRD et du règlement relatif au MRU est venue compléter le dispositif législatif adopté en juillet 2013. Dans ce nouveau cadre, l'ACPR doit « veiller à l'élaboration et à la mise en oeuvre des mesures de prévention et de résolution des crises bancaires ». Pour ces missions, le Collège de résolution créé au sein de l'ACPR s'appuie sur une direction ad hoc qui sera l'interlocuteur des nouveaux services européens. Elle participera pleinement aux tâches opérationnelles et aux travaux de convergence européens dans ce domaine très sensible, portant sur l'élaboration des plans opérationnels de résolution et sur l'analyse des plans de rétablissement préparés par les groupes bancaires. Le cas échéant, elle participera à la mise en oeuvre de mesures de résolution.

Si le troisième pilier de l'Union bancaire n'a pas encore vu le jour, la récente transposition de la deuxième directive relative aux systèmes de garantie de dépôt confère de nouvelles responsabilités à l'ACPR dans ce domaine, dans un contexte d'harmonisation européenne renforcée.

Je souhaite souligner le défi considérable que représente pour l'Union européenne le passage à Solvabilité II, dans un contexte de taux très différent de celui envisagé lors des négociations de ce texte. Sa mise en oeuvre nécessite une attention et un effort de coordination avec nos homologues européens pour assurer une transition adéquate ainsi que la poursuite des adaptations de ce secteur.

Je retiens de tous ces éléments l'idée que la supervision des établissements du secteur financier est appelée à une évolution constante dans ses missions au service de la stabilité financière et de protection des consommateurs. Cette supervision s'effectuera dans le cadre d'un renforcement des règles de conduite.

L'ACPR, chargée de la supervision de l'un des secteurs les plus innovants et les plus dynamiques, doit maintenir sa vigilance permanente, sa connaissance du tissu financier et sa compréhension des techniques utilisées. Il lui est en outre indispensable d'assumer son rôle dans une coopération internationale de plus en plus importante en ce qui concerne les approches réglementaires et les pratiques de supervision. Elle dispose pour cela d'une véritable expertise technique, d'un capital humain reconnu à l'international et d'une connaissance enracinée du secteur financier français.

L'adossement de la Banque de France et son appui à l'ACPR sont des facteurs clés de réussite. Ils permettent de bénéficier d'un bassin d'emploi intégré facilitant le déroulement des carrières et la diversité des expériences. La mise en commun des activités de support est, en outre, source d'efficacité et de gains de productivité. Le croisement des expertises et la conjonction des responsabilités permettent de réaliser des diagnostics complets et robustes des déterminants de la stabilité financière. Enfin, cela nous offre une capacité d'influence accrue dans les instances européennes et internationales.

M. Jacques Mézard, rapporteur- Nous n'avons pas d'observation particulière à formuler quant au fonctionnement, à l'expérience des membres de l'ACPR, à la qualité de vos collaborateurs ou au modèle que vous souhaitez représenter à l'extérieur ; ce qui nous intéresse, ce sont les AAI.

Que pensez-vous de la qualification d'autorité administrative indépendante conférée à l'ACPR par la loi ? Ne nous répondez pas qu'il s'agit d'une décision du législateur ! Avez-vous le sentiment que cette qualification correspond à la réalité ?

M. Christian Noyer. - Vous avez répondu à la question : c'est de la responsabilité du législateur, je suis là pour appliquer la loi et non pour la discuter. Mais dès lors que vous m'avez posé la question, je suis très heureux de pouvoir vous répondre très directement. Personnellement, j'aurais fait un choix différent, car nous avons affaire à une autorité très intégrée à la Banque de France. Pour moi, il faut une séparation très grande dans les fonctions qui est réalisée grâce à des collèges très individualisés. Le collège de l'ACPR, dont la composition a été fixée par le législateur, ne se confond pas avec les instances dirigeantes de la Banque de France.

En revanche, le fonctionnement que j'ai décrit montre que les services de l'ACPR corresponde à une direction générale de la Banque de France. C'est une gêne non négligeable de devoir suivre d'un côté les règles d'une autorité administrative indépendante et de l'autre, celles d'une institution publique sui generis - qui se veut par ailleurs performante, souhaite réaliser des gains de productivité et verser des dividendes à l'Etat.

La seule justification de ce statut réside dans le fait que le législateur nous a affecté une recette, prélevée sur les établissements et qui ne provient donc pas des activités normales de la Banque de France. Cela peut justifier une surveillance particulière.

Par exemple, lors de l'analyse complète des bilans que nous avons réalisée l'année dernière, nous avons été amenés à recourir aux services d'auditeurs extérieurs pour compléter nos équipes. Nous avons dépensé un budget relativement important - 80 millions d'euros - financé par une subvention de la Banque de France à l'ACPR car cela ne pouvait être financé par le budget de l'ACPR. Cette possibilité nous est offerte par la loi. Nous voyons bien qu'il existe une très grande interpénétration entre la Banque de France et l'ACPR. L'ACPR n'a pas un budget autonome, mais d'un budget annexe à celui de la Banque de France.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je vous remercie pour cette réponse qui me satisfait pleinement. Il appartient au législateur d'en tirer les conclusions pour l'avenir.

L'ACPR a un certain nombre de particularités qui découlent de la spécificité des missions qui lui sont confiées. Le collège de résolution est présidé par le gouverneur de la Banque de France : pour une autorité administrative indépendante, c'est assez original. Je ne critique pas les personnes : nous auditionnons des personnalités compétentes et nous entendons leur avis sur un système global de fonctionnement. Mais un sous-gouverneur de l'ACPR, désigné par le gouverneur de la Banque de France : cela manque de cohérence avec ce que nous pouvons attendre d'une autorité administrative indépendante. De même, la commission des sanctions, outre des représentants des grands corps que le législateur a prévu, compte trois titulaires et trois suppléants nommés par le ministre des Finances.

Votre réponse à la question de savoir si l'ACPR est une AAI confirme ce que nous pouvions en penser. Mais que souhaiteriez-vous ?

Quand je vois votre expérience dans le domaine, je ne peux qu'être admiratif. Nous, parlementaires, ne pourrons bientôt plus cumuler notre fonction avec celle d'adjoint dans une petite commune. Nous n'avons pas les capacités des hauts représentants de la fonction publique.

M. Christian Noyer - Je préside le collège plénier qui délibère sur les instructions générales, les questions d'interprétation ou les sujets ayant vocation à compléter les normes. Les décisions individuelles sont prises par des collèges restreints présidés par un de mes sous-gouverneurs et par le vice-président de l'ACPR. Je ne siège pas dans ces collèges.

En pratique, je suis très content de la façon dont cela fonctionne. Les activités supports sont fournies par la Banque de France. La gestion des ressources humaines, les marchés immobiliers ou encore le support informatique sont réalisés par les équipes de la Banque de France, comme elles le font pour d'autres secteurs opérationnels de la Banque. Ces apports sont très précieux.

Je trouve effectivement qu'il est étrange de prétendre penser qu'il s'agit d'une autorité différente de la Banque de France. Le terme « autorité » crée un peu de confusions et d'incertitudes. Nous avons par exemple pu constater dans la gestion immobilière que France Domaine regrettait que nous ne fonctionnions pas comme une administration. J'espère que nous avons au moins la même exigence de sérieux et d'efficacité de gestion, mais nous n'entrons pas dans les mêmes procédures.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le Directeur général du Trésor est présent dans le collège de résolution, ce qui est étrange.

M. Christian Noyer. - La présence du directeur général du Trésor dans le collège de résolution tient au fait qu'il est possible d'imaginer, dans un cas extrême, que se pose la question d'une éventuelle intervention de l'État. La présence d'un proche collaborateur du ministre des finances me paraît finalement naturelle.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je ne dis pas que cette présence n'est pas naturelle. La question que je pose porte sur le caractère d'autorité administrative indépendante.

M. Christian Noyer, président de l'ACPR. - Je reconnais que l'ACPR n'est pas du tout une autorité administrative indépendante telle que je pourrais le comprendre. On parle d'une entité très différente.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - En refusant de transmettre un schéma de stratégie immobilière, vous semblez estimer être différents.

M. Christian Noyer. - En réalité, l'ACPR ne définit ni ne gère sa stratégie immobilière. Les services chargés de l'immobilier au sein de la Banque de France sont ceux qui recherchent les solutions immobilières ; c'est intégré dans notre stratégie générale.

Il faut considérer le contexte : quatorze mois seulement se sont écoulés entre le vote de la loi et le moment où l'ACPR devait être opérationnelle. Le chantier était gigantesque : nous devions fusionner des services très différents et des locaux étaient libres à la location dans l'ensemble d'immeubles occupé par l'ACAM. Nous avons décidé de les louer, car cela permettait de regrouper les équipes rapidement et de les installer à proximité des autres services de la Banque de France. Les conditions du bail que nous avons signé étaient bien meilleures que l'ancien bail de l'ACAM. Nous aurions pu soumettre ce projet à France Domaine, mais j'ai estimé que cela n'était pas juridiquement fondé. L'ACPR est clairement adossée à la Banque de France, donc cette responsabilité nous appartient. Nous avons évidemment essayé de maximiser le rapport qualité/prix.

Une critique qui a été faite me touche : notre ratio cible d'occupation est identique à celui de l'ensemble de la Banque de France. Le ratio calculé par France Domaine était en réalité faux, car il prenait en compte l'ensemble des surfaces, y compris les halls d'entrée, les couloirs, les salles de réunion et les espaces communs. Par ailleurs, les effectifs auxquels France Domaine fait référence ne prenaient pas en compte les agents de la Banque de France présents sur place, les consultants extérieurs ou encore les temps partiels. En rectifiant ces calculs, nous parvenons à une surface moyenne de 12,4 mètres carrés par poste de travail. En outre, nous reconstituons notre effectif suite à la mise à disposition de 80 personnes auprès de la BCE, ce qui nous permettra d'atteindre très rapidement douze mètres carrés, peut-être moins.

Nous ne dérogeons pas aux règles de bonne gestion que s'impose le secteur public.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Pensez-vous que les obligations en matière de conflit d'intérêts résultant de la loi relative à la transparence  de la vie publique adoptée en 2013 pourraient poser problème ? L'AMF nous a fait part de certaines difficultés.

M. Christian Noyer. - Je n'ai pas connaissance de difficultés majeures, mais il est vrai que certaines personnes pourraient être dissuadées d'être membres de l'autorité. Il est demandé à certains membres désignés de disposer d'une expérience dans les secteurs de la banque et de l'assurance. En cas de risque de conflit d'intérêts par rapport à un établissement dans lequel ils ont travaillé, ces membres peuvent aisément se déporter. En revanche, l'interdiction de détenir dans son portefeuille toute action d'un ancien groupe peut dissuader ceux souhaitant conserver le portefeuille qu'ils ont acquis. Être obligé de le vendre brutalement ou d'en confier la gestion à un mandataire extérieur peut les gêner. Je ne me souviens pas que nous ayons eu de grandes difficultés, mais cela peut avoir des conséquences sur la composition du collège de l'autorité.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Dans les réponses au questionnaire que vous nous avez adressé, vous indiquez que sur six recours non pendants contre la commission des sanctions, aucun n'a prospéré devant le Conseil d'État. Sur 23 recours non pendants contre les décisions de l'ACPR, un seul a été favorable au requérant. La présence de plusieurs conseillers d'État dans la commission des sanctions - deux des six membres - ne pose-t-elle pas un problème sur le principe ?

M. Christian Noyer. - J'ai tendance à penser que cela garantit une très grande sécurité juridique dans la manière dont les décisions sont préparées et prises. Les collèges ont souvent été amenés à modifier une décision de fond pour éviter un risque juridique trop grand, voire à renoncer à une sanction si son fondement semblait trop fragile. Cela a également pu nous amener à suggérer de petites modifications à l'occasion de législations successives afin de combler un vide juridique. Ces modifications ont été soutenues par le Gouvernement. Je n'ai pas eu le sentiment que la composition de l'ACPR pouvait influencer le Conseil d'État. Personnellement, je suis favorable à la poursuite de la composition des collèges concernés.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - En octobre dernier, la Fédération française des sociétés d'assurance a formé un recours pour excès de pouvoir contre une recommandation de l'ACPR relative aux conventions de distribution. Que pouvez-vous nous dire sur ce recours ?

M. Patrick Montagner, secrétaire général adjoint de l'ACPR . - Le recours est pendant. Nous attendons une décision du Conseil d'État sur le pouvoir laissé à l'ACPR. Nous avons toujours été attentifs au fait que ce pouvoir de recommandation puisse s'appliquer en se dégageant des pratiques que nous constatons, mais aussi en instaurant celles que nous estimons souhaitable de constater. Il s'agit principalement de pratiques commerciales et des relations avec les clientèles. Nous pensions qu'en fonction du produit et de la difficulté de le comprendre pour les clients, des recommandations de l'Autorité pourraient permettre aux professionnels d'identifier les éléments attendus par l'ACPR en matière de pratique sincère et équitable. Nous prenons soin de ne pas légiférer, même si la frontière est ténue. Des organisations professionnelles ont estimé que nous étions allés trop loin. Nous verrons ce que le Conseil d'État en pense. Nous sommes guidés par cette volonté d'utiliser le pouvoir qui nous est confié par le législateur. Cette mission de protection de la clientèle implique de traduire concrètement les principes d'équité dans le traitement des clients.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous nous avez fait part de vos réserves quant à la qualification d'autorité administrative indépendante. Vos fonctions diverses en sont la preuve. Si le législateur vous qualifie d'autorité administrative indépendante serait-ce, pour reprendre une formule d'Edgar Faure, « l'indépendance dans l'interdépendance » ?

M. Christian Noyer. - Il existe en réalité une très grande complémentarité et une très grande cohérence. Comment fonctionne le comité de Bâle ? Traditionnellement, les pays sont représentés par une personne issue de l'autorité en charge de la supervision bancaire - dans notre cas, l'ACPR - ainsi que d'une personne provenant de la partie « stabilité financière » des banques centrales. L'instance supérieure d'arbitrage regroupe les gouverneurs et les présidents d'autorité de supervision : j'y siège seul puisque j'exerce les deux responsabilités. Je me prononce au vu de tous les éléments qui me sont donnés par l'ensemble des services. Beaucoup de collègues se trouvent dans la même situation.

Quelle est la forme idéale ? Je ne le sais pas. Je pourrais prendre l'exemple du Conseil de stabilité financière dans lequel nous discutons des recommandations qui seront faites au G20. Les gens croisent leur expertise pour me préparer le dossier le meilleur possible. Tout ceci fonctionne bien. À l'étranger, les organisations sont diverses. Le cas britannique est intéressant : le contrôle banque et assurance a été redonné à la Banque d'Angleterre. Ils ont beaucoup parlé avec nous auparavant et ont choisi la formule de filiale de la Banque d'Angleterre pour s'occuper de la supervision. Le Collège ressemble au nôtre - peut-être plus restreint - puisqu'il est présidé par le gouverneur ou son représentant. Différents types d'organisations sont possibles.

Ce qui me gêne le plus n'est pas l'organisation, mais la qualification d'autorité administrative indépendante. Cette dénomination comporte une ambiguïté en laissant penser que l'autorité à sa vie propre alors qu'elle est en réalité très intégrée. Mais l'organisation prévue par la loi est, à l'expérience, très bonne.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si je comprends bien, le fonctionnement global de la Banque de France donne satisfaction et y ajouter une autorité administrative indépendante qui ne reflète pas la réalité est un appendice superfétatoire.

M. Christian Noyer. - C'est exactement ce que je pense. Nous devons toutefois conserver un collège.

M. Pierre-Yves Collombat. - Ma question est peut-être hors sujet. Avons-nous une idée du niveau des créances à risque dans le bilan des banques françaises ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous dépassons la mission de la commission d'enquête.

M. Pierre-Yves Collombat. - Cette question vise à définir le pouvoir réel de l'ACPR.

M. Christian Noyer, président de l'ACPR. - Nous suivons de très près le taux de créance douteuse ou non performante. Des règles de calculs assez précises existent, en principe harmonisées à l'international. De mémoire, le taux est de l'ordre de 2 %. Je pourrais vous répondre par écrit sur ce point précis. Ce taux est relativement faible en France, tout d'abord car nous disposons d'un système de suivi de la qualité de crédit des prêts en entreprises qui s'appuie notamment sur une cotation définie par la Banque de France. Notre système de distribution du crédit immobilier aux particuliers est, en outre, assez sûr. Aussi, le taux de créance douteuse est relativement faible. Cela a été confirmé dans l'analyse des bilans que nous avons réalisée il y a un an.

M. Pierre-Yves Collombat. - L'inflation des produits dérivés pose-t-elle problème ?

M. Christian Noyer. - Les banques françaises sont très actives sur les dérivés d'actions. Ces derniers sont indispensables pour proposer des produits de gestion collective action pour le grand public. Pour attirer un large public sur les SICAV, les OPCVM ou les produits d'assurance-vie en action, l'une des méthodes est de garantir que la variation maximum ne dépassera pas une certaine fourchette. Les dérivés sont utilisés par les banques pour apporter cette garantie ainsi que, bien entendu, pour couvrir leur propre risque de taux. Nous regardons ces procédures de près. Notre sentiment est que cette utilisation est fondée, soit dans le cadre d'une opération de clientèle, soit dans le cadre d'une opération de protection du bilan.

M. Pierre-Yves Collombat. - Le dispositif se trouve toutefois fragilisé.

M. Christian Noyer. - Non, dès lors que la contrepartie du dérivé ne fait pas défaut. Pour le corriger, nous essayons de passer avec nos homologues étrangers des contrats de gré à gré en contrats négociés sur des marchés organisés et compensés dans des chambres de compensation. Un cas de défaut est ainsi mutualisé et couvert. Ces dispositifs se développent. Nous discutons les règles internationales de surveillance de ces chambres de compensation et de couverture des risques.

M. Pierre-Yves Collombat. - Quel est le volume d'opérations de dérivés ?

M. Christian Noyer. - Je pourrais vous répondre par écrit sur ce point.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il semblerait que le qualificatif d'autorité administrative indépendante trouve son origine dans une ordonnance ensuite ratifiée par le législateur.

M. Christian Noyer. - Je crois effectivement que c'est le cas.

La réunion est levée à 18 h 19


* 1 Par courriel en date du 1er octobre 2015, M. François Logerot, président de la CNCCFP précise que contrairement à ce qu'il avait indiqué lors de son audition devant la commission d'enquête, quatre sénateurs ont été déclarés inéligibles par le Conseil constitutionnel statuant sur les 28 saisines de la CNCCFP.