Mardi 11 mai 2021

- Présidence de M. Jean Hingray, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Audition de Mme Bénédicte Legrand-Jung, adjointe au délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, M. Stéphane Rémy, sous-directeur chargé des politiques de formation et du contrôle et Mme Cécile Charbaut, adjointe au sous-directeur en charge des parcours d'accès à l'emploi

M. Jean Hingray, président. - Mes chers collègues, nous entendons cet après-midi Mme Bénédicte Legrand-Jung, adjointe au délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, qui est accompagnée de M. Stéphane Rémy, sous-directeur chargé des politiques de formation et du contrôle, et de Mme Cécile Charbaut, adjointe au sous-directeur chargé des parcours d'accès à l'emploi.

Mme Bénédicte Legrand-Jung, adjointe au délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. - Je commencerai par un certain nombre de constats concernant la situation des jeunes sur le marché du travail.

Le taux de chômage des jeunes est très élevé, notamment pour les moins qualifiés. Fin 2020, ce taux était 2,3 fois supérieur à celui de la population générale. Le nombre des jeunes sans emploi ni formation est très important : on dénombre près de 1 million de jeunes sans emploi ni formation initiale ou professionnelle, les fameux NEET - Not in Education, Employment or Training. Le nombre des jeunes travailleurs précaires est, quant à lui, de l'ordre de 320 000 environ.

On sait par ailleurs qu'une part importante de cette population n'est pas accompagnée par le service public de l'emploi, ce qui soulève évidemment des problèmes en termes de repérage, et n'est pas indemnisée par l'assurance chômage.

Les jeunes se trouvant dans une situation de grande précarité sociale et financière cumulent, non seulement un handicap en matière d'accès à l'emploi, lié à leur niveau de qualification, mais aussi des handicaps sociaux : ils sont souvent confrontés à des problèmes de logement et de santé. Ce n'est pas un hasard si les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou des zones de revitalisation rurale (ZRR) sont surreprésentés.

Il existe en outre une problématique spécifique aux jeunes mineurs : 60 000 jeunes âgés de seize et dix-sept ans sont sans emploi ni en formation.

Enfin, il faut évoquer les conséquences sociales de la crise économique et sanitaire sur la situation des jeunes, en particulier les effets de la non-création d'emploi et du gel des embauches dans les entreprises. En période normale, le nombre des jeunes entrant sur le marché du travail s'élève à 750 000 en moyenne chaque année.

L'ensemble de ces constats a conduit le Gouvernement à mettre en place, dans le cadre du plan France Relance, un plan très ambitieux en faveur des jeunes, le plan « 1 jeune, 1 solution », doté de plus de 9 milliards d'euros, qui mobilise un éventail très large de dispositifs pour répondre aux problèmes rencontrés par les jeunes. Dans cette perspective, nous sommes particulièrement attentifs aux conditions de mise en oeuvre opérationnelle et territoriale des mesures envisagées et à leur accessibilité pour les jeunes.

La politique menée par le ministère du travail et de l'emploi en faveur de l'insertion des jeunes est centrée autour de trois axes.

Le premier axe majeur concerne les mesures visant à favoriser un accès direct à l'emploi. C'est notamment le cas via le développement de l'apprentissage et de la formation par alternance. Celle-ci permet à tous les jeunes dès seize ans, voire dès quinze ans dès lors que ceux-ci ont achevé leur scolarité au collège, d'alterner un enseignement théorique en centre de formation des apprentis (CFA) et un enseignement pratique en entreprise, format qui peut être particulièrement adapté à des jeunes qui considèrent que l'enseignement scolaire est contraignant.

La formation par alternance offre aux jeunes la possibilité de bénéficier d'une rémunération, ce qui n'est pas négligeable pour des individus en quête d'émancipation et d'autonomie. Cette formation est gratuite et garantit l'accès à un certain nombre d'autres avantages, comme par exemple une aide au permis de conduire.

L'alternance a été profondément modifiée par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, tant en ce qui concerne les relations entre l'employeur et l'apprenti que son financement. La réforme vise à développer l'apprentissage pour faciliter l'emploi et l'insertion des jeunes, en levant les freins au développement des CFA, en centrant la formation sur les pratiques des entreprises et en l'adaptant à leurs besoins. Dans ce cadre, une attention particulière a été portée aux publics les plus fragiles, comme les jeunes travailleurs handicapés, pour lesquels la durée du contrat peut être étendue d'un an par rapport aux jeunes non handicapés.

Je citerai également l'exemple de la prépa apprentissage. Ce dispositif, qui a fait l'objet d'appels à projets financés dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC), a pour objet d'offrir aux jeunes un parcours dans la durée, sécurisé, modulable en fonction de leurs besoins, ce qui leur permet de travailler sur leurs prérequis et leurs compétences relationnelles. Il s'agit de limiter les ruptures prématurées de contrats d'apprentissage.

Dans le cadre de la crise sanitaire, le Gouvernement a souhaité amplifier les efforts en matière d'apprentissage au travers de plusieurs actions.

Je pense tout d'abord à l'aide à l'embauche de jeunes en contrat de professionnalisation, qui s'élève à 5 000 euros pour les apprentis mineurs et à 8 000 euros pour les majeurs. Cette aide financière a été prolongée jusqu'à la fin de l'année 2021.

L'effort porte en priorité sur les apprentis dont les niveaux de qualification sont les plus bas. Ainsi, les entreprises de moins de 250 salariés recrutant des jeunes jusqu'au niveau du bac peuvent bénéficier, le cas échéant, au terme de la première année du contrat d'apprentissage, d'avantages financiers exceptionnels. Par ailleurs, le délai de signature d'un contrat d'apprentissage avec une entreprise a été prolongé de trois à six mois après le début de la formation en CFA, et le forfait de premier équipement de 500 euros par apprenti a été étendu à l'achat de matériel informatique pour lutter contre la fracture numérique.

Au-delà de l'apprentissage, plusieurs aides directes à l'embauche des jeunes ont été mises en oeuvre.

C'est le cas de l'aide à l'embauche des jeunes, prévue du 1er août 2020 au 31 mai 2021, qui est destinée à l'ensemble des entreprises embauchant un jeune de moins de vingt-six ans dans la limite de 1,6 SMIC. Cette aide peut atteindre 4 000 euros pour des embauches en CDD de plus de trois mois ou en CDI.

Les emplois francs sont un autre exemple. Ils font l'objet d'une expérimentation depuis 2018. Désormais généralisé, ce dispositif géré par Pôle emploi facilite le recrutement de personnes résidant dans les QPV par une aide aux employeurs qui les embauchent en CDD de plus de six mois ou en CDI. Afin de maintenir un avantage pour les jeunes résidant en QPV, le montant de l'aide a été bonifié, pour les embauches intervenues à partir du 15 octobre 2020, pour atteindre 7 000 euros la première année pour une embauche en CDI.

Du mois d'août au mois de décembre 2020, environ 1,2 million de jeunes ont été recrutés en CDI ou en CDD, chiffre à peu près équivalent à celui que l'on observait sur la même période en 2018. Nous avons donc réussi à protéger les jeunes de moins de vingt-six ans durant la crise sanitaire, l'apprentissage ayant évidemment beaucoup contribué à ces bons résultats, puisque plus de 500 000 contrats d'apprentissage ont été conclus en 2020. Ce chiffre s'inscrit dans la dynamique que l'on observait déjà en 2019, avec une augmentation de 16 % du volume des contrats sur l'année.

Le deuxième axe des politiques d'insertion concerne le développement de la formation professionnelle des jeunes en recherche d'emploi.

Les efforts déployés ont été confortés dans le cadre du PIC. Sur la période 2018-2022, notre objectif est de former 2 millions de jeunes demandeurs d'emploi peu ou pas qualifiés supplémentaires, moyennant un investissement financier significatif. Le plan se décline au niveau territorial en lien avec les conseils régionaux dans le cadre des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC). Aujourd'hui, on constate une forte augmentation du recours des jeunes demandeurs d'emploi à la formation, puisque les moins de trente ans représentent près de 40 % des nouveaux bénéficiaires.

Le renforcement de la formation professionnelle des jeunes se concrétise aussi au travers du plan « 1 jeune, 1 solution ». L'objectif est d'atteindre 100 000 entrées en formation préqualifiante ou qualifiante supplémentaires. Le pilotage de cette action se fait en lien étroit avec Pôle emploi et les missions locales pour la formation et l'emploi des jeunes, qui sont les prescripteurs en matière de formation professionnelle des jeunes.

La deuxième mesure importante en matière de formation repose sur la revalorisation du barème de la rémunération des stagiaires, prévue par la loi de finances pour 2021. Cette réforme est en cours : elle repose sur le constat que le niveau des rémunérations était désincitatif et que leur évolution dépendait de critères trop complexes. La revalorisation est nette : pour les jeunes mineurs, elle passe de 130 à 200 euros ; pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, elle passe à 500 euros.

Troisième mesure, nous allons étendre le bénéfice de cette rémunération aux jeunes qui sont engagés dans les parcours d'accompagnement financés par le PIC.

Le troisième axe des politiques d'insertion, qui s'est lui aussi considérablement développé dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », s'articule autour des parcours d'accompagnement et d'insertion des jeunes les plus éloignés de l'emploi, notamment ceux qui cumulent les handicaps : faible niveau de qualification, mauvais état de santé, problèmes de logement ou de mobilité, par exemple.

On peut distinguer, dans un premier temps, les parcours mis en oeuvre par les opérateurs du service public de l'emploi, à commencer bien sûr par les missions locales. Celles-ci sont notamment responsables des parcours contractualisés d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (Pacea), sorte de cadre de droit commun de l'accompagnement des jeunes. Il s'agit d'un cadre souple offrant à tous les jeunes un accompagnement par phase pour une durée qui peut aller jusqu'à vingt-quatre mois. Les jeunes peuvent alors bénéficier d'une allocation ponctuelle pour répondre à des besoins financiers spécifiques.

Les missions locales sont aussi chargées du déploiement de la Garantie jeunes, dispositif destiné aux jeunes en situation de précarité, très orienté sur leur expérience professionnelle, et dont la durée peut atteindre jusqu'à dix-huit mois.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » se fonde sur des objectifs ambitieux, qui ont évidemment fait l'objet d'échanges avec l'Union nationale des missions locales (UNML) : il vise à doubler le nombre des jeunes accompagnés dans le cadre du dispositif de la Garantie jeunes en 2021 pour atteindre 200 000 jeunes ; il vise également à augmenter de 80 000 le nombre de jeunes engagés dans un Pacea pour passer à 420 000. Pour ce faire, un certain nombre de mesures ont été prises, et des moyens supplémentaires sont consacrés aux missions locales pour financer l'accompagnement des jeunes.

Le dispositif d'accompagnement intensif de Pôle emploi destiné aux jeunes éprouvant des difficultés d'accès à un emploi durable a par ailleurs été considérablement renforcé dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » : l'objectif est que 240 000 jeunes puissent bénéficier de cet accompagnement intensif au cours de l'année 2021.

Enfin, nous prévoyons de mettre en place des mesures de sécurisation financière des parcours pour faire face à la hausse de la précarité financière des jeunes. Le Gouvernement a annoncé une revalorisation de l'allocation Pacea, dont le plafond a été porté de trois fois à six fois le montant mensuel du RSA sur une période de douze mois, et prévoit une aide équivalente pour les jeunes accompagnés par Pôle emploi ou par l'APEC, ainsi qu'à destination des jeunes diplômés ex-boursiers.

À côté des parcours suivis par les opérateurs du service public de l'emploi, il existe tout un catalogue de solutions proposées aux jeunes les plus éloignés de l'emploi.

Je pense aux contrats aidés. Pour les parcours emploi compétences (PEC) dans le secteur non marchand - associations et collectivités locales - l'objectif est de financer 80 000 PEC en 2021, en sachant que la prise en charge de l'État a été portée à 65 %. S'agissant du contrat initiative emploi (CIE) jeunes, contrat aidé du secteur marchand, sa durée potentielle a été allongée. Depuis la réforme de 2018, le cadre de ces contrats, notamment dans le secteur non-marchand, est plus qualitatif, avec un caractère plus insérant. On le constate sur les taux de sortie des bénéficiaires de ces contrats aidés.

Nous investissons aussi dans l'insertion par l'activité économique (IAE), via le recours aux structures d'insertion par l'activité économique. À souligner, l'existence d'un pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique qui vise à augmenter significativement le nombre d'entrées dans les parcours de retour vers l'emploi : l'objectif est d'atteindre 35 000 jeunes en 2021.

Enfin, il faut évoquer les dispositifs de soutien à la création d'activité, qui peuvent constituer une solution adaptée pour un certain nombre de jeunes. Un appel à projets visant à développer le travail indépendant et la création d'activité comme solution d'insertion a été lancé. Dans ce cadre, 15 000 parcours de jeunes pourront être financés.

Les jeunes peuvent en outre profiter de l'action de structures comme les établissements pour l'insertion dans l'emploi, les Epide, ou les écoles de la deuxième chance, qui sont soutenus dans le cadre du plan d'investissement des compétences.

Je souhaite enfin faire un point sur les dispositifs à destination des mineurs, notamment dans le cadre de l'obligation de formation, entrée en vigueur le 1er septembre 2020 dans le cadre de la loi pour une école de la confiance de juillet 2019. Je citerai en particulier le programme « La Promo 16.18 » proposé par l'Agence pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, qui vise à formuler des solutions pour les jeunes mineurs décrocheurs, en leur proposant un véritable sas de remobilisation de quatre mois.

Enfin, certains appels à projets financés dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences sont destinés à repérer les jeunes dits « invisibles » Un premier appel à projets a permis de financer 237 projets destinés à accompagner près de 34 000 de ces jeunes. Le but est de faire émerger des méthodes d'approche innovantes pour repérer les jeunes concernés et les orienter vers les acteurs institutionnels de la prise en charge et de l'accompagnement.

La mise en oeuvre opérationnelle de ces mesures est évidemment très importante. Le plan « 1 jeune, 1 solution » vise avant tout à garantir un accès effectif des jeunes et des entreprises aux mesures en vigueur.

Dans cette logique, une attention particulière est portée à la coordination des opérateurs du service public de l'emploi, notamment Pôle emploi et les missions locales, mais aussi les Cap emploi qui accompagnent les jeunes travailleurs handicapés. Cette politique fait l'objet d'un pilotage resserré au niveau territorial sous l'égide des préfets. Enfin, il faut mentionner certains outils comme la plateforme « 1 jeune, 1 solution », plateforme numérique destinée à proposer aux jeunes un accès simple et ergonomique à l'ensemble des solutions proposées dans le cadre du plan, mais également aux offres d'emploi et de stage.

Mme Agnès Canayer. - Ma première question porte sur la complexité des dispositifs existant sur le terrain : leur multitude ne nuit-elle pas à leur lisibilité ? Ne pensez-vous pas que certaines mesures, plus attractives, vont supplanter d'autres mesures pourtant intéressantes ?

Dans le cadre du dispositif prépa apprentissage, les rémunérations prévues n'ont pas encore été versées aux jeunes concernés : est-ce prévu dans un avenir proche ?

Ne pensez-vous pas qu'une meilleure coordination entre les outils informatiques (Ouiform pour les régions, I-MILO pour les missions locales...) sur lesquels reposent les différents dispositifs que vous avez évoqués accroîtrait leur efficacité ?

Enfin, pourriez-vous nous parler de la Garantie jeunes universelle ?

M. Laurent Burgoa. - Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, les dispositifs et les intervenants sont nombreux, manquent parfois de visibilité et les jeunes ne savent pas à qui s'adresser. Ne conviendrait-il pas de rationaliser ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Vous posez la question de l'accompagnement financier des parcours. Avec le plan de lutte contre la pauvreté, l'objectif est de sécuriser les parcours des jeunes, notamment par le biais de l'allocation Pacea, qui est gérée par les conseillers des missions locales, en lien éventuellement avec les conseillers de Pôle emploi : cette allocation permet de faire face aux besoins ponctuels des jeunes, dans le cadre de leur parcours d'insertion, ou à une situation d'urgence ou de précarité.

Vous soulignez aussi le risque d'écarts de rémunération entre les différents dispositifs. Dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle, le niveau de la rémunération des jeunes en formation a été aligné sur le niveau de la Garantie jeunes. Cette revalorisation du barème est importante et va dans le sens que vous indiquez.

La refonte des systèmes d'information constitue un chantier structurant et de longue haleine. Nous travaillons à renforcer les articulations entre les systèmes d'information de Pôle emploi et des missions locales. Le projet Agora vise à recenser toutes les personnes inscrites dans un dispositif formation professionnelle, quel que soit le financeur, ce qui permettra d'avoir des données de pilotage mieux intégrées. L'outil Ouiform permet déjà aux différents prescripteurs de positionner les jeunes sur un catalogue de formations, qui est celui des Carif-Oref. La réforme des systèmes d'information est aussi au coeur du chantier du service public de l'insertion et de l'emploi ; il s'agit de faciliter le partage des données entre tous les acteurs.

La ministre de l'emploi, du travail et de l'insertion a l'ambition de créer une Garantie jeunes universelle, afin de pouvoir proposer à chaque jeune privé d'emploi, à chaque jeune NEET, un accompagnement renforcé et un parcours sécurisé, grâce à une garantie de ressources, pour permettre l'insertion sur le marché du travail. L'objectif est d'accroître l'autonomie des jeunes, dans une logique d'émancipation par le travail, tout en veillant à la simplicité du mécanisme et à sa personnalisation ; les réflexions sont en cours.

Vous avez aussi évoqué la question de la multiplicité des acteurs et de la lisibilité des dispositifs. C'est un sujet important. L'accord-cadre de partenariat renforcé entre Pôle emploi et les missions locales vise déjà à renforcer la fluidité entre les organismes. Je pourrais aussi mentionner l'appel à projets « 100 % inclusion » du plan d'investissement dans les compétences, qui vise à financer des projets innovants afin d'accompagner les personnes dans une logique sans couture, à 360 degrés, pour garantir la fluidité de leur parcours.

Quant à la plateforme « 1 jeune, 1 solution », elle fournit aux jeunes des outils pour qu'ils puissent s'orienter directement, entrer en relation avec des entreprises ou avec des conseillers des missions locales.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Quel regard portez-vous sur l'initiative de la préfecture de la région Ile-de-France qui a mis en oeuvre un plan régional d'insertion pour la jeunesse (PRIJ) pour mettre en cohérence les différentes interventions en faveur des jeunes ?

Mme Cécile Charbaut, adjointe au sous-directeur en charge des parcours d'accès à l'emploi. - Nous avons eu des contacts avec la préfecture dans le cadre de ce PRIJ et des travaux préparatoires à la mise en oeuvre de l'obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans. La démarche de la préfecture est très intéressante, notamment en ce qui concerne la coordination des acteurs et le repérage des jeunes. Ces échanges sont fructueux et cela nourrit nos réflexions.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Concernant l'obligation de formation jusqu'à 18 ans, quelles sont les actions qui sont développées par le ministère du travail ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Les actions sont de différentes natures. Il a fallu définir le cadre réglementaire pour préciser le fonctionnement du dispositif, le rôle des différents acteurs, l'offre de solutions disponible. Le ministère du travail y a pris part, en lien étroit avec le ministère de l'éducation nationale et la délégation interministérielle à la prévention et à lutte contre la pauvreté. Le ministère entretient aussi un dialogue étroit avec les missions locales sur le déploiement du dispositif et pour faire en sorte que les missions locales disposent des données de l'éducation nationale sur les décrocheurs grâce à une articulation de leurs systèmes d'information. Nous travaillons aussi avec les missions locales pour définir l'offre de services à leur disposition et les moyens qu'on leur fournit dans ce cadre. Il y a aussi le dispositif « La Promo16.18 », conçu avec l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (l'AFPA), qui est déployé depuis l'année dernière au bénéfice des mineurs décrocheurs, notamment sous le pilotage des missions locales et qui permet aux jeunes d'avoir un parcours de mobilisation de quatre mois, avec des phases collectives et individuelles, de découverte des métiers, de travail, d'approfondissement de ses compétences relationnelles, etc.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - En somme, vous étendez avec ce plan ce qui a déjà cours avec la Garantie jeunes !

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Ce dispositif est destiné et conçu pour les mineurs. La Garantie jeunes a pour objectif de déboucher sur une formation ou un emploi. La Promo 16.18 est un dispositif de remobilisation qui intervient en amont, pour aider les jeunes à entrer dans un dispositif d'accompagnement.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Tous les jeunes décrocheurs seront-ils repérés et accompagnés de la sorte ? Il est quand même assez simple de repérer ces jeunes !

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Notre objectif est de repérer ces jeunes et de leur proposer des solutions. Le dispositif proposé par l'AFPA n'est qu'une solution parmi d'autres, au même titre que le retour dans la formation initiale par exemple.

Mme Cécile Charbaut. - L'obligation de formation est pilotée par les plateformes de suivi et d'appui aux décrocheurs (PSAD), instances de coordination entre tous les acteurs qui sont copilotés par les centres d'information et d'orientation (CIO) et les missions locales. Les PSAD ont vocation à repérer les mineurs en situation de décrochage scolaire grâce à des échanges de données, ou avec le concours des acteurs mobilisés dans le cadre de l'appel à projets « repérer et mobiliser les publics invisibles » pour identifier les jeunes hors listes. Nous nous efforçons, en développant les échanges de données, d'être plus réactifs pour repérer les cas de décrochage, prendre contact avec le jeune et sa famille, réaliser un diagnostic et lui proposer une orientation adaptée.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Et l'éducation nationale ? Ne serait-il pas plus simple qu'elle fournisse directement les coordonnées des décrocheurs ?

Mme Agnès Canayer. - L'enjeu, en effet, est d'éviter les décrochages et de renforcer la coopération entre tous les acteurs en amont. Cette coopération prend des formes diverses selon les territoires. Cela vaut aussi avec les départements pour les jeunes de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Dans tous les cas, il faut anticiper et réagir vite pour ne pas perdre le contact avec les jeunes. Or les différentes structures ont parfois du mal à se parler. Je prends l'exemple d'une école de production, sur mon territoire, qui forme des jeunes de 15 à 16 ans en situation de décrochage aux métiers de la chaudronnerie : elle n'arrive pas à obtenir la reconnaissance de l'éducation nationale.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - J'ai présidé une mission locale : je n'ai pas le souvenir de liens avec l'éducation nationale... C'est dommage. On pourrait éviter ainsi de perdre la trace des jeunes qui sortent sans qualification du système scolaire.

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Le partenariat avec l'éducation nationale est au coeur du dispositif et de l'obligation de formation jusqu'18 ans. L'enjeu du chantier de refonte des systèmes d'informations est bien de parvenir à avoir des données en temps réel pour pouvoir détecter un jeune qui décroche et intervenir rapidement. Les ministres du travail et de l'éducation nationale ont donné des instructions à leurs services pour qu'ils travaillent ensemble dans le pilotage régional de l'obligation de formation, sous l'égide des préfets et des recteurs d'académie, en association aussi avec les régions. La volonté politique est forte. Les départements sont également associés en ce qui concerne les jeunes de l'ASE. Le décret dispose ainsi qu'en cas d'absence de solution dans le cadre de l'obligation de formation, le président du conseil départemental est alerté.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Certains dispositifs d'insertion s'accompagnent d'une allocation, d'autres non. Ne faudrait-il pas décorréler la formation et la rémunération ? Ne doit-on pas craindre que les jeunes ne s'orientent en priorité vers les formations les mieux rémunérées, mais peut-être pas les plus pertinentes pour eux ? Ne faudrait-il pas instaurer un revenu minimum pour les jeunes, indépendamment de la voie qu'ils ont choisie ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Des étapes ont déjà été franchies dans le sens que vous indiquez, avec, par exemple, la revalorisation de la rémunération des stagiaires en formation professionnelle. Le plan « 1 jeune, 1 solution » vise à développer l'accompagnement des jeunes, en sécurisant leur situation financière.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Le plan de relance contient des crédits exceptionnels en faveur de l'insertion des jeunes. Seront-ils pérennes ? Toute une génération de jeunes aura vu ses conditions de scolarité bouleversées avec la crise et risque d'être longtemps handicapée.

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Le plan de relance a été conçu pour faire face à la crise et accompagner aussi longtemps que nécessaire les jeunes. C'est le cas, par exemple, avec la prolongation des aides en faveur de l'apprentissage.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - La réforme de l'assurance chômage est controversée et frappera durement les jeunes, qui, pour certains, commenceront leur vie professionnelle par le chômage. Comment estimez-vous ses effets sur les jeunes ? La précarité ne risque-t-elle pas de les entrainer dans la spirale de l'échec ? N'est-ce pas en contradiction avec les annonces du Gouvernement en faveur de la jeunesse ? Le Gouvernement reverra-t-il sa copie ? Et si oui, comment ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Un plan massif a été mis en place pour proposer à tous les jeunes demandeurs d'emploi - qu'ils soient ou non indemnisés ou inscrits à Pôle emploi - des solutions d'insertion. Ce plan, d'une ampleur inédite, mobilise tous les leviers possibles pour aider les jeunes à s'insérer sur le marché du travail.  Je rappelle aussi les efforts de sécurisation financière entrepris avec la revalorisation de la rémunération des stages de formation professionnelle ou grâce à l'allocation Pacea.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Constate-t-on déjà une hausse du nombre d'apprentis en lien avec la hausse des rémunérations ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Pour le déterminer, il faudrait pouvoir réaliser des analyses macroéconomiques très fines : il est toujours difficile d'apprécier l'efficacité d'un dispositif, de faire la part des effets d'aubaine... Les centres de formation d'apprentis ont été durement frappés par la crise et ont dû adapter leur enseignement pour maintenir les enseignements à distance. Toutefois, les entrées en apprentissage ont continué à augmenter, avec 500 000 contrats conclus cette année. C'est lié à la réforme structurante de 2018. La hausse des aides a sans doute joué aussi et s'inscrit dans le cadre de cette politique d'ensemble.

M. Stéphane Rémy, sous-directeur en charge des politiques de formation et du contrôle. - Nous avons instauré un dialogue hebdomadaire avec les CFA à partir du 16 mars pour assurer la continuité pédagogique, notamment la formation à distance. Cela a été un succès. Une enquête de la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de CFA montre que, dans 92 % des cas, des solutions en distanciel ont été proposées aux apprentis. On a aussi été attentif à éviter le risque de fracture, notamment pour les premiers niveaux, qui sont moins équipés, d'où l'importance du forfait de premier équipement. Au printemps 2020, on craignait une rentrée catastrophique car les prévisions faisaient état d'une chute annoncée de l'apprentissage de 25 % à 40 %. On a réussi à inverser la tendance. La réforme de 2018 a joué, car dès 2019, la hausse était de 16 %. La refonte des aides a aussi joué un rôle important. Elles ont été relevées pour tous les niveaux, toutes les entreprises. La question reste posée de savoir comment ces aides seront maintenues en sortie de crise. L'aide unique prendra le relais pour les entreprises de moins de 250 salariés et pour les formations de niveau inférieur ou égal au bac. La réforme a joué un rôle structurant. L'éventail d'offres de formation par apprentissage s'est développé. Des CFA d'entreprise sont apparus. Le système a été revu en profondeur. Il n'y a plus besoin d'une autorisation administrative de la région ; les branches professionnelles déterminent les niveaux de prise en charge en fonction des besoins économiques et les employeurs ont joué le jeu.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - L'aide à l'embauche des jeunes est versée à des entreprises qui embauchent aussi bien en CDD qu'en CDI. Ne craignez-vous pas que cette mesure crée des effets d'aubaine au profit des employeurs ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - La décision a en effet été prise de verser l'aide à l'embauche des jeunes aux employeurs recrutant un jeune de moins de vingt-six ans en CDD de plus de trois mois ou en CDI.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Il serait certainement utile de mesurer rapidement les effets de cette décision.

Afin de promouvoir un égal accès aux compétences, le Gouvernement a lancé un plan d'investissement dans les compétences doté de 15 milliards d'euros pour la période 2018-2022, afin de financer des actions visant le développement des compétences des demandeurs d'emploi faiblement qualifiés et des jeunes sans qualification, dont les personnes en situation de handicap et les personnes issues des QPV et des ZRR. Quels sont vos leviers d'action dans le cadre de ce plan ? Pour quels résultats ?

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Le PIC vise en effet à renforcer l'accès à la formation des demandeurs d'emploi dans leur ensemble, et notamment les moins qualifiés, les jeunes et les individus les plus fragiles. Nous observons une hausse significative du recours de ces publics à la formation : un demandeur d'emploi sur six y a accès aujourd'hui, contre un sur dix en 2015.

Mme Agnès Canayer. - Les opérateurs de compétences, les OPCO, n'informent pas suffisamment bien sur la qualité, la spécificité et les modalités d'accès à telle ou telle formation, ce qui rend plus délicate l'orientation d'un certain nombre de jeunes.

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Ce ne sont pas les OPCO qui sont responsables de la qualité de l'information relative à l'offre de formation, mais le réseau des Carif-Oref, qui sont des acteurs financés par les conseils régionaux. Comme vous le soulignez, l'un de nos objectifs est d'améliorer la visibilité et l'accessibilité au catalogue des formations.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Un certain nombre de régions se sont manifestées encore récemment pour témoigner que la création des CFA d'entreprise n'était pas forcément une bonne chose, notamment parce que ces centres vidaient de leur substance les CFA existants. Il faut reconnaître que la formation d'un apprenti par une entreprise répond aux besoins de l'entreprise et ne permet pas nécessairement de lui délivrer une formation applicable partout.

Mme Bénédicte Legrand-Jung. - Les CFA d'entreprise doivent respecter exactement les mêmes obligations que les CFA, notamment en ce qui concerne la qualité de l'enseignement délivré. Aujourd'hui, le développement de l'apprentissage profite aussi bien aux CFA « traditionnels » qu'aux CFA d'entreprise : l'un n'empêche pas l'autre.

M. Stéphane Rémy. - La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel visait à développer l'offre de formation par l'apprentissage, y compris dans le cadre des 53 CFA d'entreprise que nous avons recensés.

La très grande majorité des CFA dits « historiques » se portent bien. Au total, ce sont 2 400 organismes qui déclarent faire de l'apprentissage aujourd'hui : je vous confirme que ces structures sont toutes assujetties aux mêmes règles.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Il faudra certainement se donner le temps d'évaluer cette réforme. Je vous remercie pour cette audition de grande qualité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 15.