Mercredi 27 juillet 2016

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Audition du Général Gaëtan Poncelin de Raucourt, Directeur du projet Réserve du ministère de la Défense

La réunion est ouverte à 10 heures.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mes chers collègues, notre emploi du temps a été quelque peu contrarié en raison des changements intervenus la semaine dernière dans l'ordre du jour de la séance publique. Nous avons donc été conduits à organiser aujourd'hui une journée de travaux en fonction des disponibilités de M. Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. J'ai souhaité que les auditions des différents ministères aient lieu avant le départ en vacances et, surtout, avant l'examen des amendements prévu en septembre, puisque nos travaux reprendront quinze jours avant l'ouverture de la session extraordinaire.

Nous accueillons ce matin le général Poncelin de Raucourt, directeur du projet Réserve du ministère de la Défense. Mon général, vous êtes au coeur des politiques publiques qui font l'objet du projet de loi « Égalité et citoyenneté », même si ce dernier ne traite pas de questions militaires au sens opérationnel du terme. C'est pourquoi certains d'entre nous ont émis l'idée de cette audition et je vous remercie d'avoir accepté de venir dans des délais aussi brefs.

Nous recevrons M. Patrick Kanner cet après-midi. Il nous redira que ce projet de loi vise à favoriser l'engagement des jeunes dans la citoyenneté et l'engagement des citoyens au service de la Nation. Ces sujets sont d'une cruelle actualité.

Depuis les attentats de janvier 2015, nous assistons à une montée des vocations en faveur des métiers de protection de la Nation, qu'il s'agisse de la police ou de la gendarmerie, et, après l'attentat de Nice, le Gouvernement a appelé à l'engagement dans la réserve de la défense nationale. Comment faire en sorte que cet engouement ne soit pas uniquement passager ? Que faire de tous les jeunes contrariés dans leur souhait, faute d'être aptes à exercer ces activités exigeantes ?

Le projet de loi crée une réserve citoyenne. Une partie de cette réserve sera constituée de la réserve militaire non opérationnelle. Vous nous direz comment vous envisagez son articulation avec la réserve de la sécurité civile et avec celle de l'éducation nationale. Vous pourrez peut-être aussi nous dire un mot du développement du service civique, dans lequel on voit de plus en plus un substitut civil à l'ancien service national, pour ce qui est du rôle que ce dernier jouait dans la cohésion de la société. Notre collègue Françoise Gatel, plus particulièrement chargée du volet du projet de loi consacré à ces questions, ne peut malheureusement pas être présente ce matin, en raison d'engagements antérieurs qu'elle n'a pu modifier. Elle a toutefois préparé une série de questions que je porterai à votre connaissance tout à l'heure. Je passerai ensuite la parole à l'ensemble de nos collègues.

Sans plus attendre, je vous donne la parole, mon général.

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt, directeur du projet Réserve du ministère de la Défense. - Je suis très honoré et très heureux d'avoir été convié à présenter les réserves des armées et à vous faire part de quelques réflexions au sujet du projet de loi « Égalité et citoyenneté » auquel est consacré votre commission spéciale. Je suis très heureux, parce que j'estime que les réserves sont, pour nous, militaires, un sujet stratégique d'un double point de vue sécuritaire, mais aussi sociétal.

Le sujet des réserves, qui n'était plus un sujet avant les attentats de janvier 2015, est aujourd'hui très souvent évoqué, en particulier depuis le 15 juillet dernier, mais il l'est parfois de manière un peu confuse, tant la multitude des dispositifs existants, ainsi que les initiatives prises au nom de la réserve citoyenne par l'ensemble de la société civile et reprises dans le projet de loi précité, brouillent les pistes.

Permettez-moi donc un bref rappel de ce que représentent les réserves militaires et leurs différentes déclinaisons au sein du seul ministère de la Défense - je n'évoquerai qu'à titre de comparaison les réserves de la gendarmerie.

Les réserves militaires sont globalement constituées de l'ensemble des citoyens qui consacrent une partie de leur temps à la défense de la Nation. Dans les faits, ce modèle, hérité de la professionnalisation, est régi par les lois du 22 octobre 1999, du 18 avril 2006 et du 28 juillet 2015 portant actualisation de la loi de programmation militaire. Il repose sur trois types de réserves.

Première composante, la réserve opérationnelle de premier niveau, dite RO1, comptait 28 000 volontaires à la fin de 2015 - à titre de comparaison, la réserve de la gendarmerie est forte de 24 000 volontaires -, issus à 48 % de la société civile - contre 70 % pour la gendarmerie. Depuis le 1er janvier 2016, il est à noter que 66 % des recrues de la réserve de l'armée de terre sont issues de la société civile : on constate donc un effort d'ouverture dans cette direction. La moyenne d'âge des réservistes est de 36 ans et le taux de féminisation s'établit à 18 % au 30 juin 2016. Ces réservistes reçoivent une formation et un entraînement spécifiques afin d'apporter un renfort temporaire de quelques dizaines de jours par an aux forces armées et formations rattachées : en 2014, il s'agissait de 24 jours d'activité par réserviste ; en 2015, cette durée s'élevait à 28 jours - l'augmentation est donc significative. En 2016, selon les prévisions, les réservistes du commandement des forces terrestres - c'est-à-dire les réservistes opérationnels « combattants » - pourraient voir leur durée moyenne d'activité s'établir à 36 jours. Ces chiffres suffisent à rendre compte de l'effort consenti par nos réservistes.

Quel que soit leur statut dans le secteur civil, ces réservistes opérationnels servent, selon leurs compétences et leur spécialité, dans le domaine opérationnel ou dans le domaine du soutien, en unités, dans les états-majors, les établissements ou les administrations centrales, sur le territoire national ou sur les théâtres d'opérations extérieurs, et se voient confier les mêmes missions que les militaires d'active. C'est un point important : aujourd'hui, les effectifs déployés dans le cadre du plan Sentinelle associent réservistes et militaires d'active.

La réserve opérationnelle permet ainsi de faire face à la simultanéité des opérations et d'accroître la capacité des forces à durer en renforçant les unités d'active, en particulier lors des pics d'activité. Nous en connaissons un aujourd'hui, avec le maintien à 10 000 hommes de l'opération Sentinelle pour les semaines et les mois à venir, mais aussi en raison des nécessités liées à la protection et à la défense de nos propres infrastructures. Elle constitue également un « vivier de compétences », en faisant bénéficier les armées de l'expertise et de l'expérience de réservistes dans des spécialités professionnelles rares ou particulièrement recherchées - risques environnementaux, expertise juridique, infrastructures, communications, armement, etc.

En moyenne, pour les armées hors gendarmerie, 2 200 réservistes sont quotidiennement en activité. Les réservistes opérationnels sont employés sur toute la palette des activités des armées. La part des opérations intérieures, actuellement sous les feux de la rampe, est passée de 6 % en 2014 à 13 % en 2015 ; elle devrait nettement augmenter en 2016, compte tenu de l'augmentation du volume d'engagement des réservistes opérationnels.

Le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale de 2013 fixe comme priorité à cette RO1 l'extension de ses missions sur le territoire national. Actuellement, au moins 700 réservistes des armées sont engagés chaque jour sur le territoire national, dans le cadre de la mission de protection, ce qui représente pour la période de juillet-août entre 5 000 et 7 000 réservistes, c'est-à-dire la quasi-totalité des réservistes présents dans les unités opérationnelles, compte tenu des contraintes liées à la nécessité d'assurer la relève, les réservistes intervenant pour des périodes variant de huit jours à quinze jours.

Deuxième composante, la réserve opérationnelle de deuxième niveau, dite RO2, ou réserve de disponibilité, regroupe, sous un régime de contrainte, tous les anciens militaires issus de l'armée active dans la limite des cinq années suivant la cessation de leur état militaire. Je serai donc assez bref sur ce point, puisqu'il ne correspond pas à l'objet de votre commission spéciale, dans la mesure où il ne s'agit plus de volontariat.

Cette réserve comprend environ 97 800 anciens militaires. Le rappel de cette catégorie de réservistes n'est actuellement envisageable que par la mobilisation ou dans des circonstances exceptionnelles prévues par la loi de 2011 sur la réserve de sécurité nationale. Le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale de 2013 fixe comme priorité la rénovation de cette réserve pour en assurer une mobilisation rapide.

Troisième composante, qui vous intéresse plus particulièrement, la réserve citoyenne regroupe des volontaires agréés, à titre temporaire, par l'autorité militaire en raison de leurs compétences, de leurs expériences ou de leur intérêt pour les questions relevant de la défense nationale. Constituée d'environ 2 800 collaborateurs bénévoles du service public - à titre de comparaison, ils sont 1 300 pour la gendarmerie -, cette réserve citoyenne fait partie intégrante de la réserve militaire. La moyenne d'âge de ses membres est supérieure à 50 ans. La répartition socioprofessionnelle de ces réservistes s'établit comme suit : 66 % d'actifs, 20 % de retraités, 1 % d'étudiants, 13 % indéterminés. Les armées, directions et services du ministère de la Défense l'emploient bien au-delà des missions de rayonnement, de développement de l'esprit de défense et du lien armées-Nation pour lesquelles elle avait été initialement conçue.

Le cas de la réserve de cyberdéfense, inscrite dans la loi de programmation militaire, illustre les pistes d'évolution possibles. Cette réserve, fondée sur un noyau de 400 réservistes opérationnels de niveau 1 en cible, sera principalement constituée de réservistes citoyens - 4 000 en cible -, recrutés au sein des grandes écoles d'informatique et au-delà. Sa force résidera dans la capacité de bascule très rapide du statut de réserviste citoyen à celui de réserviste opérationnel en cas de crise. Ce principe original pourrait, dans un premier temps, être appliqué à d'autres organismes, puis généralisé. Des réflexions sont lancées pour estimer dans quelle mesure la réserve citoyenne pourrait permettre de répondre aux nombreuses demandes d'engagement qui convergent vers les armées, mais auxquelles ces dernières ne peuvent donner suite quand les intéressés ne remplissent pas les conditions - âge, état de santé, etc.

Les réserves militaires recouvrent donc différents modes d'engagement. Elles rassemblent un grand nombre d'acteurs de tous milieux et de toutes catégories, tous réunis autour de mêmes valeurs et d'une même ambition : se mettre au service de nos armées et, à travers elles, de la Nation. Cette diversité est une chance pour la défense. Elle permet de soulager une armée d'active très sollicitée. Elle est aussi essentielle pour permettre à nos concitoyens de participer à leur propre sécurité, induisant le sentiment d'être un « citoyen actif et utile pour son pays ».

Au lendemain des attentats de janvier 2015, le ministère a élaboré un plan d'action visant à permettre un appel renforcé à la réserve opérationnelle de niveau 1, conformément au souhait du Président de la République.

L'actualisation de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 prévoit ainsi : une augmentation du nombre de réservistes pour atteindre 40 000 réservistes opérationnels d'ici à la fin de 2018, contre 27 352 à la fin de 2014 ; une capacité de déploiement de 1 000 réservistes opérationnels chaque jour pour participer à des missions de protection du territoire national - pour atteindre 1 000 réservistes par jour sur le territoire national, il en faut 20 000, si l'on estime que chaque réserviste est déployé 20 jours par an, la durée de la formation et la préparation opérationnelle étant évaluée à 10 jours par an - ; enfin, un accroissement des jours d'activité de 25 jours à 30 jours par homme et par an.

Pour y parvenir, les budgets consacrés à la réserve militaire ont été augmentés de manière significative. Ils sont ainsi passés de 71,1 millions d'euros en 2014 à 96,3 millions d'euros en 2016. Ils s'établiront à 125 millions d'euros à partir de 2018.

Depuis les tragiques événements de 2015, et plus encore depuis le 14 juillet dernier, il n'a échappé à personne que la réserve a retrouvé du sens et de l'élan. La mobilisation sans précédent des

réservistes des armées ces derniers mois, leur motivation et l'intérêt que suscite ce dispositif auprès de nos concitoyens en attestent. En 2016, la cible de 30 jours d'activité par réserviste en moyenne et le seuil de 30 000 réservistes opérationnels devraient être atteint, avec un recrutement centré sur la jeunesse, les moins de 30 ans représentant désormais un tiers des effectifs.

Incontestablement, la dynamique est lancée. L'année 2015 a été l'année de l'inflexion, les suivantes seront celles de la modernisation et de l'accélération, avec une augmentation des effectifs de 3 000 en 2016, de 4 500 en 2017 et en 2018. Nous avons clairement changé de paradigme. Le ministère de la Défense a pris la mesure des enjeux et consacré les moyens nécessaires, en augmentant les crédits de 100 millions d'euros par rapport aux prévisions initiales sur la durée de la loi de programmation militaire et en créant la direction du projet Réserve qui m'a été confiée en janvier 2016.

L'objectif est clair : disposer d'ici trois ans d'une réserve opérationnelle plus nombreuse, plus moderne, plus jeune et recentrée sur la protection du territoire national.

Dans ce cadre, plusieurs principes structurants ont été récemment partagés au niveau interarmées et validés par le cabinet du ministre de la Défense.

La réserve « rénovée » devra être pleinement intégrée à l'armée active, de manière à conforter son caractère militaire et à promouvoir appui mutuel et complémentarité, car l'armée active ne peut pas fonctionner sans la réserve, et réciproquement. Elle devra également être organisée en branches ou composantes, pour répondre aux missions et besoins spécifiques à chaque armée, direction et service, chacune des branches disposant de viviers clairement identifiés. Elle devra aussi être fortement ancrée aux territoires, de manière à renforcer la présence et la visibilité des armées et à bénéficier des effets positifs de la proximité géographique entre zone d'implantation, bassin de recrutement, bassins de risques et zone d'emploi des réserves. Enfin, elle devra faire une large place à la jeunesse, en particulier aux moins de 30 ans.

Cette réserve « rénovée » forte de 40 000 personnes permettra de mieux répondre aux enjeux stratégiques, aux besoins des armées et aux attentes de nos concitoyens désireux de servir. Dans ce contexte, les propositions formulées dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté », en particulier les dispositions prévues dans les articles 1er et 6 sur l'appellation « réserve citoyenne de défense et de sécurité », et surtout celles de l'article 14, contenant les mesures en faveur des étudiants accomplissant une activité militaire dans la RO1, ou encore celles des articles 12 octies sur la création, à titre expérimental, d'un programme de cadets de la défense, et 12 nonies sur l'expérimentation relative au service civique universel, sont en cohérence avec l'esprit qui anime le ministère de la Défense et avec les travaux qu'il a entrepris.

Si vous me le permettez, je formulerai une petite réserve sur l'article 12 octies, en ce qui concerne la reconnaissance de l'aptitude des cadets par le service de santé des armées. Je ne sais pas si la loi doit entrer dans ce degré de détail. Quoi qu'il en soit, il faut savoir que le service de santé des armées doit aujourd'hui assurer la visite médicale d'aptitude de tous les personnels d'active et de réserve recrutés par les armées et la gendarmerie : il est donc déjà extrêmement sollicité et il ne semble pas utile d'allonger la liste de ses missions. Un certificat établi par le médecin traitant et attestant de l'absence de contre-indication devrait suffire pour les cadets.

De plus, vous comprendrez bien que, depuis le tragique événement de Nice, le ministère pourrait être amené à proposer l'insertion de dispositions complémentaires dans ce projet de loi au moment où vous l'examinerez.

À titre tout à fait personnel et pour conclure, permettez-moi de vous faire part d'un léger étonnement. En effet, le chapitre Ier du projet de loi est intitulé « Encourager l'engagement républicain de tous les citoyens et les citoyennes pour faire vivre la fraternité ». Dans ce chapitre, je ne trouve aucune mention de la réserve opérationnelle des armées qui, à mon sens, constitue un lieu où les notions d'« engagement républicain » et de « fraternité » font sens, d'autant plus que les réservistes opérationnels jouent également un rôle important en matière de citoyenneté, en assurant notamment l'encadrement des journées défense citoyenneté, des journées découvertes, des préparations militaires, des cadets - en développement depuis 2008 - et de bien d'autres actions au profit de la jeunesse.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Général, je vous remercie de cette présentation du développement de la réserve opérationnelle, voulu depuis longtemps. À titre d'exemple, j'ai été l'auteur en 2010, avec mon collègue Michel Boutant, au nom de la commission des affaires étrangères - nous rédigeons des rapports bipartites - d'un rapport consacré à la création d'une réserve de sécurité nationale pour faire face à un événement géopolitique majeur. Ce rapport s'est traduit par la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure.

J'avoue que nous étions un peu agacés de voir que les choses tardaient à se mettre en place alors que les risques étaient avérés. Il a ainsi fallu attendre 2015 pour que les décrets d'application soient publiés...

Je vois un autre problème. Vous nous parlez essentiellement de la réserve opérationnelle, et c'est tout à fait normal. En établissant notre rapport, nous nous sommes rendu compte du décalage entre réserve opérationnelle et réserve citoyenne, et surtout d'une certaine méfiance des militaires à l'égard notamment de la réserve citoyenne.

À titre personnel, je me suis toujours battue pour cette réserve citoyenne, d'abord parce que j'en suis membre depuis ma sortie de l'Institut des hautes études de défense nationale il y a très longtemps, mais surtout parce qu'elle me paraît indispensable dans le contexte actuel. La réserve citoyenne permet d'avoir des gens motivés, entièrement bénévoles et qui veulent véritablement se mettre au service de cet idéal de fraternité dont vous parliez, mot que l'on retrouve dans l'intitulé du chapitre Ier du titre Ier du projet de loi.

Il faut effectivement continuer de développer la réserve opérationnelle, mais je pense que des mesures plus importantes devraient être prises pour renforcer cette réserve citoyenne, qui pourrait jouer le rôle de défenseur de nos valeurs républicaines.

Je vais vous donner un exemple qu'il m'est déjà arrivé de citer.

Je travaille sur la lutte contre le terrorisme au sein de l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Certains pays comme le Maroc ont recours à une forme de réserve citoyenne, qui n'en a pas le titre, pour quadriller les quartiers, pour observer ce qui s'y passe, pour recréer du lien, pour parler avec ces jeunes qui sont complètement désorientés, qui n'ont pas de travail, qui n'ont pas d'idéal, pour essayer de les remettre dans le droit chemin. Je pense que nous avons vraiment intérêt à mettre nous aussi l'accent sur cette réserve citoyenne, même si je sais qu'elle agace les réservistes opérationnels, qui se sentent beaucoup plus professionnels.

Je rappelle également que, lors de l'examen par le Sénat, la semaine dernière, de la loi prorogeant l'état d'urgence, un amendement de nos collègues Roger Karoutchi et Jacques Gautier a été adopté visant à ce que les durées maximales d'activité dans les réserves soient prolongées de la durée totale de l'application de la loi relative à l'état d'urgence.

Tout cela va dans le bon sens et j'aimerais connaître vos projets pour le développement de la réserve citoyenne.

Le Sénat a créé un groupe de travail sur la proposition de Jean-Marie Bockel de création d'une « garde nationale ». J'aimerais avoir votre point de vue sur cette dénomination. Pour ma part, j'y suis assez opposée, car cela me paraît être le replâtrage de quelque chose qui existe déjà ; le terme « réserve citoyenne », qui est contesté - on parle de réserve civique -, me semble extrêmement fort. Je sais que Najat Vallaud-Belkacem a décidé de se l'approprier pour l'enseignement, ce que je trouve vraiment dommage, car je pense que l'armée devrait conserver ce terme.

Dernière chose : il me semble indispensable de développer cette réserve citoyenne à l'international, bien sûr sous la responsabilité des attachés de défense ; nous avons d'ailleurs fait passer trois amendements à cette fin. Là encore, il y a beaucoup de choses à faire. Or le ministre des affaires étrangères veut supprimer les journées défense et citoyenneté à l'étranger, ce qui me paraît une erreur considérable. En effet, beaucoup de jeunes, en particulier binationaux, n'ont de contact avec la France que lors de cette journée défense et citoyenneté, laquelle est justement l'occasion de leur faire passer des messages forts pour leur redonner la fierté de leur appartenance à la France.

M. Alain Richard. - Je vous remercie d'avoir apporté ces précisions, mon général, et d'avoir discrètement suggéré, en évoquant une période antérieure, que l'utilisation pleine et le financement régulier de la réserve opérationnelle n'ont pas toujours été la priorité centrale du chef d'état-major des armées et du ministre de la défense.

Dans ma vision de ce qui s'est passé au ministère depuis la professionnalisation des armées, cela reste un point faible. Les circonstances font qu'on va pouvoir établir ou conforter une réserve opérationnelle d'un calibre et d'une variété répondant aux exigences d'une puissance de premier niveau dont les forces armées sont exposées ; cela aurait pu être fait plus tôt.

Je réponds d'un mot à votre observation, que je comprends tout à fait, sur la terminologie employée au chapitre Ier du projet de loi. Nous sommes quelques-uns, très minoritaires, à nous en désoler, mais force est de constater que le législateur est devenu bavard : les expressions à caractère proclamatoire prennent une place disproportionnée par rapport à ce qu'est l'objet d'une loi, c'est-à-dire fixer des interdictions ou des obligations. À cet égard, ne vous faites pas de souci...

Ce qui compte vraiment dans une loi - malheureusement, nous ne sommes pas assez nombreux à en être conscients -, c'est ce qui modifie les codes en vigueur ; tout le reste, ce ne sont que des affirmations. D'ailleurs, il est assez illogique, alors que l'article 1er a vocation à fixer un cadre, de ne pas indiquer le code dans lequel seront inscrites les dispositions qu'il contient et ensuite de commencer une énumération par l'adverbe « notamment ». Il me semble que l'effort minimal que doit faire un législateur conscient de ses missions, c'est quand même de statuer sur l'ensemble des sujets sur lesquels il a à se prononcer. Je ferme la parenthèse.

S'agissant de la réserve opérationnelle, je constate son niveau relatif d'âge. Si les choses sont en train d'évoluer, c'est satisfaisant, mais il y a là quand même un décalage assez prononcé entre la réserve opérationnelle et les militaires d'active, également en termes de niveaux de grade. Quelle est aujourd'hui la proportion d'officiers, de sous-officiers et de militaires du rang dans la réserve opérationnelle ? Car il faudra des effectifs suffisamment nombreux en militaires du rang pour assurer les missions prioritaires de la réserve. Et je ne répète pas cette vérité de La Palice : un système militaire tient essentiellement grâce à la charpente que représentent les sous-officiers.

Je suppose que, dans les mesures d'agrément qui seront prises, on gardera à l'esprit la nécessité de disposer prioritairement de militaires du rang en nombre suffisant.

J'aimerais bien que vous m'expliquiez aussi comment est prévu ce basculement possible - vous citiez l'exemple de la cyberdéfense - de la réserve citoyenne avec une spécialisation vers la réserve opérationnelle. Comment seront choisis les gens ? Au moment de leur agrément au titre de la réserve citoyenne, leur dira-t-on qu'ils sont pris à la seule condition qu'ils soient aptes à passer en réserve opérationnelle pour une certaine durée avec un certain préavis ?

Dernière question : dans les crédits du ministère consacrés à la réserve, quelle est la part consacrée à la rémunération effective des réservistes durant leurs périodes d'activité ?

M. Jacques-Bernard Magner. - Je fais partie de cette génération qui a accompli son service militaire. Celui-ci, qu'on regrette parfois aujourd'hui, était un lieu d'intégration, de rencontre, de mixité, de brassage des jeunes des différentes couches sociales. Encore que l'on sait bien que certains y échappaient ; en particulier, les filles n'y étaient pas soumises. De fait, le brassage était insatisfaisant eu égard aux exigences de parité dans tous les domaines qui sont celles d'aujourd'hui.

Il est normal que les militaires soient pour une bonne part associés à ces initiatives, qu'il s'agisse de la réserve citoyenne, du service civique et de toutes ces activités qui permettent d'apprendre à être un citoyen et de se confronter aux autres, puisque vous en avez plus que d'autres l'expérience.

Les chiffres que vous nous avez donnés semblent indiquer un quasi-doublement à la fois en hommes et en moyens. Aurez-vous la capacité pour y faire face, notamment en personnels d'encadrement ? Si l'on suit les annonces qui ont été faites par le Président de la République ou les débats qui ont eu lieu au Parlement, les effectifs du service civique devraient atteindre 150 000. Or l'on sait bien que pratiquement un jeune sur quatre n'est pas retenu pour faire un service civique. Qu'en est-il s'agissant de la réserve militaire ? Tous les jeunes qui sont candidats sont-ils admis ? Sur quels critères ? Sont-ils intégrés pour peut-être évoluer vers un engagement plus permanent ?

Certes, le volontarisme est une chose, mais la formation militaire est très spécifique. Je peux dire, pour l'avoir vécu, que le service militaire n'était pas vraiment un lieu d'apprentissage des valeurs citoyennes ; c'était certes un lieu de brassage, mais je ne suis pas certain que ce soit au service militaire que j'ai appris à être un citoyen : j'ai appris à fumer, à me planquer pour ne pas accomplir certaines tâches... Mais bon, quand on est appelé, on n'a pas la même vision des choses que lorsqu'on est militaire de carrière. J'ai moi-même encadré des engagés en tant qu'adjoint de section dans une école de formation et il est vrai que les militaires ont leur part à prendre pour inculquer des valeurs aux jeunes de notre société. C'est sans doute moins facile qu'avec un contingent d'appelés, qui, à l'époque, n'avaient de toute façon pas le choix et étaient obligés de faire ce qu'on leur disait de faire.

L'aspect strictement militaire est important, tout comme l'aspect volontariat. Les gens appelés à intégrer la réserve seront certainement meilleurs que nous ne l'étions, nous, les appelés, à l'époque.

M. Yves Rome. - Ma question détonnera un peu par rapport à celles qu'ont posées mes collègues : puisqu'on compte aussi des pompiers militaires, j'aimerais connaître l'articulation possible avec l'organisation de la couverture du territoire par les services départementaux d'incendie et de secours, dont l'utilité peut être avérée pour atteindre les objectifs visés par le projet de loi « Égalité et citoyenneté ».

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mon général, je vais vous soumettre les questions que Françoise Gatel, rapporteur, vous aurait posées si elle avait pu être présente ce matin. Certains des points qu'elle soulève ont déjà été évoqués par les intervenants qui m'ont précédé.

Tout d'abord, quel regard portez-vous sur les dispositions relatives à la réserve citoyenne dans le projet de loi ? Ne risquent-elles pas d'entraîner une perte de la spécificité de la réserve citoyenne du ministère de la défense ?

La deuxième question concerne les aménagements de scolarité et la reconnaissance du service effectué par les membres de la réserve opérationnelle : les dispositions prévues aux articles 14 et suivants - reconnaissance des compétences acquises par les étudiants servant dans la réserve opérationnelle et aménagement de scolarité à leur profit - vous semblent-elles suffisantes pour valoriser l'engagement dans la réserve opérationnelle ?

La troisième question concerne le programme des cadets de la défense : quel regard portez-vous sur les dispositions qui les concernent ?

Enfin, une question plus générale : d'autres évolutions législatives vous semblent-elles souhaitables ou nécessaires afin d'appuyer la montée en puissance des réserves opérationnelles des différentes armées ou de faciliter leur emploi ?

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Madame Garriaud-Maylam, pour ma part, je n'ai pas perçu d'agacement au sujet de la réserve citoyenne, notamment de la part des réservistes opérationnels.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - J'ai parlé au passé !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Aujourd'hui, la situation a beaucoup évolué. Ces deux réserves ont trouvé toute leur place au sein de la réserve du ministère de la défense.

À cet égard, l'appellation de « réserve citoyenne de défense et de sécurité » qui figure dans ce projet de loi est extrêmement importante : il faut éviter tout amalgame avec la réserve civique. (M. Yves Rome acquiesce.) En effet, il est essentiel d'insister sur les notions de défense et de sécurité. Il faut donc veiller à maintenir cet intitulé.

Bien sûr, cette réserve doit se développer. Elle compte déjà 2 800 personnes, et il n'est pas toujours facile de suivre, d'encadrer et d'occuper les réservistes citoyens, qui se montrent très volontaires. À titre personnel, au cours des derniers mois, j'ai reçu de très nombreuses sollicitations de la part des personnes qui ne remplissent plus les conditions nécessaires pour servir dans la réserve opérationnelle, mais qui souhaitent malgré tout se mettre au service de leur pays. Ces personnes désespèrent de servir auprès d'un employeur. J'ai pu assurer un certain nombre de recrutements, mais je ne vous cache pas qu'il s'agit là d'une difficulté générale.

Cela étant, les initiatives spécifiques se développent. J'ai notamment évoqué la réserve de cyberdéfense, qui dénombre 4 000 réservistes citoyens. Ce volume est extrêmement important. La réserve de cyberdéfense n'en sera observée que plus attentivement par le ministère. Il faut étudier les moyens de développer ce dispositif dans de bonnes conditions.

À ce titre, comment les réservistes pourront-ils passer de la réserve citoyenne à la réserve opérationnelle ? Cette question concerne principalement les jeunes, notamment dans les écoles, mais le champ d'action est susceptible d'être quelque peu élargi.

Pour les intéressés, le but est d'effectuer le contrôle élémentaire lors du passage dans la réserve citoyenne. Dès lors, on aura la certitude que les personnes recrutées ne sont pas dangereuses : dans le domaine cybernétique, il faut être particulièrement vigilant ! Parallèlement, il faudra prévoir une visite médicale ou, à tout le moins, imposer la transmission d'un certificat médical, délivré notamment par un médecin militaire. Je le répète, le service de santé des armées reçoit déjà de très fortes sollicitations. Il faut garantir que les réservistes soient mentalement en capacité de servir.

M. Alain Richard. - De son côté, le service de santé des armées pourrait déjà mobiliser davantage sa propre réserve !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Il le fait de plus en plus, monsieur le sénateur.

Une dernière piste va être explorée. Depuis les événements du 14 juillet dernier, on observe un nouvel élan citoyen, qui, à mon sens, va se confirmer dans la durée. La réserve citoyenne peut constituer une bonne réponse d'attente pour des jeunes et des moins jeunes désireux de rejoindre la RO1.

Je me doutais que la garde nationale susciterait des questions. En tant que directeur du projet Réserve du ministère de la défense, je ne me focalise pas sur cette question d'appellation. Ma mission, c'est d'obtenir dans les trois ans une réserve forte de 40 000 personnes, préparée, moderne, rajeunie et recentrée sur le territoire national. Sur cette base, la réserve pourrait très bien devenir la composante d'un ensemble plus large, éventuellement baptisé « garde nationale », qui compterait également une branche « ministère de l'intérieur » avec la gendarmerie et la police, et une branche « sapeurs-pompiers volontaires » - il s'agit là d'un domaine que M. Rome connaît bien. Une gouvernance d'ensemble ne serait pas forcément nécessaire : chaque branche se gérerait elle-même. C'est là une piste que je suggère.

Au demeurant, il faut avant tout veiller à stabiliser nos travaux : la montée en puissance qui est en cours est déjà très complexe à mettre en oeuvre. Il ne faudrait pas perturber cette manoeuvre en déployant encore d'autres dispositifs.

De surcroît, pour ce qui concerne la réserve du ministère de la défense, nous sommes attachés au respect de quelques principes très simples : que nous puissions avoir la maîtrise de l'emploi de nos réservistes ; que notre réserve soit pleinement intégrée à l'active et clairement distincte des autres réserves ; qu'elle reste une réserve des armées, dirigée par les armées et déployée majoritairement sur le territoire national.

Monsieur Richard, vous avez évoqué le niveau d'âge des réservistes. Il faut bien avoir en tête les volumes humains concernés. Aujourd'hui, on dénombre 28 000 réservistes, à savoir 20 000 personnes relevant du complément individuel, lesquelles viennent renforcer les états-majors - ce sont principalement des cadres, officiers et sous-officiers, très rarement des militaires du rang - et 8 000 combattants, qui sont dans les unités combattantes de l'armée de terre, les unités élémentaires de réserve, de la marine, les compagnies ROMÉO, et de l'armée de l'air.

L'objectif qui m'est assigné est clair : atteindre 20 000 personnes pour chacune des deux catégories. Le volume de la réserve de disponibilité restera inchangé. Cette dernière est bien dimensionnée. Elle répond aux besoins qu'éprouve notre armée aujourd'hui. En revanche, il faut développer la réserve combattante pour atteindre les 20 000 individus nécessaires au déploiement de 1 000 hommes par jour.

Mécaniquement, les nouvelles recrues ne pourront donc être que des jeunes.

M. Alain Richard. - Sans doute des jeunes âgés de moins de trente-cinq ans !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - La limite d'âge fait encore quelque peu débat, des personnes âgées de quarante ans manifestant également leur volonté de participer à la réserve.

Cela étant, les recrues seront globalement des jeunes et des militaires du rang, ainsi que des sous-officiers destinés à assurer l'encadrement.

Pour l'heure, il m'est absolument impossible de vous communiquer des volumes précis : je ne dispose pas de chiffres en la matière.

M. Alain Richard. - Un agrément sera-t-il nécessaire pour basculer de la réserve citoyenne vers la réserve opérationnelle ? Ces transferts peuvent être exigés par les circonstances.

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Tout à fait monsieur le sénateur, et ce pour une durée indéterminée, notamment en cas d'attaque sévère sur les réseaux internet. Ces attaques sont très rapides, voire foudroyantes. En revanche, la reconstruction des réseaux est très longue, et elle exige de nombreux renforts venus de tous les horizons. Les effectifs concernés, à savoir 4 000 personnes, ne seront pas versés dans la réserve opérationnelle : en procédant ainsi, l'on aboutirait à un dispositif surdimensionné. Il faut organiser des coopérations de quelques semaines, en garantissant que les personnes choisies ont fait l'objet d'un contrôle élémentaire et sont ainsi mentalement aptes à être employées.

M. Alain Richard. - Envisagez-vous d'instaurer ces contrôles pour d'autres spécialités ?

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Cette piste est à l'étude.

Enfin, la rémunération effective de l'activité des réservistes représente la quasi-totalité de notre budget. Les coûts de structure sont presque inexistants.

Monsieur Magner, nous aurons bel et bien les moyens de répondre aux demandes. Il faut avoir à l'esprit la cohérence d'ensemble que présente ce dispositif : le but, c'est d'atteindre une réserve de 40 000 hommes. Les moyens budgétaires sont déployés en connaissance de cause.

Aussi, le problème n'est pas tant celui des moyens financiers,...

M. Alain Richard- Quand même !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - ... que celui de notre capacité à absorber ces nouveaux effectifs. En la matière, nous devons franchir trois goulets d'étranglement. Petit à petit, ces difficultés vont être résolues, et je suis persuadé que dans trois ans les objectifs seront atteints.

Le premier goulet est la visite médicale d'aptitude, que j'ai déjà mentionnée. Le service de santé des armées assure déjà de nombreuses visites de cette nature, pour les réservistes, les militaires d'active de l'armée et de la gendarmerie.

M. Alain Richard. - En tout, entre 25 000 et 28 000 visites par an !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Le deuxième goulet est le contrôle élémentaire : les personnes recrutées doivent être passées au crible, et pour cause : elles se verront confier des armes, elles ne doivent donc présenter aucun risque !

Le troisième goulet est la formation, qui exige des cadres et des espaces appropriés, notamment des champs de tir. Or nos cadres sont fortement mobilisés au titre de l'opération Sentinelle et des OPEX. C'est là une grande difficulté.

M. Jacques-Bernard Magner. - La question est bien : comment accueillir ces nouvelles recrues ?

M. Alain Richard. - C'est le problème depuis l'origine !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Les moyens financiers sont déjà au rendez-vous. Mais, même s'ils étaient plus élevés, il faudrait tenir compte de ces trois goulets.

Cette année, étant donné le niveau d'engagement de nos réservistes, nous savons déjà que les crédits consommés seront plus lourds qu'escompté. Toutefois, cette situation ne pose pas problème : en interministériel, nous n'aurons aucun mal à obtenir le complément budgétaire, qui représente 4 à 5 millions d'euros. Il va sans dire que l'argent qui nous est confié n'est pas destiné à gonfler les états-majors : il permet de déployer des combattants dans le cadre des missions de protection !

Le service civique relève essentiellement du directeur du service national jeunes, le général Pontiès, récemment nommé. Je ne pourrai pas vous donner beaucoup de détails supplémentaires, n'étant pas très compétent en la matière. Toujours est-il que le recrutement et l'emploi des personnes concernées sont assurés dans les conditions prévues par l'Agence du service civique, dans le cadre de la mission « Mémoire et citoyenneté ».

M. Jacques-Bernard Magner. - Il s'agit surtout de tâches administratives, et non du maniement des armes.

Général Gaëtan Poncelin de Rancourt. - Absolument, monsieur le sénateur.

Monsieur Rome, vous m'avez interrogé au sujet des pompiers militaires. Ayant commandé la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, je suis bien placé pour évoquer ce sujet.

Les pompiers militaires disposent d'environ 200 cadets, auxquels s'ajoutent de nombreuses personnes recrutées via le service civique. Ce dernier dispositif présente un grand intérêt dans ce cadre.

Sur ce sujet, l'article 9 du projet de loi égalité et citoyenneté est très enthousiasmant : il permet aux sapeurs-pompiers d'effectuer un pré-recrutement de volontaires parmi les jeunes du service civique.

Au reste, j'ai d'ores et déjà prévu de tester ce dispositif en interne, au ministère de la défense. Cette expérimentation a été validée par le cabinet du ministre. Elle doit être menée dans le courant du second semestre 2016 et fera suite à celle qui a été effectuée dans la région de Nancy. Ainsi, nous pourrons déterminer si le ministère tout entier ne peut pas effectuer des recrutements par ce biais. Le directeur du service national jeunes y travaille actuellement, en lien avec l'Agence du service civique.

J'en viens aux questions que M. le président de la commission m'a posées au nom de Mme Gatel.

Dès lors que la réserve du ministère de la défense dispose d'une appellation spécifique, je n'ai pas d'inquiétude particulière : il ne me semble pas qu'elle risque d'être noyée dans les dispositions de ce projet de loi. (M. Alain Richard acquiesce.)

J'insiste sur le fait que l'article 14 nous paraît très important et très utile. Il est possible que le ministère suggère tel ou tel amendement, sur cet article ou sur d'autres, mais à ce stade je ne peux pas m'engager sur ce sujet.

M. Alain Richard. - Le Parlement est habitué à ce que le ministère lui communique ses amendements une demi-journée à l'avance...

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - C'est vrai !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - L'article 12 prévoit une expérimentation consacrée aux cadets. Sur ce sujet, les sapeurs-pompiers de Paris sont très en avance. Nous avons également étudié les dispositifs appliqués à l'étranger, notamment au Canada.

Les cadets constituent un projet extrêmement ambitieux. Le ministère de la défense en emploie depuis 2008. Ils sont très présents dans la marine et vont se développer dans l'armée de terre. À mon sens, les actions mises en oeuvre vont dans la bonne direction.

En la matière, nous ne rencontrons qu'une seule difficulté : nous ne pouvons pas courir trop de lièvres à la fois. Commençons par mobiliser les efforts pour la réserve opérationnelle. En bout de chaîne, la mise en oeuvre de ces missions incombe aux régiments. Or notre armée est engagée sur le territoire national comme dans le cadre des opérations extérieures. De plus, elle doit se former et s'entraîner. Elle ne peut pas être sur tous les fronts ! Bien sûr, il faut travailler sur le sujet des cadets, mais il faut également veiller à suivre le bon tempo.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Avez-vous une connaissance approfondie des dispositifs similaires mis en oeuvre à l'étranger ? Et pourriez-vous, à la suite de cette audition, nous communiquer des informations à cet égard ?

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Monsieur le président, sur ce sujet, je vous invite à vous tourner vers le général Pontiès. Cela étant, j'ai eu connaissance d'un excellent rapport parlementaire consacré au benchmarking des cadets. Ce travail très riche préconisait notamment de s'inspirer du modèle canadien.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Le modèle suisse pourrait également être très instructif.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Il faudrait une étude de législation comparée !

M. Alain Richard. - Cela étant, ce qui fonctionne bien dans un pays ne s'applique pas nécessairement dans un autre : il faut tenir compte des réalités nationales.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Il faut procéder avec la plus grande prudence, cela va sans dire.

M. Alain Richard. - J'ajoute qu'en la matière la France est loin d'être en bas du classement : dans de nombreux pays, la situation est encore beaucoup plus difficile.

M. Yves Rome. - Surtout pour ce qui concerne les sapeurs-pompiers ! Or, en l'occurrence, l'enjeu est bel et bien le plein exercice de la citoyenneté.

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - L'expérience menée par les sapeurs-pompiers volontaires est particulièrement intéressante : on a pu constater que des personnes entrées jeunes parmi les cadets restaient très fidèles à leur engagement. Elles rejoignent souvent la réserve. De tels recrutements constituent donc un investissement pour l'avenir, et ils permettront de franchir les goulets d'étranglement que j'ai précédemment évoqués.

Reste le problème du calendrier. Au cours des trois prochaines années, nous devons commencer par faire face à l'urgence.

Mme Évelyne Yonnet. - Pourriez-vous nous détailler les missions confiées aux cadets ? Qu'envisage-t-on de leur apprendre ?

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Dans l'esprit des enseignements dispensés aux cadets des sapeurs-pompiers, leur formation doit comprendre un certain nombre d'activités, notamment physiques, mais aussi des apprentissages liés à la citoyenneté. Elle sera davantage orientée vers la défense.

M. Jacques-Bernard Magner. - Bref, ce sera le parcours du combattant ! (Sourires.)

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Nous n'en serons pas si loin ! (Nouveaux sourires.) Les jeunes cadets actuellement recrutés accomplissent déjà des entraînements très physiques. Nous procéderons à des activités à peu près équivalentes, en y ajoutant des enseignements portant sur la connaissance des armées et de la défense nationale. La formation sera clairement normée et qualifiante. Ainsi, au terme de leur parcours, les cadets pourront s'engager dans la réserve ou entrer dans l'armée d'active. Même s'ils rejoignent la vie civile, ils auront été structurés grâce à cette formation.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Général, permettez-moi d'aborder de nouveau le sujet de la réserve citoyenne. Les membres de la commission sénatoriale des affaires étrangères, de la défense et des forces armées en sont pleinement conscients : il est nécessaire de renforcer ce dispositif. Or il faut bien admettre que l'on observe un certain flottement en la matière.

Tous mes interlocuteurs m'assurent que des réflexions sont en cours, mais que l'on ne sait trop comment déployer cette réserve. À l'heure actuelle, un responsable du ministère de la défense se consacre-t-il spécifiquement à ce sujet ?

Je l'affirme au risque de faire sourire tel ou tel de mes collègues : à mes yeux, il s'agit là d'un instrument essentiel, surtout dans le climat de tensions que connaît aujourd'hui notre société. Beaucoup de bonnes volontés se manifestent, mais on déplore peut-être un défaut d'encadrement et un nombre insuffisant de missions proposées, au-delà de sujets très précis comme la cyberdéfense.

En structurant mieux la réserve citoyenne, il serait possible de donner une feuille de route à tous ces jeunes qui ont envie de s'engager. À l'étranger, la situation est spécifique. Je précise à ce sujet qu'il y a quelques mois, j'ai créé une association internationale de réservistes citoyens avec le général Paloméros. En la matière, nous travaillons sur les moyens d'apporter un soutien à nos ambassades. Mais il faut également songer aux initiatives à déployer sur le territoire national. Un ancien gouverneur militaire de Paris avait par exemple envoyé des réservistes citoyens dans les banlieues dans le cadre d'opérations « permis de conduire » : dans ce cadre, des jeunes en déshérence ont pu préparer l'examen du permis de conduire. Ce soutien leur a ouvert des perspectives d'avenir, notamment pour obtenir un travail. De telles pistes doivent être explorées. Encore faut-il disposer de structures nécessaires !

Général Gaëtan Poncelin de Raucourt. - Madame la sénatrice, je peux vous garantir qu'au moins un responsable par armée est chargé de coordonner la réserve citoyenne. Mais les réservistes ne sont pas toujours employés de la même manière au sein des directions des services ou des différentes armées, qu'il s'agisse de la gendarmerie, de l'armée de terre, de la marine ou de l'armée de l'air. Chacun a sa manière de procéder.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Précisément, une coordination pourrait être souhaitable au niveau du ministère : il faut éviter les risques de fractionnement que l'on observe par exemple au titre du renseignement !

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mon général, il me reste à vous remercier, ainsi que vous tous, mes chers collègues, de ces échanges particulièrement intéressants.

La réunion est levée à 11 heures.

Audition de M. Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports

La réunion est ouverte à 14 h 30.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je voudrais remercier M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, d'avoir accepté de venir devant la commission spéciale, ainsi que les membres de la commission qui ont pu être présents ce mercredi. Je rappelle que cette audition et celle de ce matin ont été reportées à la date d'aujourd'hui en raison de l'inscription à l'ordre du jour de la semaine dernière du projet de loi prorogeant l'application de la loi relative à l'état d'urgence.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré, le 27 mars dernier, qu'une centaine de quartiers urbains, dans notre pays, présentaient des similitudes potentielles avec la commune de Molenbeek, dans la banlieue de Bruxelles, base des attaques terroristes islamistes qui ont ensanglanté la France et la Belgique. Cette observation avait, à l'époque, beaucoup dérangé ; mais une terrible menace pèse aujourd'hui sur notre pays, et est régulièrement mise à exécution depuis l'intervention de la France en Irak et la mort d'Hervé Gourdel, en septembre 2014. Nos villes abritent des terroristes, et de futurs terroristes : il s'agit désormais d'une certitude.

Ce midi, Evelyne Yonnet, sénatrice de Seine-Saint-Denis, élue d'Aubervilliers, nous a d'ailleurs parlé du quotidien vécu par les habitants de ces quartiers, notamment par les responsables associatifs : nous avons, à cette occasion, partagé avec elle une certaine émotion.

Le présent projet de loi vise à apporter des réponses à ces situations. Monsieur le ministre, vous proposez, dans le cadre de ce texte, des réformes structurelles, de long terme. Nous ne pouvons évidemment en espérer des effets immédiats. Les Français doivent s'attendre à vivre encore des moments terribles : nous ne pouvons savoir si et quand d'autres événements tragiques se produiront. Nous devons donc faire face, et attaquer résolument le mal à la racine.

Le contexte qui avait présidé à la présentation de ce projet de loi a cependant été quelque peu perdu de vue : l'Assemblée nationale a beaucoup fait évoluer le texte, et le législateur, en première lecture, est parti un peu dans tous les sens, traitant de sujets pour le moins hétéroclites, souvent très éloignés des objectifs initiaux fixés par le Gouvernement. Monsieur le ministre, j'aimerais connaître votre appréciation sur les multiples modifications introduites par les députés - il est important que ceux qui ont participé à l'élaboration de ce texte nous donnent leur point de vue sur ce qu'il est devenu ! L'enfant qui a été mis au monde remplit-il les espérances que s'était fixées son géniteur ?

Notre collègue Françoise Gatel, lorsqu'elle a appris le report de cette audition, m'a fait immédiatement savoir qu'elle était empêchée par des engagements pris antérieurement. Je l'ai rassurée en lui disant que sa voix serait portée. Mais Dominique Estrosi Sassone a à son tour été empêchée de venir du fait des grèves qui affectent les relations aériennes entre Nice et Paris. Je poserai donc moi-même un certain nombre de questions au nom de Françoise Gatel.

Vous avez la parole, monsieur le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. - Monsieur le président Lenoir, j'ai beaucoup apprécié l'expression que vous avez utilisée : « faire face ». Oui, notre pays doit faire face à un péril qu'il n'a pas connu depuis la guerre d'Algérie, et que beaucoup d'entre nous, d'ailleurs, n'ont pas connu. Nous devons prendre conscience de la menace que nous subissons, qui est de nature endogène. Quels que soient les résultats militaires au Levant, des répliques sont susceptibles d'avoir lieu pendant des mois, voire des années, sur notre territoire national : on en veut, très clairement, à notre modèle de société !

Monsieur Lenoir, vous avez évoqué la phrase que j'ai utilisée en début d'année : une centaine de quartiers, dans notre pays, présentent des similitudes potentielles avec Molenbeek. J'ai voulu, à l'époque, nommer les choses, et, ce faisant, dire que nous devions agir. Si nous ne créons pas les anticorps indispensables à l'intérieur de ces quartiers, en effet, les dérives sont inévitables. C'était là, simplement, tenir un langage de vérité. Après le 13 novembre, nous pensions que tout irait bien ; mais, jour après jour, nous pouvons constater l'actualité croissante de cette phrase. Mon intention n'est pas de stigmatiser ces quartiers ; ils le sont déjà, de toute façon. Mais notre responsabilité collective est de reconnaître que certains quartiers, en France, sont en situation d'apartheid territorial, ethnique et social, pour reprendre l'expression employée par le Premier ministre. Si nous ne faisons rien, les prédateurs se saisiront de ces proies que sont nos jeunes concitoyens en perte de repères !

Monsieur le président, vous avez évoqué les très nombreux apports de vos collègues députés. Il s'agit sans doute du dernier texte très important du quinquennat, donc d'un support permettant des évolutions. Je prends l'exemple d'un amendement présenté, à l'Assemblée nationale, par le Gouvernement, donc absent du texte initial, et dont l'objet sont les écoles hors contrat : en la matière, l'exécutif, avec l'appui d'une part non négligeable de députés, souhaite que nous passions d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation. Cela, évidemment, n'est pas sans lien avec le point qui nous occupe, au regard de l'ouverture de nombreuses écoles coraniques qui ignorent les valeurs de la République.

Voici un exemple d'enrichissement du texte ! Ce dernier est assez large pour permettre ce type d'ajouts. Quant à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, vous verrez bien ce qu'il convient d'en retenir, d'en retrancher, d'y ajouter.

Je profite de ces considérations liminaires pour me féliciter d'être parmi vous aujourd'hui, et pour saluer Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, rapporteurs, qui n'ont pu être présentes.

Les travaux de cette commission spéciale interviennent à un moment particulier : le terrorisme a de nouveau frappé notre pays, et plongé nos concitoyens dans la sidération - « sidération » : ce mot revient très régulièrement dans les propos des journalistes - et dans l'horreur. La réponse à cette sidération, c'est la résilience et la résistance. Nous devons préserver notre modèle républicain, lequel doit être à la fois ferme et bienveillant. C'est précisément là la tonalité du texte qui vous est présenté ; et je veux dire à Dominique Estrosi Sassone, à la suite du drame qui s'est déroulé à Nice le 14 juillet, la totale détermination du Gouvernement.

Dans des moments si difficiles, le pays a besoin d'unité. La question qui nous est posée est celle de savoir comment construire cette unité. Et les débats sont nécessaires : il ne s'agit pas de les taire.

Les djihadistes, jour après jour, montrent à quel point ils savent s'adapter. Figer nos dispositifs dans le marbre serait une erreur : il faut savoir s'adapter, et réagir devant l'évolution de la menace. En même temps, nous devons nous garder des solutions faciles, instinctives, qui saperaient les fondamentaux de notre histoire constitutionnelle. De ce point de vue, de nombreux sénateurs de la majorité sénatoriale ont eu des mots forts, rassurants. Le péril serait de laisser les terroristes nous emmener là où ils souhaitent, donc de renoncer à nous-mêmes et de céder à la division.

Face à la tuerie de Nice, ou à l'attaque subie hier par la religion catholique, dont on connaît le poids dans l'histoire de France, la question qui nous est posée est la suivante : pouvons-nous mettre en oeuvre des réponses qui rassurent nos concitoyens sur notre capacité à les protéger, tout en demandant à chacun de prendre sa part de l'effort nécessaire pour sécuriser son mode de vie ? On ne peut pas tout attendre de l'État ! À titre d'exemple, j'entendais récemment un responsable d'une communauté juive expliquer que des volontaires assistaient l'armée pour protéger notamment les cérémonies religieuses.

La réponse proposée par l'intermédiaire de ce projet de loi relève du soft power : il s'agit d'une réponse douce, pérenne, qui s'inscrit dans la longue durée. Elle vient compléter les réponses régaliennes nécessaires portées par les ministères de l'intérieur, de la défense et de la justice, lesquels doivent agir dans la rapidité. Je ne crois pas à la pensée magique. Mais je suis convaincu qu'en renforçant l'engagement, en permettant aux jeunes, notamment aux plus marginalisés, d'accéder à l'autonomie, en favorisant la mixité sociale dans l'habitat - c'est l'objet du titre II, qui vous a été présenté par Emmanuelle Cosse -, en luttant contre les discriminations - c'est l'objet du titre III, qui vous a été présenté par Ericka Bareigts -, nous renforcerons la cohésion de notre société.

Avant que se produisent les événements des dix-huit derniers mois, nous étions peut-être moralement désarmés face aux nouveaux périls : notre confort, en quelque sorte, nous rendait aveugles aux drames se déroulant dans d'autres parties du monde. Mais ces drames, désormais, arrivent chez nous. Les Français veulent agir, et ils le montrent : afflux dans les bureaux de dons du sang, dans les bureaux de recrutement de l'armée et de la réserve, dans le secteur associatif. Serons-nous capables, quant à nous, d'aménager un terreau fertile où puisse germer le désir d'engagement de nos concitoyens ?

Je voudrais mettre l'accent sur trois aspects : la culture de l'engagement, l'autonomie des jeunes, la place particulière, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, des conseils citoyens - à propos de ces quartiers, je ne fais aucun amalgame, mais ne pratique pas non plus l'angélisme.

La culture de l'engagement, d'abord. Nous créons la réserve civique, qui viendra compléter la réserve opérationnelle, celle des crises aiguës. Il s'agira d'un outil de cohésion qui pourra être déployé dans les centres de secours, dans les communes lors de vagues de chaleur, en cas de catastrophe naturelle ou de plage souillée par un pétrolier. Cette réserve pourra être mobilisée dans des territoires connaissant des problèmes spécifiques. Administrée par une autorité de gestion dédiée, elle sera ouverte aux mineurs de plus de 16 ans. Il ne s'agit pas d'une garde nationale : il n'est pas question de la mettre en première ligne pour protéger le pays, mais de l'utiliser pour accompagner le pays lorsqu'il connaît des drames.

Nous proposons en outre de créer le congé d'engagement de six jours fractionnables non rémunéré, sauf si les partenaires sociaux en décidaient autrement. Des freins considérables détournent en effet beaucoup d'actifs, notamment jeunes, d'un engagement important. Beaucoup d'associations sont animées par des retraités, et il existe non pas une crise du bénévolat, mais une crise du renouvellement des générations dans le bénévolat. Je souhaite que le champ de ce congé d'engagement soit cohérent avec celui du compte d'engagement citoyen créé par la loi Travail.

Je proposerai, en séance publique, d'approfondir cette disposition, afin que ce congé soit mieux qualifié qu'il ne l'est actuellement.

S'agissant toujours de l'engagement citoyen, il me faut évoquer le service civique, créé en 2010 par Martin Hirsch. Nous voulons créer de nouveaux viviers de missions : l'objectif est de proposer à la moitié d'une classe d'âge, en 2018, de faire un service civique, c'est-à-dire d'atteindre le chiffre de 350°000 à 400 000 missions. La montée en charge doit respecter certains principes essentiels : volontariat, qualité des missions, durée, non-substitution à l'emploi - ce dernier cap doit être absolument préservé.

Le Gouvernement souhaite donc revenir sur l'expérimentation d'un service civique obligatoire, votée par l'Assemblée nationale : le service civique obligatoire nous paraît contraire aux principes que je viens d'évoquer ; en outre, il paraît impraticable, l'objectif consistant à créer 800 000 missions par an étant inatteignable. Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas remettre en cause les règles historiques du service civique, définies en 2010.

Enfin, concernant la valorisation de l'engagement dans les études, elle existe déjà, de manière expérimentale, dans certaines universités. Les compétences et connaissances acquises dans le cadre d'une activité bénévole ou dans la réserve opérationnelle seront reconnues dans l'ensemble des diplômes du supérieur. Les dispositions du texte relatives à cette matière ont été largement enrichies par l'Assemblée nationale : les étudiants engagés dans une association, volontaires du service civique ou réservistes opérationnels, pourront ainsi bénéficier d'un aménagement de leur temps scolaire.

Deuxième grand sujet : l'autonomie des jeunes. Près de 8 millions de Français ont entre 15 et 25 ans. Il s'agit d'une formidable richesse - en 2050, la population française sera la plus nombreuse en Europe -, que ne possèdent pas nos amis allemands, dont il est vrai que le taux de chômage est moindre. Mais, au regard de l'importance du chômage des jeunes, certes en légère diminution cette année, il s'agit aussi d'un défi.

Le Président de la République a fait de la jeunesse sa priorité, et ce n'est pas un slogan. Le 11 avril dernier, le Premier ministre a annoncé des mesures complémentaires en direction de la jeunesse, qui ont trouvé leur traduction législative dans la loi Travail : création de l'allocation de recherche du premier emploi, généralisation de la garantie jeune. Nous proposons de renforcer, par le projet de loi « Égalité et citoyenneté », l'accès à la CMU-C, notamment pour les jeunes en situation de rupture familiale, et nous renforcerons, par voie réglementaire, les garanties en matière de logement.

Le pilotage de l'information jeunesse sera amélioré : le chef-de-filat, en la matière, sera confié à la région - ce qui ne veut pas dire compétence exclusive. Beaucoup de jeunes méconnaissent leurs droits ; une boussole des droits sera mise en ligne d'ici la fin de l'année, qui permettra aux jeunes de prendre connaissance, au plus près de leurs besoins, des ressources mobilisables en matière de formation, d'emploi, de logement. Chaque jeune de 16 à 23 ans bénéficiera d'une information individualisée sur ses droits en matière de couverture santé.

Nous renforçons également la place des jeunes au niveau local en incitant les collectivités territoriales à créer des conseils des jeunes. Fallait-il l'imposer ? Nous pensons que les élus doivent plutôt se saisir de cette possibilité de manière volontaire. Nous faisons aussi en sorte que les jeunes soient mieux représentés au niveau régional, dans le cadre des CESER, les conseils économiques, sociaux et environnementaux.

Un sujet a été longuement débattu à l'Assemblée nationale : celui du permis de conduire. L'autonomie passe par le permis de conduire ! Beaucoup de jeunes sont écartés d'un emploi parce qu'ils ne disposent pas de cet outil. Un pas important est effectué : le compte personnel de formation pourra être mobilisé pour les formations tant théoriques que pratiques du permis de conduire. Nous permettrons à tous les jeunes qui sont sous garantie jeunes de bénéficier du permis à un euro par jour, et l'État prendra en charge la caution si les parents ne le peuvent pas. Il s'agit d'un véritable progrès pour beaucoup de jeunes en difficulté.

Troisième grand sujet : les conseils citoyens, créés par la loi du 21 février 2014 dans chaque quartier prioritaire de la politique de la ville. En tant que ministre de la ville, je veux souligner leur importance en matière de démocratie participative. Environ un millier d'entre eux sont déjà installés. Les citoyens disposeront d'un pouvoir d'interpellation des pouvoirs publics par saisine du préfet. Nous avons veillé à ce que les collectivités locales soient pleinement associées à cette forme d'interpellation. C'est la première fois, dans l'histoire de notre démocratie, que des citoyens non élus pourront, sur tel ou tel problème, demander des explications aux élus locaux, dans le cadre des territoires prioritaires de la politique de la ville. Je précise qu'il n'est pas question, ce faisant, de remettre en cause le pouvoir souverain des élus locaux - j'y insiste d'autant plus que les sénateurs sont souvent des élus locaux.

Le projet de loi compte désormais 217 articles. J'aurais pu les évoquer chacun dans le détail, mais je me contenterai de citer le régime d'ouverture des écoles privées, la reconnaissance du parrainage civil - l'origine en est une proposition de loi d'initiative sénatoriale -, ou encore l'identification des fonds associatifs en déshérence.

Quoi qu'il en soit, je pense que ce texte est capable de nous rassembler autour d'une oeuvre commune - je connais les exigences, le savoir-faire et le pragmatisme du Sénat. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'essaierai d'être le plus réactif possible à vos propositions.

M. Jacques-Bernard Magner. - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir exposé pour nous dans le détail les dispositions de ce projet de loi. J'espère qu'à l'issue des travaux parlementaires le message d'origine ne sera pas brouillé.

Je voudrais poser quelques questions pour compléter ce qui a déjà été dit.

Nous avons déjà eu, ici même, un débat sur le service civique universel et obligatoire. Si la mise en oeuvre de l'universalité paraît possible, quoique complexe, qu'en est-il de l'obligation ? En la matière, quelle forme pourrait prendre une expérimentation ? Cela mérite d'être précisé.

Par ailleurs, monsieur le ministre, la mise en place d'un bilan de compétences à l'issue du service civique, qui pourrait valoir au titre de la validation des acquis de l'expérience des jeunes, serait-elle envisageable ?

Concernant la pré-majorité associative, comment la fameuse question du « discernement » des jeunes qui en bénéficieraient sera-t-elle traitée ? Qui décidera si un jeune possède assez de discernement ?

S'agissant des conseils des jeunes, nous en avons déjà beaucoup débattu. Il paraît difficile de les rendre obligatoires ; malgré tout, en tant que maire d'une petite commune, j'ai bel et bien l'intention et l'envie de créer un tel conseil. Pourrait-on, en revanche, envisager que les régions, qui seront dotées du chef-de-filat en matière de politique de la jeunesse, aient l'obligation de créer des conseils régionaux des jeunes - la plupart d'entre elles l'ont d'ailleurs déjà fait ?

Quant à la valorisation de l'engagement, je pense, en tant que membre du Haut Conseil de la vie associative, qu'elle doit intervenir au niveau même de l'obtention des diplômes, qu'il s'agisse du brevet des collèges, du baccalauréat ou des examens universitaires - un rapport vous a été remis sur cette question, monsieur le ministre. Les jeunes doivent être jugés non seulement sur leurs résultats scolaires, mais aussi sur leur comportement et leur engagement citoyen.

Autre question : celle du parrainage civil, lequel provoque un certain engouement, comme j'ai pu moi-même le constater en tant qu'élu. Il serait souhaitable que le parrainage civil soit érigé en véritable acte d'état civil, ce qui n'est pas le cas actuellement, malgré la solennité et l'émotion qui entourent sa célébration.

Quant à la manne des comptes associatifs inactifs, il est impératif qu'elle vienne abonder le budget du Fonds pour le développement de la vie associative.

Enfin, l'inversion de la règle d'âge, au profit du plus jeune, en cas de partage des voix lors d'une élection aux instances représentatives du personnel, me paraît vertueuse.

M. Yves Rome. - Mes questions seront quelque peu iconoclastes. Ce texte a été élaboré avant les événements que nous venons de vivre. Comment faire en sorte que les objectifs opérationnels de reconquête de la citoyenneté soient atteints, en particulier dans ces territoires que vous avez évoqués, monsieur le ministre, qui s'éloignent de plus en plus de la République ? L'effort est certes mené par les ministres régaliens, mais j'aime l'idée d'associer les citoyens à leur propre protection. De ce point de vue, des pistes sont à travailler.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué le chef-de-filat des régions en matière de politique de la jeunesse. Ce chef-de-filat ne doit pas être exclusif : à l'intérieur des grandes régions, il existe des conseils départementaux ! Ceux-ci se sont déjà penchés, dans le passé, sur cette question des modalités possibles d'une meilleure intégration de la jeunesse à l'élaboration des politiques. Il serait dommageable de se priver de cette expertise, d'autant qu'entre Lille et Chantilly, le chemin est long, trop long, peut-être, pour la citoyenneté !

De la même manière, il est nécessaire d'agir en faveur de la mobilité des jeunes, passage obligé de cette quête du Graal qu'est l'emploi. De nombreuses collectivités territoriales mènent depuis longtemps des politiques en ce sens. Il serait judicieux, une fois n'est pas coutume, de les faire participer au travail entrepris par l'État.

Je souhaite évoquer un dernier point, qui, à mon grand regret, est absent du texte : nous venons d'adopter à l'unanimité le projet de loi pour une République numérique, et vous connaissez, monsieur le ministre, l'appétence de la jeunesse pour ces nouveaux outils. Il serait juste et bon d'engager des actions structurées, à destination notamment de celles et ceux qui en sont les plus éloignés, qui vivent dans les quartiers prioritaires, pour promouvoir la maîtrise des outils numériques. Le permis de conduire est certes indispensable pour accéder à l'emploi ; mais il en va de même, désormais, de la maîtrise du numérique.

M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur le ministre, à la suite de Jacques-Bernard Magner, j'évoquerai trois points.

Premièrement, je tiens à revenir sur les conseils de citoyenneté et, plus largement, sur ce « mouvement conseilliste », dont la social-démocratie du Nord, qui vous est chère, a une grande expérience. La création de conseils de quartier est une bonne chose. J'ai longtemps pu l'observer dans la ville dont j'étais l'élu.

Cela étant, on idéalise parfois ce mode de participation. Aussi est-il nécessaire de nuancer. Il peut parfois devenir l'instrument de l'exécutif en place. Dans d'autres cas, il peut verser dans le corporatisme : aujourd'hui, chaque fois que l'on prévoit de créer une usine, d'aménager une route ou un pont, un conseil se réunit pour affirmer que le projet doit être implanté ailleurs. Et je ne parle pas d'infrastructures permettant l'atterrissage des avions... (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Un aéroport, par exemple ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. - Les élus ne doivent pas vivre dans le confort de leur mandat en partant du principe qu'ils n'ont pas de comptes à rendre. Bien au contraire, ils doivent être aiguisés par l'intense activité démocratique à laquelle ils concourent. Je note au demeurant qu'aujourd'hui ils ont rarement l'occasion de s'endormir !

Deuxièmement, je mentionnerai les conseils de jeunes. J'ai grand plaisir à recevoir leurs représentants au Sénat : je leur fais visiter l'hémicycle et je leur explique comment est fabriquée la loi, ce qu'en général ils ignorent totalement. J'ai récemment reçu une délégation du Rotary Club dont les membres ne savaient pas non plus comment l'on fait une loi dans ce pays ! À l'évidence, ce savoir est très peu répandu. Quelle est la différence entre un projet de loi et une proposition de loi ? Quand vous posez cette question, votre interlocuteur reste souvent ébahi. Rares sont ceux qui ont lu la Constitution !

On réunit également des conseils de sages. Si Napoléon a créé le Sénat, c'est parce qu'il était fasciné par les Romains, pour lesquels les citoyens d'un certain âge devaient être consultés. Or, ce qui est passionnant, ce qu'il y a de plus précieux dans un conseil municipal, départemental ou régional, c'est de voir rassemblées autour d'une même table des personnes de 18 à 75 ans, qui ont toutes quelque chose à dire.

Aujourd'hui, les élus sont conviés à nombre de réunions, organisées à toutes les heures du jour par M. le préfet ou par M. le sous-préfet. On en viendrait presque à se dire que des conseils municipaux composés de retraités seraient une bonne chose, au motif que les élus seraient plus souvent présents. Mais, à mon sens, il s'agit là d'une très grave déviation ! En définitive, on aboutirait à créer deux catégories de conseillers municipaux : ceux qui peuvent venir à toutes les réunions, quel que soit l'horaire ; et ceux qui ont un travail ou qui font des études, bref ceux qui ont des contraintes.

Au contraire, pour assurer l'essor de la démocratie, il faudrait multiplier les règles permettant à chacun de participer. À cette fin, commençons par réduire le nombre des réunions. On croit toujours que, plus les réunions sont nombreuses, plus le processus démocratique est fort. Mais, en général, ne répondent à la convocation que les professionnels de la réunion. Or ces derniers ne représentent pas toujours la population !

Troisièmement et enfin, au sujet du service civique, une piste ressurgit toujours dans les discours sans que l'on n'ose la mettre en oeuvre : que tous les jeunes de ce pays accomplissent six mois de service citoyen, divisés par exemple en deux périodes de trois mois, pour respecter le déroulement de leurs études. Ce service serait universel, sans aucune dispense que ce soit. Ainsi, l'on retrouverait l'idée du creuset républicain.

Ce service pourrait naturellement s'appliquer à des tâches de défense. Mais il pourrait également inclure des missions de secourisme, de respect de l'environnement, de soutien aux populations, d'action humanitaire ou d'action internationale.

Monsieur le ministre, cette idée n'a peut-être pas sa place dans le présent projet de loi. Mais, selon vous, ne serait-il pas judicieux de la mettre en oeuvre ?

Mme Christine Prunaud. - Monsieur le ministre, sur le principe, je soutiens fortement le développement du service civique pour le développement de l'égalité et de la citoyenneté. Néanmoins, comme vous l'avez vous-même rappelé, il faut garder pleinement à l'esprit que le service civique ne saurait remplacer un emploi. Dès lors, comment contrôler le bon fonctionnement du service civique, notamment par le biais de référents ?

Contrairement à M. Sueur, il ne nous semble pas pertinent d'instaurer pour l'heure un service citoyen obligatoire. Derrière ce dispositif, nous craignons de voir ressurgir un service national obligatoire. Je ne pense pas que ce soit, d'emblée, une solution pour ramener les jeunes vers davantage de citoyenneté. Bien sûr, il sera possible d'approfondir notre réflexion commune sur ce sujet.

Parallèlement, l'autonomie des jeunes suscite de nombreuses questions, qu'il s'agisse de l'allocation au premier emploi pour étudiant ou de la garantie jeunes, que nous avons toujours jugée largement insuffisante. En la matière, le Président de la République avait fait de nombreuses promesses de campagne : il avait même évoqué un revenu d'autonomie pour les jeunes. C'est là une idée qui commence à germer dans l'esprit de beaucoup d'entre nous, à l'heure où l'on parle du revenu universel, du revenu de base. Le Sénat consacre même une mission d'information à ce sujet spécifique. Il est essentiel de prévoir un financement garantissant une autonomie minimale pour tous les jeunes !

J'évoquerai un deuxième point, qui me tient très à coeur, comme à d'autres. J'avais d'ailleurs été très heureuse d'entendre vos propos sur cette question, à l'époque où débutait mon mandat de sénatrice : ce sujet, c'est celui de la laïcité. Avec ce projet de loi, vous avez reformulé cette préoccupation, mais elle n'a jamais été développée lors de nos débats en commission ou au sein des groupes politiques, comme s'il y avait des choses plus importantes, comme si cette question faisait encore l'objet de désaccords.

Il est grand temps que l'on s'attaque au sujet de la laïcité dans tous nos territoires. Pour ma part, je suis élue des Côtes-d'Armor. Nous défendons la laïcité en Bretagne comme partout ailleurs. Mais on en arrive à se dire : de quelle laïcité parlons-nous ? À mes yeux, un tel questionnement n'est pas bon. Je préfère les positions fermes, comme celle que vous avez exprimée.

En Bretagne, dans des villes comme Rennes, ou en région parisienne, par exemple à Aubervilliers, des associations défendent les droits des femmes : leurs représentants, que nous avons reçus, nous ont déclaré que, dans certains quartiers, les femmes ne pouvaient seulement pas passer un moment en terrasse sans se faire agresser verbalement : et nous laissons passer ces attitudes intolérables ! Il me semble que ce constat devrait faire consensus.

Parallèlement, nous devons être encore plus ouverts à l'accueil des migrants : il faut insister sur le fait qu'aucun peuple, quel qu'il soit, n'est mis à l'index. Nous devons prendre le temps de parler de laïcité entre nous. Il s'agit là d'un enjeu essentiel pour l'unité nationale, pour la refondation de notre société.

M. Yannick Vaugrenard. - Monsieur le ministre, je vous remercie à mon tour de votre propos introductif.

L'évolution que ce projet de loi connaîtra au cours des débats parlementaires sera fortement marquée par ce que nous vivons depuis quelques mois : c'est inévitable. Récemment encore, seul Paris était visé par ces attaques. À présent, avec Nice et Saint-Étienne-du-Rouvray, elles touchent l'ensemble du pays. La perception qu'en ont nos concitoyens s'en trouve nécessairement transformée.

Le présent texte a un intitulé extrêmement ambitieux, qui pourrait à lui seul résumer un véritable projet de société ! Mais il ne faudrait pas qu'il devienne un projet de loi fourre-tout. Compte tenu de la période que nous traversons, ce texte doit être une réforme extrêmement importante, ayant pour ambition de réunir l'ensemble de la société, bref un projet à la fois social et sociétal.

Notre pays connaît de profondes disparités, notamment selon les origines sociales ou géographiques. Or l'État déploie des efforts qui doivent transparaître dans ce projet de loi. Comment donc faire pour réduire les inégalités que nous constatons, qui perdurent et même parfois s'aggravent, malgré les efforts consentis ?

À l'heure actuelle, nous n'avons pas encore les moyens de nos ambitions. Il est donc indispensable de parler avec nos concitoyens.

À cet égard, je rejoins Jean-Pierre Sueur : notre société actuelle est déstructurée. On le constate au titre des modèles familiaux. Un jour venant, peut-être aborderons-nous enfin la place du père dans la famille. Quand on regarde le profil des terroristes qui ont commis les derniers attentats, un constat est tout à fait frappant : l'absence de structure familiale, voire de toute attention portée à l'enfant, puis à l'adolescent. Il s'agit là d'un problème de fond, qui se double ensuite de difficultés scolaires ou sociétales. À aucun moment ces jeunes n'ont pu retrouver une forme de famille ou d'entité commune. Or, à mon sens, seule la Nation est à même de faire évoluer cette situation.

À ce titre, il ne serait pas illogique que les ministres de l'éducation et de la culture s'approprient eux aussi ce projet de loi. Ce choix serait symboliquement fort.

Il va sans dire que l'effort de financement doit être considérablement renforcé en faveur de la petite enfance, de l'école maternelle et de l'école primaire. Toutefois, ce travail ne sera pas accompli du jour au lendemain. Il me semble donc impératif d'aller dans le sens d'un service civique ou militaire obligatoire. Ainsi, l'on assurera le brassage de l'ensemble des jeunes, tout en favorisant l'idée de citoyenneté, fruit de notre histoire, conduisant chacune et chacun, quelles que soient ses origines, notamment géographiques, à se retrouver autour d'un discours commun, autour de perspectives communes. Même si l'école agit, ce projet commun n'existe pas encore suffisamment.

Deuxièmement, après Yves Rome, je dirai un mot des outils numériques.

Aujourd'hui, beaucoup de jeunes déstructurés ou déconnectés d'une vie sociale traditionnelle utilisent le numérique. Parfois, ils maîtrisent très bien cet outil, ils en sont aussi familiers que de la télévision. Dans ce cadre, comment éviter une banalisation de la violence, en particulier par le biais des jeux vidéo ? Entre l'imaginaire des jeux vidéo et la réalité, la différence n'est parfois pas suffisamment perçue. Comment notre responsabilité collective, celle de l'État, peut-elle être engagée ? Comment assurer une surveillance plus efficace pour éviter cette effroyable banalisation de la violence ? Cette problématique rejoint celle des chaînes d'information en continu, qui font des drames que nous vivons une série de faits divers permanente. C'est là un enjeu sociétal majeur.

Troisièmement et enfin, je remarque que l'on évoque une nouvelle fois les ghettos de pauvres. Mais il y a aussi des ghettos de riches, et les deux réalités sont parfois liées ! Le sujet du logement social concerne directement la commission des affaires économiques. En la matière, il faut bien sûr accroître le parc de logements sociaux existants par de nouvelles constructions, mais cela ne suffira pas ! Il faut également assurer un bon environnement éducatif, culturel et sportif.

Mme Evelyne Yonnet. - Je vous remercie de votre exposé, monsieur le ministre.

Je rejoins les propos de Jean-Pierre Sueur et Yannick Vaugrenard : rendre le service citoyen universel obligatoire pourrait redonner des repères à cette jeunesse qui n'est pas insérée ou qui ne veut pas s'insérer. Or vos propositions vont toucher la jeunesse qui est déjà intégrée, qui ne connaît peut-être pas beaucoup de choses, mais qui sait où se renseigner, où aller. Les jeunes qui nous intéressent sont ceux qui, lorsqu'ils rentrent - ou non - de l'école, n'ont pas de repères en dehors d'un quartier, d'un stade, de leurs deals, des jeunes qui sont en quelque sorte enfermés dans ce qu'ils considèrent comme leur « chez eux ». Ce sont parmi ces jeunes que se trouvent ceux qui peuvent commettre des actes comme à Nice ou en Allemagne, qui peuvent égorger un prêtre, attaquer à la hache.

Nous ne sommes pas à l'abri de tels actes individuels incontrôlés commis par des gens mal dans leur peau et qui se nourrissent de vidéos violentes.

Il est vrai qu'il y a des fractures numériques, mais quand on voit que des jeunes, avec portables et voitures, venant du Val-d'Oise, de l'Oise, de la Seine-et-Marne peuvent se rassembler en un quart d'heure, on voit qu'ils savent se servir du numérique. Comme le disait Yannick Vaugrenard, ils en font un usage complètement dévoyé. Ils regardent surtout des vidéos violentes de propagande ou jouent à des jeux tout aussi violents. Je vois souvent des gamins qui passent dix heures par jour sur écran à tuer, alors que leurs parents sont inexistants, travaillent, ou, pour calmer le gosse, le laissent faire : oui, il reste à la maison, mais à jouer à des jeux vidéo toute la journée !

Le service citoyen universel obligatoire toucherait tout le monde, y compris ces jeunes.

On aurait dû avoir une réflexion approfondie en amont avant d'attaquer le projet de loi, car nous avons beaucoup d'idées les uns et les autres pour améliorer les choses, chacun avec notre vision de ce monde de brutes. Nous avons plein de choses à dire, mais nous ne voulons pas non plus d'un dernier texte fourre-tout parce qu'il n'y a plus assez de temps.

Ce qu'ont dit mes collègues me satisfait entièrement. Pour qu'il puisse servir de point de repère, ce service citoyen doit concerner tout le monde : il ne doit pas y avoir de première classe et de deuxième classe, et il ne doit pas être fondé sur le volontariat. Je trouve que l'on est gentil, mais, à un moment donné, il faut peut-être être un peu plus dur et montrer qu'une société est régie comme ça et non pas comme chacun l'entend, même si l'on peut apporter des améliorations.

Pour les avoir pratiqués depuis des décennies, je peux vous assurer que les conseils de quartier, les conseils des jeunes, les conseils des sages enlèvent leur autorité au maire et aux conseillers municipaux, dévaluent leur travail, comme l'a dit Jean-Pierre Sueur. Nous sommes plusieurs à avoir eu le sentiment qu'il s'agissait de tirer à boulets rouges sur les élus : ceux qui y participent ont l'impression d'avoir un pouvoir et d'être plus compétents que les élus. Si l'on est élu, c'est pour assumer et, avec la multiplication de ces conseils, on s'y perd. Il faudrait peut-être trouver autre chose, faire en sorte par exemple qu'il y ait de nouveaux élus, des jeunes et des moins jeunes, par exemple, mais je ne suis pas sûre que multiplier sans fin les conseils soit une bonne chose.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Ma chère collègue, nous avons tous été impressionnés par les témoignages sur la vie quotidienne dans le département où vous êtes élue, lesquels justifient pleinement les interrogations et les propositions qui sont formulées.

J'ai trois séries de questions, dont certaines émanent de Françoise Gatel et sont très précises. Je conçois parfaitement que vous y apportiez par écrit des compléments de réponse, monsieur le ministre.

La première série porte sur les dispositions relatives au service civique, dont l'évaluation permanente est indispensable pour s'assurer qu'il réponde aux objectifs fixés. Comment ce service est-il évalué aujourd'hui ? Quelles sont les pistes d'amélioration envisagées ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour que la massification du service civique n'entraîne pas une détérioration de la qualité des missions ? Quels sont les moyens de contrôle de l'Agence du service civique ?

Certains interlocuteurs nous ont signalé que la seule façon d'atteindre l'objectif chiffré par le Président de la République serait d'organiser des services civiques collectifs, avec deux volontaires sur une même mission, afin d'éviter le risque d'occupation d'un emploi par un volontaire, de créer une mixité sociale et de favoriser les échanges entre volontaires. Que pensez-vous de ces propositions ? Les volontaires du service civique doivent suivre une formation civique et citoyenne. Certains jeunes viennent d'ailleurs au Sénat pour un cours d'instruction civique in situ.

Que pensez-vous de l'idée de réaliser cette formation de manière collective afin de renforcer les échanges entre volontaires et de créer une mixité sociale ?

Enfin, la réserve civique ne fonctionnera pas sans une animation permanente et efficace du réseau. Quelles instances sont censées jouer ce rôle ? Comment favoriser une articulation entre les différentes formes de bénévolat, qu'il s'agisse du bénévolat associatif ou de celui des réservistes ?

J'en viens aux dispositions relatives aux collectivités territoriales.

Le transfert à la région de la coordination des politiques d'information à destination de la jeunesse et l'affirmation de sa qualité de chef de file en la matière ont-ils fait l'objet d'une concertation en amont avec les collectivités concernées ? Quelle sera la nature de la coordination menée par la région et dans quelle mesure permettra-t-elle une plus grande cohérence des politiques publiques à cet égard ? Outre leur faible normativité, les dispositions relatives aux CESER, les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, ne risquent-elles pas de complexifier excessivement le dispositif ? Quelle sera la représentativité des représentants d'associations de jeunesse et d'éducation populaire ainsi que des organisations desquelles ils sont issus ?

En outre, quelle est la portée normative des articles 16 bis et 16 ter ?

Parmi les dispositions diverses, l'article 15 ter prévoit la possibilité pour un mineur d'être membre d'une association et de la gérer. Si cette disposition comporte une forte dimension symbolique, ne pensez-vous pas qu'elle puisse avoir des conséquences juridiques problématiques ? À titre d'exemple, si le mineur était nommé trésorier, ses parents seraient-ils responsables des problèmes de gestion financière constatés au sein de l'association ?

Pourquoi réformer, à l'article 19 quater, le régime juridique des auberges de jeunesse ? Quel lien a cette disposition avec l'objet du projet de loi ?

La même question vaut pour l'article 13 bis relatif au profil biologique des sportifs.

Par ailleurs, je suis surpris que, dans le contexte actuel, l'éducation nationale restreigne le nombre de sites qui accueillent des centres d'information et d'orientation. Ma propre ville, Mortagne-au-Perche, perd son CIO au profit d'une autre commune. Je m'en suis ouvert au recteur, qui m'a parlé des contraintes budgétaires. C'est l'inverse de ce qu'il faudrait faire. Je suis persuadé que cette question va être relayée.

Enfin, concernant l'article 14 bis, j'ai reçu hier un long courrier de l'Association Les Enfants d'abord, qui défend la liberté de l'instruction ; elle attire notre attention sur le problème de l'instruction en famille. Le courrier a également été reçu par la ministre de l'éducation.

Monsieur le ministre, nous en sommes conscients, vous ne pourrez vraisemblablement pas répondre à toutes les questions aujourd'hui, mais les compléments que vous nous ferez éventuellement parvenir ultérieurement seront portés à la connaissance de l'ensemble des membres de la commission spéciale et pris en compte comme autant d'éléments du débat.

M. Patrick Kanner, ministre. - Je vous remercie de l'élégance de cette proposition, car j'ai compté une cinquantaine de questions ! (Sourires.)

Je me félicite de la qualité de ce débat, car je revendique une approche sociétale de ce projet de loi pour l'avenir de la société. Si ce texte peut modestement y contribuer, j'en serai, avec mes collègues Emmanuelle Cosse et Ericka Bareigts, très heureux, car il est bon que la République ne règle pas seulement des problèmes techniques.

Monsieur Magner, le service civique n'étant pas un emploi, le bilan de compétence qui est délivré à la fin représente une attestation de mise en oeuvre du service civique. On qualifie le CV d'un jeune par le service civique, mais ce n'est pas un bilan de compétence en tant que tel. Cette préoccupation devra être intégrée, mais en évitant toute comparaison avec un emploi fixe, au risque de détourner le texte de son objet.

S'agissant de la pré-majorité associative, la capacité de discernement du mineur est une notion reconnue par le code civil, par exemple à l'article 388-1, qui laisse au juge le soin de déterminer au regard de la personnalité du mineur sa capacité. Avant 2011, il n'y avait d'ailleurs pas de limite d'âge.

Nous avons une approche de confiance, car nous considérons qu'à seize ans on est plutôt capable de discernement. Naturellement, la maturité psychologique peut s'apprécier différemment selon les personnes. Je connais des personnes de plus de dix-huit ans qui ont une maturité relative...

Pour les conseils de jeunes, nous travaillons dans une logique de subsidiarité : il n'est pas question que ces conseils soient des structures obligatoires. Laissons aux élus le soin de procéder dans le sens qu'ils jugent le plus utile à la démocratie. Mais permettre à des jeunes de contribuer à l'élaboration de projets de société sans être pour autant élus du peuple est peut-être une porte d'entrée pour qu'ils s'intéressent à la vie politique. Aux dernières élections régionales, 75 % des moins de vingt-cinq ans n'ont pas voté et 25 % de ceux qui l'on fait ont voté pour le Front national... Je crois donc que, plus nous avons d'outils de coopération en amont de l'âge de la majorité, mieux nous faisons notre travail de sensibilisation.

Le projet de loi crée un acte de parrainage civil avec un registre, mais cet acte doit être utilisé par les juges comme un faisceau de présomptions en cas de drame survenant, par exemple, aux parents. Ce n'est pas un acte d'état civil au sens classique du terme.

S'agissant des comptes inactifs pour alimenter le FNDVA, le Fonds national pour le développement de la vie associative, je ne vous cache pas je n'ai pas que des amis, mais l'Assemblée nationale a tenu et je ne doute pas que le Sénat fera de même en la matière.

Sur l'inversion de la séniorité, en cas de partage des voix après une élection dans une collectivité territoriale, sera désigné non le plus jeune de l'assemblée délibérante, mais le plus jeune des deux candidats. C'est un symbole.

Monsieur Rome, sur le renforcement des objectifs opérationnels du texte de loi au regard de notre actualité, nous voulons favoriser l'association des citoyens à leur propre protection pour que chacun prenne part à la vie du pays. Je n'entrerai pas dans les débats sur l'assistanat ; je dirai juste que notre pays est formidablement protecteur, dans tous les sens du terme, y compris sur le plan de la sécurité sociale. La question posée est de savoir ce qui peut inciter des Français à s'engager en faveur de cette construction collective. Les réponses sont partielles. Ce texte n'est pas l'alpha et l'oméga de l'engagement dans notre pays, mais il existe de nouvelles ouvertures, à condition de les organiser. Tel est le sens du chef-de-filat de la région pour l'information des jeunes, mais je tiens à dire clairement qu'il ne s'agit pas de leur donner une compétence exclusive. Il faut qu'il y ait une collectivité de référence qui coordonne l'intervention des autres, mais coordonner ne veut pas dire imposer. La région ne sera pas dans une logique hiérarchique par rapport aux départements, aux métropoles, aux collectivités locales, mais il s'agit de répondre à un besoin de clarté.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la République numérique.

Tout d'abord, de nombreux jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville se débrouillent très bien en matière de numérique : ils ont tous les codes et toutes les compétences potentielles à faire valoir, mais pas les diplômes. C'est tout l'objet de la création de la grande école du numérique. Aujourd'hui, 171 sites sont labellisés. Les premiers jeunes sortent de l'école avec des attestations. L'idée, comme dans la fameuse école de Xavier Niel, est que, même sans diplôme, les jeunes puissent se former et entrer dans la vie active.

Ces jeunes sans diplôme qui sont souvent porteurs de handicaps sociaux ont une capacité d'adaptation remarquable. Encore faut-il la valoriser en tant que telle. Nous avons eu une réunion ce matin avec Najat Vallaud-Belkacem, Myriam El Khomri, Axelle Lemaire et Clotilde Valter en vue de lancer un deuxième appel à projets pour que cette école numérique se développe partout en France, en métropole, mais aussi outre-mer, où les handicaps sociaux sont importants. Il y a donc le plan numérique dans les écoles pour adapter les enfants aux évolutions technologiques en matière pédagogique et, à l'autre bout de la chaîne, cette grande école du numérique qui fera l'objet d'une communication par le Président de la République au début du mois d'octobre.

J'en viens au mouvement « conseilliste » - conseils de quartier, conseils de jeunes, conseils citoyens - sur lequel Jean-Pierre Sueur m'a interrogé.

Les conseils de quartier datent de la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité ; très structurés, ils sont obligatoires dans toutes les villes de plus de 80 000 habitants, mais celles-ci ne représentent pas la majorité des collectivités territoriales dans notre pays. Nous avons donc créé - un millier à ce jour - des conseils citoyens dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Ces conseils citoyens sont des outils qui peuvent donner le meilleur et le pire, le pire étant qu'ils tombent dans le populisme et la démagogie parce que l'on n'y aurait pas mis les moyens. Pour ma part, je considère que dire à des citoyens tirés au sort ou à des représentants d'association à l'intérieur de ces structures qu'ils doivent être l'interlocuteur des élus est profondément démagogique si on ne leur donne pas les moyens de se former, de s'organiser, d'apprendre à prendre la parole en public, de se préparer à exercer leur futur droit d'interpellation... Un citoyen d'un quartier prioritaire de la ville peut être totalement démuni pour argumenter face à un maire.

Je puis vous dire que je veillerai, avec Hélène Geoffroy, à ce que ces conseils citoyens ne soient pas des gadgets, afin qu'ils contribuent à une démocratie participative, dont je crois profondément qu'elle constitue un antidote au rejet du politique.

De la même manière, l'engagement des jeunes ne peut pas se limiter au conseil des jeunes. Je parle souvent d'une fusée à quatre étages : l'enseignement moral et civique de 300 heures, qui est déjà dispensé à l'école, la journée de défense citoyenne - qui est aujourd'hui insuffisante par rapport aux objectifs initiaux ; à titre personnel, je suis favorable à une semaine avec des modules extrêmement structurés où toute une génération passerait -, le service civique et la réserve civique. L'engagement doit devenir naturel et universel. Plus personne ne doit pouvoir se refuser à donner un peu de son temps à la société et à la nation au cours de son parcours personnel. C'est un peu l'objectif des conseils citoyens.

Madame Prunaud, vous n'êtes pas favorable à un service civique obligatoire, mais vous êtes pour le développement universel du service civique, à condition qu'il y ait de nouvelles offres. C'est le sens de la création, dans le texte, du service civique chez les sapeurs-pompiers. Nous avons là une école de l'engagement potentielle, car, même s'ils ne sont pas militaires, sauf à Marseille et à Paris, les SDIS sont dotés d'une organisation qui peut donner des repères à des jeunes en difficulté, les présidents de conseil départemental qui sont présents le savent.

Vous avez évoqué le revenu d'autonomie pour les jeunes, qui, en partie, figurait déjà dans le programme du Président de la République de 2012. Sans avoir créé cette allocation d'autonomie, nous avons engagé de nombreuses actions : mise en place de la garantie jeune, qui sera généralisée au travers du texte de Myriam El Khomri, augmentation des bourses et extension de leur champ à de nouveaux publics. Cette question de l'autonomie financière des jeunes a donc été largement traitée tout au long du quinquennat.

Sur la laïcité, il faut rappeler en permanence cette valeur cardinale de la République, et l'expliciter non pas comme une valeur antireligieuse, mais comme au contraire une notion permettant la cohabitation pacifique de toutes les religions dans notre pays.

Monsieur Vaugrenard, vous avez eu un mot fort en parlant d'un projet « fourre-tout ». Un député évoquait même un texte « vide-grenier » ! (Sourires.) Je lui ai répondu que l'on trouve parfois des pépites dans les vide-greniers. Ce texte va intéresser différentes catégories de Français. Le congé d'engagement, notamment, sera formidable pour nombre de bénévoles associatifs qui souhaitent conforter leur engagement et le jeune qui aura créé une association sera valorisé dans son parcours universitaire. Je pourrais multiplier les exemples.

Globalement, les réponses peuvent paraître diverses, mais elles seront individualisées. Il suffira d'ouvrir le bon tiroir pour trouver la réponse à sa situation personnelle, toujours avec cette culture de l'engagement quotidien comme fil rouge.

Oui, il existe des ghettos de pauvres, comme il existe des ghettos de riches. La partie du texte défendue par Emmanuelle Cosse apporte en partie des réponses qui s'ajoutent à celles qui existent. Encore faut-il que la loi de la République, en l'occurrence la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, s'applique partout et que la mixité sociale soit considérée non comme un objectif inatteignable, mais comme une priorité actuelle.

Si la politique de la ville dure depuis plus de trente ans maintenant, si nous avons des quartiers prioritaires de la politique de la ville, c'est parce que notre société a créé dans les trente glorieuses les conditions propices au développement de ghettos de pauvres qui se sont révélés durant les trente pleureuses, au fil de l'augmentation du chômage. Faut-il baisser les bras pour autant ? Évidemment non ! C'est tout le sens de ce projet de loi. La semaine de défense et citoyenneté que j'appelle de mes voeux peut d'ailleurs constituer, contre les ghettos, un formidable outil de brassage de la société.

Madame Yonnet, je vous le concède, le risque existe d'une perte de lisibilité des multiples conseils, qu'il s'agisse des conseils citoyens, des conseils de jeunes, des conseils de quartier, etc. Dans le même temps, il y a une appétence de notre jeunesse, qui est engagée, qui veut être écoutée. Pour ma part, je préfère une écoute organisée au sein de ces conseils à une écoute débridée dans des associations à tendance « zadiste » ou autres dont les principes ne seraient pas conformes à ceux de notre société.

La question de la prévention spécialisée n'a pas été évoquée. Or nous en avons besoin pour faire face aux dérives d'une partie de notre jeunesse. Malheureusement, beaucoup de conseils départementaux considèrent que ce n'est plus une priorité.

J'enverrai à Mme Gatel des réponses écrites, plus précises, monsieur le président.

Sur l'évolution du service civique, nous sommes partis de 10 000 services environ en 2010 à 110 000 à la fin de 2016, avec quatre demandes pour un poste aujourd'hui. Je crois à l'universalisation du service civique volontaire.

La loi Hirsch reposait sur le volontariat. Faut-il rendre le service civique obligatoire ? À ceux d'entre vous qui l'espèrent, je me dois de dire les obstacles qui se dresseraient devant nous. En premier lieu, nous changerions l'esprit du texte et créerions une forme de conscription civique dans notre pays, conscription suspendue en 1997, alors qu'elle ne concernait à l'époque que 200 000 hommes, les femmes n'étant pas soumises à cette obligation.

En deuxième lieu, nous n'avons pas besoin de ces conscrits sur le plan militaire, puisque la situation n'a rien à voir avec ce qui se passe en Israël, pays en guerre où le service militaire dure trois ans,...

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Ni en Corée du Nord, où le service dure dix à douze ans !

M. Patrick Kanner, ministre. - ...ni avec ce que nous avons connu en 1914-1918 ou en 1939-1945. Je ne vois pas le Luxembourg nous déclarer la guerre prochainement... (Sourires.)

Nous n'avons donc pas les mêmes besoins.

En troisième lieu, l'hébergement de 800 000 jeunes, même en deux fois, soulèverait des problèmes techniques et budgétaires, sachant que le coût serait entre 4 milliards et 5 milliards d'euros.

Et les jeunes sont-ils demandeurs ? Non ! Doivent-ils être incités à accomplir un service civique universel ? Oui, notamment parce que ce sera une valeur ajoutée pour eux.

C'est un débat philosophique. Je ne le trancherai pas aujourd'hui, le sujet viendra en son temps lors de la campagne présidentielle - je ne suis candidat à aucune primaire, je vous rassure. Posons-nous les bonnes questions et apportons-y des réponses pragmatiques et raisonnables au regard de la situation actuelle.

Aujourd'hui, plus de 300 000 jeunes voudraient accomplir un service civique. Je m'en réjouis, mais je ne peux leur offrir « que »150 000 places à terme. Bravo à cette jeunesse qui veut s'engager, même si d'autres sont en dehors des clous : 300 000 à 500 000 jeunes ne sont ni en formation ni en emploi ni au travail - les « NEET » (not in education, employment or training), en langage européen. Nous devons leur apporter des réponses spécifiques, notamment la garantie jeunes, qui sera généralisée l'année prochaine.

Le service civique en binôme est séduisant pour que le jeune ne soit pas seul dans son engagement, mais cela empêcherait, pour des raisons matérielles, de nombreuses petites associations de profiter de ce dispositif, qui serait de ce fait réservé aux grandes structures. Cette question a été débattue à l'Assemblée nationale, et nous pourrons en débattre au Sénat en séance publique, au début du mois d'octobre.

Concernant la formation civique et citoyenne, j'ai évoqué l'évolution de la journée défense et citoyenneté.

S'agissant du chef-de-filat régional, j'en ai déjà traité.

S'agissant de la partie normative, à savoir les articles 16 bis et 16 quater, nous répondrons par écrit aux questions posées. J'interpellerai Najat Vallaud-Belkacem sur la place des CIO dans notre paysage, monsieur le président.

La pré-majorité associative était très demandée. À 16 ans, on a la maturité pour créer une association sans avoir besoin de paravents comme les juniors associations. Cela s'inscrit de toute façon dans le cadre de l'article 1384 du code civil, qui prévoit la responsabilité civile des parents pour les dommages causés par leur enfant mineur, ce qui vaut donc pour les trésoriers d'associations.

Je ne prétends pas avoir répondu à toutes les questions, mais j'espère avoir, par mon énergie et mon dynamisme, fait en sorte que cette réunion soit utile dans la perspective du débat d'octobre prochain.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Le débat a été extrêmement intéressant, ce qui prouve que le nombre ne fait rien à l'affaire... (Sourires.)

M. Patrick Kanner, ministre. - Cela ne veut pas dire qu'il faut diminuer pour autant le nombre de sénateurs ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous vous remercions des informations que vous nous avez fournies, monsieur le ministre. Et je me tourne vers vos collaborateurs, qui vont avoir la lourde charge d'honorer les nombreux engagements qui ont été pris au cours de cette réunion. Mais, pour avoir moi-même été collaborateur de ministre, je sais que nous disposerons de ces réponses en temps utile !

La réunion est levée à 16 h 10.